Droit des contrats et obligations
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Contrats spéciaux

  • Christine Hugon
    Professeur de droit privé
    Université de Montpellier
    Laboratoire de droit privé
  • Kiteri Garcia
    CDRE Bayonne – UPPA

Les lecteurs de cette chronique savent que la garantie légale de conformité du Code de la consommation n’est plus applicable aux ventes d’animaux domestiques depuis le 1er janvier 2022. Toutefois, cette exclusion que nous appelions de nos vœux, ne s’applique pas aux transactions conclues antérieurement à cette date. Un examen rapide des décisions rendues ces derniers mois en matière de vente d’animaux domestiques confirme que le flot du contentieux est loin encore d’être endigué. Plus préoccupant encore, le risque d’une conception trop laxiste de la convention tacite permettant d’échapper au régime spécial du Code rural risque d’en ouvrir encore plus largement les vannes. En effet, écarter trop facilement l’application du droit spécial du Code rural aurait pour effet de permettre aux acheteurs de se placer dans de très nombreuses hypothèses sur le terrain particulièrement accueillant du Code civil. Bien évidemment, ils ne pourront le faire que sous réserve de démontrer que le défaut affectant l’animal repose sur une cause existant au moins en germe au moment de la vente ; mais cela peut être le cas pour de nombreuses pathologies, notamment d’origine génétique, ou dont le développement dépend des conditions de vie et de travail de celui-ci. Or, l’action en garantie des vices cachés du Code civil se révèle très favorable à l’acheteur. Celui-ci peut exercer son action dans les deux ans suivant l’extériorisation des symptômes ou l’établissement du diagnostic, sous réserve que son action soit introduite dans les 20 ans du jour de la transaction1.
L’importance quantitative du contentieux des ventes d’animaux et tout particulièrement de chiens et d’équidés est telle qu’il ne peut en être rendu compte qu’à travers une sélection d’arrêts dans l’objectif de mettre en lumière quelques décisions révélatrices des difficultés soulevées. Le poids des faits, le rôle clé des expertises vétérinaires expliquent la rareté des pourvois dans ce domaine. Il convient donc de signaler une décision de première chambre civile du 29 octobre 2023 rappelant que le délai de prescription de l’action en garantie légale de conformité du Code de la consommation ne court pas à compter de l’accord sur la chose et sur le prix, mais à compter de la délivrance de l’animal (I). Du côté des juridictions du fond, plusieurs décisions confirment que la destination de l’animal joue un rôle clé que ce soit sur le terrain du droit de la consommation ou sur celui de la garantie légale du Code civil. Cela ressort entre autres d’un arrêt de la cour d’appel de Paris, en date du 15 juin 2023 (RG n° 20/12967) ayant débouté les acheteurs d’un chien de race berger allemand de leurs demandes en remboursement de la totalité des frais avancés pour soigner leur animal et en paiement de 10 000 € à titre de dommages-intérêts au motif que le chien affecté d’une dysplasie de la hanche n’était pas pour autant impropre à sa destination d’animal de compagnie (II) ou encore de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 17 octobre 2023 (RG n° 23/02933) se fondant sur la destination sportive d’un cheval atteint de boiterie pour prononcer la résolution de la vente sur le terrain de la non-conformité du droit de la consommation (III). Cette question de la destination de l’animal est récurrente dans les contentieux relatifs aux équidés, comme le confirme la cour d’appel de Caen dans sa décision du 12 septembre 2023 (RG n° 20/01180) lorsqu’elle apprécie la garantie du vendeur d’un cheval de CSO à l’aune de la hauteur des obstacles évoqués dans les documents contractuels (IV). Cette même cour avait dû antérieurement, dans un arrêt du 27 juin 2023 (RG n° 20/00751) appliquant, ce qui n’est pas courant, le droit suisse, répondre à la question de savoir si la mention dans le contrat de vente « classé en Concours de saut d’obstacles international cinq étoiles » garantit que ce cheval sera à même de poursuivre une carrière à ce niveau après la vente (V).

I. Cass. 1re civ., 29 novembre 2023, n° 22-14122

Vente, garantie légale de conformité du Code de la consommation, point de départ du délai de prescription
Le délai de prescription de l’action en garantie légale de conformité du Code de la consommation court à compter de la délivrance de l’animal

La question du point de départ des délais de prescription des actions en garantie est toujours extrêmement sensible. Lorsque la garantie est recherchée sur le fondement du Code rural et de la pêche maritime, les articles R. 213-5 et suivants imposent des délais très courts courant à compter de la livraison de l’animal (Code rural et de la pêche maritime, art. R. 213-7). La règle est cohérente car c’est seulement à partir du moment où il est mis en possession de l’animal que l’acheteur est à même de découvrir le vice rédhibitoire. Dans le droit commun de la vente civile, l’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un double délai : un délai de prescription de deux ans dont le point de départ est extrêmement favorable à l’acheteur car il court à compter de la découverte du vice et un délai butoir de vingt ans à compter de la conclusion du contrat2. Le Code de la consommation, applicable en l’espèce, fait partir le délai de prescription à compter de la délivrance du bien3. Or, dans l’affaire ayant donné lieu au pourvoi, la cour d’appel de Montpellier avait fait courir le délai de deux ans de prescription de l’action en garantie légale de conformité du Code de la consommation à compter de la vente et, non comme l’impose le Code de la consommation, à compter de la délivrance de la chose. La doctrine considère que la notion de délivrance de la chose en droit de la consommation doit s’apprécier selon les règles applicables à la délivrance dans les ventes civiles, laquelle est présentée par l’article 1604 du Code civil comme « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur »4. L’accord sur la chose et sur le prix, dont la date coïncidait en l’espèce avec celle de la facture, avait assuré le transport de la chose en la puissance de l’acheteur mais cette date coïncidait-elle avec la mise en possession de la chose que la doctrine assimile souvent à l’entrée en jouissance de l’acheteur5 ou, selon la formule retenue par l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux, à la mise à disposition de l’acheteur ? Cela n’était pas impossible, d’autant plus que la jument avait, le même jour, été transférée au centre équestre dans lequel pratiquait l’acheteur. La cassation est intervenue sur un manque de base légale au motif que les juges du fond auraient dû, au regard des faits de l’espèce, s’attacher à déterminer à quel moment l’acheteur était effectivement entré en possession de la jument, autrement dit avait été mis en mesure de s’en occuper et de s’en servir en tant que propriétaire. Le seul fait que le paiement ait été différé et que les documents afférents à la jument ne lui aient pas encore été remis ne devrait pas suffire à établir que la mise à disposition avait été retardée jusqu’à ce transfert. Certes, l’obligation de délivrance s’étend aux accessoires de la chose, mais il semble peu probable de pouvoir soutenir qu’en matière de transfert d’équidés, la mise à disposition soit subordonnée à la remise des documents concernant l’équidé lesquels sont parfois retenus jusqu’au complet paiement du prix ou le temps de les faire mettre en règle auprès de l’institut français du cheval et de l’équitation, ce qui lorsqu’il s’agit d’obtenir l’attribution d’un numéro SIRE français pour un cheval né à l’étranger, peut parfois prendre plusieurs semaines. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de trancher cette question.

