Actualité juridique : Jurisprudence

Contrats spéciaux

  • Christine Hugon
    Professeur de droit privé
    Université de Montpellier
    Laboratoire de droit privé
  • Kiteri Garcia
    CDRE Bayonne – UPPA

La vente d’un chiot malformé à l’aune du droit de la consommation

Cour d’appel de Chambéry, 5 janvier 2023, n°21/00483

Une affaire, reliquat de l’époque où le code de la consommation était encore applicable aux ventes d’animaux domestiques, confirme à quel point faire peser sur un éleveur, fut-il professionnel, le poids des pathologies génétiques ouvre une boîte de Pandore en termes d’actions judiciaires. Ce litige révèle aussi la difficile articulation entre la présomption de connaissance des défauts de l’animal pesant sur le professionnel et l’obligation de moyens du vétérinaire ayant délivré un certificat au moment de la vente.

Le 12 janvier 2018, un éleveur professionnel vend un chiot berger allemand. Le certificat vétérinaire établi le même jour ne fait mention d’aucun problème, mais trois semaines après, un autre vétérinaire constate que l’animal présente une absence de développement de trois doigts du postérieur droit. Il s’agit d’une pathologie irréversible entraînant des lésions chroniques du coussinet et nécessitant l’usage de bottines protectrices ainsi que des soins réguliers. L’acheteur se tourne alors vers le vétérinaire ayant établi le certificat le jour de la vente à fin d’indemnisation. L’assureur de ce vétérinaire propose à l’acheteur de lui verser une somme équivalente au prix d’acquisition de l’animal à savoir 700 euros. Plusieurs mois après, l’acheteur demande au vendeur professionnel de prendre en charge des frais vétérinaires qu’il avait déjà engagés et ceux qu’il devra engager dans l’avenir. Les assureurs respectifs des parties organisent une expertise amiable contradictoire laquelle confirme la malformation mais ne débouche pas sur un accord en termes de réparation. Le 27 septembre 2019, l’acheteur assigne le vendeur devant le tribunal d’instance de Chambéry pour obtenir le paiement de diverses sommes sur le fondement des articles L217-1 et suivants du Code de la consommation. Le vendeur appelle dans la cause le vétérinaire ayant délivré le certificat le jour de la vente et son assureur.

Le 25 janvier 2021, le Tribunal judiciaire de Chambéry considère que le chien est non conforme au sens du droit de la consommation et condamne l’éleveur à payer 764 € titre des dépenses de santé déjà assumé par l’acheteur, à 5600 € au titre des frais futurs et à 800 € titre de son préjudice moral. Le même jugement déboute l’éleveur de la demande en garantie qu’il avait formée à l’encontre du vétérinaire. L’éleveur interjette appel. La Cour d’appel de Chambéry, dans son arrêt du 5 janvier 2023, confirme la décision quant à l’existence d’un défaut de conformité au sens du droit de la consommation. Certes, au moment des faits, la présomption d’antériorité du vice apparaissant postérieurement à la vente ne s’appliquait déjà plus aux ventes d’animaux domestiques, mais les juges du fond ont considéré que la malformation en question, même si elle n’était pas encore apparente au moment de la vente et pour cette raison non décelée par le vétérinaire, existait cependant dès la naissance du chiot et s’était développée avec sa croissance. Ils en déduisent que le vendeur professionnel « est irréfragablement présumé avoir eu connaissance de ce défaut de conformité, sans qu’il y ait besoin d’établir une faute à son égard ». La cour d’appel approuve aussi les juges du fond d’avoir considéré que la transaction intervenue avec l’assureur du vétérinaire n’interdisait pas à l’acheteur de réclamer à son vendeur l’indemnisation des autres préjudices subis. Ce dernier aspect ne sera pas commenté, faute de précisions suffisantes sur les termes de la transaction.

Côté vétérinaire, la cour d’appel approuve le rejet de l’action en garantie formée par l’éleveur contre le vétérinaire au motif que ce dernier n’est tenu que d’une obligation de moyens et ne peut voir sa responsabilité engagée que pour faute prouvée. Même si, en l’espèce, seulement 90 jours s’étaient écoulés entre les deux examens, elle admet que la pathologie pouvait ne pas être décelable au moment de la visite d’achat et l’être quelques semaines plus tard. Elle juge qu’il appartenait à l’éleveur de démontrer que cette malformation était visible lors de la première consultation.

