Actualité juridique : Jurisprudence

Droit comparé

L'évolution du statut juridique des animaux en Équateur : entre constitutionnalisme écologique et résistances législatives

 

1 - L'évolution récente du droit animalier en Équateur illustre de manière saisissante l'influence déterminante que peut exercer le droit constitutionnel sur la transformation des paradigmes juridiques traditionnels. En effet, depuis l'adoption de sa Constitution en 2008, l'Équateur s'est engagé dans une voie novatrice, en reconnaissant explicitement des droits à la nature, devenant ainsi le premier pays au monde à constitutionnaliser une approche biocentrique du droit environnemental. Cette évolution majeure a ouvert la voie à une redéfinition progressive du statut juridique des animaux, même si celle-ci reste encore largement inachevée.

2 - Cette reconnaissance constitutionnelle des droits de la nature a eu des répercussions bien au-delà des frontières équatoriennes. Ainsi, en 2017, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a rendu un avis consultatif novateur concernant l'environnement et les droits humains. Dans cet avis, elle a affirmé que « le droit à un environnement sain, contrairement à d'autres droits, protège les composantes de l'environnement, telles que les forêts, les rivières et les mers, comme des intérêts juridiques en soi, même en l'absence de certitude ou de preuve d'un risque pour les individus »1. Pour étayer cette position, la Cour interaméricaine s'est notamment appuyée sur la Constitution équatorienne et sur la jurisprudence de sa Cour constitutionnelle relative aux droits de la nature. Cette influence s'est poursuivie puisqu'en mars 2024, un tribunal péruvien a reconnu la personnalité juridique du fleuve Marañón2, s'appuyant en partie sur ce raisonnement de la Cour interaméricaine. L'innovation équatorienne en matière de droits de la nature a donc attiré l'attention internationale et favorisé la reconnaissance de ses intérêts juridiques.

3 - Toutefois, la mise en œuvre effective de cette protection constitutionnelle ne va pas sans soulever d'importantes difficultés conceptuelles et pratiques. Le maintien des animaux dans la catégorie des biens meubles par le Code civil équatorien illustre la persistance d'une approche traditionnelle qui entre en contradiction avec les ambitions constitutionnelles. Force est de constater que les avancées significatives en matière de protection animale sont essentiellement le fruit d'une construction constitutionnelle, qu'elle soit textuelle ou jurisprudentielle. À cet égard, la décision Estrellita rendue en 2022 par la Cour constitutionnelle3 apparaît comme une pierre angulaire dans l'édification d'un véritable droit animalier en Équateur. En revanche, le législateur équatorien semble faire preuve d'une certaine réticence à traduire ces impulsions constitutionnelles en normes concrètes et effectives. Le projet de Loi Organique pour la Promotion, la Protection et la Défense des Droits des Animaux non-humains (LOA), bien qu'ambitieux dans ses intentions, révèle de nombreuses insuffisances et contradictions qui témoignent des résistances à une véritable reconnaissance des droits des animaux.

4 - La présente étude se propose d'analyser cette dynamique complexe en examinant d'abord comment l'émergence d'un constitutionnalisme écologique a progressivement transformé le cadre conceptuel du droit animalier équatorien, en s'attachant particulièrement aux fondements culturels de cette évolution et au passage d'une conception civiliste traditionnelle à une approche constitutionnelle novatrice (I). Elle s'attachera ensuite à démontrer comment la jurisprudence constitutionnelle, à travers l'emblématique affaire Estrellita, a joué un rôle catalyseur dans l'émergence d'une nouvelle législation protectrice des animaux, tout en mettant en lumière les limites et les contradictions qui persistent dans ce processus de réforme, notamment à travers l'analyse critique du projet LOA (II).

 

I -  L'Évolution du Statut Juridique des Animaux en Équateur

 

5 - Cette première partie retrace l'évolution historique et conceptuelle du droit animalier équatorien, en examinant d'abord les fondements culturels autochtones qui ont influencé cette transformation juridique, notamment à travers les concepts de Pacha Mama et de Sumak Kawsay (A), puis en analysant comment le droit équatorien est progressivement passé d'une conception civiliste traditionnelle à un nouveau constitutionnalisme écologique, illustré notamment par l'adoption du Code Organique de l'Environnement (B)

 

A - Les Fondements Culturels du Droit Animalier Équatorien

 

6 - Le cadre juridique équatorien contemporain, notamment en matière de protection des animaux et de la nature, s'enracine profondément dans les concepts autochtones de Pacha Mama et de Sumak Kawsay. Ces notions, qui trouvent leurs origines dans les traditions précoloniales des peuples andins, occupent une place centrale dans la Constitution équatorienne de 2008, marquant une rupture avec les paradigmes juridiques hérités des systèmes occidentaux. La Pacha Mama incarne une entité vivante, la Terre Mère, dont tous les éléments, y compris les animaux, sont des parties intégrantes. Cette conception holistique de la nature confère une valeur intrinsèque à chaque composante de l'écosystème, rompant ainsi avec la vision occidentale traditionnelle qui instrumentalise la nature au profit des besoins humains4.

7 - Le Sumak Kawsay, ou « bien vivre », est un autre pilier fondamental de cette vision du monde. Ce concept, qui transcende les simples considérations économiques ou utilitaristes, appelle à une harmonie intégrale entre les êtres humains et leur environnement naturel. Il ne s'agit pas seulement de vivre en équilibre avec la nature, mais de reconnaître la nécessité d'une coexistence respectueuse et mutuellement bénéfique. Cette notion s'oppose fondamentalement à l'individualisme et à l'exploitation effrénée des ressources naturelles, prônant plutôt une approche collective et solidaire dans laquelle le respect de la Pacha Mama est essentiel pour atteindre une existence épanouie.

8 - Le Sumak Kawsay et la Pacha Mama ne sont pas de simples concepts philosophiques ou culturels ; ils ont été intégrés dans le droit constitutionnel équatorien, où la nature est reconnue comme sujet de droits. Les animaux, bien qu'ils ne soient pas explicitement définis comme titulaires de droits individuels, sont considérés comme des éléments inaliénables de cette nature. Leur protection découle donc de la protection de la Pacha Mama, un cadre qui, en théorie, devrait garantir leur bien-être. Cependant, comme nous le verrons, cette vision biocentrique idéalisée se heurte souvent à la réalité juridique anthropocentrique.

9 - Malgré l'influence majeure du Sumak Kawsay et de la Pacha Mama dans le texte constitutionnel, la pratique juridique équatorienne continue d'être marquée par un anthropocentrisme profond, en particulier en ce qui concerne le statut des animaux. En effet, bien que la Constitution de 2008 consacre les droits de la nature, le Code civil équatorien, dans sa version révisée en 2015, maintient les animaux dans la catégorie des biens meubles, les assimilant à des choses susceptibles de propriété privée.

 

B - Du Code Civil au Nouveau Constitutionnalisme Écologique

 

10 - Cette sous-partie analyse la transformation progressive du cadre normatif équatorien en matière de protection animale, en examinant d'abord comment les dispositions civiles et pénales traditionnelles maintiennent une conception réifiée de l'animal, tout en introduisant certaines protections minimales contre la maltraitance (a), puis en étudiant le renouveau écologique apporté par la Constitution de 2008 qui, en reconnaissant des droits à la nature, pose les jalons d'une potentielle reconnaissance des droits des animaux (b), et enfin en analysant l'adoption du Code Organique de l'Environnement qui, bien qu'offrant un cadre plus protecteur, illustre les difficultés à traduire concrètement les ambitions constitutionnelles (c).

 

a - Les dispositions civiles et pénales

11 - Historiquement, le Code Civil équatorien a inscrit les animaux dans la catégorie des biens meubles, une conception qui reflète l’héritage juridique romaniste partagé par de nombreux systèmes de droit civil en Amérique latine5. Dans ce cadre, les animaux sont assimilés à des choses, soumises au régime de la propriété privée. Cette classification découle directement des principes du droit romain qui distinguait entre les res mancipi et les res nec mancipi, c’est-à-dire les biens susceptibles ou non de mancipation. Les animaux domestiques, en particulier les bêtes de trait telles que les chevaux et les bœufs, figuraient parmi les biens mancipi, car ils servaient un usage économique important. À l’inverse, les animaux non domestiqués étaient juridiquement assimilés à des res nullius, c'est-à-dire des biens sans propriétaire, susceptibles d’être appropriés par quiconque les capturait6.

12 - Dans le Code Civil équatorien, cette conception se matérialise principalement à travers l’article 585, qui définit les meubles comme « des choses qui peuvent être transportées d’un lieu à un autre, soit en se déplaçant d’elles-mêmes, comme les animaux, soit en étant déplacées par une force extérieure»7. Cette disposition ne reconnaît aucune distinction morale ou juridique entre les animaux et les objets inanimés, les deux étant classés sous la même catégorie de biens meubles. En conséquence, les animaux sont soumis au droit de propriété et peuvent être utilisés ou aliénés au gré de leurs propriétaires, sans qu’aucune considération ne soit accordée à leur bien-être ou à leur sensibilité.

13 - Cette approche, bien que cohérente avec les cadres juridiques classiques, s’est heurtée à des critiques croissantes au fur et à mesure que la société civile prenait conscience de la nécessité d’une protection accrue des animaux. Le professeur Fuentes observe que, malgré les avancées dans le cadre constitutionnel, cette classification persistante dans le Code Civil illustre la résistance institutionnelle à la reconnaissance des animaux comme des êtres sentients.

14 - Dans le contexte de cette conception traditionnelle, l’introduction de normes relatives à la protection animale dans le Code Pénal équatorien représente une avancée notable, bien que partielle, vers la reconnaissance des animaux comme des êtres nécessitant une protection juridique spécifique. Les dispositions du Código Orgánico Integral Penal (COIP), adopté en 2014, consacrent pour la première fois en Équateur des sanctions pénales pour des actes de cruauté envers les animaux8. Le COIP prévoit notamment des sanctions pour les personnes reconnues coupables de maltraitance, de négligence ou de mise à mort d’animaux domestiques ou de compagnie, avec des peines allant de cinquante heures de service communautaire à des peines de prison pouvant atteindre trois ans dans les cas les plus graves9.

15 - Ces dispositions, bien qu’encourageantes, restent toutefois limitées dans leur portée. Elles concernent principalement les animaux domestiques, et leur objectif est souvent davantage motivé par des préoccupations de santé publique ou de sécurité humaine que par une reconnaissance intrinsèque de la dignité animale. Le professeur Fuentes fait valoir que, bien que le COIP traite de certains aspects du bien-être animal, il manque encore une législation spécifique qui aborderait de manière exhaustive les droits des animaux au-delà de la simple prévention de la cruauté ou de la négligence10. En outre, le texte du COIP ne remet pas en cause l’assimilation des animaux à des biens meubles dans le Code Civil, ce qui laisse persister une incohérence juridique fondamentale entre les différentes branches du droit équatorien.

b -  Le renouveau écologique constitutionnel

16 - La véritable rupture dans le cadre juridique équatorien est survenue avec l’adoption de la Constitution de 2008, qui a introduit un paradigme totalement nouveau, non seulement en ce qui concerne la protection des animaux, mais plus largement en ce qui concerne les droits de la nature11. l’Équateur est devenu le premier pays au monde à reconnaître explicitement la nature comme sujet de droits à part entière12. Cette innovation constitutionnelle, incarnée dans les articles 71 à 74 de la Constitution, confère à la Pacha Mama (la Terre Mère) des droits propres, notamment le droit à la restauration et à la préservation de ses cycles vitaux13.

17 - Le professeur Machado Júnior14 évoque un « constitutionnalisme écologique », qui marque une transition radicale vers un cadre juridique biocentrique, où la nature est dotée d’un statut juridique autonome, distinct des intérêts humains. Ce changement paradigmatique remet en question l’anthropocentrisme traditionnel du droit, en intégrant la notion que la nature, y compris les animaux, n’existe pas simplement pour être exploitée par l’homme. La reconnaissance constitutionnelle de la nature comme sujet de droits ouvre ainsi la voie à une réévaluation du statut juridique des animaux, qui, bien qu’intégrés à ce cadre naturel, n’ont pas encore été pleinement désignés comme sujets de droits dans les textes constitutionnels eux-mêmes.

18 - Cependant, cette reconnaissance des droits de la nature ne s’est pas encore traduite par une réforme complète des dispositions juridiques relatives aux animaux. Malgré l’adoption d’un cadre constitutionnel révolutionnaire, les animaux continuent d’être classés comme des biens meubles dans le Code Civil, ce qui révèle un décalage entre la théorie constitutionnelle et la pratique législative. La Constitution de 2008 pose néanmoins les bases d’une transformation plus profonde, en offrant un cadre normatif où la reconnaissance des animaux comme des êtres sentients pourrait être développée dans le futur.

19 - En ce sens, la Constitution de 2008 constitue un « grand saut » vers une écologie juridique intégrée, mais elle appelle encore des ajustements législatifs pour aligner le droit civil et pénal sur les principes constitutionnels et pour assurer une protection juridique cohérente et complète des animaux.

c - Le Code Organique de l’Environnement

20 - L'Équateur, fort d'une biodiversité exceptionnelle et conscient de l'importance de sa préservation, a adopté en 2017 le Code Organique de l'Environnement (Código Orgánico del Ambiente ou COA)15. Ce texte ambitieux, s’inscrivant dans le courant du constitutionnalisme environnemental latino-américain, vise à instaurer un cadre juridique global pour la gestion environnementale du pays16. Cela intègre notamment la protection des droits de la nature et le bien-être animal. Son adoption est la suite logique de la reconnaissance constitutionnelle des droits de la nature.

21 - Le COA, bien que n'étant pas exclusivement dédié à la protection animale, consacre plusieurs dispositions à la faune sauvage et domestique. A travers ses articles 139 à 151, il établit un cadre juridique novateur pour la protection et la gestion de la faune urbaine. Cette législation, qui s'inscrit dans une perspective globale du bien-être animal, mérite une analyse approfondie selon différents axes de protection.

22 - En matière de protection de la faune sauvage urbaine, le législateur équatorien adopte une approche conservatoire. L'article 141 établit clairement le principe selon lequel la faune sauvage doit prioritairement être maintenue dans son habitat naturel. Cette disposition témoigne d'une volonté de limiter l'anthropisation des espèces sauvages en milieu urbain. Le texte interdit formellement la capture d'animaux sauvages à des fins de divertissement, marquant ainsi une rupture nette avec certaines pratiques traditionnelles d'exploitation de la faune sauvage. Cette protection est renforcée par l'interdiction de l'élevage et de la commercialisation d'espèces sauvages, qu'elles soient natives ou exotiques.

23 - Concernant les animaux de compagnie, le dispositif législatif met l'accent sur la responsabilisation des propriétaires et la lutte contre l'abandon. L'article 145 définit avec précision les obligations fondamentales des détenteurs d'animaux, incluant non seulement les besoins physiologiques (alimentation, eau, abri) mais également les besoins comportementaux, reconnaissant ainsi l'importance du respect des spécificités éthologiques de chaque espèce. La législation prévoit également un système élaboré de gestion des animaux abandonnés, avec la création de centres d'accueil temporaire et la mise en place de programmes de stérilisation et d'adoption. Les collectivités territoriales se voient confier un rôle central dans la mise en œuvre de ces dispositifs, avec l'obligation de développer des programmes d'éducation à la possession responsable et de contrôle des populations.

24 - Le cadre réglementaire de l'expérimentation animale et de l'euthanasie révèle une approche particulièrement progressiste. L'expérimentation animale fait l'objet d'un encadrement strict, basé sur le principe internationalement reconnu des 3R (Remplacement, Réduction, Raffinement). L'article 147 interdit catégoriquement la vivisection dans les établissements d'enseignement primaire et secondaire, et limite strictement l'expérimentation dans l'enseignement supérieur aux cas où aucune alternative n'est possible. L'euthanasie est considérée comme une solution de dernier recours dans la gestion des populations animales, devant respecter des standards internationaux de bien-être animal. Cette approche témoigne d'une volonté de concilier les nécessités pratiques de la gestion de la faune urbaine avec des considérations éthiques élevées.

25 - Cette législation se distingue par son caractère systémique, intégrant à la fois des mesures préventives (éducation, stérilisation) et curatives (centres d'accueil, sanctions). Elle implique une coordination étroite entre différents niveaux de gouvernance et diverses autorités compétentes (santé, agriculture, éducation, recherche), créant ainsi un maillage institutionnel propice à une gestion efficace de la faune urbaine. La participation de la société civile est également encouragée, notamment à travers la possibilité de dénoncer les cas de maltraitance et la collaboration dans la gestion des centres d'accueil.

 

II -  Une nouvelle loi sous la pression du juge constitutionnel

 

26 - Cette seconde partie examine le système juridique contemporain de protection animale en Équateur, en analysant d'abord l'apport jurisprudentiel majeur de l'affaire "Estrellita", qui a contraint les autorités équatoriennes à repenser en profondeur leur approche du droit animalier (A), puis en étudiant de manière critique le projet de Loi Organique pour la Promotion, la Protection et la Défense des Droits des Animaux non-humains (LOA), qui, bien qu'ambitieux dans ses intentions, révèle les difficultés persistantes à traduire les principes constitutionnels en normes législatives efficaces (B).

 

A - L’affaire Estrellita

 

27 - Ce texte légal a été plus récemment mis en lumière lorsque le Cour constitutionnelle a rendu l’arrêt Estrellita le 27 janvier 202217. L'affaire trouve son origine dans la saisie d'une mona chorongo (singe laineux) nommée Estrellita, qui vivait depuis 18 ans avec une femme, Madame Ana Burbano, qu’elle considérait comme sa mère. Suite à un signalement, les autorités ont confisqué l'animal conformément au Code Organique de l'Environnement qui interdit la possession privée d’animaux sauvages et infligé une amende à sa gardienne. La mona chorongo mourut peu de temps après son transfert dans un zoo.

28 - Ignorant le décès de l'animal, la requérante déposa, le 6 décembre 2019, une requête en habeas corpus18  à l'encontre du Ministère de l'Environnement, du propriétaire du parc zoologique et du Procureur Général de l'État. La demanderesse sollicitait l'octroi par le Ministère de l'Environnement d'une autorisation de détention d'Estrellita, s'engageant à lui prodiguer les soins les plus appropriés à son espèce. Après diverses vicissitudes procédurales (défaut de notification régulière, ordonnance de classement et déclaration de nullité de la procédure), l'audience se tint finalement le 21 février 2020.

29 - Lors de cette audience, les conseils de Madame Ana Burbano déclarèrent n'avoir eu connaissance du décès d'Estrellita que ce jour même. Ils sollicitèrent consécutivement une nouvelle autopsie de l'animal et la restitution de sa dépouille à la famille de la requérante, la reconnaissance de la responsabilité du Ministère de l'Environnement et du propriétaire du parc zoologique pour atteinte au droit à la vie d'Estrellita, ainsi que l'élaboration d'un protocole spécifique relatif à la détention d'animaux en tant qu'êtres sensibles. Les représentants du Ministère, quant à eux, soutinrent qu'Estrellita relevait du patrimoine naturel de l'État et que, par conséquent, l'affaire ne pouvait être traitée comme un cas de détention d'animal domestique. Ils conclurent à l'irrecevabilité de l'habeas corpus, considérant que celui-ci dénaturait cette voie de droit.

