Droit constitutionnel
- Olivier Le Bot
Professeur de droit public
Université d’Aix-Marseille
Résumé : Deux décisions intéressantes ont été sélectionnées pour cette livraison. La première a été rendue par le Conseil constitutionnel français relativement à l’interdiction de présenter au public des animaux sauvages dans les cirques itinérants. La seconde, émanant de la cour constitutionnelle de Slovénie, porte sur des dispositions de la loi sur la protection des animaux relatives à la répression administrative des atteintes aux animaux d’élevage.
Mots-clés : cirque – Constitution – PFRLR – dignité – Slovénie – élevage
France : décision sur les cirques itinérants, la Constitution ne comporte pas de dispositions protégeant les animaux
Conseil constitutionnel, 14 février 2025, Association One voice, n° 2024-1121 QPC
Si le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de dispositions législatives relatives aux animaux1, il n’avait jusqu’à présent jamais abordé la question de savoir si notre Constitution contient ou abrite des exigences concernant ces derniers. Une question prioritaire de constitutionnalité portant sur une disposition de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes lui a permis de se prononcer pour la première fois sur cette question.
La disposition en cause, créée par ce texte, correspond au paragraphe II de l’article L. 413-10 du code de l’environnement, prévoyant qu’à compter du 1er décembre 2028, « Sont interdits, dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d'animaux non domestiques ». Il ressort de cette rédaction que l’interdiction de présenter au public des animaux sauvages s’applique uniquement aux cirques itinérants mais ne vise pas les cirques sédentaires2. L’association animaliste One Voice a entendu contester cette exclusion.
Pour soumettre la disposition litigieuse au Conseil constitutionnel, l’association a formé devant le Conseil d’État un recours en annulation contre un arrêté ministériel relatif au certificat de capacité que doivent détenir les propriétaires d’établissements de présentation au public d’animaux sauvages, en présentant accessoirement à celui-ci une question prioritaire de constitutionnalité. Cette QPC soulevant une question nouvelle, elle a été renvoyée au Conseil constitutionnel.
Elle soulevait un double enjeu, portant sur le point de savoir s’il existe au sein du bloc de constitutionnalité une voire plusieurs normes de protection de l’animal, et si la disposition législative contestée respecte la Constitution.
I. Existe-t-il un principe constitutionnel de protection de l’animal ?
Il ne fait guère de doute qu’à la différence de certains pays comme l’Allemagne, le Luxembourg, le Brésil ou l’Inde, aucun article de notre Constitution ne comporte de disposition consacrant de façon expresse une obligation de protection des animaux. Était-il néanmoins possible, comme le faisait valoir l’association requérante, de reconnaître une telle obligation par le truchement de l’interprétation jurisprudentielle ?
Le premier fondement invoqué à cette fin tenait au principe de la dignité de la personne humaine, regardé par l’association comme incluant la dignité de l’animal. Elle soutenait l’existence d’un « principe de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité » découlant du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Le principe de dignité de la personne humaine fait sans conteste partie des normes constitutionnelles, ce sur la base du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (« Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine (…) »), ainsi que l’a reconnu le Conseil constitutionnel en 1994. Toutefois, par sa formulation même, ce principe se limite à la personne humaine, raison pour laquelle, afin ne pas le dénaturer, le Conseil refuse de l’étendre aux animaux.
Le second fondement avancé par l’association reposait sur la technique des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». En un mot, les PFRLR constituent une catégorie juridique qui permet au Conseil constitutionnel de reconnaître un principe à valeur constitutionnelle à partir d’un texte législatif d’un régime républicain antérieur à celui de la Ve République. Par exemple, le principe d’indépendance de la juridiction administrative a été reconnu comme PFRLR sur la base d’une loi de 1872 et la liberté d’association à partir de la loi de 1901 relative au contrat d’association. De la même manière, l’association invitait le Conseil constitutionnel à se fonder sur la loi Grammont du 2 juillet 1850 (réprimant le fait d’exercer publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques) pour ériger en PFRLR un principe « interdisant d’exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux ». Le Conseil estime toutefois que les conditions de reconnaissance d’un tel principe ne sont pas satisfaites, les dispositions de la loi Grammont n’ayant « eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe applicable à tous les animaux » (§ 17). En d’autres termes, le Conseil y voit plutôt une règle spécifique, ne présentant pas un degré de généralité suffisant dans la mesure où elle s’est toujours appliquée à un seul type d’animaux, en l’occurrence les animaux domestiques à l’exclusion des animaux sauvages.