Si juridiquement, l’analyse est juste, un brin de bon sens, paysan ou non, conduit à penser que si l’éleveur avait décelé la malformation, il aurait peut- être décidé de ne pas vendre le chiot pour s’éviter des ennuis judiciaires à venir. Admettre la responsabilité sans faute de l’éleveur pour des défauts qu’il n’était pas en mesure de déceler au moment de la vente et écarter celle du vétérinaire peut choquer les vendeurs professionnels. Beaucoup d’entre eux n’hésitent pas à demander une visite vétérinaire au moment de la vente d’un animal pour éviter justement tout risque de contentieux. Or, l’état du droit les place dans une situation à tout le moins paradoxale : leur qualité de professionnel fait qu’ils sont irréfragablement présumés avoir eu connaissance d’un défaut de conformité tel qu’une malformation existante dès la naissance, mais encore indécelable au moment de la vente alors que le professionnel de santé animale auquel le vendeur ou l’acheteur s’adresse pour vérifier l’absence de défaut au moment de la vente ne supporte, lui, qu’une obligation de moyens.

L’espèce révèle le paradoxe de cette situation et le sentiment d’injustice que peuvent éprouver les éleveurs professionnels. Dans le cas de malformation ou de pathologie génétique, le vétérinaire qui a la qualité de sachant n’est responsable qu’en cas de faute alors que l’éleveur, profane en terme de santé animale, verra sa responsabilité sans faute engagée et ceci en dépit du fait que les deux ont la qualité de professionnel !

La solution est d’autant plus sévère pour l’éleveur professionnel que l’addition peut être lourde. Dans la très remarquée affaire du bichon frisé, la Cour de cassation avait admis que l’attachement du maître à son animal pouvait paralyser la possibilité que le Code de la consommation laissait au vendeur professionnel d’opter pour un remplacement lorsque la réparation révélait avoir un coût disproportionnére civ., 9 déc. 2015, n°14-25910, K. Garcia, Revue semestrielle de droit animalier 2015, n°1, p.48, D. 2016, 360, n. S. Desmoulin-Cansellier, G. Paisant, La question des vices cachés dans les ventes d'animaux domestiques aux consommateurs, JCP G 2016. 173.">1.

L’arrêt commenté reprend d’ailleurs la formule utilisée dans l’arrêt Delgado lorsque qu’il indique « le chien, qui est un être vivant, unique et irremplaçable, auquel son maître s’est attaché, ne peut être remplacé » pour en tirer des conséquences similaires et notamment faire supporter au vendeur professionnel le coût des soins imposés par la maladie. La cour d’appel confirme, en conséquence, que le propriétaire appelé à vivre avec un animal en souffrance subit un préjudice moral auquel s’ajoute un préjudice matériel lié aux frais médicaux qu’il devra assumer tout au long de la vie de l’animal, préjudices qu’il conviendra de réparer et dont le coût sera supporté, en l’espèce, par l’éleveur professionnel.

La cour d’appel infirmera très partiellement la décision de la juridiction du fond, mais seulement sur le terrain de l’évaluation des préjudices. Si, à quelques dizaines d’euros près, la cour reprend la même somme pour les frais déjà exposés se bornant à retirer du calcul une facture de 48 € sans rapport avec la pathologie et deux factures, l’une de 13,99 € et l’autre de 15 €, 59 considérés comme illisibles, c’est en revanche sur le terrain de l’allocation de la somme de 8000 € sollicitée par l’acheteur au titre des frais futurs que leurs analyses diffèrent. La juridiction du premier degré avait accordé 5600 €. Les magistrats de la cour d’appel partent du principe que la somme précédemment retenue pour les frais déjà exposés correspondait à une période de deux ans de soins. Elle divise cette somme par deux pour arriver à une somme annuelle qu’elle multiplie par neuf considérant que l’espérance de vie supplémentaire du chien en question est de neuf ans. En revanche, elle confirme l’évaluation par le tribunal à la somme de 800 € du préjudice moral subi par le propriétaire contraint de vivre avec un animal handicapé jusqu’à la mort de celui-ci.