II. CA Paris, 15 juin 2023, RG n° 20/12967

Contrat de vente, garantie légale de conformité du Code de la consommation, chien, dysplasie de la hanche
Une dysplasie de la hanche ne rend pas systématiquement un chien de compagnie impropre à son usage

Dans l’arrêt Delgado, la Cour de cassation avait paralysé l’alternative que le Code de la consommation offre au vendeur professionnel de paralyser l’alternative laissée à l’acheteur entre la reprise du bien et sa mise en conformité lorsque cette dernière entraîne un coût disproportionné au regard de la valeur du bien6. En conséquence, l’acheteur de l’animal non conforme se trouvait en mesure d’exiger du professionnel qu’il assume la totalité des soins vétérinaires à prodiguer tout au long de la vie de l’animal. C’est bien ce qu’entendaient faire les acheteurs d’un chiot de race berger allemand qui, devenu adulte, avait développé une dysplasie de la hanche, maladie d’origine génétique très répandue dans cette race de chiens et dont il est démontré qu’elle peut apparaître alors même que les parents de l’animal n’en étaient pas affectés.
En l’espèce, le chiot avait été acheté à un vendeur professionnel, le 17 janvier 2018, pour la somme de 950 €. Le 30 avril 2018, le chien ayant boité, il avait été emmené en consultation, puis avait subi, dans l’année, plusieurs interventions orthopédiques. Les acheteurs avaient alors adressé divers courriers au vendeur professionnel pour se faire rembourser le prix d’acquisition et les actes médicaux. Face à son refus, les acheteurs ont, sans succès, tenté un référé provision pour finalement assigner au fond en se plaçant sur le terrain du défaut de conformité du Code de la consommation. Ils demandaient la condamnation du vendeur à leur verser la somme de 5654,98 € au titre des frais vétérinaires, 10 000 € à titre de dommages-intérêts ainsi que le remboursement de la totalité des frais de la procédure. Dans une décision confirmative, la cour d’appel de Paris a rejeté leurs prétentions. La dysplasie coxofémorale figurant dans la liste des vices rédhibitoires du Code rural, la cour d’appel a, tout d’abord, affirmé que le fait qu’une maladie figure dans la liste des vices rédhibitoires ne constituait pas de facto un défaut de conformité. Elle a, ensuite, rappelé les critères de conformité tels qu’ils résultent du Code de la consommation. Examinant les éléments de preuve fournis par les acheteurs, et notamment les rapports vétérinaires, elle observe qu’aucun d’entre eux n’a été signé et qu’aucun examen du chien n’a été réalisé en présence d’un représentant des vendeurs. Les juges en déduisent que si le caractère génétique de cette maladie est admis par les scientifiques, il n’est pas impossible que les conditions de vie et la suralimentation du chien aient pu influencer le développement de la maladie. Ils observent – et l’élément parait avoir été déterminant – que le chien avait été vendu comme un animal de compagnie à usage exclusivement domestique, ce que révélait la convention de vente signée par les parties. O, les acheteurs n’avaient pas démontré qu’il présentait une santé incompatible avec sa qualité d’animal de compagnie. Il pouvait monter dans une voiture et, selon les dires d’un vétérinaire, courir comme un lapin. Les juges ajoutent que le fait que cette maladie fasse obstacle à son utilisation en tant que reproducteur alors que cette qualité n’entrait pas dans le champ contractuel, ne pouvait constituer un éventuel défaut de conformité. L’espèce, parce qu’elle concerne une dysplasie de la hanche, permet de revenir une fois encore sur cette maladie très commune devenue un véritable nid à contentieux. Même si certains pensent que la peur d’une condamnation incitera les éleveurs à mieux choisir leurs reproducteurs, il est possible de penser que la véritable prévention résultera, du côté des professionnels, d’une sensibilisation des juges de race et des groupements d’éleveurs et, du côté des acheteurs, d’une information sur la nécessaire adaptation des conditions de vie et d’alimentation de leurs chiens.

III. CA Aix-en-Provence, 17 octobre 2023, RG n° 23/02933

Vente, garantie légale de conformité du droit de la consommation, visite vétérinaire d’achat
L’acheteur d’un cheval destiné à la compétition de dressage devenu boiteux six mois après la vente en raison d’une pathologie apparente sur les clichés réalisés pour la visite d’achat, mais non révélée par le vétérinaire, peut obtenir la résolution de la vente et engager la responsabilité de l’homme de l’art

