Actualité juridique : Jurisprudence

Propriétés intellectuelles

I/ Chimère porc-humain : l’ordre public face à la tentation du Docteur Moreau

OEB, ch. de recours technique, 4 septembre 2024, T 1553/22 : Propriété industrielle n° 4, Avril 2025, repère 4, obs. Ch. Le Stanc ; D. 2025, p. 747, comm. C. Maréchal Pollaud-Dulian

1 – L’Université du Minnesota dépose une demande de brevet européen portant sur un procédé permettant d’obtenir des porcs dotés d’un système vasculaire humanisé et sur les produits en résultant (le blastocyste modifié et l’animal chimérique exprimant la caractéristique humaine en cause). L’invention consiste à empêcher la production, dans un blastocyste (embryon de 5 à 6 jours) porcin, de la protéine ETV2 animale impliquée dans le développement des cellules vasculaires, en modifiant le gène porcin en cause. Le blastocyste est alors « complémenté » par l’implantation de cellules souches humaines pluripotentes dont le développement va permettre de combler la « niche » vacante et d’exprimer un ETV2 humain. En résultent des animaux ayant un sang et un système vasculaire humanisés, particulièrement adaptés à d’éventuelles transplantations1 à destination de l’être humain.

2 – La division d’examen de l’OEB rejette en 2022 la demande d’enregistrement, sur le fondement de l’article 53 a) de la Convention sur le Brevet Européen2 (relatif aux exclusion de brevetabilité des inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs) complété des articles  26 1) et 28 1) du Règlement d’exécution de la CBE et de la Directive européenne 98/44 sur la protection juridique des inventions biotechnologiques. L’article 28 1) du Règlement d’exécution contient une liste exemplative d’inventions biotechnologiques exclues de la protection au titre de l’ordre public3, directement inspirée de l’article 6 de la Directive européenne 98/44. L’article 26 1) du Règlement d’exécution dispose quant à lui que « Pour les demandes de brevet européen et les brevets européens qui ont pour objet des inventions biotechnologiques, les dispositions pertinentes de la convention sont appliquées et interprétées conformément aux prescriptions du présent chapitre. La directive 98/44/CE du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques constitue un moyen complémentaire d'interprétation ». Or ladite directive précise, en son considérant 38, que la liste des inventions contraires à l’ordre public figurant à son article 6 « ne saurait bien entendu prétendre à l'exhaustivité » et que « les procédés dont l'application porte atteinte à la dignité humaine, comme par exemple les procédés de production d'êtres hybrides, issus de cellules germinales ou de cellules totipotentes humaines et animales, doivent, bien évidemment, être exclus eux aussi de la brevetabilité ».

3 – Le déposant fait appel de la décision de la division d’examen. Il soutient que cette dernière aurait retenu une analyse trop restrictive de la brevetabilité, les exceptions à cette dernière étant théoriquement d’interprétation étroite. Le considérant 38 de la directive 98/44 visait la seule implantation de cellules germinales ou totipotentes (dont les potentialités sont plus larges que les cellules souches pluripotentes employées en l’espèce, comme leur nom l’indique). De plus, selon le requérant, le refus de brevetabilité au titre de l’ordre public doit reposer sur « des preuves concluantes, par opposition à des scénarios hypothétiques ». Enfin, la chambre aurait la possibilité d’apprécier discrétionnairement la brevetabilité de l’invention, au regard de son utilité.

4 – La chambre de recours technique, dans une décision confirmative, écarte ces différents moyens. Lorsque l’hypothèse de contrariété à l’ordre public est spécifiquement visée par le législateur, il n’y a pas lieu de procéder à une mise en balance des intérêts en fonction notamment du bénéfice médical attendu : l’office doit alors rejeter la demande, sans « marge de manœuvre » (pt. 41.1). Une mise en balance n’intervient que dans deux situations : en application de l’hypothèse spéciale de l’article 28 1) d. du Règlement d’exécution, visant les « procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal (…) »4, non en cause en l’espèce ; ou dans le cadre de l’appréciation générale d’une atteinte à l’ordre public au sens de l’article 53 a) de la CBE, hors les hypothèses exemplatives explicitement prévues par la CBE ou la Directive 98/445. La question est alors de savoir si la situation d’espèce relève ou non du cas d’hybridation animal-humain visé au considérant 38 de la directive 98/44, c’est-à-dire si cette exception doit être interprétée strictement ou non.

5 – Pour la chambre de recours technique, « Without disregarding the principle of narrow interpretation of exceptions (…), and its particular significance for patent law in order to prevent valuable inventions from being denied patent protection, this board also recognises that in the legal methodology, this principle should be carefully applied »6 (pt. 19) ; « the principle of narrow interpretation of exclusions cannot obviate a necessary analysis of the "object and purpose" of a provision, as also indicated by Article 31 of the Vienna Convention on the Law of the Treaties (…), so that the reasons for the exclusions provided by the legislator cannot simply be disregarded »7 (pt. 20). Puis, interprétant le considérant 38 de la Directive 98/44, elle estime que « the reason why the chimeras identified in Recital 38 are regarded as offensive against human dignity is due to concerns that, in chimeras including human germ cells or totipotent cells, these human cells may integrate into the brain and/or develop into germ cells and result in a chimera with human or human-like capabilities »8 (pt. 22)9. En l’espèce, le procédé consiste à complémenter le blastocyste porcin à l’aide de cellules souches humaines pluripotentes et non de cellules totipotentes ou germinales ; néanmoins, n’y a-t-il pas un risque de voir ces cellules souches humaines pluripotentes se spécialiser en cellules du cerveau ou cellules germinales, au-delà de la seule niche relative au système vasculaire ? L’analyse des documents constituant l’état de l’art (dont ceux produits par le requérant) conduit à considérer la présence de cellules humanisées, hors de la niche et possiblement dans le cerveau et les gamètes des porcs hôtes, comme une « possibilité réaliste » et non pas seulement hypothétique (pts. 34 et 42). Les revendications n’étant pas rédigées de manière à exclure une telle présence, la demande d’enregistrement est à nouveau rejetée sur le fondement de l’article 53 a) de la CBE.

6 – Cette décision appelle deux rapides remarques. En premier lieu, l’interprétation faite de la Directive 98/44 ne semble pas ici contraire au droit de l’Union européenne, malgré le choix de l’OEB de se dispenser de recourir aux travaux préparatoires de ladite directive (pt. 23)10. Souvenons-nous par exemple que la Cour de Justice de l’Union européenne a, dans un arrêt Brüstle, interprété largement la notion d’embryon humain, et donc la portée de l’exclusion spéciale de brevetabilité prévue à l’article 6 2) c. de la Directive 98/4411.  La relativisation du principe d’interprétation stricte des exceptions, dans un souci de cohérence par rapport à la raison d’être des exclusions de brevetabilité, appelle donc globalement l’approbation (surtout lorsque les exceptions sont fondées sur des considérations éthiques).

7 – En second lieu, quelle est la portée de la décision commentée ? Le Professeur Le Stanc souligne que « cette invention, dès lors non brevetable, n’est pas pour autant interdite d’exploitation »12. Certes, il ne relève pas des compétences de l’OEB de prononcer une interdiction d’exploitation, mais les perspectives d’une telle commercialisation semblent plus qu’incertaines au regard du motif de refus d’enregistrement, l’article 53 a) de la CBE visant la contrariété à l’ordre public de « l’exploitation commerciale » de l’invention. Par ailleurs, la décision ne fait obstacle à la brevetabilité d’animaux hybrides que dans la mesure où un risque réaliste d’humanisation de cellules cérébrales ou germinales existerait. On pourrait même craindre, à lire la décision, que le rejet de la demande ne fasse que sanctionner une maladresse de formulation des revendications par le déposant : la chambre de recours relève en effet à plusieurs reprises que les revendications n’excluaient pas de leur champ les chimères présentant des caractéristiques humaines dans leur cerveau ou leurs gamètes. Mais le problème ne réside pas dans le fait qu’un brevet permettrait de se réserver de telles chimères humanisées (par une formulation trop large des revendications) mais plutôt dans le fait que ce procédé d’hybridation ne permet pas, en l’état, d’empêcher de manière sûre que les cellules souches pluripotentes implantées ne se spécialisent au-delà de la « niche » dédiée au système vasculaire et contribuent à créer des cellules cérébrales ou germinales humanisées. La réponse à apporter à la décision commentée, pour les structures impliquées dans ce domaine de recherche, est donc d’ordre technique, et non simplement rédactionnel…

 

II/ Actualité du contentieux administratif de l’expérimentation animale à des fins scientifiques

TA Paris, 5e section 3e ch., 21 novembre 2024, n° 2221405

TA Paris, 5e section 3e ch., 21 novembre 2024, n° 2224482

8 – Nos précédentes chroniques ont mis en lumière les différentes actions entreprises par des associations en vue d’obtenir communication de documents administratifs afférents à des projets d’expérimentation animale ou de contester les autorisations d’expérimentation délivrées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.  L’association One Voice poursuit13 son activité de veille et de recours juridictionnels ; deux décisions récentes, du même jour, peuvent à ce titre être signalées. Par un premier jugement (requête n° 2221405), le Tribunal administratif de Paris enjoint au ministère de communiquer au requérant, dans un délai de 2 mois, un dossier de demande d’autorisation d’expérimentation animale « sous réserve de l'occultation ou de la disjonction des mentions relevant du secret de la vie privée et du secret des affaires ». Les incertitudes que nous avions soulignées, dans notre commentaire de la décision similaire rendue le 24 janvier 2024 au bénéfice de l’association Transcience14, ne sont ici pas levées. Notamment, quelle est l’ampleur réelle des occultations requises sur ces deux fondements, et ces dernières ne conduisent-elles pas indirectement à « réinventer l’eau tiède » alors que les résumés non techniques accompagnant ces demandes d’autorisation existent déjà et sont rendues publiques ? Tout dépend cependant de la manière dont ces résumés sont rédigés, une trop grande synthèse du propos pouvant rendre les projets difficiles à cerner.

