Histoire du droit
Dossier thématique : Points de vue croisés

Du cochon vivant à la viande de porc en passant par la tuerie... Itinéraire d'un cochon au prisme de l'histoire du droit

  • Ninon Maillard
    Maître de conférences Histoire du droit et des institutions
    Nanterre - Faculté de droit
    Membre du CHAD (EA4417)
  1. Chacun connaît le cochon gras de la fable de La Fontaine qui, embarqué avec une chèvre et un mouton, est le seul à crier « comme s’il avait cent bouchers à ses trousses ». Alors que les honnêtes gens s’agacent et s’étonnent de l’entendre s’égosiller ainsi, le cochon s’explique : si les deux autres imaginent qu’on veut les tondre et les traire, moi je sais qu’on va me tuer pour me manger. La Fontaine nous le dit : le cochon a vu juste. Pour autant, la morale de l’histoire souligne moins la juste plainte de l’animal que l’inutile vacarme de ce dernier car « quand le mal est certain, la plainte ni la peur ne changent le destin… »

  2. Véronique Le Ru, dans sa contribution philosophique, choisit la même entrée en matière que la nôtre1. Elle opère à cette occasion un lien entre la fable de La Fontaine et les connaissances éthologiques concernant le cochon qui révèlent, entre autres, la propension de cet animal au chagrin s’il est séparé des autres ou encore sa capacité à résister et à se rebeller contre le destin qu’on lui réserve. Elle évoque les capacités du cochon comme la conscience de la mort et le sens moral, la perspicacité et la sagacité. Grâce aux éthologues, nous savons maintenant - et certains, se fiant à leurs observations, n'avaient pas eu besoin de la confirmation scientifique pour en être convaincus - que les cochons sont des animaux sociaux capables de ressentir des émotions complexes2. Ces études menées sur la conscience, la sensibilité et les compétences des animaux, ici de ferme, ont « encouragé la société à se soucier de leur bien-être »3 mais plus on en apprend sur le cochon, plus les hommes soient contraints à des « contorsions cognitives » pour continuer à en manger. La contribution de Laurent Bègue-Shankland nous renseigne sur ces différentes stratégies : éviter l’empathie en désanimalisant l’animal mangé, minorer les capacités sensorielles ou dénigrer l’animal pour atténuer la culpabilité de sa mise à mort4 permettent de continuer à manger un animal intelligent, sensible et affectueux.
  3. Car ces premières contributions mettent en relief la vocation première du cochon dans notre économie rurale. A un siècle d’écart, les considérations sur le cochon se répondent : en 1947, on peut lire dans le petit fascicule concernant l’élevage du cochon édité par les éditions Rustica que « le porc est une merveilleuse machine apte à transformer en viande et en lard d’excellente qualité, des matières premières de peu de valeur ; aucun animal ne paie mieux que lui la nourriture et les soins qu’on lui donne »5 et dans La ferme modèle, ouvrage publié en 1846, on lisait déjà : « si la conformation du porc n’a rien de cette harmonie qui se fait remarquer dans celle du cheval, voyez comme elle est merveilleusement appropriée à sa destination ! Le corps du cochon, ramassé, cylindrique, est un véritable sac de viande ; aucun animal ne remplit aussi complètement l’espace où il se meut. Renfermez, en effet, son corps dans quatre lignes droites, et vous serez surpris du peu de vide que vous rencontrerez »6. La « perfection » du cochon se jauge ainsi à l’usage que les hommes vont en faire, à savoir le manger tout entier.
  4. Ce funeste destin ressort de la plupart des contributions de ce dossier pluridisciplinaire, dans lesquelles le cochon devient du porc – la viande de l’animal étant en effet communément désignée par un terme spécifique, sans que la distinction entre les deux mots ne soit toujours aussi stricte – après avoir été abattu. Le geste de la mise à mort est public, banal, représenté, valorisé à certaines époques puis honni, banni, dissimulé à d’autres. La norme juridique témoigne, pour chaque époque, du rapport des hommes à la vie et à la mort du cochon. Nous proposerons ici, en lien avec les contributions de nos auteurs, un parcours non exhaustif de ce que l’histoire du droit peut en raconter : nous commencerons donc par évoquer l’abattage du cochon avant de dire quelques mots de la chair de l'animal et de la règlementation de sa consommation. Du côté du cochon vivant, nous nous baladerons en ville puis à la campagne car les questions juridiques ne sont pas les mêmes, suivant que l'on parle de la circulation des animaux dans les rues ou dans les bois. Nous verrons comment le droit a contribué à la disparition du cochon et à son enfermement dans des structures éloignées des hommes. Le seul cochon qui nous reste, c'est le cousin sauvage de l'animal domestique : le sanglier. Il est d'ailleurs bien trop présent, bien trop proche... et commet tant de dégâts qu'il est aujourd'hui autant nuisible que gibier. Les catégories juridiques sont ici mises à l’épreuve, le cochonglier rendant poreuse la fondamentale frontière entre le sauvage et le domestique. Pour autant, l’histoire du droit du cochon permet de constater, une fois de plus, la souplesse du droit, instrument de la mise au ban de la tuerie au XIXe siècle et de la patrimonialisation du tue-cochon au XXe.

Le spectacle du tue-cochon

 

