Doctrine et débats : Doctrine : Points de vu croisés

Regards croisés sur la construction d’une personnalité juridique non-humaine : hier la communauté, aujourd’hui l’entreprise, demain l’animal ?

  • Vincent Gobin
    Docteur en droit qualifié MCF
    Institut d'Histoire du droit Jean Gaudemet
    Enseignant contractuel à l'Université d'Orléans
  • Roberta Tiesi
    Doctorante en Droit romain
    Université Paris Panthéon - Assas

D’un point de vue purement sémantique, le concept de personne représenterait presque l’absence de sujet, en ce qu’il demeure l’antonyme de « quelqu’un ». Si la question de savoir « À qui revient la titularité de tel droit ? » trouve pour réponse « Personne », alors le droit en cause perd toute réalité. Et pourtant, dans la culture juridique, le concept de personne, ce n’est pas rien !
Ses applications à certains corps civils il y a plusieurs siècles, aux sociétés commerciales de nos jours et possiblement à l’animal dans un avenir proche, alimentent d’inlassables débats notionnels qui sous-tendent des enjeux de civilisation et traduisent surtout une certaine vision du Droit. En l’espèce, si l’idée de personnifier juridiquement les animaux est parfois raillée comme une fantaisie contemporaine, l’approche historique démontre qu’elle n’a rien d’une nouveauté…

Les amphithéâtres de Deuxième année résonnent de la summa divisio entre les personnes physiques, que sont les individus titulaires de droits subjectifs, et les personnes morales qui endossent la même condition au regard du Droit, alors qu’elles « ne tombent pas sous les sens »1. Suivant cette partition, la personnalité juridique possède deux ramifications : l’une concrète, à destination des seuls êtres humains ; l’autre abstraite, qui débouche sur des entités intangibles (prenant essentiellement la forme de groupements)2.
Aussi ancrée que soit cette dichotomie, elle demeure la source d’importantes controverses à la frontière entre la technique juridique et les droits fondamentaux. Sur la branche des personnes abstraites, les plus éminents civilistes3 se sont étonnés, au cours des deux derniers siècles, de l’anthropomorphisme qui prétend conférer à un collectif la contexture juridique de l’individu. Bien que la personnalité morale des sociétés soit aujourd’hui au cœur du droit applicable à l’entreprise, l’incontournable Dictionnaire juridique du Doyen Cornu continue d’ailleurs de définir la personne comme un « être »4. Certains commercialistes contemporains rappellent également que « toute construction d’un système de droit […] part de l’homme et revient à l’homme »5.
Quant à la branche qui s’arrête aux seuls êtres humains, sa délimitation est remise en cause par les interrogations croissantes que le statut de l’animal suscite depuis le début du siècle6. Dix ans après que l’Inde a accordé une « personnalité non-humaine » aux dauphins7, la question se pose de savoir si la condition juridique « d’être vivant doué de sensibilité »8, reconnue à tous les animaux en France depuis 2015, constitue un point d’achèvement ou un simple palier. S’agit-il d’ailleurs d’une véritable « condition juridique », quand ce statut prévoit encore une soumission de principe au régime des biens9 ? En présence d’une telle amorce, la détermination d’une personnalité pleine et entière apparaît comme l’un des horizons possibles de ce mouvement de réforme.
C’est pourquoi la notion de « personnalité juridique non-humaine »10 pourrait constituer une clé, à l’intersection de la capacité reconnue à certaines entités et de la protection due aux autres créatures du Vivant. Le principal enjeu de la réflexion a trait à la ductilité du concept. En ce sens, chaque application nouvelle à laquelle la personnalité est étendue ne doit surtout pas rompre la cohérence de la notion au regard de ses expressions préexistantes. Sur le plan sociologique, ce mouvement d’extension est souvent perçu comme une transposition de l’enveloppe juridique de l’être humain à d’autres réalités. Dans cette perspective, le fait de chercher à l’étendre jusqu’aux animaux apparaît parfois comme « l’effort de trop », susceptible de provoquer le déchirement du concept11.
Cette représentation centrée sur la personnalité humaine, qui l’interprète comme l’unité de référence du système, s’avère pourtant discutable d’un point de vue historique. Si, contrairement à une idée répandue, l’être humain n’est pas le maître étalon de la réception de droits subjectifs, la personnalité reconnue à certaines entreprises perd soudain son exotisme, et sa possible attribution à l’animal ne paraît plus si fantasque…
Aussi convient-il de se demander : dans quelle mesure la conceptualisation des applications non-humaines de la personnalité juridique, de l’Antiquité à nos jours, permet-elle d’envisager son extension à l’animal ?

Une personnification surajoutée

Bien que le terme de personne suggère une notion aussi ancienne que l’Homme civilisé, la personnalité juridique ne date jamais « que » des Temps modernes. Les Antiques connaissent bien sûr la chose mais ils ignorent encore l’idée. Le droit Romain établit ainsi des capacités juridiques sans entretenir aucune analogie avec l’individu. Et pour cause : à Rome, le sujet de droit n’est pas la personne. Non seulement certains êtres humains ne sont sujets à aucun droit (les esclaves), mais surtout, l’exercice des droits est toujours subordonné à un statut : celui de citoyen dans la cité ou de pater familias dans la domus.
En parallèle, la capacité juridique de certaines entités collectives n’attend pas l’émergence de la personnalité juridique. Dès la période républicaine, elle est reconnue aux collegium et aux universitas – ces groupes d’intérêts publics ou privés, qui prennent le plus souvent la forme de communautés de travailleurs12. De telles collectivités se conçoivent donc comme des personnes morales avant la lettre.
Le même référentiel est conservé dans la France médiévale et jusque sous l’Ancien régime. Les corporations, les ordres et autres compagnies privilégiées agrègent alors des droits en leurs noms pour les transmettre ensuite à leurs membres sur la foi du statut qu’ils leurs confèrent13. L’allégorie organique domine ainsi la monarchie française : les droits appartiennent aux corps sociaux (dont le royaume est le premier de tous) et les individus qui en constituent les cellules ne les recueillent que par leur intermédiaire, d’une façon toujours morcelée. Suivant cette logique, le sujet de droit l’est toujours en tant que membre d’une communauté14 (y compris comme père de famille ou paroissien) ; jamais par la seule raison de son être. Jusqu’à la Révolution : point de droits sans affiliation.
À partir de la Renaissance et tout au long de l’Ancien régime, les auteurs humanistes s’élèvent toutefois contre cette négation de la valeur sociale intrinsèque de l’être. L’individualisme juridique promeut dès lors l’octroi de droits subjectifs à la personne, sans plus aucun critère d’appartenance. Outre la magnification de l’humain, définir l’individu comme l’unité de base du système juridique permet aussi d’aplanir les inégalités. Les droits du vagabonds et ceux du seigneur tendraient ainsi à s’homogénéiser au motif que l’un et l’autre soient pareillement Hommes.

