Droit de la santé
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit sanitaire

  • Maud Cintrat
    Maîtresse de conférences en droit
    Université Claude Bernard Lyon 1
    Faculté de pharmacie – Laboratoire Parcours Santé Systémique
    Membre associée au CERCRID – UMR 5137 – CNRS

I. Santé animale

L’anémie infectieuse des équidés
À propos de Conseil d’État, 20 novembre 2023, req.489253

Résumé. Bien que le Conseil d’État estime qu’une mesure d’abattage sanitaire d’un animal est une atteinte au droit au respect de la vie privée de sa propriétaire, la probable contrariété de l’arrêté interministériel qui prescrit cette mesure avec le droit de l’Union européenne, en l’absence de caractère manifeste, ne permet pas de caractériser une atteinte manifestement illégale à ce droit fondamental justifiant la suspension de cette mesure dans le cadre d’un référé-liberté.

L’anémie infectieuse des équidés, une maladie réglementée. En cause dans cette affaire ? Plaisir des fleurs, le cheval de Mme B., est atteint par l’anémie infectieuse des équidés. En application de l’arrêté du 23 septembre 1992 réglementant les mesures de police sanitaire de l’anémie infectieuse des équidés, le préfet de la Dordogne a, par arrêté portant déclaration d’infection, prescrit l’abattage de l’animal. L’anémie infectieuse des équidés est une maladie réglementée aux termes de l’article L. 221-1 du code rural et de la pêche maritime. En effet, cet article renvoie à l’article 5 §1 du règlement 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles, qui prévoit que figurent parmi les maladies réglementées celles listées à son annexe II, au titre de laquelle se trouve justement l’anémie infectieuse des équidés. En tant que maladie réglementée, l’article L. 223-8 du code rural et de la pêche maritime permet au préfet de prendre un arrêté portant déclaration d’infection et de prescrire, à ce titre, un certain nombre de mesures parmi lesquels figure l’abattage de l’animal1. Toutefois, le préfet est guidé dans sa conduite, puisque le ministre chargé de l’agriculture détermine « par arrêté celles de ces mesures qui sont applicables aux maladies mentionnées à l’article L. 221-1 ». C’est ainsi qu’intervient l’arrêté conjoint du ministre de l’Agriculture et du ministre du Budget du 23 septembre 1992 fixant les mesures de police sanitaire relatives à l’anémie infectieuse des équidés et plus particulièrement son article 6 qui permet au préfet de prescrire l’abattage sanitaire des animaux infectés dans les conditions prévues par les articles 8 et 9, au plus tard deux semaines après la notification officielle de la maladie par le directeur des services vétérinaires. La mesure prescrivant l’abattage de Plaisir des fleurs a été adoptée par le préfet en application de l’arrêté du 23 septembre 1992. De l’aveu du Conseil d’État, « il existe un doute sur la légalité des dispositions de l’article 9 de l’arrêté du 23 septembre 1992 en tant qu’elles prévoient l’abattage systématique d’équidés atteints d’anémie infectieuse ». Ce doute n’a toutefois pas été suffisant pour qu’il se transforme en une atteinte grave et manifeste au droit au respect de la vie privée et au droit de propriété de la requérante.
L’anémie infectieuse des équidés, face aux mouvements d’équidés dans l’Union européenne. La difficulté n’est pas si étonnante si l’on remarque que l’arrêté interministériel a plus de trente ans, tandis que la législation sur la santé animale a fait l’objet d’une refonte le 9 mars 20162. Le législateur européen prévoit que l’anémie infectieuse des équidés est une maladie répertoriée3 et la Commission européenne l’a classée parmi les maladies de catégorie D et E4. Les mesures qui s’imposent à ce titre visent à empêcher la propagation de la maladie en cas d’entrée d’animaux dans l’Union ou de mouvements d’animaux entre les États membres5. C’est donc seulement dans l’hypothèse où les chevaux doivent circuler, qu’ils entrent dans l’Union ou qu’ils circulent entre États membres, qu’une mesure d’abattage ou de mise à mort à l’égard de ceux infectés par l’anémie infectieuse des équidés peut être prise. C’est en effet l’article 22, §1, c) du règlement délégué 2020/688 de la Commission du 17 décembre 2019, complétant le règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les conditions de police sanitaire applicables aux mouvements d’animaux terrestres et d’œufs à couver dans l’Union, qui organise des restrictions de mouvements des animaux provenant d’un établissement dans lequel un cas d’anémie a été confirmé. Il requiert la mise à mort et la destruction ou l’abattage des animaux infectés ainsi que le nettoyage et la désinfection de l’établissement dans lequel la maladie a été confirmée dans les douze derniers mois. C’est la seule circonstance dans laquelle l’abattage ou la mise à mort de l’animal infecté est requise par le droit de l’Union européenne.