  1. Les fouilles archéozoologiques dans le monde celte témoignent déjà de la facilité de l’entretien et de l’abattage du porc7. A Rome, l’animal fait partie du trio de bêtes mâles consacré à l’abattage sacrificiel militaire, avant les combats et après la victoire : le su/ove/taurile. L’animal apparaît donc sur les monuments célébrant les triomphes, comme la colonne de Trajan par exemple. Les sculpteurs romains insistent souvent sur la procession, les honneurs et la gloire, et ne représentent pas systématiquement l’immobilisation de la bête ou le geste d’assommage, contrairement aux illustrations médiévales auxquelles la contribution que nous propose l’historien Enzo Rouzy renvoie8. Dans les livres d’heures que ce dernier nous fait partager, c’est au mois de décembre, sous le signe du capricorne, que l’abattage du cochon se trouve. Si la mort du cochon s’inscrit dans le calendrier chrétien, elle n’est plus aucunement liée au sacrifice. Au Moyen Âge, il s’agit plutôt d’insister sur le rythme annuel des travaux des champs et la tuerie du cochon est un moment important de l’année. Elisabeth Hardouin-Fugier évoque « les outils et les gestes professionnels, sûrement authentiques »9: ces petites enluminures montrent en effet sans pudeur la brutalité du geste et la violence de la mise à mort du cochon.
  2. L’expression populaire « crier comme un cochon qu’on égorge » renvoie à l’expérience sociale partagée qu’est la tuerie du cochon : si ces enluminures médiévales nous en donnent un aperçu ancien, des reportages contemporains relaient de manière plus vivante ces pratiques traditionnelles10. La dimension audiovisuelle de ce type de sources ne permet plus d’édulcorer le « point de vue animal » pour reprendre la piste initiée par Eric Baratay, qui se focalise davantage sur « les vécus animaux »11. La question du point de vue est effectivement déterminante ici pour comprendre l’histoire du droit, car les représentations ethnographiques ou documentaires produites à partir des années 1980 filment la mise à mort du cochon dans une perspective de conservation de pratiques traditionnelles dont on tend à regretter la disparition12. D’un point de point de vue juridique, l’approche de ce genre de sources est plus patrimoniale qu’historique : le « tue-cochon » ou pelèra est ainsi une pratique inscrite au patrimoine culturel immatériel en France depuis 201213. La priorité juridique n’est pas ici d’amoindrir ou d’éradiquer la souffrance animale, qui est néanmoins perceptible et qui peut sans aucun doute heurter la sensibilité des spectateurs, mais d'assurer la protection des métiers, des pratiques paysannes et des traditions culinaires du terroir. C’est bien l’usage humain de l’animal, et principalement l’exploitation collective de sa chair, qui concentre l’attention du juriste et non l’animal lui-même.
  3. On doit à l’artiste Adel Abdessemed d’avoir replacé le geste d’une masse s’écrasant sur le crâne d’un cochon au cœur du débat dans son exposition controversée « Don’t trust me » présentée au San Francisco Art Institute en 2008, la monstration de six vidéos prises dans une ferme mexicaine scandalisant de nombreux visiteurs. Critiqué, interpelé, l’artiste s’en est froidement expliqué : « je ne cherche ni à déguiser, ni à justifier ou à excuser cet abattage. Cet acte existe »14. La présentation du geste dans sa violence brute par Abdessemed au début du XXIe siècle se rappelle étrangement à nous lorsqu’on observe les illustrations proposées par l’historien Enzo Rouzy, dont un assommage au maillet représenté dans un exemplaire des Heures à l’usage de Rome : on est en effet frappé par l’expressivité de ce dessin du XVe siècle. Emprisonnant fermement l’animal entre ses deux jambes, l’homme semble saisi sur le vif par l’enlumineur : ses muscles se bandent dans l’effort qu’il est en train de produire pour donner « coup donné en frappe »15 c’est-à-dire abattre violemment un maillet à long manche sur le crâne du cochon. Dans une autre illustration, c’est une hache qui s’élève, toujours tenue bien en arrière, bien haut, laissant imaginer le geste qui s’ensuit.
  4. La recherche par sujet « abattage du cochon » dans la base de données Initiale consultée par l’auteur offre de nombreux autres exemples… On y retrouve l’illustration de l’immobilisation violente de l’animal, à l’aide d’une corde (Heures, France du Nord, fin XVe siècle), pendu par les pattes arrières (Psautier à l’usage de Limoges, France du Nord, XIIIe siècle), à terre avant ou pendant un égorgement (Heures à l’usage de Rome, Belgique, 1540 ; Heures à l’usage de Bourges, France 1530). On y retrouve fréquemment la hache, suspendue en l’air, au plus haut point permis par les bras du tueur (Heures à l’usage de Rome, France, 1480-1485 ; Psautier, France du nord ou Belgique, XIIIe siècle ; Heures à l’usage de Rome, Belgique, 1450) ou le maillet (Missel à l’usage de Tours, France de l’ouest, XVe siècle)… avec, jamais bien loin, le couteau qui servira à l’égorgement et la bassine dans laquelle le sang sera récupéré (Heures à l’usage de Metz, France, 1480 ; Heures à l’usage de Rome, France du nord, 1465)).

Dissimuler la tuerie : la contribution du droit

  1. En quoi cette tuerie peut-elle intéresser les juristes ? En consultant quelques sources historiques, on constate sans surprise que les questions d’hygiène ont intéressé le droit, bien avant les souffrances infligées aux animaux. Pour autant ces dernières n’étaient pas ignorées des hommes et constituaient, depuis l’antiquité, une question récurrente en philosophie ; l’ouvrage de référence d’Elisabeth de Fontenay, Le silence des bêtes (Puf, 1998) suffit pour s’en convaincre. Le point de jonction entre le droit, la préoccupation sanitaire et l’exigence morale va s’opérer très progressivement autour de la sensibilité publique et l’édification des citoyens. Il s’est alors agi d’éloigner les tueries et de dissimuler l’acte de mise à mort et ses traces, toutes en rebuts et en remugles16. Dans son manuel de charcuterie publié en 1827, Elisabeth Celnart, autrice de nombreux ouvrages d’économie rurale et domestique, témoigne ainsi de la banalité de la tuerie tout en exprimant ses scrupules :
  2. « La manière de tuer les porcs est barbare : comme par malheur on ne peut agir autrement, il faut bien s’y résigner ; mais ce que l’on doit éviter religieusement, c’est de souffrir que les enfans s’en fassent un sujet de joie. Rien n’est plus affreux que de voir, dans les villes de province, les gens du peuple s’attrouper en riant devant un porc qu’on égorge, et les enfans sauter autour de la victime, soit lorsque ses cris aigus font horreur, soit lorsque les flammes l’environnent… »17.
  3. Cette évolution des sensibilités ne saurait être représentée par une ligne continue pointant toujours dans la même direction. Les documentaires de type ethnographique des années 1980 que nous avons évoqués plus haut, témoignent ainsi de la variation des sensibilités et du positionnement moral concernant l’abattage domestique : le discours porté par ces films est en effet aux antipodes de la dénonciation de la barbarie dont de nombreux écrits du XIXe siècle et la vocation première de la loi Grammont de 1850 – préserver la sensibilité publique – témoignent. La tuerie domestique du cochon est, bien au contraire, présentée comme une fête intergénérationnelle, la présence de toute la famille et particulièrement des enfants s’y trouvant valorisée. Cette représentation édifiante des traditions locales d’abattage domestique apparaît néanmoins comme un sursaut très récent, comme l’exception contemporaine qui confirme la règle historique, à savoir le mouvement général de dissimilation de la mise à mort des cochons, documenté par de nombreuses archives. Il s’épanouit dans un contexte qui tend à distinguer les pratiques artisanales des pratiques industrielles. Aujourd’hui, la revalorisation de l’abattage domestique du cochon familial fait partie d’une entreprise à plus large échelle permettant de distinguer la « viande heureuse » du terroir, des productions de l’élevage industriel, abattues à la chaîne18.
  4. Au XIXe siècle, il n’est pas encore question d’opposer élevage industriel et élevage dit traditionnel, abattage à la chaîne et abattage domestique, il est avant tout question de débarrasser la ville des tueries qui salissent les rues et offrent un spectacle peu édifiant. Prenons l’exemple de cet arrêté du maire de la ville de Besançon, daté du 24 octobre 1810, « qui défend de tuer des cochons dans les rues » : « Considérant que l’usage où l’on est de tuer des cochons dans les rues, est non seulement contraire à la propreté et à la salubrité, mais qu’il embarrasse encore la voie publique et offre aux passans un spectacle dégoutant, dont tous les citoyens demandent depuis longtemps la proscription »19. Et le maire d’indiquer plusieurs lieux excentrés « aux personnes qui n’auront point d’emplacement pour cet objet dans l’intérieur de leur maisons ». Préoccupations sanitaires et morales se combinent dans cet hygiénisme qui fonde l’éloignement des abattoirs20. Quant à l’abattage domestique du cochon, il s’est maintenu jusqu’à nos jours : en 2015, une universitaire suivait un boucher breton ayant pratiqué pendant 50 ans l’abattage et la découpe de cochons à domicile21. Quelques études en ethnographie ou en sociologie permettent de constater que les gestes ont peu varié et que seul le point de vue sur ces pratiques est mouvant. De nos jours, la pratique de l’abattage à domicile du cochon constitue une exception juridique, prévue par l’article R231-6 du code rural et de la pêche maritime, dès lors que le cochon abattu est réservé la consommation familiale et non à la commercialisation.
  5. Concernant la grande majorité des bêtes, le droit a accompagné, sur le temps long22, l’éloignement des abattoirs des habitations ainsi que les évolutions techniques en lien avec les impératifs d’hygiène ou de sécurité. La langue témoigne aussi de ce processus par l’euphémisation de la mise à mort : la tuerie est devenue l’abattoir, l’écorcheur l’équarrisseur, le tueur le boucher…23. Les vétérinaires ont été des acteurs importants de cette histoire juridique car leur expertise a pesé en amont des réformes juridiques24, une expertise qui s’est parfois heurté aux pratiques professionnelles. L’éloignement des abattoirs par mesure d’hygiène et par souci moral se cumulera ensuite25 avec l’émergence d’une nouvelle exigence : modifier les gestes pour humaniser la mise à mort26. L’espèce porcine est d’ailleurs concernée par le décret du 16 avril 1964 qui généralise l’étourdissement avant l’abattage 27.