30 - Le 26 février 2020, l'unité juridictionnelle en charge de l'affaire rejeta la requête en habeas corpus. La juridiction considéra que l'autorité environnementale avait agi dans le cadre de ses compétences, conformément à la politique environnementale nationale. Elle souligna en outre que Madame Ana, ayant commis une infraction relative à la faune sauvage, ne pouvait revendiquer la détention d'Estrellita, celle-ci étant légalement prohibée. Enfin, elle releva que la requête en habeas corpus, introduite deux mois après le décès d'Estrellita, tendait manifestement à induire le juge en erreur.

31 - Insatisfaite de cette décision, la requérante interjeta appel. Bien que déclaré recevable le 4 mars 2020, le recours fut rejeté le 10 juin 2020 par la Chambre spécialisée pénale, militaire, de police et de la circulation de la Cour provinciale de justice de Tungurahua. La Chambre considéra que le décès d'Estrellita suffisait à priver la requérante de tout espoir d'obtenir un habeas corpus. Elle souligna en outre l'inadéquation de cette voie de droit, destinée à protéger la liberté des personnes, au cas des animaux.

32 - Nonobstant les arguments développés par la Chambre, Madame Ana persévéra dans sa démarche contentieuse et introduisit, le 3 juillet 2020, un recours extraordinaire en protection, lequel fut déclaré recevable par la Cour constitutionnelle de l'Équateur le 4 septembre 2020.

33 - Sur la recevabilité de l'habeas corpus, la Cour constitutionnelle de l'Équateur releva, à titre liminaire, l'incohérence manifeste entre la demande de la requérante et la finalité recherchée par cette garantie constitutionnelle. En ce sens, la Cour souligna le paradoxe selon lequel Madame Ana sollicitait simultanément la libération d'Estrellita du parc zoologique et l'obtention d'une autorisation de détention pour la maintenir en captivité à son domicile, ce qui aurait constitué une autre forme de privation de liberté.

34 - Poursuivant son raisonnement, la Cour établit que, s'agissant d'animaux sauvages, il convient de protéger leurs droits de manière objective. Cette protection implique la reconnaissance de leur vie, de leur intégrité et de leur liberté comme des droits qui leur sont propres et inhérents, indépendamment des aspirations, des désirs ou des objectifs d'autres individus. Selon cette approche, la solution la plus appropriée consiste à les réintégrer dans leur habitat naturel ou, lorsque leur condition l'exige, à les placer dans un centre de réhabilitation ou un sanctuaire offrant les conditions et les soins nécessaires.

35 - Si le recours fondé sur l’habeas corpus a été rejeté, la Cour a ajouté que cela n'impliquait nullement que les animaux ne soient pas sujets de droits.  La Cour fonde son raisonnement sur une interprétation extensive des articles de la Constitution équatorienne relatifs aux droits de la Nature. Traditionnellement, ces droits étaient perçus comme protégeant les écosystèmes et les espèces dans leur globalité. La Cour opère ici un changement de paradigme en affirmant que la protection de la Nature à tous ses niveaux d'organisation inclut nécessairement la protection des animaux individuels. Cette interprétation repose sur l'interdépendance entre les différents niveaux d'organisation du vivant et sur la reconnaissance du statut d'êtres sensibles des animaux.

36 - La Cour structure son analyse en trois étapes distinctes. Premièrement, elle établit le principe de l'applicabilité des droits de la Nature aux animaux individuels, en se basant sur une lecture holistique de la Constitution. Deuxièmement, elle examine si les droits d'Estrellita ont été violés en l'espèce. La Cour conclut à une violation du droit à la vie et à l'intégrité physique du singe, du fait de sa détention prolongée sans autorisation et du défaut de prise en compte de ses besoins spécifiques par les autorités. Troisièmement, la Cour se penche sur les voies de recours disponibles pour la défense des droits des animaux. Elle confirme la pertinence de l'action de protection constitutionnelle dans ce contexte, tout en rejetant l'action d'habeas corpus en l'espèce.

37 - Pour étayer son raisonnement, la Cour mobilise deux principes d'interprétation fondamentaux : le principe « inter-espèces » et le principe d'interprétation écologique. Le premier impose de prendre en compte les spécificités de chaque espèce dans la définition et l'application des droits des animaux. Le second exige de considérer les interactions complexes entre les espèces et les écosystèmes. Ces principes permettent à la Cour d'adopter une approche contextuelle et nuancée de la protection des animaux, en évitant une application uniforme et abstraite des droits.

38 - Ces principes directeurs sont louables mais ne sont pas exempts de critiques. Bien que la Cour ait reconnu les animaux sauvages comme des sujets de droits, elle n’a pas défini les contours précis de ces droits ni les modalités de leur protection. Par exemple, la Cour n’a pas établi de cadre précis pour déterminer dans quelles circonstances la détention d’un animal sauvage serait légale ou illégale, ni comment concilier ces droits avec les impératifs de conservation ou de gestion des espèces.

39 - Consciente des limites de cet arrêt, la Cour constitutionnelle a enjoint au Ministère de l'Environnement de procéder à une adaptation de sa réglementation. Cette modification devait notamment préciser les conditions minimales auxquelles doivent satisfaire les détenteurs et les personnes en charge des soins aux animaux, conformément aux principes dégagés par la décision.

40 - La Cour a également adressé une injonction à l'Assemblée nationale équatorienne, lui imposant de débattre et d'adopter une nouvelle législation relative aux droits des animaux. Cette loi devait s'appuyer sur les principes jurisprudentiels développés dans sa décision. Afin d'assurer l'effectivité de cette réforme législative, la Cour a mis en place un dispositif intermédiaire. Elle a mandaté le Défenseur des droits (Ombudsman) pour élaborer un projet de loi dans un délai de six mois à compter du prononcé de la décision.

41 - Cette succession d'injonctions normatives illustre la volonté de la Cour d'assurer une traduction concrète et effective des principes jurisprudentiels qu'elle a dégagés, en mobilisant l'ensemble des acteurs institutionnels compétents selon une chronologie précisément établie.

 

B -  Le projet LOA

42 - Quelques mois après la décision constitutionnelle, un projet de loi organique pour la promotion, la protection et la défense des droits des animaux non-humains fut adopté 19 août 2022 (Ley Orgánica para la Promoción, Protección y Defensa de los Derechos de los Animales no Humanos ou projet LOA)19.

43 - Ce projet de loi représente une tentative novatrice d'intégrer les animaux dans le cadre des droits de la nature, tout en prenant en compte leur valeur individuelle en tant qu'êtres vivants. Le projet de loi a été introduit à l'Assemblée nationale, où il a été examiné par la Commission de biodiversité et des ressources naturelles. Ce processus législatif a suscité un débat public et des discussions sur la nécessité de protéger les droits des animaux en Équateur20. Il est actuellement toujours en discussion21.

44 - Ce projet, se compose d'un exposé des motifs, d'un préambule et de 80 articles répartis en trois titres. Le premier titre porte sur les dispositions générales, le second sur les obligations, interdictions et infractions, et le troisième sur la création d'un Système National pour la Promotion, la Protection et la Défense des Droits des Animaux Non Humains. Le projet de loi est complété par des articles généraux, transitoires, modificatifs et finaux qui le situent dans le cadre normatif équatorien.

45 - L'article 13 du projet LOA établit une classification des animaux basée sur leur utilité pour les humains, une approche anthropocentrique qui soulève des questions quant à la cohérence du projet avec ses propres principes fondateurs, notamment le principe de non-instrumentalisation des animaux. Cette classification distingue les animaux de compagnie, de travail ou de commerce, d'expérimentation, de consommation et d'industrie, ainsi que la faune sauvage, la faune exotique et la faune marine, aquatique et semi-aquatique.

46 - L'article 12, point central du projet, énonce les « droits des animaux non humains ». Il consacre notamment le droit à la vie (paragraphe a), à l'intégrité physique et morale (paragraphe c), à l'égalité formelle et matérielle (paragraphe a), au respect de leur dignité sans discrimination (paragraphe e), à la non-exploitation (paragraphe j), à la vie dans un environnement exempt de violence (paragraphe l) et à une mort digne lorsque celle-ci est nécessaire (paragraphe m). Cette formulation ambitieuse, si elle était appliquée dans son intégralité, représenterait une avancée significative dans la reconnaissance des droits des animaux.

47 - Cependant, l'application effective de ces droits est compromise par l'existence de dérogations et d'exceptions, notamment en ce qui concerne les animaux destinés à la consommation. L'article 17, tout en établissant des normes de bien-être pour ces animaux, admet implicitement leur abattage, ce qui contredit le principe du droit à la vie. De même, l'article 27 relatif à l'expérimentation animale, bien qu'il encourage le recours à des méthodes alternatives, n'interdit pas l'utilisation d'animaux à des fins de recherche.

48 - Le projet LOA prévoit également la création d'un « Système National pour la Promotion, la Protection et la Défense des Droits des Animaux Non Humains » (article 56), chargé notamment de « développer et d'émettre des politiques publiques relatives à la promotion, la protection et la défense des droits des animaux non humains » (article 59(a)). Cette institution pourrait jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre effective des droits des animaux et dans l'adaptation du cadre juridique aux évolutions de la société.

49 - Le juriste spécialisé en droit animalier ne peut que se réjouir de ce projet de loi. Cependant, bien qu’il semble promouvoir une approche novatrice des droits des animaux, un examen plus attentif révèle certaines incohérences et l’absence de reconnaissance des droits inhérents des animaux.

50 - En effet, le projet de loi LOA place les intérêts humains et l'équilibre écologique au-dessus des droits individuels des animaux. Il mentionne explicitement que les droits des animaux doivent être exercés « sans affecter les droits humains et les droits de la nature ». Ce biais anthropocentrique sape le principe fondamental de reconnaissance des animaux comme fins en soi. L'accent est mis sur la « fonction écologique » comme facteur déterminant du niveau de protection des différentes espèces. Cette approche privilégie le rôle des animaux dans l'écosystème plutôt que leur valeur inhérente en tant qu'individus.

51 - Le projet de loi LOA crée une hiérarchie des espèces animales basée sur des critères subjectifs. Il différencie entre animaux de compagnie, animaux de travail, animaux sauvages et ceux destinés à la consommation humaine, offrant différents niveaux de protection selon cette catégorisation. Cette approche spéciste contredit le concept des droits universels des animaux.

52 - Enfin, le projet de loi LOA manque de directives spécifiques et de mécanismes d'application. Il repose fortement sur un langage ambigu et des concepts tels que « traitement digne » sans fournir de définitions claires ou de procédures pour traiter les violations. La création proposée d'un « Système national » pour superviser les questions relatives aux droits des animaux offre une solution potentielle, mais soulève également des préoccupations quant aux obstacles bureaucratiques et aux retards possibles. L'efficacité de ce système dépendra de ses membres, de ses ressources et de son engagement à défendre les droits des animaux.

53 - En définitive, les limites pratiques de la protection juridique des différentes catégories d'animaux dans le projet LOA montrent que la législation équatorienne reste insuffisante pour garantir une protection égale et cohérente des droits de tous les animaux. Il en résulte une fragmentation du cadre juridique, où certains animaux bénéficient de meilleures protections que d'autres, en fonction de leur rôle dans la société humaine. Ainsi, malgré les efforts pour rompre avec l'anthropocentrisme, le projet de loi continue de subordonner les droits des animaux aux intérêts humains, en contradiction avec les principes proclamés dans la Constitution et dans la décision Estrellita. Les professeurs Lostal, Shanker et Calley n’ont pas hésité, pour témoigner de leur mécontentement, à commenter ce projet de loi dans un article intitulé : « Un pas en avant, deux en arrière : la quête des ‘droits’ dans le projet de loi sur les droits des animaux en Équateur »(22).

 

Conclusion

 

54 - L'évolution du droit animalier en Équateur illustre de manière emblématique les défis inhérents à la transformation des paradigmes juridiques traditionnels. Si la Constitution de 2008 a indéniablement posé les fondements d'une approche novatrice en reconnaissant des droits à la nature, la concrétisation de ces ambitions constitutionnelles s'est heurtée à des résistances persistantes, notamment dans le domaine de la protection animale.

55 - L'apport majeur de la jurisprudence constitutionnelle, culminant avec la décision Estrellita en 2022, a permis de préciser les contours de cette protection et d'impulser une dynamique réformatrice. Toutefois, la traduction législative de ces principes constitutionnels reste laborieuse, comme en témoigne le projet de Loi Organique pour la Promotion, la Protection et la Défense des Droits des Animaux non-humains. Ce texte, bien qu'ambitieux dans ses intentions, révèle les difficultés à concilier la reconnaissance des droits intrinsèques des animaux avec les impératifs économiques et sociaux.

56 - Cette tension entre l'ambition constitutionnelle et la prudence législative n'est pas propre à l'Équateur. Elle reflète plus largement les défis auxquels sont confrontés les systèmes juridiques contemporains dans leur tentative de redéfinir la place des animaux dans l'ordre juridique. L'expérience équatorienne démontre que la reconnaissance constitutionnelle des droits de la nature, aussi innovante soit-elle, ne suffit pas à garantir une protection effective des animaux sans une volonté politique forte de transformer les cadres juridiques traditionnels.

  • 1 Cour Interaméricaine Des Droits De L'homme, Avis consultatif OC-23/17 du 15 novembre 2017, demandé par la République de Colombie : L'environnement et les droits de l'homme (15 novembre 2017), paragraphe 62. Cité par M. LOSTAL, A. SHANKER, D. CALLEY, « Un paso adelante, dos atrás: la búsqueda de ‘derechos’ en el proyecto de ley sobre derechos de los animales en Ecuador », Derecho Animal (Animal Legal and Policy Studies), 2024, n°2, pp. 548-587, spéc. note 8, p. 551.
  • 2 Cour Supérieure De Justice De Loreto, Jugement rendu dans le cadre de l'action en amparo contre Petroperú et al., 00010-2022-0-1901-JM-CI-01 (14 mars 2024), paragraphes 24-25.
  • 3 Cour constitutionnelle d’Equateur, 27 janv. 2022, sentencia n° 253-20-JH/22, O. LE BOT, RSDA 2022, n°1, pp. 160-167.
  • 4 M. L. FUENTES, « Los derechos de los animales: una aproximación a los Derechos de la Naturaleza en el Ecuador », Derecho Animal (Forum of Animal Law Studies), 2020, vol. 11/3, pp. 78-97,  spéc. pp. 82-84.
  • 5 J. C. MACHADO JUNIOR, « A proteção animal nas terras da Pacha Mama: a insuficiência da proposta de lei orgânica do bem-estar animal no Equador », Revista de Biodireito e Direito dos Animais, 2016, vol. 2, n°2, pp. 38 - 55, spec. pp. 39-40
  • 6 M. L. FUENTES, « Los derechos de los animales: una aproximación a los Derechos de la Naturaleza en el Ecuador », Derecho Animal (Forum of Animal Law Studies), 2020, vol. 11/3, pp. 78-97, spéc. p. 90.
  • 7 « Muebles son las que pueden transportarse de un lugar a otro, sea moviéndose por sí mismas, como los animales (que por eso se llaman semovientes), sea que sólo se muevan por una fuerza externa, como las cosas inanimadas ». Code civil (version consolidée du 12 avril 2017), Équateur, WIPO Lex, https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/18926 
  • 8 https://www.defensa.gob.ec/wp-content/uploads/downloads/2021/03/COIP_act_feb-2021.pdf
  • 9 Les articles 249 et suivants du COIP, (tels que modifiés par la loi n°0 du 24 décembre 2019, Registro Oficial Suplemento 107) criminalisent divers actes de maltraitances envers les animaux, notamment les blessures, l’abandon, les sévices sexuels et la mort.
  • 10 M. L. FUENTES, « Los derechos de los animales: una aproximación a los Derechos de la Naturaleza en el Ecuador », op.cit. p. 92.
  • 11 J. C. MACHADO JUNIOR, « A proteção animal nas terras da Pacha Mama: a insuficiência da proposta de lei orgânica do bem-estar animal no Equador », op. cit. pp. 39-41
  • 12 L’Equateur n’est pas le seul pays à avoir pris ce chemin. Ce nouveau constitutionnalisme, particulièrement manifeste en Bolivie, en Équateur et au Venezuela, rompt avec la conception traditionnelle anthropocentrique du sujet de droit pour reconnaître la nature (Pachamama) et les animaux comme détenteurs de droits juridiques. Cette évolution s'inscrit dans une perspective biocentrique, héritée des cosmovisions amérindiennes, qui attribue une valeur intrinsèque à la vie non-humaine. Cette reconnaissance constitutionnelle novatrice marque une rupture épistémologique avec le modèle occidental dominant et propose un nouveau cadre juridique pour repenser les relations entre l'humanité et son environnement naturel. L. G. ARGUELLO PEREZ, « Los derechos de los animales y el nuevo paradigma del constitucionalismo latinoamericano », Revista Direitos Humanos & Sociedade 2019, vol. 1, n°2, pp. 97-112
  • 13 Art. 71. La nature ou Pacha Mama, où se reproduit et se réalise la vie, a le droit d'être respectée dans son existence intégrale ainsi que dans le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs. Toute personne, communauté, peuple ou nationalité pourra exiger de l'autorité publique le respect des droits de la nature. Pour appliquer et interpréter ces droits, les principes établis dans la Constitution seront observés, dans la mesure où cela est pertinent. L'État encouragera les personnes physiques et morales, ainsi que les collectifs, à protéger la nature et à promouvoir le respect de tous les éléments qui composent un écosystème. Art. 72. La nature a droit à la restauration. Cette restauration sera indépendante de l'obligation qui incombe à l'État et aux personnes physiques ou morales d'indemniser les individus et collectifs qui dépendent des systèmes naturels affectés. Dans les cas d'impact environnemental grave ou permanent, y compris ceux causés par l'exploitation des ressources naturelles non renouvelables, l'État établira les mécanismes les plus efficaces pour atteindre la restauration et adoptera les mesures appropriées pour éliminer ou atténuer les conséquences environnementales nuisibles. Art. 73. L'État appliquera des mesures de précaution et de restriction pour les activités pouvant conduire à l'extinction d'espèces, à la destruction d'écosystèmes ou à l'altération permanente des cycles naturels. L'introduction d'organismes et de matériaux organiques et inorganiques pouvant altérer de manière définitive le patrimoine génétique national est interdite. Art. 74. Les personnes, communautés, peuples et nationalités auront le droit de bénéficier de l'environnement et des richesses naturelles qui leur permettent de vivre bien. Les services environnementaux ne seront pas sujets à appropriation ; leur production, leur prestation, leur utilisation et leur exploitation seront régulées par l'État. » Constitution de la république de l’Équateur: Droits de la nature – Silene, https://www.silene.ong/fr/centre-de-documentation/documents-legaux/constitucion-republica-ecuador#Constitucion_del_Ecuador_2008.pdf
  • 14 J. C. MACHADO JUNIOR, « A proteção animal nas terras da Pacha Mama: a insuficiência da proposta de lei orgânica do bem-estar animal no Equador », op. cit. p. 40.
  • 15 Codigo Organico Del Ambiente, Registro Oficial Suplemento 983 de 12 de Abril del 2017, https://www.ambiente.gob.ec/wp-content/uploads/downloads/2018/01/CODIGO_ORGANICO_AMBIENTE.pdf
  • 16 A. MARTINEZ MOSCOSO, « El nuevo marco jurídico en materia ambiental en Ecuador. Estudio sobre el Código Orgánico del Ambiente », Actualidad Jurídica Ambiental, n° 89, Sección “Comentarios de legislación”, 8 avril 2019, https://www.actualidadjuridicaambiental.com/wp-content/uploads/2019/04/2019_04_08_Martinez_Nuevo-marco-juridico-ambiental-Ecuador.pdf Cour constitutionnelle d’Equateur, 27 janv. 2022, sentencia n° 253-20-JH/22, O. LE BOT, RSDA 2022, n°1, pp. 160-167 ; J. A. ALVARADO-VELEZ, « Protección de los animales como sujetos de derechos. Un análisis constitucional del caso “Mona Estrellita” en Ecuador », Estudios constitucionales 2023,  vol.21 n°2, https://www.scielo.cl/scielo.php?pid=S0718-52002023000200290&script=sci_arttext&tlng=pt#fn2  ; V. MORALES NARANJO, « Los fundamentos éticos que entretejen los derechos de los animales y de la naturaleza: una revisión a la Sentencia sobre la Mona Estrellita », Ecuador Debate 2022, n° 116, pp. 95-108, https://repositorio.flacsoandes.edu.ec/bitstream/10469/18847/1/REXTN-ED116-08-Morales.pdf
  • 17 L'habeas corpus est reconnu en droit équatorien. C'est une garantie constitutionnelle et juridictionnelle importante dans le système juridique de l'Équateur. Il est inscrit dans l’article 89 de la Constitution, dont l’alinéa 1 dispose : « L'action d'habeas corpus a pour objet de recouvrer la liberté de quiconque en est privé de manière illégale, arbitraire ou illégitime, sur ordre d'une autorité publique ou de toute personne, ainsi que de protéger la vie et l'intégrité physique des personnes privées de liberté ».
  • 18 Proyecto de Ley Orgánica para la Promoción, Protección y Defensa de los Animales No Humanos (César Córdova, Defensor del Pueblo / 424167, https://loaecuador.com/wp-content/uploads/2023/04/Ley-Loa.pdf
  • 19 El Universo, « Encarecerá el costo de las proteínas de origen animal: proyecto de ley de defensa de los derechos de los animales suma más posturas de rechazo », 6 juillet 2024, https://www.eluniverso.com/noticias/economia/ley-derechos-animales-ecuador-asamblea-nacional-nota/
  • 20 Un site internet spécialement dédié à ce texte législatif permet de suivre l’avancement des travaux : Loa Ecuador - Ley Organica Animal, https://www.loaecuador.com/ 
  • 21 M. LOSTAL, A. SHANKER, D. CALLEY, « Un paso adelante, dos atrás: la búsqueda de ‘derechos’ en el proyecto de ley sobre derechos de los animales en Ecuador », Derecho Animal (Animal Legal and Policy Studies), 2024, n°2, pp. 548-587.
 