En l’espèce, un cavalier amateur avait acheté 8000 € un cheval de pure race espagnole auprès d’un vendeur professionnel. Une visite d’achat avait été réalisée le jour même. Elle concluait à des signes cliniques normaux permettant un usage sportif de dressage. Six mois après, le cheval commence à boiter et les examens radiographiques mettent en évidence une pathologie, laquelle était déjà visible sur les radiographies de la visite d’achat. L’acheteur assigna son vendeur et le vétérinaire ayant procédé à la visite d’achat en résolution de la vente, remboursement du prix d’achat et remboursement de ses préjudices financiers, affectif et moral pour un total supérieur à 10 000 €. La cour d’appel confirma le jugement en ce qu’il a ordonné la résolution de la vente, le remboursement du prix et condamné in solidum le vendeur et le vétérinaire ayant pratiqué la visite d’achat à rembourser la somme de 3075 € au titre des dépenses engagées pour le cheval.
Du côté de la responsabilité du vétérinaire, la cour d’appel rappelle qu’il n’est tenu que d’une obligation de moyens quant à la réalisation de l’examen de visite d’achat. En l’espèce, sa responsabilité a été retenue uniquement parce qu’après avoir fait le bon diagnostic, il avait omis d’en informer les parties notamment en indiquant qu’elles pourraient en être les conséquences, y compris, à moyen terme alors même qu’il était informé de la destination sportive de l’équidé. Sur ce point, l’arrêt n’appelle pas de commentaire particulier.
Sur le terrain du droit de la consommation, les juges du fond considèrent que la pathologie qui rendait l’équidé impropre à son usage était déjà visible sur les radiographies de la visite d’achat et, en conséquence, antérieure à la vente. Ils observent, ensuite, que l’évolution, bien qu’incertaine, entraînait un pronostic réservé sur l’avenir sportif de ce dernier alors même que l’usage spécial recherché par l’acheteur avait été porté à la connaissance du vendeur. Ce raisonnement laisse penser que, dans l’esprit des magistrats, lorsque le cheval est destiné à une utilisation sportive, toute tare, toute fragilité, ne s’étant pas manifestée par des signes cliniques extérieurs antérieurement à la vente mais étant déjà décelable par des investigations vétérinaires pourra conduire à la résolution de la vente. Cette analyse revient à faire supporter par le vendeur le risque d’une dégradation de l’animal. La solution est extrêmement sévère lorsque l’objet de la vente est un être vivant. Il est indéniable que tout mammifère comporte en germe de nombreuses pathologies lesquelles, selon ses conditions de vie, pourront ou non se développer, pourront ou non être soignées, pourront ou non permettre une utilisation alternative de l’animal. Elle démontre simplement que l’animal est perçu comme un objet de consommation qui doit, coûte que coûte, fournir les utilités prévues et que le Droit traite comme un risque supporté par le vendeur, le développement de pathologies que des traitements adaptés ou une autre utilisation de l’animal aurait peut-être pu éviter.
Il serait tentant de penser que l’exclusion de l’application de la garantie de conformité du Code de la consommation aux ventes d’animaux rééquilibrera heureusement la relation contractuelle entre l’acheteur et le vendeur de l’animal par un renvoi au droit spécial du Code rural. En effet, celui-ci limite l’action en garantie à des pathologies déterminées apparaissant dans un temps très court suivant la vente, tout en réservant à l’acheteur la possibilité d’engager la responsabilité du vendeur qui se serait livré à des manœuvres dolosives. Certes, ce système peut paraître bien sévère pour les acheteurs. Il présente cependant plusieurs avantages. Il les incite à faire pratiquer des visites d’achat dont le résultat, s’il se révèle réservé, pourra les conduire soit à ne pas acquérir l’animal, soit à l’acquérir en se préparant à l’utiliser en tenant compte de ces fragilités. Une fois le cheval en possession de l’acquéreur, celui-ci alors tout intérêt à en préserver la santé, quitte à renoncer à ses espoirs de médailles ou à le revendre en toute honnêteté en signalant ces pathologies à une personne qui n’aura pas les mêmes ambitions. Toutefois, cette vision des rapports se nouant autour du trio, acheteur, vendeur, animal implique que celui-ci soit perçu par les deux premiers davantage comme un être vivant et sensible que comme une machine destinée à produire des résultats sportifs, ce qui encore trop souvent malheureusement le cas tant dans le monde équestre que dans le monde judiciaire. C’est cette vision utilitariste que révèle la décision commentée ci-dessous.

IV. CA Caen, 12 septembre 2023, n° 20/01180

Vente, garantie des vices cachés du Code civil, garantie légale de conformité du Code de la consommation, équidé
L’arroseur arrosé ou lorsque l’examen détaillé des faits du débat révèle des contradictions dans les prétentions du demandeur quant aux capacités sportives d’un cheval de CSO

Décidément, il existe encore des cavaliers, y compris chez les amateurs, qui ne perçoivent les équidés destinés à la compétition qu’à travers les performances qu’ils sont susceptibles de réaliser. L’espèce jugée par la cour d’appel de Caen, le 12 septembre 2023, souligne cette triste réalité et confirme à quel point l’application de la garantie légale du Code civil aux cessions d’animaux domestiques se révèle complexe et passablement mal adaptée à la réalité du vivant. Fort heureusement, dans cette affaire, les juges du fond sont arrivés à en tempérer les effets en démêlant patiemment l’écheveau des faits de l’espèce mêlant données de la médecine vétérinaire et performances sportives.
Une personne achète courant janvier 2013, pour le prix de 35 000 €, un cheval destiné à la compétition de sauts d’obstacles. Celui-ci devait être utilisé par sa fille, cavalière amateur, pour participer à des concours en Espagne. Moins d’un mois après la vente, ce premier équidé ayant révélé des douleurs dorsales, l’acheteuse obtient du vendeur, l’EARL Tip top Cheval, l’échange entre ce cheval et un autre cheval qui appartenait jusqu’alors à un autre propriétaire. L’échange intervient courant mars 2013 après une visite vétérinaire réalisée à la demande du propriétaire du cheval donné en échange. Quelques mois après, ce deuxième équidé devenant boiteux, l’acheteuse assigne, le 2 janvier 2014, le propriétaire du cheval donné en échange et l’EARL Tip top Cheval pour obtenir en référé la désignation d’un expert judiciaire. Le rapport d’expertise définitif est déposé le 27 octobre 2017. L’acheteuse assigne par acte des 5 et 6 décembre 2018, l’EARL Tip top Cheval, le propriétaire du cheval qu’elle avait accepté un échange et le vétérinaire ayant procédé à la demande de ce dernier à la visite préalable à la transaction. Elle demande, à titre principal, la résolution de la vente, à titre subsidiaire, sa nullité pour vente de la chose d’autrui et, en tout état de cause, la condamnation solidaire des vendeurs et du vétérinaire au remboursement du prix d’achat ainsi que de l’ensemble des frais liés à la vente soit au total plus de 80 000 €.
Le vendeur initial, l’EARL Tip top Cheval, et le propriétaire du cheval donné en échange plaident l’irrecevabilité de ses demandes pour défaut de droit d’agir au motif qu’elle avait entre-temps revendu le cheval. Les premiers juges la déclarent recevable en ses demandes mais rejettent l’ensemble de celles-ci et la condamne aux dépens. L’acheteuse interjette appel.
La cour d’appel confirme la recevabilité de son action au motif que « si l’action en garantie des vices cachés se transmet, en principe, avec la chose vendue au sous-acquéreur, pour autant le vendeur intermédiaire ne perd pas la faculté de l’exercer quand elle présente pour lui un intérêt certain et direct ».
Sur le fond, l’appelante critiquait le rejet de son action en résolution de la vente assortie de dommages-intérêts tant sur le terrain de la garantie des vices cachés du Code civil que sur celui de la non-conformité du droit de la consommation encore applicable aux ventes d’animaux domestiques.