Règlementer la consommation de la chair du cochon

  1. Il ne faudrait pourtant pas croire que les règlementations juridiques concernant les conditions d’abattage se sont construites sur des critères toujours strictement scientifiques ou objectifs. La contribution de Lucie Schneller Lorenzoni concernant Toulouse au XVIIIIe siècle montre bien que la vigilance des capitouls concernant la mise à mort des cochons et la consommation de leur viande, qui se traduit par une règlementation que l’autrice explore, est sous-tendue par des peurs relatives à l’absorption de chairs nocives28. Il y là un nœud inextricable entre sources juridiques, zoologiques, médicales et religieuses qui complexifie la teneur des décisions et le fondement des orientations politiques.
  2. Concernant le volet religieux, l’historienne souligne la position particulière que tient le cochon par rapport aux autres animaux : c’est une spécificité qui ne peut pas être mise de côté s’il on veut saisir la manière dont les règles juridiques vont orchestrer l’accès à sa chair. Manger du porc n’est pas anodin à la lumière de l’histoire religieuse et le cochon est au cœur d’interdits alimentaires qui fondent la distinction entre juifs, musulmans et chrétiens29. La contribution de Youri Volokhine30 revient d’ailleurs sur la matrice très ancienne de l’interdit de consommation touchant l’animal.
  3. Concernant le volet médico-juridique, prenons le temps de mettre en relief l’articulation entre le savoir vétérinaire et le droit car un exemple concernant notre cochon est facilement repérable en histoire du droit : la ladrerie doit-elle être considérée comme un vice rédhibitoire à l’occasion d’une vente ? En dépit des avis du commissaire du roi et des experts vétérinaires de nombreux départements, la maladie ne fut pas prise en compte par la loi du 20 mai 1838 relative aux ventes et aux échanges d’animaux domestiques, loi venue extraire les ventes d’animaux du droit commun établi sur la base de l’article 1641 du code civil31. Le député Armand Lherbette, rapporteur de la commission chargée d’étudier le projet de loi, était en effet parvenu à convaincre l’assemblée en soutenant d’une part, que la ladrerie pouvant être constatée par l’observation du cochon, elle ne pouvait pas être considérée comme un vice caché, et d’autre part, que la chair d’un cochon malade restant saine, la dépréciation de la viande n’était pas si considérable qu’elle justifiât la remise en cause de la vente32.
  4. En 1878, dans un commentaire de jurisprudence vétérinaire, on apprend que la ladrerie apparaissait comme un vice rédhibitoire tant dans les anciennes coutumes du royaume de France que dans l’article 1641 du code civil et que la maladie devrait être considérée comme un vice caché33. Le vétérinaire en appelle à ses confrères « qui sont en relation avec les avocats et les juges » car il leur appartient « de porter la lumière sur ces questions si obscures de notre jurisprudence spéciale. Dans l’accomplissement de sa mission, le magistrat a souvent besoin du secours du vétérinaire ou du médecin. Que, sans sortir de la réserve que lui commande sa spécialité, le vétérinaire fasse entendre sa voix et qu’il défende ce qu’il croit être juste… »34. C’est la loi du 2 août 1884 qui va réintroduire le cochon ladre dans la liste ouvrant une action aux charcutiers trompés35. Ces digressions vers le religieux ou la science vétérinaire nous montrent bien combien les règles du droit animalier concernant le cochon trouvent leur fondement et leur source dans des champs éloignés du droit et s’expliquent par des dégoûts, des interdits, des savoirs et des considérations complexes.
  5. Quittons la piste de l’animal mort ou malade pour nous tourner vers l’animal vivant et bien portant. Là encore, le juriste repère des questions bien balisées au fil des siècles, comme par exemple ce qui concerne la circulation des bêtes. Le sujet du déplacement animalier permet d’ailleurs de distinguer la ville de la campagne autour de plusieurs problématiques : on retrouve la salubrité et la sécurité des rues, mises en péril par la coprésence des bêtes et des hommes et la divagation des animaux en zone urbaine, les droits d’usage comme la glandée des cochons dans les forêts et pour finir, les dommages causés par les sangliers, cousins sauvages des cochons domestiques. Il y a ici un croisement intéressant, le cochon domestique pouvant causer des dégâts dans les forêts, le sanglier pouvant causer des dégâts dans les parcelles cultivées. La règle de droit agit alors de deux manières : réguler l’accès des animaux aux zones à protéger (on éloigne les élevages des villes, on limite l’accès des animaux domestiques aux forêts, on organise des battues pour limiter le nombre d’animaux sauvages dans un secteur), prévoir des mécanismes d’indemnisation pour les dégâts causés par les animaux.