Un autre fondement, semble-t-il non invoqué par l’association requérante, aurait pu être mobilisé et peut-être avec davantage de succès. Il réside dans les dispositions de la charte de l’environnement consacrant un droit à l’environnement (art. 1er) et une obligation de protéger celui-ci (art. 2 et 3). En effet, l’environnement ne se limite pas aux ressources naturelles mais inclut également les animaux. S’agissant plus spécifiquement de ces derniers, il s’entend de tous les animaux, c’est-à-dire pas uniquement les animaux sauvages, mais également les animaux placés sous la main de l’homme. Dans ces conditions, il serait envisageable de déduire des dispositions précitées une obligation constitutionnelle de protection de l’animal, comme l’ont d’ailleurs fait les juridictions du Costa Rica et de Colombie à partir de dispositions similaires3.
II. L’inapplication de l’interdiction aux établissements fixes est-elle inconstitutionnelle ?
Le Conseil constitutionnel estime que non, écartant tour à tour les différents moyens qui étaient invoqués à l’encontre de la disposition litigieuse.
Le plus solide reposait sur la méconnaissance du principe d’égalité. Le Conseil rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (§ 9). En l’espèce, il estime que le fait de traiter de façon différente les établissements selon qu’ils présentent un caractère fixe ou itinérant n’est pas contraire au principe d’égalité. Il relève qu’en ciblant uniquement les cirques itinérants, « le législateur, qui a reconnu aux animaux la qualité d’êtres vivants doués de sensibilité, a entendu mettre un terme aux souffrances animales résultant spécifiquement des déplacements auxquels ils sont exposés » (§ 12). Autrement dit, si les deux types d’établissements génèrent les mêmes types de souffrances aux animaux en raison de leur enfermement et du dressage auquel ils sont soumis, les établissements itinérants provoquent, en plus, des souffrances spécifiques liés aux déplacements. Les deux établissements se trouvant sur ce point dans une situation différente, le Conseil en déduit que le législateur avait tout loisir pour les traiter de façon différente. On relèvera également, dans cette motivation, la référence inédite à la formule inscrite en 2015 à l’article 515-14 du code civil selon laquelle les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Cette référence est significative car elle se trouve mobilisée pour souligner le changement de perspective qui résulte de la création de cet article, à savoir qu’aux yeux du législateur, ce que ressentent les animaux importe d’un point de vue juridique.
On notera qu’un doute existait sur le point de savoir si des établissements fixes de présentation au public d’animaux sauvages existent réellement. Interrogées sur ce point durant l’audience QPC (29 min, 50 secondes), les parties n’ont pas été en mesure de fournir une réponse précise. Aussi le président du Conseil constitutionnel a-t-il invité l’association requérante et le représentant du Premier ministre à produire une note en délibéré apportant des éléments sur ce point. On notera également, toujours sur le principe d’égalité, les observations suivantes figurant dans le commentaire du Secrétaire général : celui-ci déclare « que, si l’association requérante critiquait une différence de traitement injustifiée entre les animaux non domestiques, le Conseil n’a accepté d’exercer son contrôle sur le fondement du principe d’égalité devant la loi qu’en considération de la différence qui en résultait entre des personnes – morales ici –, un tel principe ne trouvant à s’appliquer qu’à l’égard de sujets de droit » (commentaire, p. 12). Cette précision n’apparaît pas nécessaire, le respect du principe d’égalité pouvant s’apprécier par une comparaison des différences de régime, et cela sans prise en compte des personnes ou sujets qui en relèvent.
Le moyen tiré de l’atteinte à la dignité de la personne humaine est également écarté. Le Conseil affirme, sur ce point, que « les dispositions contestées de l’article L. 413-11 du code de l’environnement se bornent à soumettre les établissements de spectacles fixes présentant des animaux d’espèces non domestiques aux règles générales de fonctionnement et aux caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet d’exposer des personnes à des spectacles portant atteinte à leur dignité » (§ 19).
Le dernier moyen, reposant sur l’article 8 de la Charte de l’environnement (« L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte »), est pour sa part rejeté non pas au fond mais au titre de l’opérance. Le Conseil, tranchant pour la première fois la question de l’invocabilité de cette disposition au titre de l’article 61-1 de la Constitution, affirme que celle-ci « n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Sa méconnaissance ne peut donc, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (…) » (§ 20). La procédure de la QPC est en effet réservée à la seule protection des « droits » et « libertés » constitutionnels, ce qui n’est pas le cas des principes et exigences ne relevant pas de cette catégorie4.