Éléments procéduraux. En l’espèce, le préfet a adopté deux arrêtés en date des 17 mai et 8 juin 2023 ordonnant l’euthanasie du cheval infecté par l’anémie infectieuse des équidés par un vétérinaire désigné dans les arrêtés. La propriétaire du cheval a saisi le juge des référés pour obtenir la suspension de l’exécution de ces arrêtés mais a été déboutée par le tribunal administratif de Bordeaux. Elle a contesté cette ordonnance par un recours en cassation devant le Conseil d’État. L’administration a, quant à elle, saisit le tribunal judiciaire de Bergerac pour obtenir l’autorisation de pénétrer sur le lieu de détention du cheval afin de le capturer et de procéder à l’euthanasie, requête rejetée par le juge des libertés et de la détention par deux ordonnances des 27 juillet et 17 août 2023. Face à cette impossibilité matérielle de procéder à l’euthanasie du cheval, le préfet a rapporté ses arrêtés de mai et juin et, dans un nouvel arrêté du 10 octobre 2023, il a ordonné à Mme B. « de faire procéder elle-même, par le vétérinaire de son choix, à cet abattage avant le 22 octobre 2023 », faute de quoi elle encourrait l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe6. Mme B. a demandé la suspension de cet arrêté devant le tribunal administratif en le saisissant d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 21 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la requête de Mme B. et a ordonné la suspension de l’exécution de la décision d’euthanasier l’animal. L’exécution de cette décision aurait, selon le juge, porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable car elle aurait fait obstacle à ce que le Conseil d’État se prononce sur le recours en cassation intenté à l’encontre de la première ordonnance en référé relative aux arrêtés préfectoraux des 17 mai et 8 juin 2023. Le ministre de l’Agriculture conteste cette ordonnance et a interjeté appel7, dont il est résulté l’ordonnance sous commentaire.
Droit au procès équitable et droit au recours. Le Conseil d’État estime que l’application de l’arrêté du 10 octobre 2023 ne causerait pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au procès équitable de la requérante et annule l’ordonnance en référé sur ce point, bien que cela priverait d’objet l’appel intenté contre l’ordonnance en référé par laquelle le juge a refusé de suspendre l’exécution des arrêtés du 17 mai et du 8 juin 2023. Effectivement, dès lors que Mme B. dispose de la possibilité de former un référé-liberté ainsi qu’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 10 octobre 2023, son droit au recours est ainsi préservé. Le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ne pouvait donc pas suspendre l’exécution de l’arrêté préfectoral pour ce motif. Son ordonnance est donc réformée sur ce point.
Principe d’égalité et différence de traitement selon la maladie répertoriée. Le Conseil d’État examine également les moyens soulevés par la requérante incluant l’atteinte au principe d’égalité, l’atteinte au droit de propriété, l’atteinte au droit au respect de sa vie privée. Il rejette en toute logique l’atteinte au principe d’égalité qui serait, d’après la requérante, constitué en raison d’une différence de traitement juridique avec d’autres maladies répertoriées. La requérante invoque en effet, sans succès, que si l’anémie infectieuse équine est une maladie relevant des catégories D et E et qu’elle fait l’objet d’un abattage systématique des animaux infectés, alors elle en déduit que toutes les maladies relevant des catégories D et E devraient faire systématiquement l’objet de telles mesures. Or, une différence de situations engendre une différence de traitement et le Conseil d’État constate que s’agissant de maladies distinctes, les mesures à mettre en œuvre doivent être adaptées à leurs caractéristiques.