Le juriste et le cochon des villes

  1. A la ville, les questions de salubrité l’emportent dès qu’il s’agit du cochon. Un règlement de police concernant la ville de Brest en 1754 servira d’exemple : l’article 7 fait « deffense à tous habitans de tenir et nourrir des cochons en quelque endroit que ce soit de leur maison à peine de 30 livres d’amende et de confiscation du cochon »36. Les animaux vivants salissent et sentent. La présence des cochons en ville engendre une insalubrité qui est de moins en moins tolérée à partir l’époque moderne. Les révolutionnaires resteront dans cette même veine, permettant aux maires, suivant l’article 3 de la loi du 14 août 1790, d’interdire de laisser divaguer les cochons dans les villes, sur les promenades ou les marchés publics, au même titre que les oies, les canards « et autres animaux nuisibles à la salubrité, à la sûreté des habitants et à la conservation des monuments publics »37. On trouve de nombreux exemples d’arrêtés municipaux allant en ce sens et des jugements de police dans les archives municipales. A titre d’exemple, le 3 juin 1790, la condamnation du sieur Richard, par la juridiction municipale de la ville de Lyon, « en l’amende, pour avoir, contre les dispositions des ordonnances, nourri des cochons »38. Au XIXe siècle encore, une ordonnance de police « concernant les personnes qui élèvent dans Paris des porcs, des pigeons, lapins, poules et volailles quelconques », datée du 3 décembre 1829, prouve que « les cochons sont encore chez eux en ville » à cette époque39.
  2. D’une manière générale, le juge accompagne ces politiques urbaines au titre de la « police de salubrité ». La compétence municipale de petite voirie sera soutenue par la Cour de cassation au XIXe siècle40. Dans un arrêt du 18 juin 1836, les magistrats soutiennent ainsi la légalité d’un arrêté municipal ordonnant aux personnes « conduisant des cochons à l’abreuvoir de la commune d’être munies d’un panier, d’une pelle et d’un balai, pour enlever à l’instant même les ordures que ces animaux laisseraient sur la voie publique ! » Le point d’exclamation, ajouté par l’auteur de l’ouvrage, un clerc de notaire parisien, semble souligner le caractère trivial de la décision lorsque les magistrats de la plus haute Cour de justice en viennent à se pencher sur les instruments qui serviront à ramasser les excréments des cochons41. A lire un commentaire plus explicite de cette décision, il semble que c’est davantage le soutien de la Cour à un arrêté prescrivant un attirail si embarrassant « et dont les habitudes de certains habitants pourraient être blessées »42 qui explique la circonspection des juristes.
  3. Dans ces arrêts, le cochon est considéré comme une cause d’insalubrité et non comme un animal naturellement dangereux. C’est ce qui ressort de la table des matières du Dalloz à l’entrée « animaux » dont le point 4 est introduit par « (porcs, divagation). S’y trouvent présentés deux arrêts de la Cour de cassation qui permettent de mieux cerner la manière dont les juges distinguent le cas du cochon : étant par sa nature un animal domestique et non dans la classe des animaux nuisibles et malfaisants, les arrêtés interdisent sa circulation parce qu’ils considèrent « le porc comme une cause d’insalubrité… relativement aux animaux accidentellement malfaisants tels que les chiens »43. Le cochon n’est donc pas un animal dont la dangerosité inquiète ce qui constitue une rupture avec la culture médiévale. Enzo Rouzy souligne la mauvaise réputation du cochon et la proportion plus importante de représentations négatives qui lui sont attachées : le cochon de saint Antoine ne fait pas le poids face au cochon régicide, porcus diabolicus selon Suger dans le récit que ce dernier a laissé de la « mort infâme » du jeune roi Philippe, provoquée par ledit cochon gyrovague au XIIe siècle, ou encore la célèbre truie de Falaise, exécutée pour avoir tué un nourrisson à la fin du XIVe siècle44.
  4. Cela étant, la crainte du cochon est restée ancrée dans la culture populaire : la peur de l’agression et de la morsure reste ainsi vivace jusqu’au milieu du XIXe siècle, tant que la présence de l’animal reste considérable en ville45. Concernant les campagnes, un manuel d’économie rurale de 1881 enseigne aux femmes de ferme à bien nourrir les animaux à engraisser, à reconnaître un animal atteint de lâdrerie, à bien faire cuire la viande de porc avant de la consommer… mais aussi à prendre garde d’un animal « tellement vorace[s] qu’on en a vu dévorer ou mutiler des petits enfants d’une manière affreuse. Les ménagères de campagne ne sauraient prendre trop de précautions pour prévenir de pareils malheurs »46.
  5. De nos jours, ces peurs sont devenues sans objet. Les contributions de Pierre Mormede et Agnès Waret-Szuka47 ainsi que celle Jean-Jacques Gouguet48 permettent de constater que le cochon a définitivement disparu, non seulement des rues des villes, mais aussi des campagnes, enfermé dans un système d’élevage de production concentré dans certaines régions de France et dont la cellule de base est un bâtiment clos avec un sol en caillebottis, les élevages en plein air ne représentant pas plus de 10%. Dorénavant, le danger n’est plus le cochon en lui-même mais les dommages collatéraux, notamment sur l’environnement, de la filière porcine. Le droit contemporain est tiraillé entre l’objectif du bien-être animal, les contraintes économiques de structures productivistes et leur finalité, à savoir la multiplication, l’engraissement et la mort des animaux.
  6. Si le cochon a disparu des villes et des campagnes, il est donc bien présent non seulement dans les assiettes des français mais aussi dans leur imaginaire. La contribution de Guillaume Doizy nous montre une facette importante de l’animal : sa représentation et ce qu’il incarne49. Le procédé de la caricature, lorsqu’il a recours au cochon, n’est jamais édifiant pour celui qui en fait les frais et lorsque c’est un agent de police opérant un contrôle d’identité qui est grimé en cochon, on s’offusque, on saisit la justice et l’affaire devient politique. Là encore, ces représentations sont anciennes et le cochon a endossé bien des rôles, un jour un évêque, un jour un roi, un jour un parlementaire…
  7. Ces représentations ne sont pas sans lien avec une autre imagerie, véhiculée par les grands noms de l’histoire naturelle, dont une citation célèbre de Buffon rend compte : « le cochon paraît être l’animal le plus brut : les imperfections de la forme semblent influer sur le naturel ; toutes ses habitudes sont grossières, tous ses goûts sont immondes, toutes ses sensations se réduisent à une luxure et à une gourmandise brutale… »50