Cette affaire soulève en définitive la question de savoir qui doit porter le poids du malheur. L’animal est le premier affecté, il mérite d’être soigné. La question primordiale est finalement de savoir qui doit supporter la charge financière des soins. Est-il véritablement opportun de la faire supporter par l’éleveur dans des hypothèses où celui-ci n’a vraisemblablement commis aucune faute ? Est-il juste de lui faire supporter un risque que le professionnel de santé n’a pas été en mesure de déceler ? Est-il opportun d’encourager les parties à se jeter dans des procès relativement longs et coûteux pour le perdant ? Est-il intelligent de laisser penser à l’acheteur que quelque part le malheur de son animal pourra se transformer en argent sans que l’on soit véritablement certain de l’utilisation qui sera faite des sommes allouées ? N’est-il pas plus juste et peut-être au bout du compte plus protecteur pour les animaux de faire passer l’idée selon laquelle c’est au propriétaire d’un animal d’en assumer la charge financière, y compris en cas de maladie de celui-ci ? Certes, il convient de traiter différemment les hypothèses de fraude, de dol et les vices rédhibitoires du Code rural qui n’engageront la responsabilité du vendeur que tout autant qu’ils apparaîtront dans un délai très court après la vente. En dehors de ces hypothèses très particulières, ne faut-il pas plutôt admettre qu’aimer un animal n’est pas seulement jouir du plaisir de sa compagnie, mais peut-être aussi de devoir payer pour le soigner, une sorte de mariage entre l’animal et son maître, pour le meilleur, mais aussi pour le pire !

C. H.

Pas de vente à distance lorsque l’acheteur se rend physiquement à l’élevage pour observer l’animal et en prendre possession

Cour d’appel de Bordeaux, 17 novembre 2019, n°19/01987

 

De plus en plus souvent, c’est en ligne que les acheteurs repèrent leurs futurs compagnons, mais cela ne suffit pas à les faire bénéficier de la faculté de rétractation prévue par le Code de la consommation. En l’espèce, l’annonce de la vente du chiot figurait bien sur un site Internet, il y avait eu plusieurs échanges de SMS entre les parties au contrat de vente, mais l’acheteur s’était physiquement rendu à l’élevage pour observer l’animal, puis, pour en prendre possession.

Quelques semaines après la vente, il invoque une maladie et sollicite par courrier la rétractation de la vente. L’animal est ramené par un tiers à l’éleveuse qui accepte de le reprendre, mais refuse de rembourser la totalité du prix de vente à savoir 700 €. Moins de six mois après, l’acheteur assigne celle-ci afin d’obtenir le prononcé de la résolution de la vente, le remboursement du prix et l’indemnisation de divers préjudices. L’examen de l’arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux laisse apparaître plusieurs difficultés juridiques.

La première, et la plus intéressante, était de savoir s’il s’agissait d’une vente à distance au sens du Code de la consommation. L’objectif de cette qualification était de faire bénéficier l’acheteur de la faculté de rétractation prévue par le Code de la consommation pour les ventes à distance. L’article L. 221-1 I 1° définit le contrat à distance comme tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, dans le cadre d’un système organisé de vente ou de prestation de services à distance, sans la présence physique simultanée du professionnel et du consommateur, par le recours exclusif à une ou plusieurs techniques de communication à distance jusqu’à la conclusion du contrat. La cour d’appel observant que l’acheteur s’était à deux reprises physiquement rendu à l’élevage en déduit que la vente ne peut être qualifiée de vente à distance et que le délai de rétractation n’était pas applicable. Il ne suffit donc pas que l’offre de vente soit en ligne pour que la vente devienne une vente à distance !

Les débats se sont alors déplacés sur le terrain de la résolution de la vente. La cour d’appel a considéré qu’en acceptant de reprendre le chiot, l’éleveuse avait implicitement accepté la résolution de la vente ; elle approuve donc les juges du fond de l’avoir condamnée à rembourser le prix de vente. En revanche, elle rejette les demandes de remboursement du coût des frais vétérinaires exposés par l’acheteur à la suite de la vente considérant « que cette dépense ne saurait constituer un préjudice indemnisable car elle n’est que la conséquence d’un mauvais comportement adopté par l’acquéreur envers l’animal, en l’occurrence une alimentation défaillante constatée médicalement comme l’attestent les pièces versées aux débats, et non celle d’une mauvaise exécution par la demanderesse de ses obligations contractuelles ».

C’est sur le terrain du préjudice moral qu’elle infirme la décision du juge du fond. Celui-ci avait accordé 1000 € à ce titre. La cour d’appel rappelle que ce poste de préjudice n’a rien de systématique et qu’en l’espèce, aucun élément suffisant ne venait le caractériser. L’animal avait été rendu très rapidement et il semble qu’il n’avait pas été très bien soigné durant les quelques semaines qu’il avait passées avec l’acheteur.

