Doctrine et débats : Doctrine

L’attribution de la qualité de « sujet de droits » aux espèces des tortues et requins dans la province des îles Loyauté

  • Juliette Tissot
    ATER en droit privé
    Université Paris I Panthéon Sorbonne

La délibération n° 2023-28/API du 29 juin 2023 relative au code de l’environnement de la province des îles Loyauté Délibération n° 2023-28/API du 29 juin 2023 relative au code de l’environnement de la province des îles Loyauté.">1 constitue-t-elle une révolution juridique ?
Si l’on retient l’acception du mot « révolution » dans son sens initial, c’est-à-dire le retour au point de départ après un mouvement circulaire, l’interrogation appelle une réponse positive : la délibération précitée marque bien le retour de la communauté kanak aux fondamentaux de sa culture. Dans le droit fil du statut de la Nouvelle-Calédonie issu des accords de Matignon qui a vu la reconnaissance des institutions, des langues et du droit kanak, tels le statut civil des personnes et la propriété coutumière, cette délibération a pour objet de renouer le lien ancestral entre le peuple des îles et sa terre2.
Si l’on privilégie l’acception plus commune de changement brusque et violent, la réponse est sans doute plus nuancée.
En érigeant comme « entités naturelles sujets de droits » deux espèces d’animaux totémiques de la culture kanak, une brèche dans l’ordonnancement juridique classique a-t-elle été ouverte ? Les rumeurs d’éclatement du Livre Ier du Code civil renaissent.
Le débat ontologique est ancien ; la querelle – philosophique d’abord, juridique ensuite – paraît byzantine. Après l’implacable dualisme cartésien selon lequel l’animal ne serait rien d’autre qu’un automate incapable de souffrir, les philosophes semblent converger. La Fontaine, Condillac, Montesquieu : tous développent l’idée de l’animal sensible, « titulaire » de devoirs de la part de l’homme – « je vois un sentiment exquis dans mon chien, mais je n’en aperçois aucun dans un chou » écrivait déjà, en son temps, Rousseau. La question ne se cantonne pas à l’animal et s’étend rapidement aux relations qu’entretient l’homme avec la nature. Bien après Montaigne pour qui la nature est une Mère, les professeurs Ferry et Serres s’opposent sur les théories du droit : le premier prône un droit humaniste anthropocentré3, le second, un contrat naturel forgé par l’idéologie de l’écocentrisme4. L’article de Monsieur Christopher Stone – « Should Trees Have Standing ? »5 – propulse le débat dans la sphère juridique. Alors que la Walt Disney Company ambitionne de dégrader une forêt de séquoias pour ses projets, le juriste américain s’interroge sur la possibilité de conférer aux entités non humaines un droit à être représentées en justice.
Depuis, l’influence de ce dernier article avant-coureur ne se tarit pas et influence quantité de législations portées par la philosophie écocentrique. Certaines offrent la qualité de sujet de droit à la nature en général : c’est le cas de la Pacha Mama6 en Équateur et en Bolivie, tous deux précurseurs en la matière. D’autres, ensuite, la destinent à certains éléments de la nature : c’est le cas, en 2017, du parlement de la Nouvelle-Zélande lorsqu’il qualifie de sujet de droit le fleuve Whanganui, « objet » de vieilles querelles entre les chefs Maori et le gouvernement du pays. La décision est historique : même si elle visait, pour partie, à résoudre la problématique de l’exploitation intensive du fleuve7, la consécration permet surtout au droit néo-zélandais de reconnaître l’existence de la cosmologie ancestrale des Maoris8 et la croyance selon laquelle existerait, entre les tribus et le fleuve, une confusion quasi biologique – « je suis le fleuve et le fleuve est moi »9. Depuis, la décision ne cesse d’inspirer : le pays lui-même d’abord lorsqu’il accorde la personnalité juridique au parc national, Te Urewera10 ; d’autres états ensuite, comme l’Uttarakhand avec le Gange et le Yamuna11 ou la Colombie avec le fleuve Atrato12.
Cette impulsion, venue d’ailleurs, rencontre un certain écho en France13. Les déclarations régionales visant à attribuer des droits aux éléments naturels (le fleuve Tavignanu corse14 ou plus généralement la Loire15) se propagent. La loi n° 95-101 du 2 février 1995 rappelle le besoin de développement des générations futures16 quand, de son côté, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 consacre la reconnaissance de l’animal comme être vivant doué de sensibilité17. Dans cette nouvelle philosophie, l’homme n’aurait aucun « privilège particulier à faire valoir »18, ce qui entraînerait la fin du « dualisme entre les hommes et le reste de la nature »19. L’abandon de l’« homocentrisme »20 annoncerait le début du « monisme » et permettrait de forger les philosophies de la deep ecology et de l’antispécisme. La première, directement inspirée des peuples primitifs21, viserait à établir une logique de réciprocité avec la nature ; la seconde projetterait l’abolition de toute discrimination forgée sur le critère de l’espèce22. En tout état de cause, ces deux mouvements signent la fin de la « tendance à la magnification de l’homme »23 : celui-ci cesse d’être la mesure de toute chose. La rupture avec la conception anthropocentrique des rapports entre la nature et l’homme est entamée : la nature est autrement plus qu’une étendue de matière utile aux hommes24. Elle est « bonne en soi indépendamment de toute cause (parce que Dieu l’a créée) et de toute conséquence (parce qu’ainsi les gens seront plus heureux ou plus vertueux) »25 et mérite, de ce fait, une protection intrinsèque.
La culture kanak est particulièrement sensible à cette philosophie écocentrique26. Son histoire précoloniale démontre un rapport très particulier (qualifié de rapport « enchanté »27 par Monsieur Victor David) de l’homme à la nature. En ce sens, les kanak seraient depuis toujours plongés dans une forme « d’indifférenciation » avec elle, notamment démontrée par l’utilisation, en langue kanak, des mêmes termes pour qualifier les organes du corps humain et certaines plantes. Complémentaires, il y aurait « entre l’homme et l’arbre une identité de structure et une identité de substances »28 ; la nature ferait ainsi corps avec l’homme. Véritable « décalque » inverse de l’affirmation jadis posée par Monsieur David Bollier (« demandez à des peuples indigènes s’ils “possèdent” leur terre, ils vous répondront que c’est leur terre qui les possède »29), l’article 110-3 du code de l’environnement de la Province des îles Loyauté30 avait indiqué que « l’homme appartient à l’environnement naturel qui l’entoure et conçoit son identité dans les éléments de cet environnement [qui] constitue le principe fondateur de la société kanak ». Le terrain était ainsi préparé à la reconnaissance plus spécifique de certaines entités juridiques naturelles (I). Les conséquences qu’elle entraîne sur l’architecture du droit français doivent être interrogées (II).

I. La reconnaissance de la qualité de sujet de droits aux espèces des requins et tortues marines : implications concrètes

La délibération du 29 juin 2023 constitue un système original présentant des innovations qui ne peuvent manquer d’intéresser le juriste. Elle n’est pas une proclamation symbolique, prétexte à injonctions non impératives. Elle reconnaît des droits fondamentaux aux entités naturelles (A), institue un mode de représentation spécifique et leur octroie une pleine capacité à agir en justice (B).