9 – La seconde affaire (requête n°2224482), intéressante dans une perspective de droit de la recherche et non de propriété intellectuelle, en apporte l’illustration. En l’espèce, One Voice contestait l’autorisation d’expérimentation délivrée pour un projet relatif à l’étude des troubles nerveux et mentaux (dont l’épilepsie). Pour l’association, cette autorisation serait notamment entachée d’un vice de forme, à défaut de mentionner l’avis défavorable du comité d’éthique ayant statué sur la saisine, et d’une erreur de droit, « au regard de l'article R. 214-113 du code rural et de la pêche maritime, dès lors qu'elle autorise la réutilisation d'animaux préalablement soumis à une procédure expérimentale de classe "sévère" ». Les deux moyens sont liés et conduisent à s’interroger sur les notions de « réutilisation » et de « nouvelle procédure » au sens de cet article R. 214-113.

10 – La réutilisation d’animaux est au cœur d’un dilemme éthique, deux considérations opposées devant être conciliées : d’une part, utiliser le moins d’animaux possible dans le cadre d’expérimentations à finalité scientifique (au titre du principe de Réduction) et, d’autre part, s’assurer de ne pas causer une atteinte trop importante au bien-être des animaux employés. Ainsi, la Directive 2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques précise en son considérant 25 que « Le nombre d’animaux utilisés dans des procédures pourrait être réduit en procédant plus d’une fois à des essais sur les mêmes animaux, lorsque cela ne nuit pas à l’objectif scientifique ou au bien-être animal. Cependant, l’avantage que procure la réutilisation des animaux devrait être apprécié en fonction de tout effet négatif sur leur bien-être, en prenant en considération le sort de l’animal concerné sur toute sa durée de vie. Du fait de ce conflit potentiel, il y a lieu d’envisager la réutilisation des animaux cas par cas ». En complément, l’article R. 214-113 du Code rural et de la pêche maritime, transposant l’article 16 de la directive 2010/63, dispose en son premier alinéa :

« Un animal déjà utilisé dans une procédure expérimentale ne peut être réutilisé dans une nouvelle procédure expérimentale, lorsqu'un autre animal auquel aucune procédure expérimentale n'a été appliquée précédemment pourrait aussi être utilisé, que si les quatre conditions suivantes sont satisfaites : a) La gravité réelle des procédures expérimentales précédentes était de classe "légère" ou "modérée" telle que définie par l'arrêté mentionné à l'article R. 214-122 ; b) Il est démontré que l'animal a pleinement recouvré son état de santé et de bien-être général ; c) La gravité de la nouvelle procédure expérimentale est de classe "légère", "modérée" ou "sans réveil" telle que définie par l'arrêté mentionné à l'article R. 214-122 ; d) Un avis favorable a été donné par un vétérinaire en prenant en considération le sort de l'animal concerné sur toute sa durée de vie ».

Ainsi, il n’est pas possible de réutiliser un animal ayant fait l’objet d’une procédure de classe « sévère » pour une nouvelle procédure expérimentale.

11 – Le tribunal écarte toutefois l’erreur de droit alléguée au motif que « le projet d'expérimentation faisant l'objet de l'autorisation en litige ne comporte pas une réutilisation des rongeurs pour une autre recherche expérimentale que celle découlant des protocoles 1 à 10 tels que décrit[s] dans le résumé non technique. Les animaux issus des groupes 6, 7, 8 et 10 vont être appareillés d'électrodes une seule fois par chirurgie pour collecter des données sur plusieurs candidats médicaments. Il ne s'agit donc pas d'une réutilisation pour une nouvelle expérimentation mais bien d'une utilisation unique au sein d'une même procédure, les animaux de ces groupes étant soumis à plusieurs étapes d'une même procédure ». A admettre que ce soit ainsi que le projet de recherche doive être compris, l’association se serait méprise quant à la « réutilisation » signalée par le porteur du projet lui-même. Le résumé non technique indique en effet que, pour les procédures 6 à 8 et 10, « les animaux peuvent être gardés à la fin de la première étude car ils vont montrer des crises d’absence non convulsive ou des crises partielles évoluant en crises généralisées sans l’apparition de crise tonique. Ces animaux peuvent donc être réutilisés (dans le même modèle)15 pour tester d’autres composés antiépileptiques et réduire le nombre total d’animaux utilisés pour plusieurs études ». Outre la référence brumeuse à la « première étude », le terme « réutilisé », employé par le porteur du projet, induit en erreur en ce qu’il peut suggérer la réutilisation d’animaux concernés par une procédure (ici sévère) dans le cadre d’une autre procédure, et non la possibilité de soumettre l’animal, au sein d’une seule et même procédure, à différents remèdes possibles aux crises étudiées (une fois l’électrode implantée).

12 – Le comité d’éthique en expérimentation animale avait d’ailleurs lui-même relevé ce mauvais emploi du terme « réutilisé » par le porteur du projet. Dans son avis, il se déclare ainsi opposé à la « réutilisation » envisagée en précisant (à côté de la case « défavorable » cochée) « NA », c’est-à-dire « non applicable ». Le vice de forme est ainsi à écarter, car l’opposition du comité ne porte pas sur l’expérimentation envisagée, mais sur la seule qualification de « réutilisation ».  Si la requête de l’association est ici rejetée, il nous semblerait préférable que les porteurs de projets impliquant une expérimentation animale veillent à la clarté de leurs demandes d’autorisation et résumés non techniques, afin de limiter les risques de contentieux.

  • 1 Plus largement sur le sujet, V. par exemple C. Gayomali, « Un cœur de porc pour un humain ? Ce médecin a rendu cette hypothèse possible », National Geographic, avril 2025, https://www.nationalgeographic.fr/sciences/medecine-innovation-un-coeur-de-porc-pour-un-humain-ce-medecin-a-rendu-cette-hypothese-possible?utm_source=firefox-newtab-fr-fr
  • 2 Convention sur la délivrance du brevet européen du 5 octobre 1973 telle que révisée en 1991 et 2000, dite aussi Convention de Munich ou CBE.
  • 3 « Règle 28 Exceptions à la brevetabilité : (1) Conformément à l'article 53 a), les brevets européens ne sont pas délivrés notamment pour les inventions biotechnologiques qui ont pour objet : a) des procédés de clonage des êtres humains ; b) des procédés de modification de l'identité génétique germinale de l'être humain ; c) des utilisations d'embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ; d) des procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés. (…) ».
  • 5 4=V. également Directive européenne 98/44/CE, art. 6 2) d.. V. par exemple l’affaire dite de l’oncosouris de Harvard : OEB, ch. de recours technique, 6 juillet 2004, T 315/03.
  • 6 Trad. approx. : « Sans ignorer le principe de l'interprétation stricte des exceptions (...), et son importance particulière pour le droit des brevets afin d'éviter que des inventions précieuses ne se voient refuser la protection d'un brevet, cette chambre reconnaît également que, dans la méthodologie juridique, ce principe doit être appliqué avec soin ».
  • 7 Trad. approx. : « le principe de l'interprétation stricte des exclusions ne peut faire l'économie d'une nécessaire analyse de "l'objet et du but" d'une disposition, comme l'indique également l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (...), de sorte que les motifs des exclusions prévues par le législateur ne peuvent être purement et simplement ignorés ».
  • 8 Trad. approx. : « la raison pour laquelle les chimères identifiées au considérant 38 sont considérées comme portant atteinte à la dignité humaine est la crainte que, dans les chimères comprenant des cellules germinales humaines ou des cellules totipotentes, ces cellules humaines ne s'intègrent dans le cerveau et/ou ne se développent en cellules germinales et ne donnent naissance à une chimère dotée de capacités humaines ou semblables à celles d'un être humain ».
  • 9 V. par exemple, confirmant que les questions éthiques liées à l’hybridation animal-humain résident dans la présence potentielle de caractéristiques humaines dans les cellules cérébrales ou germinales, P. Savatier et I. Aksoy, « Les chimères "systémiques" homme-animal », Med Sci, Volume 37, n°10, Octobre 2021, p. 863-872, https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2021/08/msc200530/msc200530.html
  • 10 Lesdits travaux préparatoires ne sont, en tout état de cause, que modérément éclairants. La Commission européenne a introduit une référence à l’hybridation dans le considérant 22 de la Proposition modifiée de directive en date du 29 août 1997. Le considérant était alors rédigé plus largement : « (…) cette liste ne peut prétendre à l'exhaustivité, que les procédés dont la mise œuvre porte atteinte à la dignité humaine, comme par exemple les procédés de production d'êtres hybrides issus du mélange du génome des espèces humaines et animales, doivent être exclus de la brevetabilité ». Cette rédaction large aurait selon nous conduit à interdire par principe toute introduction de gènes humains chez l’animal, bloquant de ce fait un pan entier de la recherche scientifique à finalité médicale. La formulation actuelle du considérant, restreignant ou précisant le champ de l’exclusion, résulte d’un vote du Parlement européen de septembre 1997. V. Résolution législative portant avis du Parlement européen sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques, COM(95)0661 C4-0063/96 95/0350(COD), JO n° C 286 du 22 septembre 1997, p. 0087.
  • 11 CJUE, gd. ch., 18 octobre 2011, C-34/10, Brüstle c. Greenpeace : « constituent un “embryon humain” tout ovule humain dès le stade de la fécondation, tout ovule humain non fécondé dans lequel le noyau d’une cellule humaine mature a été implanté et tout ovule humain non fécondé qui, par voie de parthénogenèse, a été induit à se diviser et à se développer ».
  • 12 Ch. Le Stanc, Propriété industrielle n° 4, Avril 2025, repère 4.
  • 13 V. déjà, résultant de requêtes de l’association One Voice, TA Paris, 5e section 4e ch., 3 mai 2024, n° 2220291 et 2221455 : RSDA 2-2024, nos obs., https://www.revue-rsda.fr/articles-rsda/7622-proprietes-intellectuelle
  • 14 TA Paris, 5e section 3e ch., 24 Janvier 2024, n° 2300100 : RSDA 1-2024, nos obs., https://www.revue-rsda.fr/articles-rsda/7573-proprietes-intellectuelles
  • 15 Souligné par nous.
 