L’animal disqualifié par humanisme…

Dans leur lutte idéologique, les Modernes s’attachent notamment à la notion de droit naturel15 pour légitimer les libertés incompressibles de l’individu : celles qu’il ne devrait pas perdre à son entrée en société et que le contrat social doit toujours lui garantir16. Lors de sa formalisation par les juristes Romains, le droit naturel avait pourtant vocation à s’appliquer autant aux animaux qu’aux êtres humains. D’après les Institutes compilés par le Corpus iuris civilis, ce droit « n’appartient pas en propre à l’homme mais à tous les animaux qui vivent dans l’air, sur la terre et dans les eaux »17. Chez les Antiques, l’animal se conçoit donc comme un véritable sujet de droit !
Pour autant, il ne s’est jamais agi d’accorder des libertés concrètes aux animaux pour leur préservation. Les seuls traitements privilégiés portent sur les bêtes de somme ou d’élevage18 et renforcent uniquement les conditions d’indemnisation de leurs propriétaires19. Dans cette perspective rigoureusement patrimoniale, l’animal n’est pas le bénéficiaire de la protection. Il constitue seulement le bien à préserver, en vertu de sa valeur toute particulière dans l’économie agraire des premiers siècles de la République. Le meurtre de sang-froid d’un animal relève ainsi de la responsabilité civile, au titre de la destruction d’une chose utile20.
Dans la pensée juridique romaine, l’idée d’un droit naturel dévolu aux animaux se met donc entièrement au service d’un raisonnement théorique, étroitement dirigé vers l’être humain. L’objectif est en fait de fonder sur un droit immuable certaines institutions comme le mariage, la filiation ou l’éducation des enfants21. Cela permet de magnifier leur caractère sacré au motif qu’elles sont liées à la perpétuation de l’espèce – de n’importe quelle espèce. Malgré ces importantes nuances, l’effacement de l’animal dans ce même domaine, à l’époque moderne, témoigne de l’exclusivité juridique désormais dévolue à l’être humain. La représentation d’un Droit élaboré par l’Homme pour l’Homme s’inscrit alors dans la droite ligne du mythe de Promothée et Epiméthée22
Poursuivant leurs œuvres, légistes et philosophes parviennent à imposer la personnalité comme « une métaphore populaire »23 dans le renouveau idéologique des XVIIe et XVIIIe siècles. Dans cette perspective, si un quelconque corps social a des droits, c’est parce qu’il est assimilé à un agent humain24 – conçu dorénavant par la doctrine comme l’étalon du référentiel juridique. Chez les tenants de la thèse contractualiste en particulier, l’individu apparaît à la fois comme le ferment et le bénéficiaire du contrat social – dont l’État n’est plus qu’un exécutant25. Cette philosophie est accueillie dans l’ordre légal par la Révolution, qui reconstruit le système normatif sur ce socle à la chute de la monarchie26. Le Code Napoléon parachèvera cette rénovation en 1804, en consacrant l’intégralité de son Livre Ier aux « Personnes », pour énoncer les droits civils individuels (sans que ses articles n’abordent ni les sociétés ni aucun corps intermédiaire).
Une conséquence impensée de cet anthropomorphisme conceptuel consiste à faire de l’animal une antithèse du sujet de droit27. Le fait de ne pas appartenir au genre humain – soit de ne pas être une personne – paraît dès lors le rendre impropre à tout statut juridique, comme par une forme « d’inéligibilité au droit ». Dans ce référentiel relativement récent à l’échelle de l’Histoire, prétendre accorder des droits à l’animal revient soudain à le personnifier, ce qui suscite la dérision parmi de nombreux détracteurs.
Pourtant, la personnification tardive de la capacité juridique devrait encore l’autoriser, d’un point de vue purement sémantique, attendu que le terme de personne renvoie primitivement à l’idée de tenir un rôle28. En toute rigueur, il ne s’agit pas de devenir un être humain, mais simplement d’agir comme tel à travers des facultés juridiques similaires. C’est là tout le sens de la personnalité morale. Par là même, le fait d’incarner un personnage sur la scène sociale ne devrait pas se fonder sur l’essence (humaine ou non) des acteurs, mais plutôt se concentrer sur le rôle qu’ils tiennent objectivement dans la société. Or, bien avant l’avènement de cette rhétorique, la propension de l’animal à constituer un objet de Droit est attestée par une histoire juridique foisonnante – tant sur le plan civil que pénal.