A. Des droits fondamentaux pour les entités naturelles impliquant des obligations pour la communauté

À l’égard des espèces animales et végétales, l’article 241-2 du code de l’environnement de la province des îles Loyauté édifie trois niveaux de protections distincts : un régime de protection ordinaire, spéciale ou renforcée. Les deux premiers relèvent des catégories classiques. Le troisième introduit une innovation juridique majeure puisqu’il prévoit la création des « entités naturelles sujets de droits »31. La construction de cette nouvelle catégorie repose sur le principe unitaire de vie, consacré depuis plusieurs années par le législateur de la province des îles loyauté. Reflétant l’idée d’une parfaite homogénéité entre la culture kanak et son environnement biologique, le principe justifie la désignation de deux espèces d’animaux comme sujets de droits fondamentaux : celles des requins et des tortues marines, tous deux considérés comme des animaux totémiques32.
Deux constats s’imposent ici. Le premier invite à relever que la catégorisation proposée par la délibération offre une différence forte avec celle du droit commun stricto sensu. Alors que le second opère une classification des animaux plus ou moins fondée sur la fonction qu’ils exercent à l’égard de l’homme33 (il y aurait ceux qui se trouvent « happés » par la protection du droit34 – les animaux captifs, d’élevage, de compagnie, d’expérimentation35 – et les autres, plongés dans l’abîme des « res nullius »36), la première privilégie un ordonnancement forgé sur le besoin de protection de l’animal en lui-même37. L’inspiration écocentrique de cette nouvelle proposition est symboliquement palpable : les animaux apparaissent désormais sur la scène du droit indépendamment du lien qu’ils peuvent (ou pouvaient) entretenir avec l’homme. Ce positionnement inédit justifie l’octroi de droits fondamentaux. C’est le second constat : l’inspiration écocentrique emporte l’utilisation des « armes » homocentriques dès lors que se trouve légitimée l’extension de droits purement humains à des êtres non humains. Le propos, ainsi abordé, n’est pas nouveau : les débats ayant accompagné l’émergence de la personnalité morale rappellent que cette « déculturation des droits humains »38 a déjà gagné le droit positif. Liberté d’expression39, liberté religieuse40, droit au respect de la vie privée41 : tous ont été accordés à une personne juridique dite « technique » dont on disait pourtant il y a peu qu’elle n’était pas le genre de « personne » à tenir compagnie au restaurant… La « déculturation » se poursuit ici : les espèces des requins et tortues se voient accorder des droits fondamentaux spécifiques que l’on pourrait ici distinguer en deux ordres. Les premiers assurent aux entités une protection immédiate, directe : l’on ne peut pas garder les individus requins et tortues en captivité, les priver de la liberté de circulation, en faire l’objet de brevet ou les muer en objet de propriété. Les seconds leur garantissent, à l’instar des dispositions similaires existant à l’égard des personnes juridiques humaines, un environnement sain, non contaminé par les activités humaines, dans lequel s’épanouir. À ces dispositions générales, s’ajoutent des dispositions plus spécifiques selon les espèces désignées42.
Ces droits fondamentaux ne sont pas sans effets : ils impliquent de véritables devoirs de la part des personnes juridiques. Dans l’hypothèse de leur violation, deux types de sanctions s’imposent. La sanction administrative, prévue à l’article 243-2 du code de l’environnement, contraint l’auteur des dégradations de l’habitat naturel (et, si son identification est impossible, la collectivité provinciale) à financer le retour de l’habitat à l’état d’origine. Les sanctions pénales, ensuite, punissent divers comportements : citons ainsi notamment le fait de dégrader de manière délibérée l’habitat des entités naturelles juridiques de nature à entraîner des effets nuisibles sur leur santé, passible de cinq ans d’emprisonnement et de 119 330 000 francs pacifiques d’amende43 ou le fait de harceler ou de perturber de manière intentionnelle ces espèces par une contravention de la quatrième classe44.

B. La constitution de « porte-paroles », garants des entités naturelles, et la capacité d’agir en justice

Manifestement inspiré du dispositif néo-zélandais45 dans lequel des personnes physiques œuvrent directement à la protection du fleuve46, le respect de la qualité de sujet de droits des espèces des requins et tortues implique également la désignation de personnes « à face humaine »47. En plus de rappeler la liste classique des agents habilités à constater les atteintes (directes ou indirectes) portées aux entités ainsi reconnues48, l’article 242-20 du code précité forge une catégorie inédite de personnes physiques destinées à assurer leur protection : les porte-paroles. Les mots ont leur importance : la notion de « mandataire » est récusée, sans doute par impossibilité d’appliquer ici le régime classique du mandat, lequel suppose un contrat entre deux personnes également en capacité de contracter. De même, le terme « tuteur » est évacué comme pour ancrer encore davantage l’idée que l’entité n’est pas un sujet de droit « protégé » – autrefois « incapable ». Le symbole est puissant : la parole, divine ou humaine, constitue bien un marqueur fort de la différence homme/animal. Cette altérité se dissipe peu à peu tandis que leur parole est désormais « portée » par des personnes désignées par l’assemblée de province pour chaque espèce49. Leur rôle est multiple : ils doivent être informés et consultés à propos de toutes les décisions impactant l’entité naturelle sujet de droits50, participent à l’élaboration d’éventuels plans de gestion de l’entité naturelle, peuvent s’autosaisir de toute question relative à l’espèce concernée51 et sont, en cas d’atteinte effective, chargés de solliciter le président de l’assemblée de province afin qu’il puisse saisir la justice52. En réalité, le porte-parole, selon la délibération précitée du 29 juin 2023, est plus qu’un interprète ou un communicant, au sens classique du vocable « porte-parole ». Il est un véritable nouveau régime de représentation : il ne se contente pas de se faire l’interprète car il agit au nom et pour le compte de l’entité. Auprès de qui les porte-paroles rendent-ils compte de leur mission ? La délibération précitée ne le spécifie pas mais cela s’explique par le fait que les décisions prises par les porte-paroles sont adoptées à l’unanimité des membres, garantie de légitimité et mode tout à fait approprié à la culture kanak où les décisions se prennent toujours par consensus.
L’autre grande innovation de la délibération réside dans la capacité, pour ces entités naturelles, à agir en justice. L’alinéa 3 de l’article 242-16 du code de l’environnement précité dispose ainsi que « chaque entité naturelle sujet de droit dispose d’un intérêt à agir, exercé en son nom par le Président de la province des îles Loyauté, par un ou plusieurs porte-paroles […], par les associations agréées pour la protection de l’environnement et les groupements particuliers de droit local à vocation environnementale […] »53. La reconnaissance de cette nouvelle capacité transforme substantiellement la condition des entités naturelles par rapport aux animaux du Code civil, notoirement privés d’un tel avantage et, de ce fait, dépendants des associations de protection. Le changement de paradigme est important : l’action contentieuse n’est plus exercée indirectement par rapport à l’animal mais, directement, au nom de l’entité naturelle sujet de droit. Il semble donc bien qu’il soit ici question plus précisément de la qualité à agir et non de l’intérêt à agir. En tout état de cause, l’octroi unilatéral d’un intérêt à agir, sans autres précisions, interrogerait à tout le moins. L’intérêt à agir est en général admis pour faire valoir la protection de ses propres intérêts : pour une personne physique, il s’agit de son intérêt personnel et, pour une personne morale, il s’agit de l’intérêt propre de la personne morale elle-même, mais aussi de l’intérêt de ses membres, voire des intérêts collectifs dès lors que ceux-ci rentrent dans son objet social. En ce cas, il appartient à chaque fois au juge de veiller que l’auteur de l’action en justice agit bien dans le cadre de cet intérêt à agir. Or, en l’espèce, la rédaction de l’article 242-16 du code précité pose le principe que chaque entité naturelle dispose d’un intérêt à agir mais ne vient pas limiter le périmètre de cet intérêt. Le risque d’un détournement de procédure par lesdites entités naturelles demeure toutefois faible dès lors qu’il ne fait aucun doute qu’à l’occasion d’un procès, le seul principe posé par l’article 242-16 du code précité ne résisterait pas à la preuve d’un défaut d’intérêt personnel ou direct, nécessairement vérifié par le juge.
La portée de ce dernier article revêt néanmoins les habits du symbole : même personnifié, l’animal nécessite toujours l’intervention d’une autre personne juridique pour le représenter en justice. La variété et la diversité des personnes investies de la « qualité » de représentation permet ici de présager une utilisation plus récurrente de l’action contentieuse. En ce cas, il s’agirait d’une réussite car le degré de protection de l’entité naturelle sujet de droit serait plus élevé que celui de l’animal du Code civil. Cette pluralité n’est pourtant pas toujours favorable : n’existe-t-il pas un risque de confusion, voire plus grave, de conflit d’intérêts entre les diverses autorités citées ? Si les porte-paroles agissent sur instruction du président de l’assemblée de province, lui-même à l’origine de leur nomination, leur capacité à s’opposer à l’une de ces décisions pourrait être amoindrie.