a) La garantie des vices cachés du Code civil

La lecture de l’arrêt révèle que les avocats des défendeurs n’ont pas discuté l’applicabilité de l’action en garantie des vices cachés du Code civil. La discussion portait donc sur le fait de savoir si les conditions nécessaires au succès de l’action en garantie étaient réunies.
Sur la question de l’existence du vice, les juges du fond se fondent sur le fait que la pathologie en question, une maladie naviculaire des deux antérieurs, était décelable sur les clichés radiographiques réalisés lors de la visite vétérinaire préalable à l’échange, même si les symptômes, la boiterie, ne se manifestaient pas encore sur le plan clinique. Le vice était caché car il n’était pas discuté que l’acheteuse n’avait pas été informée de la présence de cette pathologie qu’elle n’avait découvert que plusieurs mois après. Il s’en déduit qu’il s’agissait bien d’un vice caché, peu importe que l’ancien propriétaire du cheval n’en ait pas eu connaissance car le cheval n’avait pas encore boité, et d’un vice antérieur à la transaction car il apparaissait sur les clichés radiographiques réalisés avant l’échange.
La discussion va alors se concentrer sur le caractère déterminant du vice caché, autrement dit sur la question de savoir si cette pathologie avait rendu le cheval impropre à sa destination ou en avait tellement diminué l’usage que si l’acheteuse en avait été informée, elle aurait renoncé à l’acheter ou en aurait offert un prix réduit.
Pour trancher cette question, les juges du fond se sont d’abord appuyés sur l’avis de l’expert judiciaire. Or, il avait confirmé que le cheval aurait pu recevoir un traitement adapté à sa situation et que celui-ci lui aurait permis de poursuivre sa carrière sportive au même niveau qu’avant la vente. Pour confirmer que sa maladie ne l’a pas rendu impropre à sa destination, ils appuient aussi leur analyse sur plusieurs éléments du dossier révélant qu’il a régulièrement participé à des épreuves sportives avec succès entre 2013 et 2019.
L’acheteuse avait bien essayé de contester cette analyse en observant, d’abord, que le traitement administré est, à la fois, complexe et coûteux et, ensuite, que le cheval était destiné à tourner sur des épreuves dites de 140, autrement dit dans lesquels il est censé sauter des obstacles d’un 1m40 ou plus et que sa pathologie l’avait réduit à sortir sur de plus petites épreuves et qu’il lui arrivait même de refuser de sauter les obstacles d’un mètre. La lecture de cette argumentation fait peine pour le cheval en question car elle donne le sentiment que pour cette propriétaire, il n’était qu’une machine à sauter des obstacles. Prenant la peine d’analyser en profondeur le dossier de l’appelante, la cour observe qu’elle a, elle-même, écrit dans son assignation en référé probatoire que l’animal était destiné au concours de saut d’obstacles et qu’il avait été acquis pour les épreuves cadets-juniors (1m20 à 1m30 de hauteur) et que les résultats en compétition révèlent qu’il a participé à ce niveau de compétition au moins jusqu’à 2017.
Rentrant plus encore dans les faits de l’espèce, les magistrats de la cour d’appel observent que la baisse de performance du cheval à partir de 2017 s’explique peut-être par son vieillissement ou par les qualités propres du cavalier qui le monte. Ils en déduisent qu’il n’est donc pas démontré, ni que la pathologie du cheval l’ait rendu impropre à l’usage auquel il était destiné, ni que cet usage en ait été diminué dans de telles proportions que l’acheteuse « même complètement informée sur son état réel, aurait renoncé à acquérir l’animal, voir qu’elle n’en aurait donné qu’un moindre prix ». Ils confirment donc le rejet de la demande en résolution de la vente et en restitution du prix fondée sur l’article 1641 du Code civil.

