Dossier thématique

Corrélation entre les violences sur les personnes vulnérables et les violences sur les animaux : d’une timide reconnaissance législative vers des évolutions nécessaires afin d’améliorer la lutte contre les violences domestiques

  • Agnès Borie
    Docteur Vétérinaire
    Collaborateur parlementaire

 Résumé : En l’état actuel du droit, plusieurs codes établissent un rapprochement indirect entre les violences s’exerçant à l’encontre des êtres humains et celles à l’encontre des animaux, principalement eu égard aux effets délétères induits par l’exposition à ces violences, notamment pour des mineurs. Cependant la reconnaissance d’une possible corrélation entre ces violences multi-spécistes passe par une traduction législative plus franche afin de mieux lutter contre la violence domestique et de mieux prévenir les violences à l’encontre de tous les êtres vulnérables du foyer. Une approche globale de la violence s’appuyant sur une politique civile, pénale et éducative ad hoc est nécessaire à cette fin.

Abstract : As the law currently stands, several codes establish an indirect link between violence against human beings and violence against animals, mainly with regard to the deleterious effects induced by exposure to such violence, particularly for minors. However, the recognition of a possible correlation between this multi-speciesist violence requires a more frank legislative translation in order to better combat domestic violence and better prevent violence against all vulnerable beings in the household. To this end, a global approach to violence based on an ad hoc civil, criminal and educational policy is needed.

 

Prolégomènes


Observant ce petit groupe qui pénétrait dans ma salle de consultation, je m’étonnais de constater que l’attitude de l’enfant avait quelque chose de comparable à celle du chien, ces deux emboîtant le pas de leur père et maître. La tête baissée dans une démarche concentrée sur celui qu’ils suivaient, attentifs tout en cherchant à s’extraire de l’attention de l’autre, c’était là les marques d’une soumission craintive.
Le malaise de ce constat se confirma lors de la consultation : le chien s’appuyait doucement dans mes mains qui l’examinaient, comme s’il cherchait à s’y cacher, tandis que je remarquais l’enfant, n’ayant pas osé s’assoir, debout le long du mur sans pour autant s’y adosser, sans un mouvement, sans un son.
Quel était donc ce joug presque palpable qui maintenait ces deux dans une attitude bridée, l’éveil de leurs sens aiguisés révélé par de réguliers coups d’œil furtifs vers leur maitre ?
C’était cela. Mon cerveau m’avait guidé vers cette reconnaissance. Ce que mon expérience de vétérinaire m’avait appris à discerner sur les chiens, cette attitude d’animal battu à mauvais escient par son maître, je venais de la lire sur cet enfant. Convergence d’attitudes traduisant une convergence de sorts : l’évidence s’écrivait sous mes yeux alors que je peinais à en réaliser la portée.
Progressivement ce malaise passéiste du simple observateur, maintenant avisé, s’est mué en un dégoût émotionnel me poussant à agir.
Il fallait fédérer pour parvenir.
La reconnaissance d’une corrélation entre les violences exercées à l’encontre des êtres vulnérables, qu’ils soient humains ou animaux, peine à s’imposer. Que celui qui frappe cruellement son animal puisse être aussi celui qui frappe son enfant ou son conjoint (conjointe le plus souvent) n’est pas encore établi pour tous.
La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a acté une volonté législative de préserver les mineurs de l’exposition à la violence perpétrée sur les animaux, une telle exposition chez le jeune pouvant engendrer une confusion des valeurs à l’origine d’un état violent. Si les violences sur les animaux ne sont pas encore reconnues en France comme des actes porteurs d’une information potentiellement prédictive ou identificatrice d’une violence plus générale, ce constat d’une exposition à la violence sur les animaux potentiellement génératrice d’un comportement violent, est toutefois important dans la démarche conduisant à une prise de conscience plus globale.
Ce temps accompli, celui de la traduction législative de cette corrélation, ne saurait être trop longtemps dilayé.

