Dossier thématique

Les auxiliaires de justice : mission des avocats et perspectives

  • Arielle Moreau
    Avocate au Barreau de Saint-Pierre de la Réunion

Qui violente son chien, violente sa famille

La loi du 2 juillet 1850 dite Grammont sur les mauvais traitements exercés publiquement envers les animaux avait pour vocation, outre la protection des animaux, à éduquer les hommes et les femmes au travers de leur rapport aux animaux placés sous leur garde.
Les brutalités inutiles pouvant s’exercer sur l’animal étaient alors perçues comme des opportunités d’évolution des Hommes, vers une société sans violence et apaisée.
La loi avait donc cette ambition de s’attaquer à la racine même du comportement violent.
Cette approche s’est cependant vite heurtée à la Summa divisio qui oppose en droit français les choses aux personnes et qui empêche de considérer de façon égale le traitement dévolu aux humains et aux animaux, y percevant des velléités d’abolir les différences inter espèces.

La violence ne connaît pas la barrière des espèces, le droit oui

Ainsi, alors que la nature d’être sensible des animaux est reconnue depuis la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et que selon une enquête Ipsos de 2020, 68 % des français estiment que leur animal de compagnie fait partie de la famille, l’État n’en tire aucune conséquence au regard du sort qui doit leur être dévolu, tant au niveau civil lors des procédures de divorce ou de séparation, qu’au niveau pénal en cas de violences domestiques.
Cet oubli est regrettable car outre qu’il fait fi de l’intérêt de l’animal et du lien affectif qui unit le maître à son compagnon, reconnu comme droit fondamental par une décision du Conseil d’État du 20 novembre 2023, il prive également l’État d’un outil efficace dans la lutte contre les violences domestiques.
C’est la raison pour laquelle un changement d’approche voire de réglementation s’impose tant dans le dépistage que dans le traitement des violences intra-familiales.
Les avocats en droit de la famille, acteurs incontournables dans les dossiers traitant de violences conjugales, doivent opter pour une approche transversale des violences.

Contexte de ma participation au groupe de travail « une seule violence » du sénateur Arnaud Bazin

Pour ma part le lien entre toutes formes de violence, s’est très vite imposé comme une évidence alors que j’exerçais comme avocate à Saint Pierre de la Réunion et m’impliquais dans les permanences victimes des femmes et des enfants violentés, tout en me consacrant bénévolement à la protection animale au sein d’associations locales et notamment l’association SOS Animaux, de feu madame Sarah De Lavergne.
Au gré des dossiers, la pertinence de ce lien s’est renforcée, tant au niveau des auteurs de violences, dont les parcours mettaient souvent en évidence des violences exercées sur des animaux dès leur plus jeune âge, qu’au niveau des victimes de violences familiales, les animaux du foyer étant souvent des victimes collatérales.
C’est dans ce contexte qu’en juillet 1994, l’association Galiendo de Frank Hohlstamm et moi-même avons mis en place en partenariat avec le procureur de la République de Saint-Pierre alors en place, monsieur Laurent Zuchowicz, le premier stage de sensibilisation au respect de l’animal, à l’instar des stages existant alors pour les violences faites aux femmes.
De retour en métropole j’ai pu continuer à œuvrer pour cette thématique au sein d’une ONG française, dont l’approche globale dans la lutte contre les violences aux animaux, aux humains et à la planète, était portée par son ex-vice-présidente, madame Marité Moralès, qui rebaptisera d’ailleurs l’association Thalis d’un nouveau nom plus conforme à cette vision œcuménique : « One Voice ».
En 2020, Agnès Borie, l’assistante du sénateur Bazin, sur les recommandations d’Hélène Brissaud, m’a proposé d’intégrer un groupe de travail dédié à cette thématique.

Pour un traitement unique des violences dans le foyer

En droit français, la réponse pénale donnée aux violences commises au sein du foyer va être différente selon l’identité des victimes concernées.
Le procureur de la République décide du sort des poursuites et des plaintes.
Les parquets des différents tribunaux judicaires sont divisés en pôles de compétence. Les violences commises sur les animaux ressortent du pôle environnement, là où les violences intra-familiales relèvent des atteintes aux personnes.
Les violences sont donc instruites et jugées de façon distincte aboutissant parfois même à des décisions différentes : un classement sans suite pour les violences faites aux animaux du foyer et un renvoi devant le tribunal pour les violences conjugales.
Cette division par matière est totalement abstraite et décorrélée de la réalité du cercle familial.
Ce clivage ne permet ni de restituer fidèlement la gravité des violences exercées par l’auteur, ni de mettre en place un dépistage précoce.
En effet, ce qui est en cause ce n’est pas tant l’espèce à laquelle la victime appartient mais bien la nature de l’acte commis : c’est-à-dire la violence envers un être sensible vulnérable, faisant partie intégrante du foyer.
Les auteurs des violences n’effectuent pas de discrimination, victime animale ou humaine. Dans les deux situations, le sujet devient l’objet sur lequel ils peuvent exercer leur violence.
Dans le cas précis des violences domestiques, les faits sont commis à l’encontre non de l’animal en tant que tel mais de ce qu’il représente, c’est-à-dire un compagnon de vie ou un membre de la famille. L’intention est donc aussi grave que l’acte.
En outre, les agressions sur les animaux du foyer créent un environnement délétère qui intimide et terrorise leurs victimes, avec parfois l’objectif d’empêcher la victime de partir ou la forcer à revenir en menaçant la vie de l’animal.