Un objet civil à part dès l’Antiquité

Sans se voir reconnaître ni capacité ni droits subjectifs, l’animal subit de longue date le Droit comme un acteur à part entière de la Cité.
Cela provient avant tout de rituels religieux comme celui du bouc émissaire dans l’Ancien Testament. Les saintes Écritures font ainsi de cet herbivore un symbole de justice en le chargeant symboliquement de toutes les « iniquités »29 sociales, avant de l’exiler dans le désert, tandis qu’un de ses congénères doit être offert en sacrifice. Ces deux « méthodes de déplacement de la culpabilité »30 s’inscrivent dans une même recherche d’expiation, qui manifeste à la fois la conscience des Hommes vis-à-vis de leurs péchés et leur intention de les exorciser. Mélange de tradition et de croyance, un tel rite confère en tout cas à l’animal le statut juridique tangible du coupable, au sens de celui qui porte la culpabilité – qui l’incarne physiquement, tel le serpent de la Genèse.
Dans le Nouveau Testament en revanche, la naissance de Jésus dans une étable, entre l’âne et le bœuf, rappelle aux Chrétiens que Dieu est aussi le créateur des animaux31, et qu’il les a disposés sur la Terre pour y vivre en harmonie avec l’Homme32. La même concorde transparaît dans les écrits de certains philosophes grecs, sensibles à la douleur de l’animal33, et se retrouve aux fondements légendaires de Rome, qui donnent une louve pour nourrice à Romulus et Remus.
Les romains n’en perpétuent pas moins les sacrifices animaliers au temps du culte polythéiste – davantage pour entretenir une proximité tangible avec les dieux34 que dans l’optique expiatoire suivie par les religions du Livre. Au-delà de ces pratiques spirituelles, le peuple inventeur du Droit accueille explicitement les animaux dans l’ordre juridique. Outre le point d’appui philosophique que l’animalité a pu procurer au droit naturel, le ius civile Quiritum envisage très tôt la réparation du dommage causé par une bête domestique. L’action fondée sur le délit noxia, prévu par la loi des Douze Tables et qui perdure en droit classique35, laisse en l’occurrence deux options au propriétaire : soit indemniser la victime pour le montant du préjudice, soit lui abandonner la bête36. Par là même, l’indemnisation se trouve plafonnée de facto à la valeur de l’animal37.
Jusqu’ici, la responsabilité du propriétaire pourrait être la même si le dommage était causé par un objet (tel qu’un arbre tombant sur le toit de son voisin par exemple). Cependant, la condition juridique de l’animal prend un tour différent dans le régime de cette action en réparation. En l’espèce, la créance d’indemnisation passe sur la tête du nouveau maître de l’animal s’il fait l’objet d’une cession depuis la commission du délit38. Le bœuf vendu au marché transporte donc avec lui ce passif de responsabilité. Il est encore plus surprenant de remarquer que l’action de la victime s’éteint à la mort de la bête39. Le formalisme romain ne concevant guère de droit sans action, la créance d’indemnité n’existe qu’à travers la vie de l’animal fautif. À ces deux points de vue, les animaux se distinguent foncièrement des simples objets. Res animata, la bête apprivoisée constitue, comme l’esclave40, le support et la condition de certains droits individuels (en plus des droits réels qui s’exercent sur elle). L’animal n’est donc pas entièrement sujet au régime des biens à Rome. Il s’assimilerait plutôt à l’alieni iuris, c’est-à-dire à un être privé de facultés juridiques, placé sous la puissance (la potestas) d’un citoyen doté d’une capacité autonome (sui iuris). En cela, sa condition juridique est y compris voisine de celle d’un fils de famille41.

Un sujet pénal entier jusqu’aux Temps modernes

Si ces dispositions civiles s’évanouissent à partir des temps barbares, le Moyen-âge tardif octroi bientôt une place encore plus nette à l’animal au sein de son système pénal. Au sortir de la féodalité, les juridictions royales mettent en effet en scène de véritables procès contre les animaux fauteurs de troubles. Dans le baillage de Falaise en Normandie, une truie comparaît par exemple travestie en homme (avec une veste, des hauts de chausse et des gants) pour répondre de la mutilation d’un jeune enfant42.
Dans la jurisprudence normande, les jugements animaliers se prêtent particulièrement aux peines réfléchissantes, qui administrent aux bêtes le même mal qu’elles ont infligé à leurs victimes43. Conformément à cette pénologie, le pourceau subit ici l’ablation d’une patte avant d’être pendu par le bourreau, sur le gibet commun aux Hommes. Les archives de l’Aisne ou de la Meuse témoignent de pratiques similaires jusqu’à la Renaissance44.
Malgré une judiciarisation pittoresque, le schéma de raisonnement demeure très pragmatique : les animaux commettent des interactions sociales que le Droit doit identifier et sanctionner, comme le notait déjà le Livre de l’Exode45. Tout est alors mis en œuvre pour faire de l’animal un justiciable équivalent aux régnicoles46. Une tradition que perpétuera J. de La Fontaine47 dans l’intellectualité du XVIIe siècle…
Certaines localités vont même plus loin en exerçant leur justice jusque sur des insectes ! Dans ce domaine, le crime est caractérisé lorsqu’une nuée de charançons ou de coléoptères ont déferlé sur un champ dont ils ont ravagé les plants48. Il est évident que de pareils animaux ne peuvent comparaître devant la Cour ni recevoir aucune peine49. Leur condamnation par contumace vise surtout à formaliser l’acte de vol ou de vandalisme qui leur est imputé. Une fois cette puissance extérieure cernée – comme on qualifie de nos jours un cas de force majeure – les paysans et les boulangers se trouvent socialement dédouanés des famines à venir, ce qui évite d’ajouter un climat de tension civile aux difficultés économiques à prévoir.
L’instance se déroule alors devant les juridictions ecclésiastiques, qui n’hésitent pas à rappeler dans leurs jugements que toute créature de Dieu possède le droit inaliénable de convoiter la nourriture indispensable à sa survie50. Dans cette optique, le fait d’entretenir la vie donnée par le Très-Haut ne saurait relever du péché51. L’essaim d’insectes peut y compris être perçu comme un fléau légitime, envoyé par Dieu lui-même pour châtier une communauté d’Hommes, comme Yavhé avait infligé des criquets à l’Égypte52.
Nonobstant l’extériorisation de la responsabilité relative aux mauvaises récoltes, de tels procès peuvent dès lors déboucher sur la reconnaissance d’une portion de terres aux insectes mis en jugement. La jurisprudence canonique cherche ainsi à rétablir un équilibre harmonieux entre l’humain et l’animal53. En obligeant les paysans à laisser une partie de leurs champs à l’abandon, les juges épiscopaux prescrivent en fait une « zone tampon » à l’égard des champs cultivés, dans l’espoir que les terres en friches suffisent à satisfaire l’appétit des nuisibles. À nouveau, la mise en scène processuelle renferme une logique pleine de bon sens : si chaque être a sa place sur Terre, respecter celle des autres c’est préserver la sienne…