II. Surmonter la summa divisio des personnes et des choses : obstacles paradigmatiques

La nouvelle qualification d’« entité naturelle sujet de droits » interroge. Transcende-t-elle la traditionnelle54 distinction établie entre les personnes et les choses ? Ontologique, l’opposition entre les sujets et les objets de droit forge la finalité anthropologique55 du droit des personnes. Sa cohérence juridique justifie la pérennité de sa dualité (A) et pourrait amoindrir l’impact juridique de la qualification proposée par la délibération du 29 juin 2023 précitée (B).

A. Le délicat dépassement de la summa divisio des personnes et des choses ?

La summa divisio des personnes et des choses fonde l’architecture même du Code civil de 1804 : au Livre Ier consacré à l’étude « Des personnes », répond le Livre II destiné à l’analyse « Des biens et des différentes modifications de la propriété ». Originellement didactique, la division a progressivement pris les allures d’une assertion normative56 : il est, depuis, « sacrilège de traiter la personne comme une chose et irrationnel de traiter les choses comme des personnes »57. Protectrice, la qualification de « personne » devient « objet » de convoitise. Animaux, embryons, robots, défunts, chimères et même, désormais, l’humanité : les candidatures à l’accession de la personnalité abondent.
L’animal constitue sans nul doute l’une des propositions les plus sérieuses. Sa sensibilité a été invoquée comme critère suffisant à justifier l’attribution d’une telle qualité58. Entre temps, les études sur la proximité génétique de l’homme et l’animal ainsi que l’ensemble des capacités qu’il partage avec l’animal59 ont confirmé cette intuition d’extension. La personnalité juridique, après tout, n’est qu’une abstraction60 ; elle est le masque61 que revêt, sur la scène juridique, la personne arbitrairement désignée par le droit. Ce choix n’est pas figé dans le marbre, il dépend des époques car « chaque ordre juridique détermine quelles personnes entreront dans son cadre, en fonction de critères qu’il est libre de choisir »62 : l’homme libre et l’esclave, l’homme et la femme, le majeur et le mineur, la personne humaine et, désormais, la personne animale63...
Quelles perspectives en droit français ? Le législateur français institue l’animal comme « être vivant doué de sensibilité » ; l’autorité délibérante de la province des îles Loyauté fait des espèces des requins et des tortues des « entités naturelles sujets de droits ». La summa divisio est-elle toujours d’actualité depuis ces deux nouvelles qualifications ? La première prenait toutes les allures d’une révolution : l’architecture du droit civil était promise à une véritable reconfiguration structurelle64 dès lors que « l’être [de l’animal] prenait le pas sur l’avoir dans l’organigramme du droit »65. En principe, cela devait signifier, selon le professeur Loiseau, que « sa matérialité et ses utilités [étaient] secondarisées par rapport à sa sensibilité »66. La révolution, en réalité, n’a pas été totale. Le symbole, bien sûr, est très puissant. Récent, le droit animalier67 part de peu et sa maturation doit être lente pour qu’elle soit accueillie favorablement. Elle n’est donc pas, comme certains ont pu le penser, une « fausse bonne idée »68 : chaque avancée constitue assurément une pierre supplémentaire à la construction d’un édifice de protection solide69. Sans complètement métamorphoser la place de l’animal en droit, elle constitue le préalable nécessaire à la mise en place d’une évolution protectrice plus conséquente. Son aspect révolutionnaire, en revanche, doit être relativisé : l’article est plus descriptif qu’il n’est véritablement normatif70. Il ne fait que poser une définition de l’animal, ce qui a pu faire écrire au professeur Malinvaud que « sa place naturelle [se trouve] dans un dictionnaire »71. Sa spécificité est bien reconnue mais son statut juridique demeure, dans les grandes lignes, inchangé. Son basculement dans la catégorie des personnes est une chimère : l’animal reste, même en étant à la lisière du Livre Ier, ancré dans le Livre II. Quelques exemples de ce rattachement le démontrent : l’animal peut faire l’objet d’un contrat de location72 et, en cas de perte, sa « valeur » peut être remboursé... Rien ne permet de le confondre avec la personne73 : il ne peut guère être donataire ou légataire, sa destruction est autorisée sous certaines conditions et la responsabilité civile qui incombe au « propriétaire » de l’animal est analogue à celle de la responsabilité du fait des choses. Mais si la spécificité de l’animal a été reconnue et que son régime juridique n’a pas changé d’un « poil », est-ce à dire qu’il pourrait exister une troisième catégorie d’intervenants sur la place du droit civil ? La nature juridique de l’animal a-t-elle, autrement dit, changé, emportant la métamorphose future de son régime juridique ? Certains auteurs se sont déjà aventurés sur ce terrain. Le professeur Farjat constatait ainsi, dès 2002, l’existence des « centres d’intérêts », permettant de répondre à la « complexité et à la diversité de certaines situations, aux volontés diverses et parfois opposées des hommes »74. Sous cette troisième « figure », trois catégories émergeraient : « les succédanés de la personne morale », « les ombres des personnes physiques » et – c’est tout l’intérêt de sa proposition – « les choses et objets personnalisés »75. L’idée était moins de remettre en cause la summa divisio que de démontrer que l’absence de personnification d’un groupement de personnes (l’auteur cite les exemples de la famille et de l’entreprise) n’impliquait pas nécessairement leur requalification systématique en chose.
L’analyse peine pourtant à convaincre la doctrine majoritaire. Le professeur Libchaber rappelle ainsi qu’ « en droit civil, il n’y a pas de place pour trois catégories d’intervenants car la distinction des personnes et des choses structure tout l’espace »76. Du reste, rien de tel ne s’est produit avec la loi n° 2015-177 du 16 février 2015. Ce n’est pas le silence du législateur qui est ici interprété mais bien sa volonté qu’il est aisé de déchiffrer au vu de la place qu’il a fait occuper à l’actuel article 515-14 du Code civil. S’il avait véritablement voulu proposer une nouvelle catégorie d’intervenant, il n’aurait pas intégré ce dernier article dans le chapeau du Livre général réservé à l’ensemble des biens77 et aurait pris le soin de lui réserver son propre Titre préliminaire. Et, même s’il n’avait pas voulu modifier la structure du Code civil, il aurait au moins, à défaut, modifié l’intitulé du Livre II (comme, d’ailleurs, le préconisait le « Rapport sur le régime juridique de l’animal » de Madame Suzanne Antoine remis au garde des Sceaux le 10 mai 2005) comme suit : « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété ». Ces « occasions manquées » n’en sont donc pas : le législateur n'a pas institué une troisième catégorie d’intervenants dans le Code civil.