b) Sur l’action en garantie de conformité du Code de la consommation

La transaction étant intervenue à une époque où le Code de la consommation était encore applicable aux ventes d’animaux domestiques, les juges du fond ont été tenus d’examiner sur ce terrain aussi la recevabilité des demandes de l’acheteuse. Ils constatent, tout d’abord, qu’elle avait bien contracté en qualité de consommatrice et en dehors du cadre d’une activité professionnelle alors que le propriétaire du cheval donné en échange et l’EARL Tip Top Cheval avaient la qualité de professionnels. Le débat alors se concentre sur la conformité au sens du droit de la consommation de la chose livrée. Sur ce point, la cour observe que les vendeurs avaient livré « un animal présentant toutes les caractéristiques attendues par [l’acheteuse], à savoir un cheval de compétition de saut d’obstacles destiné à sa fille, sportive amateure ». Ils reprennent la démonstration précédente aux termes de laquelle les faits du dossier ont permis de démontrer qu’elle n’avait « pas commandé un cheval apte à sauter des obstacles de 1m40 à 1m45, mais des obstacles de l’ordre de 1m20 à 1m30 tout au plus, ce qu’il s’est avéré capable de faire pendant plusieurs années ». Ils en déduisent que l’animal est donc conforme au contrat au sens de l’article L. 211-4 du Code de la consommation et, par ailleurs, propre à l’usage attendu d’un bien semblable au sens de l’article L. 211-5 du même code car correspondant à la description donnée par le vendeur et possédant les qualités sportives annoncées par l’acheteur.
Même si le raisonnement est parfaitement argumenté, il ne peut que faire frémir les cavaliers avancés dans l’art subtil de préparer les chevaux à assumer les utilités que l’homme leur destine. Un cheval n’est pas une mobylette, ni un robot. L’art de la préparation consiste à la fois à donner envie au cheval de faire ce qui lui est demandé et de le préparer physiquement et techniquement à le faire. Comme tout sportif, il peut avoir des baisses de moral, des baisses de forme. En tant qu’équidé, il peut aussi souffrir de la mauvaise équitation de son cavalier, de la moindre compétence d’un entraîneur, de conditions de vie ou d’entraînement inadaptées. Bref, il est impossible de garantir qu’un cheval sera à même de continuer à sortir dans le même niveau d’épreuve dans sa nouvelle vie.
Admettre qu’en indiquant dans un contrat que le cheval mis en vente est apte à accomplir une prestation sportive ne peut en aucun cas garantir qu’il sera en mesure de se maintenir ou d’être maintenu à ce niveau postérieurement à la transaction. En l’espèce, l’acheteuse a été déboutée de ses demandes car le cheval avait continué à sortir en compétition. Vraisemblablement, la solution aurait été différente si le cheval avait cessé la compétition pour des raisons qui auraient tout à fait pu être étrangères à sa maladie, comme une baisse de moral ou un mauvais entraînement alors même que les vendeurs auraient été dans l’incapacité ou tout au moins dans une très grande difficulté quant à la preuve de ces causes.
Un cheval n’étant pas une machine, mais un être vivant, il faut admettre que l’acheteur supporte le risque inhérent à tout sportif d’une baisse de performance, à moins bien sûr que par une clause expresse le vendeur se soit engagé sur un résultat déterminé. Mais il ne peut alors pas s’agir d’une suite normale de la transaction mais d’une gestion du risque par le contrat sur le fondement d’un engagement très spécifique du vendeur.
La lecture de cet arrêt confirme à quel point il était urgent d’écarter l’application du droit de la consommation aux ventes d’animaux domestiques et, à quel point, il serait bénéfique de revenir à une lecture stricte du droit spécial des ventes d’équidés tels qu’il résulte du Code rural. Certes, ce point n’avait pas été mis dans le débat par les avocats des parties, très vraisemblablement parce que la jurisprudence contemporaine interprète trop largement le renvoi tacite au droit commun du Code civil lequel se révèle à bien des égards inadaptés à la réalité du vivant.
Il est intéressant d’observer que le droit suisse se révèle mieux adapté que notre droit français comme le démontre une autre décision de la cour d’appel de Caen.

V. CA Caen, 27 juin 2023, n° 21/00752

Vente, équidé, application du droit suisse, droit spécial des ventes du bétail
La mention dans un contrat écrit de vente d’un cheval classé en CSI ***** n’impose pas que le cheval se maintienne à ce niveau de compétition dans le futur

