Droit sanitaire
- Maud Cintrat
Maîtresse de conférences en droit
Université Claude Bernard Lyon 1
Faculté de pharmacie – Laboratoire Parcours Santé Systémique
Membre associée au CERCRID – UMR 5137 – CNRS
La réglementation des aliments pour animaux face à celle des denrées alimentaires : une meilleure protection de la santé animale ?, note sous CJUE, 21 mars 2024, aff. C-7/23, Marvesa contre Belgique
Mots clés : droit de l’Union européenne – importation – produits de la pêche – aliments pour animaux – santé animale
1. L’Union européenne a édicté des règles pour protéger les humains et les animaux qui consomment des denrées alimentaires et des aliments pour animaux en provenance de pays tiers. C’est le cas, comme en l’espèce, pour l’huile de poisson en provenance de Chine utilisée en alimentation animale : son entrée sur le territoire de l’Union européenne est interdite. L’agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire s’est donc logiquement opposée à l’entrée sur leur territoire de deux conteneurs d’huile de poisson pour cette utilisation et en provenance de Chine. La société importatrice (Marvesa) basée sur le territoire néerlandais conteste les deux décisions de refus d’importation émises par les autorités belges les 20 et 24 avril 2018. Selon elle, l’huile de poisson serait un produit de la pêche qui fait partie d’une liste de produits pouvant être importés sur le territoire de l’Union.
2. Marvesa a formé un recours contre les décisions des autorités belges près le Conseil d’État belge. Celui-ci a décidé de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice. La première question visait à déterminer l’interprétation de la notion de « produits de la pêche », afin d’en déduire si elle inclut les aliments pour animaux. La seconde question préjudicielle avait pour objectif, dans le cas où la notion de produits de la pêche ne visait que les produits destinés à la consommation humaine, de vérifier que l’interdiction édictée uniquement pour les produits destinés à l’alimentation animale respecte les principes de subsidiarité et de proportionnalité. En effet, dans cette seconde hypothèse, la réglementation des aliments pour animaux est plus contraignante que celle des denrées alimentaires : l’huile de poisson pour l’alimentation humaine peut être importée en provenance de Chine, ce qui n’est pas le cas de l’huile de poisson pour l’alimentation animale.
3. En application de la directive 97/78/CE du Conseil, du 18 décembre 1997, fixant les principes relatifs à l’organisation des contrôles vétérinaires pour les produits en provenance des pays tiers introduits dans la Communauté, modifiée, la Commission européenne a, pour plusieurs raisons graves de police sanitaire, interdit l’importation d’huile de poisson pour l’alimentation animale aux termes de la décision 2002/994 du 20 décembre 20021. En effet, il a non seulement été détecté du chloramphénicol dans certains produits de la pêche et de l’aquaculture importés de Chine et des lacunes ont été décelées lors d’une visite d’inspection en Chine concernant les règlements de police vétérinaire et le système de contrôle des résidus présents dans les animaux vivants et les produits animaux (considérant 4). La Commission a donc posé le principe d’interdiction d’importation de tous les produits d’origine animale en provenance de Chine, qu’ils soient destinés à la consommation humaine ou à l’alimentation animale (article 1er). En revanche, elle a aussi prévu des exceptions énumérées à l’annexe de sa décision (article 2 et annexe). Aux termes de l’annexe, l’importation des produits de la pêche, de la gélatine, des aliments pour animaux de compagnie et des additifs alimentaires sont donc autorisées. Si les aliments pour animaux d’élevage ne sont pas mentionnés dans la liste des exceptions, il appartenait à la Cour de justice de déterminer si l’huile de poisson destinée à l’alimentation animale était un « produit de la pêche ».
4. Concernant la première question préjudicielle, la Cour indique dans un premier temps que même si le principe d’interdiction d’importation ainsi que la formulation de l’annexe 1 visent des produits d’origine animale, destinés à l’alimentation humaine ou animale, il ne faut pas en déduire que tous les produits sont nécessairement destinés à la fois à l’alimentation humaine et animale. Cette simplification aurait permis de faire entrer les huiles de poisson dans le champ de la notion de « produits de la pêche ». La Cour rappelle ensuite que les produits destinés à la consommation humaine et ceux pour l’alimentation animale relèvent de textes juridiques différents, cette distinction se justifiant par la nécessité de prendre en compte les spécificités de ces deux types de produits. La difficulté se situe dans l’absence de définition de la notion même de « produits de la pêche ». La directive de 1997 sur laquelle la Commission a basé sa décision renvoie à deux règlements pour définir la notion de « produits » : le règlement sur les contrôles officiels relatifs aux denrées d’origine animale2 et le règlement sur les règles d’hygiène pour les denrées d’origine animale3. Or, ces deux règlements, parmi lesquels on trouve une définition des produits de la pêche, ne s’appliquent qu’aux denrées destinées à l’homme. La Cour en déduit facilement que « dans le cadre de la réglementation relative aux produits d’origine animale, dont relève la décision 2002/994, la notion de « produits de la pêche » vise les seuls produits destinés à la consommation humaine » (pt 41). La différence de traitement entre les produits de la pêche destinés à la consommation humaine et les produits d’origine animale pour l’alimentation animale s’explique par leur différence de nature, de destination et des risques spécifiques qu’elles engendrent pour l’animal ou l’homme. Il en résulte que la santé animale n’est pas mieux protégée que la santé humaine à travers l’interdiction de l’importation d’huiles de poisson. En effet, les garanties susceptibles d’être apportées par les autorités chinoises et les résultats des analyses réalisés sur place diffèrent selon la destination de l’huile, ce qui justifie une différence de traitement.
5. Concernant la seconde question préjudicielle, l’argument soulevé par la société néerlandaise était de remettre en cause la validité de la différence de traitement entre les produits destinés à la consommation humaine et ceux destinés à l’alimentation animale au regard de la directive du Conseil de 1997 sur les contrôles vétérinaires des produits importés ainsi que des principes de subsidiarité et de proportionnalité prévus par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. « Sans surprise »4, la Cour a balayé cet argument. Non seulement la directive de 1997 laissait la possibilité à la Commission de prendre des mesures d’interdiction des importations pour des raisons graves de police sanitaire, adaptées à la gravité de la situation et au risque encouru pour l’homme ou l’animal, ce qui justifiait par nature une différence de traitement selon les produits. Ensuite, la Cour ne détecte pas non plus d’atteinte au principe de proportionnalité puisque les principes d’interdiction de l’importation d’huile de poisson destinée à l’alimentation animale et d’autorisation de l’importation de produits de la pêche pour la consommation humaine ne vont pas en eux-mêmes au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger la santé humaine et la santé animale.
Il résulte de cet arrêt que les règles sur l’alimentation animale et destinées à protéger la santé animale peuvent être plus restrictives que celles sur la consommation humaine et destinées à protéger la santé humaine en raison de la spécificité des risques y afférent.
- 1 Décision de la Commission du 20 décembre 2002 relative à certaines mesures de protection à l'égard des produits d'origine animale importés de Chine, modifiée
- 2 Règlement (CE) n° 854/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant les règles spécifiques d’organisation des contrôles officiels concernant les produits d’origine animale destinés à la consommation humaine modifié.
- 3 Règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale modifié.
- 4 D. Bouvier, « Restriction d’importation des huiles de poisson en provenance de Chine », Europe n° 5, Mai 2024, comm. 208.