Deux principales raisons expliquent l’hégémonie (et, de fait, la permanence) d’une distinction aussi radicale : la perception du droit de propriété en droit civil et la vision encore fortement anthropocentrée du droit des personnes. La première découle du caractère absolu du droit de propriété, nécessairement pensé « comme un rapport de soumission totale entre une chose et son maître »78. Ainsi forgé, le droit de propriété entraîne l’existence d’une relation d’inégalité et de subordination entre le titulaire du droit et la chose sur laquelle celui-ci s’exerce : « l’une d’entre elle – la personne – a une substantialité majeure vis-à-vis de l’autre […] un véritable abîme existentiel sépare ces deux entités »79. Le droit de propriété ne peut ainsi se déployer dans la demi-mesure : sa nature commande l’exclusivité et rejette la possibilité d’un « milieu » ou d’un « entre-deux ». Impossible de songer à l’exercice d’un droit de propriété sur une « demi-personne »80 ; irréaliste d’imaginer une « demi-chose » gouverner une personne… « On peut parler d’une moitié de maison ; on ne saurait parler d’une “moitié de personne” »81. La seconde, ensuite, constitue la raison d’être de cette architecture personne/chose : les lois sont édifiées pour les hommes en société. Le droit est « cultivé » par et pour l’humain ; la « notion de personne est indissolublement liée à la condition d’être humain […] lui seul peut être en même temps sujet et destinataire du droit »82.
L’apparition de la personnalité morale a quelque peu démenti, fragilisé cette dernière vision des « droits humains »83. Elle confirme, en tout cas, l’hypothèse selon laquelle la personnalité juridique constituerait toujours une affaire d’idéologie. Elle est le produit « commandé » de l’ordre juridique et explique que, désignés par la loi ou par la jurisprudence, les acteurs de la scène juridique ne sont pas toujours les mêmes selon les époques. Pourquoi pas, donc, apposer le précieux masque sur le visage de l’animal ? En ce sens, il y a plus d’un siècle, ainsi inspiré par l’existence de cette personnalité particulière conférée à des êtres dépourvus d’existence physique, Demogue entreprend la construction d’une « théorie technique » de la personnalité juridique. Chassant « l’esprit un peu terre à terre qui a tant dominé le droit »84 depuis des décennies en instituant l’homme vivant comme seul sujet de la scène juridique, l’auteur rappelle que le droit est avant tout un outil utile : il existe « pour donner une satisfaction, procurer un plaisir, épargner une douleur »85, il est cette « chose infiniment belle, […] le terrain de rapprochement […] de ceux qui peuvent souffrir, […] le syndicat de luttes contre les souffrances »86. Sa proposition, lumineusement moderne, est claire : cohabiteraient, dans la même catégorie, le sujet de jouissance et le « sujet de disposition jouissance »87. Or si le second reste limité aux « personnes appartenant à l’humanité raisonnable, [excluant donc] le fou, l’idiot, l’enfant en bas âge et, à plus forte raison, l’animal »88, le premier pourrait recueillir ces derniers individus et « s’étendre au-delà de l’humanité », c’est-à-dire « à tout être capable de souffrir »89. À cet égard, l’auteur subordonne la reconnaissance de ces sujets de jouissance à la réunion de deux conditions : un intérêt distinct (« la qualité de sujet de droit appartient aux intérêts que les hommes vivant en société reconnaissent suffisamment importants pour les protéger »90) et l’existence d’organes en mesure de mettre ce dernier intérêt en œuvre. La première condition pourrait être remplie depuis que l’interdiction des mauvais traitements infligés à l’animal n’exige plus que ceux-ci aient été réalisés en public91, preuve que l’intérêt de l’animal est désormais distinct de celui de son propriétaire92. La seconde condition se trouve ensuite satisfaite par l’article 2-13 du Code de procédure pénale qui prévoit que « toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à l’époque des faits et dont l’objet statuaire est la défense des animaux peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions réprimant les sévices graves ou actes de cruauté et les mauvais traitement envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal prévues par le code pénal ». Aussitôt, bien conscient des enjeux, l’auteur anticipe la polémique : « ici tout le monde, sauf de rares exceptions, se récrie : faire de l’animal un sujet de droit, quelle horreur! quelle abomination! A entendre ces cris, ne semblerait-il pas qu’il s’agit de leur donner quelque décoration et d’imiter Héliogabale faisant son cheval consul? »93. Efficace, sa défense tient en une ligne : « il s’agit simplement de poser une règle technique »94. « Est-il commode », ajoute-t-il, « pour centraliser des résultats souhaitables, de considérer même des animaux comme sujets de droit? Si une personne veut laisser une rente pour entretenir un animal, n’est-il pas plus simple, plus près de la réalité, de dire que cet animal a une rente, au lieu d’admettre ces procédés alambiqués consistant à dire : on pourra léguer une rente à n’importe quelle personne en charge par elle d’entretenir l’animal? »95.
La personnalité juridique, selon Demogue, est donc une personnalité purement technique. Elle ne contredit pas le principe selon lequel il ne peut exister un troisième intervenant sur la scène du droit puisqu’elle forme une nouvelle personne juridique, toujours opposée à la catégorie des choses. Mais, pour cela, elle doit évidemment, à un moment ou à un autre, être spécialement reconnue à l’entité d’intérêt. Ce n’est, à nouveau, pas ce qui s’est produit à l’égard de l’animal, resté enchâssé dans la catégorie bien connue pour former l’antithèse même de la personne. La rigueur et l’exclusivité de la summa divisio des personnes et des choses s’opposent encore formellement à son exérèse complète de la catégorie des choses. Plus habile dans les termes qu’elle mobilise, la qualification « d’entité naturelle sujet de droits » permet d’éviter la confrontation directe avec la traditionnelle distinction ontologique. Mais, si la rencontre n’est pas tout à fait frontale, elle n’en reste pas moins fatale pour la qualification nouvelle proposée s’il s’agit d’intégrer, telle qu’elle est actuellement envisagée, l’entité au sein de la catégorie des personnes.