I. Un début de reconnaissance : la législation existante

A. Le droit et la procédure pénale

La loi du 30 novembre 2021, citée précédemment, entérine une réceptivité particulière des mineurs à la violence, que celle-ci s’exprime à l’encontre des humains ou des animaux, et considère que cette sensibilité peut également être heurtée par des représentations à caractère sexuel mettant en scène des humains tout autant que des animaux.
Ainsi, les articles 26 et 43 de cette loi, modifiant l’article 521-1 et créant l’article 521-1-1 du Code pénal respectivement, majorent les peines associées à des sévices graves ou actes de cruauté envers un animal et celles associées à des atteintes sexuelles sur un animal lorsque les faits sont commis en présence d’un mineur (précisons ici qu’il s’agit des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité). Les peines de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende sont portées à 4 ans et 60 000 euros d’amende.
L’article 40 de la loi du 30 novembre quant à lui, vient modifier l’article 227-24 du Code pénal en précisant que les messages pornographiques comprennent les « images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux ». De fait, l’exploitation de tels messages pornographiques et zoo-pornographiques (fabrication, diffusion, commerce), lorsqu’ils sont susceptibles d’être vus par un mineur, entrainent les mêmes peines que les messages à caractère violent, incitant au terrorisme ou de nature à porter atteinte à la dignité humaine.
Ici, le législateur acte qu’une atteinte délictuelle à l’encontre des animaux, en l’occurrence de nature sexuelle, emporte la même conséquence pour des mineurs « spectateurs » que d’autres faits violents impliquant des humains. Ce faisant, il est important de noter que cela n’implique aucunement que la gravité des faits, supports du message exploité pouvant être vu par un mineur, est similaire ni même comparable. Il ne s’agit là que des conséquences pour le mineur exposé.
Sur le sujet de la zoophilie et dans le même esprit, l’article 45 de la loi rajoute les délits d’atteinte sexuelle sur animaux à la liste des infractions de l’article 706-47 du Code de procédure pénale. Concrètement, les actes de zoophilie relèvent désormais « de la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes »1 au même titre que des infractions de crimes et tortures sur mineurs, de proxénétisme sur mineurs, de viol…
À ce titre, ces infractions sont inscrites au FIJAIS2 . Afin de prévenir le renouvellement des infractions mentionnées à l'article 706-47 et de faciliter l'identification de leurs auteurs, ce traitement reçoit, conserve et communique aux personnes habilitées les informations prévues à l'article 706-53-2 « selon les modalités prévues par le présent chapitre »3 .
Par ailleurs, le 11° de l’article 706-47 intègre également dans la liste des infractions dont la procédure relève de celle applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes, « les délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, prévus à l'article 227-24 même code ». Or, comme nous l’avons vu précédemment, la loi du 30 novembre 2021 a élargi le domaine de l’article 227-24 du Code pénal ajoutant après « pornographique » : « y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux ».
Selon le professeur Jacques Leroy4, aux termes de l’article 111-4 du Code pénal, la loi pénale est d’interprétation stricte. Or, l’interprétation stricte n’est pas une interprétation restrictive qui pourrait être une lecture littérale du texte. L’interprétation stricte signifie qu’il ne faut appliquer le texte interprété qu’aux seuls cas qu’il prévoit (rejet de tout raisonnement par analogie) mais qu’il faut l’appliquer à toutes les hypothèses qu’il prévoit, ce qui suppose que l’on aille au-delà de la lettre du texte pour saisir la volonté du législateur. Le 11° de l’article 706-47 du Code de procédure pénale, en renvoyant à l’article 227-24, renvoie au texte dans sa plénitude pour ce qui concerne le type de message pornographique pris en considération. En se référant au message pornographique sans plus de précision, ce 11° se réfère au message pornographique tel qu’il est dorénavant compris par l’article 227-24 modifié.
Dès lors, on comprend que sont également concernés par cette procédure, et donc inscrits au FIJAIS, ceux qui diffusent des images pornographiques impliquant des animaux, dans la mesure où ces images sont susceptibles d’être vues par un mineur.
Divers articles du Code pénal et du Code de procédure pénale actent donc l’existence de similitudes entre les infractions de violences sexuelles à l’encontre des êtres humains et celles à l’encontre des animaux, eu égard au préjudice qu’elles peuvent induire, notamment pour les mineurs qui y sont exposés, et aux conséquences pénales.
Ce faisant, néanmoins, l’existence d’une corrélation entre ces violences n’est pas entérinée par le droit pénal.