Deux chevaux de CSO avaient été achetés au propriétaire d’un haras ; le premier par acte du 7 juillet 2014 pour la somme de 200 000 €, et le second par acte du 1er décembre 2015 pour 2.700.000 francs suisses soit, au taux de change en vigueur au jour de la vente, l’équivalent de 2 475 474,45 €. L’acheteuse n’en prend pas possession et les laisse en pension chez le propriétaire du haras. Les relations initialement amicales entre les parties se dégradent à partir de juin 2016. L’acheteuse assigne en référé devant le tribunal de grande instance de Paris le propriétaire du haras à fins de remise sous astreinte de ses deux chevaux. L’ordonnance de référé ordonne la restitution des chevaux et une mesure d’expertise vétérinaire destinée à s’assurer de leur état de santé. Après la restitution des chevaux, l’expert désigné conclut que si l’état du premier était globalement satisfaisant, le second souffrait de lésions qui, déjà au temps de la vente, étaient de nature à l’empêcher de concourir au niveau de compétition qui avait été le sien au cours des années 2013 et 2014. Il en déduisait qu’au moment où la vente est intervenue sa valeur était inférieure à 200 000 €. L’acheteuse assigne le propriétaire du haras devant le tribunal de grande instance d’Argentan aux fins de réduction du prix de vente du second cheval sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Les juges du fond constatent que le litige relevait des juridictions françaises et jugent qu’il est régi sur le fond par les dispositions du droit suisse. Les premiers juges déboutent l’acheteuse de sa demande de réduction du prix. Celle-ci interjette appel. Pour des raisons liées à la complexité de la procédure d’appel et aux erreurs commises par les avocats de l’intimé, la cour d’appel n’est pas saisie de la fin de non-recevoir tirée du non-respect des conditions de délai prévues à l’article 202 du code suisse des obligations. Le débat se concentrera donc sur la demande en réduction de prix examinée à la lumière du droit suisse. La cour d’appel en rappelle le contenu. L’article 197 du code suisse des obligations dispose que « le vendeur est tenu de garantir l’acheteur tant en raison des qualités promises qu’en raison des défauts qui, matériellement ou juridiquement, enlève à la chose soit sa valeur, soit son utilité prévue, ou qui les diminue dans une notable mesure ». Le même article dispose que le vendeur « répond de ces défauts, même s’il les ignorait ». Toutefois, la cour d’appel de Caen indique « qu’il est dérogé à ce principe dans le commerce du bétail par l’article 198 du même code lequel prévoit qu’il n’y a lieu à garantie dans le commerce du bétail (chevaux, ânes, mulet, race bovine, moutons, chèvres et porcs) que si le vendeur s’y est obligé par écrit envers l’acheteur ou s’il a intentionnellement induit en erreur ». La cour d’appel de Caen en déduit qu’« en l’espèce, il est constant que la demande formée (par l’acheteuse) ne peut que reposer sur ces dernières dispositions et en déduit qu’il lui appartient alors soit d’établir que le propriétaire du haras s’est engagé par écrit à garantir les qualités dudit cheval, soit de démontrer qu’il a intentionnellement induit en erreur sur ses qualités, ce qui correspond à la définition du dol ».
Le contrat de vente était ainsi rédigé : « je soussigné, Monsieur L, demeurant à (…), vendre ce jour à titre personnel à Madame B, demeurant à (…) en Suisse, un Etalon Cheval de Sport SF, Quaoukoura Du Ty, classé en CSI ***** » avec l’indication du prix « 2 700 000 Fr. ».
La cour d’appel considère que ni la qualité d’étalon, ni la race du cheval ne sont contestés. Qu’en conséquence, la seule discussion concerne sa qualification de cheval classé en concours de saut d’obstacles international cinq étoiles, ce qui correspond à la catégorie la plus prestigieuse. La cour d’appel constate qu’avant la vente, il avait effectivement gagné plusieurs épreuves de ce niveau et qu’il était monté à cette époque par un cavalier médaillé champion olympique. La divergence entre les parties réside sur le sens à donner à cette qualification de cheval classé en CSI cinq étoiles. L’acheteur considère que le vendeur s’était engagé à lui vendre un cheval présentant toutes les qualités pour conserver un tel classement. Elle évoque au soutien de son interprétation le prix exceptionnellement élevé de ce dernier. Pour sa part, le vendeur considère qu’il n’a jamais entendu garantir les performances à venir de l’animal, mais seulement le fait qu’il avait été classé à ce niveau.
Au soutien de l’analyse du vendeur, la cour conclut qu’au moment de la vente, ses performances avaient commencé à baisser puisqu’il ne concourait plus qu’à des épreuves de niveau inférieur, ce que l’acheteuse ne pouvait pas ignorer car il s’agit de classements officiels publiés par la fédération française d’équitation. Les juges du fond évoquent aussi un message antérieur à la vente adressée par le propriétaire du haras à celle-ci. Celui-ci était constitué d’une photo accompagnée de la légende suivante : « Quaouk qui pense plus à brouter qu’à faire sa rééducation ». La cour ajoute que l’acheteuse a très bien pu vouloir faire l’acquisition de ce cheval à un prix aussi élevé sans se soucier particulièrement de ses performances à venir lesquelles, observe fort justement la cour, dépendent largement des qualités de l’entraîneur qui le prendra en charge ainsi que du cavalier qui le monterait le jour du concours. Cette constatation pleine de sagesse confirme si besoin était qu’un animal reste un être sensible dont la santé et les performances dépendent de facteurs très variables. Certains cavaliers feront des miracles avec des chevaux fragiles alors que d’autres beaucoup moins bons, parviendront à rendre malades ou boiteux des chevaux qui, dans les mains des premiers, auraient eu des carrières tout à fait satisfaisantes. À cet égard, le droit suisse paraît tout à fait raisonnable en ce qu’il écarte toute garantie du vendeur en dehors de manœuvres dolosives ou de la présence d’une clause écrite extensive de garantie. Il n’est finalement pas très éloigné de l’esprit du Code rural, lequel limite la garantie légale du vendeur d’un animal domestique à des vices prédéterminés apparaissant dans un délai très court suivant la vente tout en réservant l’hypothèse d’un dol ou d’une convention contraire des parties renvoyant au droit commun du Code civil. La fragilité du système français repose sur l’admission trop laxiste d’une convention dérogatoire tacite laquelle a pour effet de faire perdre sa logique au système particulier du Code rural. Il convient, nous semble-t-il, de ne pas perdre de vue que cette législation spéciale destinée à écarter en principe l’application de la garantie légale du Code civil a été adoptée à une époque où la quasi-totalité des animaux domestiques était utilisée par l’homme que ce soit pour la chasse ou le gardiennage lorsqu’il s’agissait de chiens, ou pour être montés ou attelés lorsqu’il s’agissait d’équidés.
Tant que les juges ne reviendront pas à une conception plus orthodoxe de la convention tacite écartant l’application du droit spécial, le contentieux des ventes d’animaux domestiques servira de terreau à l’ego ou à l’intéressement des acheteurs déçus. Fort heureusement, les quelques affaires commentées démontrent que certains juges ne s’y trompent pas et parviennent parfois, en articulant finement les moyens de droit et les faits du débat, à limiter leurs ambitions.

C.H.

Du contrat de transhumance – Cour d’appel de Chambéry, 17 octobre 2023 – n° 0/00627