L’équilibre de la balance entre la vie et la santé animale. Le Conseil d’État analyse enfin conjointement l’atteinte que l’arrêté porte au droit de propriété et au droit au respect de la vie privée de la requérante. Ce dernier point mérite d’être souligné car le juge administratif admet que c’est en raison du lien affectif particulier que la requérante a établi avec son cheval que l’arrêté prescrivant son euthanasie porte atteinte au droit au respect de sa vie privée8. Néanmoins, si le lien affectif entre une personne et son cheval relève du champ du droit au respect de sa vie privée, le juge administratif n’a pas reconnu qu’une atteinte manifestement illégale y était porté. Il admet qu’il existe un doute sur la légalité de l’arrêté de 1992 qui prescrit l’abattage systématique des chevaux atteints d’anémie infectieuse indépendamment de tout mouvement au sein de l’Union européenne mais il estime que cet arrêté n’est pas manifestement contraire au droit de l’Union européenne. Pourtant, aucune disposition du règlement européen portant législation sur la santé animale ne permet aux États d’adopter des mesures d’abattage systématique lorsque la contamination par cette maladie est confirmée, alors même que les mesures de gestion de cette maladie y sont expressément énoncées. Les États membres disposent de la faculté d’appliquer des mesures supplémentaires ou plus strictes que celles prévues dans le règlement européen, mais la lutte contre l’anémie infectieuse des équidés par l’abattage n’entre pas dans le champ de compétence9. L’argument avancé par le ministre de l’Agriculture, selon lequel le règlement européen vise à protéger la santé animale, but poursuivi par la mesure d’abattage des chevaux contaminés, fait primer la santé de la collectivité animale sur la vie d’un animal. C’est une illustration de la réification de l’animal, alors même que l’article 13 TFUE impose de tenir compte de la sensibilité animale dans la mise en œuvre des politiques européennes. Le règlement européen prévoit également que les dispositions qu’il comporte tiennent compte des rapports entre santé animale et bien-être animal10. On peut se demander si cela pourrait un jour faire primer la vie d’un animal sur une maladie répertoriée. Le dernier argument invoqué par le ministre de l’Agriculture, qui convoque les législations d’autres États membres similaires à celle de la France, est d’autant plus critiquable qu’un récent contre-exemple en illustre la faiblesse11. Il s’agit de l’affaire des néonicotinoïdes impliquant la Belgique devant la Cour de Justice de l’Union européenne, à la suite de laquelle la France a dû modifier sa réglementation alors même que le Conseil d’État avait refusé de suspendre l’exécution d’un arrêté en l’absence « de doute sérieux sur [sa] légalité »12. Dans notre espèce, il faut rappeler que même si la requérante n’a pas soulevé de question préjudicielle, le Conseil d’État aurait pu en poser une à la Cour de justice, bien que le contentieux se situe dans le cadre d’une procédure d’urgence13. Après avoir ensuite estimé que l’atteinte portée aux libertés fondamentales de la requérante n’était pas disproportionnée malgré la mise en œuvre de mesures de nature à réduire le risque de propagation de la maladie, le Conseil d’État conclut finalement que l’atteinte aux libertés fondamentales de la requérante n’est pas manifestement illégale. Cette affaire n’est pas sans rappeler l’affaire Jippes dans laquelle l’analyse conduite par la Cour de Justice l’avait amenée à valider une politique d’abattage en présence d’une maladie non mortelle pour les animaux, la fièvre aphteuse, par rapport à une politique de vaccination14. Si la considération pour la sensibilité animale progresse, la sphère de la santé animale requiert des arbitrages qui ne sont, pour l’instant, pas favorables à la vie des animaux.