RSDA 1-2025

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit constitutionnel

  • Olivier Le Bot
    Professeur de droit public
    Université d’Aix-Marseille

Résumé : Deux décisions intéressantes ont été sélectionnées pour cette livraison. La première a été rendue par le Conseil constitutionnel français relativement à l’interdiction de présenter au public des animaux sauvages dans les cirques itinérants. La seconde, émanant de la cour constitutionnelle de Slovénie, porte sur des dispositions de la loi sur la protection des animaux relatives à la répression administrative des atteintes aux animaux d’élevage.

 

Mots-clés : cirque – Constitution – PFRLR – dignité – Slovénie – élevage

 

 

France : décision sur les cirques itinérants, la Constitution ne comporte pas de dispositions protégeant les animaux

Conseil constitutionnel, 14 février 2025, Association One voice, n° 2024-1121 QPC

 

Si le Conseil constitutionnel avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur la constitutionnalité de dispositions législatives relatives aux animaux1, il n’avait jusqu’à présent jamais abordé la question de savoir si notre Constitution contient ou abrite des exigences concernant ces derniers. Une question prioritaire de constitutionnalité portant sur une disposition de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes lui a permis de se prononcer pour la première fois sur cette question.

La disposition en cause, créée par ce texte, correspond au paragraphe II de l’article L. 413-10 du code de l’environnement, prévoyant qu’à compter du 1er décembre 2028, « Sont interdits, dans les établissements itinérants, la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces d'animaux non domestiques ». Il ressort de cette rédaction que l’interdiction de présenter au public des animaux sauvages s’applique uniquement aux cirques itinérants mais ne vise pas les cirques sédentaires2. L’association animaliste One Voice a entendu contester cette exclusion.

Pour soumettre la disposition litigieuse au Conseil constitutionnel, l’association a formé devant le Conseil d’État un recours en annulation contre un arrêté ministériel relatif au certificat de capacité que doivent détenir les propriétaires d’établissements de présentation au public d’animaux sauvages, en présentant accessoirement à celui-ci une question prioritaire de constitutionnalité. Cette QPC soulevant une question nouvelle, elle a été renvoyée au Conseil constitutionnel.

Elle soulevait un double enjeu, portant sur le point de savoir s’il existe au sein du bloc de constitutionnalité une voire plusieurs normes de protection de l’animal, et si la disposition législative contestée respecte la Constitution.

 

I. Existe-t-il un principe constitutionnel de protection de l’animal ?

Il ne fait guère de doute qu’à la différence de certains pays comme l’Allemagne, le Luxembourg, le Brésil ou l’Inde, aucun article de notre Constitution ne comporte de disposition consacrant de façon expresse une obligation de protection des animaux. Était-il néanmoins possible, comme le faisait valoir l’association requérante, de reconnaître une telle obligation par le truchement de l’interprétation jurisprudentielle ?

Le premier fondement invoqué à cette fin tenait au principe de la dignité de la personne humaine, regardé par l’association comme incluant la dignité de l’animal. Elle soutenait l’existence d’un « principe de dignité de tous les êtres vivants doués de sensibilité » découlant du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Le principe de dignité de la personne humaine fait sans conteste partie des normes constitutionnelles, ce sur la base du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (« Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine (…) »), ainsi que l’a reconnu le Conseil constitutionnel en 1994. Toutefois, par sa formulation même, ce principe se limite à la personne humaine, raison pour laquelle, afin ne pas le dénaturer, le Conseil refuse de l’étendre aux animaux.

Le second fondement avancé par l’association reposait sur la technique des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». En un mot, les PFRLR constituent une catégorie juridique qui permet au Conseil constitutionnel de reconnaître un principe à valeur constitutionnelle à partir d’un texte législatif d’un régime républicain antérieur à celui de la Ve République. Par exemple, le principe d’indépendance de la juridiction administrative a été reconnu comme PFRLR sur la base d’une loi de 1872 et la liberté d’association à partir de la loi de 1901 relative au contrat d’association. De la même manière, l’association invitait le Conseil constitutionnel à se fonder sur la loi Grammont du 2 juillet 1850 (réprimant le fait d’exercer publiquement et abusivement de mauvais traitements envers les animaux domestiques) pour ériger en PFRLR un principe « interdisant d’exercer publiquement des mauvais traitements envers les animaux ». Le Conseil estime toutefois que les conditions de reconnaissance d’un tel principe ne sont pas satisfaites, les dispositions de la loi Grammont n’ayant « eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe applicable à tous les animaux » (§ 17). En d’autres termes, le Conseil y voit plutôt une règle spécifique, ne présentant pas un degré de généralité suffisant dans la mesure où elle s’est toujours appliquée à un seul type d’animaux, en l’occurrence les animaux domestiques à l’exclusion des animaux sauvages.

Un autre fondement, semble-t-il non invoqué par l’association requérante, aurait pu être mobilisé et peut-être avec davantage de succès. Il réside dans les dispositions de la charte de l’environnement consacrant un droit à l’environnement (art. 1er) et une obligation de protéger celui-ci (art. 2 et 3). En effet, l’environnement ne se limite pas aux ressources naturelles mais inclut également les animaux. S’agissant plus spécifiquement de ces derniers, il s’entend de tous les animaux, c’est-à-dire pas uniquement les animaux sauvages, mais également les animaux placés sous la main de l’homme. Dans ces conditions, il serait envisageable de déduire des dispositions précitées une obligation constitutionnelle de protection de l’animal, comme l’ont d’ailleurs fait les juridictions du Costa Rica et de Colombie à partir de dispositions similaires3.

 

II. L’inapplication de l’interdiction aux établissements fixes est-elle inconstitutionnelle ?

Le Conseil constitutionnel estime que non, écartant tour à tour les différents moyens qui étaient invoqués à l’encontre de la disposition litigieuse.

Le plus solide reposait sur la méconnaissance du principe d’égalité. Le Conseil rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (§ 9). En l’espèce, il estime que le fait de traiter de façon différente les établissements selon qu’ils présentent un caractère fixe ou itinérant n’est pas contraire au principe d’égalité. Il relève qu’en ciblant uniquement les cirques itinérants, « le législateur, qui a reconnu aux animaux la qualité d’êtres vivants doués de sensibilité, a entendu mettre un terme aux souffrances animales résultant spécifiquement des déplacements auxquels ils sont exposés » (§ 12). Autrement dit, si les deux types d’établissements génèrent les mêmes types de souffrances aux animaux en raison de leur enfermement et du dressage auquel ils sont soumis, les établissements itinérants provoquent, en plus, des souffrances spécifiques liés aux déplacements. Les deux établissements se trouvant sur ce point dans une situation différente, le Conseil en déduit que le législateur avait tout loisir pour les traiter de façon différente. On relèvera également, dans cette motivation, la référence inédite à la formule inscrite en 2015 à l’article 515-14 du code civil selon laquelle les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Cette référence est significative car elle se trouve mobilisée pour souligner le changement de perspective qui résulte de la création de cet article, à savoir qu’aux yeux du législateur, ce que ressentent les animaux importe d’un point de vue juridique.

On notera qu’un doute existait sur le point de savoir si des établissements fixes de présentation au public d’animaux sauvages existent réellement. Interrogées sur ce point durant l’audience QPC (29 min, 50 secondes), les parties n’ont pas été en mesure de fournir une réponse précise. Aussi le président du Conseil constitutionnel a-t-il invité l’association requérante et le représentant du Premier ministre à produire une note en délibéré apportant des éléments sur ce point. On notera également, toujours sur le principe d’égalité, les observations suivantes figurant dans le commentaire du Secrétaire général : celui-ci déclare « que, si l’association requérante critiquait une différence de traitement injustifiée entre les animaux non domestiques, le Conseil n’a accepté d’exercer son contrôle sur le fondement du principe d’égalité devant la loi qu’en considération de la différence qui en résultait entre des personnes – morales ici –, un tel principe ne trouvant à s’appliquer qu’à l’égard de sujets de droit » (commentaire, p. 12). Cette précision n’apparaît pas nécessaire, le respect du principe d’égalité pouvant s’apprécier par une comparaison des différences de régime, et cela sans prise en compte des personnes ou sujets qui en relèvent.