B. Les difficultés d’une personnalité juridique sans devoirs

La délibération ne fait aucunement mention de la « personnalité » des espèces des tortues ou des requins. Seule la qualification de « sujet de droits » est utilisée. Ce choix interroge. Il rappelle la proposition de Demogue. Audacieuse, la délibération chercherait-elle à contourner les obstacles entourant les tentatives de dépassement de la summa divisio ? Employer « sujet de droits » en lieu et place de « personne juridique » pourrait constituer une manière détournée de s’affranchir de la rigoureuse division normative. La notion s’y prête : son origine est doctrinale96 et sa faible utilisation dans la jurisprudence de la Cour de cassation97 jette une certaine confusion sur sa proximité avec le terme de « personne juridique ». Les deux formules sont pourtant jugées synonymes : le sujet comme la personne renvoient à la même réalité juridique. Tous deux sont des acteurs du droit : « tout être personnifié est un sujet de droit »98, tout sujet de droit est un être personnifié. Partant, la distinction personne/chose, faussement chassée du débat par l’utilisation du terme « sujet de droits », se saisit à nouveau de la qualification. Le bât est sur le point de blesser à deux reprises.
Au regard de l’étendue des droits fondamentaux conférés aux entités naturelles, la délibération outrepasse la protection accordée aux animaux en droit français. Aucun droit de propriété ne peut être exercé sur un individu requin ou tortue, le brevet est exclu, la liberté d’aller et venir du « sujet », garantie : c’est autrement plus que le régime juridique de l’animal comme être sensible issu du Code civil et infiniment mieux que celui de l’animal sauvage « res nullius » vivant à l’état de liberté… Envisagée sous cet angle, la nouvelle délibération ne s’opposerait pas à la distinction personne/chose mais chercherait au contraire à la confirmer en intégrant les entités naturelles dans la catégorie des personnes par le biais de la notion de « sujet de droits ». C’est ici que la qualification peut interroger. Inspirée de la personnalité dénuée de devoirs accordée à la Mar menor99 espagnole et dans la droite lignée de « l’intérêt juridique protégé » défendu par Rudolf Von Jhering100, l’article 242-16 du code précité dispose de façon lapidaire que les entités naturelles « n’ont pas de devoirs ». L’alinéa suivant précise qu’elles ne sont pas responsables ; pas plus que les personnes investies de la qualité de représentation de celles-ci. La délibération prend ici son indépendance par rapport aux précédents doctrinaux et étrangers qui l’inspiraient manifestement. Les recommandations émises par Monsieur Christopher Stone dans son article quant à l’importance, pour le sujet de droit, de prendre en charge les dommages causés par sa « personne »101 semblent avoir été ignorées tandis que, contrairement au fleuve Whanganui, responsable juridiquement et titulaire de devoirs, les espèces des requins et tortues kanak évoluent sans assujettissement aucun. En ce sens, la délibération se rapprocherait nettement de la conception du « sujet de droit » proposée par Demogue102 qui désigne simplement ceux qui ont « la capacité d’avoir des besoins qui peuvent être protégés par la loi » et non ceux qui auraient nécessairement des devoirs103. Cette approche se retrouve également sous la plume de Carbonnier pour qui le sujet de droit renvoie – tout simplement – aux « êtres capables de jouir de droits »104. Cette définition, comme le relève Madame Marie-Angèle Hermitte, clarifie le propre du sujet de droit : « lorsque Jean Carbonnier affirme que le seul point commun entre les personnes physiques et morales est leur aptitude à jouir de droits, il attire notre attention sur leur qualité d’êtres de jouissance, sans invoquer quelque obligation que ce soit »105. Ainsi, « en mettant l’accent sur la seule jouissance comme caractéristique du sujet de droit »106, l’auteur rappelle la possibilité théorique de former un sujet de droit dénué de toute obligation107.
Cette possibilité théorique est-elle, pour autant, idéale ? Cette conception du sujet de droit épouse difficilement la conception encore très anthropocentrée de notre droit. Il suffit de s’en rapporter à l’étymologie latine du terme de « sujet de droit » (« subjectus », « assujetti ») pour comprendre que le sujet est classiquement compris comme devant être soumis à son Prince. Ses deux visages apparaissent complémentaires : le sujet de droit est à la fois un « sujet-acteur ou sujet-débiteur au gré des situations »108. Droits et devoirs sont traditionnellement liés ; leur réunion permet la formation d’un sujet de droit parfaitement cohérent. L’exemple du requin est particulièrement évocateur en ces périodes où les attaques, dans la province voisine, se multiplient : un individu pourra être condamné pour avoir attiré le poisson afin de l’observer mais il ne pourra pas se retourner contre ce dernier en cas de morsure… Loin de plaider ici en faveur du retour des procès d’animaux médiévaux, il faut toutefois reconnaître le caractère asymétrique de la délibération : une entité naturelle sujet de droit peut être la victime d’une personne physique mais non l’inverse. Cette asymétrie apparaît évidemment volontaire : il aurait semblé relativement aisé de puiser dans les « réserves » du patrimoine de l’entité naturelle (patrimoine « garni » des dommages et intérêts reçus en cas d’atteinte à son environnement par exemple) pour indemniser la personne physique mutilée. Mais, en ce cas, le poisson se mordrait la queue puisque la création d’un patrimoine servirait à en indemniser un autre… Or l’ambition, ici, n’est pas de créer un sujet de droit comme équivalent de la personne humaine mais d’évacuer l’homme des centres des préoccupations. Dans la mesure où seule l’entité naturelle peut être considérée comme une victime, la hiérarchie s’inverse et confronterait ainsi directement, selon nous, le principe de primauté de la personne humaine, posé à l’article 16 du Code civil109.
L’exigence classique de ces deux conditions (des droits et des devoirs) pourrait être surmontée : le droit, happé par la philosophie écocentrique, pourrait progressivement délaisser ses revendications anthropocentrées pour accueillir de nouvelles formes de personnalités. L’hypothèse n’est pas impossible. Une difficulté demeure néanmoins. Elle puise sa source dans les racines du droit : édicté par l’homme, il ne peut qu’être anthropocentré. D’ailleurs, Demogue, lui-même, inscrivait sa personnalité technique dans une conception plus ou moins anthropocentrée du droit puisqu’il écrivait que « la qualité de sujet de droit appartient aux intérêts que les hommes vivant en société reconnaissent suffisamment importants pour les protéger par le procédé technique de la personnalité »110. Cette conception anthropocentrique guide ainsi paradoxalement (mais nécessairement111 !) la catégorisation des espèces animales que l’on voudrait pourtant voir définitivement détachée de l’homme : c’est bel et bien toujours l’homme qui « distribue » des droits. Ici, aux espèces des requins et tortues mais pourquoi pas à celles des dauphins et des baleines, également en danger et d’importance certaine dans la culture kanak ? Au même moment, dans la province Sud, une délibération déclasse les requins-tigres et bouledogues de la liste des espèces protégées112… L’on sent bien ici l’influence homocentrique de cette dernière déchéance. Si l’homme et la nature étaient sur une même échelle, le droit ne ferait que constater ce que la nature exprime.
La qualité de « sujet de droits » peut ainsi soulever quelques difficultés si l’entité en question n’est pas titulaire de devoirs. Cette dernière absence est notamment particulièrement problématique s’agissant du requin dont on sait bien que sa rencontre avec l’homme peut être (bien que rarement) la source d’un dommage corporel pour ce dernier… En revanche, la présente délibération pourrait offrir un terrain de réflexion fertile quant à la possibilité de rebâtir la catégorie des biens en y incluant les entités se trouvant, pour reprendre la célèbre formule du professeur Marguénaud, « en état de lévitation juridique »113. Elle va en effet plus loin que la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 : plus que poser une définition, elle institue un véritable statut juridique de l’entité naturelle. Elle lui octroie une place à part et la singularise réellement de la catégorie des choses. Elle désolidarise véritablement – d’un point de vue théorique au moins – l’intérêt de l’animal de celui de l’homme.

La summa divisio des personnes et des choses demeure sauve : le sujet de droit est le synonyme de la personne et la personne manque quelque peu de cohérence si elle n’est pas assujettie directement ou indirectement à des devoirs. Sauvé, l’« axiome »114 romain n’en sort pas tout à fait indemne : la délibération précitée instaure une réflexion sur l’influence croissante, au XXIe siècle, d’une conception écocentrique éloignée de l’anthropomorphisme et de l’ethnocentrisme des rédacteurs du Code civil. Devant les défis écologiques, les débats s’intensifient : faut-il abolir la distinction ontologique entre les personnes et les biens, accueillir de nouvelles entités au sein de la première catégorie ou consentir à rebâtir la seconde ? La première possibilité ne convainc pas : quelle que soit la définition de la personne retenue, notre ordre juridique tout entier ne peut que graviter autour de deux pôles antinomiques. La deuxième possibilité n’est évidemment pas exclue : les travaux de Demogue ainsi que l’existence des personnes morales témoignent de sa faisabilité. Il reste que, pour cela, il faudrait, en considération de la nature encore très anthropocentrée de notre droit et notamment en raison du principe de primauté de la personne humaine, que l’entité naturelle devienne également un « sujet-débiteur »115. La troisième possibilité, quant à elle, pourrait très largement s’inspirer de la création juridique des « entités naturelles sujets de droits », ainsi élaborée par la délibération exposée. Le coup de boutoir ou la pichenette, l’avenir le dira, vient d’un peuple premier. Tout un symbole.

  • 1 

    Délibération n° 2023-28/API du 29 juin 2023 relative au code de l’environnement de la province des îles Loyauté.