Un anthropocentrisme adventice

Au regard de l’histoire, l’analogie moderne entre personne et sujet de droit ne justifie donc pas la disqualification juridique de l’animal. De surcroît, la doctrine dégage de cette conception deux critères dont l’application aux hypothèses de personnes non-humaines, que sont l’entreprise (en tant que société) et l’animal (comme personnalité à inventer), révèle des résultats troublants.
Dans la littérature contemporaine, les deux Cerbère de la personnification juridique se nomment en l’occurrence Volonté et Liberté54. Autrement dit, pour être reconnue comme telle, une personne juridique doit vouloir et pouvoir.
Dans le cas de l’animal, la volonté ne fait guère de doute. Seule la capacité de l’être humain à interpréter ses intentions reste objectivement limitée, mais sa faculté à diriger ses actions ne souffre aucune contradiction. Moins complexe peut-être que celle des Hommes, et forcément plus énigmatique à leurs yeux, la volonté est bien présente chez toutes les créatures animées. Il serait même permis de dire qu’à l’état sauvage, les animaux ne sont que pure volonté, considérant qu’ils y observent très peu de règles ; contrairement à un chien dressé par exemple, auquel l’humain aura appris à dominer ses impulsions. Dans tous les cas, l’animal demeure seul maître de lui-même, notamment dans l’emploi qu’il peut faire de sa puissance physique, et les meilleurs dresseurs préviennent qu’aucune obéissance n’est jamais entièrement acquise…
Si pour ce premier critère la distinction entre les animaux sauvages et domestiques relève d’une différence de degré, elle tient davantage d’une différence de nature sur la question de la liberté. En l’espèce, l’état sauvage présente de grands périls mais peu de contraintes, alors que la compagnie humaine apporte la sécurité mais impose de nombreuses barrières. Ne serait-ce que dans l’espace, la poule pondeuse, la vache à lait ou la gerbille apprivoisée ne choisissent guère leurs lieux de vie. De fait, la domestication de l’animal ne se conçoit pas sans une certaine forme (plus ou moins lâche) de captivité.
Dans les formes les plus extrêmes, la liberté est entièrement anéantie, y compris d’un point de vue physique. Ainsi, le lapin pensionnaire d’un clapier à peine supérieur à sa taille n’a guère plus de liberté dans son comportement que les prisonniers des fillettes de Louis XI55. Quant aux formes de captivité les plus douces, même avec les meilleurs traitements, elles imposent immanquablement un certain nombre de dépendances vis-à-vis de l’être humain défini comme le maître. De là découle un jeu permanent de concessions en vue de contre-prestations – revenir à telle heure pour recevoir telle nourriture – qui enraye la liberté originelle de l’animal (sans que ce soit pour autant dommageable). Tout jugement mis à part, et même si la balance entre l’assujettissement et les gains objectifs peut être tout à fait équilibrée, la pleine liberté de comportement demeure l’apanage des animaux sauvages, comme l’illustre fort bien la fable du Loup et du Chien56.
Sous un angle quantitatif, le « taux de personnification » de l’animal atteindrait donc 1,5/257. Or, l’entreprise configurée sous les traits d’une personne morale obtient un résultat nettement plus faible au même test. Certes, une société commerciale agit selon une volonté distincte de celle de ses membres, mais cela ne signifie pas qu’elle ait par elle-même la faculté psychique de vouloir. La volonté doit en fait être dissociée de la volition58 : à savoir, l’acte qui traduit cette volonté dans les faits. Si cet acte est bien celui de la société, la visée psychologique qu’il poursuit demeure dictée par une catégorie dominante d’associés, s’exprimant selon les procédures prévues par les statuts (Score au test : 0/1).
Le critère de la liberté est tout aussi trompeur, en ce qu’il semble a priori renvoyer aux agissements autorisés à la personne morale. De ce point de vue cependant, aucun sujet de droit ne serait vraiment libre – la pleine liberté correspondant précisément à l’absence de norme. La liberté dont il s’agit ici est en réalité celle de l’Homme libre, comparativement à l’esclave ; c’est-à-dire la condition juridique d’un être insusceptible d’appropriation (proprietas en droit Romain)59. Dans ce référentiel, une société ne peut jamais être libre : non seulement parce qu’elle est appropriable, mais surtout parce qu’elle sera forcément appropriée ! Il faut bien, en effet, que les titres sociaux soient détenus par des associés. Et si la société peut en racheter elle-même une certaine fraction (dans des conditions très exceptionnelles)60, l’auto-détention de l’intégralité du capital conduirait à son extinction – puisqu’elle n’aurait plus aucun membre (Taux de personnification : 0/2).
Par conséquent, si l’animal n’est pas toujours susceptible de personnification d’après les critères anthropomorphiques du concept, l’entreprise quant à elle ne le serait tout simplement jamais.

Le critère objectif de l’intérêt particulier

C’est pourquoi d’importants auteurs proposent de relativiser l’anthropomorphisme métaphorique du sujet de droit61. Dans cette perspective, la personnification le cède à une forme de patrimoine juridique constitué de droits propres. Cette lecture justifie notamment que l’aliéné ou l’infans demeurent considérés comme des personnes malgré leur carence de volonté. Le titulaire de droits n’est donc plus celui qui se trouve en capacité de les exercer (par l’effet d’une volonté libre), mais celui que ces droits ont vocation à protéger, parce qu’il représente un intérêt distinct et particulier.
De ce point de vue, la personnalité morale reconnue à l’entreprise ne se justifie plus par une supposée analogie avec l’être humain. Elle se fonde seulement sur le fait que sa recherche du profit représente un intérêt différent de celui de chacun de ses membres. Il s’agit dès lors de protéger, dans la sphère sociale, l’intérêt autonome que les associés font exister par leur réunion. Cette lecture passe ainsi d’un droit magnifiant l’expression de la puissance à un droit orienté vers la préservation de la valeur. Dans cette perspective, personnaliser le Droit – au sens d’attribuer des garanties juridiques à un agent social particulier – ne réclame plus forcément d’en personnifier le sujet, dans un transport d’humanité quasi-mystique…
Débarrassée des enjeux physiologiques de l’anthropomorphisme, cette « personnification purement technique »62 trace une nouvelle voie d’accès à la personnalité pour l’animal. La question se réduit dès lors au seul point de savoir si l’existence des autres créatures du Vivant mérite ou non une protection63. La reconnaissance d’un patrimoine à l’animal apparaît aussitôt comme le procédé le plus rectiligne pour traduire juridiquement les bienfaits que l’être humain peut vouloir lui prodiguer64, ou pour formaliser une limite aux atteintes qui peuvent lui être portées. Outre la gratification et l’interdit, cette enveloppe pourrait y compris recueillir les honneurs, très ancrés dans la tradition militaire Française65, par lesquels les chiens des unités cynophiles sont fréquemment distingués.
Le point d’équilibre de cette considération juridique (et à la fois son fondement moral) consisterait dans la disposition de l’animal à éprouver lui aussi du plaisir ou de la souffrance66. Ce double enjeu émotionnel67 suffit en effet à différencier cet « être sensible » de tout objet matériel, pour expliquer que le propriétaire ne puisse impunément briser l’un comme il y serait autorisé pour l’autre…
Puisque la souffrance n’est guère l’apanage du genre humain, la barbarie s’étend aussi à la douleur infligée aux autres espèces. Par là même, il n’est nul besoin que la victime d’un mauvais traitement soit « faite Homme » pour que sa sensibilité doive être protégée ; non seulement dans son intérêt, mais aussi dans celui de la civilisation humaine. De fait, tout individu est objectivement intéressé à vivre dans une société qui proscrit les sévices et s’emploie à faire preuve d’humanité au sens philosophique du terme.
Une fois l’intérêt animalier défini, et son reflet dans la communauté des Hommes identifié, la question n’est donc plus de faire de l’animal un « nouveau cas d’être humain fictif » au regard de la législation. Comme dans l’hypothèse des entités plurielles et désincarnées que sont les sociétés de commerce, il s’agit uniquement d’emprunter un procédé éprouvé – assorti d’une image parlante – pour accorder au sujet de droit non-humain les attributs juridiques de l’Homme (voire « les attributs de l’homme juridique »)68.