Le juriste et le cochon des bois : la « glandée »

  1. Si Vauban vante la facilité avec laquelle chaque paysan peut nourrir une truie et en tirer nombre de porcelet par an, la réalité des campagnes semble bien différente51. Les propriétaires de cochon comptent, dans les campagnes, sur les droits d’usage coutumiers pour nourrir leurs bêtes. Ces droits d’usage sont le « panage », le « paisson » ou la « glandée », autant de pratiques pastorales régionales assurant un droit de parcours des cochons domestiques en forêt. Vieille tradition d’élevage que celle qui consiste à conduire les cochons dans les bois... On parle d’« élevage à l’antique » en référence à « l’industrie zootechnique la plus ancienne de l’Italie »52. Dans la France d’ancien régime, l’histoire du droit garde la marque de cette pratique notamment via la règlementation de la glandée , établie par une ordonnance royale au XVIIe siècle suivie par différentes lois postrévolutionnaires jusqu’au Code forestier actuel.
  2. Une entrée est consacrée à la glandée dans le Répertoire universel et raisonné de jurisprudence de Merlin53. L’ouverture du parcours est conditionnée à la quantité de glands car l’arrivée des cochons ne doit pas avoir pour conséquence la destruction des jeunes taillis. Il faut donc s’assurer qu’il y ait suffisamment de graines pour que les dommages causés par les animaux soient compensés : il ne faut pas introduire dans les bois un plus grand nombre de cochons que ne peut le permettre la Glandée « parce qu’ils absorberaient la partie des fruits destinés à la reproduction ». Ce sont bien entendu les sources juridiques qui nous renseignent sur cette régulation de l’accès des cochons aux sous-bois. Une ordonnance royale de 1669 abroge ainsi les anciennes coutumes et règle les pratiques pour tous les bois du royaume. On procèdera annuellement à l’adjudication des glandées et les forêts seront ouvertes du 1er octobre au 1er février en glandée pleine, demi ou quart-glandée en fonction de l’inspection des officiers chargés d’évaluer la quantité de cochons à introduire… des officiers qui assurent par la suite le contrôle des animaux qui doivent être « marqués au feu »54. Les cochons surnuméraires seront saisis au profit du roi et l’adjudicataire puni d’une amende de 100 livres. Si l’adjudicataire peut rétrocéder son droit, les usagers, eux, n’ont pas cette liberté car le droit de glandée est strictement personnel55. Si d’autres que les usagers ou l’adjudicataire envoient des cochons dans les bois, les animaux saisis iront pour moitié au roi et à l’adjudicataire lésé.
  3. Le décret révolutionnaire du 28 frimaire an II supprime les adjudications dans les forêts nationales : les cochons y sont admis dès lors qu’il s’agit de bois « dans lesquels ne se trouvent point de hêtres » car ces derniers font l’objet d’une protection particulière en vue de la production d’huile. Que nous en dit le Code forestier de 1827 ?56. On constate que les droits d’usage sont loin d’avoir disparus, la glandée étant règlementée par les articles 66 à 78. L’article 66 est d’ailleurs tout entier consacré à « l’exercice des droits d’usage relatifs à la nourriture des porcs » : il précise la durée de la glandée et l’époque d’ouverture des bois. On retrouve l’impératif préalable concernant « l’état des forêts et la possibilité des forêts » qui conditionne l’accès aux bois dits « défensables » (art. 67), et la fixation du nombre de bêtes qui pourront être mis en panage (art. 68 ; art. 77). Dans une tradition qui remonte à la Coutume du Nivernais (art. 19, chap. 15), les usagers ne peuvent mettre en panage que les bêtes qu’ils possèdent pour leurs besoins personnels et non celles « qui sont un objet de commerce » (art. 70), « c’est-à-dire ceux qu’on achète pour les engraisser et les revendre ».
  4. Pour éviter les dommages qui pourraient ressortir du passage des animaux, il pourra être nécessaire de creuser des fossés ou d’installer des clôtures afin de préserver les taillis et les recrus de futaies (art. 71). On rassemble les bêtes des usagers locaux en troupeau commun, troupeau qui sera conduit par des pâtres ou des gardiens communaux (art. 72). Si un habitant s’entête à conduire lui-même ses cochons en forêt, il sera poursuivi pour « délit de pâturage à garde séparée » ; si des animaux sont trouvés hors des secteurs défensables et des chemins indiqués pour s’y rendre, le pâtre ou le gardien encourra une amende et une peine d’emprisonnement en cas de récidive (art. 76) pour « délit de divagation des porcs ». Alors qu’on a souligné plus haut la variation du droit dans la gestion de l’abattage domestique du cochon, on peut ici souligner, à l’inverse, la remarquable permanence des normes juridiques concernant la glandée et le parcours des cochons en forêt : on retrouve en effet nombre des anciennes prescriptions dans l’ordonnance du 26 janvier 2012 et les articles L.241-8 et suivant du Code forestier (nouveau) au titre des droits d’usages dans les bois et forêts de l’Etat.
  5. Cette excursion juridique du côté des bois nous permet d’abandonner le cochon domestique pour nous intéresser à son cousin sauvage dont la forêt est l’habitat naturel : le sanglier. Gibier par excellence, il apparaît dans tous les traités de chasse depuis le Moyen âge jusqu’à nos jours. Encore faut-il relativiser cette frontière entre sauvage et domestique, si l’espèce opère comme une référence pour repérer cette dernière, étant donné que, pour de multiples raisons, le sanglier des forêts françaises n’est plus vraiment sauvage. Par ailleurs, le sanglier est encore un gibier mais il apparaît aussi au titre des animaux nuisibles ou, depuis 2018, au titre des animaux susceptibles de commettre des dégâts…