RSDA 2-2024

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit fiscal

L’imposition des passes à poissons à la contribution foncière des entreprises

CAA de TOULOUSE, 1ère chambre, 09/11/2023, 21TL03832

 

La société à responsabilité limitée Mazières Frères exploite une centrale hydroélectrique, située dans la commune de Trèbes. A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale lui a notifié des suppléments de cotisation foncière des entreprises (ci-dessous CFE), pour les années 2016, 2017 et 2018. L’administration a en effet constaté que la société n’avait pas mentionné, sur sa base imposable, les passes à poissons placées sous son contrôle.

Selon la définition technique généralement retenue, une passe à poissons est un passage dégagé à l’endroit d’un cours d’eau où se trouve un obstacle, « de façon à rétablir la libre circulation de la faune piscicole »1. Les passes se présentent sous la forme d’une suite de différents degrés, appelée « échelle ». Construites pour permettre aux poissons de contourner les barrages d’origine humaine, les passes sont parfois complétées par des systèmes de comptage électronique, afin de déterminer le nombre exact des poissons migrateurs tels que les saumons ou les anguilles.

La société Frères Mazières a d’abord demandé une décharge des suppléments devant le tribunal administratif de Montpellier, lequel a rejeté sa requête dans un jugement du 12 juillet 2012. La cour administrative d’appel de Montpellier s’est prononcée dans un arrêt du 9 septembre 2023. Elle confirme la décision du tribunal.

Deux arguments ressortent de la requête de la société. En premier lieu, elle estime que les passes à poissons ne constituent pas un instrument de travail, de sorte qu’elles ne devraient pas être prises en compte dans les bases d’imposition de la CFE. En second lieu, une des passes à poissons a été mise en service à partir du 31 mars 2017. La société en tire la conclusion que l’édifice ne devrait pas être imposable – si jamais elle était assujettie malgré tout à la CFE – pour les années antérieures à 2019. Le texte sur lequel elle fonde l’ensemble des ses arguments est l’article 1467 du code général des impôts, relatif à la base d’imposition de la CFE.

Les arguments de la société se heurtent à une réalité difficilement contestable : elle a commis une erreur en omettant de déclarer les passes à poissons dans sa base imposable. Elles sont par principe imposables à la CFE, pour au moins deux raisons : d’une part, les passes constituent des aménagements obligatoires pour les exploitants de centrales hydrauliques (I) ; d’autre part, ce sont des biens immobiliers, inscrits fiscalement au titre d’immobilisations (II).

 

I – L’imposition des passes à poissons en tant qu’aménagements obligatoires

Le législateur oblige les exploitants de centrales à construire des passes à poissons, dans le but de préserver la continuité écologique (A). D’un point de vue fiscal, ce caractère obligatoire en fait des aménagements nécessaires à l’exercice de l’activité de l’entreprise (B).

 

A – La préservation de la continuité écologique

L’aménagement des « passes à poissons » est rendue obligatoire par l’article L. 214-18 du code de l’environnement, aux termes duquel « I.-Tout ouvrage à construire dans le lit d'un cours d'eau doit comporter des dispositifs maintenant dans ce lit un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux »

La prise en compte des passes par le législateur date de la loi du 31 mai 1865 relative à la pêche (art. 1er). Ce texte prévoie l’aménagement d’« échelles à poissons » dans certains cours d’eau (code rural, ancien art. 428-2)2. A l’époque, il s’agissait de préserver les ressources piscicoles. Aujourd’hui, le législateur évoque un intérêt écologique mais la perspective demeure la même, celle de lutter contre la mortalité des poissons migrateurs, piégés par des barrages qui les empêchent de circuler et de se reproduire. C’est ce qui ressort de l’article L. 214-17 al. 3 du code de l’environnement, relatif aux conditions de renouvellement de la concession ou de l’autorisation de barrages, moulins et autres ouvrages hydroélectriques. L’article L. 214-17 al. 3 subordonne le renouvellement au respect de l’une de ces trois situations : le maintien du très bon état écologique des eaux, celui du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant ou l’assurance de « la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée ».

Le principe de la continuité écologique, évoqué à l’article L. 214-17 al. 3, est consacré à titre général par l’article L. 211-1 du code de l’environnement : aux termes de ses dispositions, une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau permet d’assurer « le rétablissement de la continuité écologique au sein des bassins hydrographiques ». L’article L. 211-1 transpose le contenu de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 20003. Selon le Conseil d’Etat, l’annexe V de la directive retient « la continuité comme l'un des principaux éléments de qualité permettant d'apprécier l'état des eaux »4. Le Conseil d’Etat ajoute : « un très bon état est caractérisé par une continuité qui ‘‘n'est pas perturbée par des activités anthropogéniques et permet une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport de sédiments’’ » (même arrêt).

Le respect du principe de la continuité écologique justifie ainsi l’interdiction ou, au moins, l’encadrement strict des obstacles d’origine humaine sur les cours d’eau.

A noter toutefois que l’article L. 211-1 ne garantit pas l’intérêt animalier de façon autonome. Il fait prévaloir les intérêts humains de santé, salubrité publique, sécurité civile et alimentation en eau potable. La protection de la faune apparaît de manière secondaire, à concilier avec les « différents usages, activités ou travaux » liés à l’eau (code env., article L. 211-1, II).

Les centrales hydroélectriques, comme celle qui est exploitée par la société Mazières Frères, peuvent constituer des obstacles à la continuité écologique5. C’est ce qui explique l’exigence, pour la société, d’aménager des passes à poissons.

 

B – Des aménagements nécessaires à l’exercice de l’activité de l’entreprise

Selon les termes exacts de l’article 1467 précité du code général des impôts, le bien passible de la CFE est celui « dont le redevable dispose pour les besoins de son activité professionnelle ». Le barrage hydroélectrique de Trèbes comprend deux passes à poissons. Elles ne sont pas nécessaires techniquement pour faire fonctionner le barrage. Bien au contraire, elles en diminuent la capacité de production, ce que relève la cour administrative d’appel. Ces deux facteurs semblent corroborer la thèse de la société pour qui les passes ne sont pas des instruments de travail. Pourtant, la cour confirme le jugement du tribunal administratif. Elle se fonde sur deux motifs.

En premier lieu, la jurisprudence fiscale entend la notion de bien utilisable pour les besoins de l’activité professionnelle dans un sens large. Il suffit que le bien soit sous le contrôle du contribuable et utilisé par lui matériellement, pour la réalisation des opérations qu’il effectue. C’est ce que la doctrine administrative appelle, respectivement, les critères du contrôle du bien, de l’utilisation matérielle et de la finalité de l’utilisation6. La cour administrative d’appel relève en particulier la présence du critère du contrôle, dans la mesure où la société Mazières Frères assure « les travaux de réalisation, d'entretien et d'amélioration » des passes.

Ce qui pourrait surprendre, c’est que la cour n’évoque pas la question de la propriété des passes et, d’ailleurs, la société elle-même ne fournit aucune précision sur ce point. En 2002, le Conseil d’Etat avait néanmoins enlevé toute pertinence à ce moyen puisque, selon le juge de l’impôt, « l’aménagement en cause appartient […] à l’exploitant pendant la durée de l’autorisation en cours »7.

En second lieu, la cour note que les passes « sont prévues par les règles applicables en matière de protection de l’environnement et sont donc nécessaires pour permettre la production d’énergie électrique conformément à la réglementation ». Autrement dit, les passes ne sont peut-être pas utiles d’un point de vue technique mais elles sont indispensables sur le plan juridique car en leur absence, la société ne serait pas autorisée à exercer son activité.

Ce n’est pas la première fois que la jurisprudence fiscale souligne cette spécificité des passes à poissons. Déjà dans l’arrêt précité de 2002, le Conseil d’Etat avait jugé que « l'aménagement d'une ‘‘ passe à poissons ’’ est pour l'exploitant d'un ouvrage construit dans le lit d'une rivière […] une obligation légale dont le respect conditionne la régularité de l'exploitation ». La cour administrative d’appel de Toulouse reprend la solution adoptée par le Conseil d’Etat, ce qui la conduit à conclure en ces termes : les passes « doivent ainsi être considérées comme servant à l'activité hydroélectrique de la centrale de Trèbes. La société requérante n'est donc pas fondée à soutenir que les passes à poissons ne sont pas des biens dont elle a disposé pour les besoins de son activité ».

Il serait difficile de prétendre le contraire, sachant que les passes sont inscrites dans la partie « immobilisations » des déclarations fiscales.

 

II – L’imposition des passes à poissons en tant qu’immobilisations

Les passes à poissons sont juridiquement des immeubles. Elles augmentent par conséquent la valeur d’une exploitation. C’est ce qui explique leur imposition de principe (A). Néanmoins, elles demeurent pour l’exploitant une contrainte, s’ajoutant à d’autres et formant, ensemble, un régime juridique strictement encadré (B).

 

A – L’imposition de principe des passes à poissons

Les passes à poissons sont des constructions immobilières, passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Le Conseil d’Etat le reconnaît dans un arrêt de 2018 : aux termes de l’article 1381 du code général des impôts, sont soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties « les ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions ». C’est le cas en l’espèce d’une passe à poissons, compte tenu de « la nature de cet ouvrage, de son importance et de sa fixité au sol »8.

Or, la CFE a pour base la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière (CGI, art. 1467). Cela signifie qu’une construction imposable à la taxe foncière est susceptible d’être également imposable à la CFE sous réserve de constituer, pour le contribuable, un instrument de travail.

Les passes à poissons ne sont pas systématiquement imposables. Depuis 2018, les collectivités territoriales ont la possibilité d’exonérer de taxe foncière sur les propriétés bâties « les parties d’une installation hydroélectrique destinées à la présentation de la biodiversité et de la continuité écologique » (CGI, art. 1382 G, loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018). L’exonération s’applique aux passes à poissons9. L’objectif du législateur est d’alléger la charge fiscale des exploitants de centrales hydroélectriques, sachant que l’aménagement des passes à poissons s’avère coûteuse, nécessitant souvent la participation des agences de l’eau pour les financer10. En rendant moins lourde la contrainte d’aménager des passes, l’article 1832 G contribue au respect du principe de la continuité écologique. Le dispositif s’apparente à un verdissement de la fiscalité.

La législation relative à la CFE (CGI, art. 1447 et s.) répond, de son côté, à une toute autre finalité, celle d’une fiscalité budgétaire. Elle soumet les biens immobiliers, utilisés par le contribuable dans le cadre de son activité professionnelle, à la CFE. C’est le cas des passes à poissons, dans la mesure où elles produisent une « augmentation de la valeur des éléments corporels de l’actif immobilisé » (arrêt précité du 30 septembre 2022), d’où l’obligation faite au contribuable de les déclarer dans la base imposable de la CFE.

Dans l’affaire examinée, un doute persiste toutefois, concernant la plus récente des deux passes. La cour écarte rapidement l’argument portant sur la plus ancienne. Mise en service en 1998, elle est imposable à la CFE pour les trois années contestées (2016, 2017 et 2018). En revanche, les travaux de la seconde passe – à anguilles – ont commencé en 2015, de sorte qu’elle n’a pu être inscrite au compte « immobilisations en cours » qu’à partir du 31 octobre 2016 (une immobilisation en cours est un bien qui n’est pas mis en service au moment de la clôture de l’exercice11). Son inscription au compte « immobilisations corporelles » date seulement du 31 mars 2017.

Selon l’article 1467 A du code général des impôts, la CFE est basée sur la valeur locative des biens immobiliers utilisés par le contribuable depuis l’avant-dernière année précédant l’année d’imposition12. D’où l’argument de la société, estimant que la passe à anguilles ne saurait être assujettie à la CFE pour les trois années retenues par l’administration. Elle devrait être imposable uniquement à partir de 2019.

La Cour rejette une grande partie du raisonnement de la société requérante. Elle s’appuie sur des factures, de 2015 et 2016, qui correspondent approximativement à la valeur d’achat de la passe déclarée par la société. De ce constat, la Cour en tire la conclusion que l’exploitante disposait de la construction au 31 octobre 2016, de sorte qu’elle est imposable pour au moins l’année 2018.

La société a réussi à limiter ainsi le montant de sa dette fiscale à une seule année, mais elle n’a pas obtenu l’abandon complet de l’imposition. Contrainte par l’administration fiscale, la société l’est tout autant par le cadre juridique dans lequel elle évolue.

 

B – Le cadre juridique des exploitants disposant des passes à poissons

Même si la législation susmentionnée s’intéresse à la protection de l’environnement plutôt qu’à celle des animaux, elle pose un cadre suffisamment strict pour préserver autant qu’il lui est possible la faune aquatique. Ce cadre s’articule entre deux sortes de distinctions. La distinction préliminaire porte sur les types de cours d’eau. Aux termes de l’article L. 214-17 du code de l’environnement, il existe deux catégories de cours d’eau. La première catégorie vise en particulier les cours « en très bon état écologique » ou jouant le rôle de « réservoir biologique ». Ces cours font l’objet de la protection la plus complète, interdisant par principe la construction d’ouvrages. Plus précisément, « aucune autorisation ou concession » ne sera accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique. L’entreprise intéressée peut toutefois obtenir un renouvellement d’autorisation ou de concession, à la condition notamment d’assurer la protection des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée.

La seconde catégorie visée par l’article L. 214-17 s’applique aux cours d’eau dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Contrairement à la première catégorie, celle-ci n’est pas affectée d’une interdiction de principe pour toute nouvelle construction. Le législateur impose seulement que les ouvrages soient gérés, entretenus et équipés selon des règles définies par l’autorité administrative (sous réserve d’une concertation avec le propriétaire du cours d’eau ou son exploitant).

Les articles L. 511-2 et suivants du code de l’énergie ajoutent des garanties supplémentaires pour la protection des ressources aquatiques. Ils pratiquent à leur tour une distinction, cette fois-ci entre deux catégories de centrales hydroélectriques. Chaque catégorie relève d’un régime juridique différent. Les installations d’une puissance supérieure à 4,5 MW sont soumises au régime de la concession. Les installations d’une puissance inférieures à 4,5 MW, ce qui est le cas ici, obéissent au régime de l’autorisation. Ces règles s’expliquent en raison du principe, consacré par la loi du 16 octobre 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique, selon lequel « nul ne peut disposer de l’énergie des marées, des lacs et des cours d’eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'Etat » (art. L. 511-1 du code de l’énergie).

La société Mazières Frères a obtenu une autorisation d’exploitation de la part du préfet, lequel agit en qualité d’autorité environnementale. L’autorisation étant limitée dans le temps, la société devra renouveler sa demande par la suite. Mais, aussi encadrée que soit sa situation, Elle tire profit de l’exploitation du cours d’eau et la collectivité territoriale bénéficie également du produit fiscal de la CFE. Les enjeux sont principalement économiques, celui de l’environnement demeure secondaire. Quant à la protection de la faune sauvage, elle n’est distinguée ni par le juge de l’impôt ni par le législateur.

  • 1 Voies navigables de France, Guide Passe à poissons, 2008, p. 24, https://professionnels.ofb.fr/sites/default/files/png/PNG%202011/f_08-05_cle29b691.pdf
  • 2 Cf. Voies navigables de France, Guide Passe à poissons, op. cit., p. 61.
  • 3 Directive 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, https://eur-lex.europa.eu/legal content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32000L0060
  • 4 CE, 28 juillet 2022, n° 443911, https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046112945. Le juge administratif tranche en l’espèce un litige relatif à une demande d’exploiter l’énergie hydroélectrique sur un barrage, l’entreprise requérante contestant l’obligation imposée par le préfet d’aménager une passe à poissons.
  • 5 Cf. CE, 11 décembre 2015, n° 367116 : « « 4. Considérant qu'il résulte des dispositions citées au point 2 que la construction d'un ouvrage sur un cours d'eau figurant sur la liste établie en application [de l’art. L. 214-17, 1°, du code de l’environnement] ne peut être autorisée que si elle ne fait pas obstacle à la continuité écologique ; que le respect de cette exigence s'apprécie au regard de critères énoncés à l'article R. 214-109 du même code, qui permettent d'évaluer l'atteinte portée par l'ouvrage à la continuité écologique »,
  • 6 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046112945 Cf. BOI, 12 septembre 2012, BOI-IF-CFE-20-20-10-10. Voir aussi : Cf. CE, 9/10 SSR, 19 avril 2000, 172003, https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000007997109/
  • 7 CE, 8/3 SSR, 30 septembre 2002, 221030, https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008144830
  • 8 CE 27 juillet 2018, SNC Jacques Cros et Cie, req. no 409385, https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000037253962
  • 9 Cf. DGFP, Brochure pratique. Impôts locaux 2023, p. 67, https://www.impots.gouv.fr/www2/fichiers/documentation/brochure/idl/idl_2023.pdf 
  • 10 Cf. Département de la Drôme, Aménagement d’une passe à poissons et à canoës au seuil du pont du Batelier. Le document prévoit un financement à 80 % de l’aménagement par l’agence de l’eau : https://www.idrrim.com/ressources/documents/10/6042-presentation-PWP.pdf
  • 11 Cf. compte 23, art. 942-23 du Plan général comptable. Une immobilisation en cours a la particularité de ne pas être amortissable, du moins tant qu’elle n’est pas achevée.
  • 12 CGI, art. 1467 A : « Sous réserve des II, III IV et VI de l’article 1478, la période de référence retenue pour déterminer les bases de cotisation foncière des entreprises est l'avant-dernière année précédant celle de l'imposition ou le dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année close ». Ce principe fut posé par le législateur en 1980, à une époque où l’article 1467 A s’appliquait à la taxe professionnelle (loi n° 80-10 du 10 janvier 1980). Elle a été remplacée en 2010 par la CFE mais les principes fondant la base d’imposition n’ont pas changé.
 