 

Le moyen tiré de l’atteinte à la dignité de la personne humaine est également écarté. Le Conseil affirme, sur ce point, que « les dispositions contestées de l’article L. 413-11 du code de l’environnement se bornent à soumettre les établissements de spectacles fixes présentant des animaux d’espèces non domestiques aux règles générales de fonctionnement et aux caractéristiques générales des installations des établissements zoologiques à caractère fixe et permanent. Elles n’ont ainsi ni pour objet ni pour effet d’exposer des personnes à des spectacles portant atteinte à leur dignité » (§ 19).

 

Le dernier moyen, reposant sur l’article 8 de la Charte de l’environnement (« L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte »), est pour sa part rejeté non pas au fond mais au titre de l’opérance. Le Conseil, tranchant pour la première fois la question de l’invocabilité de cette disposition au titre de l’article 61-1 de la Constitution, affirme que celle-ci « n’institue pas un droit ou une liberté que la Constitution garantit. Sa méconnaissance ne peut donc, en elle-même, être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité (…) » (§ 20). La procédure de la QPC est en effet réservée à la seule protection des « droits » et « libertés » constitutionnels, ce qui n’est pas le cas des principes et exigences ne relevant pas de cette catégorie4.

 

Le Conseil constitutionnel conclut de ce qui précède que « les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas non plus l’article 1er de la Charte de l’environnement ni, en tout état de cause, son article 5, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution » (§ 21).

 

 

Slovénie : le pouvoir de retirer à un éleveur ses animaux en cas de maltraitance est conforme à la Constitution

Cour constitutionnelle de Slovénie, 22 janvier 2025, n° UI-227/23-14

 

En Slovénie, la loi sur la protection des animaux prévoit, depuis une modification intervenue en 2023, qu’un éleveur qui se rend coupable de maltraitance envers ses animaux peut se voir confisquer son bétail, et cela sans compensation financière (art. 43). Elle prévoit également, depuis cette modification, que des associations peuvent être associées à la mission de surveillance des installations d’élevage (art. 36).

Ces deux dispositions ont été soumises à la cour constitutionnelle par le Conseil national, qui constitue la chambre haute du parlement.

La cour s’est prononcée sur cette saisine dans une décision du 22 janvier 2025.

 

I. Le cadre constitutionnel

S’agissant du cadre constitutionnel, l'article 72, al. 4, de la Constitution dispose que « La protection des animaux contre la torture est réglementée par la loi ».

Dans sa décision du 25 avril 2018 relative à l’obligation généralisée d’étourdissement préalable5, la cour avait expressément souligné que l'absence de réglementation normative en matière de protection animale constituerait une violation de cette disposition. Elle ajoute, dans la décision commentée, que « Le législateur est tenu de répondre de manière appropriée aux circonstances préjudiciables aux animaux et à leur bien-être » (§ 13). En outre, de l’article 72 découle l’obligation de réglementer la protection animale, le fait que celle-ci est une valeur constitutionnellement protégée et qu'elle représente une considération d’intérêt public pouvant justifier une atteinte aux droits humains et constitutionnels (§ 13). Des limitations aux droits fondamentaux peuvent donc intervenir au titre de cette exigence constitutionnelle.

Concernant le contenu de celle-ci, la cour indique que « La Constitution interdit de causer des souffrances, des maladies ou la mort aux animaux sans motif justifié, et de leur infliger des souffrances qui peuvent être évitées sans difficultés majeures ni coûts disproportionnés » (§ 13). On note une vision utilitariste et fort répandue des animaux, selon laquelle la garantie de leur bien-être doit composer avec les intérêts humains. Il résulte de la formule employée qu’il est admissible de leur causer des souffrances à condition que celles-ci soient justifiées et ne puissent être évitées sans inconvénients significatifs pour les êtres humains. Toujours sur la question du contenu, la cour affirme que « La protection des animaux contre la torture, garantie par la Constitution, inclut les initiatives du législateur pour prévenir, empêcher et atténuer les sensations physiques désagréables de douleur, de stress et de peur causées aux animaux par l'homme » (§ 13).

 

II. Constitutionnalité de la confiscation d’animaux

Après le rappel du cadre constitutionnel, la cour se prononce sur la constitutionnalité de la disposition prévoyant que si l’éleveur traite de façon cruelle ses animaux d’élevage, ces derniers lui sont retirés sans droit à indemnisation (art. 43 de la loi sur la protection des animaux).

La cour analyse d’abord si cette mesure constitue une ingérence dans le droit de propriété protégé par l’article 33 de la Constitution. Elle note, de façon intéressante que la qualification des animaux comme êtres vivants et sensibles ne fait pas obstacle à l’application des garanties dont bénéficie leurs propriétaires. En effet, si les animaux ne peuvent être réduits à des choses, le droit des bien demeure applicable à ces derniers en l’absence de disposition spécifique. Il en résulte qu’un animal (et notamment un animal détenu par un éleveur) fait partie du patrimoine de son propriétaire. « Le statut particulier des animaux en tant qu’êtres sensibles et le devoir de les protéger, conformément à l'article 72 de la Constitution, n'excluent donc pas l'application des garanties de l'article 33 de la Constitution » (§ 20).

 

L’ingérence dans un droit constitutionnellement garantie ayant été constatée, la cour apprécie la proportionnalité de la restriction dont il fait l’objet.

Concernant en premier lieu l’objectif poursuivi par la disposition contestée, il consiste à éviter les souffrances les plus graves, dans un contexte où il a été observé une augmentation de celles-ci. La cour en déduit que « la mesure examinée repose sur un objectif constitutionnellement admissible » (§ 24).

Elle examine en deuxième lieu la nécessité et la pertinence de la mesure, après avoir rappelé en quoi consiste cet examen : « Pour apprécier l'opportunité d'une atteinte à un droit, la Cour constitutionnelle examine si celle-ci peut atteindre l'objectif poursuivi. Pour apprécier la nécessité de l'atteinte, la Cour constitutionnelle examine si celle-ci est nécessaire, au sens où le même objectif ne peut être atteint, soit sans atteinte, soit par des mesures plus modérées portant une atteinte moindre au droit concerné » (§ 25).

Sur ces points, la cour note que « L'existence de circonstances exigeant une mesure aussi extrême que le retrait définitif d'animaux (d'élevage) doit faire l'objet d'une évaluation professionnelle minutieuse au cas par cas. Cette évaluation peut requérir des connaissances très pointues dans divers domaines, et pas seulement la connaissance des habitudes, des besoins et des caractéristiques biologiques d'une espèce animale particulière. De plus, il convient de tenir compte de l'évolution des connaissances scientifiques, y compris des diverses directives et normes professionnelles » (§ 26). Précisant ensuite son degré de contrôle, elle affirme qu’« Il ressort déjà du contrôle de constitutionnalité que, dans les questions scientifiques complexes, la Cour constitutionnelle ne peut être un arbitre. Dans de telles matières, le législateur doit bénéficier d'une certaine marge d'appréciation. Cela signifie que la Cour constitutionnelle ne peut s'interroger sur l'adéquation et la nécessité de la mesure contestée pour atteindre l'objectif poursuivi (dans un domaine scientifique ou professionnel complexe) que si, compte tenu des arguments des parties, il est évident que les limites extrêmes de sa marge d'appréciation ont été dépassées La Cour constitutionnelle considère que ces limites n'ont pas été dépassées en l'espèce. Le retrait définitif des animaux d'élevage empêche le détenteur de traiter ces animaux de manière extrêmement inappropriée. Comme l'affirme le gouvernement (et le requérant ne le dément pas), cette mesure est utilisée dans les cas exceptionnels et les plus graves de traitement inapproprié des animaux. La décision de retirer définitivement un animal dépend de l'avis de l'inspecteur compétent, au cas par cas et en fonction des circonstances particulières » (§ 26). Il en ressort que des garanties de forme et des exigences de fond relativement strictes ont été instituées. En outre, souligne la cour, « Le retrait définitif empêche tout contact entre le propriétaire et l'animal susceptible d'entraîner la réitération du traitement inapproprié. Cela élimine donc le risque que le propriétaire continue ou réitère la torture de certains animaux » (§ 26).

La cour constitutionnelle aborde ensuite un point non critiqué par le requérant, tenant à ce que la confiscation de l’animal peut conduire in fine à son abattage, mais sans que les cas permettant d’y procéder se trouvent indiqués dans la disposition contestée. La cour y voit un risque d’atteinte portée aux animaux d’une façon qui serait contraire aux exigences constitutionnelles applicables. Aussi va-t-elle, pour parer ce risque, formuler une réserve d’interprétation spécifiant la façon dont la mise à mort d’un animal saisi peut intervenir. D’une part, il y a lieu de s’inspirer d’un autre article de la loi, l’article 26, qui énonce diverses conditions ou circonstances dans lesquelles l'abattage d'un animal est autorisé, notamment l'abattage lié à la protection et aux soins des personnes ou des animaux (animal agonisant, atteint d’une maladie incurable, présentant une blessure grave ou un trouble du comportement irréparable qui lui cause des souffrances, ou ayant atteint un âge tel qu'il ne puisse plus assurer ses fonctions vitales essentielles). D’autre part, d'autres options doivent être utilisées avant l'abattage, telles que la prolongation de l'hébergement des animaux dans une étable transitoire et la recherche active de débouchés commerciaux. L’abattage ne peut être envisagé que comme une ultime solution, si aucune alternative n’existe (§ 27).