II. Pharmacie vétérinaire

Éléments introductifs et nouveautés. Cette thématique est l’occasion de mentionner en préambule l’adoption du décret n° 2023-1079 du 22 novembre 2023 portant adaptation des dispositions du code de la santé publique et du code rural et de la pêche maritime au droit de l’Union européenne dans le domaine des médicaments vétérinaires15. Il a eu pour objectif, entre autres, d’imposer une autorisation préalable pour la conduite d’essais cliniques, d’abroger toutes les procédures nationales d’autorisation de mise sur le marché figurant dans le code rural, de créer une procédure d’enregistrement pour les médicaments destinés à certains animaux de compagnie. Ce décret a été adopté en application de l’ordonnance n° 2022-414 du 23 mars 2022 portant adaptation des dispositions du code de la santé publique et du code rural et de la pêche maritime au droit de l’Union européenne dans le domaine des médicaments vétérinaires et aliments médicamenteux16, laquelle avait vocation à mettre en conformité le droit interne au règlement 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif à la législation sur la pharmacie vétérinaire17. Aucun de ces textes ne remet toutefois en question le point qui nous intéressera dans les deux décisions du Conseil d’État, la vente au détail de médicaments vétérinaires par le vétérinaire. Aujourd’hui, le règlement européen sur la pharmacie vétérinaire prévoit que « les règles de vente au détail des médicaments vétérinaires sont déterminées par le droit national, sauf disposition contraire du présent règlement »18. En droit français, le vétérinaire partage avec le pharmacien le monopole de la dispensation au détail des médicaments vétérinaires, pour les animaux qu’il traite habituellement et sans qu’il puisse tenir officine ouverte19. Il ne peut vendre de médicaments vétérinaires que pour les animaux auxquels il donne personnellement ses soins ou dont la surveillance sanitaire et les soins lui sont régulièrement confiés20. Régulièrement, l’exercice de la pharmacie par les vétérinaires génère du contentieux devant les juridictions françaises, disciplinaires et administratives.

L’animal habituellement traité par le vétérinaire
À propos de Conseil d’Etat, 22 août 2023, req. 458515

Éléments de procédure. La chambre régionale de discipline des Hauts-de-France, saisie par le Président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, a rejeté, par une décision du 20 juin 2019, la demande en nullité des poursuites disciplinaires et de sursis à statuer présentée par le vétérinaire qui fait l’objet des poursuites. C’est le 28 novembre 2019 que cette même chambre a prononcé à son encontre une suspension du droit d’exercer l’art vétérinaire pendant un an sur tout le territoire national, avec sursis. La chambre nationale de discipline de l’Ordre des vétérinaires a été saisie en appel et a annulé ces deux décisions. Elle a, néanmoins, prononcé une sanction de six mois de suspension du droit d’exercer la profession de vétérinaire sur l’ensemble du territoire national, avec sursis.
L’exercice de la pharmacie vétérinaire conditionné par la surveillance sanitaire et par les soins réguliers. Le vétérinaire s’était rendu coupable d’exercice illégal de la pharmacie. En effet, il ne peut délivrer au détail des médicaments vétérinaires qu’aux animaux auxquels il donne personnellement des soins ou dont la surveillance sanitaire et les soins lui sont régulièrement confiés, lorsqu’il est finalement question d’un élevage21. En l’espèce, il est apparu que le vétérinaire n’a pas posé de diagnostic préalablement à la délivrance des médicaments. Or, la chambre de discipline a estimé que les élevages ne faisaient pas l’objet d’une surveillance sanitaire et d’un suivi régulier en raison du faible nombre de visites, de leur espacement, et de l’incohérence des mentions portées sur les ordonnances quant aux dates de ces visites. Pourtant, les difficultés d’interprétation de cette notion ont été minimisées avec l’adoption du décret n° 2007-596 du 24 avril 2007 relatif aux conditions et modalités de prescription et de délivrance au détail des médicaments vétérinaires et modifiant le code de la santé publique22, et particulièrement l’article R. 5141-112-1 du code de la santé publique23. Ainsi, il faut entendre la « surveillance sanitaire » et les « soins régulièrement confiés » au vétérinaire comme comprenant « le suivi sanitaire permanent d’animaux d’espèces dont la chair ou les produits sont destinés à la consommation humaine, ainsi que d’animaux élevés à des fins commerciales. Il comporte notamment : la réalisation d’un bilan sanitaire d’élevage, l’établissement et la mise en œuvre d’un protocole de soins, la réalisation de visites régulières de suivi, la dispensation régulière de soins, d’actes de médecine ou de chirurgie ». Ainsi, la réalisation de visites très espacées et peu nombreuses et des mentions incohérentes sur les ordonnances ont suffi au juge disciplinaire, conforté par le Conseil d’État, pour caractériser le manquement du vétérinaire à ses obligations déontologiques.