RSDA 2-2024

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit de l'environnement

I/ Actualité de certains accords environnementaux multilatéraux 

1- « Où qu’elle survienne, l’injustice est une menace pour la justice en tous lieux. Nous sommes pris dans un inéluctable filet de coresponsabilité, enfermés dans l’enveloppe d’une même destinée. Tout ce qui affecte directement l’un, affecte indirectement tous les autres. » 1. Ce qu’il nous a semblé tout d’abord important de mettre en lumière dans la présente chronique dédiée au droit international de l’environnement, c’est toute une série de petits pas, voire de régressions de la protection internationale des espèces animales sauvages, identifiées à travers différentes conférences des parties (COP) qui se sont déroulées au cours de l’année 2024 au sein d’accords multilatéraux environnementaux (AME). Il est toujours permis de se demander si, après une période de particulière frénésie normative, le droit international de l’environnement n’est pas arrivé à un point de basculement qui lui imposerait de se renouveler en profondeur (A). Il faut aussi et surtout mettre en lumière la très grande injustice ayant conduit à la détention, même si celle-ci n’était que temporaire, de Paul Watson, emblématique fondateur de l’ONG Sea Sheperd, arrêté le 21 juillet 2024 par la police danoise sur ses terres groenlandaises, avant d’être finalement relâché le 17 décembre 2024. Cela questionne sur le triste sort réservé aux défenseurs des animaux sauvages, y compris sur un continent européen que l’on aurait pu croire relativement épargné, et sur la nécessité pour l’avenir de renforcer singulièrement la protection internationale des personnes qui, par leur action sur le terrain, œuvrent sans relâche pour le respect des AME (B). 

 

A/ La méthode des petits pas toujours au cœur des COP environnementales

2- Présenté lors d’une précédente chronique 2, le nouveau Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal (ci-après GBF), adopté le 19 décembre 2022 lors de la 15e COP de la Convention sur la diversité biologique (CBD), devait conduire à l’émergence de nouveaux engagements plus ambitieux en faveur de nouveaux objectifs fixés à horizon 2030 et 2050. On rappellera utilement que ce cadre mondial post-2020, succédant aux objectifs d’Aïchi, se compose d’une part, de quatre grands objectifs pour 2050 axés sur la santé des écosystèmes et des espèces (notamment pour mettre fin à l’extinction d’origine anthropique d’espèces), l’utilisation durable de la biodiversité, le partage équitable d’avantages, ainsi que la mise en œuvre et le financement des actions en ce domaine, mais aussi de 23 cibles établies à l’horizon 2030 3. Ainsi, ce cadre prévoit plus particulièrement la conservation de 30 % des zones terrestres, des eaux intérieures et des zones côtières et marines ; la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés ; la réduction de moitié de l’introduction d’espèces envahissantes ; et la réduction des subventions préjudiciables à hauteur de 500 milliards de dollars par an. Pour l’heure, les engagements pris lors de la COP 15 restent encore largement à concrétiser, et devront nécessairement conduire à des évolutions au sein de l’ensemble des accords environnementaux multilatéraux (AME) spécifiquement dédiés à la protection des espèces animales sauvages. Que peut-on observer à ce sujet au sein des différentes COP intervenues au cours de l’année 2024 ?

 

a/ L’échec cuisant de la 16e COP de la CBD : une absence de décisions sur les financements et sur le suivi des engagements des Etats pris lors de la précédente COP

3- Au cours de l’année 2024, trois COP importantes se sont déroulées à quelques semaines d’intervalle : la 16e session de la COP Biodiversité du 16 au 21 octobre 2024 (à Cali, en Colombie), la 29e session de la COP Climat du 11 au 22 novembre 2024 (à Bakou, en Azerbaïdjan) et la 16e session de la COP Désertification du 2 au 13 décembre 2024 (à Riyad, en Arabie Saoudite). S’il est important de détailler l’actualité de la 1ère, il ne faut pas occulter celle des deux autres, ces 3 conventions étant plus particulièrement interconnectées et au service de la protection des animaux sauvages bien que les conventions Climat et Désertification soient plus transversales.

4- L’occasion manquée de faire progresser la lutte contre l’effondrement de la biodiversité. La COP 16 de la CBD était particulièrement attendue pour concrétiser le nouveau cadre mondial biodiversité adopté lors de la précédente COP. Les Etats parties devaient à cette occasion soumettre leurs Stratégies et Plans d’Action Nationaux pour la Biodiversité (SPANB) révisés et mis à jour, tel qu’exigé par le GBF. Si 44 d’entre eux ont bien tenus leur engagement, beaucoup ne l’ont rempli que très partiellement (119 Etats) ou n’ont même rien présenté du tout (33 Etats). Il est à noter que l’ONG WWF a ainsi mis au point un précieux outil de suivi des SPANB qui se propose d’évaluer les documents nationaux à l’aune de plus de 60 critères et à l'aide d’une liste de contrôle des stratégies et objectifs nationaux du WWF. L’ONG entend ainsi inciter les pays à prendre des mesures plus ambitieuses en leur indiquant la voie à suivre 4, les Etats parties devant de toute manière mettre en œuvre leurs SPANB conformément à l’article 20 de la CBD. Cet outil donne une vision très fine du cadre juridique de chaque Etat en ce domaine, facilitant l’accès à d’utiles informations pour tous les citoyens soucieux de connaitre pour chaque Etat la mise en œuvre de ses engagements.

5- La création d’un fonds de financement spécial dédié exclusivement à la biodiversité dans une totale impasse. Si des accords ont pu être trouvés sur le partage des bénéfices découlant des ressources génétiques de la nature 5 ou encore le rôle des peuples autochtones, cette COP devait avant tout et surtout faire en sorte que les Etats tombent d’accord sur deux points cruciaux, à savoir le suivi des engagements d’une part et les financements d’autre part. Cela ne sera toutefois pas le cas, ces deux questions ayant été reportées à la prochaine COP faute de quorum nécessaire pour poursuivre les débats, mettant fin prématurément aux discussions engagées. Pourtant, pour réaliser pleinement les ambitions du GBF, la mise à disposition de moyens de mise en œuvre adéquats, suffisants, prévisibles et accessibles, notamment en matière de ressources financières, de renforcement des capacités et de développement des capacités, de coopération technique et scientifique ainsi que de transfert de technologie, plus particulièrement pour les pays en développement, reste un point névralgique. Certains pays en voie de développement (dont l’Afrique du Sud, le Brésil ou le Zimbabwe) avaient réclamé la création d’un nouveau fonds, exclusivement dédié à la biodiversité. En effet, l’enveloppe budgétaire allouée à la protection de la biodiversité fait pour l’heure partie du Fonds mondial pour l’Environnement (FEM), ce qui n’est pas sans poser problème car les pays en ayant le plus besoin ont peu de ressources pour le solliciter. L’Union européenne, ainsi que certains pays tels que le Canada, la Suisse, le Japon et la Norvège, se sont montrés particulièrement hostiles à une telle demande, au motif que la multiplication des fonds ne résoudrait en rien le problème. Pour contrebalancer leur position, ils se sont ainsi engagés à contribuer collectivement au FEM, à hauteur de 160 millions de dollars (qui pourront être portés jusqu’à 400 millions). On ne peut que déplorer qu’une telle opposition entre Etats du Sud et du Nord ait conduit à une situation de statu quo sur ce point.

6- La question des financements au cœur des préoccupations des COP Climat et Désertification. Sans une lutte efficace contre les changements climatiques ou contre la désertification à l’échelle globale, tous les efforts entrepris pour protéger les espèces animales sauvages pourraient ne pas servir à grand-chose. Les moyens financiers faisant également cruellement défaut, les finances étaient là aussi au cœur des négociations. Là où la COP Climat devait chercher à convaincre les pays les plus développés d’accroitre les financements à destination des pays les moins développés pour renforcer leurs efforts d’atténuation et d’adaptation au climat, la COP Désertification devait pour sa part se préoccuper de débloquer les financements publics et privés pour la restauration des terres et la résilience face à la sécheresse. Les résultats obtenus n’ont pas été à la hauteur des espérances, ce qui ne présage donc rien de bon pour la protection internationale de la faune sauvage.

 

b/ Actualité en demi-teinte des autres AME spécifiquement dédiés à la protection des espèces animales sauvages

7- Pour ce qui concerne les autres AME relatifs à la protection des espèces animales sauvages, on s’arrêtera ici de façon non exhaustive sur la Convention de Bonn sur la conservation des espèces migratrices appartenant à la faune sauvage (CMS), le récent accord mondial portant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine hors juridictions nationales (BBNJ) ou encore sur la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe (Convention de Berne).

8- Adoption du nouveau plan d’action stratégique pour la protection des espèces migratrices. Si la prochaine COP CITES n’aura lieu qu’en 2025 et permettra de célébrer le 50e anniversaire de cette convention, pour l’heure c’est du côté de la 14e COP de la CMS 6 que s’observent l’importance et l’urgence d’une concrétisation du GBF. A cette occasion, a été dévoilé le tout premier rapport sur l’état des espèces migratrices dans le monde 7, issu d’une collaboration fructueuse entre le Centre mondial de surveillance continue de la conservation du Programme des Nations unies pour l’environnement et le secrétariat de la Convention de Bonn. Ce rapport constitue une étape importante dans les efforts de synthèse et de communication des connaissances nécessaires pour faire avancer l’action sur la scène internationale puisqu’il indique que les niveaux de risque d’extinction augmentent pour l’ensemble des espèces inscrites à la CMS 8. En effet, 51% des zones clés pour la biodiversité, identifiées comme importantes pour la conservation des espèces migratrices ciblées par la CMS, n’ont pas donné lieu aux mesures étatiques protectrices escomptées. En outre, le rapport recense 399 espèces migratrices mondialement menacées ou quasi menacées, non encore inscrites à la CMS et ne bénéficiant actuellement d’aucune protection internationale. Pour tenter d’inverser ces tendances, les Etats signataires de la Convention de Bonn ont adopté par consensus les 14 propositions d’amendement aux annexes CMS permettant désormais aux animaux migrateurs tels que le requin-taureau, le grand dauphin de Lahille, le pélican thage ou encore la raie-aigle vachette de figurer aux annexes I et II. Mais c’est surtout pour pallier le manque de progrès mis en lumière lors du bilan du Plan d’action stratégique pour la protection des espèces migratrices 2015-2023, qu’un nouveau plan d’action stratégique a été adopté à l’issue de cette COP. Ce plan, destiné à faire progresser la mise en œuvre de nombreuses cibles du GBF, liste les actions à mener en vue d’améliorer la conservation de ces espèces, autour des six grands objectifs suivants : l’amélioration de l’état de conservation des espèces migratrices ; le maintien et la restauration des habitats et aires de répartition des espèces migratrices pour favoriser leur connectivité ; l’élimination ou la réduction significative des menaces pesant sur les espèces migratrices ; la mise en œuvre de la CMS en s’appuyant sur des connaissances, des capacités et des ressources adéquates ; le soutien à la mise en œuvre de la CMS par une gouvernance efficace, y compris l’utilisation des meilleures données scientifiques et informations disponibles et le travail en collaboration ; le renforcement du profil de la CMS et les synergies avec d’autres cadres internationaux pertinents. Si un tel plan est ambitieux et pourrait significativement améliorer à terme le sort des animaux migrateurs, les chances de mise en œuvre d’ici 2032 par des Etats peu proactifs en ce domaine restent toutefois bien minces…

9- Adoption d’un nouvel accord pour protéger la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales. L’accord BBNJ 9, qui est venu compléter la « constitution des océans » 10, a été adopté le 19 juin 2023 par 105 Etats et l’Union européenne mais son entrée en vigueur est suspendue pour le moment à un nombre de ratifications suffisantes. Destiné à assurer une protection de la diversité biologique marine en haute mer, soit en dehors des zones économiques exclusives (ZEE) et du plateau continental des États côtiers (ce qui représente 60% des océans), ce traité doit notamment conduire les parties contractantes à créer des outils de gestion par zones, à l’instar des aires marines existant dans les eaux territoriales afin d’y préserver, restaurer et maintenir la biodiversité, mais aussi à internationaliser les décisions sur les études d'impact environnemental qui doivent identifier et prévenir les atteintes générées par les activités engagées dans cette zone jusqu’ici non réglementée. Cet accord additionnel, qui procède ainsi à une approche beaucoup plus environnementale que celle prévalant dans la convention-cadre de Montego Bay, sera sans nul doute l'un des outils privilégiés pour atteindre l'objectif du GBF visant à protéger au moins 30% des océans de la planète d'ici à 2030. Mais encore faut-il qu’il puisse obtenir les 60 ratifications nécessaires.

10- Triste nouvelle pour la protection stricte de lupus canus sur le continent européen. A noter enfin, à l’échelle du Conseil de l’Europe, que la dernière réunion du Comité permanent de la Convention de Berne, relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, qui s’est tenue du 2 au 6 décembre 2024, a été source d’une immense déception. A ainsi été entérinée la proposition de l’Union européenne visant à modifier les Annexes II et III de la Convention en ce qui concerne le loup en vue d’assouplir la protection stricte qui lui était jusqu’ici accordée 11. En effet, la protection stricte conduisait à ce que les loups ne soient ni tués, capturés, détenus ou dérangés de façon intentionnelle, en particulier pendant la période de reproduction et de dépendance, leurs sites de reproduction ne devant pas être endommagés ou détruits (Article 6 de la Convention de Berne). Toutefois des exceptions pouvaient être accordées dans des circonstances dûment justifiées, telles que la prévention de dommages importants ou dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d’autres intérêts publics prioritaires, s’il n’existait pas d’autre solution satisfaisante et que la survie de la population concernée n’était pas en danger (Article 9 de la Convention de Berne). La Directive Habitats, qui prévoit pour l’heure une protection idoine, pourrait dans les prochains mois subir un même sort régressif, même s’il faut d’emblée préciser qu’une telle révision exigerait en principe d’obtenir un vote à l’unanimité au Conseil. « De nombreux experts ont pourtant rappelé que la proposition de déclassement ne reposait sur aucune base scientifique. Le groupe de spécialistes de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a notamment publié un communiqué particulièrement critique, dans lequel il rappelait "le principe important" selon lequel les décisions en matière de protection de l’environnement devaient "être basées sur la science et pas (seulement) sur des raisons politiques" » 12. Il est évident qu’une telle décision pourrait avoir à l’avenir des répercussions importantes sur d’autres espèces animales sauvages telles que l’ours ou le lynx, elles aussi vilipendées par certains Etats qui en demandent d’ores et déjà le déclassement.

11- Quelles nouvelles dynamiques pour le droit international de l’environnement à l’avenir ? Le multilatéralisme nous montre ici clairement ses limites, lenteur voire blocage parfois des processus multilatéraux, ce qui n’est d’ailleurs pas propre à la coopération internationale en matière d’environnement. Pour autant, le multilatéralisme reste l’instrument privilégié pour faire face à des problématiques environnementales avant tout globales et transnationales. Que faire par conséquent pour améliorer ces processus et faire en sorte que des mesures concrètes et effectives soient mises en place pour faire progresser la protection des animaux sauvages à l’échelle internationale ? Il faut certes continuer prioritairement de parfaire les cadres multilatéraux existants et faire en sorte qu’ils soient bien mis en œuvre, mais il faut surtout proposer d’en rénover opportunément la gouvernance, en revoyant notamment le fonctionnement des COP, soit en les regroupant par grandes thématiques pour éviter qu’elles ne continuent à fonctionner en silos, soit en les espaçant davantage (tous les 3 ans par exemple) pour donner la possibilité d’organiser annuellement des COP régionales de proximité, plus en phase avec les réalités concrètes locales. Il est aussi permis d’envisager de rendre les traités relatifs à la protection des animaux sauvages plus interdépendants en créant des outils communs ou mutualisés permettant de remplir les obligations découlant de plusieurs textes, de façon plus synergique. Il est enfin possible d’envisager de faire du droit international de l’environnement un laboratoire où pourrait s’expérimenter sur le terrain conceptuel de nouvelles approches juridiques plus écocentrées et plus éthiques 13, complétant les approches anthropocentrées et techniques, voire anéthiques qui prévalent actuellement dans la grande majorité des AME relatifs à la protection du vivant animal, encore trop gouvernés par une logique de marchandisation. C’est ici un vaste domaine restant pour le moment trop peu exploré à l’échelle internationale.

 

B/ Arrestation et détention de Paul Watson : la nécessité de renforcer significativement la protection internationale des défenseurs des animaux

12- A l’été 2024, l’un des plus grands défenseurs des baleines, le capitaine Paul Watson, a été arrêté à Nuuk au Groenland alors qu’il venait d’accoster avec son équipage pour ravitailler son navire en carburant. Co-fondateur de Greenpeace puis fondateur de l’ONG Sea Sheperd, il a ainsi été détenu pendant 149 jours avant d’être libéré. Cet évènement est d’abord révélateur des fortes pressions diplomatiques subies par un pays européen et orchestrées par le plus grand fossoyeur de baleines au monde. C’est aussi une occasion de réfléchir à l’opportunité de renforcer le statut international si l’on veut mieux protéger ceux qui œuvrent pour nous alerter du non-respect des AME par certains Etats.