Au regard de ce qui précède, indique la cour, « la mesure évaluée, du point de vue de la prévention de la cruauté envers les animaux par le détenteur, est appropriée et nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des animaux » (§ 28).

En troisième lieu, la cour examine la proportionnalité au sens strict de la disposition contestée. Certes, admet-elle, la confiscation de l’ensemble des animaux d’un éleveur peut avoir des conséquences patrimoniales considérables pour celui-ci. Néanmoins, poursuit-elle, « compte tenu de la grande importance (constitutionnelle) déjà soulignée de la protection des animaux contre la torture, elles ne peuvent l'emporter sur le bénéfice de la mesure, qui consiste à mettre fin (définitivement) aux souffrances ou à la torture des animaux confisqués, et à faire comprendre aux propriétaires que le traitement inapproprié de ces derniers n'est en aucun cas acceptable » (§ 29).

La cour conclut du triple test de proportionnalité mis en œuvre « que la mesure évaluée ne porte pas atteinte de manière excessive au droit à la propriété privée » (§ 33).

  

III. Constitutionnalité de la participation d’ONG aux opérations de surveillance

Un autre article de la loi était contesté par le conseil national, à savoir l’article 36, qui confère aux ONG le pouvoir de participer à des missions de contrôle des établissements d’élevage.

Dans la partie de sa décision exposant le cadre juridique, la cour avait relevé que « la protection appropriée (le bien-être) de tous les animaux fait partie des exigences constitutionnelles en matière de conservation de la nature et de protection de l'environnement ». Le rapport de ce contexte normatif plus large est destiné à mettre en lumière « que l'environnement n'est pas une entité pouvant représenter ses propres droits. Il est protégé par les droits des individus et les devoirs de l'État, ce qui, en cas de conflit d'intérêts, ne suffit souvent pas à assurer sa protection efficace. Par conséquent, il est de la plus haute importance pour le domaine de la protection de l'environnement de permettre l'existence et le fonctionnement d'entités, telles que diverses organisations non gouvernementales, qui agissent comme son alter ego. Les animaux faisant partie de la nature et de l'environnement, ce qui précède s'applique également mutatis mutandis à la protection animale » (§ 14). Se trouve ainsi mise en relief le rôle décisif joué par les organisations de la société civile dans la défense concrète et effective des règles relatives aux animaux, ces derniers n’étant pas en mesure de se défendre eux-mêmes.

À l’appui de sa requête, le conseil national faisait valoir deux séries de moyens.

Il contestait d’abord, au regard des articles 120 et 121 de la Constitution (déterminant le statut des organes administratifs et fixant les conditions auxquelles une entité privée peut se voir confier l’exercice de tâches revenant à l’État), le fait que des fonctions de surveillances puissent être attribuées à des entités privées. La cour constitutionnelle relève que les moyens d’intervention et d’investigation demeurent réservés aux autorités publiques, les associations pouvant seulement effectuer un signalement à celles-ci si elles identifient ou suspectent une situation d’atteinte. Il en déduit que les dispositions constitutionnelles précitées ne sont pas méconnues par le seul fait d’associer des personnes privées à une fonction publique (§ 36-49).

Le conseil national faisait également valoir une atteinte à l’exigence de clarté et de prévisibilité de la norme découlant de l’article 2 de la Constitution. Sur ce point, la cour juge que les notions de souffrance et de torture ne présentent pas un degré d’incertitude trop élevé, notamment car leur sens peut être déterminé à la lumière d’autres dispositions de la loi sur la protection des animaux employant des termes identiques. Elle a en revanche estimé que les règles relatives au fonctionnement et aux pouvoirs de certaines commissions étaient incomplètes, méconnaissant en conséquence l’exigence de clarté et de prévisibilité de la norme (§ 61).

 

 

  • 1 V. O. Le Bot, Droit constitutionnel de l’animal, 2ème édition, Independently published, 2023, § 261 et s.
  • 2 Pour ces derniers (les établissements fixes présentant au public des animaux sauvages), l’article L. 413-11 du code de l’environnement, issu de la même loi, a seulement prévu de réhausser les exigences relatives aux conditions de détention de ces animaux au niveau de celles applicables aux zoos.
  • 3 V. O. Le Bot, préc., § 196 et s.
  • 4 Il en a par exemple été jugé ainsi pour l’article 6 de la Charte de l’environnement, aux termes duquel « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social ». V. Conseil constitutionnel, 23 nov. 2012, n° 2012-283 QPC, § 22.
  • 5 Cour constitutionnelle de Slovénie, 25 avril 2018, n° U-I-140/14-21, RSDA 2018-1, pp. 117-122, chron. O. Le Bot.
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RSDA 1-2025

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit national de l’environnement

  • Simon Jolivet
    Maître de conférences Droit public
    Poitiers - Faculté de droit
    Responsable d'année Licence 1 droit (groupe A), Faculté de droit et sciences sociales de l'Université de Poitiers
    Secrétaire-général adjoint de la Société française pour le droit de l'environnement (SFDE)

Aline Treillard
Docteure en droit public
Chercheure associée au Centre Universitaire Rouennais d’Etudes Juridiques (CUREJ) de l’Université de Rouen

 

 

La « troisième génération » de droits au profit des animaux sauvages

 

Mots-clés : précaution, solidarité écologique, référé-liberté, espèce protégée, dérogations, risque suffisamment caractérisé, responsabilité du fait des lois, libre circulation des animaux sauvages, lagopède alpin, ours brun, requin, pétrel de barau, datte de mer, tortue d’Hermann.

 

  1. Cette chronique porte sur l’actualité nationale du droit de l’environnement en 2024, année qui marque les vingt ans de l’adoption de la Charte de l’environnement (le 24 juin 20041). Elle illustre la montée en puissance, encore inachevée, de ce texte fondateur qui vient asseoir les droits et principes de troisième génération dans notre ordre juridique. Depuis vingt ans, il est certain que la Charte a suscité de nouvelles dynamiques jurisprudentielles au soutien des espèces animales sauvages. L’invocabilité de plus en plus large de l’article 5 de la Charte, relatif au principe de précaution, en est l’exemple le plus évocateur. La toute récente possibilité de recourir au référé-liberté pour assurer aux animaux sauvages une protection quasi directe est un témoin supplémentaire de cette évolution vertueuse du droit prétorien. En effet, « la mobilisation du droit de vivre dans un environnement sain et équilibré - dont chacun est titulaire - peut permettre, par la procédure du référé liberté, de protéger les espèces indépendamment des répercussions directes ou indirectes sur la santé humaine »2. Ces différentes dynamiques jurisprudentielles, précisément observables lors de l’année écoulée, seront mises à l’honneur dans les lignes qui vont suivre.
  2. Exceptionnellement écrite à quatre mains3, la présente chronique maintiendra son architecture classique qui consiste à présenter le cadre essentiellement jurisprudentiel de l’année 2024 autour des trois temps de la conservation de la nature4. Ainsi, les décisions sélectionnées illustrent tour à tour les évolutions relatives à la protection directe des espèces (I), de leurs habitats ou de leurs milieux (II) et, enfin, celle de leurs déplacements (III).

 

I. La protection directe des animaux sauvages

 

  1. Cette année, la chronique présentera la particularité d’aborder l’évolution du droit applicable aux animaux sauvages dans toutes ses dimensions. C’est en effet tout le contentieux administratif qui s’est mis en mouvement en 2024. Ainsi, les procédures de référé-suspension et plus encore de référé-liberté ont été pleinement investies par les associations de protection de l’environnement, avec des effets à géométrie variable (A). Quant aux recours pour excès de pouvoir dirigés contre des actes administratifs préjudiciables à la faune sauvage, ils présentent un cadre d’évolution tout aussi erratique (B). Le contentieux de la responsabilité a lui aussi fourni de la matière pour alimenter les débats doctrinaux (C).

 

A. Les procédures d’urgence au secours variable de l’avifaune

 

  1. Faits marquants, fin 2024, les juges du Palais Royal ont confirmé5, sur le fondement de l’article 1er de la Charte de l’environnement, que le maintien des espèces sauvages dans leur habitat naturel et dans un état de conservation favorable constituait une liberté fondamentale dont peuvent notamment se prévaloir les associations de protection de l’environnement. Cette lecture de l’article 1er de la Charte de l’environnement dans le cadre du référé-liberté a donné un nouvel élan à la protection du lagopède alpin, élan dont n’a pas pu bénéficier le pétrel de barau sur l’île de La Réunion6. Contrairement aux deux autres décisions rapportées ici, l’ordonnance du tribunal administratif de Nancy concernant le grand tétras est rendue dans le cadre du plus classique référé-suspension, à propos d’une mesure controversée de réintroduction de ce gallinacé.

 

1. Le lagopède alpin : retours sur la fondamentalisation du droit de la protection des espèces sauvages au titre du référé-liberté

 

  1. Pour mémoire, la fondamentalisation du droit de la protection des espèces sauvages au titre du référé-liberté encadré par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative avait déjà fait l’objet d’une première application positive par le tribunal administratif de Toulouse. Dans une ordonnance du 19 juillet 2023, le juge avait ordonné la suspension d’un arrêté préfectoral autorisant des tirs d’effarouchement de l’ours brun (ursus arctos) dans les Pyrénées7. Dans son ordonnance du 18 octobre 2024, le Conseil d’État a reproduit ce raisonnement en ordonnant la suspension de l’arrêté préfectoral du 27 septembre 2024 qui autorisait la capture et la destruction de 10 spécimens de lagopède alpin (lagopus muta)8. Rappelant d’une part les obligations incombant à l’État en application de la Directive Oiseaux et s’appuyant d’autre part sur les indices de reproduction de l’espèce, le juge a conclu que le lagopède alpin faisait face à un risque élevé de disparition et que sa chasse compromettait les efforts de conservation de l’espèce. L’analyse de la méthodologie de calcul de l’indice de reproduction de l’espèce a été déterminante et mérite quelques lignes dans la mesure où il semble que le juge administratif procède à une application dissimulée du principe in dubio pro natura, selon lequel le doute doit profiter à la protection de la Nature9.