Le Conseil constitutionnel conclut de ce qui précède que « les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas non plus l’article 1er de la Charte de l’environnement ni, en tout état de cause, son article 5, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution » (§ 21).
Slovénie : le pouvoir de retirer à un éleveur ses animaux en cas de maltraitance est conforme à la Constitution
Cour constitutionnelle de Slovénie, 22 janvier 2025, n° UI-227/23-14
En Slovénie, la loi sur la protection des animaux prévoit, depuis une modification intervenue en 2023, qu’un éleveur qui se rend coupable de maltraitance envers ses animaux peut se voir confisquer son bétail, et cela sans compensation financière (art. 43). Elle prévoit également, depuis cette modification, que des associations peuvent être associées à la mission de surveillance des installations d’élevage (art. 36).
Ces deux dispositions ont été soumises à la cour constitutionnelle par le Conseil national, qui constitue la chambre haute du parlement.
La cour s’est prononcée sur cette saisine dans une décision du 22 janvier 2025.
I. Le cadre constitutionnel
S’agissant du cadre constitutionnel, l'article 72, al. 4, de la Constitution dispose que « La protection des animaux contre la torture est réglementée par la loi ».
Dans sa décision du 25 avril 2018 relative à l’obligation généralisée d’étourdissement préalable5, la cour avait expressément souligné que l'absence de réglementation normative en matière de protection animale constituerait une violation de cette disposition. Elle ajoute, dans la décision commentée, que « Le législateur est tenu de répondre de manière appropriée aux circonstances préjudiciables aux animaux et à leur bien-être » (§ 13). En outre, de l’article 72 découle l’obligation de réglementer la protection animale, le fait que celle-ci est une valeur constitutionnellement protégée et qu'elle représente une considération d’intérêt public pouvant justifier une atteinte aux droits humains et constitutionnels (§ 13). Des limitations aux droits fondamentaux peuvent donc intervenir au titre de cette exigence constitutionnelle.
Concernant le contenu de celle-ci, la cour indique que « La Constitution interdit de causer des souffrances, des maladies ou la mort aux animaux sans motif justifié, et de leur infliger des souffrances qui peuvent être évitées sans difficultés majeures ni coûts disproportionnés » (§ 13). On note une vision utilitariste et fort répandue des animaux, selon laquelle la garantie de leur bien-être doit composer avec les intérêts humains. Il résulte de la formule employée qu’il est admissible de leur causer des souffrances à condition que celles-ci soient justifiées et ne puissent être évitées sans inconvénients significatifs pour les êtres humains. Toujours sur la question du contenu, la cour affirme que « La protection des animaux contre la torture, garantie par la Constitution, inclut les initiatives du législateur pour prévenir, empêcher et atténuer les sensations physiques désagréables de douleur, de stress et de peur causées aux animaux par l'homme » (§ 13).
II. Constitutionnalité de la confiscation d’animaux
Après le rappel du cadre constitutionnel, la cour se prononce sur la constitutionnalité de la disposition prévoyant que si l’éleveur traite de façon cruelle ses animaux d’élevage, ces derniers lui sont retirés sans droit à indemnisation (art. 43 de la loi sur la protection des animaux).
La cour analyse d’abord si cette mesure constitue une ingérence dans le droit de propriété protégé par l’article 33 de la Constitution. Elle note, de façon intéressante que la qualification des animaux comme êtres vivants et sensibles ne fait pas obstacle à l’application des garanties dont bénéficie leurs propriétaires. En effet, si les animaux ne peuvent être réduits à des choses, le droit des bien demeure applicable à ces derniers en l’absence de disposition spécifique. Il en résulte qu’un animal (et notamment un animal détenu par un éleveur) fait partie du patrimoine de son propriétaire. « Le statut particulier des animaux en tant qu’êtres sensibles et le devoir de les protéger, conformément à l'article 72 de la Constitution, n'excluent donc pas l'application des garanties de l'article 33 de la Constitution » (§ 20).
L’ingérence dans un droit constitutionnellement garantie ayant été constatée, la cour apprécie la proportionnalité de la restriction dont il fait l’objet.