Nous avions déjà souligné, dans le dernier numéro de cette chronique, l’originalité d’un contrat de clonage qu’il n’est pas courant de rencontrer dans les décisions de justice. Cette fois encore, l’affaire est atypique puisqu’elle conduit à la reconnaissance d’un contrat singulier à savoir le contrat de transhumance. Sans l’œil affuté du Professeur Jean-Pierre Marguénaud, cette décision inédite serait sans doute passée inaperçue, qu’il en soit remercié.
La transhumance n’est que rarement abordée par les juges et lorsqu’elle l’est, le litige se concentre sur les obligations de déclaration auxquelles cette pratique oblige ou sur les contaminations entre animaux qui peuvent survenir en cours de transhumance (en ce sens, voir cass. civ. 2ème, 4 octobre 1995, n° 93-20.717 ou CAA Marseille, 4 novembre 2010, n° 09MA00511). La décision rendue par la Cour d’appel de Chambéry le 17 octobre 2023 se révèle donc remarquable puisqu’elle porte sur l’existence et donc la qualification du contrat de transhumance.
En l’espèce, un éleveur de bovins a envoyé ses animaux en alpage dans le cadre de la transhumance d’été durant la saison 2016. Il a pour cela confié 63 bovins à une société agricole mais n’en dénombre que 52 à la fin de la période de transhumance. Il assigne alors la société en paiement d’une somme de 23.760 euros à titre de dommages-intérêts, représentant la valeur des 9 animaux manquants. Le Tribunal de Grande Instance de Chambéry, dans un jugement en date du 18 décembre 2019, estime que le demandeur ne démontre pas avoir confié 62 bovins (entre la demande et la réponse du tribunal, le chiffre passe de 63 à 62) à la société pour la transhumance 2016 et ne fait pas droit à sa demande d’indemnisation. L’éleveur interjette appel et produit comme pièces deux factures de transporteurs d’animaux : l’une établie pour le transport de 62 bovins en juillet 2016, l’autre pour un transport du lieu de transhumance aux étables de l’éleveur en octobre 2016, concernant cette fois 53 bovins. La Cour infirme le jugement : elle décide en premier lieu qu’au regard des deux factures, un contrat verbal de transhumance est démontré entre les parties. En second lieu, elle fait droit à la demande en indemnisation de l’éleveur pour la perte de 5 animaux, pour lesquels une société d’équarrissage est intervenue. Pour justifier la réparation, la Cour d’appel met à la charge de la société agricole ayant géré la transhumance une inexécution fautive dans la mesure où elle n’a fait aucune déclaration de perte des animaux auprès de leur éleveur. Un tel manque de transparence et d’information au moment de la disparition des animaux et au moment du transport retour d’estive constitue une faute dans l’exécution du contrat, sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, d’autant que l’intimée n’allègue pas l’existence d’un cas de force majeure.
Cette décision nous permet d’appréhender quelques éléments du contrat de transhumance, sans toutefois répondre à toutes les interrogations que pose inévitablement un tel contrat sui generis.
Deux points posaient problème en l’espèce, d’une part l’existence du contrat, d’autre part les obligations auxquelles il donne lieu.
Quant à l’existence du contrat de transhumance, l’arrêt indique simplement qu’il s’agit d’un contrat par lequel un éleveur confie des animaux en estive. On aurait aimé en savoir davantage sur le contenu de ce contrat, encore jamais rencontré et par ailleurs aujourd’hui peu documenté. Si la pratique de la transhumance, elle, est connue parce qu’ancestrale, sa manifestation juridique l’est moins : quel est donc le rapport contractuel qui vient encadrer la migration traditionnelle et périodique de bêtes (ovins, caprins, bovins ou équins) entre des pâturages d’hiver et des pâturages d’été ? Le contenu du contrat en lui-même n’est pas précisé : le contrat de transhumance tel qu’il est qualifié par la Cour d’appel de Chambéry inclut-il le fait de déplacer les bêtes et de les monter jusqu’au lieu de pâturage ou simplement de surveiller les animaux en pacage, une fois ceux-ci déposés par camion ? La distinction est essentielle puisqu’elle permettrait de rapprocher le contrat de transhumance soit d’un contrat d’entreprise soit d’un dépôt. S’il s’agit de conduire les animaux à leur lieu de pâturage estival, qui alors délimite le parcours des bêtes et décide des modalités de conduite du troupeau ? Le berger/vacher est-il tenu de suivre les directives des éleveurs ? Si oui, ne pourrait-on pas alors y voir un contrat de travail puisqu’il y aurait alors indéniablement un lien de subordination… ?
En qualifiant le rapport contractuel de « contrat de transhumance », la Cour d’appel n’apporte que peu de précisions quant au contenu des obligations réciproques et à la nature du contrat.
Elle s’explique d’autant moins qu’elle le déduit de deux factures de transporteurs, l’un ayant pris les animaux à leur lieu d’élevage pour les conduire sur le lieu de départ de la transhumance, l’autre ayant fait le chemin de retour vers l’élevage une fois la transhumance terminée. La juridiction indique que le contrat de transhumance était en l’espèce verbal, ce qui ne permet guère d’en savoir davantage, d’autant que, concernant une pratique traditionnelle, il doit de surcroît dépendre d’usages locaux.
L’arrêt est moins laconique concernant les obligations que ce contrat singulier renferme. Il reproche en effet à la société encadrant la transhumance d’avoir violé son obligation de transparence et d’information au moment de la disparition des animaux et au moment du transport retour d’estive. Ce manquement constitue une faute dans l’exécution du contrat entraînant la responsabilité du débiteur de l’obligation. Il n’est donc pas reproché au vacher un défaut de soins ou de surveillance des animaux, ni même leur perte en tant que telle, mais seulement un défaut d’information relative à leur disparition au propriétaire. Mais alors, on peine à comprendre pourquoi l’indemnisation du défaut d’information ne concerne que 5 animaux sur les 9 manquants. On pourrait en déduire qu’un certain pourcentage de pertes de bêtes est admis, ce que l’on peut entendre : on sait par exemple que le loup peut s’attaquer au bétail transhumant (en ce sens, voir François Moutou, « Tribune contradictoire. Le loup, Biologie, écologie, éthologie, aspects sanitaires », RSDA 1/2014, p. 223) ou qu’en montagne, des animaux peuvent se perdre ou encore être foudroyés. L’essentiel, pour le vacher en charge de la transhumance, serait alors d’en informer l’éleveur. Le régime ne peut alors se rattacher au contrat de dépôt qui ne supporte pas la perte d’un objet confié. A la lecture de cette décision, le contrat de transhumance repose alors principalement sur une obligation d’information.
Cependant, qu’advient-il des 4 bêtes disparues dont les corps n’ont pas été ramassés par l’équarrissage et qui n’ont donc pas été identifiés grâce à leur numéro d’immatriculation ? Elles ne semblent ni concernées par l’obligation d’information, ni par une quelconque obligation de surveillance. D’elles, il n’est pas question puisque leur disparition n’est pas indemnisée. La réparation des seules bêtes identifiées fait en quelque sorte disparaître le problème des 4 autres bêtes jamais retrouvées. Possiblement, la Cour a estimé que la preuve de leur disparition n’était pas rapportée. Seulement, les juges fondent le contrat de transhumance et l’ensemble du raisonnement sur le différentiel entre le nombre de bêtes déposées et celui des bêtes ramenées à l’élevage. De deux choses l’une : soit la juridiction estime cette preuve suffisante et elle prend sa décision en constatant qu’au total 9 bêtes ont disparu, soit elle refuse de se fonder sur les factures de transports des animaux pour démontrer le contrat de transhumance et n’accède pas à la demande de réparation de l’éleveur. Sans nécessairement aboutir à une obligation de résultat, le bien-être animal aurait voulu que l’on se soucie davantage des animaux, de leurs surveillance et disparition que de la stricte information de leur propriétaire. Rappelons que sur 9 êtres sensibles disparus, la décision ne se préoccupe que de 5 d’entre eux. A défaut de cadavres, le sort des autres n’est même pas mentionné : quantité négligeable, ou menu fretin…La résurgence du contrat de transhumance, portant par essence sur des animaux, aurait mérité une lecture plus contemporaine.