Précisions relatives à la procédure disciplinaire. Dans cette décision, le Conseil d’État a également rappelé que si une audience disciplinaire peut se tenir en visioconférence24, la chambre de discipline peut refuser d’y accéder si la demande est faite au dernier moment, comme en l’espèce, en raison de difficultés de transport rencontrées par le vétérinaire, dès lors que les conditions matérielles requises pour assurer sécurité et qualité de l’audience ne peuvent pas être réunies. Par ailleurs, à l’occasion d’un autre moyen, le Conseil d’État a confirmé que la chambre de discipline n’était pas tenue par les faits dénoncés dans la plainte ou les griefs articulés par le plaignant. Ainsi, elle peut connaître de l’ensemble du comportement du vétérinaire poursuivi, dès lors que les droits de la défense sont respectés, et notamment s’il a connaissance des faits lui étant reprochés et qu’il a disposé d’un temps suffisant pour préparer utilement sa défense lors de l’instruction de la plainte et lors de l’audience. Enfin, et parmi d’autres moyens rejetés par le Conseil d’État, figure celui concernant les modalités d’application de la loi nouvelle à une procédure en cours. Effectivement, le code de déontologie des vétérinaires a été réformé par l’ordonnance du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l’ordre des vétérinaires25. Or, s’il n’existait jusqu’alors aucun délai applicable à la procédure disciplinaire, le nouvel article L. 242-6 du code rural et de la pêche maritime a créé un délai de prescription de 5 ans à compter des faits. En l’absence de dispositions spécifiques à son entrée en vigueur, cet article ne saurait avoir d’effet rétroactif et s’appliquer à des faits survenus avant son adoption. Le délai de prescription n’a commencé à courir qu’à compter de l’entrée en application de l’ordonnance, soit à compter du 3 août 2015. Le Conseil d’État a donc confirmé la sanction disciplinaire du vétérinaire qui s’est rendu coupable d’exercice illégal de la pharmacie. Pour cette faute, qui constitue également une infraction pénale, le vétérinaire s’est vu infliger six mois de suspension du droit d’exercer sa profession sur tout le territoire national. Quinze ans après l’entrée en vigueur du décret précisant les notions de surveillance sanitaire et de soins régulièrement confiés à un vétérinaire, les difficultés d’application de la législation sont toujours d’actualité26.

De multiples manquements déontologiques
À propos de Conseil d’Etat, 4 juillet 2023, req. 442947

Éléments de procédure. Par une décision du 4 juillet 2023, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur une sanction disciplinaire prononcée par la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires relative à des manquements portant largement sur la pharmacie vétérinaire. Véritable feuilleton judiciaire, cette affaire a donné lieu à une décision d’une chambre départementale de l’Ordre des vétérinaires, trois décisions de la chambre nationale de discipline et trois décisions du Conseil d’État. À l’origine de ce feuilleton, une décision de la chambre disciplinaire de Picardie qui a, le 23 novembre 2012, prononcé une interdiction de trois mois d’exercer l’art vétérinaire sur l’ensemble du territoire national à l’encontre d’un vétérinaire associé et de la société d’exercice libéral de vétérinaires Le loup blanc. Un appel a été interjeté auprès de la chambre supérieure de discipline de l’ordre des vétérinaires par la société et le vétérinaire. Seul ce dernier a obtenu gain de cause par une décision du 24 janvier 2014, la sanction prononcée à son égard ayant été annulée. Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation par la société, a annulé la décision de la chambre supérieure de discipline le 7 octobre 2015 en raison de la présence, dans la composition de la chambre, d’un vétérinaire n’étant plus en exercice27. Le Conseil d’État ayant renvoyé l’affaire devant la chambre supérieure de discipline dans les limites de la cassation prononcée, cette dernière a, dans une décision du 24 janvier 2017, écarté le moyen tiré de l’irrégularité de sa composition et elle a sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport du nouveau rapporteur chargé d’instruire l’affaire, désigné à la suite de la récusation du premier. La société a formé un pourvoi auprès du Conseil d’État à l’encontre de cette décision, qui a été jugé irrecevable le 19 décembre 2018 car déposé à l’encontre d’une décision avant dire-droit28. C’est finalement le 22 janvier 2020 que, devenue la chambre nationale de discipline, elle a rejeté l’appel formé par la société contre la décision du 23 novembre 2012. La décision rendue le 4 juillet 2023 par le Conseil d’État porte sur le recours formé