Cette affaire apporte deux éléments intéressants. Tout d’abord, elle confirme qu’un animal n’est pas un bien ordinaire, qu’il exige des soins particuliers et qu’un préjudice moral ne peut être demandé que s’il est démontré un attachement particulier entre celui-ci et son maître. Ensuite, elle permet de mettre en lumière le fait que même si, depuis le 1er janvier 2022, la garantie de conformité du droit de la consommation n’est plus applicable aux ventes d’animaux domestiques, d’autres pans du Code de la consommation peuvent l’être dont le régime des ventes à distance sous réserve bien sûr que toutes les étapes ayant conduit à la conclusion du contrat aient eu lieu exclusivement à distance.

C. H.

La question est récurrente pour qui s’intéresse à la place de l’animal en droit des contrats, qu’il s’agisse du droit commun ou des contrats spéciaux : les dispositions doivent-elles s’adapter à l’objet spécifique du contrat qu’est l’animal ? La prise en compte de cet être vivant et sensible impliquerait de lui construire un régime contractuel sur mesure mais le risque est alors de perturber une branche du droit déjà complexe et hétérogène.

 

Du contrat de clonage

Cour d’appel d’Angers, 31 janvier 2023, n° 20/0189

Pourtant, la tentation est forte de réclamer plus de spécificités pour l’animal ; sa place grandissante rejaillit sur la nature même des conventions en permettant la création de contrats nouveaux, comme par exemple le contrat de clonage, encore inabordé dans cette chronique. Le clonage humain étant majoritairement interdit, c’est par le biais de l’animal que le contrat de clonage fait son apparition. L’arrêt rendu par la Cour d’appel d’Angers, le 31 janvier 2023 offre ainsi la possibilité d’examiner à la fois le contexte et les règles juridiques applicables.

L’éthique commanderait de s’interroger avant tout sur la licéité d’un tel contrat, reproduisant un animal génétiquement identique à celui sur lequel des cellules ont été prélevées. Ce n’est cependant pas sous cet angle que la question s’est présentée aux juges angevins, d’autant que le clonage a eu lieu aux États-Unis, où il est plus développé. L’affaire posait une question située bien plus en aval de celle de la licéité du contrat de clonage : une fois l’animal cloné, qui est propriétaire du ou des clones ? L’animal reproduit était en l’espèce le célèbre étalon Kannan, détenu initialement par deux sociétés. En raison de mésententes dans la gestion de l’indivision, l’une de ces sociétés a racheté la part indivise de l’autre en vue de devenir la seule propriétaire du cheval, le 2 juillet 2019. La SAS devenue propriétaire de Kannan à 100% découvre que, lors de l’indivision, l’autre indivisaire avait conclu un contrat de clonage et que trois clones étaient nés, sans qu’elle en soit avertie. La SAS assigne alors son ex-indivisaire afin de voir reconnaître son droit de propriété sur les trois clones, en obtenir la restitution sous astreinte ainsi que celle de tout échantillon de cellule source restant en possession des défendeurs. L’instance avançant, un seul clone est demeuré vivant, il s’agit du poulain Kannaï, né le 22 février 2020 et grandissant au Canada. Sans que cela ne ressorte clairement de l’arrêt d’appel, il semble que les premiers juges aient qualifié les cellules sources de Kannan de fruits industriels et décidé qu’il fallait se placer au jour du prélèvement des cellules, alors que l’étalon était en indivision, pour répercuter le quantum régissant la propriété indivise sur ces fruits industriels. La SAS ainsi déboutée en première instance interjette appel et le jugement est infirmé. La Cour estime qu’au jour de la naissance de Kannaï, la SAS appelante était seule propriétaire de l’animal Kannan puisqu’il avait été mis fin à l’indivision de sorte que Kannaï doit être restitué au propriétaire de Kannan, en application de l’article 547 du Code civil qui permet de qualifier le poulain de fruit industriel.