  • 2 Sur ce point, J.-P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux en France. Une lueur calédonienne », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2/2017, pp. 15-20, spéc. p. 16.
  • 3 L. Ferry, « Le nouvel ordre écologique. L'arbre, l'animal et l'homme », Grasset, 1992, pp. 15-19.
  • 4 M. Serres, « Le contrat naturel », François Bourin, 1990.
  • 5 C. Stone, “Should Trees have Standing? Toward legal Rights for Natural Objects”, Southern California Law Review, n° 45, 1972, pp. 450-501.
  • 6 La Pacha Mama signifie la Terre mère.
  • 7 L’élaboration de ce dispositif répondait à deux objectifs distincts. Il fallait, d’abord, résoudre la problématique de l’exploitation du fleuve exercée par certains en dépit de la possession des terres accordée aux quatorze chefs Maori, depuis le traité de Waitangi signé en1840. L’attribution d’une personnalité juridique permettait ainsi à la fois d’honorer ce dernier traité sans toutefois léser les propriétaires des constructions édifiées entre temps sur le fleuve.
  • 8 P. Brunet, « L’écologie des juges. La personnalité juridique des entités naturelles (Nouvelle-Zélande, Inde et Colombie) », in M.-A. Cohendet, Droit constitutionnel de l’environnement ; regards croisés, Mare & Martin, pp. 303-325.
  • 9 « Ko au te awa, ko te aa ko au », proverbe cité par P. Brunet, ibid., spéc. p. 306.
  • 10 Te Urewera Act, n° 51, 27 juillet 2014, spéc. §4.
  • 11 High Court of Uttarakhand, Mohd Salim v. State of Uttarakhand & others, Writ Petition (PIL), n° 116 of 2015, 20 mars 2017, §19, cité par P. Brunet, ibid., p. 303.
  • 12 E. Macpherson, F. Clavijo Ospina, “The pluralism of river rights in Aotearoa, New Zealand and Colombia”, The Journal of Water Law, 2018, vol. 25, p. 283-293.
  • 13 V. ainsi M.-A. Hermitte, « Le concept de diversité biologique et la création d’un statut de la nature », in B. Edelman, M.-A. Hermitte, L’Homme, la nature et le droit, Paris, Christian Bourgois, 1988, pp. 238-372.
  • 14 « En Corse, le combat du fleuve qui parle », Le Monde, 11 juillet 2022.
  • 15 V. notamment C. de Toledo, « Le fleuve qui voulait écrire », Manuella éd., 2021.
  • 16 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, JORF n° 29 du 3 février 1995.
  • 17 Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, JORF n° 40 du 17 février 2015.
  • 18 F. Ost, « La nature hors la loi, L’écologie à l’épreuve du droit », La Découverte, 2003, p. 13.
  • 19 B. Devall et G. Sessions, op. cit., p. 245.
  • 20 P.-J. Delage, « La condition animale. Essai sur les justes places de l’Homme et de l’animal », Mare & Martin, 2014, p. 268, n° 87.
  • 21 F. Ost, op. cit., p. 153 : cette philosophie « a ses peuples élus (les natives Américains et, de manière générale, tous les peuples “primitifs” qui ont su vivre en osmose avec la nature ».
  • 22 J.-B. Jeangène Vilmer, « L’éthique animale », PUF, 2008 p. 20.
  • 23 P.-J. Delage, op. cit., p. 286, n° 92.
  • 24 J.-P. Pierron, « Qu’est-ce que les relations entre droit et environnement disent de nous ? », Les cahiers de la justice, 2019, p. 417.
  • 25 C. Stone, “Should Trees have Standing ? Toward legal Rights for Natural Objects”, op. cit., spéc. p. 52.
  • 26 J.-P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux en France. Une lueur calédonienne », op. cit., spéc. p. 20 : « la personnalité technique pourrait tout aussi bien servir à reconnaître et traduire une identité culturelle marquée par un lien mythique des ancêtres fondateurs ayant des totems pris dans la nature particulièrement parmi les animaux comme les requins et les tortues ».
  • 27 V. David, « Pour une meilleure protection juridique de l’environnement en Nouvelle-Calédonie. Innover par la construction participative du droit », thèse, Paris, 2018, spéc. p. 27.
  • 28 M. Leenhardt, Do Kamo, cité par V. David, op. cit., p. 53.
  • 29 D. Bollier, « La reconnaissance de communs. Pour une société de coopération et de partage », trad. fr. O. Petitjean, Paris, Charles Léopold Mayer ed., 2014, spéc. p. 110.
  • 30 Rappelons ici que trois provinces constituent la Nouvelle-Calédonie : la Province Sud, la Province Nord et la Province des îles Loyauté.
  • 31 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-16.
  • 32 Soulignons néanmoins que l’ambition de la délibération n’est pas de s’arrêter à ces deux espèces d’animaux ni même à une espèce animale en particulier puisque la délibération prévoit d’ores et déjà l’octroi, en vertu de la seconde partie de l’article 242-18 du code précité, de droits fondamentaux aux écosystèmes et sites naturels.
  • 33 Sur ce point, v. C. Vial, « Au soutien de la protection de l’animal, le classement de l’animal transcatégoriel », in Ranger l’animal. L’impact environnemental de la norme en milieu contraint II. Exemples de droit colonial et analogies contemporaines, E. De Mari et D. Taurisson-Mouret (dir.), Victoires éditions, pp. 21-33, spéc. pp. 25-27.
  • 34 Cette protection est notamment organisée par le Code pénal à l’article 521-1 (« le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ») et par la reconnaissance de la sensibilité de l’animal dans le Code rural et de la pêche maritime (article L. 214-1) ainsi que dans le Code civil (article 515-14).
  • 35 Et, même dans ce cas, la reconnaissance de leur sensibilité cesse là où commence l’intérêt de l’homme. Sur ce point, S. Desmoulin, « Les frontières de l’animalité : changer de perspective ? », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2/2022, p. 259 : « On observera […] que les limites de la protection juridique imposée au regard de la sensibilité restent, elles, déterminées en fonction des utilités de l’animal, l’animal de compagnie étant protégé jusqu’à la fin de sa vie naturelle, la protection de l’animal de rente s’arrêtant lorsqu’est venu le moment de son abattage, celle du taureau n’allant pas au-delà du début du spectacle de corrida » (nous soulignons).
  • 36 La reconnaissance de la sensibilité de l’animal sauvage vivant à l’état de liberté fait débat depuis longtemps. La formule de l’article 515-14 du Code civil est suffisamment large pour l’inclure mais la position de l’article dans le Livre II « Des biens et des différentes modifications de la propriété » laisse entendre qu’il n’est ici question que de la sensibilité de l’animal approprié par l’homme. Sur ce point, M. Desvallon, « Sensibilité et animaux non domestiques détenus en captivité », in La sensibilité animale. Approches juridiques et enjeux transdisciplinaires, A. Quesne (dir.), Mare & Martin, 2023, pp. 166-167 : « Les deux textes majeurs sur la sensibilité de l’animal ont en commun la référence au caractère approprié de l’animal sauvage […]. La considération de la ou des sensibilités de l’animal non domestique ne résulterait pas de sa nature biologique mais serait inhérente à son appropriation par l’homme. C’est donc le rattachement à la propriété de l’homme qui conférerait un caractère sensible. Ainsi la domestication par l’homme rendrait les animaux sauvages doux comme des agneaux tandis qu’un gibier d’élevage deviendrait une bête féroce une fois libéré de la main de l’homme ». V. également J.-M. Neumann, « La sensibilité de l’animal sauvage libre saisie par le droit », in La sensibilité animale. Approches juridiques et enjeux transdisciplinaires, A. Quesne (dir.), Mare & Martin, 2023, pp. 150-151 : la sensibilité des animaux sauvages vivant à l’état de liberté « est ignorée par le droit français ; ce dernier va même jusqu’à nier leur individualité (ils ne sont reconnus qu’à raison de leur appartenance à une espèce ; ils constituent un élément de la nature) ». L’auteur concède néanmoins, quelques lignes plus loin, qu’en dépit de cette occasion manquée dans le Code civil, il existe « un début de prise en compte » de la sensibilité de l’animal sauvage dans le Code de l’environnement. Deux articles sont concernés. Le premier, l’article L. 412-2 prévoit que si la réalisation d’expériences biologiques, médicales ou scientifiques effectuées sur des animaux d’espèces non domestiques non tenus en captivité est susceptible de leur causer des douleurs, elle est soumise à autorisation. Le second, l’article R. 427-17, dispose que « le ministre chargé de la chasse fixe les conditions d’utilisation des pièces, notamment de ceux qui sont de nature à provoquer des traumatismes, afin d’assurer la sécurité publique et la sélectivité du piégeage et de limiter la souffrance des animaux ». Sur une position contraire défendant l’idée que la sensibilité de l’animal sauvage est également reconnue par l’article 515-14 du Code civil et que celui-ci est donc, désormais, en avance sur le Code pénal : J.-P. Marguénaud, « Les animaux êtres vivants doués de sensibilité », JCl. Civil Code, Art. 515-14, Fasc. unique, 2023, p. 3, §12.