 

  1. C’est au point 10 de ladite ordonnance qu’il convient de se référer pour en détailler justement la portée. En ces lignes, le juge opère une appréciation des méthodologies fournies par les parties prenantes au litige. La première méthodologie a été fournie par la Fédération départementale des chasseurs de l’Ariège, elle vient en soutien de l’argument de l’État, défendeur dans cette affaire, tandis que la seconde a été présentée par l’Observatoire des galliformes de montagne à laquelle se réfère le requérant, l’association Comité écologique ariégeois. Après avoir remis en cause la méthodologie de la Fédération de chasse - qui, par ailleurs, était critiquée par les deux parties - le juge administratif donne du crédit à la méthodologie de l’Observatoire, quand bien même les chiffres ont été calculés, « il est vrai », sur un « échantillon très faible ». Dit autrement, alors même qu’il critique scientifiquement chacune des méthodes qui lui sont proposées pour statuer, il accorde son crédit à l’Observatoire, en l’absence de « connaissances scientifiques solides », pour reconnaître le caractère durable de la faible fécondité de l’espèce et tirer la conclusion selon laquelle la chasse de l’espèce porte une atteinte manifestement illégale à sa conservation, et dans le fil rouge du raisonnement, au droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé.

 

  1. Deux dynamiques contradictoires caractérisent cette ordonnance inédite. Le juge du Palais Royal admet que la Charte de l’environnement n’est plus un texte substantiellement droit de l’hommiste. Selon nous, une nouvelle trajectoire pourrait donc s’ouvrir pour le contentieux de l’environnement. Elle reste toutefois fortement circonscrite. En effet, en conditionnant la protection des espèces sauvages à la démonstration « de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour [les associations de protection de l’environnement] de bénéficier, dans le très bref délai » prévu par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative « d'une mesure de nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article », le juge contraint le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé dans un cadre procédural humano-centré. Cette survalorisation du justiciable est évidemment préjudiciable aux espèces sauvages. Elle suggère que leur sauvegarde est étroitement dépendante des moyens humains et financiers des associations de protection de l’environnement, mettant ainsi en difficulté la possibilité pour le droit de produire les effets de la reconnaissance de leur valeur intrinsèque. Elle limite tout autant les possibilités de tirer de l’article 1er de la Charte de l’environnement un droit de vivre dans un écosystème fonctionnel au profit des non-humains. L’ordonnance rendue par le tribunal administratif de la Réunion au sujet du Pétrel de Barau témoigne de ces dynamiques contradictoires qui caractérisent actuellement le contentieux environnemental (A. T.).

 

 2. Deuxième épisode dans les airs : le cas du pétrel de barau

 

  1. Le pétrel de barau est une espèce d'oiseau endémique de La Réunion, également appelée Taille Vent. Cet oiseau marin présente la caractéristique de nicher à des altitudes très élevées (d’ailleurs, il ne niche pas vraiment car il creuse un terrier dans les sols meubles). Classé « en danger » au niveau national et mondial, il fait l’objet d’un plan national d’action pour sa conservation. Au cours des nuits du 14 au 16 avril 2024, 530 pétrels de Barau se sont échoués sur la commune de Cilaos en trois jours. L’association requérante prétend que l’éclairage nocturne de la commune, qui se situe sur un couloir d’envol, perturbe leur mouvement et constitue la cause de ces échouages massifs. Cet évènement, qui est intervenu alors que le pic de la saison d’envol n’était pas encore arrivé, a alerté la Société d’étude ornithologique de la Réunion qui en a informé le maire. Ce dernier refusant d’éteindre l’éclairage public, l’association a saisi le juge des référés le 18 avril 2024, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (portant sur le référé-liberté), dans le but d’enjoindre à la commune d’éteindre les éclairages publics à partir de 19h et jusqu’à minuit, horaires durant lesquels ont lieu les principaux envols.

 

  1. Encouragés par la jurisprudence du 20 septembre 2022, les requérants estimaient que le refus portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. En parallèle, ils estimaient que l’autorité publique méconnaissait les articles L. 411-1 et suivants du Code de l’environnement (portant sur le régime juridique des espèces protégées) ainsi que l’article L. 110-1, notamment le principe de précaution et la séquence « éviter-réduire-compenser ». En défense, la commune a soutenu que des travaux de rénovation de l’éclairage public ont été entrepris à compter de 2019 et qu’ils ont été réalisés avec le souci de limiter les atteintes à l’environnement et en étroite concertation avec les services de l’État. Elle indiquait dans un premier temps que le niveau d’émission, de 18 lux, est inférieur à la norme fixée à 20 lux par lampadaire et qu’une adaptation plus poussée nécessiterait une intervention humaine sur les 500 lampadaires, ce qui n’était pas envisageable compte tenu des faibles moyens humains et financiers dont dispose la commune. Elle précisait dans un second temps que l’intensité lumineuse a été pensée pour être variable au cours de la soirée. Elle soutenait dans un troisième temps que seules les conditions météorologiques étaient de nature à justifier les échouages observés. Dans un dernier temps, elle rappelait que pour des raisons liées au maintien de l’activité touristique et à la sécurité, elle se refuserait de procéder à une extinction totale.

 

  1. Le juge était donc confronté à la question de savoir si le refus de l’Administration d’éteindre l’éclairage public durant la période des principaux envols des pétrels de Barau était de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Quand bien même les termes de l’article L. 411-I du Code de l’environnement précisent que la perturbation intentionnelle des espèces animales figurant sur une liste de protection est interdite, sauf à bénéficier d’une dérogation aux critères stricts (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), le juge déboute les parties requérantes, opérant une lecture restrictive de l’arrêté du 17 février 1989 qui constitue la base légale de la protection des espèces animales sur l’île. Par un syllogisme raccourci, le juge rappelle, presque inutilement ici, que le principe consiste à ce que « les collectivités publiques, doivent s’abstenir par leur action ou leur carence de contribuer à la destruction des espèces protégées et notamment du pétrel de Barau ». Il poursuit en indiquant que dans le cas présent la règle de droit ne fait pas « expressément et directement obligation aux communes de La Réunion d’éteindre leur éclairage public durant la période d’envol des pétrels de Barau » et se limite à cet état du droit pour tirer la conclusion que l’administration n’a pas porté d’atteinte manifestement illégale à la conservation de l’espèce, et donc, au droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé. À l’appui de cette conclusion hâtive, le juge liste l’ensemble des maigres mesures prises par l’administration locale depuis la connaissance de la problématique liée à la pollution lumineuse. On apprend ainsi, avec une transparence ironique, que lors d’une réunion en présence du sous-préfet, la commune s’était engagée à éteindre les éclairages publics à compter de 19h.

 

  1. Cette décision met en évidence les atermoiements de la jurisprudence administrative et révèle en même temps les défaillances tant structurelles que prétoriennes dans la mise en œuvre de la démocratie environnementale, dont les piliers sont pourtant posés à l’article 7 de la Charte de l’environnement (A. T.).

 

3. Réintroduction du grand tétras dans le massif des Vosges: pas de suspension

 

  1. Contrairement à nos précédentes chroniques(10), le grand tétras (Tetrao urogallus) ne sera pas évoqué à propos de sa chasse, suspendue sur l’ensemble du territoire national jusqu’en 202711, mais d’un projet controversé de réintroduction de cette espèce protégée. Porté par le syndicat mixte du parc naturel régional des Ballons des Vosges, il vise à répondre au risque d’extinction à court terme du grand tétras dans ce massif. Ses effectifs y auraient en effet chuté de plus de 90 % en moins de 50 ans, passant de 500 individus à la fin des années 1970 à quelques individus seulement aujourd’hui12. Le projet nécessite non seulement une dérogation « espèces protégées » au titre de l’article L. 411–2 du Code de l’environnement, mais également une autorisation d’introduction d’espèces indigènes dans le milieu naturel au titre de l’article L. 411–4 de ce même code. Ces autorisations ont été délivrées par un arrêté de la préfète des Vosges du 16 avril 2024. Le texte autorise le syndicat mixte à procéder à l’introduction dans le milieu naturel de grands tétras sauvages originaires de Norvège (où la population est estimée à 200 000 individus), dans la limite de 200 oiseaux d’ici le 31 décembre 2028.

 

  1. Le projet a toutefois reçu des avis défavorables du Conseil national de protection de la nature et du Conseil scientifique régional du patrimoine naturel, et il divise au sein des associations de protection de la nature13. Plusieurs d’entre elles ont déposé, devant le tribunal administratif de Nancy, un référé-suspension contre l’arrêté préfectoral. Elles contestent notamment le coût financier excessif de l’opération, alors que les conditions favorables à l’introduction ne sont pas réunies (dérangement des animaux par les activités touristiques en croissance, dégradation continue des habitats accentuée par les changements climatiques, etc.). La requête est rejetée pour défaut d’urgence, dans l’ordonnance du 26 avril 202414. Selon le juge des référés nancéien, ce projet « répond à un motif d’intérêt général qui consiste à préserver la biodiversité en évitant la disparition prochaine » du grand tétras dans le massif des Vosges. De plus, il n’est pas susceptible de « porter une atteinte suffisamment grave à la protection des oiseaux », car le nombre de spécimens concernés (40 spécimens par an) est « très limité », et le taux de mortalité lors des opérations d’introduction est faible (S. J.).