B. Le Code de l’action sociale et des familles

Deux modifications du Code de l’action sociale et des familles, induites par la loi du 30 novembre 2021, inscrivent dans la loi la nécessité de suivre les mineurs ayant maltraité un animal ou ayant été témoins de maltraitance animale au sein du foyer.
L’article 221-1 rajoute dans les missions de l’aide sociale à l’enfance le repérage et l'orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale.
L’article L. 226-3 prévoit dorénavant que les mises en cause pour sévices graves ou acte de cruauté ou atteinte sexuelle sur un animal détenu, lorsqu’elles sont notifiées à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) par une fondation ou association de protection animale (APA) reconnue d’intérêt général, donnent lieu à l’évaluation de la situation du mineur.
On croit comprendre ici que lorsqu’une association de protection animale intervient lors d’actes délictuels sur un animal et qu’elle constate la présence de mineurs, elle en avertit la CRIP qui procède à l’évaluation des dits mineurs. Cependant la syntaxe légistique de cet article manque un peu de clarté et son interprétation n’est pas totalement univoque. Si l’APA notifie à la CRIP les « mises en cause », alors cette notification ne peut avoir lieu que si une procédure est en cours et que les actes ont été caractérisés comme relevant des articles 521-1 et 521-1-1 du Code pénal. Faut-il alors que l'APA soit partie prenante de la procédure en cours, sachant que pour qu'une APA puisse se porter partie civile il faut qu'elle soit régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans (article 2-13 du CPP) ? En l’absence d’APA ou si celle-ci n'est pas d'intérêt général, doit-on comprendre que la CRIP n'est pas avertie et le mineur non évalué ?
Au sein du Code de l’action sociale et des familles, l’existence d’une possible corrélation chez un mineur entre la maltraitance animale à laquelle il se livre ou dont il est témoin et son équilibre psychique est établie.

C. Signalements par les vétérinaires

En autorisant la levée du secret professionnel « au vétérinaire qui porte à la connaissance du procureur de la République toute information relative à des sévices graves, à un acte de cruauté ou à une atteinte sexuelle sur un animal mentionnés aux articles 521-1 et 521-1-1 et toute information relative à des mauvais traitements sur un animal, constatés dans le cadre de son exercice professionnel »5, la loi du 30 novembre 2021 permet au vétérinaire d’associer, s’il y a lieu, au sein d’un même signalement à destination du procureur, un signalement de mauvais traitements à l’encontre d’animaux et de mauvais traitements infligés à un mineur ou à une personne, qui n'est pas en mesure de se protéger, de l’entourage6.
Avant la loi du 30 novembre 2021, la révélation du secret par le vétérinaire n’était possible que pour informer les autorités judiciaires ou administratives de faits de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse dont il a eu connaissance. C’est d’ailleurs une obligation comme pour tout citoyen7. Depuis cette loi, la révélation du secret pour le vétérinaire étant également possible afin d’informer le procureur de mauvais traitements à l’encontre d’animaux, constatés dans le cadre de son exercice, il est donc possible pour ce praticien de transmettre sur le même signalement les deux types de violence, s’il suspecte qu’elles coexistent au sein du foyer, et ainsi mettre en exergue une éventuelle corrélation.
Cette corrélation trouvait déjà une traduction dans le Code rural, au sein de l’article L. 203-6, pour le vétérinaire sanitaire qui a obligation d’informer l'autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux.
Elle s’est concrétisée par la mise en place en 2018 des CDO (cellules départementales opérationnelles) dont l’objectif est de mieux prévenir et lutter contre la maltraitance animale, au sein des élevages d’animaux de rente principalement, en se fondant sur le constat que ces actes sont souvent associés à une grande détresse humaine (difficultés financières, burn-out…).
Ainsi, différents codes opèrent un rapprochement indirect entre les violences perpétrées sur les humains et celles à l’encontre des animaux. Cependant l’acceptation d’une possible corrélation directe entre ces violences n’a pas encore de traduction législative.

II. Des évolutions législatives nécessaires

Une approche globale des violences, basée sur la reconnaissance de cette corrélation, associée à une politique civile, pénale et éducative appropriée, doit permettre la mise en place de mesures préventives et curatives adaptées au profit des victimes, êtres humains ou animaux.