13- Ces pays qui font fi du droit international protecteur des cétacés. Faut-il rappeler que le Japon fait partie des trois pays avec l’Islande 14 et la Norvège qui ne respectent pas le moratoire adopté par la Commission baleinière internationale (CBI). A ce sujet, le Japon a fait l’objet d’une condamnation sans équivoque par la Cour Internationale de Justice en 2014. Saisie par l’Australie 15, la CIJ a conclu que les baleines mises à mort, capturées et traitées au titre de permis spéciaux par le Japon en Antarctique ne l’étaient pas à des fins de recherche scientifique et que cet Etat avait donc agi en violation du droit international 16. Cette condamnation l’avait ainsi conduit à sortir de la CBI en 2018, le Japon s’appuyant inlassablement sur la défense d’une culture alimentaire traditionnelle pour perpétuer égoïstement une chasse commerciale, sans tenir compte ni de la nécessité de préserver ces cétacés, ni de la cruauté de pareille activité. Un nouveau navire baleinier a même été inauguré en mai 2024, démontrant que le Japon ne compte pas relâcher son activité dans ses eaux territoriales, bien au contraire, et ce même si la consommation de la viande de baleine continue de chuter. Le Japon en a même profité pour annoncer qu’il allait de nouveau chasser, outre le rorqual tropical et le rorqual boréal, le rorqual commun alors que les baleiniers japonais n'en ont plus tué depuis 2011. Comme l’a souligné l’ONG IFAW, « cette décision sape les efforts mondiaux de conservation des baleines dans un contexte où ces cétacés sont déjà confrontés à de grandes menaces, telles que le changement climatique » 17. Paul Watson était d’ailleurs de ceux qui avaient vivement réagi à cette annonce, mettant en lumière le caractère illégal de la chasse commerciale visant le rorqual commun, et s’engageant à bloquer physiquement toute opération en dehors de la ZEE du Japon. On comprend dès lors que le Japon n’avait que pour unique projet de contrer l’activiste, allant jusqu’à faire pression politiquement sur le gouvernement danois pour procéder à son arrestation et réclamer son extradition.

14- Une arrestation, une détention et une demande d’extradition destinées à bâillonner l’emblématique défenseur des baleines. Connu pour ses interventions musclées à l’encontre des baleiniers, nombreuses sont les voix qui se sont élevées à travers le monde pour demander la libération du plus fervent défenseur des océans et de sa biodiversité marine. Car cette arrestation semblait avant tout politique même si elle s’appuyait sur un semblant de fondement juridique, soit une notice rouge d’Interpol émise en 2012 pour des faits d’agression à la bombe puante commis en 2010 à bord d’un navire immatriculé au Japon, faits « mineurs » pour lesquels Paul Watson encourrait jusqu’à 15 ans de prison. Pourtant, comme le souligne à juste titre Corinne Pelluchon, « le militant qui a sauvé 5 000 cétacés était prêt, encore une fois, à risquer sa vie pour une baleine, mais sans blesser quiconque. Car jamais ses actions n’ont causé de blessures à un être humain ni entraîné de dommages significatifs sur le matériel d’autrui. Il a cependant porté un préjudice moral non pas au Japon, mais à celles et ceux qui veulent développer un commerce profitant à une poignée de nantis » 18. De telles manœuvres s’apparentent à celles des procédures baillons, qui consistent le plus souvent en des actions en justice visant à neutraliser, censurer et réprimer des personnes ou des groupes ayant pris part au débat public sur certains sujets donnant lieu à controverse. Elles sont aujourd’hui fréquemment utilisées contre ceux que le PNUE appelle les défenseurs environnementaux 19. Sur tous les continents, ces personnes sont ainsi confrontées à des mesures d’intimidation, de représailles et à des violences morales ou physiques qui peuvent parfois aller jusqu’au meurtre 20. Mais on a du mal à croire que sur le continent européen de tels comportements puissent se produire, alors que, comme en dispose le § 8 de l’article 3 de la Convention d’Aarhus 21, « chaque Partie veille à ce que les personnes qui exercent leurs droits conformément aux dispositions de la présente Convention ne soient en aucune façon pénalisées, persécutées ou soumises à des mesures vexatoires en raison de leur action ». En octobre 2021, alarmée par la grave situation à laquelle étaient confrontés certaines personnes, la Réunion des Parties à la Convention d'Aarhus avait adopté, par consensus, la Décision VII/9 établissant un mécanisme de réaction rapide sous la forme d'un Rapporteur Spécial sur les Défenseurs de l'Environnement, dont le rôle est de prendre des mesures pour protéger les défenseurs de l'environnement qui subissent, ou qui risquent de subir, des persécutions, des sanctions ou des harcèlements 22.

15- L’important travail réalisé par Michel Forst, premier rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l'environnement au titre de la Convention d'Aarhus. Il faut en effet saluer la note de positionnement de celui qui a été désigné en juin 2022 à cet important poste. Elle permet d’alerter sur ces formes de manifestation, parfois qualifiées de « désobéissance civile », considérées pour certains comme étant antidémocratiques et violentes. Paul Watson a d’ailleurs été régulièrement qualifié d’éco-pirate, voire d’écoterroriste, terme pourtant totalement inapproprié 24 et ayant pour seul dessein de discréditer la radicalité des méthodes employées par certains militants. Michel Forst relève que, de façon alarmante, partout en Europe on assiste à une montée en puissance de la volonté étatique de criminaliser de tels comportements. Or, « la répression que subissent actuellement en Europe les militants environnementaux qui ont recours à des actions pacifiques de désobéissance civile constitue une menace majeure pour la démocratie et les droits humains. L’urgence environnementale à laquelle nous devons collectivement faire face et que les scientifiques documentent depuis des décennies, ne pourra pas être réglée si ceux qui tirent la sonnette d’alarme et exigent des mesures sont criminalisés pour cette raison. La seule réponse légitime au militantisme environnemental et à la désobéissance civile pacifique, c’est que les autorités, les médias et le public réalisent à quel point il est essentiel pour nous tous d’écouter ce que les défenseurs de l’environnement ont à dire » 25. Michel Forst a ainsi adressé les 5 messages clés suivants à l’attention des Etats qui doivent selon lui - s'attaquer aux causes profondes des mobilisations environnementales, - prendre des mesures immédiates pour contrer les récits qui présentent les défenseurs de l'environnement et leurs mouvements comme des criminels, - ne pas utiliser l'augmentation du recours à la désobéissance civile environnementale comme prétexte pour restreindre l'espace civique et l'exercice des libertés fondamentales, - respecter leurs obligations internationales en matière de liberté d'expression, de réunion pacifique et d'association dans leur gestion des manifestations et de la désobéissance civile environnementales, et cesser immédiatement d'utiliser des mesures conçues pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée à l'encontre des défenseurs de l'environnement, et enfin - veiller à ce que l'approche des tribunaux à l'égard des manifestations perturbatrices, y compris les peines imposées, ne contribue pas à restreindre l'espace civique. En attendant que ces messages soient entendus, les Etats seraient bien inspirés de continuer à collaborer, notamment au sein de conventions telle que la CITES pour réaffirmer l’importance des inscriptions à l’Annexe I pour les grandes baleines et assurer une application rigoureuse de l’interdiction internationale du commerce des produits baleiniers !

S.N.

 

II/ L’Organisation Mondiale de la Santé Animale a 100 ans

16- La 91e session générale de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), tenue à Paris du 26 au 30 mai 2024, coïncidait avec son centenaire, une étape significative pour une organisation fondée en 1924 sous le nom de l’Office International des Épizooties (OIE). Créée en réponse à l’épidémie de peste bovine, l’OIE traduisait une volonté internationale d’unifier les efforts contre les maladies animales transfrontalières. L’éradication de la peste bovine en 2011, première maladie animale à disparaître grâce à une action concertée, reste une illustration de cette coordination. Avec 182 États membres aujourd’hui, contre 28 à l’origine, l’OMSA est l’une des organisations internationales les plus largement représentées, son champ d’action s’étendant bien au-delà de la régulation technique en matière de santé animale. L’organisation intervient désormais à l’intersection de la santé publique, du commerce international et de la gouvernance environnementale.

17- La position unique de l’OMSA dans l’ordre juridique international tient à sa double caractéristique : une spécialisation technique étroite, mais une pertinence normative étendue. Contrairement à des organisations comme les Nations Unies ou l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui traitent des priorités générales et universelles telles que la paix, la sécurité ou la santé publique, l’OMSA se concentre sur un domaine hautement spécialisé. Pourtant, avec un nombre d’États membres supérieur à celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC, 164 membres), l’OMSA témoigne de l’importance transversale des questions qu’elle traite. L’organisation partage ainsi une proximité normative avec des entités comme l’Organisation internationale du travail (OIT) ou l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), démontrant que l’autorité technique peut générer une adhésion quasi-universelle lorsqu’elle croise des intérêts stratégiques comme le commerce, la santé ou la durabilité.

18- L’articulation entre expertise technique et gouvernance universelle constitue un point nodal dans l’analyse de l’autorité normative de l’OMSA. Tandis que des organisations universelles comme l’OMS tirent leur légitimité de leur inclusivité, les entités spécialisées comme l’OMSA fondent leur autorité sur leur compétence technique. Cette complémentarité se manifeste notamment dans l’approche « Une seule santé », qui associe l’OMSA, l’OMS et la FAO dans le traitement de problématiques interdépendantes telles que les zoonoses, les impacts climatiques sur la santé ou la résistance antimicrobienne. Cette approche illustre comment des standards techniques spécialisés enrichissent les cadres juridiques globaux, en comblant les lacunes des accords universels par une précision normative.

19- Cette dimension est accentuée par l’influence juridique des normes de l’OMSA, qui, bien que non contraignantes en elles-mêmes, acquièrent une valeur normative au travers de leur intégration dans l’Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) de l’OMC. Ce mécanisme renforce leur rôle comme référence dans l’évaluation de la légalité des mesures sanitaires liées au commerce. Ainsi, l’adhésion à l’OMSA dépasse la simple collaboration technique : elle implique un alignement avec des standards globaux qui peuvent contraindre la souveraineté des États. Les normes édictées dans les Codes sanitaires pour les animaux terrestres et aquatiques de l’OMSA visent à harmoniser les réglementations nationales. Validées scientifiquement, elles servent à limiter les risques posés par les maladies transfrontalières, la résistance aux antimicrobiens et les zoonoses. Ces normes, bien qu’à première vue techniques, participent à la structuration des systèmes juridiques nationaux et internationaux en encadrant les mesures sanitaires dans les échanges commerciaux ou en influençant la régulation environnementale.

20- L’évolution de l’OMSA au cours du siècle dernier illustre comment une organisation internationale spécialisée peut transformer les dynamiques structurelles du droit international en harmonisant les cadres juridiques nationaux et internationaux à travers une combinaison unique de précision technique, d’innovation normative et d’adaptabilité institutionnelle. À l’aube de son deuxième siècle, l’OMSA se distingue par sa capacité à intégrer expertise technique et autorité normative, contribuant à l’harmonisation des cadres juridiques nationaux et internationaux.

 

A/ La construction de la gouvernance vétérinaire internationale par l’autorité normative hybride de l’OMSA

21- La création de l’OMSA en 1924 marque l’institutionnalisation de la santé vétérinaire comme domaine en tant que tel du droit international. Son émergence, dans le contexte de l’après Première Guerre mondiale, répondait aux risques croissants liés aux mouvements transfrontaliers du bétail facilitant la propagation des maladies animales. La fondation de l’organisation traduisait une reconnaissance collective : ces défis nécessitaient une réponse internationale, technique et permanente ancrée dans la coopération. Dès ses origines, le mandat de l’OMSA s’est défini par une priorité accordée à la rigueur scientifique et à l’expertise technique. Les statuts fondateurs de l’organisation identifiaient trois objectifs centraux : promouvoir la coopération internationale en matière de recherche vétérinaire et de contrôle des maladies, centraliser et diffuser l’information sur les épidémies animales et élaborer des accords internationaux pour réguler les mouvements des animaux et des produits d’origine animale. Ces priorités traduisaient une mission technique, éloignée des négociations diplomatiques classiques des institutions multilatérales. Les conférences ayant précédé la création de l’organisation avaient souligné l’importance de l’expertise scientifique sur les considérations politiques, un principe qui continue de guider son action.

22- L’OMSA a progressivement élargi son mandat tout en préservant son focus initial sur la santé animale. L’intégration de la question du bien-être animal comme priorité au début des années 2000, en dépit de l’absence de reconnaissance explicite de cet enjeu dans des cadres tels que les accords de l’OMC, illustre cette capacité à adapter son agenda aux préoccupations émergentes. L’évolution de son principal instrument normatif, le Code zoo-sanitaire international de 1971, en Code sanitaire pour les animaux terrestres, constitue un exemple clé de cette adaptabilité structurelle. Initialement conçu pour protéger les cheptels nationaux et faciliter les échanges commerciaux, le Code de 1971 reflétait un objectif unidimensionnel centré sur la gestion des risques économiques liés aux épidémies animales. Ses mesures prescriptives, telles que la mise en quarantaine obligatoire et les abattages systématiques, incarnaient un modèle de gouvernance rigide et centré sur l’État.

23- À l’inverse, le Code sanitaire pour les animaux terrestres actuel incarne une approche multidimensionnelle de gouvernance mondiale. Les objectifs de santé se sont élargis pour inclure des enjeux de santé publique comme les zoonoses et la résistance antimicrobienne, tandis que des considérations relatives au bien-être animal et à la durabilité environnementale ont introduit des dimensions éthiques et écologiques aux standards de l’OMSA. Cette réorientation s’accompagne d’une transformation des mécanismes juridiques du Code. Là où les normes prescriptives dominaient, l’approche actuelle privilégie des outils flexibles tels que l’analyse des risques, le zonage ou la compartimentation. Ces mécanismes permettent des réponses adaptées aux conditions locales tout en maintenant une cohérence avec les standards internationaux. L’intégration des technologies numériques pour la traçabilité des maladies et le partage des données renforce cette flexibilité, démontrant l’aptitude de l’OMSA à innover au sein de ses structures normatives. Ces transformations traduisent une évolution vers une gouvernance négociée, où les États doivent concilier leurs obligations internationales avec leurs priorités nationales, tout en s’engageant dans une surveillance mutuelle.

24- Le cadre normatif hybride qui caractérise aujourd’hui la gouvernance de l’OMSA illustre une interaction entre droit dur et droit souple. Certaines dispositions, notamment celles concernant les maladies zoonotiques ou la sécurité des mesures sanitaires liées au commerce, conservent un caractère impératif, reflétant l’urgence de gérer les risques globaux pour la santé. En parallèle, l’organisation recourt à des outils flexibles tels que des lignes directrices et des pratiques exemplaires, comme en témoignent ses standards de bien-être animal, qui reposent sur l’adhésion volontaire et la construction d’un consensus. Ce modèle hybride permet à l’OMSA de maintenir une participation large tout en s’assurant que ses normes restent opérationnelles et pertinentes.

25- La structure de gouvernance de l’OMSA reflète également son approche innovante en matière de décentralisation et d’inclusivité. L’Assemblée mondiale des délégués, réunissant des représentants de chaque État membre, constitue son organe décisionnel suprême. Ses travaux s’appuient sur des commissions régionales, qui abordent les défis spécifiques à certaines zones géographiques, et des commissions spécialisées, fournissant une expertise technique sur des problématiques complexes telles que le contrôle des maladies et la biosécurité. Cette architecture permet à l’organisation d’interagir de manière significative avec des préoccupations globales et locales, en créant des voies multiples pour la mise en conformité et la mise en œuvre. Contrairement aux organisations universelles comme les Nations Unies, qui reposent sur des mécanismes centralisés d’exécution, le modèle décentralisé de l’OMSA lui permet d’intégrer ses standards dans divers cadres institutionnels. Cette approche renforce l’influence de l’organisation en insérant ses normes dans les systèmes de gouvernance commerciale, sanitaire et environnementale. Par exemple, les standards de l’OMSA servent de points de référence dans les cadres réglementaires de l’OMC (accords SPS et OTC), garantissant leur diffusion dans les systèmes juridiques en l’absence de mécanismes d’exécution formels. Ce modèle décentralisé démontre comment une organisation spécialisée peut harmoniser les cadres juridiques nationaux et internationaux sans imposer de hiérarchies rigides. En particulier, bien que non contraignantes dans la structure de gouvernance interne de l’OMSA, ces normes acquièrent un statut exécutoire dans le contexte du commerce international, où elles servent de référence pour évaluer la légalité des mesures sanitaires nationales. Cette interaction entre normes techniques et cadres juridiques garantit que les États soient tenus responsables de la mise en œuvre de mesures de contrôle des maladies fondées sur des données scientifiques.

 

B/ Le rôle fonctionnel de l’OMSA dans l’harmonisation scientifique du droit mondial de la santé

26- Au cœur de la contribution fonctionnelle de l’OMSA se trouve son rôle central dans le cadre « Une seule santé », une initiative interdisciplinaire réunissant les domaines de la santé animale, humaine et environnementale. Cette approche repose sur le constat que l’interconnexion de ces secteurs exige des structures de gouvernance intégrées, capables de gérer les risques transfrontaliers. Les cadres normatifs de l’OMSA, fondés sur une validation scientifique rigoureuse, servent de base à l’harmonisation des efforts nationaux et internationaux pour atténuer les risques globaux pour la santé. En transcendant les cloisonnements propres à la gouvernance vétérinaire, l’OMSA a redéfini son mandat fonctionnel, fournissant un modèle global pour relever des défis allant des maladies zoonotiques aux impacts sanitaires induits par le changement climatique. Le cadre « Une seule santé » constitue ainsi non seulement un exemple de coopération interdisciplinaire, mais également une illustration de l’adaptabilité de l’OMSA à répondre aux complexités émergentes de la gouvernance mondiale.

27- Les efforts de l’OMSA dans la gestion des maladies zoonotiques illustrent concrètement son impact fonctionnel. Les standards élaborés par l’OMSA fournissent une base juridique pour des réponses coordonnées, incluant la surveillance, le signalement et les mesures de confinement. La transition du Code de 1971 au Code sanitaire pour les animaux terrestres actuel illustre la capacité de l’OMSA à adapter ses normes aux risques globaux émergents. Contrairement à des systèmes fondés sur des traités figés, les standards de l’organisation sont continuellement mis à jour pour refléter les avancées de la science vétérinaire et répondre à des défis émergents tels que les zoonoses, la résistance antimicrobienne et le changement climatique. Cette approche dynamique assure la pertinence des normes de l’OMSA dans un monde interconnecté et positionne l’organisation comme un acteur majeur dans le développement du droit international scientifique. Ces standards s’appuient sur des systèmes sophistiqués de suivi épidémiologique développés par l’organisation, centralisant et diffusant des données permettant des interventions rapides et concertées (WAHIS). De même, le rôle de l’OMSA dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens met en évidence son adaptabilité fonctionnelle face à l’un des défis de santé mondiale les plus pressants du XXIe siècle. L’usage abusif et excessif des antimicrobiens en médecine vétérinaire constitue un risque majeur pour la santé animale et humaine, en facilitant la transmission interespèces de pathogènes résistants. L’OMSA a pris une position de leader en élaborant des standards mondiaux pour l’usage raisonné des antimicrobiens et en promouvant des alternatives telles que la vaccination et l’amélioration des pratiques d’élevage. Ces initiatives reflètent la capacité de l’OMSA à concilier les priorités de santé publique avec les considérations économiques, en veillant à ce que les mesures réglementaires soient scientifiquement justifiées et harmonisées à l’échelle mondiale.

28- Les initiatives de l’OMSA en matière de risques climatiques démontrent également sa pertinence fonctionnelle dans la gestion des défis globaux interdépendants. Le changement climatique a des impacts significatifs sur la santé animale, modifiant les schémas épidémiologiques et exacerbant les vulnérabilités des écosystèmes fragiles. Consciente de ces risques, l’OMSA a intégré les considérations climatiques dans ses standards, s’assurant que ses normes restent adaptées à une ère de volatilité environnementale accrue. En alignant ses contributions fonctionnelles sur les objectifs mondiaux de durabilité, l’OMSA ne se limite pas à traiter les risques sanitaires immédiats mais se positionne également comme un acteur anticipant les défis trans-sectoriels complexes.