 

B. Le recours pour excès de pouvoir : un cadre d’évolution du droit de l’environnement tout aussi erratique

 

  1. L’effectivité de la protection juridique de l’avifaune devant le juge se caractérise par quelques incohérences que d’autres catégories d’espèces sauvages subissent également15. Il en est ainsi des grands prédateurs tels que l’ours brun ou bien encore les requins de Nouvelle-Calédonie qui ont tous deux nourri le contentieux du recours pour excès de pouvoir. Au titre de ce contentieux, la mobilisation des principes directeurs du droit de l’environnement au service de la protection des espèces continue de progresser, comme l’illustrent cette année les cas des petits cétacés et de l’anguille.

 

1. La légalisation des perturbations intentionnelles de l’ours brun dans les Pyrénées

 

  1. On se souviendra que la dernière ourse de souche pyrénéenne, dénommée Cannelle, a été tuée par un chasseur dans la vallée d'Aspe le 1er novembre 2004. Plus récemment, c’est l’ourse Caramelles qui a été tuée lors d’une battue dans la Réserve domaniale du Mont-Valier en novembre 2021, 16 chasseurs ont d’ailleurs comparu cette année devant le tribunal correctionnel de Foix pour destruction d’espèce protégée. Depuis 1996, date à laquelle ont démarré les programmes de réintroduction de l’espèce dans le massif après une quasi-extinction, l’état de la population des ours dans les Pyrénées reste une préoccupation locale conflictuelle16. Selon le rapport annuel du réseau Ours brun qui assure le suivi de l’espèce pour la partie française, la population d’ours se porte bien : 83 individus ont été recensés en 2023, chiffre qui confirme le taux d'accroissement moyen annuel de la population ursine. Cette conclusion n’est pas partagée par tous les acteurs. Ainsi l’association Pays de l’Ours - Adet alerte sur la structure génétique de la population dont les caractéristiques actuelles constituent une réelle menace à moyen terme. La dernière étude menée en ce sens met en évidence que 90% des ours sont les descendants de deux femelles : Mellba et Hvala. Le taux de consanguinité de la population est évalué entre 15 à 20 % tandis que le taux pour une population sauvage en bonne santé se situe plutôt entre 0 et 5%17. Or, une diversité génétique limitée réduit l’adaptabilité de l’espèce aux changements environnementaux et augmente le risque de maladies. Le volet quantitatif ne peut donc être le seul repère pour évaluer l’état de la population. Une expertise démogénétique devrait bientôt compléter « l’état des connaissances disponibles »18.

 

  1. Cette notion, éminemment centrale dans le contentieux environnemental, a refait surface dans deux arrêts du 18 avril 2024 par lesquels le Conseil d'État a estimé qu'en l'état des connaissances disponibles, les mesures d'effarouchement, simples comme renforcées, ne portaient pas atteinte au maintien des populations d'ours brun dans les Pyrénées19. Le premier recours était porté par un collectif d’associations contre l'arrêté du 20 juin 2022 de la ministre de la Transition écologique et du ministre de l'Agriculture relatif à la mise en place des mesures d'effarouchement simple pour prévenir les dommages aux troupeaux. La seconde affaire opposait l’association One Voice à la même administration dans le but de faire annuler l'arrêté du 4 mai 2023 qui précisait quant à lui les conditions de mise en œuvre de l'effarouchement renforcé de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux. Au-delà des mesures olfactives, lumineuses ou sonores, cet arrêté encadrait en complément la pratique de tirs non létaux. Aux termes de l’article 4 de l’arrêté le plus récent, il est indiqué que la mise en œuvre des mesures d’effarouchement renforcées sont subordonnées à trois conditions cumulatives : 1) la mise en oeuvre de moyens de protection du troupeau ; 2) la mise en place de l’effarouchement simple ; 3) - une restriction aux estives ayant subi une attaque en moins d’un mois suivant la mise en oeuvre des mesures simples ; - aux estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années ; - aux estives ayant subi en moyenne plus de dix attaques par an au cours des trois saisons d'estive précédentes. L’arrêté prévoit en parallèle un ensemble de garde-fous pour limiter les risques d’atteinte aux individus pouvant être concernés. On citera pour exemple que les tirs sont uniquement autorisés de nuit (avec une extension possible aux périodes crépusculaires ou matinales), par un binôme installé à poste fixe, avec éclairage de l’ours. L’effarouchement renforcé consiste en un tir à double détonation pour permettre à l’individu de mettre fin à son comportement intentionnel de prédation et il est interdit au binôme de disposer de munitions létales au moment de l’opération. Reste que les personnes qualifiées pour effectuer ses opérations représentent un large panel : il peut s’agir de l’éleveur, du berger, de lieutenants de louveterie, chasseurs ou agents de l’Office Français de la Biodiversité.

 

  1. Dans les deux affaires qui lui sont soumises, le raisonnement du juge administratif confronte l’état de la science et l’esprit qui irrigue les dérogations à l’interdiction de perturbation intentionnelle des conditions de vie d’une espèce protégée au titre de l’article L. 411-1 du Code de l’environnement. On notera que le déroulement syllogistique du juge se veut relativement pédagogique et étayé, notamment dans la seconde affaire. Après avoir indiqué que les effectifs de l’espèce « demeurent encore inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour (en) assurer la survie » mais que dans le même temps, les opérations d’effarouchement menées à titre expérimental n’ont montré aucune incidence sur l’évolution de l’état de l’espèce », il conclut que les arrêtés qui sont soumis à son office sont sans incidence sur l’amélioration de l’état de conservation de l’espèce et poursuivent, en toute légalité, l’objectif tenant à la prévention des dommages importants à l’élevage. L’enjeu était bien sûr plus important pour les mesures d’effarouchement renforcées. À l’appui des conclusions relatives à la mise en place des mesures à titre expérimental entre 2019 et 2021, le juge rappelle que les mesures ont, dans la plupart des cas, permis la fuite des individus et la réduction du nombre d’attaques. Cette analyse souligne l’adaptation de la mesure à l’objectif de l’arrêté attaqué éloignant ainsi le spectre de l’erreur manifeste d’appréciation de l’administration. Suivant la logique du recours pour excès de pouvoir, le juge indique également que les requérant-es n’ont pas apporté d’éléments de nature à démontrer que d’autres mesures auraient été d’une efficacité supérieure. Ce faisant, il écarte la qualité des données présentées par l’association qui soutenait que la combinaison du gardiennage par les bergers, du regroupement nocturne des troupeaux et de la présence des chiens de protection constituait une solution satisfaisante. La transparence du juge est ici intéressante dans la mesure où il indique, dans la même phrase, écarter ces pièces du dossier dont la pertinence a pourtant été validée par le Conseil National de Protection de la Nature. Faut-il lire entre les lignes qu’une position inverse pourrait aussi juridiquement être justifiée ? Cette question de la « volte-face » s’est parfaitement posée dans le cas de la protection des requins évoluant au large des côtes néo-calédoniennes (A. T.).

 

2. Les requins rétroactivement protégés en Nouvelle-Calédonie

 

  1. L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris du 12 janvier 2024 attirera toute notre attention puisqu’il pose une nouvelle pierre à l’édifice de la protection des requins dans les territoires ultramarins20 Le contentieux oppose ici la Province Sud de Nouvelle-Calédonie à l’association « Ensemble pour la Planète » (EPLP), seule association agréée par l’État pour la protection de l’environnement en Nouvelle Calédonie. L’association attaque la délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du 26 octobre 2021 de la Province, en tant qu'elle retire les requins tigres et requins bouledogues de la liste des espèces protégées figurant à l'article 240-1 du Code de l'environnement local. Adopté en mars 2009 en application des accords de Nouméa conférant un statut particulier à ce territoire, le Code de l’environnement accordait à toutes les espèces de requins le statut d’espèces protégées, impliquant de fait l’interdiction de leur destruction intentionnelle. En toute logique, cet état du droit rendait impossible les campagnes d’abattage de requins qu’a souhaité mettre en place la ville de Nouméa à la suite de plusieurs accidents, pour certains mortels. Sans qu’aucune étude scientifique préalable ne soit menée pour caractériser les causes et identifier avec précision les catégories d’espèces concernées (des doutes subsistent sur l’implication des requins tigres dans les accidents, en Nouvelle-Calédonie comme dans d’autres territoires d’ailleurs, à la Réunion par exemple), la ville a cherché à contourner le cadre législatif en adoptant une délibération retirant le statut d’espèce protégée aux espèces précitées. Dans son mémoire en attaque, l’association EPLP avançait des vices de forme et de procédure. Mais ce sont sur les moyens d’illégalités internes de l’acte administratif litigieux qu’il convient de s’arrêter. Dans cette catégorie, EPLP soutenait que la délibération avait été adoptée en méconnaissance du principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement eu égard à l’absence d’études scientifiques préalables aux campagnes d’abattage et dans un second temps, qu’elle était entachée d’une erreur manifeste d'appréciation eu égard à l'importance que revêtent les requins pour l'équilibre des écosystèmes marins.