Au carrefour du droit des biens, de la propriété intellectuelle et de la bioéthique, cette affaire dépasse le cadre de cette chronique consacrée aux contrats spéciaux. Elle appelle néanmoins quelques interrogations cantonnées au seul contrat de clonage et plus précisément à ses suites. En premier lieu, l’article 547 du Code civil est-il applicable aux produits du contrat de clonage ? En second lieu, si tant est qu’on puisse qualifier un animal issu du clonage de « fruit industriel », quelle doit être la date prise en compte pour déterminer sa propriété : s’agit-il de la date du prélèvement des cellules sources ou de celle de la date de naissance du clone ? Les juges d’appel se sont référés au droit commun pour répondre à cette question, mais nul doute que qualifier l’animal de fruit industriel n’est pas satisfaisant, au moins pour deux raisons. D’une part, l’article 547 du Code civil fait référence aux fruits naturels ou industriels « de la terre », et l’on ne voit pas alors en quoi un animal issu d’un clonage serait un fruit né de la terre ; d’autre part, l’article 547 mentionne également le croît des animaux, qualification écartée en l’espèce au profit de celle de fruit industriel. Mais si Kannaï n’est pas considéré comme étant le croît de Kannan, quel intérêt alors de le faire naître ? C’est précisément l’objet du contrat de clonage de reproduire et préserver une génétique. Kannaï, au nom si proche de celui de son « père », n’a d’intérêt que parce qu’il va bénéficier d’une sorte de filiation. Sans rentrer davantage dans cette affaire qui dépasse le cadre de cette chronique, on ne peut que constater l’inadaptation des qualifications de droit commun à ces nouvelles techniques de reproduction génétique d’un animal.

K. G.

 

De l’identité du vendeur dans un contrat de vente d’équidé

Cour d’appel de Douai, 19 janvier 2023, n° 21/00246

Une autre affaire confirme l’incompatibilité entre les dispositions légales du droit des contrats et l’objet contractuel singulier qu’est l’animal. Si dans la décision précédente les juges devaient se demander qui était le propriétaire de l’animal, ils ont du se demander dans l’affaire suivante qui en était le vendeur. Pour qui évolue un peu dans le monde équestre, l’affaire menant à l’arrêt de la Cour d’appel de Douai, le 19 janvier 2023 est classique ; elle n’en pose pas moins un sérieux problème de droit. Une femme acquiert un cheval le 29 juillet 2016 pour la somme de 25.000 euros. Ce cheval lui a été présenté par un marchand qui a été, durant tout le temps de la vente, son seul interlocuteur, que ce soit lors des négociations préalables à la vente (présentation du cheval en vue de son essai), ou lors de l'établissement des formalités relatives à cette vente (signature d’un certificat de vente et remise des documents administratifs). Toutefois, durant le temps de la vente, le cheval se trouvait encore physiquement chez son éleveur. En raison de problèmes physiques de l’animal apparus postérieurement à la vente, l’acheteuse assigne à la fois le marchand et l’éleveur du cheval en résolution. Seulement, chacun d’eux oppose à la demanderesse ne pas être le vendeur de l’équidé. L’éleveur indique qu’il a vendu son cheval au marchand juste avant que celui-ci ne le revende à l’acquéreuse et qu’il s’agit donc de deux ventes successives et distinctes. Le marchand indique, quant à lui, n’avoir été qu’un intermédiaire. L’absence de contrat écrit entre les parties ne facilite certes pas la désignation de l’identité du vendeur, pas plus que les mouvements de sommes d’argent. La somme de 25.000 euros a été versée par l’acheteuse au marchand avant que celui-ci ne transfère 20.000 euros à l’éleveur. Ces transferts peuvent signifier qu’il s’agit soit de ventes successives, auquel cas le marchand est le vendeur devant répondre de la résolution, soit d’une seule vente avec intermédiation, le marchand reversant au propriétaire le prix de vente, diminué de sa commission. Dans un premier temps, le tribunal judiciaire d’Arras opte pour la première théorie, décidant que le vendeur était bien le marchand et que, suite à la résolution de la vente, celui-ci devait restitution du prix de vente. Il y a donc eu, pour le premier juge, un acquéreur puis un sous-acquéreur, ce qui autorisait le second à agir contre le premier. La solution retenue par la Cour d’appel de Douai est différente : pour les seconds juges, c’est bien l’éleveur qui est propriétaire et le marchand n’est qu’un intermédiaire. Le raisonnement, implacable, s’extrait du contexte de la vente de l’animal telle qu’elle s’est déroulée mais revient aux principes fondamentaux du droit des biens et de la preuve. D’une part, les juges opèrent une combinaison entre les articles 515-14 du Code civil indiquant que, sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens et 2279 du même code selon lequel en fait de meubles, la possession vaut titre. Ils en viennent à constater que le cheval était bien détenu au moment de la vente, non par le marchand mais par son éleveur. D’autre part, les juges rappellent la présomption simple de propriété posée par la carte d’immatriculation du cheval. Là encore, c’est l’éleveur qui était désigné et dans la mesure où il ne parvient pas à rapporter la preuve contraire, sa propriété est déclarée. Il doit en conclusion répondre de la résolution de la vente. N’est-il pas tout de même un peu fictif d’identifier l’éleveur comme étant le vendeur ? Rappelons que l’acheteuse n’a jamais eu à faire à lui…La vente d’un animal vivant ne présente pas les mêmes spécificités que la vente d’un bien meuble. Un cheval, surtout dans ce budget, est présenté, essayé, de même que certains conseils sont prodigués. L’éleveur n’a rien fait de tout cela, c’est le marchand qui s’en est chargé, à l’instar de la visite vétérinaire d’achat et de la signature du certificat de vente. L’éleveur est le naisseur du cheval et celui chez qui le cheval résidait mais il n’a eu, dans le contrat, aucun autre rôle. D’ailleurs, une fois le cheval vendu, ce n’est pas à lui que s’est adressée l’acheteuse pour évoquer les difficultés physiques de l’animal. Ces spécificités, propres à la vente d’un animal avec lequel on doit faire connaissance, ne sont pas prises en compte dans cette décision. Cette solution n’est pas en soi défavorable à l’acheteuse, qui obtient la résolution de la vente de toutes façons. Peut être même la solution lui est-elle plus favorable en termes de solvabilité puisqu’on peut espérer que le prix d’achat du cheval se retrouve intact dans le patrimoine de l’éleveur. Reste que minimiser le rôle du marchand en lui ôtant la qualité de vendeur et en ne faisant de lui qu’un intermédiaire le décharge aussi de ses responsabilités, de surcroît dans le cadre de la vente d’un animal vivant. Il existe souvent, lorsque la vente concerne un animal, une dissociation entre le vendeur juridique et le vendeur matériel c’est-à-dire entre celui qui transmet juridiquement la propriété et celui qui la transmet matériellement. De plus, la vente ne s’opère jamais en un trait de temps. Sur cette question également, le droit ne tient pas compte des spécificités de l’animal.