à l’encontre de la décision du 24 janvier 2017 et de celle du 22 janvier 2020 de la chambre nationale de discipline. Après avoir brièvement écarté le pourvoi formé contre la décision du 24 janvier 2017 pour les mêmes motifs qu’il avait retenu en 2018, le Conseil d’État statue sur le pourvoi formé à l’encontre de la décision du 22 janvier 2020. Il rappelle d’abord qu’il n’est pas nécessaire, pour engager la responsabilité disciplinaire d’une société, que la responsabilité disciplinaire de l’un des vétérinaires associés au sein de cette société soit engagée. En effet, le code rural et de la pêche maritime29 exige seulement que les poursuites soient engagées à la fois à l’encontre des vétérinaires associés qui exercent au sein de la société et de cette société, quel que soit le résultat de la procédure.
La contribution à l’exercice illégal de l’art vétérinaire. Les manquements disciplinaires retenus à l’encontre de la société sont au nombre de trois et le Conseil d’État confirme que la chambre nationale de discipline n’a ni dénaturé les faits, ni commis d’erreur de droit. Il apparaît en premier lieu que la société avait délivré des anesthésiques à un éleveur de bovins afin qu’il puisse procéder lui-même aux césariennes sur son bétail. De la sorte, la société de vétérinaires a couvert du titre de vétérinaire une personne non habilitée à un exercice professionnel vétérinaire. Il faut préciser néanmoins que les éleveurs et leurs salariés sont expressément autorisés à réaliser certains actes relevant de la médecine ou de la chirurgie des animaux, dont la liste est fixée par le ministre de l’Agriculture30, dès lors qu’ils disposent des compétences adaptées31 : c’est le cas par exemple de la castration des porcs domestiques mâles âgés de sept jours ou moins dans des conditions et techniques fixées par instruction du ministre chargé de l’Agriculture32. En revanche, la réalisation d’une césarienne ne fait pas partie des actes qu’ils peuvent réaliser ; l’intervention d’un vétérinaire est donc indispensable. Il en résulte que le vétérinaire qui fournit à un éleveur les moyens d’exercer illégalement l’art vétérinaire couvre dans ce contexte une personne non habilitée à un exercice professionnel vétérinaire de son titre.
La rédaction de l’ordonnance. En second lieu, la chambre nationale de discipline a relevé qu’il a été procédé à des prescriptions de médicaments vétérinaires pour des animaux d’élevage sans mention du temps d’attente requis avant que les produits de l’animal puissent à nouveau être mis dans le circuit de consommation humaine. Elle estime que la société n’a pas respecté l’article R. 242-46 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit que « la méconnaissance par un vétérinaire des dispositions du code de la santé publique relatives à l’exercice de la pharmacie peut donner lieu à des poursuites disciplinaires ». De la sorte, « le vétérinaire ne doit pas, par quelque procédé ou moyen que ce soit, inciter ses clients à une utilisation abusive de médicaments [et] il doit participer activement à la pharmacovigilance vétérinaire dans les conditions prévues par le code de la santé publique ». Il faut constater que la chambre de discipline a eu recours à une disposition générale relative à l’exercice de la pharmacie vétérinaire alors qu’il existe une disposition spécifiquement dédiée à la rédaction de l’ordonnance. Il s’agissait à l’époque de l’ancienne version de l’article R. 242-45 du code rural et de la pêche maritime qui prévoyait que « l’ordonnance prévue à l’article L. 5143-5 du code de la santé publique est établie conformément à l’article R. 5146-51 de ce code et, en cas de signature électronique, aux dispositions du décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 ». Toutefois, le temps d’attente ne figurait pas dans les mentions obligatoires d’une ordonnance telles que listées à l’article R. 5146-51 du code de la santé publique. Aujourd’hui, cette obligation de faire figurer le temps d’attente sur une ordonnance lorsque les médicaments sont destinés à des animaux producteurs de denrées est prévue à l’article 105 §5, j) du règlement européen de 2018 et à l’article R. 5141-111 du code de la santé publique. Lorsque le vétérinaire ne respecte pas les modalités de rédaction d’une ordonnance prévues à ce dernier article, il commet bien un manquement à son obligation déontologique au titre de l’article R. 242-45 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit bien que « l’ordonnance prévue à l’article L. 5143-5 du code de la santé publique est établie conformément à l’article R. 5141-111 de ce code ». En outre, il s’agit aussi d’une infraction pénale sanctionnée d’une amende prévue pour les contraventions de 5e classe33.