La mouvante et évolutive catégorisation du sanglier

  1. Dans les dernières décennies du XXe siècle, la transformation de l’agriculture a engendré l’arrachage des haies et la disparition des lièvres, des lapins, des perdrix et des faisans dans les zones cultivées. Les chasseurs, voyant le petit gibier diminuer et leur loisir en danger, développèrent une activité d’élevage de sangliers. Cherchant à augmenter la capacité reproductive des sangliers, ils hybridèrent ces derniers avec des cochons domestiques créant ce qu’on appelle communément le « cochonglier »57. Le sanglier de nos forêts est-il encore un animal sauvage ? Non seulement c’est douteux sur le plan phylogénétique mais en plus, la présence de l’animal dans les villes et les zones périurbaines en fait un animal plus proche de la catégorie des « liminaires » que des bêtes sauvages58. La logique classificatoire qui préside à la catégorisation juridique de l’animal s’en trouve remise en question dès lors que l’espèce n’est plus une référence fiable59. La contribution de l’historienne du droit Claire Bouglé-Le Roux exploite, entre autres, une affaire très éclairante concernant le brouillage des frontières entre le sauvage et le domestique autour du sort de la laie Rillette recueillie et apprivoisée60. L’étude de la jurisprudence montre combien le juge est l’artisan de la classification des bêtes au cas par cas dans les catégories générales que le législateur a prévues.
  2. Si l’hybridation du sanglier fragilise depuis peu la pertinence de sa qualification d’animal sauvage, sa prolifération a eu, dès le XIXe siècle, des conséquences radicales sur sa catégorisation juridique. L’animal navigue en effet de gibier, chassable dans un cadre règlementé, à la catégorie de bête fauve pouvant être tiré en tout temps par tout propriétaire dont les biens seraient menacés, pour atteindre celle de nuisible, dont la destruction est organisée par battue régulière. Dans le premier cas, une logique conservatrice (des périodes de chasse restreinte, des tirs interdits sur les laies ou sur les marcassins…), poursuivait la préservation de l’espèce et tendait à favoriser la reproduction des animaux. Histoire ancienne, car on est maintenant passé à la logique opposée : la destruction du nuisible qui prolifère et qui nuit aux cultures. Il ne s’agit plus de réguler l’activité de chasse mais au contraire, de réguler les populations animales, envisagées comme des masses à réduire61.
  3. Les battues de sangliers pour en diminuer le nombre ne sont néanmoins pas récentes et il en est de même concernant les questionnements autour de sa qualification. Dans le Répertoire de Jurisprudence Dalloz de 1864, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 31 janvier ainsi que son commentaire peuvent être pris pour exemple. Nous nous bornerons à reproduire le premier point de droit qui apparaît au titre du résumé de l’affaire et qui suffit à éclairer notre propos : « Les battues auxquelles les lieutenants de louveterie ont le droit de procéder dans les bois des particuliers en vertu d’une autorisation du préfet, peuvent avoir pour objet même la destruction des sangliers, malgré leur caractère de gibier, si, à raison de leur multiplication ou d’autres circonstances particulières, ils ont été classés dans le département parmi les animaux nuisibles et si leur destruction a été décidée sur les plaintes des habitants (L. 3 mai 1844, art. 9 ; arr. du gouv. 19 pluv.an V, art. 2) ». La qualité de gibier du sanglier ne le protège pas des tirs lorsque, sur un territoire donné, il commet des dégâts et se trouve classé « nuisible ». Un commentaire, qui apparaît en première note, distingue tout de même le cochon sauvage des autres animaux désignés comme nuisibles par l’arrêté de pluviôse an V, à savoir ceux « dont la chair n’est pas comestible ». Le sanglier n’est par ailleurs nuisible qu’aux récoltes et non aux hommes ou aux autres animaux domestiques. C’est donc bien la multiplication qui pose déjà problème à cette époque, car elle peut « devenir un fléau dans une localité lorsque les propriétaires des bois apportent de la négligence à les détruire »62. Il appartient ainsi aux propriétaires des bois d’empêcher ladite multiplication et d’organiser des chasses régulières et des battues de prévention, sous peine de voir leur responsabilité engagée. Au-delà des qualifications juridiques et du droit de la chasse, l’histoire du sanglier nous entraine donc vers le droit des biens et des obligations.
  4. De manière générale, les tribunaux ont été saisis de toutes sortes de questions de droit privé : le 22 juin 1843, la Cour de cassation s’est prononcée sur la propriété du sanglier tué lors d’une battue. L’animal revient-il au concessionnaire du droit de chasse ou à celui qui l’a tué ? Les magistrats optent pour la seconde option, estimant que le droit de la chasse ne s’applique pas lorsque le sanglier est détruit comme nuisible et non tiré comme gibier63. Autre interrogation : le propriétaire d’un bois peut-il prendre l’initiative d’organiser une battue, au titre de son droit de détruire les bêtes fauves ? Non car les juges considèrent qu’il faut distinguer les battues contre les nuisibles, relevant des autorités et menées sous la surveillance des agents forestiers, et le droit particulier d’un propriétaire de détruire les bêtes fauves qui commettraient des dégâts sur sa propriété. Enfin, la responsabilité du propriétaire d’un bois abritant de nombreux sangliers peut-elle être engagée pour les dégâts commis par les animaux dans les champs voisins ? Les tribunaux admettent une action en dommages-intérêts dans de nombreux cas, notamment lorsque la négligence, la faute ou l’imprudence du propriétaire débouche sur « la multiplication à l’excès » des bêtes64. Nous arrêterons ici nos exemples, mais la jurisprudence regorge d’affaires de ce type.