Un mode de protection… parmi d’autres

À la différence de l’entité organisée qu’est l’entreprise – régie par des procédures internes et incarnée par des organes sociaux – il est constant que l’animal ne peut revendiquer lui-même ses droits. Qu’il soit défini ou non comme une personne, le secours d’un tiers défenseur lui restera par conséquent indispensable. Pas davantage qu’à l’infans ou à l’aliéné, répliquera-t-on ; mais ces deux individualités sont réceptrices des droits élaborés pour les autres agents sociaux humains.
Puisqu’aucun animal ne peut réclamer justice ni revendiquer de nouveaux droits, la question demeure de savoir de quelles garanties serait-il titulaire et dans quelles conditions seraient-elles exercées (nécessairement via des êtres humains). De fait, l’enveloppe que constitue la personnalité juridique ne confère aucune protection effective si elle reste vide. À ce titre, un procédé technique ne saurait se substituer à la politique juridique.
Sur le plan patrimonial par exemple, les animaux forestiers pourraient être considérés comme partiellement propriétaires des bois qui les abritent. Cette quotité correspondrait alors aux arbres à protéger pour le bien de la faune – à l’instar des jachères dévolues aux insectes au Moyen-âge. Toute déforestation de cette zone entraînerait ainsi une créance de réparation. Son exécution ne serait évidemment pas monétaire, mais pourrait prendre la forme de diverses prestations écologiques, comme la construction d’écoponts, la livraison régulière de nourriture ou la replantation d’arbres de la même variété. Cette autonomie juridique justifierait aussi le caractère inappropriable de certaines espèces – aujourd’hui énoncé par la voie réglementaire sans logique d’ensemble.
Il importe de préciser que, contrairement aux réactions que l’idée pourrait susciter, ce changement matriciel ne s’accompagnerait pas nécessairement d’une révolution de grande ampleur dictée par l’idéologie animaliste. Une telle réforme pourrait même s’effectuer à droit constant. Pour prendre cette illustration emblématique : au lieu d’autoriser la chasse par principe en l’interdisant par certains aspects, le système serait seulement inversé. Le principe deviendrait alors la préservation de la vie animale, avec les exceptions fixées par le législateur ; lesquelles exceptions pourraient englober l’intégralité du régime actuel si la représentation nationale le décide. Après tout, il n’est pas interdit de se réunir pour causer la mort d’une personne, du moment qu’elle est morale69… !
La Colombie s’est déjà orientée dans cette voie en 2018, lorsque la Cour suprême de cet État a reconnu la qualité de sujet de droit à la portion de la forêt amazonienne faisant partie de son territoire70.
Un doute subsiste néanmoins sur le point de savoir si le sanglier qui enfonce le pare-choc d’un automobiliste devrait être symétriquement tenu de le dédommager. Bien que sa responsabilité pénale ne puisse pas plus être engagée que celle d’un enfant ou d’un aliéné – faute d’être conscient du caractère fautif de ses actes – une créance d’indemnité (à solder en arbres à couper) pourrait-elle grever son patrimoine forestier ? Une personnalité juridique animalière ferait alors peser le risque de soumettre la nature tout entière à un vaste régime transactionnel…
Pour éviter cet écueil, il serait tout aussi plausible d’envisager, à l’autre extrémité du spectre juridique, d’assimiler l’animal à une composante du bien public qu’est l’environnement. Dans cette hypothèse patrimonialisée, tout citoyen avoisinant la forêt se verrait reconnaître l’intérêt à agir pour attraire en justice l’auteur d’une atteinte à l’habitat des sangliers, en arguant d’un préjudice personnel : ces animaux faisant partie d’un bien appartenant à tous. La défense de l’animal au sein de son environnement – qui est bien l’enjeu politique sous la controverse notionnelle – serait ainsi ramenée à la portée de tous les êtres humains, étant entendu que ces derniers demeurent les seules créatures intellectuellement perméables au Droit.
De ce point de vue, l’animalité serait peut-être plus simple à protéger en tant que bien public que sous les traits d’une personne privée. Sur toute la surface de l’œkoumène se déploierait ainsi un « droit patrimonial de la nature » à portée d’homo sapiens…