La publicité sur les médicaments. En dernier lieu, la société a été sanctionnée pour avoir adressé à un éleveur des publicités concernant des médicaments vétérinaires dont certains étaient soumis à une prescription sur ordonnance, sans que cela ne soit mentionné sur la publicité. La chambre nationale de discipline s’est appuyée sur l’article R. 242-35 du code rural et de la pêche maritime qui impose aux vétérinaires que « la communication doit être conforme aux lois et règlements en vigueur et en particulier aux dispositions du code de la santé publique réglementant la publicité du médicament vétérinaire » et sur l’article R. 5141-84 du code de la santé publique qui interdit la publicité auprès du public pour les médicaments vétérinaires soumis à prescription préalable. Le Conseil d’État est amené à juger que ces règles ne sont pas en contrariété avec la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur services. Cette directive impose aux États membres de supprimer toute interdiction totale visant les communications commerciales des professions réglementées. Le Conseil d’État, plutôt que de justifier cette interdiction par des raisons relatives à la santé publique et à la santé animale, se contente d’indiquer que le règlement européen de 2018 relatif à la pharmacie vétérinaire prévoit par principe l’interdiction de toute publicité pour les médicaments vétérinaires soumis à ordonnance à l’égard du public.
En conclusion. Cette décision du Conseil d’État permet de constater que les manquements à l’exercice de la pharmacie vétérinaire sont variés pour une seule société, et l’exceptionnelle longueur de cette procédure disciplinaire illustre l’obstination de la société qui s’explique probablement par la difficile acceptation des sanctions prononcées, ce qui témoigne soit d’une méconnaissance assez large des règles relatives à la pharmacie, soit d’une intention de ne pas s’y soumettre. Cette affaire contribue à symboliser la place à part qu’occupe l’exercice de la pharmacie vétérinaire au sein de l’art de la médecine et de la chirurgie vétérinaire.

  • 1 Art. L. 223-8, 8° du code rural et de la pêche maritime.
  • 2 Sur le seul plan procédural, il faut remarquer que l’arrêté a été pris conjointement par le ministre de l’Agriculture et le ministre du Budget alors que l’article L. 223-8 al. 5 du code rural et de la pêche maritime organise la seule compétence du ministre de l’Agriculture pour prendre une telle mesure.
  • 3 Art. 5 du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et modifiant et abrogeant certains actes dans le domaine de la santé animale (« législation sur la santé animale »).
  • 4 Annexe du règlement d’exécution (UE) 2018/1882 de la Commission du 3 décembre 2018 sur l’application de certaines dispositions en matière de prévention et de lutte contre les maladies à des catégories de maladies répertoriées et établissant une liste des espèces et des groupes d’espèces qui présentent un risque considérable du point de vue de la propagation de ces maladies répertoriées.
  • 5 Art. 9 §1, points d) et e) du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 dit législation sur la santé animale.
  • 6 Art. R. 223-8 du code rural et de la pêche maritime.
  • 7 Art. L. 523-1 du code de justice administrative.