Concernant en premier lieu l’objectif poursuivi par la disposition contestée, il consiste à éviter les souffrances les plus graves, dans un contexte où il a été observé une augmentation de celles-ci. La cour en déduit que « la mesure examinée repose sur un objectif constitutionnellement admissible » (§ 24).
Elle examine en deuxième lieu la nécessité et la pertinence de la mesure, après avoir rappelé en quoi consiste cet examen : « Pour apprécier l'opportunité d'une atteinte à un droit, la Cour constitutionnelle examine si celle-ci peut atteindre l'objectif poursuivi. Pour apprécier la nécessité de l'atteinte, la Cour constitutionnelle examine si celle-ci est nécessaire, au sens où le même objectif ne peut être atteint, soit sans atteinte, soit par des mesures plus modérées portant une atteinte moindre au droit concerné » (§ 25).
Sur ces points, la cour note que « L'existence de circonstances exigeant une mesure aussi extrême que le retrait définitif d'animaux (d'élevage) doit faire l'objet d'une évaluation professionnelle minutieuse au cas par cas. Cette évaluation peut requérir des connaissances très pointues dans divers domaines, et pas seulement la connaissance des habitudes, des besoins et des caractéristiques biologiques d'une espèce animale particulière. De plus, il convient de tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques, y compris des diverses directives et normes professionnelles » (§ 26). Précisant ensuite son degré de contrôle, elle affirme qu’« Il ressort déjà du contrôle de constitutionnalité que, dans les questions scientifiques complexes, la Cour constitutionnelle ne peut être un arbitre. Dans de telles matières, le législateur doit bénéficier d'une certaine marge d'appréciation. Cela signifie que la Cour constitutionnelle ne peut s'interroger sur l'adéquation et la nécessité de la mesure contestée pour atteindre l'objectif poursuivi (dans un domaine scientifique ou professionnel complexe) que si, compte tenu des arguments des parties, il est évident que les limites extrêmes de sa marge d'appréciation ont été dépassées La Cour constitutionnelle considère que ces limites n'ont pas été dépassées en l'espèce. Le retrait définitif des animaux d'élevage empêche le détenteur de traiter ces animaux de manière extrêmement inappropriée. Comme l'affirme le gouvernement (et le requérant ne le dément pas), cette mesure est utilisée dans les cas exceptionnels et les plus graves de traitement inapproprié des animaux. La décision de retirer définitivement un animal dépend de l'avis de l'inspecteur compétent, au cas par cas et en fonction des circonstances particulières » (§ 26). Il en ressort que des garanties de forme et des exigences de fond relativement strictes ont été instituées. En outre, souligne la cour, « Le retrait définitif empêche tout contact entre le propriétaire et l'animal susceptible d'entraîner la réitération du traitement inapproprié. Cela élimine donc le risque que le propriétaire continue ou réitère la torture de certains animaux » (§ 26).
La cour constitutionnelle aborde ensuite un point non critiqué par le requérant, tenant à ce que la confiscation de l’animal peut conduire in fine à son abattage, mais sans que les cas permettant d’y procéder se trouvent indiqués dans la disposition contestée. La cour y voit un risque d’atteinte portée aux animaux d’une façon qui serait contraire aux exigences constitutionnelles applicables. Aussi va-t-elle, pour parer ce risque, formuler une réserve d’interprétation spécifiant la façon dont la mise à mort d’un animal saisi peut intervenir. D’une part, il y a lieu de s’inspirer d’un autre article de la loi, l’article 26, qui énonce diverses conditions ou circonstances dans lesquelles l'abattage d'un animal est autorisé, notamment l'abattage lié à la protection et aux soins des personnes ou des animaux (animal agonisant, atteint d’une maladie incurable, présentant une blessure grave ou un trouble du comportement irréparable qui lui cause des souffrances, ou ayant atteint un âge tel qu'il ne puisse plus assurer ses fonctions vitales essentielles). D’autre part, d'autres options doivent être utilisées avant l'abattage, telles que la prolongation de l'hébergement des animaux dans une étable transitoire et la recherche active de débouchés commerciaux. L’abattage ne peut être envisagé que comme une ultime solution, si aucune alternative n’existe (§ 27).
Au regard de ce qui précède, indique la cour, « la mesure évaluée, du point de vue de la prévention de la cruauté envers les animaux par le détenteur, est appropriée et nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des animaux » (§ 28).