  • 1 J. CARBONNIER, Le Droit civil. Les personnes, Paris, P.U.F. (13e éd.), coll. Thémis, 1980, p. 393.
  • 2 Bien qu’il existe un type de société composée d’un seul associé (l’E.U.R.L.).
  • 3 Voir F. LAURENT, Principes de droit civil, t. 1, Bruxelles, Bruylant, 1869, n° 288 : « À la voix du législateur, un être sort du néant, et figure sur un certain pied d’égalité à côté des êtres réels créées par Dieu » ; ainsi que M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. 1, Paris, L.G.D.J. (actualisé par G. Ripert, J. Boulanger), 1950, p. 273 : « Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les véritables sujets de droit restent les Hommes et qu’il n’y a d’autres personnes que les personnes humaines ».
  • 4 Vis Personne, dans G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, P.U.F. (12e éd.), Association Henri Capitant, 2016.
  • 5 I. TCHOTOURIAN, Vers une définition de l’affectio societatis lors de la constitution d’une société, Nancy, L.G.D.J. – Lextenso, coll. Bib. de Droit privé (t. 522), 2011, p. 605.
  • 6 Voir C. REGARD, S. SCHMITT, C. RIOT, La personnalité juridique de l’animal, Paris, LexisNexis, 2018, spéc. Chap. 2 : « Une convergence pluridisciplinaire en faveur de la personnalité juridique de l’animal ».
  • 7 Cette décision répondait à l’appel du « groupe d’Helsinki », un comité scientifique auteur d’une pétition pour les droits de certaines espèces de cétacés, sur le fondement des actes d’intelligence et de sociabilité dont leurs individus sont capables. (Cf. « The Declaration », dans Cetaceans Rights by the Helsinki Group, consultée en ligne le 25 juillet 2023, sur le site cetaceanrights.org).
  • 8 Cf. Loi n° 2015-177, 16 février 2015, art. 2.
  • 9 Cf. C. civ., art. 515-14 : « […] Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».
  • 10 Voir G. DELAVAQUERIE, « Les personnes juridiques », dans Les indispensables du droit des personnes, Paris, Ellipses, coll. Plein Droit, 2017, pp. 13-18.
  • 11 Voir R. DEMOGUE, « La notion de sujet de droit, caractères et conséquences », dans R.T.D. Civ., t. 8, 1909, pp. 611-655, p. 637 : « Tout le monde, sauf de rares exceptions, se récrie : faire de l’animal un sujet de droit, quelle horreur ! Quelle abomination ! À entendre ces cris, ne semblerait-il pas qu’il s’agit de leur donner quelque décoration et d’imiter Héliogabale faisant son cheval consul ? ».
  • 12 Voir J. VALÉRY, « Comment fut formée la théorie de la personnalité morale des sociétés commerciales », dans Mélanges Gény, t. 1, Paris, 1934, pp. 100-104.
  • 13 Voir A. BIHR, Le premier âge du capitalisme (1415 – 1763), t. 2, Paris, Syllepse, 2019, p. 473.
  • 14 Sous la plume des premiers professeurs de droit Français, la notion de « personne civile » se rapporte invariablement à une entité collective (notamment les municipalités). Cf. POTHIER, Traité des personnes et des choses, Paris, M. Dupin (éd. posth.) 1825, n° 201.
  • 15 Cf., à titre d’exemple, H. F. D’AGUESSEAU, Œuvres complètes du Chancelier D’Aguesseau, t. 14, Paris, Fantin et Cie (éd. posth.), 1819, p. 598, définissant le droit naturel (qu’il distingue du droit des gens), comme « ce que la raison naturelle établit entre les hommes, ce qui s’observe de la même manière chez tous les peuples de la Terre ».
  • 16 Cf., pour une illustration particulière, T. HOBBES, Léviathan, Paris, Sirey (rééd. 1971, trad. F. Tricaud), 1651, p. 285, présentant « le droit de nature » comme « la liberté naturelle de l’homme ». Voir également, pour analyse, J. NESTOR, « Pierre Crétois, Le renversement de l’individualisme possessif, De Hobbes à l’État social », dans Lectures, Les comptes rendus, 20 avril 2015, p. 3 : « Le libéralisme des physiocrates s’appuie sur une conception normative du droit naturel ».
  • 17 Cf. « Institutes », dans C.I.C., liv. I, tit. II, §1.
  • 18 Cf. GAIUS, « Au livre 7 sur l’Édit provincial », in C.I.C., Dig., liv. IX, tit. II, 1, §2 : « La loi met au rang des esclaves les animaux qui forment un troupeau, comme les brebis, les chèvres, les bœufs, les chevaux, les mulets et les ânes » ; l’auteur ajoutant à cette énumération les éléphants et les chameaux domestiques, considérant qu’« ils rendent les mêmes services que les bêtes de somme ».
  • 19 Cf. ULPIEN, « Au livre 18 sur l’Édit », in Ibid., 27, §5 : « À l’égard des autres choses, exception faite des hommes et des animaux, celui qui aura causé quelque dommage en brûlant, rompant, brisant, sera condamné à condamner au maître de la chose le prix le plus haut que la chose aura valu » ; et Ibid., §6 : « Celui qui, sans avoir tué un homme ou un animal, l’avoir brûlé ou estropié, sera soumis à la peine portée par ce troisième chef ». Il se déduit de cette exception que l’indemnité exigible pour la destruction d’une chose lambda est de rigueur pour la simple altération d’un animal ou d’un esclave, pour prendre en considération le manque à gagner qui peut en résulter pour le propriétaire.
  • 20 Cf. Ibid., 7, associant le fait de tuer un animal à la responsabilité acquilienne (ancêtre de notre responsabilité délictuelle).
  • 21 Cf. « Institutes », op. cit., §1 : « De là descend l’union du mâle et de la femelle, que nous appelons mariage, la procréation des enfants et leur éducation. En effet, nous voyons que les autres animaux semblent reconnaître ce droit ».
  • 22 Dans la mythologie grecque, ces deux titans chargés de répartir les ressources entre les différentes espèces volèrent le Feu pour le donner à l’humanité qui, à défaut de griffes ou de venin, devint alors la seule espèce dotée du génie – tout politique – d’administrer les cités.
  • 23 L. MICHOUD, L. TROTOBAS, La théorie de la personnalité morale et son application au droit Français, t. 1, Paris, L.G.D.J. (3e éd.), 1932, p. 39.