K. G.

 

De l’achat d’un équidé par un contractant sous régime de curatelle

Cour d’appel de Reims, 17 janvier 2023, n° 21/02333

 

À quelques jours de différence, le 17 janvier 2023, la Cour d’appel de Reims statuait elle aussi en matière de vente d’équidé. Le 16 octobre 2017, une femme sous curatelle achète une jument pour la somme de 14.000 euros. Elle est autorisée à conclure cette vente sans l’assistance de son curateur par le juge des tutelles, bien qu’elle ne dispose pas de connaissances équestres. L’animal objet du contrat étant une jeune jument de sport de 5 ans, le vendeur a fait apparaître dans le contrat l’inadéquation entre le niveau de la jument et celui de l’acheteuse. Cette dernière s’est également engagée à faire monter la jument par un professionnel en vue de son dressage. Aucune visite d’achat n’a été faire lors de la vente. Moins d’un an après la vente, la jument développe une boiterie qui pousse l’acheteuse à agir en nullité de la vente. Le tribunal de Reims ne fait pas droit à cette demande si bien qu’elle saisit la cour d’appel. Elle invoque notamment une violation de l’obligation d’information, contenue à l’article 1112-1 du Code civil. Sur ce fondement, elle reproche au vendeur de ne pas avoir lui avoir donné d'information sur la possibilité de procéder à une visite d'achat mais elle mentionne également l'inadéquation de l'animal à son niveau de sorte qu’une information minimale aurait été de lui déconseiller son achat. Sur ce dernier point, il faut rappeler que le vendeur avait justement pris la précaution de mettre en garde l’acheteuse et fait insérer des mentions en ce sens dans le contrat.

La Cour prend soin de rappeler que l’obligation d’information n’inclut pas le devoir de conseiller l’autre partie. Cette précision apparaît opportune : imposer à un vendeur de déconseiller un achat à son contractant n’aurait guère de sens. En revanche, le juge reproche au vendeur de ne pas avoir informé l’acheteuse de l’opportunité de la réalisation d’une visite d’achat. Le litige, qui se cristallise sur ce point, n’est pas sans intérêt. La Cour affirme qu’informer l'acheteur de l'opportunité de faire réaliser la visite d’achat ne revient pas à le conseiller mais consiste pour le vendeur à communiquer à l'acheteur une information essentielle. En d’autres termes, cette information a un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat puisqu’il s’agit de la réalisation d'un examen de nature à vérifier la bonne santé de l'animal objet de la vente et son adaptation au projet de l'acheteur. Ainsi, en ne délivrant pas une telle information, le vendeur aurait manqué à son obligation d'information. Toutefois, ce manquement ne peut en l’espèce entraîner l'annulation du contrat dans la mesure où il n’a pas vicié le consentement de l’acheteuse.