29- La légitimité scientifique constitue un pilier central du succès fonctionnel de l’OMSA, fondant son autorité normative. Contrairement aux mécanismes traditionnels d’exécution basés sur la coercition ou le consentement des États, l’OMSA favorise la conformité à travers la crédibilité de ses standards, ancrés dans des preuves empiriques et élaborés via des processus inclusifs et consensuels. Cette approche reflète une évolution fondamentale du droit international, où l’expertise technique et la validation scientifique sont de plus en plus reconnues comme des sources essentielles d’autorité juridique. En comblant le fossé entre science et droit, l’OMSA propose un modèle pragmatique pour aborder des défis globaux trop complexes pour des systèmes rigides fondés sur des traités.

Conclusion

30- Les contributions fonctionnelles de l’OMSA sont indissociables de ses innovations structurelles. Le cadre normatif hybride et le modèle de gouvernance décentralisé qui caractérisent l’organisation fournissent les bases de son efficacité fonctionnelle, lui permettant d’harmoniser les systèmes juridiques nationaux et internationaux tout en maintenant une précision technique. Ensemble, ces éléments démontrent comment l’OMSA équilibre spécialisation et universalité, garantissant que ses normes soient à la fois globalement pertinentes et adaptables à des contextes variés.

31- À l’occasion de son centenaire, les réalisations fonctionnelles de l’OMSA mettent en lumière le potentiel des organisations spécialisées à orienter l’évolution du droit international. En intégrant l’expertise technique dans les systèmes de gouvernance mondiale, l’OMSA illustre comment le droit international scientifique peut fournir des solutions pragmatiques aux défis complexes du XXIe siècle. Ses travaux offrent un modèle pour d’autres organisations spécialisées, soulignant le rôle crucial de la légitimité scientifique dans la structuration des cadres juridiques internationaux à venir.

32- À travers son cadre normatif hybride, sa gouvernance décentralisée et son adaptabilité scientifique, l’OMSA a remodelé les dynamiques structurelles du droit international. Sa capacité à concilier coopération volontaire et normes exécutoires, tout en intégrant ses standards dans divers systèmes de gouvernance, met en lumière sa contribution unique à l’harmonisation des cadres juridiques nationaux et internationaux. Alors que l’OMSA entre dans son second siècle, ses innovations structurelles offrent une base solide pour relever les défis juridiques et normatifs liés à la mondialisation. En montrant comment l’expertise technique peut favoriser la conformité et la cohérence en gouvernance internationale, l’OMSA propose une voie pour l’évolution continue du droit international dans un monde de plus en plus interconnecté.

J. R.

  • 1 Martin Luther King Jr., Lettre depuis la prison de Birmingham, 16 avril 1963.
  • 2 S. Nadaud, Chronique Droit international de l’environnement, RSDA 2022/2, pp.110-112.
  • 3 Pour une présentation plus détaillée des cibles : https://www.cbd.int/article/cop15-cbd-press-release-final-19dec2022
  • 4 V. l’outil mis au point et mis en ligne par l’ONG WWF : https://wwf.panda.org/act/nbsap_tracker_check_your_countrys_nature_progress/
  • 5 Il s’agit de la mise en place d'un mécanisme multilatéral de partage des bénéfices découlant des ressources génétiques numérisées pour pallier le vide du Protocole de Nagoya en ce domaine. « Le nouveau dispositif devra inciter les grandes entreprises pharmaceutiques ou cosmétiques à payer pour leur utilisation du matériel génétique archivé dans des bases de données numériques. Les chercheurs et instituts de recherche en seront exemptés » : F. Gouty, « COP 16 Biodiversité : des décisions qui évitent les sujets qui fâchent », Actu Environnement, 5 novembre 2024, https://www.actu-environnement.com/ae/news/cop-16-biodiversite-decisions-finance-dsi-45006.php4
  • 6 La COP 14 de la CMS s’est déroulée du 12 au 17 février 2024 à Sarmakand, en Ouzbékistan.
  • 7 PNUE-WCMC, 2024. État des espèces migratrices dans le monde. PNUE-WCMC, Cambridge, Royaume-Uni.
  • 8 Les deux plus grandes menaces pesant sur la faune sauvage migratrice sont selon le rapport précité la surexploitation et la perte d’habitats due à l’activité humaine.
  • 9 L’Accord dit BBNJ (pour Biodiversity Beyond National Jurisdiction), conclu le 19 juin 2023, n’entrera en vigueur qu’à compter de la 60e ratifications. Pour la France, v. la Loi du 13 novembre 2024 autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la Convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale. Voir https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-10&chapter=21&clang=_fr
  • 10 Convention des Nations unies sur le droit de la mer, dite Convention de Montego Bay, du 10 décembre 1982.
  • 11 Ce déclassement de lupus canus dans la « faune sauvage protégée » et non plus dans la « faune sauvage strictement protégée » fait écho à la résolution du Parlement européen : Résolution du Parlement européen du 24 novembre 2022 sur la protection des élevages de bétail et des grands carnivores en Europe, JO UE 2023, C 167, page 77 et s. Il est également à noter que 12 pays européens avaient émis des réserves à la Convention de Berne, refusant de considérer le loup comme une espèce strictement protégée.
  • 12   P. Mouterde, « Le loup perd son statut d’espèce « strictement protégée » au sein de la convention de Berne », Le Monde, article du 3 décembre 2024.
  • 13 Par exemple pour attribuer des droits spécifiques à certaines espèces ou à certains animaux sauvages les plus menacés, pour réprimer la criminalité environnementale à hauteur d’autres crimes internationaux.
  • 14 « L’Islande autorise la chasse à la baleine jusqu’en 2029 », Le Monde-AFP, dépêche du 5 décembre 2024.
  • 15 L’Australie reprochait au Japon de ne pas avoir observé le moratoire fixant à zéro le nombre de baleines pouvant être mises à mort, toutes espèces confondues, à des fins commerciales, d’avoir chassé le rorqual commun à des fins commerciales dans le sanctuaire de l’océan Austral et de ne pas avoir respecté le moratoire interdisant aux usines flottantes ou aux navires baleiniers rattachés à des usines flottantes de capturer, tuer ou traiter des baleines, à l’exception des petits rorquals.
  • 16 CIJ, arrêt du 31 mars 2014, Chasse à la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japon) : v. notre commentaire, RSDA 2014/1, p. 83 et s.
  • 17 Voir https://www.ifaw.org/fr/communique-de-presse/declaration-chasse-rorqual-commun-japon
  • 18 C. Pelluchon, « Un océan sans baleines, c’est le naufrage de l’humanité », Tribune Le Monde, 23 septembre 2024.
  • 19 Il s’agit de « toute personne qui défend les droits environnementaux, notamment les droits constitutionnels à un environnement propre et sain, lorsque leur exercice est menacé » : Politique du PNUE, « Agir en faveur d’une meilleure protection des défenseurs de l’environnement », 2018 : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/22769/Environmental_Defenders_Policy_2018_FR.pdf?sequence=4&isAllowed=y
  • 20 Voir le rapport de l’ONG Global Witness, « Plus de 2 100 défenseurs des droits fonciers et environnementaux tués à travers le monde entre 2012 et 2023 », septembre 2024 : https://www.globalwitness.org/fr/press-releases-fr/more-2100-land-and-environmental-defenders-killed-globally-between-2012-and-2023-fr/
  • 21 La Convention de la CEE/NU de 1998 sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus) dans ses articles 4 à 9 inclut des exigences particulièrement détaillées pour les droits procéduraux en matière d’environnement.
  • 22 V. Décision VII/9 sur un mécanisme de réaction rapide chargé de traiter les cas relevant de l’article 3 (par. 8) de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, adoptée par la Réunion des Parties à la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement à sa 7e session, Genève, 18-20 octobre 2021.
  • 24 23=M. Forst, Répression par l’État des manifestations et de la désobéissance civile environnementales : une menace majeure pour les droits humains et la démocratie, Février 2024, 25 pages, https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_Position_Paper_Civil_Disobedience_FR_1.pdf Le terme d’écoterrorisme n’a en effet aucune existence ni consistance juridique. En France, seul est incriminé le « terrorisme écologique ». L’article 421-2 du Code pénal prévoit en effet que « Constitue également un acte de terrorisme, lorsqu'il est intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, y compris celles de la mer territoriale, une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel ».
  • 25 M. Forst, précité, p.2.
 

RSDA 2-2024

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit sanitaire

La marge de manœuvre des États membres de l’Union européenne pour organiser la lutte contre une maladie animale réglementée, note sous CE, 18 octobre 2024, req. n° 473441

 

Mots clés : droit de l’Union européenne – santé animale – maladie réglementée – zoonose – brucellose – marge de manœuvre des États membres

 

1 En guise d’introduction, il semble indispensable de mentionner quelques éléments de présentation de la maladie animale dont il est question dans cette affaire. La brucellose est une maladie contagieuse provoquée par plusieurs bactéries. Si elle touche particulièrement les bovins, elle est susceptible d’infecter également les ovins, les caprins, les porcins ou encore les chiens, entre autres. Lorsque l’humain ingère du lait cru issu d’animaux contaminés, il s’expose à une maladie grave et invalidante1. Les animaux infectés, quant à eux, ont tendance à guérir spontanément à la suite d’un premier avortement ou d’une première mise-bas après la contamination.

 

2 Le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur le cadre réglementaire organisé par le ministre de l’agriculture pour lutter contre la brucellose, et particulièrement sur l’abattage systématique des troupeaux de bovins dont l’un des membres est atteint de brucellose. Une question majeure concerne la conformité du droit interne, dont l’arrêté en cause date de 20082, à la législation européenne sur la santé animale de 20163. À cet égard, cette affaire n’est pas sans rappeler une autre affaire tranchée par le Conseil d’État « Plaisir des fleurs », relative à un cheval abattu parce qu’il était atteint par l’anémie infectieuse des équidés. Bien que le Conseil d’État ait admis, dans ce dernier cas, l’existence d’un doute sur la légalité de la mesure d’abattage compte tenu de l’état du droit de l’Union européenne, ce doute ne présentait pas de caractère manifeste justifiant la suspension de la mesure d’abattage4. Dans le cadre de cette nouvelle affaire, les magistrats de l’ordre administratif n’ont aucun doute sur la légalité de la mesure de police sanitaire, et il convient développer leur analyse, tout en précisant déjà qu’à nouveau, la sphère de la santé animale a requis un arbitrage qui ne s’est pas révélé favorable à la vie des animaux.

 

3 En l’espèce, la Confédération paysanne a demandé au ministre de l’agriculture a minima de modifier les dispositions d’un arrêté ministériel prévoyant une obligation d’abattage total et systématique des cheptels de bovins en cas de détection d’un cas de brucellose bovine5. Cet arrêté date de 2008 et n’a pas fait l’objet de modifications depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle législation européenne sur la santé animale6.

 

4 À l’heure actuelle, le règlement européen classe la brucellose comme étant une maladie répertoriée au titre de son annexe II et les États membres doivent adopter des mesures de prévention et de lutte contre cette maladie.  Bien qu’ils disposent d’une marge de manœuvre dans les mesures à adopter, ils ne sont toutefois pas totalement libres. Ainsi, un État « indemne de maladie » peut adopter une ou plusieurs mesures prévues aux articles 53 à 69 du règlement (au titre desquelles figure la mise à mort ou l’abattage des animaux susceptibles d’être contaminés mais qui ne peut être décidée que selon le profil de la maladie et le type de production et les unités épidémiologiques au sein de l’établissement7) et, si nécessaire, il peut mettre en œuvre un programme d’éradication obligatoire. La Commission européenne a adopté un règlement délégué décrivant les règles relatives aux programmes d’éradication notamment lorsqu’ils sont déclenchés pour lutter contre la brucellose8.  Si un programme d’éradication est mis en œuvre, lorsqu’un cas de brucellose est confirmé, il est possible d’abattre tous les animaux dont le test s’est révélé positif ainsi que, si nécessaire, les animaux reconnus en tant que cas suspects9. En somme, lorsqu’il est prouvé qu’un animal d’un troupeau est atteint de brucellose, les animaux en contact avec cet animal contaminé peuvent être abattus si nécessaire.

 

5 Le droit interne réserve au ministre de l’agriculture la compétence pour organiser la prévention, la surveillance et la lutte contre les dangers sanitaires de première et deuxième catégorie10, parmi lesquels on retrouve les maladies dites réglementées11 et au titre desquelles figure la brucellose12. Ainsi, au titre de l’arrêté ministériel du 22 avril 2008, dès lors qu’un animal est infecté par la brucellose, l’ensemble du troupeau est considéré comme étant infecté13 et il appartient au préfet de prescrire l’abattage de tous les bovinés du troupeau, ainsi que les animaux des autres espèces sensibles reconnus infectés et détenus dans l’exploitation14. Cet abattage total du troupeau est obligatoire pour deux souches de brucellose, Brucella abortus ou Brucella mellitensis, et il peut seulement y être dérogé sur instruction du ministre pour les autres souches comme Brucella suis15. La Confédération paysanne conteste ces dispositions, considérant que cet abattage systématique n’est ni justifié, ni nécessaire, ni proportionné à l’objectif de protection de la santé publique poursuivi. Cette mesure de police porterait donc une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre, à la liberté du commerce et de l’industrie et au droit de propriété des éleveurs. Elle met également en avant l’atteinte à la protection du bien-être animal et des éleveurs.

 

6 Le Conseil d’État rejette la requête de la Confédération paysanne en développant trois points. Dans un premier temps, le juge administratif se concentre sur le caractère adéquat de la mesure qui vise à lutter contre des risques sanitaires et économiques. En ce qui concerne le risque sanitaire, le juge rappelle que cette zoonose est transmissible à l’homme, qu’il n’existe pas de traitement et que la vaccination ne serait pas envisageable au motif que les tests ne permettent ensuite pas de différencier entre un animal contaminé et un animal vacciné. La maladie est également vectrice de risques économiques puisqu’elle provoque des pertes en raison des avortements qu’elle engendre et des potentielles pertes de débouchés commerciaux puisque la contamination d’un troupeau impose de réaliser des tests de dépistage avant les exportations de bovins en provenance de France, vers les autres États membres de l’Union européenne puisqu’elle perd son statut de pays indemne de la maladie. Le caractère adéquat de la mesure d’abattage systématique d’animaux en contact avec un animal atteint de brucellose avec les objectifs sanitaires et économiques ne fait, pour le Conseil d’État, pas de doute. Pourtant, si de façon abstraite, l’abattage d’un troupeau dont un membre est contaminé vise un objectif sanitaire, en pratique, l’abattage d’animaux potentiellement sains ne saurait contribuer à satisfaire cet objectif sanitaire.

 

7 Dans un second temps, concernant le caractère nécessaire de la mesure, il apparaît que le risque de propagation de la maladie persiste en raison de la contamination de la faune sauvage dans certaines régions françaises. La Confédération paysanne n’a pas réussi à démontrer que la mesure dépassait ce qui était nécessaire pour parvenir à atteindre l’objectif de protection de la santé publique : le fait que des bovins aient développé un gène résistant à la maladie n’a pas été démontré ni que ces animaux seraient identifiables parmi un troupeau contaminé. La Confédération paysanne a également échoué à démontrer que l’abattage systématique était une mesure qui dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique en raison de l’existence de tests de dépistages. Elle a essayé de mettre en avant que chaque animal pourrait être individuellement testé et que seuls les animaux contaminés pourraient ainsi être abattus. Toutefois, il apparaît que les techniques de dosage sérologique des anticorps seraient imparfaites et conduiraient à des résultats faussement négatifs, alors même que c’est une technique déployée par l’Anses en 2021 lors d’une enquête épidémiologique à la suite de la contamination d’un troupeau. Les tests PCR, quant à eux, ne seraient pas suffisamment disponibles et leur utilisation ne serait pas opérationnelle (délai de résultat trop long, fiabilité insuffisante). Il serait toutefois intéressant de déterminer si la Confédération paysanne a échoué à démontrer que les tests PCR seraient efficaces en raison de l’absence de données scientifiques sur ce point, ou si ces données existent et ne seraient pas concluantes. En effet, dans la première hypothèse, l’absence de données disponibles pourrait être liée à l’absence de volonté politique de remplacer les abattages systématiques par des dépistages systématiques de tous les animaux. Enfin, le fait que d’autres États membres de l’Union européenne aient opté pour des mesures moins invasives que l’abattage d’un troupeau susceptible d’être infecté pour lutter contre la brucellose n’est pas un argument suffisant, selon le Conseil d’État, pour justifier le caractère non nécessaire de la mesure française.

 

8 En troisième lieu, et concernant cette fois la proportionnalité de la mesure au sens strict, la Confédération paysanne avance que les conséquences économiques de l’abattage systématique d’un troupeau pour un éleveur et les pertes de patrimoine génétique pour la filière seraient finalement hors de proportion avec l’objectif recherché. En réalité, et le juge administratif a déjà retenu cette position par le passé16, il estime que les modalités d’indemnisation du préjudice subi par l’éleveur sont « raisonnablement » en rapport avec la valeur du cheptel. En effet, sont pris en considération la valeur marchande des animaux abattus mais aussi les frais liés au renouvellement du troupeau. Les magistrats précisent également que les modalités d’indemnisation ne font pas obstacle à la possibilité de former un recours pour faute contre l’administration qui aurait tardé à mettre en œuvre les mesures d’abattage, et que ces pertes économiques doivent être « mises en regard » de celles incombant aux autres éleveurs qui risquent de perdre des débouchés commerciaux.

 

9 Le Conseil d’État rejette donc la requête de la Confédération paysanne qui cherchait à obtenir du ministre de l’agriculture qu’il impose des mesures moins invasives que l’abattage systématique d’un troupeau à la suite de la détection d’un seul cas de brucellose. Les arguments qu’elle a avancés n’ont toutefois pas convaincu les magistrats de l’ordre administratif et bien que la maladie n’ait contaminé qu’un seul animal d’un troupeau, la mesure prescrivant l’abattage de tous les animaux est maintenue en vigueur.

  • 1 Organisation mondiale de la santé animale, Manuel terrestre, Chapter 3.1.4, Brucellosis (infection with B. Abortus, B. Melitensis and B. Suis).
  • 2 Arrêté du 22 avril 2008 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et à la police sanitaire de la brucellose des bovinés, modifié.
  • 3 Règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et modifiant et abrogeant certains actes dans le domaine de la santé animale (« législation sur la santé animale »), modifié.
  • 4 M. Cintrat, « L’anémie infectieuse des équidés », À propos de Conseil d’État, 20 novembre 2023, req. n° 489253, RSDA, Chronique de droit sanitaire, 2023/2.
  • 5 Arrêté du 22 avril 2008 précité.
  • 6 Règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 précité.
  • 7 Article 61 du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 précité.
  • 8 Règlement délégué (UE) 2020/689 de la Commission du 17 décembre 2019 complétant le règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les règles applicables à la surveillance, aux programmes d’éradication et au statut indemne de certaines maladies répertoriées et émergentes, modifié.
  • 9 Article 27 du règlement délégué (UE) 2020/689 de la Commission du 17 décembre 2019 précité.
  • 10 Article D. 221-1 du code rural et de la pêche maritime.
  • 11 Article L. 201-1, II, 1° du code rural et de la pêche maritime.
  • 12 Article L. 221-1 du code rural et de la pêche maritime.
  • 13 Article 16, I, 2° de l’arrêté du 22 avril 2008 précité.
  • 14 Article 27, I, 7° de l’arrêté du 22 avril 2008 précité.
  • 15 Article 30 alinéa 1 de l’arrêté du 22 avril 2008 précité.
  • 16 V. not. CÉ, 17 oct. 2008, n° 291177, Gaz. Pal. n° 262, 19 sept. 2009, p. 15 et CÉ, 3e et 8e SSR, 2 juin 2010, n° 318752 (note C. Laurent-Boutot, RSDA 2010/1, pp. 98-101). Pour de plus amples développements, v. M. Cintrat, Recherche sur le traitement juridique de la santé de l’animal d’élevage, Thèse en droit, AMU, 2017, pp. 61 s.
 