  • 24 Cf. notamment Vis Corps et communauté, dans C. FERRIÈRES, Dictionnaire de droit et de pratiques, t. 1, Paris, Bauche (nouv. éd.), 1771, observant que « les villes, les universités, les collèges, les hôpitaux, les chapitres [assemblée d’une confrérie], les maisons religieuses […] tiennent lieu de personnes », au motif que ces entités « peuvent posséder des biens et sont capables de donations, de legs et de successions testamentaires ».
  • 25 Voir M. PARMENTIER, « Hobbes et le libéralisme », dans Cahiers philosophiques 2008/4, n° 116, pp. 87-104, p. 95 ; ou L. STRAUSS, « Commentaire de La Notion de politique de Carl Schmitt », dans H. MEIER, Carl Schmitt, Leo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, Paris, Julliard (trad. F. Manent), 1990, p. 140, insistant sur la créance dont l’État est débiteur envers l’agent social dans la pensée contractualiste.
  • 26 Cf. « Décret du 21 septembre 1792 » (consultable sur le site conseil-constitutionnel.fr) : « La Convention déclare : […] 2° Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde de la nation » ; ainsi que « Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen », 24 juin 1793 (consultable sur le site conseil-constitutionnel.fr), art. 8 : « La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la protection de sa personne, de ses droits et de ses propriétés ».
  • 27 Voir M. PLANIOL, op. cit., p. 273 : « Ce n’est pas à raison de leur corps vivant que les Hommes ont la personnalité, puisque les animaux ne l’ont pas ; c’est à raison de leur esprit ».
  • 28 Étymologiquement : Per sonare, « ce par quoi passe le son », pour désigner un masque dans le théâtre antique. (Voir Vis Personne, dans F. GAFFIOT, Dictionnaire Latin – Français : Le Grand Gaffiot, Paris, Hachette (rééd.), 2018).
  • 29 La Sainte Bible (T.O.B.), Lévitique, ch. 16, vers. 22.
  • 30 H. MACCOBY, « Le bouc émissaire : le double rite », dans Pardès, 2002/1, n° 32, pp. 135-145.
  • 31 D’après la Genèse, Dieu crée les animaux du ciel et de la mer le cinquième jour, puis les espèces terrestres le sixième jour, au même moment que l’homme et la femme (Cf. La Sainte Bible (T.O.B.), Genèse, ch. 1, vers. 20-25).
  • 32 Cf. dans le même sens, PAUL (St), « Épître aux Romains », dans Ibid., Nouv. Test., Livre des épîtres, ch. 8, vers. 21 : « La créature elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu ».
  • 33 Voir X. TCHAMALATDINOV, C. LIEUTET, « L’évolution du discours juridique sur l’animal depuis l’Antiquité », dans Village de la Justice, parution en ligne, mai 2022, I/A, revenant notamment sur le végétarisme prêché par Pythagore ou Plutarque, qui « s’indignaient du régime carnivore […] en déplorant la violence infligée à l’animal, le sang versé inutilement ».
  • 34 Voir X. PERROT, « Le geste, parole et le partage : Abattage rituel à Rome », dans R.S.D.A., 2010/2, pp. 275-289 : « Dans le monde romain, sacrifier revient à faire acte de commensalité avec les Dieux » ; ainsi que N. BOËL-JANSSEN, « Le rôle de l’animal dans la religion romaine : la spécificité des rites et mythes féminins », dans M. BESSEYRE, P. Y. LE POGAM, F. MEUNIER (dir.), L’animal symbole, Aubervilliers, C.T.H.S., 2019, n° 3 : « L’animal sacrificiel est un simple moyen de communication entre l’humain et le divin ».
  • 35 Cf. ULPIEN, « Au livre 18 sur l’Édit », op. cit., 1 : « Si un animal a causé quelque dommage, il y a à ce sujet une action qui descend de la Loi des Douze tables ».
  • 36 Cf. Ibid. : « Cette loi a voulu que la maître en ce cas fut obligé d’abandonner l’animal si mieux il n’aime offrir d’en payer l’estimation ».
  • 37 Cf. Ibid., « Au livre 53 sur l’Édit », in C.I.C., Dig., liv. XXXIX, tit. II, 7, §1 : « Les animaux qui ont fait quelques dégâts ne nous obligent pas au-delà de leur valeur, puisque nous pouvons les abandonner pour servir de réparation ».
  • 38 Cf. Ibid., « Au livre 18 sur l’Édit », op. cit., §12 : « L’action suit son auteur dans toutes les mains où il passe ».
  • 39 Cf. Ibid., §13 : « Si l’animal est mort avant la demande, l’action s’est éteinte ».
  • 40 Cf. Ibid., §12 : « Il en est à l’égard des animaux comme à l’égard des esclaves ».
  • 41 Voir A. MIGNOT, « La place de l’esclave dans le ius obligationum romain », dans Dialogues d’histoire ancienne, 2007/1, n° 33, pp. 85-98, p. 89 : « Il convient de se remémorer que les enfants, fils de famille, dans la Rome archaïque, ne disposent guère plus de droits que les esclaves ».
  • 42 Voir F. GANELON, Histoire de la ville de Falaise, Falaise, Brée l’Aîné, 1830, p. 83.
  • 43 Voir, pour divers exemples médiévaux, M. DESNOIRETERRES, Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie, t. 4, 1830, pp. 309 s.
  • 44 Cf. Arch. Dptales de l’Aisne, collection numérisée : ABBAYE SAINT-MARTIN DE LAON, « Minutes du Procès Lenffant », Laon, reproduction dactylographiée, 4 juin 1494 : « Ung jeune porciau eust estranglé et deffait ung jeune enfant estant au berseau, filz de Jehan Lenffant, vachier, […] Nous, en detestation et horreur du dit cas, adfin de exemplaire et garder justice, avons dit, jugé, sentencié, […] le dit porciau estant detenus prisonnier ou enfermé en la dicte abbaye, sera par le maistre des haultes œuvres, pendu et estranglé en une fourche de bois » ; ainsi que Ibid., série H. 1508, n° 652, rapportant un cas équivalent, résolu par l’immolation de la bête en 1612 dans la commune de Molinchart ; ou encore Arch. Dptales de la Meuse, série H. 1862, liasse n° 21.
  • 45 Cf. La Sainte Bible (T.O.B.), op. cit., Livre de l’Exode, ch. 21, vers. 28 : « Si un bœuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé et l’on n’en mangera pas la viande, mais le propriétaire du bœuf sera quitte ».