  • 8 A propos, en droit privé, du préjudice d’ordre subjectif et affectif que représente la mort d’un animal domestique : Cass civ 1ère, 16 janvier 1962, Sirey 1962. 281 note C.-I. FOULON-PIGANIOL ; Dalloz 1962. 199 note R. RODIERE ; JCP 1962.II.12557 note P. ESMEIN ; RTDC 1962. 316 obs. A. TUNC ; M. FALAISE, « Droit animalier : Quelle place pour le bien-être animal ? », RSDA 2/2010, p. 19. V. également J.-P. MARGUENAUD, « La protection juridique du lien d’affection envers un animal », D. 2004. 3009 et F. MARCHADIER, « L’indemnisation du préjudice d’affection : la banalisation d’une action… attitrée !? », RSDA 2011/2, p. 35.
  • 9 Art. 269 du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 dit législation sur la santé animale.
  • 10 Art. 1, §2, i) du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 dit législation sur la santé animale.
  • 11 CJUE, 19 janv. 2023, aff. C‑162/21, Pesticide Action Network Europe e.a., ECLI:EU:C:2023:30, L. PEYEN, « Néonicotinoïdes : le juge européen au secours des abeilles », Énergie – Env. – Infrastr. 2023, comm. 27 ; D. GADBIN, « Semences traitées aux néonicotinoïdes : fin surprise des dérogations aux interdictions », Revue de droit rural, 2023, comm. 47 ; M. CINTRAT, « Pesticides : la primauté de la santé des abeilles sur l’amélioration de la production agricole », JCP G n° 15, 17 avril 2023, p. 789.
  • 12 CE, réf., 15 mars 2021, n° 450194 : Juris-Data n° 2021-003317. CE, réf., 25 févr. 2022, n° 461238 : JurisData n° 2022-002793.
  • 13 B. FAURE, « Juge administratif des référés statuant en urgence. – Référé-liberté », Jurisclasseur Justice administrative, Fasc. 51, 12 juillet 2022 ; CE, 15 avr. 2011, n° 348338, Yousfia A. : JurisData n° 2011-006069.
  • 14 CJCE, 12 juill. 2001, aff. C-189/01, Jippes e. a., ECLI:EU:C:2001:420, M. CINTRAT, Recherche sur le traitement juridique de la santé de l’animal d’élevage, Thèse en droit, Aix-Marseille Université, 2017, p. 304.
  • 15 JORF n° 272 du 24 novembre 2023, texte n° 16.
  • 16 JORF n° 70 du 24 mars 2022.
  • 17 JOUE L 4 du 7 janvier 2019, p. 43.
  • 18 Art. 103, §1 du règlement.
  • 19 Art. L. 5143-2, I du code de la santé publique.
  • 20 Les expressions « interdiction de tenir officine ouverte », « donner personnellement des soins » et « surveillance sanitaire et soins régulièrement confiés au vétérinaire » sont définies à l’article R. 5141-112-1 du code de la santé publique.
  • 21 Art. L. 5143-2 et art. R. 5141-112-1 du code de la santé publique.
  • 22 JORF n° 98, 26 avril 2007, p. 7455, texte n° 30.
  • 23 M. CINTRAT, « La distribution au détail du médicament vétérinaire : du privilège aux conflits d’intérêts », RDSS n° 6, déc. 2012, p. 1084.
  • 24 Art. R. 242-96 du code rural et de la pêche maritime.
  • 25 Ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l’ordre des vétérinaires, JORF n° 177 du 2 août 2015, texte n° 24.
  • 26 S. DESMOULIN, « La vente de médicaments vétérinaires au détail ou les affres d’une législation méconnue », Gazette du Palais, 9 décembre 2006, n° 343, p. 3734.
  • 27 CE, 4e et 5e sous-sections réunies, 7 octobre 2015, n° 376466.
  • 28 CE, 4e chambre, 19 décembre 2018, n° 409197.
  • 29 Art. R. 241-99 du code rural et de la pêche maritime.
  • 30 Art. L. 243-2 du code rural et de la pêche maritime.
  • 31 Une expérience professionnelle d’un an dans le secteur de l’élevage est suffisante : art. D. 243-1 du code rural et de la pêche maritime.
  • 32 Arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs modifié, annexe, §9.
  • 33 Art. R. 5442-1, 5° du code de la santé publique.
 

RSDA 2-2023

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