RSDA 2-2024

Actualité juridique : Jurisprudence

Cultures et traditions

Limitation de la chasse à l’enclos : les animaux sauvages restent perdants

(à propos de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 et de la décision n° 2024-1109 QPC du 18 octobre 2024)

 

« Ainsi va la Sologne qui s’incline devant ses grands propriétaires. Un monde parallèle où la chasse est une drogue dure, consommée sans limites ».

Jean-Baptiste Forray, Les nouveaux seigneurs1

 

  1. Addiction ou non, s’offrir la possibilité de « consommer sans limites » suppose une certaine organisation, en tout état de cause la réunion de deux conditions : disposer d’une ressource abondante ; en disposer comme on l’entend. Pour chasser sans limites, il faut, en tout temps, du gibier ; il faut, en tout temps, y accéder. Et ce n’est pas si difficile, pour qui en a évidemment les moyens, puisqu’il suffit de jouir d’un vaste territoire sur lequel faire en sorte que les animaux soient nombreux et privés de la capacité d’en sortir.
  2. Ce que décrit Jean-Baptiste Forray dans « Les nouveaux seigneurs », s’agissant par exemple des sangliers, tombe sous le sens : quand « les tombereaux de maïs ne suffisent plus », ni « [l]es blocs de sel, dont raffolent les ongulés, […] posés un peu partout », pas plus que le « super attract sanglier », autrement dit quand « [l]es remèdes miracles font long feu », il faut recourir à une autre solution. Parce que, nous le rappelle l’auteur, « les sangliers sont nomades. Il y en a toujours qui se réfugient chez le voisin. Quand ils ne filent pas sur la route, à la grande fureur des propriétaires. Alors, pour échapper aux foudres de leurs employeurs, les gardes cherchent la parade. Ils proposent à leur patron une solution aussi simple et efficace que radicale. Pourquoi, suggèrent-ils, ne pas poser des grillages pour garder le maximum de cochons dans son giron ? ». Et de nombreux propriétaires, « séduits » nous dit Jean-Baptiste Forray, d’opter pour une telle solution, donnant « un feu vert qui va chambouler tout le paysage de la région »2 – ici la Sologne, le plus grand site français Natura 20003 ! – mais pas seulement.
  3. Si l’engrillagement fait assurément tâche dans le paysage, il présente bien d’autres inconvénients que le rapporteur sur la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée4, Laurent Somon, recensait ainsi, en 2022 : « [des] problèmes […] en matière de sécurité en cas d’incendie de forêt, les parcelles [étant] inaccessibles aux pompiers ; en matière de sécurité sanitaire du fait de l’importation et de la concentration d’animaux et des risques que cela présente pour les élevages français ; en matière de destruction de la faune et de la flore [puisque les] grillages empêchent le libre passage des animaux et le nécessaire brassage génétique [et] conduisent au piétinement des sols et à la destruction de la flore[, la] surdensité des grands animaux [nuisant par ailleurs] à la petite faune ; [ainsi que des problèmes tenant à la mise] en échec [du] développement du tourisme rural, de nombreux chemins ruraux étant bordés de hauts grillages. Certains chemins communaux sont même barrés par des grilles canadiennes tellement espacées qu’elles présentent un danger pour les cavaliers, les vélos et les enfants »5. Et il faut ajouter à tous ces problèmes celui que l’exposé des motifs de la proposition de loi en question met plus particulièrement en lumière, même si « l'objectif du texte […] proposé n'est […] pas de porter atteinte au droit de propriété ni au droit de chasse ou de chasser » : la « captation du gibier »6.
  4. La chasse étant une activité encadrée, capter le gibier présente finalement davantage de difficultés qu’il n’y paraît. Il faut pouvoir s’affranchir des règles, l’idée n’étant certainement pas d’encourir la moindre sanction du fait de leur non-respect. Engrillager ne suffit pas, le droit de la chasse pouvant encore s’appliquer dans les espaces clos. Seul un régime spécifique permet de disposer du gibier comme on l’entend, et c’est là que l’on peut voir tout l’intérêt d’une certaine conception de l’engrillagement, celle qui a prévalu jusqu’à ce que le législateur et le Conseil constitutionnel ne se mêlent de l’affaire : la création d’enclos cynégétiques dans lesquels l’article L. 424-3, I, alinéa 1er, du Code de l’environnement disposait, avant qu’il ne soit modifié par la loi du 2 février 20237, que « le propriétaire ou possesseur peut, en tout temps, chasser ou faire chasser le gibier à poil dans ses possessions attenant à une habitation et entourées d'une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage de ce gibier et celui de l'homme ».
  5. Ainsi envisagée, la chasse à l’enclos, dérogatoire au droit commun – « au temps de chasse8, aux modalités de gestion9 et aux participations aux frais d'indemnisation des dégâts du gibier à poil10 »11 –, permet sans nul doute d’accaparer le gibier, qu’on y chasse ou non à titre commercial12. Les enclos sont giboyeux, on y fait ce que l’on veut y faire, les conditions sont effectivement réunies pour consommer la chasse sans limites, sous couvert du droit de propriété qui implique le droit de se clore. L’accolement des articles 544 et 647 du Code civil est ici redoutable : puisque « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » et que « tout propriétaire peut clore son héritage »13, la chasse à l’enclos paraît être une pratique légitime. Pourquoi s’offusquer du fait qu’un propriétaire puisse clore son domaine, protégeant ainsi ce dernier et tout ce qui s’y trouve, la flore comme la faune sauvages ? Pourquoi s’offusquer du fait que les animaux y soient, en tout temps, nourris, contenus et chassés, du moment que « le terrain fait l'objet, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, d'un plan de gestion annuel contrôlé par la fédération départementale des chasseurs et garantissant la prévention de la diffusion des dangers sanitaires entre les espèces de gibier, les animaux domestiques et l'homme, ainsi que la préservation de la biodiversité et des continuités écologiques »14 ? Si l’on considère que tout est fait pour que la santé et l’environnement soient préservés, rien ne permet de crier au scandale. Et quelle surprise, alors, que le législateur décide, sans grandes difficultés qui plus est, que l’engrillagement des espaces naturels doive être limité. Quelle surprise, alors, que le juge constitutionnel valide les dispositions du Code de l’environnement ainsi modifiées. Mais reprenons ce qui s’est passé avant que le Conseil constitutionnel ne se prononce dans la décision n° 2024-1109 QPC du 18 octobre dernier15.
  6. En 2019, un rapport a été publié sur l’engrillagement en Sologne, les auteurs y recommandant des mesures peu favorables aux propriétaires, telles que « l'extension du droit commun de la chasse à l'ensemble des territoires sur lesquels la chasse est pratiquée (unicité de la réglementation de la chasse et accès aux enclos “cynégétiques” à des fins de contrôles) ; l'encadrement, voire la suppression de l'agrainage, de l’affouragement, de l'introduction d'animaux dans le milieu naturel ; l'interdiction de la chasse dans les enclos hermétiques, à l’exemple de la Wallonie ; la mise en place, dans le cadre des préconisations du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) en cours d'élaboration, de modèles de clôtures plus perméables et acceptables par les usagers, acteurs et représentants solognots »16. L’urgence était alors d’agir, ne serait-ce que parce que certains constats de la mission étaient inquiétants, voire proprement effrayants. On retiendra ainsi, parmi les observations, « une appropriation renforcée de l’espace et un frein à l’exercice de la police de l’environnement, par une déviance du droit des enclos créant des zones de non-droit (en entravant les contrôles) où la gestion “cynégétique” est littéralement aberrante » ; « des problèmes de sécurité routière induits par la canalisation des grands animaux du fait des clôtures, avec une sur accidentologie » ; « des installations de miradors et postes de tir mettant en danger les usagers des voies publiques »17 – rien que ça. Selon le rapport, il était aussi urgent d’agir parce que si « la Sologne est une région naturelle très concernée par l'engrillagement, […] elle n'est certainement pas la seule (nord-est, Landes...) »18, la « solognisation » pouvant s’étendre à tous les territoires se prêtant à un tel phénomène. Et les auteurs de conclure en ces termes : « Tout concourt à démontrer que les enclos hermétiques ou l'utilisation de grillages imperméables à la faune sauvage sont un non-sens cynégétique, présentent des non-conformités en matière de droit de l'environnement, de droit de l'urbanisme ou de droit rural et échappent partiellement au contrôle des élus et de l’État sur des interprétations juridiques discutables »19.
  7. En 2021 – 22 ans plus tard ! –, députés et sénateurs déposèrent plusieurs propositions de loi ayant pour objet, ou pour effet, d’encadrer le phénomène de l’engrillagement, partant, la chasse à l’enclos20. En 2022, alors que la proposition des sénateurs sur la limitation de l’engrillagement était en cours d’examen, il fut à nouveau proposé d’interdire la chasse à l’enclos21. Et c’est finalement en 2023 que la loi soumise au Conseil constitutionnel fut adoptée, son contenu montrant la volonté de restreindre, plutôt que d’interdire, tant l’engrillagement que la chasse à l’enclos, aucune de ces deux pratiques n’étant prohibée dès lors qu’il n’a jamais été dans l’intention des parlementaires, semble-t-il, de porter démesurément atteinte au droit de propriété ou au droit de chasse, droit de chasse dont on rappellera au passage qu’il n’est, contrairement au droit de propriété, « protégé en tant que tel par aucune disposition de la [CEDH] ou de ses Protocoles additionnels », qu’il s’agisse de « chasser sur son propre terrain ou sur le terrain d’autrui »22.
  8. Ainsi, s’agissant de la limitation de l’engrillagement, le nouvel article L. 372-1 du Code de l’environnement dispose, au premier alinéa, que les clôtures implantées dans les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du plan local d'urbanisme (PLU) ou, à défaut d'un tel règlement, dans les espaces naturels23, doivent permettre, en tout temps, la libre circulation des animaux sauvages. Ces clôtures doivent alors être posées 30 centimètres au-dessus de la surface du sol. Leur hauteur est limitée à 1,20 mètre. Elles ne peuvent ni être vulnérantes ni constituer des pièges pour la faune. Elles doivent être en matériaux naturels ou traditionnels définis par le SRADDET24. Les propriétaires doivent mettre en conformité les clôtures existantes avant le 1er janvier 2027, dans des conditions qui ne portent pas atteinte à l'état sanitaire, aux équilibres écologiques ou aux activités agricoles ou forestières du territoire25. Le premier alinéa de l’article L. 372-1 ne s’appliquant pas aux clôtures réalisées plus de 30 ans avant la publication de la loi l’introduisant dans le Code, il appartient au propriétaire d'apporter par tous moyens la preuve de la date de construction de la clôture, y compris par une attestation administrative. Dans le cas où il serait procédé à une réfection ou une rénovation des clôtures construites plus de 30 ans avant la promulgation de la loi, les travaux doivent être réalisés selon les critères désormais applicables26.
  9. Les exceptions sont nombreuses, le deuxième alinéa de l’article L. 372-1 excluant du champ d’application du premier alinéa les clôtures des parcs d'entraînement, de concours ou d'épreuves de chiens de chasse ; les clôtures des élevages équins ; les clôtures érigées dans un cadre scientifique ; les clôtures revêtant un caractère historique et patrimonial ; les domaines nationaux ; les clôtures posées autour des parcelles sur lesquelles est exercée une activité agricole ; les clôtures nécessaires au déclenchement et à la protection des régénérations forestières ; les clôtures posées autour des jardins ouverts au public ; les clôtures nécessaires à la défense nationale, à la sécurité publique ou à tout autre intérêt public. On ne peut qu’espérer que ces exceptions seront interprétées strictement dans le cas où certains propriétaires voudraient contourner le principe de la limitation de l’engrillagement et ainsi empêcher la libre circulation des animaux sauvages. En tout état de cause, de telles exceptions devraient couvrir sans difficultés le cas où un propriétaire se veut, non plus destructeur, mais protecteur des animaux domestiques et sauvages qui se trouvent sur son domaine, des refuges comme le sanctuaire du Vernou27 devant pouvoir continuer leurs activités en matière de bien-être animal. Il ne s’agit pas, en effet, quand la propriété est protectrice des animaux à titre individuel, de s’éloigner de l’esprit de la loi et d’accaparer la faune sauvage pour pouvoir la chasser. Il s’agit simplement de contenir les animaux que l’on s’efforce de protéger. Quant à ceux qui voudraient protéger, collectivement cette fois, les animaux sauvages, ayant créé des enclos cynégétiques dans un but contraire – le cas existe-t-il ? –, on ne peut que leur rappeler que si la loi vise à ce que les animaux sauvages circulent librement, elle n’offre pas la libre circulation aux humains. Le Code pénal a ainsi également été modifié, le nouvel article 226-4-3 disposant que « dans le cas où le caractère privé du lieu est matérialisé physiquement, pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d'autrui, sauf les cas où la loi le permet, constitue une contravention de la 4e classe »28.
  10. La même volonté de protéger la propriété et la vie privées explique que le nouvel article L. 372-1 du Code de l’environnement, dans son dernier alinéa, permette que « les habitations et les sièges d'exploitation d'activités agricoles ou forestières situés en milieu naturel [soient] entourés d'une clôture étanche, édifiée à moins de 150 mètres des limites de l'habitation ou du siège de l'exploitation ». Dans le périmètre ainsi défini, il est nécessaire de garantir la protection des personnes et des biens, parmi lesquels, d’ailleurs, des animaux. En revanche, la libre circulation des animaux sauvages n’a pas à être assurée : un enclos cynégétique de cette taille serait un bien petit enclos.
  11. N'oublions pas, à cet égard, que la limitation de l’engrillagement n’est pas dissociable de la volonté du législateur de restreindre une certaine pratique de chasse. Certes, nous l’avons dit, l’engrillagement présente bien des inconvénients en termes de dégradation du paysage, de sécurité, de santé, d’environnement, mais seule la libre circulation des animaux sauvages est mise en avant dans l’article L. 372-1 du Code de l’environnement. Surtout, plusieurs dispositions de la loi du 2 février 2023 montrent que la chasse à l’enclos est visée. Comme nous l’avons vu, l’article L. 424-3 du Code de l’environnement a été modifié et il n’existe plus de dérogation à l’article L. 424-2. Désormais, le I de l’article L. 424-3 dispose que « les terrains attenant à une habitation et entourés d'une clôture continue et constante faisant obstacle à toute communication avec les héritages voisins et empêchant complètement le passage des animaux non domestiques et celui de l'homme réalisée plus de trente ans avant la promulgation de la loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l'engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée font l'objet, dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, d'un plan de gestion annuel contrôlé par la fédération départementale des chasseurs et garantissant la prévention de la diffusion des dangers sanitaires entre les animaux non domestiques, les animaux domestiques et l'homme ainsi que la préservation de la biodiversité et des continuités écologiques ». Au vu de cette nouvelle rédaction, que la clôture soit franchissable (parce que la loi l’exige) ou non (la loi ne l’exige pas), les domaines sont soumis au droit commun de la chasse et les règles s’appliquant aux établissements professionnels de chasse à caractère commercial ne distinguent pas en fonction du fait que le territoire est ouvert, délimité par des clôtures infranchissables – fermé –, ou délimité par des clôtures franchissables – pas tout à fait fermé mais pas tout à fait ouvert non plus29. Autrement dit, si les enclos n’ont pas disparu30, c’est la fin d’une certaine manière de chasser et il est alors parfaitement logique que l’article L. 425-5 du Code de l’environnement ait été lui aussi modifié, en ce sens que « l'agrainage et l'affouragement sont interdits dans les espaces clos empêchant complètement le passage des animaux non domestiques, sauf exceptions inscrites dans le schéma départemental de gestion cynégétique dans les cas et les conditions prévus par décret »31. Quand l’agrainage et l’affouragement sont autorisés, dans les espaces ouverts ou semi-ouverts, les mêmes règles s’appliquent désormais32 : les conditions à respecter sont définies par le schéma départemental de gestion cynégétique ; le nourrissage en vue de concentrer des sangliers sur un territoire est interdit ; le schéma départemental de gestion cynégétique peut autoriser des opérations d'agrainage dissuasives en fonction des particularités locales33. Conséquence de ces nouvelles règles, des contrôles peuvent être opérés « à tout moment » dans les enclos – l’article L. 171-1 du Code de l’environnement a été modifié en ce sens34, de même que l’article 428-21 du même code35.
  12. La limitation de l’engrillagement et de la chasse dans les espaces engrillagés ne pouvaient que déplaire et il n’est pas étonnant qu’une question prioritaire de constitutionnalité ait été posée. Saisi par le Conseil d’État36, le Conseil constitutionnel a considéré que les articles L. 171-1, L. 372-1, L. 424-3-1 et L. 428-21 du Code de l’environnement étaient conformes à la Constitution, seule la décision de conformité de la première de ces dispositions ayant été accompagnée d’une réserve aux fins de garantir le principe de l’inviolabilité du domicile. Les contrôles effectués dans les enclos sont ainsi encadrés, le juge constitutionnel affirmant que « les fonctionnaires et agents chargés [de ces] contrôles ne peuvent avoir accès aux domiciles et à la partie des locaux à usage d’habitation qu’en présence de l’occupant et avec son assentiment. Dès lors, [l’article L. 171-1, I, 2°, du Code de l’environnement ne saurait], sans méconnaître le principe de l’inviolabilité du domicile, permettre à ces agents d’accéder à des enclos sans l’accord de l’occupant, si ces lieux sont susceptibles de constituer un domicile »37. Certes, validant les dispositions contestées de la loi du 2 février 2023, le Conseil constitutionnel a confirmé qu’« il [résultait] du droit de propriété le droit pour le propriétaire de clore son bien foncier »38. Les grillages ne disparaîtront pas, la chasse se perpétuera dans les espaces engrillagés. Mais, dans le même temps, est réaffirmée39 l’existence de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement qui, ici combiné avec des objectifs d’intérêt général – faciliter l’intervention des services de lutte contre l’incendie ; éviter une dégradation des paysages –, permet de limiter l’exercice du droit de propriété40 dès lors que la restriction est proportionnée aux objectifs poursuivis41. Ainsi, l’esprit dans lequel la loi du 2 février 2023 a été conçue produit ses effets au stade du contrôle de sa constitutionnalité. C’est parce que le législateur a été raisonnable dans sa volonté de garantir ce qui est désormais un principe, la libre circulation des animaux sauvages, que le juge constitutionnel peut considérer que le droit de propriété n’a pas été méconnu, que « l’atteinte portée aux situations légalement acquises est, en l’espèce, justifiée par des motifs d’intérêt général suffisants et proportionnée aux buts poursuivis »42, que les principes d’égalité devant la loi43 et d’égalité devant les charges publiques44 ont été respectés, de même que le droit au respect de la vie privée et le principe de l’inviolabilité du domicile45.