  • 46 Voir, à titre de synthèse, D. CHAUVET, La personnalité juridique des animaux jugés au Moyen Âge, Paris, L’Harmattan, 2012.
  • 47 Cf. J. LA FONTAINE (DE), « Les animaux malades de la peste », dans Ibid., Second recueil dédié à Madame de Montespan, Paris, liv. II, Fable n° 1, 1679 : « Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis ; Je crois que le Ciel a permis ; Pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous ; Se sacrifie aux traits du céleste courroux ; Peut-être il obtiendra la guérison commune » ; où l’on voit les animaux organiser une instance pénale entre eux à l’état sauvage.
  • 48 Voir É. AGNEL, Curiosités judiciaires et historiques du moyen-âge : Procès contre les animaux, Paris, Dumoulins, 1858, pp. 21 s.
  • 49 Voir É. F. LANTIER (DE), Œuvres complètes d’Étienne-François de Lantier : Chevalier de Saint-Louis, membre des académies de Marseille, de Florence et de Rome, Paris, Arthus Bertrand, 1836, p. 455 ; l’auteur précisant que la condamnation judiciaire s’accompagne souvent d’une excommunication.
  • 50 Voir L. MANABRÉA, De l’Origine, de la forme et de l’esprit des jugements rendus au Moyen âge contre les animaux, Chambéry, Puthod, 1846, p. 71.
  • 51 Cf. F. MALLEOLUS, dit HEMMERLIN, Traité des exorcismes, Bologne, 1497, p. 92 : « [Le tribunal réaffirma] que lesdites larves étaient des créatures de Dieu, qu’elles avaient donc le droit de vivre ; qu’il serait injuste de les priver de subsistance ».
  • 52 Cf. La Sainte Bible (T.O.B.), op. cit., Livre de l’Exode, ch. 10, vers. 1-2, (8e plaie).
  • 53 Cf. F. MALLEOLUS, dit HEMMERLIN, op. cit., p. 92 : « [Le tribunal] les relégua en une région forestière et sauvage, afin qu’elles n’eussent désormais plus prétexte de dévaster les fonds cultifs [sic]. Et ainsi fut fait ».
  • 54 Voir A. MANCINI, La personnalité juridique dans l’œuvre de Raymond Saleilles, Synthèse de l’ouvrage De la personnalité juridique, Paris, Buenos Books international, 2007, p. 45.
  • 55 L’appellation de « fillettes » désigne a posteriori les cages de fer, souvent suspendues au-dessus du sol, dans les prisons royales, dont la taille était étudiée pour que les détenus ne puissent tenir ni debout ni coucher.
  • 56 Cf. J. LA FONTAINE (DE), « le Chien et le Loup », dans Ibid., Fables de La Fontaine, Livre I, 1668, fable n° 5 : « […] Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas ; Où vous voulez ? – Pas toujours, mais qu’importe ? ; Il importe si bien, que de tous vos repas ; Je ne veux en aucune sorte ».
  • 57 Volonté : Oui dans toutes les hypothèses (1) ; Liberté : Oui à l’état sauvage (0,5) – Non à l’état domestique (0).
  • 58 Voir A. MANCINI, op. cit., p. 37.
  • 59 Soit la faculté dévolue à une chose d’intégrer le patrimoine d’un sujet de droit (qui s’apparente à une modalité réelle, alors que la propriété moderne se conçoit plutôt comme un droit personnel ou subjectif).
  • 60 Cf. C. com., art. L. 225-206, I, posant un interdit de principe ; et Ibid., II, renvoyant aux dispositions réglementaires pour certaines hypothèses dérogatoires.
  • 61 Voir notamment J. CARBONNIER, op. cit., p. 397 :« Qu’est-ce qui fait la personnalité ? Ce n’est pas le corps, ce n’est même pas la volonté […]. C’est l’aptitude à être sujet de droits, à acquérir des droits ».
  • 62 J. P. MARGUÉNAUD, « Actualité et actualisation des propositions de René Demogue sur la personnalité juridique des animaux », dans Revue juridique de l’environnement, 2015/1, vol. 40, pp. 73-83.
  • 63 Voir, dans le prolongement de cette idée, D. CHAUVET, « Quelle personnalité juridique est digne des animaux ? », dans Droits, 2015/2, n° 62, pp. 217-234 : « Qui dirait sérieusement que les animaux, lorsqu’ils sont protégés, ne le sont pas pour eux-mêmes ? […] Il est incontestable que l’éthique présidant à la protection des animaux en tant qu’individus est celle d’un devoir direct envers les animaux ».
  • 64 Voir R. DEMOGUE, op. cit., p. 637 : « Si une personne veut laisser une rente pour entretenir un animal, n’est-il pas plus simple, plus près de la réalité, de dire que cet animal a une rente, au lieu d’admettre ces procédés alambiqués consistant à dire : on pourra léguer une rente à n’importe quelle personne à charge pour elle d’entretenir l’animal ? ».
  • 65 Dès la bataille d’Austerlitz, le Maréchal Lannes n’avait pas manqué de décorer le chien-soldat Moustache, pour être parvenu (au prix d’une fracture à la patte) à récupérer l’étendard du 40e régiment de ligne, tombé aux mains des Autrichiens. La plaque d’argent montée sur son collier intimait alors « qu’il soit respecté partout comme un brave ».
  • 66 Voir en ce sens J. P. MARGUÉNAUD, op. cit., p. 78.
  • 67 Voir R. DEMOGUE, op. cit., p. 620, soulignant qu’« envisagé de cette façon, le droit apparaît comme une chose infiniment belle, comme étant en quelque sorte la communion, le terrain de rapprochement de ceux qui peuvent souffrir » ; après avoir rappelé que « le but du droit est la satisfaction, le plaisir », pour en déduire que « tout être vivant qui a des facultés émotionnelles, et lui seul, est apte à être sujet de droit ».
  • 68 P. J. DELAGE, La Condition juridique de l’animal, Essai juridique sur les justes places de l’Homme et de l’animal, Limoges, thèse de doctorat (version dactylographiée), 2013, p. 250.
  • 69 Cf. C. civ., art. 1844-8, 4°, permettant aux associés de mettre fin à tout moment à la vie de leur société.
  • 70 Voir M. PRIEUR, « Que faut-il faire pour l’Amazonie ? », dans Revue de l’Environnement, 2019/4, vol. 44, pp. 665-669, p. 666.
 

RSDA 2-2023

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