https://actu.fr/normandie/rouen_76540/rouen-il-tyrannise-sa-femme-en-tapant-son-chien-et-plaide-l-education_60177906.html

Les avancées de la loi du 30 novembre 2021

La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, portée par le député Loïc Dombreval, a renoué avec la tradition humaniste de la loi Grammont :
- En considérant comme circonstance aggravante le fait de commettre des actes de cruauté sur animaux en présence d'un mineur ;
- En créant un stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale ;
- En modifiant le Code de l'action sociale et des familles avec la création d’une veille au repérage et à l'orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale ;
- Et en instaurant une obligation d’évaluation de la situation d'un mineur à la suite de mises en cause pour sévices graves ou acte de cruauté ou atteinte sexuelle sur un animal mentionnées aux articles 521-1 et 521-1-1 du Code pénal, lorsqu’elles sont notifiées par une fondation ou une association de protection animale reconnue d'intérêt général.
Cependant ces mesures ne vont pas assez loin, et la France gagnerait à suivre l’exemple de nombreux pays anglo-saxons en incluant les animaux du foyer dans les dispositifs de prévention et de répression des violences domestiques.
C’était l’objet des amendements malheureusement rejetés, proposés par le sénateur Bazin dans le cadre de La loi d’orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur, dite « LOPMI » publiée au Journal officiel le 25 janvier 2023, sur lesquels notre groupe avait travaillé.

L’intérêt de de cet élargissement du cercle de la violence : précocité du dépistage et du traitement, application de la récidive légale

Le foyer doit être protégé en tant que tel car c’est un lieu sanctuarisé dont la fonction première est de veiller à l’épanouissement et à la protection de ses membres.
Cette appréhension globale des violences domestiques permettrait donc de mobiliser des outils efficaces dans cette lutte contre les violences domestiques :
- Un dépistage plus précoce des violences domestiques : Selon un sondage IFOP de juillet 2020, 52 % des français déclarent posséder au moins un animal de compagnie dans leur foyer. À la lueur de ces statistiques l’approche « une seule violence » apparaît comme une formidable opportunité de déceler des comportements violents.
- La récidive pourrait également être retenue dès que des violences sont exercées successivement sur des membres du foyer (animaux ou humains) et des prises en charge adaptées pourraient alors être déployées.

Une seule violence une seule défense

Les avocats peuvent d’ores et déjà opter pour une démarche globale :
- En intervenant auprès des procureurs pour plaider pour une poursuite commune, si des faits de violences sur animaux et humain existent ;
- En veillant à l’application des nouveaux textes : circonstance aggravante tiré de la présence du mineur témoin des violences, signalement effectué par les associations de protection animale ;
- En questionnant leurs clients victimes sur l’existence d’animaux au sein du foyer et les éventuelles violences subies, il convient alors de les orienter vers un vétérinaire pouvant établir un certificat ;
- En les orientant vers des associations de protection animale susceptibles d’héberger provisoirement leurs animaux sans frais.
Une attestation médicale peut établir les violences psychologiques subies par les enfants ayant assisté à des violences sur leurs animaux, mais également les conjoints ou conjointes.
Certes la recevabilité de ces éléments comme preuves des violences est laissée à l’appréciation du juge statuant sur la demande de protection. Au niveau pénal, la reconnaissance de ces violences indirectes risque de se heurter au principe de légalité.

Conclusion

Notre législation doit donc se doter d’une loi sur les violences domestiques qui intègre les animaux de compagnie afin de mettre en place une politique pénale cohérente des violences sans considération des espèces victimes de ces agressions, et d’encadrer, dans des situations conflictuelles, dès l’ordonnance de protection judiciaire, la garde de l’animal de compagnie.
Il conviendra alors que l’État se dote de moyens supplémentaires pour faire face notamment aux demandes d’hébergement temporaire et souvent en urgence de ces animaux.

     

    RSDA 2-2023

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