En troisième lieu, la cour examine la proportionnalité au sens strict de la disposition contestée. Certes, admet-elle, la confiscation de l’ensemble des animaux d’un éleveur peut avoir des conséquences patrimoniales considérables pour celui-ci. Néanmoins, poursuit-elle, « compte tenu de la grande importance (constitutionnelle) déjà soulignée de la protection des animaux contre la torture, elles ne peuvent l'emporter sur le bénéfice de la mesure, qui consiste à mettre fin (définitivement) aux souffrances ou à la torture des animaux confisqués, et à faire comprendre aux propriétaires que le traitement inapproprié de ces derniers n'est en aucun cas acceptable » (§ 29).
La cour conclut du triple test de proportionnalité mis en œuvre « que la mesure évaluée ne porte pas atteinte de manière excessive au droit à la propriété privée » (§ 33).
III. Constitutionnalité de la participation d’ONG aux opérations de surveillance
Un autre article de la loi était contesté par le conseil national, à savoir l’article 36, qui confère aux ONG le pouvoir de participer à des missions de contrôle des établissements d’élevage.
Dans la partie de sa décision exposant le cadre juridique, la cour avait relevé que « la protection appropriée (le bien-être) de tous les animaux fait partie des exigences constitutionnelles en matière de conservation de la nature et de protection de l'environnement ». Le rapport de ce contexte normatif plus large est destiné à mettre en lumière « que l'environnement n'est pas une entité pouvant représenter ses propres droits. Il est protégé par les droits des individus et les devoirs de l'État, ce qui, en cas de conflit d'intérêts, ne suffit souvent pas à assurer sa protection efficace. Par conséquent, il est de la plus haute importance pour le domaine de la protection de l'environnement de permettre l'existence et le fonctionnement d'entités, telles que diverses organisations non gouvernementales, qui agissent comme son alter ego. Les animaux faisant partie de la nature et de l'environnement, ce qui précède s'applique également mutatis mutandis à la protection animale » (§ 14). Se trouve ainsi mise en relief le rôle décisif joué par les organisations de la société civile dans la défense concrète et effective des règles relatives aux animaux, ces derniers n’étant pas en mesure de se défendre eux-mêmes.
À l’appui de sa requête, le conseil national faisait valoir deux séries de moyens.
Il contestait d’abord, au regard des articles 120 et 121 de la Constitution (déterminant le statut des organes administratifs et fixant les conditions auxquelles une entité privée peut se voir confier l’exercice de tâches revenant à l’État), le fait que des fonctions de surveillances puissent être attribuées à des entités privées. La cour constitutionnelle relève que les moyens d’intervention et d’investigation demeurent réservés aux autorités publiques, les associations pouvant seulement effectuer un signalement à celles-ci si elles identifient ou suspectent une situation d’atteinte. Il en déduit que les dispositions constitutionnelles précitées ne sont pas méconnues par le seul fait d’associer des personnes privées à une fonction publique (§ 36-49).
Le conseil national faisait également valoir une atteinte à l’exigence de clarté et de prévisibilité de la norme découlant de l’article 2 de la Constitution. Sur ce point, la cour juge que les notions de souffrance et de torture ne présentent pas un degré d’incertitude trop élevé, notamment car leur sens peut être déterminé à la lumière d’autres dispositions de la loi sur la protection des animaux employant des termes identiques. Elle a en revanche estimé que les règles relatives au fonctionnement et aux pouvoirs de certaines commissions étaient incomplètes, méconnaissant en conséquence l’exigence de clarté et de prévisibilité de la norme (§ 61).
- 1 V. O. Le Bot, Droit constitutionnel de l’animal, 2ème édition, Independently published, 2023, § 261 et s.
- 2 Pour ces derniers (les établissements fixes présentant au public des animaux sauvages), l’article L. 413-11 du code de l’environnement, issu de la même loi, a seulement prévu de réhausser les exigences relatives aux conditions de détention de ces animaux au niveau de celles applicables aux zoos.
- 3 V. O. Le Bot, préc., § 196 et s.
- 4 Il en a par exemple été jugé ainsi pour l’article 6 de la Charte de l’environnement, aux termes duquel « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». V. Conseil constitutionnel, 23 nov. 2012, n° 2012-283 QPC, § 22.
- 5 Cour constitutionnelle de Slovénie, 25 avril 2018, n° U-I-140/14-21, RSDA 2018-1, pp. 117-122, chron. O. Le Bot.