  5. Cochon ou sanglier, le suidé est proche de nous et cette proximité se constate dans nos sources juridiques. Nous partageons avec lui une histoire commune qui en fait un sujet fécond en droit et en histoire du droit. Cette histoire juridique se nourrit d’autres disciplines, comme souvent : ici, la science vétérinaire, l’économie, la philosophie et l’histoire, autour de sources textuelles ou visuelles qui nous permettent d’envisager le cochon sous plusieurs angles et à plusieurs époques depuis l’époque des pharaons jusqu’aux élevages contemporains. Pour finir par où nous avons commencé, retournons vers La Fontaine car « Buffon se trompe. Le cochon domestique n’est pas cet animal grossier, aux goûts immondes, gourmant, plein de luxure et de brutalité, dont il parle. La Fontaine, cet autre grand naturaliste, ce peintre des mœurs des animaux dont il s’est occupé, ne représente point ainsi le cochon. Le cochon, suivant lui, c’est Dom Pourceau, animal raisonneur, qui sait qu’on ne le mène pas à la foire pour voir Fagotin, vendre son poil, ou le décharger de son lait, mais pour y être tué et mangé. Et les paysans, les pauvres, les gens de campagne sont pour La Fontaine. Ils connaissent le cochon, eux ; ils savent qu’il est susceptible d’attachement pour ceux qui le soignent, et que son intelligence est grande sous ses formes obscures »65.
  • 1 « Le sens moral des cochons », dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 2 Pierre Jouventin, « Solidarité et morale chez les animaux », dans Karine-Lou Matignon (dir.), Révolutions animales. Comment les animaux sont devenus intelligents, Arte éditions/Les liens qui libèrent, 2016, spécialement p. 106.
  • 3 Donald M. Broom, « Les prouesses mentales des animaux de ferme », dans Karine-Lou Matignon (dir.), Révolutions animales. Comment les animaux sont devenus intelligents, Arte éditions/Les liens qui libèrent, 2016, p. 214-219. L’auteur évoque le cochon à plusieurs reprises.
  • 4 « Contorsions cognitives et alimentation porcine », dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 5 Henri Blin, Pour élever des porcs, Editions Rustica, 1947, avant-propos, p. 8.
  • 6 Hyppolyte de Chavannes de la Giraudière, La ferme-modèle ou l’agriculture mise à la portée de tout le monde, Tours, Mame et Cie, 1846, p. 115.
  • 7 Elisabeth Hardouin-Fugier, Le coup fatal, Abattage alimentaire et préhistoire, p. 38.
  • 8 « Autour du cochon médiéval et de quelques-unes de ses représentations », dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 9 Elisabeth Hardouin-Fugier, op.cit., p. 257-259.  L'autrice estime que ces représentations du geste et du temps de l'abattage cautionnent « un charme imaginaire, qui masque la rude réalité de la paysannerie ».
  • 10 « On tue le cochon », reportage produit par France Régions 3 Bordeaux, 28 janvier 1982, https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/rbc05061106/on-tue-le-cochon
  • 11  Le point de vue animal. Une autre version de l’histoire, Le Seuil, 2012, p. 11.
  • 12 Anne-Elène Delavigne, Anne-Marie Martin et Corinne Maury, « Images d’abattage : champ et hors champ de l’abattoir », Journal des anthropologues, 82-83 | 2000, 391-400 ; quelques exemples de vidéos consultées sur différentes plateformes ou sites pour cette contribution : https://www.dailymotion.com/video/x8dj67d ou https://youtu.be/0WnPI-LzAmg?si=wnNrHLgVh_Hhdqep ou encore ce film amateur réalisé à Patay en 1992 , beaucoup plus difficile à regarder car l’abattage domestique est ici filmé : https://memoire.ciclic.fr/9811-on-tue-le-cochon.
  • 13 https://www.pci-lab.fr/fiche-d-inventaire/fiche/262-le-tue-cochon-la-pelera
  • 14 déclare l’artiste. Pamela M. Lee, Le sentiment animal, dans Philippe-Alain Michaud (dir.), Adel Abdessemed. Je suis innocent, Steidl, Centre Pompidou, 2013, p. 169-177.
  • 15 Dès les sources antiques, on repère « l’emploi d’un instrument qui décuple la forme de frappe humaine », décrit notamment par Homère, conçu « pour accroître l’effet d’un coup donné avec élan, dit "coup donné en frappe" », Elisabeth Hardouin-Fugier, op. cit., Rome : de l’autel à la boucherie, p. 210. 
  • 16 Alain Corbin, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social XVIIIe-XIXe siècle, Paris, Flammarion, 2016.
  • 17  Manuel du charcutier…, Paris, Roret Librairie, 1827, p. 106.
  • 18 Enrique Utria, « La viande heureuse et les cervelles miséricordieuses », in Lucile Desblache (ed.), Souffrances animales et traditions humaine. Rompre le silence, Editions universitaires de Dijon, 2014, p. 37-52.
  • 19 AMBesançon, série J. Police, hygiène publique, justice, 5J. Hygiène publique et salubrité, cote 5j90.
  • 20 Xavier Perrot, « Des tueries aux abattoirs. Règlementation et sensibilités (1810-1964) », dans Claire Bouglé-Le Roux, Nadège Reboul-Maupin (dir.), Animal & Droit, LexisNexis, 2024, p. 522.
  • 21 Nelly Blanchard, « À la recherche de l’intestin aveugle : Ethno-texte sur la boucherie-charcuterie porcine en breton », Lapurdum, 2016, 19, p.103-119 ; ff10.4000/lapurdum.3191ff. ffhal-03993774.
  • 22 A titre d’exemple, l’article 11 d’un règlement de police pour la ville de Brest, daté du mois de juin 1754 ordonne déjà aux bouchers d’aller établir leurs tueries « hors les murs de la ville », extrait du bulletin de la Société Archéologique du Finistère, Quimper, 1894, p. 6 ; Lucie Schneller Lorenzoni indique la période du dernier tiers du XVIIe siècle comme tournant : c’est à cette période que les capitouls tentent d’instaurer des affachoirs collectifs pour les cochons, v° « abattoirs (Ancien Régime) », dans Pierre Serna et al., Dictionnaire historique et critique des animaux, Champ Vallon « L’environnement a une histoire », 2023, p. 20 ; on pourrait multiplier les exemples pour montrer que l’éloignement des abattoirs et la dynamique de centralisation ont commencé à la fin de l’Ancien Régime.
  • 23 Noëlie Vialles, Le Sang et la Chair : les abattoirs des pays de l’Adour, Paris, Éd. de la MSH, 1987 parle de la végétalisation de l’acte de mise à mort.
  • 24 Damien Baldin, Histoire des animaux domestiques, XIXe-XXe siècles, Le Seuil, 2014, p. 258-259.
  • 25 « au XVIIIe siècle, les sensibilités accrues face aux odeurs, au sang et à la mort ne conduisent pas à une recherche d’allègement de la souffrance animale mais à son invisibilisation », Lucie Schneller Lorenzoni, v° « abattoirs (Ancien Régime) », dans Pierre Serna et al., Dictionnaire historique et critique des animaux, Champ Vallon « L’environnement a une histoire », 2023, p. 22.
  • 26 Damien Baldin, « De l'horreur du sang à l'insoutenable souffrance animale. Élaboration sociale des régimes de sensibilité à la mise à mort des animaux (19e-20e siècles) », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2014, 123(3), 52-68. https://doi.org/10.3917/vin.123.0052.
  • 27 Xavier Perrot, art. cité, p. 533.