A. Code civil : les ordonnances de protection

Il s’agirait d’une part d’élargir les conditions de déclenchement des ordonnances de protection des victimes de violences intrafamiliales en incluant un indicateur supplémentaire révélateur d’un contexte de violence au sein du foyer et d’autre part de permettre au juge aux affaires familiales de statuer sur le sort de l’animal de compagnie du foyer.
Les mesures de protection en cas de violences intrafamiliales peuvent être prises par le juge pénal et le juge civil. La délivrance d’une ordonnance de protection du juge civil n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable. Elle est rapide avec une prise en charge automatique et provisoire des frais de justice de la victime. Les violences permettant de déclencher ce dispositif sont énumérées à l’article 515-9 du Code civil. Il s’agit de violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettant en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants. Il serait donc souhaitable d’étendre les possibilités de déclenchement de ces ordonnances de protection en y incluant les violences mettant en danger les animaux de compagnie vivant au sein du foyer.
L’article 515-11 du Code civil liste les mesures pouvant être prononcées par le juge dans le cadre de ces ordonnances afin de protéger la victime. Il conviendrait ici d’étendre la compétence du juge au sort de l’animal de compagnie du foyer afin que les victimes ne se sentent pas contraintes de rester en raison de menaces ou de violences pouvant s’exercer à l’encontre de leur animal, instrument de manipulation et de chantage. Le juge se prononcera alors sur l’attribution de la garde de l’animal indépendamment de la propriété. L’objectif est de renforcer la protection des victimes de violence intra familiale, d’une part en leur permettant de se mettre à l’abri sans craindre que l’animal de compagnie resté au foyer subisse des violences et, d’autre part en les libérant d’un chantage affectif sur l’animal qui pourrait les retenir de solliciter une ordonnance de protection.
Les animaux de compagnie du foyer sont un moyen de pression et de chantage pour l’auteur des violences qui peut menacer de représailles sur l’animal et renforcer ainsi son emprise et son harcèlement sur la victime. Des études américaines8 estiment que 89 % des femmes ayant un animal de compagnie ont rapporté que celui-ci avait été menacé, blessé ou tué par leur partenaire violent et que 48 % des victimes de violences domestiques retardent leur départ en raison de l’animal.
En France, en 2020, les forces de sécurité ont enregistré 159 400 victimes de violences conjugales commises par leur partenaire, hors homicides (dont 139 200 femmes)9. Près d’un foyer sur deux possède un animal de compagnie10 et près de 70 % des sondés affirment considérer leur animal domestique comme un membre de la famille à part entière11. Cette situation n’est donc aucunement anecdotique.

B. Code pénal : statut de victimes psychologiques exposées aux violences sur l’animal et l’animal comme arme psychologique