  • 37 Une précision, ici, s’impose. Le législateur français, bien sûr, a beaucoup progressé sur la question de la protection de l’animal en lui-même. La loi Grammont, qui soumettait l’interdiction de la souffrance des animaux au fait qu’elle soit publique (il importait, autrement dit, qu’elle choque la sensibilité humaine), a depuis été remplacée et la condition de publicité des mauvais traitements, supprimée. Néanmoins, ainsi qu’exposé précédemment, l’animal approprié par l’homme demeure plus protégé que l’animal sauvage vivant à l’état de liberté. Ainsi, en droit commun, l’animal est effectivement protégé pour lui-même (qu’importe que l’acte de cruauté réalisé à son égard ait été réalisé publiquement ou non, ce qui démontre que c’est bien sa sensibilité qui est protégée et non plus celle des hommes) mais cette protection semble tenir à sa condition d’animal approprié. Il existe donc toujours un rapport de protection de l’animal lié à l’homme. La délibération apparaît, de ce fait, sur ce point, particulièrement innovatrice.
  • 38 G. Loiseau, « Des droits humains pour personnes non humaines ? », D. 2011, p. 2558.
  • 39 CEDH, 22 mai 1990, Autronic AGC c/ Suisse, req. n° 12726/87.
  • 40 CEDH, 30 juin 2011, Assoc. Les Témoins de Jéhovah c/ France, req. n° 8916/05.
  • 41 CE, 7 octobre 2022, no 443826. V. sur ce point N. Matey, « Les droits et libertés fondamentaux des personnes morales de droit privé », RTD civ. 2008, p. 205.
  • 42 Pour les requins, l’activité dite de « shark feeding » notamment est interdite (art. 242-24 du code précité) ; pour les tortues, il devient interdit, en particulier, d’approcher à une distance de moins de 10 mètres ou d’introduire des chiens sur les sites de pontes en période propices à celles-ci (art. 242-25 du code précité).
  • 43 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-3.
  • 44 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-6.
  • 45 Déjà, en 2015, le professeur Marguénaud imaginait que le dispositif de la Province des îles Loyauté pouvait se calquer sur le modèle néo-zélandais : J.-P. Marguénaud, « Actualité et actualisation des propositions de René Demogue sur la personnalité juridique des animaux », Rev. jur. env., 2015, n° 1, pp. 73-83.
  • 46 Le dispositif de protection du fleuve mêle également des personnes physiques : le bien-être du fleuve est ainsi confiée à l’entité « Te Kōpuka », composée de personnes présentant un intérêt pour le fleuve et visant, même dans le cadre de son utilisation commerciale, à prévenir son aliénation tandis que ses droits, devoirs et responsabilité juridiques sont gérés par une entité « gardienne » à « face humaine », appelée « Te Pou Tupua », comprenant les tribus du Whanganui et le Minister for Treaty of Waitangi Negotiations. Te Awa Tupua, 2017, Part 2. S. 14.
  • 47 Pour reprendre les termes utilisés dans le dispositif néo-zélandais.
  • 48 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-1 : il s’agit des officiers et agents de police judiciaire, agents des douanes, fonctionnaires ou agents assermentés et commissionnés à cet effet.
  • 49 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-21 : ils sont 6 au maximum et 3 sont proposés par chacun des conseils d’aire coutumiers.
  • 50 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-22.
  • 51 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-21.
  • 52 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-22.
  • 53 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-3.
  • 54 L’on fait remonter son existence aux Institutes de Gaïus : Inst. Gaïus : I, 8 : « Omne autem jus quo utimur vel ad personas pertinet, vel ad res, vel ad actiones ».
  • 55 R. Libchaber, « La recodification du droit des biens », in Le Code civil, 1804-2004, Livre du bicentenaire, J. Carbonnier, J.-L. Halpérin et al. (dir.), LexisNexis, Dalloz, 2004, spéc. p. 324.
  • 56 N. Anciaux, « Essai sur l’être en droit privé », préf. B. Teyssié, LexisNexis, p. 26, n° 30.
  • 57 A. Supiot, « Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit », éd. du Seuil, 2005, p. 59.
  • 58 J.-P. Marguénaud, « L’animal en droit privé », Limoges, PUF, 1992.
  • 59 V. notamment Y. Christen, « L’animal est-il une personne ? », Flammarion, 2011.
  • 60 N. Anciaux, op. cit., p. 35, n° 42.
  • 61 Y. Thomas, « Le sujet de droit, la personne et la nature », in Sur la critique contemporaine du sujet de droit, Le Débat 1998/3, p. 98.
  • 62 R. Libchaber, « L’ordre juridique et le discours du Droit. Essai sur les limites de la connaissance du droit », LGDJ, 2013, p. 219, n° 162.
  • 63 V. notamment J.-P. Marguénaud, « La femelle chimpanzé Cécilia, premier animal reconnu comme personne juridique non humaine », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2/2016, p. 15-26 ; J.-P. Marguénaud, F. Burgat, J. Leroy, « La personnalité animale », D. 2020, p. 28. V. également X. Perrot, « L’agentivité juridique des choses-personnes. La summa divisio transgressée ? », in Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial (dir.), Mare & Martin, 2021, pp. 175-201.
  • 64 J.-P. Marguénaud, « Une révolution théorique : l’extraction masquée des animaux de la catégorie des biens », JCP G 2015, 305 ; J.-P. Marguénaud et X. Perrot, « Le droit animalier, de l’anecdotique au fondamental », D. 2017, p. 996 et s.
  • 65 G. Loiseau, « L’animal et le droit des biens », Revue semestrielle de droit animalier, n° 1/2015, pp. 425-426.
  • 66 G. Loiseau, ibid., p. 427.
  • 67 Sur la notion de droit animalier : v. notamment R. Nerson, « La condition de l'animal au regard du droit », D. 1963, chron. p. 1 ; J.-P. Marguénaud, F. Burgat, J. Leroy, « Le droit animalier », PUF, 2016 ; F. Burgat, « Les animaux ont-ils des droits ? », La documentation française, 2022, spéc. pp. 64-98.
  • 68 P. Malinvaud, « L'animal va-t-il s'égarer dans le code civil ? », D. 2015, p. 87.
  • 69 J. Leroy, « Le renouvellement des rapports entre les êtres humains et les animaux », in Quel type de personnalité juridique pour les entités naturelles ?, Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial (dir.), Mare & Martin, 2021, pp. 271-276, spéc. p. 271.
  • 70 P.-J. Delage, « Regard critique sur les propositions doctrinales tendant à modifier le statut juridique des animaux », in La sensibilité animale. Approches juridiques et enjeux transdisciplinaires, A. Quesne (dir.), Mare & Martin, 2023, pp. 219-228.
  • 71 P. Malinvaud, op. cit., p. 87.