Même si le raisonnement n’aboutit pas à la nullité, le juge fait rentrer l’information sur l’existence d’une visite d’achat dans l’obligation d’information. Seulement, indiquer à l’acheteur qu’une visite sur l’état de santé du cheval existe relève-t-il de l’information ou du conseil ? Si l’on reprend les termes de 1112-1 du Code civil, ont une « importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Le fait qu’il existe la possibilité de montrer le cheval à un vétérinaire pour qu’il donne son avis sur l’état de santé du cheval ne relève pas du contenu du contrat mais de l’opportunité de le conclure, aux conditions proposées. Cette visite constitue une garantie pour l’acquéreur : faire évaluer et certifier l’état physique d’un cheval, afin de savoir si le prix est ou non justifié. À partir du moment où la visite d’achat n’est pas obligatoire s’agissant de la vente d’un cheval, mais qu’elle ne constitue qu’une garantie éventuelle pour l’acheteur, l’information relative à son utilité relève du conseil et non de l’information.

Cette nouvelle obligation mise à la charge du vendeur n’est-elle pas une réponse des juges à la situation de vulnérabilité de l’acheteuse, puisqu’elle bénéficiait d’un régime de protection ? Cela signifierait alors que le contenu de l’obligation d’information n’est pas objectif mais dépendant de la personne de l’acheteur : il s’agirait donc d’un contenu variable contraignant le vendeur à se renseigner sur la personne de l’acheteur pour déterminer les informations qu’il est dans l’obligation de donner. En d’autres termes, le vendeur aurait dû prévenir l’acheteuse de la possibilité d’une visite d’achat parce qu’étant vulnérable et non assistée de son curateur, le risque était grand qu’elle l’ignore. En revanche, face à un acheteur non vulnérable, et non soumis à un régime de protection, le vendeur ne serait pas contraint de révéler l’existence de la visite d’achat. C’est alors faire peser sur le vendeur un rôle qui, en principe, revient au curateur dans sa mission d’assistance. Celui-ci ayant été écarté par le juge des tutelles qui a autorisé l’achat du cheval, le vendeur voit ses obligations s’alourdir. Dans le même temps, ce sont les règles du contrat de vente qui s’en trouvent bousculées puisque l’obligation d’information empiète sur l’obligation de conseil. À n’en pas douter, les dispositions légales de droit commun permettant au juge des tutelles d’autoriser la personne protégée à conclure sans l’assistance de son curateur sont légitimes. On comprend qu’un acte d’achat puisse ainsi être validé. Mais les choses sont bien différentes si l’achat concerne un animal, qui plus est un jeune cheval de sport avec la dangerosité qu’il représente pour un profane. Que le régime de protection des majeurs vulnérables ne fasse pas la distinction entre achat d’un bien meuble et achat d’un animal ne justifie pas que cette lacune se reporte sur le vendeur et plus généralement sur le droit des contrats spéciaux en déplaçant la frontière entre obligation d’information et obligation de conseil.

 

De la différence entre contrat de dépôt et contrat d’entreprise

Cour d’appel de Limoges, 1er février 2023, n° 21/01210 et Cour d’appel de Riom, 23 mars 2023, n° 22/00149

Deux arrêts respectivement rendus par les cours d’appel de Riom et de Limoges le 1er février et le 23 mars 2023 constituent la dernière illustration de la question de l’adaptation du droit aux spécificités de l’objet contractuel qu’est l’animal. Les distinctions parfois subtiles du droit commun entre deux contrats sont-elles adaptées s’agissant d’un être vivant et sensible ? La délimitation visée dans ces espèces est celle existant entre le contrat de dépôt et le contrat d’entreprise. Les deux affaires ont des points communs : elles concernent toutes deux le contrat de mise en pension d’un cheval en vue de son dressage par des professionnels. De même, dans les deux cas, un dommage survient au cheval dans le mois qui suit le début du contrat : dans l’affaire de Riom, la jument objet du contrat est retrouvée morte dans son box quelque temps après avoir été nourrie à 5h30 le matin. L’autopsie ne révèle pas de trace d’accident ni d’indice dans le box ; il est conclu qu’elle est morte des suites d’un traumatisme dont on ignore l’origine. Dans l’affaire limougeaude, la jeune jument qui avait été confiée en vue de son débourrage avait passée deux jours enfermée au box. Lorsqu’une personne a voulu entrer dans le box afin de la brosser, la jument a voulu précipitamment sortir et s’est cognée la tête contre le poteau en béton d’entrée du box, ce qui lui a laissé des séquelles irréversibles.