Les violences exercées au sein du foyer sur les animaux ont un retentissement psychologique important tant sur les conjoints victimes que sur les enfants. Ils sont exposés à une violence illégale qu’ils subissent et qui s’exerce en toute liberté et impunité dans un lieu sanctuarisé : le foyer. Ils sont de fait également des victimes de ces violences.
Comme cela a été rappelé dans la première partie, les articles 521-1 et 521-1-1 du Code pénal reconnaissent déjà cette violence psychologique puisqu’ils prévoient comme circonstance aggravante de ces délits le fait de les commettre en présence d’un mineur. L’article 227-24 du même code l’acte également puisqu’il réprime la diffusion de message à caractère violent lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.
De surcroit, une récente méta-analyse12 révèle que les objectifs principaux de ces mauvais traitements envers les animaux dans les foyers où il existe de la violence conjugale sont de « contrarier les femmes et les enfants », «reprendre le contrôle de la situation ou de la dispute » et « d’exercer un contrôle sur la situation » en blessant, intimidant et terrorisant le partenaire.
Il s’agit donc de confirmer que les enfants et les conjoints exposés à des actes illégaux que sont les sévices graves, actes de cruauté et atteintes sexuelles exercés sur l’animal de compagnie au sein du foyer sont des victimes, actant ainsi la possibilité d’une prise en charge psychologique et leur conférant le statut juridique de victime. Il conviendrait à cette fin de compléter l’article 222 14 3 du Code pénal afin que les actes de violence, tels que définis aux articles 521 1 et 521 1 1 du Code pénal, commis sur un animal de compagnie détenu au sein du foyer par le conjoint ou le concubin de la victime ou son partenaire avec qui elle est liée par un pacte civil de solidarité ou, si la victime est mineure, par un ascendant ou par toute autre personne ayant autorité sur elle, soient assimilés à des violences psychologiques.
Il conviendrait également de réprimer l’utilisation de l’animal de compagnie du foyer comme moyen de coercition, de chantage, de harcèlement sur le conjoint victime.
La méta-analyse précitée indique que 12 à 75 % des femmes victimes de violence conjugale déclarent que leur partenaire menaçait de nuire à l’animal et 23 à 77 % signalent une violence réelle (préjudice physique, négligence ou meurtre). Les études incluant l’animal à la fois comme outil de menaces et objet de maltraitances rapportent jusqu’à 89 % de cas. Les objectifs principaux de ces menaces et mauvais traitements rapportés sont de « contrarier les femmes et les enfants », « reprendre le contrôle de la situation ou de la dispute » et « d’exercer un contrôle sur la situation » en blessant, intimidant et terrorisant le partenaire.
A l’instar de l’article 132-75 du Code pénal qui édicte dans son 3ème alinéa que « l’utilisation d’un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l’usage d’une arme », il est temps d’acter que les animaux de compagnie du foyer peuvent être utilisés à l’encontre du conjoint comme « arme psychologique », moyen de pression afin d’augmenter une emprise et de contrôler la situation en traumatisant les victimes et en affectant leur décision de demander de l’aide, de planifier leur sécurité et de mettre fin à la relation abusive.
L’article 222 33 2 1 du Code pénal pourrait être modifié afin que l’infraction de harcèlement moral soit également constituée par des propos ou comportements à l’encontre d’un animal de compagnie détenu au sein du foyer ayant pour objet ou pour effet de créer à l’encontre du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin une situation intimidante, hostile ou offensante.
Ces préconisations, quant aux évolutions législatives énoncées ci-dessus, ont fait l’objet d’amendements défendus par le sénateur Bazin en octobre 2022 lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur. Ces amendements n’ont pas été adoptés, le ministre et le rapporteur ayant tous deux émis un avis défavorable aux motifs principaux que ces amendements relèvent davantage du ministère de la Justice que de celui de l’Intérieur et qu’« en termes de symbolique et de présentation, il me paraît délicat de faire figurer, dans les mêmes articles, des mentions relatives aux animaux et des mentions relatives aux victimes, que nous sommes censés protéger et qui sont des personnes humaines » (M. Loïc Hervé, rapporteur) et qu’« il ne faut pas mentionner de manière parallèle les victimes, singulièrement les femmes, et les animaux, qui, s’ils sont parfois victimes eux aussi, ne bénéficient pas dans le droit français des mêmes protections que les personnes » (M. Gérald Darmanin, ministre)13.

