Animal et Santé – Propos introductifs
- François-Xavier Roux-Demare
Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles
Université de Brest
Doyen de la Faculté de Droit, Economie, Gestion et AES
Responsable du Diplôme universitaire de Droit animalier et du Diplôme universitaire Ethique et condition animale
1. S’il y a quelques années encore il était possible d’entendre que « le droit animalier n’existe pas », une telle affirmation se trouve désormais contestable et contestée. Si l’on recense quelques rares études au début du XXe siècle, la recherche doctrinale se renforce à partir des années 801 et s’accélère fortement au fur et à mesure des réformes législatives récentes. Dès lors, les ouvrages se sont multipliés, dont un Code de l’animal2 et des manuels à destination des étudiants3, ainsi que la diffusion dans les revues juridiques et la création de la présente revue en 2009. Une partie de cette littérature formalise les réflexions et les échanges ayant eu lieu lors de colloques. Ainsi, le colloque « Animal & Santé », qui s’est déroulé à la Faculté de droit de l’Université de Brest, les 23 et 24 septembre 2021, a souligné l’imbrication des intérêts de la santé de l’animal sur la santé de l’homme, et inversement :
- L’animal et la protection de la santé de l’homme : l’homme recourt depuis toujours à l’animal pour favoriser l’amélioration de ses conditions de vie, ce qui inclut sa santé. Dès lors, l’amélioration de la santé physique comme mentale de l’homme s’appuie sur une utilisation des animaux et ce malgré certaines contestations grandissantes.
- Aux frontières de la santé de l’animal et l’homme : plusieurs situations (euthanasie, zoophilie, enfermement, etc.) mettent en exergue la porosité de la frontière entre la santé de l’animal et la santé de l’homme. Cette confrontation est alors une source d’ambiguïtés comme de proximités.
- L’animal et la protection de sa santé : il appartient à l’homme d’assurer la protection de la santé de l’animal dans la perspective de son bien-être. Cette action s’illustre avec acuité dans les rapports entre les hommes et les animaux de compagnie. Néanmoins, diverses illustrations – à l’image de la santé mentale – démontrent les lacunes de cette protection.
2. Toutes les contributions ont été compilées dans un ouvrage paru également en septembre 20214. En effet, la construction de l’ouvrage, comme sa publication, ont été réalisées dans la perspective de la tenue du colloque. L’objectif était de proposer des échanges, sous la forme de tables-rondes, à l’appui de réflexions approfondies et publiées. Sans intervention magistrale formelle, il s’agissait de laisser la place aux échanges et aux débats, après une courte présentation de leur sujet par les auteurs. Car finalement, la doctrine se définit par la pensée des auteurs et celle-ci – cette pensée – se nourrit des discussions, des expériences ou des oppositions révélées. Dans cette perspective renforcée, il a été proposé à plusieurs universitaires, qui n’avaient pas contribué à l’ouvrage, d’introduire les journées de travail. Ce dossier de la RSDA offre l’opportunité à ces auteurs de transmettre leur contribution, en complément de l’ouvrage. Par ces quelques mots, il s’agira d’indiquer la démarche dans laquelle s’est inscrite leur sollicitation.
3. La première contribution a été rédigé par la professeure en droit privé Dorothée Guérin et porte le titre « A la recherche d’un statut de l’animal à travers le prisme de la santé ». Le renforcement de la protection animale est particulièrement pensé à travers la nécessaire adoption d’un statut juridique adapté. Depuis la loi n° 2015-177 du 16 février 20155, l’animal n’appartient plus à la catégorie des biens mais n’a pas pour autant rejoint la catégorie des personnes. Pire, le législateur a maintenu une évidente chosification de l’animal en prévoyant, dans l’article 515-14 du Code civil, que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». La récurrence des débats quant à la nécessaire évolution du statut de l’animal, illustrée par la proposition d’une « personnification technique »6, nous a alors invité à l’envisager par le prisme de la santé. Dorothée Guérin propose donc une réflexion, à la lumière du droit de la santé – ancrant l’animal dans le régime des biens –, mais également du droit de la consommation – offrant la lueur d’une évolution juridique pour l’adoption d’un tel statut.
4. La seconde contribution est proposée par la directrice de recherche Marie-Claude Marsolier et intitulée « La sémantique des animaux non-humains (ou La sémantique de l’“animal”) ». Cette contribution rappelle l’importance des mots mais, plus encore, souligne le langage variable d’une discipline à l’autre. Lors d’une discussion avec Marie-Claude Marsolier, nous avons évoqué le recours au singulier de l’« animal », y compris pour le titre du colloque et de l’ouvrage « Animal & Santé »7. En effet, les juristes recourent régulièrement et souvent au singulier dans une perspective inclusive, loin d’une volonté dévalorisante du sujet visé. Pourtant, remarque était faite, dont les propos sont repris dans la contribution à suivre, que « l’utilisation de singuliers génériques est un procédé fréquemment mobilisé pour dévaloriser des groupes d’individus dont on méprise sciemment la diversité ». Il est alors apparu l’intérêt fondamental de comprendre les différences, voire les oppositions, d’appréhension du langage en fonction de nos disciplines. Cette contribution éclaire sur la sémantique de l’animal, ou plutôt des animaux et des bêtes, ou peut-être des animaux non-humains… D’ailleurs, au-delà des expressions, une autre difficulté apparait avec la définition des termes visés. Ceci est particulièrement vrai pour « l’animal » ou « les animaux », que l’on recherche une définition générique ou juridique. Nous pouvons nous borner ici à reprendre la définition du Code civil, proposée dans l’article 515-14 depuis l’adoption de la loi précitée de février 2015 : « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». Cette définition devrait trouver à s’appliquer à tous les animaux, en provoquant la nécessaire limitation de l’actuelle et critiquable approche catégorielle8.