  13. Si l’on ne peut que se réjouir tant de la loi que de la décision qui la juge conforme à la Constitution, on regrettera qu’il n’ait jamais été véritablement question ici de mettre fin à une pratique de chasse très critiquable du point de vue de la protection des animaux. Certes, ces animaux sont sauvages et l’on sait bien que le droit ne les traite pas de la même façon que les animaux domestiques, seuls ces derniers pouvant prétendre à la garantie de leur bien-être, en tant qu’êtres juridiquement sensibles. Par ailleurs, il était sans doute plus prudent, lors de la motivation de la proposition de loi ayant débouché sur la limitation de l’engrillagement et de la chasse à l’enclos, de ne pas avoir présenté les choses sous l’angle de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse, de la maltraitance, voire de la cruauté. Et puis après tout, puisqu’il ne s’agissait pas d’interdire tant l’engrillagement que la chasse dans les espaces engrillagés, autrement dit d’écarter les principes mêmes de la propriété et de la chasse, pourquoi venir sur le terrain de la protection individuelle des animaux ? Mais quand même. En ne retenant que l’idée qu’il est légitime de « prévenir les risques sanitaires liés au cloisonnement des populations animales, de remédier à la fragmentation de leurs habitats et de préserver la biodiversité », ainsi que de « faciliter l’intervention des services de lutte contre l’incendie » et d’« éviter une dégradation des paysages »46, on passe à côté d’une partie du problème que posaient et que peuvent encore poser les enclos. Trop d’attention a été donnée aux grands propriétaires, à leurs privilèges, aux pouvoirs publics, aux forestiers, aux associations, aux chasseurs, aux promeneurs. Trop peu d’attention a été donnée aux animaux. La décision du Conseil constitutionnel ne traite à vrai dire même pas de la chasse, la libre circulation des animaux sauvages étant présentée comme un principe mais sans que les pratiques qui l’entravent ne soient mentionnées, mis à part le fait de clore son bien de façon à ce que les animaux ne puissent franchir les clôtures. Or la situation dans laquelle se trouvent ces animaux, avant comme après la loi du 2 février 2023, mérite que l’on s’y attarde, à commencer par le statut juridique qui est censé être le leur.
  14. Rappelons à cet égard que les animaux sauvages sont considérés comme des res nullius, même dans les enclos, où ils ne sont pas censés avoir un propriétaire47, du moins « avant qu'ils ne fassent l'objet d'une appropriation par la chasse »48. Les capter comme cela était possible avant que la loi ne limite l’engrillagement et la chasse dans les espaces engrillagés était peu compatible avec leur statut et certains pouvaient même croire que les animaux présents dans les enclos cynégétiques avaient le statut de res propria49. Dans la mesure où les grillages n’ont pas disparu, qu’ils subsistent sous leur forme antérieure, du fait de leur ancienneté, ou qu’ils soient modifiés, la captation des animaux sauvages, même restreinte, reste possible et le statut de res nullius de ces animaux ne paraît pas être tout à fait le même que celui d’animaux évoluant dans des espaces dépourvus de clôtures. Par ailleurs, si l’application du droit commun de la chasse et la possibilité d’opérer des contrôles dans les espaces clos constituent évidemment une avancée, on s’inquiètera du sort des animaux qui se trouvent dans de tels espaces, pris individuellement. N’étant pas considérés comme des animaux apprivoisés ou tenus en captivité, malgré l’agrainage et l’affouragement qui ne sont pas totalement interdits50 et la présence de clôtures, qu’elles soient ou non franchissables, l’assimilation avec des animaux domestiques aux fins de l’application des dispositions du Code pénal ne paraît pas possible. Et le gibier présent dans les espaces fermés ou pas totalement fermés nous paraît alors être dans une position certes préférable à celle qui était la sienne avant la loi du 2 février 2023 mais pas tout à fait enviable pour autant, en comparaison des animaux sauvages qui évoluent dans des espaces non clôturés – libres, les animaux res nullius sont chassés – ou en comparaison des animaux d’élevage qui évoluent dans des espaces clos – détenus, les animaux res propria ne sont pas chassés. Dans les espaces engrillagés selon l’ancienne méthode ou la nouvelle, les animaux ne sont pas tout à fait sauvages, pas tout à fait libres, pas tout à fait des choses sans maître. Mais comme ils ne sont pas pour autant des animaux d’élevage détenus et appropriés, ils peuvent être chassés. Avoir préservé la substance de la propriété, comme l’a fait le législateur, a permis de préserver la substance de la chasse : dans sa propriété, on doit pouvoir clore – les animaux qui s’y trouvent paraissent appropriés et détenus – et on doit pouvoir chasser – les animaux doivent continuer à être considérés comme non-appropriés et libres. Autrement dit, dans les espaces clôturés, l’animal sauvage continue de payer le prix de la liberté – l’absence d’obligation d’assurer son bien-être et de le préserver de la maltraitance – sans avoir les avantages que procure la détention – le bien-être des animaux d’élevage doit être garanti ; le droit pénal interdit qu’on les maltraite51. On pourrait dire qu’avec la limitation de l’engrillagement et l’application du droit commun de la chasse aux espaces engrillagés, l’animal sauvage est un peu plus libre mais pas tellement mieux traité. Ceci pose des problèmes d’ordre éthique qui n’ont donc pas complètement disparu avec la loi du 2 février 2023 et la décision qui la valide.
  15. Un nouveau rappel s’impose. En 1999, dans le rapport sur l’engrillagement en Sologne, il était fait état, parmi les arguments des opposants à un tel engrillagement, de « l’existence de zones de chasses manquant totalement d’éthique (lâcher, agrainage, couloir de circulations, “abattage” massif), dont les pratiques sont amplifiées par des rumeurs pas toujours sans fondements »52. Et les auteurs du rapport estimaient alors que « le bon sens [devait] permettre de progresser collectivement vers des pratiques plus respectueuses de l'éthique, de la naturalité de la chasse et du respect du bien commun et des biens collectifs »53, étant précisé qu’« il est délicat d'aborder les questions de chasse et d'éthique » dans la mesure où « ce sont des notions relatives selon les individus, les communautés auxquelles on s'adresse et l'époque »54. Il nous semble que ce qui était prudemment présenté il y a 25 ans comme un problème d’« éthique de la chasse »55 ou de « chasse et d’éthique »56, sans qu’il soit trop entré dans le détail, subsiste dans le même temps que les clôtures : quand elles ont été modifiées, comment être sûr que les animaux les franchissent sans dommage – pour eux, non pour les clôtures ? Quand elles n’ont pas été modifiées, parce que datant d’avant 1993 et ne nécessitant pas de réfection ou de rénovation, comment les animaux vont-ils pouvoir fuir les chasseurs ? Et malgré les contrôles et les sanctions, comment être sûr que des animaux d’espèces non domestiques mais élevés comme tels ne seront pas introduits dans les propriétés, que les animaux ne seront pas nourris, qu’ils ne seront pas canalisés, qu’ils ne seront pas chassés « n’importe comment » ? Si nous sommes prêt à entendre que le principe de la chasse doit être maintenu, comment s’accommoder d’une pratique de chasse qui reste critiquable en ce qu’elle permet de tirer des animaux que l’on a rendu peu enclins à fuir ou que l’on a limités dans leurs possibilités de fuite ?
  16. Il nous semble que si la protection des animaux avait été poursuivie plus que la protection de l’environnement, une loi plus restrictive aurait été possible, sous réserve que le premier objectif ait la même valeur que le second. Il faut espérer, à cet égard, une évolution, en particulier du côté du juge constitutionnel qui pourrait rejoindre les juridictions qui accordent toujours plus d’importance au bien-être animal. Souhaitable, une telle évolution est aussi possible, le Conseil d’État venant de renvoyer au Conseil constitutionnel une autre question s’agissant de la constitutionnalité d’une autre loi, celle du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes57 qui, selon l’association One Voice, ne va pas suffisamment loin dans la volonté de mettre fin à la captivité d’espèces sauvages utilisées à des fins commerciales58. Le Conseil constitutionnel estimera-t-il que le législateur a méconnu « un principe fondamental reconnu par les lois de la République interdisant d'exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux, qui aurait trouvé une expression dans la loi du 2 juillet 1850 relative aux mauvais traitements exercés envers les animaux domestiques »59 ? Dans le cas où il en arriverait à cette conclusion, s’agissant de la détention d’animaux appartenant à des espèces non domestiques à des fins de divertissement, peut-être que la protection individuelle des animaux sauvages gagnerait suffisamment en puissance pour que certaines pratiques de chasse connaissent un affaiblissement, la chasse à l’enclos en particulier dès lors que les idées de détention et de divertissement sont loin de lui être totalement étrangères. Mais en attendant le jour où, peut-être, les animaux sauvages bénéficiant d’une liberté parfois très limitée se verront mieux protégés, comme sont censés l’être les animaux détenus, du moins sur le papier, il faudra se satisfaire d’une loi qui « ne semble pas constituer ce “bon compromis” dont il a été question pendant les débats », « tout le monde [étant] perdant : les promeneurs non seulement rencontreront toujours des grillages, mais encore ne pourront plus traverser les propriétés rurales et forestières ; les agriculteurs verront leurs récoles saccagées ; et les propriétaires d'enclos devront faire face à de lourdes dépenses ou contourner sournoisement la loi »60, perdants auxquels il faut ajouter les animaux chassés à l’abri des clôtures, anciennes ou nouvelles, des animaux chassés dans les propriétés à l’abri des regards.
  • 1 J.-B. Forray, « Les nouveaux seigneurs », Les Arènes, 2024, p. 41.
  • 2 Ibid., pp. 152-153.
  • 3 https://sologne.n2000.fr/le-site-natura-2000-sologne
  • 4 Texte n° 43 rectifié bis (2021-2022) de M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 12 octobre 2021.
  • 5 Rapport n° 313 au nom de la commission des affaires économiques sur la proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, 5 janvier 2022, p. 7.
  • 6 Texte n° 43 rectifié bis (2021-2022), précité.
  • 7 Loi n° 2023-54 du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée, JORF du 3 février 2023, texte n° 1 ; O. Buisine, « L’encadrement de la chasse à l’enclos », Droit rural n° 4, avril 2023, étude 6 ; A. Denizot, « La loi sur l’engrillagement : une révolution ? », RTD Civ. 2023, p. 458.
  • 8 Article L. 424-2 du Code de l’environnement.
  • 9 Articles L. 425-4 à L. 425-15 du Code de l’environnement.
  • 10 Article L. 426-5 du Code de l’environnement.
  • 11 Article L. 424-3, I, alinéa 3, du Code de l’environnement, dans sa version antérieure à la loi de 2023.
  • 12 Article L. 424-3, II, du Code de l’environnement.
  • 13 « Sauf l'exception portée en l'article 682 » du même code.
  • 14 Article L. 424-3, I, alinéa 3, du Code de l’environnement, dans sa version antérieure à la loi de 2023.
  • 15 Cons. const., 18 octobre 2024, décision n° 2024-1109 QPC, Groupement forestier Forêt de Teillay et autres (Règles relatives à l’implantation de clôtures dans des milieux naturels).
  • 16 Rapport CGEDD n° 012818-01, CGAAER n° 19062, établi par D. Stevens et M. Reffay, « L’engrillagement en Sologne : synthèse des effets et propositions », août 2019, p. 4.
  • 17 Ibid., p. 18.
  • 18 Ibid., p. 4.
  • 19 Ibid., p. 46.
  • 20 Outre la proposition n° 43 rectifié bis de M. Jean-Noël Cardoux et plusieurs de ses collègues, déposée au Sénat le 12 octobre 2021, précitée, V. la proposition n° 3761 visant à lutter contre l’extension de l’engrillagement de parcelles privées dans nos provinces et à renforcer le droit de propriété, de M. Guillaume Peltier et plusieurs de ses collègues, déposée à l’Assemblée nationale le 19 janvier 2021 ; la proposition n° 4171 relative à l’interdiction des mises sous enclos d’animaux sauvages à des fins de chasse, de M. Bastien Lachaud et plusieurs de ses collègues, déposée à l’Assemblée nationale le 18 mai 2021 ; la proposition n° 4684 rectifiée visant à lutter contre l’engrillagement des forêts françaises, de M. François Cormier-Bouligeon et plusieurs de ses collègues, déposée à l’Assemblée nationale le 16 novembre 2021.
  • 21 Proposition n° 535 pour une chasse plus respectueuse de la nature et de ses usages, de M. Charles Fournier et plusieurs de ses collègues, déposée à l’Assemblée nationale le 29 novembre 2022.
  • 22 Cour EDH, 13 juillet 2022, Avis consultatif relatif à la différence de traitement entre les associations de propriétaires « ayant une existence reconnue à la date de la création d’une association communale de chasse agréée » et les associations de propriétaires créées ultérieurement, demandé par le Conseil d’État français, demande n° P16-2021-002, § 80.
  • 23 En vertu de l’avant-dernier alinéa de la disposition, l'implantation de clôtures dans les espaces naturels et les zones naturelles ou forestières délimitées par le règlement du PLU est soumise à déclaration.
  • 24 Ou par le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse, par le schéma d'aménagement régional pour la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et La Réunion, ou par le schéma directeur de la région d'Ile-de-France.
  • 25 On relèvera qu’en vertu de la nouvelle rédaction du troisième alinéa de l’article L. 421-14 du Code de l’environnement, les actions conduites par la Fédération nationale des chasseurs peuvent « contribuer à remplacer par des haies composées de différentes espèces locales d'arbres et d'arbustes les clôtures non conformes à l'article L. 372-1 ».
  • 26 Aux termes du nouveau 6° de l’article L. 415-3 du Code de l’environnement, le fait d'implanter ou de ne pas mettre en conformité des clôtures dans les espaces ou zones naturels en violation de l'article L. 372-1, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende. Par ailleurs, la non-conformité des clôtures implantées dans les conditions définies à l'article L. 372-1 est désormais une infraction pouvant conduire à la suspension par l’autorité judiciaire du permis ou de l’autorisation de chasser (article L. 428-15, 2°, g), du Code de l’environnement).
  • 27 https://www.reseau-national-refuges-animalistes.org/refuges/le-vernou/
  • 28 Cas à distinguer, évidemment, de l'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, qui est plus sévèrement punie par l’article 226-4 du même code.
  • 29 V. la nouvelle rédaction de l’article L. 424-3, II.
  • 30 En témoigne l’ajout de l’article L. 424-3-1 aux fins de gérer l’effacement des clôtures « dans des conditions qui ne portent atteinte ni à l'état sanitaire, ni aux équilibres écologiques, ni aux activités agricoles du territoire ».
  • 31 En vertu du nouvel article L. 428-15, 2°, h), du Code de l’environnement, le non-respect des règles d'agrainage et d'affouragement définies en application de l'article L-425-15 peut entraîner la suspension du permis ou de l’autorisation de chasser par l’autorité judiciaire.
  • 32 Article L. 425-5, II, seconde phrase.
  • 33 Article L. 425-5, I.
  • 34 V. ainsi le 2° du I de cette disposition.
  • 35 V. le dernier alinéa de la disposition.
  • 36 CE, 24 juillet 2024, 493887, 494120, 494964, Groupement forestier Forêt de Teillay e.a.
  • 37 § 48 de la décision précitée.
  • 38 Ibid., § 15.
  • 39 Cons. const., 31 janvier 2020, décision n° 2019-823 QPC, Union des industries de la protection des plantes (Interdiction de la production, du stockage et de la circulation de certains produits phytopharmaceutiques).
  • 40 § 19 de la décision.
  • 41 Ibid., § 23.
  • 42 Ibid., § 31.
  • 43 Ibid., § 35.
  • 44 Ibid., § 40.
  • 45 Ibid., § 54.
  • 46 § 19 de la décision.
  • 47 Sauf si ces animaux sont des animaux d’élevage. Sur les qualifications enclos cynégétique/établissement d’élevage et res nullius/res propria en fonction des densités de sangliers, V. le rapport d’août 1999 sur l’engrillagement en Sologne, précité, p. 35.
  • 48 Comme l’affirme la ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement dans les réponses qu’elle donne aux questions posées par deux sénateurs en 1998 (question écrite n° 8183 de M. A. Pourny, « Plan de chasse et d’enclos », publiée dans le JO Sénat du 14 mai 1998, p. 1511 et réponse publiée dans le JO Sénat du 20 août 1998, p. 2660 ; question écrite n° 10100 de M. R. du Luart, « Statut du grand gibier », publiée dans le JO Sénat du 06 août 1998, p. 2514 et réponse publiée dans le JO Sénat du 26 novembre 1998, p. 3784).
  • 49 Ce qui explique les questions posées en 1998 par les sénateurs.
  • 50 Comme on l’a vu, supra.
  • 51 Les principales différences entre le statut des animaux dans les enclos cynégétiques et le statut de ces animaux dans les installations d’élevage étaient d’ailleurs ainsi présentées, en 1998, en réponse aux questions des deux sénateurs : « Si l'on considère que des animaux d'espèces non domestiques présents dans un enclos appartiennent au détenteur de cet enclos, il s'agit alors non pas d'un enclos de chasse, mais d'une installation d'élevage soumise à la réglementation des établissements détenant des animaux d'espèces non domestiques. En application de cette réglementation, ces animaux sont marqués, répertoriés dans un registre d'entrées-sorties. Les possibilités de tuer sur place avec un fusil des animaux sont limitativement énumérées à l'article 16 du décret du 1er octobre 1997 relatif à la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort [V. désormais l’article R. 214-78, 4°, et l’article R. 231-6, 3°, c) et d), du Code rural]. Il s'agit notamment des animaux dangereux ou susceptibles de présenter un danger et certains gros gibiers d'établissement d'élevage de gibier dont la chasse est autorisée. En dehors de ces hypothèses, le fait de les tuer avec un fusil constitue un acte de cruauté, repréhensible en application de l'article 511-1 du nouveau code pénal [désormais l’article 521-1 du Code pénal]. Le fait de s'approprier ces animaux sans l'accord de leur détenteur constitue un vol » (question écrite n° 10100 de M. R. du Luart, « Statut du grand gibier », publiée dans le JO Sénat du 06 août 1998, p. 2514 et réponse publiée dans le JO Sénat du 26 novembre 1998, p. 3784). Sur cette notion de vol, s’agissant d’un sanglier tiré dans un enclos, Cass. Crim., 30 janvier 1992, 90-85.403.
  • 52 Rapport précité, p. 16.
  • 53 Ibid., p. 46.
  • 54 Ibid., p. 31.
  • 55 Ibid., pp. 4 et 32.
  • 56 Ibid., pp. 4, 18 et 31.
  • 57 Loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, JORF n° 279 du 1er décembre 2021, texte n° 1.
  • 58 Alors que c’est l’objectif affiché par le troisième chapitre de la loi.
  • 59 CE, 19 novembre 2024, 487936, Association One Voice, point 4.
  • 60 A. Denizot, « La loi sur l’engrillagement : une révolution ? », op. cit.
 

RSDA 2-2024

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