  • 72 Volontairement, le droit de propriété n’est pas ici cité ; il a été largement démontré que le droit de propriété exercé par un propriétaire sur son animal n’est plus aussi absolu qu’il l’était auparavant. V. J.-P. Marguénaud, « Les animaux sont-ils encore des biens ? Prendre au sérieux la sage réponse du droit suisse », in Les animaux et les droits européens. Au-delà de la distinction entre les hommes et les choses, J.-P. Marguénaud et O. Dubos (dir.), Pedone, 2009, p. 51 : « Comment ces animaux peuvent-ils continuer à être qualifiés de meubles ou d’immeubles, c’est-à-dire de biens soumis au droit de propriété, si les prérogatives absolutistes de celui qui en est officiellement le propriétaire sont limitées dans le propre intérêt ? En effet, si le droit de propriété, qui est le plus énergique des droits réels, se caractérise toujours par un pouvoir direct et immédiat sur une chose, il est logiquement impossible d’admettre des limitations aux prérogatives du propriétaire dans l’intérêt de la chose appropriée elle-même car alors on créé un écran excluant immanquablement le caractère direct et immédiat participant de l’essence même des droits réels. Or, ceux que l’on dit encore propriétaires des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, sont les seuls dont les prérogatives ne soient pas limitées, comme celles de tant d’autres, dans l’intérêt général ou dans l’intérêt des tiers mais dans l’intérêt propre des êtres vivants sur lesquels portent leurs droits. C’est peut-être qu’ils n’en sont plus véritablement propriétaire au sens habituel du terme ». V. également L. Boisseau-Sowinski, « La désappropriation de l’animal », PULIM, 2013.
  • 73 Contra : M.-A. Hermitte, « Les droits de l’homme pour les humains, les droits du singe pour les grands singes ! », Le Débat, 2000/168, p. 168, spéc. p. 173 : « Il me semble que, chaque fois que l’on octroie à un animal un droit destiné à lui permettre d’exprimer sa nature propre et non les besoins de l’homme à son égard, on l’envisage comme sujet et non comme objet de droit ».
  • 74 G. Farjat, « Entre les personnes et les choses, les centres d’intérêts. Prolégomènes pour une recherche », RTD civ. 2002, p. 221 et s., spéc. p. 230.
  • 75 G. Farjat, ibid., p. 221 et s., spéc. pp. 224, 228 et 232.
  • 76 R. Libchaber, « Perspectives sur la situation juridique de l’animal », RTD civ. 2001, p. 239 et s., spéc. p. 241.
  • 77 Bien que, relevons-le toutefois, il a été intégré dans le chapeau et non directement dans le Livre.
  • 78 R. Libchaber, « La recodification du droit des biens », in Le Code civil, 1804-2004, Livre du bicentenaire, J. Carbonnier, J.-L. Halpérin et al. (dir.), LexisNexis, Dalloz, 2004, p. 297 et s., spéc. p. 305.
  • 79 R. Anderno, « La distinction juridique entre les personnes et les choses à l’épreuve des procréations artificielles », préf. F. Chabas, LGDJ, 1996, spéc. p.6.
  • 80 N. Anciaux, op. cit., p. 28, n°32.
  • 81 R. Anderno, op. cit., spéc. p. 134.
  • 82 R. Anderno, ibid., p. 32.
  • 83 G. Loiseau, « Des droits humains pour personnes non humaines », D. 2011, p. 2558.
  • 84 R. Demogue, « La notion de sujet de droit, caractères et conséquences », Hachette Bnf, Sciences sociales, 2017, p. 4.
  • 85 Ibid., p. 8-9.
  • 86 Ibid., p. 10.
  • 87 Ibid., p.11.
  • 88 Ibid., p.10.
  • 89 Ibid., p.11.
  • 90 R. Demogue, op. cit., p. 20.
  • 91 En ce sens, J.-P. Marguénaud, « L’animal en droit privé », op. cit., pp. 387 et s. ; du même auteur, v° Animal dans le « Dictionnaire de la culture juridique », PUF/Lamy, 2003.
  • 92 À nouveau, le propos doit être nuancé. D’abord, cet intérêt distinct existe surtout si l’animal est approprié par l’homme : l’on a déjà montré que la reconnaissance de la sensibilité de l’animal sauvage vivant à l’état de liberté était sujette à débat. Ensuite, même s’agissant de l’animal approprié, la reconnaissance de sa sensibilité n’est pas absolue. Elle cesse plus ou moins de compter lorsque l’intérêt de l’homme se manifeste (ainsi en est-il de l’animal consommé pour sa chair, de l’animal de divertissement, de l’animal de compagnie…). Son intérêt n’est donc pas nécessairement toujours distinct de celui de l’homme.
  • 93 R. Demogue, op. cit., p. 27.
  • 94 Ibid.
  • 95 Ibid.
  • 96 Y. Thomas, « Le sujet de droit, la personne et la nature », in « Sur la critique contemporaine du sujet de droit », Le Débat 1998/3, p. 95.
  • 97 V. notamment Cass. 1ère civ., 22 juillet 1987, n° 85-13.907 et 85-14.507, Fondation de France c/ Nagy et a. : Bull. civ. 1987, I, n° 258 ; Gaz. Pal. 1988, n° 55-56, p. 137 et s., note E.S. de la Marnière.
  • 98 N. Anciaux, op. cit., p. 35, n° 41.
  • 99 Il s’agit d’une lagune située dans la région de Murcie.
  • 100 R. Jhering, « De l'esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement », trad. O. de Meulenaere, t. 4, Paris, A. Marescq Aîné, 2ème éd., 1880, p. 349.
  • 101 Devenir un sujet de droit suppose, selon lui, la réunion de trois critères : une action en justice doit pouvoir être engagée en son nom ; les dommages subis ou causés par lui doivent être pris en compte pour eux même ; il doit être le bénéficiaire direct des réparations qu’il obtient (C. Stone, op. cit., p. 98).
  • 102 J.-P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux en France. Une lueur calédonienne », op. cit., spéc. p. 19.
  • 103 En ce sens v. notamment M.-A. Hermitte, « L’animal à l’épreuve du droit des brevets », Natures, Sciences, Sociétés, n° 1, 1993, p. 54.
  • 104 J. Carbonnier, « Les personnes », Précis Dalloz, p. 11.
  • 105 M.-A. Hermitte, « Quel type de personnalité juridique pour les entités naturelles ? », in Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial. (dir.), Mare & Martin, 2021, p. 86. Nous soulignons.
  • 106 Ibid.
  • 107 Sur ce point, v. également C. Vial, « Propos introductif », in Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial (dir.), Mare & Martin, 2021, p. 19 : « Accorder des droits et des obligations, ou des droits sans les obligations, voire des obligations sans les droits, peut se faire de manière différenciée, en fonction de l’intérêt à protéger. Le fondement de l’attribution des droits peut être différent, le régime de ces droits peut être différent : après tout, le droit connaît la nuance ».
  • 108 N. Anciaux, op. cit., pp. 34-35, n° 41.
  • 109 Cet article instaure une hiérarchie : la personne est nécessairement tenue comme une « réalité première, une valeur éminente » : G. Cornu, « Droit civil. Les personnes », Montchrestien, 13e éd., 2007, n° 2, p. 8.
  • 110 R. Demogue, op. cit., p. 20. Nous soulignons.
  • 111 En ce sens, S. Desmoulin, « L’animal, entre science et droit », préf. C. Labrusse-Riou, PUAM, 2006, t. II, p. 625-626, n° 1010 : « Sur le terrain de la réflexion juridique, il n’est pas possible d’oublier la référence humaine. […] [L]e droit est un instrument de régulation sociale. La loi est faite pour l’homme et n’a de sens que pour lui. Cette affirmation n’est pas synonyme de reconnaissance de la toute puissance humaine. Elle n’implique pas que la loi doive permettre l’exploitation, éventuellement abusive, de tout ce dont l’homme peut s’emparer. Elle proclame seulement l’irrémédiable anthropocentrisme juridique. L’interrogation philosophique permet de se démarquer des exigences de la vie sociale pour adopter un point de vue décentré. La grandeur du droit est de s’atteler à une tâche difficile : organiser la vie des hommes en conformité avec leurs besoins et leurs valeurs. Cette tâche ardue a heureusement ses limites, faute de quoi elle serait impossible. Le droit n’a pas pour fonction de régenter la vie sur terre. Il créé des obligations et impose des devoirs à l’intention des sujets de droits […] ». (Nous soulignons).
  • 112 Délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du 26 octobre 2021 portant diverses modifications du code de l'environnement de la province Sud.
  • 113 J.-P. Marguénaud, « Une révolution théorique… », op. cit., n° 18.
  • 114 J.-C. Galloux, « Essai de définition d’un statut juridique pour le matériel génétique », thèse dactyl., Bordeaux I, 1988, p. 6.
  • 115 N. Anciaux, op. cit., pp. 34-35, n° 41.
 

RSDA 2-2023