5. La troisième contribution, rédigée par la maîtresse de conférences en anglais et études animales Emilie Dardenne offre un panorama des études animales, en retraçant « le tournant animal » ou cette « révolution épistémologique ». C’est ainsi tout le champ des sciences humaines et sociales qui est concerné, favorisant le développement à partir de la fin du XXe siècle de nombreuses études animales dans les diverses disciplines existantes et selon des approches variées (neutres, critiques, voire radicales). L’auteure expose l’évolution des études – et de fait des rapports – entre humains et non-humains, relation ancrée dans une complexité et une ambiguïté que l’on retrouve dans le cadre de leur santé. Cette diversité et cette richesse des approches disciplinaires – et l’importance de la confrontation des regards – nous ont été rappelées lors de la création de l’Observatoire de la recherche sur la condition animale (ORCA)9. Ce réseau prospectif du CNRS, créé en mai 2023, vise à structurer la recherche sur la condition animale par une approche décloisonnée des savoirs, en faisant dialoguer les sciences humaines et sociales avec les sciences du vivant10. Cette réflexion pluridisciplinaire s’avère fondamentale à la compréhension et à l’évolution de la protection animale.
6. Ce dossier s’achève par les propos conclusifs complémentaires du professeur agrégé de droit privé Jean-Pierre Marguénaud qui permettent d’offrir un regard incisif sur ces contributions inédites, additionnelles à l’ouvrage. Comme à son habitude, le professeur Marguénaud se joue des mots pour piquer notre curiosité et nous inviter à lire, étudier, rechercher, débattre sur le droit animalier. Les premiers mots de ces propos conclusifs sont qu’« il en va parfois des thèmes de recherche comme de certaines maladies : ils sont contagieux ». S’il nous attribue le rôle principal dans l’inoculation du thème de recherche aux auteurs participants à ce dossier, il nous faut souligner son statut de « porteur sain » assurant la contamination de ses proches et de ses relations d’un engouement pour le droit animalier. Dans la poursuite de ces métaphores, il est alors souhaitable d’observer que « les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent »11.
- 1 S. ANTOINE, « Le droit de l’animal : évolution et perspectives », D. 1996 p. 126. Parmi les travaux importants, J.-P. MARGUENAUD, L’animal en droit privé, Thèse de doctorat sous la direction de C. LOMBOIS, Université de Limoges, 1987.
- 2 J.-P. MARGUENAUD et J. LEROY (dir.), Code de l’animal, LexisNexis, 3e éd., 2024.
- 3 Par ex., M. FALAISE, Droit animalier, Bréal, coll. « Lexifac Droit », 2023.
- 4 F.-X. Roux-Demare (dir.), Animal & Santé, Paris, Mare & Martin, coll. « Droit privé et science politique », 2021.
- 5 Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, JORF n° 40, 17 février 2015.
- 6 V. par ex. : J.-P. MARGUENAUD, F. BURGAT, J. LEROY (dir.), Le droit animalier, PUF, 2016, pp. 250-254 ; J.-P. Marguénaud, « Avant-propos », in S. M. WISE, Tant qu’il y aura des cages. Vers les droits fondamentaux des animaux, Presses Universitaires du Septentrion, 2016, p. 15.
- 7 F.-X. ROUX-DEMARE, « Prolégomènes », in F.-X. ROUX-DEMARE (dir.), Animal & Santé, op. cit., p. 19.
- 8 F.-X. ROUX-DEMARE (dir.), La protection animale ou l’approche catégorielle, Institut francophone pour la justice et la démocratie – LGDJ-Lextenso éditions, Coll. « Colloques & Essais », 2022.
- 9 Le site de l’Observatoire est accessible à l’adresse suivante : https://orcanimale.fr/, page consultée le 18 juin 2024.
- 10 E. DARDENNE et R. ESPINOSA, « Lancement d’un réseau prospectif CNRS – L’Observatoire de Recherche sur la Condition Animale (ORCA) », Savoir Animal, n° 13, 16 octobre 2023, [En ligne], https://savoir-animal.fr/lancement-reseau-prospectif-cnrs-observatoire-recherche-condition-animale-orca/, page consultée le 18 juin 2024.
- 11 J. ROMAINS, Knock, ou le Triomphe de la médecine, Gallimard, 1924, acte I, scène I.