K.G.

Du rejet de la nullité de la vente d’une chienne réputée agressive – Cour d’appel de Toulouse, 25 septembre 2023 – n° 21/02442

Alors qu’elle a fait l’acquisition d’une chienne de race « chien de cour italien », plus connue sous le nom de cane corso, pour un prix de 1 000 euros, le 18 décembre 2016, sa propriétaire se plaint de son agressivité un an plus tard à son éleveur. Ce dernier accepte de reprendre la chienne, tout en s’engageant par écrit à restituer à l’acheteuse la somme de 500 euros.
Ne parvenant pas à récupérer cette somme, l’acheteuse a assigné l’éleveur afin de voir prononcer la nullité de la vente et d'obtenir réparation de ses préjudices. Les demandes sont confuses et variées : la propriétaire de l’animal demande tout à la fois la nullité de la vente pour dol, le constat de l’accord des parties sur la nullité de la vente, la résolution du contrat et la condamnation de l’éleveur au versement de la somme de 3.211,60 euros au titre du remboursement des frais de dressage canin, frais vétérinaires et frais médicaux la concernant.
Déboutée de l’entièreté de ses demandes le 27 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Montauban, la propriétaire maintient ses demandes en appel. La Cour d’appel de Toulouse rend un arrêt confirmatif le 25 septembre 2023, dont la qualité didactique doit être soulignée : chacune des prétentions est reprise une à une, son fondement textuel décortiqué et une réponse précise et argumentée est apportée.
Ainsi, alors que l’appelante soutenait que son consentement à la vente de la chienne avait été surpris par dol, dans la mesure où l’éleveur avait tu son sevrage précoce cause de son caractère agressif, la Cour répond en des termes clairs en posant la définition de la nullité et du dol, soulignant que la preuve de ce dernier n’était en aucun cas rapporté.
Patiemment, la Cour précise la différence entre la nullité et la résolution amiable du contrat, qui ne suivent pas le même régime. En l’espèce, les parties ne se sont pas entendues pour annuler rétroactivement le contrat mais elles sont tombées d’accord pour que l’éleveur récupère l’animal et verse à l’acheteuse la somme de 500 euros. Il ne s’agit donc pas d’une nullité venant sanctionner un défaut de formation du contrat mais d’une résolution, qui devra être exécutée selon les termes prévus par les parties, précise la Cour. L’éleveur devra donc s’exécuter en reprenant la chienne et en versant à sa propriétaire la somme de 500 euros.
Les demandes tenant à l’indemnisation sont traitées de la même manière, le juge d’appel rappelant les fondements du droit de la responsabilité et notamment la nécessité de démontrer une faute de l’éleveur qui, en l’espèce, n’est pas caractérisée. En effet, une faute délictuelle ne peut se déduire de la seule résolution amiable du contrat de vente. Ce faisant, la décision ne s’attarde pas sur le montant des sommes demandées par l’acheteuse déçue, notamment le fait qu’elle y intégrait les frais de dressage canin. Outre qu’on ne peut déterminer le montant alloué à ce dressage puisqu’une somme globale est réclamée, il est heureux que la Cour n’ait pas fait droit à une telle demande. Le coût d’un animal ne peut être réductible à son seul prix d’achat : encore faudra-t-il le nourrir, le soigner, s’en occuper en fonction de ses besoins. Certains individus nécessiteront des frais vétérinaires, d’autres une alimentation adaptée. Et pour d’autres encore, il s’agira de cours d’éducation. Répondre aux besoins ordinaires des animaux que l’on achète ne saurait constituer un dommage et l’éducation d’un chien relève de ceux-ci. On ne peut que louer, face à de telles demandes, la patience judiciaire.

K.G.

  • 1 Cass. mixte, 21 juill. 2023, nos 20-10.763 B, 21-15.809 B, 21-17.789 B et 21-19.936 B ; Gaz. Pal. 2023, n° 34, p. 15, obs. S. Piédelièvre ; LPA 2023, n° 4, n. E. Hung Kung Sow ; LEDC sept. 2023, n° DCO201r7, obs. M. Latina ; Revue Lamy Droit Civil, n° 219, p. 26-28, obs. A. Nivert ; Defrénois 2023, n° 42, p. 13 s. ; RDC 2023, n° 4, p. 30, n. L. Thibierge ; Gaz. Pal. 2023, n° 34, p. 22, n. G. Leroy.
  • 2 Cass. ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 20-10763, 21-15809, 21-17789 et 21-19936, précités.
  • 3 L. 221-12 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 devenu depuis l'article L. 217-3 du même code.
  • 4 Dalloz action, Droit de la consommation, 2021/2022, 211.181, p. 514.
  • 5 En ce sens, P. Delebecque, C.-E. Bucher et F. Collart Dutilleul, « Contrats civils et commerciaux », p. 246, n° 219.
  • 6 Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, n° 14-25910 ; K. Garcia, Revue semestrielle de droit animalier 2015, n° 1, p. 48 ; D. 2016, 360, n. S. Desmoulin-Cansellier ; G. Paisant, « la question des vices cachés dans les ventes d'animaux domestiques aux consommateurs », JCP G 2016. 173.
 

RSDA 2-2023

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