  • 28 « Manger et tuer : l’ambivalence des porcs (Toulouse, XVIIe-XVIIIe siècles) », dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 29 Claudine FABRE‑VASSAS, La Bête singulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994.
  • 30 « Les cochons en Egypte ancienne », mise en ligne prévue en septembre dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 31 Sonia Desmoulin-Canselier, « Maladies animales :vices rédhibitoires, défaut de conformité et tromperies sur les qualités substantielles, RSDA 2012/1, chroniques de jurisprudence, Droit sanitaire, p. 103-104.
  • 32 Rapport de M. Lherbette à la chambre des députés, séance du 24 avril 1838 et discussion devant la même chambre, séance du 26 avril.
  • 33  Recueil de médecine vétérinaire, n°55, p. 77-83 ; un mémoire de 100 pages intitulé De la ladrerie du porc au point de vue de l’hygiène privée et publique, Paris, J.-B. Baillière et Fils, allant dans le même sens, est publié en 1864.
  • 34 Ibid., p. 83.
  • 35  De la ladrerie du porc avec le texte de la loi du 3 août 1884 sur les vices rédhibitoires par Léon Parlon, Guéret, imprimerie Ve Bétoulle, 1887.
  • 36 Règlement de police pour la ville de Brest, du mois de juin 1754, extrait du bulletin de la Société Archéologique du Finistère, Quimper, 1894, p. 5.
  • 37 Garnier, Traité des chemins de toute espèce…, 4e éd., Paris, 1834, p. 460.
  • 38  AML, collection générale, 1C/701805, juridiction de la police de Lyon, 1790.
  • 39 Damien Baldin, op.cit., p. 20. 
  • 40 M. Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, tome dix-huitième, TRA-WER, Paris 1828, 5e éd., v° « voirie », p. 662-663.
  • 41 E. Charles-Chabot, Dictionnaire des connaissances élémentaires que doivent étudier et posséder en matière d’administration municipale, de police judiciaire et municipale […] les maires, adjoints, secrétaires de mairie […], Paris, Videcoq fils aîné éditeur, 1854, p.330.
  • 42  Dalloz. Jurisprudence générale. Répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine et de jurisprudence, 1845, t.II, v° « abreuvoir », n. 23, p. 5.
  • 43  Dalloz. Jurisprudence générale. Répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine et de jurisprudence, 1855, ANI-19, n.4.
  • 44 Michel Pastoureau, Les animaux célèbres, arléa, 2008 ; Le roi tué par un cochon, Le Seuil, 1994.
  • 45 Damien Baldin, op.cit., p. 202.
  • 46 Louis-Eugène Bérillon, La bonne ménagère agricole. Simples notions d’économie rurale et d’économie domestique à l’usage des écoles de jeunes filles, 7e édition revue et corrigée, Auxerre, A. Gallot éditeur, 1881, p. 238.
  • 47 « Le porc : génétique, élevage et science », dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 48 « élevages industriels porcins : une question d’aménagement du territoire », dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 49  « Vos papiers – Que faire face à la police : la caricature porcine, un argument massue ou une prise de risque ? », dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 50 Œuvres complètes de Buffon avec la nomenclature linéenne et la classification de Cuvier : L’homme. Les quadrupèdes, Garnier frères, 1853, p. 453.
  • 51 De la cochonnerie ou calcul estimatif pour connaître jusqu'où peut aller la production d'une truie pendant dix années de temps, par le Maréchal de Vauban ; on pourra lire sur ce point un article ancien mais qui a le mérite de dresser un tableau assez ample de l’élevage des cochons en ville et dans les campagnes d’ancien régime : Jean-Jacques Hémardinquer, « Faut-il « démythifier » le porc familial d'Ancien Régime ? », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 25ᵉ année, N. 6, 1970. p. 1745-1766. DOI : https://doi.org/10.3406/ahess.1970.422315.
  • 52 Charles Cornevin, Traité de zootechnie spéciale. Les porcs, Paris, J.-B. Baillière et fils, 1898, p. 56.
  • 53 4e édition, Paris, Chez Garnery, 1812, p. 541-546.
  • 54 Ibid., p. 544.
  • 55 Ibid., p. 545.
  • 56 Dalloz, Les codes annotés, Code forestier, Paris, 1884.
  • 57 Raphaël Mathevet et Roméo Bondon, Sangliers, Géographies d’un animal politique, Actes Sud, Arles, 2022, chapitre 2 et 4.
  • 58 Marie Chandelier et al., « Représentations médiatiques et habitantes de la présence du sauvage en ville : le cas du sanglier », dans Silvia Flaminio, Maud Chalmandrier, Joëlle Salomon Cavin (dir.), Géo-regards. Animaux sauvages en ville : quelles cohabitations ?, n°16, 2023, p. 72, s’appuyant sur la catégorie proposée par Sue Donaldson et Will Kymlicka, Zoopolis. Une théorie politique des droits des animaux, Paris, Alma Editeur.
  • 59 Sonia Desmoulin-Canselier, « De l’espèce aux « primates non humains » : origines, interprétations et implications des classifications gradualistes en droit », dans Eric de Mari, Dominique Taurisson-Mouret (dir.), Ranger l’animal. L’impact environnemental de la norme en milieu contraint II, Exemples de droit colonial et analogies contemporaines, Victoires Editions, 2014, p. 47.
  • 60 cette contribution sera mise en ligne en septembre dans ce dossier, RSDA 2025/1.
  • 61 Avant la loi Biodiversité du 8 août 2016 et le décret du 28 juin 2018 qui ont fait évoluer le vocabulaire juridique – on parle dorénavant des « espèces pouvant occasionner des dégâts » – le sanglier pouvait être considéré comme « nuisible » par arrêté préfectoral et en fonction des particularités locales. Dans ce cas, le préfet fixait le territoire concerné et l’animal pouvait alors être « détruit à tir » entre la date de la clôture de la chasse et la réouverture de la saison suivante. Pour une étude d’histoire du droit sur cette « casuistique », on lira Xavier Perrot, « Bêtes fauves, animaux malfaisants et nuisibles dans la loi du 3 mai 1844 sur la police de la chasse. Entre taxinomie administrative et casuistique judiciaire », RSDA 2012/1, p. 365-390.
  • 62  Dalloz, Jurisprudence générale. Recueil périodique et critique de jurisprudence, de législation et de doctrine, année 1864, p. 321 et suiv..
  • 63  Répertoire Dalloz, 1843, Sémélé c. Kaufer.
  • 64 Dalloz. Jurisprudence générale, supplément au répertoire méthodique et alphabétique de législation et de doctrine, Paris, 1888, Chasse, t. II, p. 482, n. 1378 et suivant : « des dégâts causés par les sangliers ».
  • 65 Henry-Arnauld Leroux, Du cochon, Manuel du paysan et du propriétaire, Boussac, 1849, p. 15.
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