C. Politique éducative : inclure les vétérinaires dans les formations sur les violences intrafamiliales

Les textes de loi en vigueur relatifs à la formation des professionnels confrontés aux violences intrafamiliales n’incluent pas les vétérinaires dans la liste des professionnels concernés, excluant de facto leur implication dans le repérage de ces violences.
Ainsi, aux termes de l’article 51 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, modifiant l’article 21 de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (puis modifiée par la loi du 5 novembre 2015) : « la formation initiale et continue des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des fonctionnaires et personnels de justice, des avocats, des personnels enseignants et d'éducation, des agents de l'état civil, des personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs, des personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale, des personnels de préfecture chargés de la délivrance des titres de séjour, des personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et des agents des services pénitentiaires comporte une formation sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes, sur les mécanismes d'emprise psychologique, ainsi que sur les modalités de leurs signalements aux autorités administratives et judiciaires ».
De même, dans la récente loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, il est prévu avant le 1er juillet 2023 une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre les violences faites aux femmes permettant de financer entre autres : « 4° Les moyens destinés à la formation des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des agents des services de l'état civil, des agents des services pénitentiaires, des magistrats, des personnels de l'éducation nationale, des personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs ainsi que des personnels de police et de gendarmerie ».
Il conviendrait donc d’étendre ces formations aux vétérinaires, ce qui permettrait de les sensibiliser aux violences intra familiales et aux mécanismes d'emprise psychologique ainsi que de les former aux modalités de signalement aux autorités administratives et judiciaires. De plus, cette formation commune permettrait aux vétérinaires de sensibiliser les autres professionnels concernés à la violence à l’encontre des animaux comme signal faible d’une violence plus globale.
La notion d’une seule violence s’inscrit totalement dans la notion d’une seule santé (One Health).
De nombreuses évolutions législatives et réglementaires sont envisageables. Cependant, afin qu’elles soient efficaces et pérennes, il est nécessaire qu’elles emportent l’adhésion de tous les acteurs concernés. Quelles que soient les mesures, elles ne sauraient s’appliquer sans heurt si elles forcent la prise de conscience. D’autres moyens existent pour y parvenir à l’instar du colloque « Une Seule Violence » organisé par l’équipe éponyme en mars 2023. Il est grand temps que nos décideurs prennent ce temps de la sensibilisation dont la majorité des professionnels concernés témoigne.
A plus forte raison, le Parlement européen s’est positionné dans le cadre de la directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Le texte adopté en commission début juillet acte la corrélation entre les violences à l’égard des êtres vulnérables du foyer et à l’égard des animaux dans les considérants 29 et 31 et dans l'article 1814.
Il serait dommage que la France ne légifère que sous l’impulsion de l’Europe alors qu’elle prône une volonté d’améliorer la lutte contre les violences domestiques et d’augmenter la protection des mineurs de l’exposition à la violence. La crainte affichée d’une confusion entre l’animal et l’enfant nuit à la protection que chacun peut apporter à l’autre et alimente cet amalgame redouté qui nait au contraire d’une incapacité à reconnaitre les similitudes à la frontière desquelles s’établissent les différences.

  • 1 Titre XIX du livre IV du Code de procédure pénale.
  • 2 Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes : application automatisée d'informations nominatives tenue par le service du casier judiciaire sous l'autorité du ministre de la justice et le contrôle d'un magistrat.
  • 3 Article 706-53-1 du CPP.
  • 4 Droit pénal général, LGDJ, 9ème éd., n° 197 s.
  • 5 Art. 226-14, 1° CP.
  • 6 Art. 226-14, 5° CP
  • 7 Art. 434-3 CP.
  • 8 https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2752/089279304786991864
  • 9 Interstats 2020 : ministère de l’intérieur /statistiques publiques sur l’insécurité et la délinquance.
  • 10 https://www.facco.fr/chiffres-cles/les-chiffres-de-la-population-animale/
  • 11 https://fr.statista.com/a-propos/notre-engagement-pour-la-recherche
  • 12 Cleary, M. et al. (2021) Animal abuse in the context of adult intimate partner violence: A systematic review. Aggression and Violent Behavior, 61, 101676.
  • 13 Séance du 13 octobre 2022 (senat.fr)
  • 14 Considérant 29 : When assessing the victim’s protection and support needs, the primary concern should lie in safeguarding the victim’s safety, including dependants’ safety, (AM 426) rights and needs, (AM 25, AM 424, AM 425, AM 429) and providing tailored protection and (AM 25, AM 424, AM 425, AM 429) support, taking into account, among other matters, the individual circumstances and vulnerability (AM 427, AM 430, EMPL 28) of the victim. (AM 1067) Such circumstances requiring special attention could include the victim’s pregnancy, (AM 1066) the victim’s physical and mental health or disabilities, (AM 427) substance abuse issues, the presence of children, the presence of companion animals, (AM 25, AM 424, AM 425, AM 426, AM 428, EMPL 28) or the victim’s dependence on or relationship to the offender, including economic dependence or dependence for the reason of residence status. (AM 25, AM 425, EMPL 28) or the victim having a common child with the offender (AM 424). Considérant 31 : Animals are also often used as leverage in the execution of power by the perpetrator. Article 18 : Circumstances requiring special attention shall include the victim´s pregnancy, the victim´s dependence on or relationship to the offender ,the risk of the victim returning to the offender or suspect, recent separation from an offender or suspect, the possible risk that children and companion animals are used to exercise control over the victim (AM 1066) and the risks for victims with disabilities.
 

RSDA 2-2023

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