 

Les circonstances de ces deux affaires ont conduit les propriétaires à demander réparation aux professionnels auxquels les juments avaient été confiées. Cependant encore fallait-il, pour traiter du droit à réparation et l’évaluer, savoir quelles étaient les obligations des professionnels et donc, en amont, la nature des contrats en cause. Les deux arrêts s’accordent à dire qu’il s’agit d’un contrat mixte correspondant simultanément à un contrat d'entreprise pour la partie entraînement et un contrat de dépôt pour la partie pension. Cette double nature du contrat de pension, relevant en partie du contrat de dépôt et en partie du contrat d'entreprise est des plus classiques : le contrat de dépôt correspond aux obligations de soins et d'hébergement alors que le contrat d'entreprise correspond aux activités d'entraînement de l’équidé.

 

Vient ensuite la deuxième étape du raisonnement à savoir déterminer si le dommage est intervenu dans le cadre du contrat d’entreprise c’est-à-dire à l’entraînement ou dans celui du contrat de dépôt. La distinction selon laquelle le dommage trouve son origine dans l’exécution du contrat de dépôt ou dans celle du contrat d’entreprise n’est pas insignifiante : son intérêt réside en ce que les règles du contrat de dépôt mettent à la charge du dépositaire, en cas de détérioration de la chose déposée, la preuve que le dommage n’est pas imputable à sa faute. Cette obligation de moyens renforcée s’avère sans nul doute favorable au déposant puisqu’il n’a pas à établir la faute du dépositaire. Les magistrats doivent donc rattacher le sinistre soit au contrat de dépôt, soit au contrat d’entreprise. Dans ces espèces, il est souligné que les deux dommages ont eu lieu alors que les chevaux étaient au box, ce qui permet aux juges d’en déduire que la survenance des dommages devait être reliée au contrat de dépôt. Cette solution n’est pas vraiment contestable concernant la jument retrouvée morte au box, encore que, si le décès est effectivement survenu à la suite de coups, comme l’affirme le propriétaire, ceux-ci ont pu survenir dans le cadre du contrat d’entraînement ; en pareille hypothèse, le manquement au contrat de dépôt n’est que la conséquence de l’exécution – certes discutable quant à la méthode – du contrat d’entreprise. En revanche, le rattachement du dommage subi par la jument blessée à l’œil au contrat de dépôt est plus discutable. Avant l’entraînement, il est nécessaire de préparer le cheval et notamment s’il s’agit d’un débourrage, une phase de l’entraînement est destinée à habituer le cheval à être pansé et harnaché. On l’habitue ainsi, souvent au box, à appréhender le matériel qui va être nécessaire. Dès lors, un dommage qui survient au box n’est pas nécessairement à rattacher au contrat de dépôt. Il peut tout à fait être en lien avec le contrat d’entraînement. Certains professionnels débourrent même les chevaux au box, ce qui fait du critère du lieu de survenance du dommage, ici retenu par les juges, un critère inadapté. Si un buffet subit un dommage alors qu’il est en garde meuble, nul doute que le dommage devra être rattaché au contrat de dépôt. Mais, contrairement à un buffet, un cheval peut être à l’entraînement et donc dans une phase de travail tout en étant au box. L’obligation de moyen renforcée, résultant du contrat de dépôt apparaît alors sévère pour le professionnel qui mériterait d’être traité comme s’il était dans le cadre du contrat d’entreprise. Le régime de la faute n’est pas le même : d’une obligation de moyens renforcée on retomberait alors sur le régime classique d’une obligation de moyens simple. Finalement, les deux décisions accordent une réparation aux propriétaires des chevaux et en cela, elles paraissent tout à fait justifiées. Reste qu’elles démontrent que la distinction classique entre contrat de dépôt et contrat d’entreprise n’est pas toujours adaptée s’agissant d’un animal. Celui-ci appellerait, on ne peut que le constater au regard de l’ensemble des décisions retenues, un droit spécial des contrats spéciaux…

K.G.

 

  • 1 Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, n°14-25910, K. Garcia, Revue semestrielle de droit animalier 2015, n°1, p.48, D. 2016, 360, n. S. Desmoulin-Cansellier, G. Paisant, La question des vices cachés dans les ventes d'animaux domestiques aux consommateurs, JCP G 2016. 173.
 

RSDA 1-2023