 

  1. La Cour administrative d’appel de Paris a fait droit aux demandes de l’association. Elle a estimé qu’il ressortait des pièces du dossier que plusieurs instances scientifiques avaient émis des avis négatifs à l’encontre de la mesure litigieuse. C’était particulièrement le cas du Comité pour la protection de l'environnement (CPPE) consulté une première fois le 13 avril 2020 et du Conseil scientifique de la Province Sud (CSPPN) consulté le 15 septembre 2021. Elle a par ailleurs admis l’erreur manifeste d’appréciation de la Province Sud qui n’a fait procéder à aucun recensement, ni commandé aucune étude scientifique des populations de requins tigres et de requins bouledogues existantes de nature à produire une évaluation de l'impact de la mesure envisagée sur les populations de requins tigres et bouledogues mais aussi sur les autres espèces protégées qui, par le biais de captures accidentelles, pouvaient être injustement prélevées. Ce faisant, les juges de la CAA de Paris ont rétroactivement protégé les requins en Nouvelle-Calédonie.

 

  1. Cette affaire interroge plus largement les questions de la relation au monde sauvage, de la cohabitation entre les requins et les humains, mais aussi celle du partage de la mer et de ses usages. On retrouve certains de ces enjeux avec le problème des prises accessoires de petits cétacés dans les filets de pêche (A. T.).

 

3. Petits cétacés dans le golfe de Gascogne : confirmation des mesures de fermeture spatio-temporelle de la pêche, mais pas plus

 

  1. Lors de notre précédente chronique21, nous revenions sur plusieurs décisions en lien avec le contentieux des captures « accidentelles » de petits cétacés dans le golfe de Gascogne. Faisant partiellement droit aux conclusions relatives à l’insuffisance des mesures prises pour la protection de ces espèces, le Conseil d’État, dans un arrêt du 20 mars 202322, enjoignait à l’État d’adopter, dans un délai de six mois, des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l’état de conservation de ces espèces, en assortissant de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées, les mesures engagées ou envisagées en matière d’équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique. Par une ordonnance du 22 décembre 202323, le juge des référés du Conseil d’État suspendait l’exécution de plusieurs dispositions de l’arrêté du 24 octobre 202324, pris en réaction à l’arrêt du 20 mars 2023. Cet arrêté minimaliste établissant des mesures de fermeture spatio-temporelles pour un mois seulement (du 22 janvier au 20 février inclus, pour les années 2024 à 2026), comportait un trop grand nombre de dérogations.

 

  1. L’ordonnance du juge des référés est confirmée en tous points, au fond, par un arrêt du 30 décembre 202425. Se référant une nouvelle fois au principe de précaution inscrit à l’article 5 de la Charte de l’environnement et à l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Conseil d’État considère que l’efficacité de la mesure de fermeture « suppose qu’elle s’applique à l’ensemble des métiers présentant un risque non négligeable de captures accidentelles de petits cétacés ». Dès lors, la non-inclusion des sennes pélagiques, pourtant à l’origine d’environ 20 % des captures accidentelles de dauphins communs dans le golfe de Gascogne, était bien illégale (mais pas celle des sennes danoises et navires de moins de 8 mètres, qui représentent une très faible part des tonnages de pêche pendant l’hiver). Illégale aussi, la dérogation accordée pour la seule année 2024 au profit des navires équipés de dispositifs techniques de réduction des captures accessoires ou de caméras d’observation, car elle aurait eu pour effet d’exempter de l’interdiction la majorité des navires en principe concernés, nuisant ainsi fortement à son efficacité. Le Conseil d’État refuse en revanche de faire droit à la demande des associations requérantes, visant à une extension de la fermeture de la pêche aux deux autres mois d’hiver (saison la plus sujette aux pics de captures accidentelles).

 

  1. Pour ne pas aller au-delà de la position exprimée par son juge des référés, la haute juridiction administrative prend en considération un nouvel élément factuel: le bilan des mortalités de petits cétacés par capture accidentelle au cours de l’hiver 2024, dressé par les scientifiques de l’observatoire Pelagis26. Les mortalités de dauphins communs (Delphinus delphis) dans le golfe de Gascogne (espèce de loin la plus touchée, devant le marsouin commun et le grand dauphin) ont été évaluées à « seulement » 1450 pour cet hiver (contre 11300 en 2023, record absolu), ce qui en fait l’estimation de capture la plus faible depuis 2015. Le rapport de Pelagis est ainsi mobilisé par le juge au soutien de la thèse selon laquelle la période de fermeture d’un mois (tout comme la non-inclusion des sennes danoises et des navires de moins de 8 mètres) n’est pas « manifestement insuffisante » pour assurer le niveau de protection nécessaire aux petits cétacés. Le principe de précaution (avec celui de prévention) a également été mobilisé au bénéfice de l’anguille en 2024 (S. J.).

 

4. Prévention et précaution au bénéfice de l’anguille

 

  1. La diffusion des « grands principes »27 du droit de l’environnement au profit des espèces animales se poursuit. Est en cause ici l’encadrement de la pêche de l’anguille d’Europe (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres (que l’on nomme plus communément civelle). Cette pêche est en principe interdite, mais elle peut être autorisée à titre dérogatoire aux pêcheurs professionnels en eau douce (C. envir., art. R. 436–65–3; C. rur., art. R. 922–48). Des dérogations qui sont régulièrement contestées devant le Conseil d’État, pour les risques qu’elles sont susceptibles de faire peser sur la survie d’une espèce ayant subi un fort déclin et désormais en danger critique d’extinction selon l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature)28. En 2024, deux arrêts portant sur ce type de décisions apportent des précisions intéressantes sur le droit applicable à la pêche aux anguilles.

 

  1. L’arrêt du 26 février 202429 livre des enseignements plutôt généraux sur les conditions d’octroi des dérogations. Le Conseil d’État affirme qu'il appartient aux ministres compétents (ministre chargé de la pêche en eau douce et ministre chargé de la pêche maritime), « lorsqu'ils usent du pouvoir d'autoriser par dérogation la pêche de la civelle, de retenir chaque année un quota de captures autorisées qui soit de nature, compte tenu de l'ensemble des mesures concourant à la protection de l'espèce et à la reconstitution de son stock et en mettant en oeuvre le plan de gestion de l'anguille établi par les autorités françaises, à permettre d'atteindre les objectifs que le [règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes30] prescrit de respecter à terme et, par-là, à respecter les objectifs généraux de la politique commune de la pêche ». Surtout, peut-être, il ajoute que lorsque les ministres mettent en œuvre leur compétence d’autorisation par dérogation de la pêche de la civelle, ils doivent veiller « au respect des principes de prévention et de précaution respectivement garantis par les articles 3 et 5 de la Charte de l'environnement ». En effet, bien qu’elle s’inscrive dans le cadre de la politique commune de la pêche (compétence exclusive de l’UE), cette compétence spécifique « n'implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l’Union européenne mais suppose l'exercice d'un pouvoir d'appréciation ». En présence d’un risque déjà « identifié et évalué », tel celui pesant sur la survie de l’anguille, les associations requérantes ne peuvent cependant pas invoquer l’article 5 de la Charte afin de réclamer l’adoption de mesures de protection supplémentaires. Sauf à présenter des éléments circonstanciés accréditant l’hypothèse d’un autre risque, seul l’article 3 de la Charte trouve à s’appliquer. En l’espèce, contrairement aux allégations des requérantes, les quotas de captures, fixés par les arrêtés ministériels pour la campagne de pêche 2021-22, n’assurent pas une prévention insuffisante des atteintes à l’environnement au sens de l’article 3 de la Charte. Le juge relève ainsi que « le recrutement au stade de la civelle reste faible mais stable ».

 

  1. L’arrêt du 18 décembre 202431 intéresse plus précisément la fixation des périodes de pêche à l’anguille de moins de 12 centimètres. Il vient encadrer la marge de manœuvre des ministres, qui ont défini des nouvelles dates de pêche par un arrêté du 19 octobre 2023. Se fondant sur le règlement européen du 30 janvier 202332 (en plus de celui du 18 septembre 2007 précité), le Conseil d’État considère que les États membres « doivent tenir compte dans une perspective de reconstitution des stocks du schéma de migration géographique et temporelle de l'anguille à ses différents stades de développement ». De plus, « s'il ne résulte d'aucune disposition applicable que la pêche de l'anguille ne puisse en aucun cas être autorisée pendant ses périodes de migration, les ministres compétents ne peuvent (...) déterminer des périodes de pêche qui correspondraient pour l'essentiel aux périodes de migration ». Or, en l’espèce, « pour l'intervalle de temps courant du 1er novembre 2023 au 15 avril 2024 concerné par l'arrêté contesté, les périodes de migration des civelles dans les diverses UGA33 concernées sont principalement voire intégralement des périodes au cours desquelles la pêche est autorisée et, corrélativement, les périodes au cours desquelles la pêche est autorisée correspondent essentiellement voire exclusivement à des périodes de migration des civelles ». En conséquence, les ministres n’ont pas respecté l’obligation de prendre en compte le schéma de migration géographique et temporelle de la civelle (S. J.).

 

  1. Grâce au (ou à cause du) loup, c’est au tour du contentieux de la responsabilité de fournir, cette année encore, de la matière pour alimenter les débats doctrinaux.

 

C) Le loup est-il un cormoran comme les autres ? Réponse à partir de l’application du régime de la responsabilité du fait des lois

 

  1. Depuis la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, le loup est une espèce protégée34. Avec l’ensemble des autres espèces animales relevant de la même catégorie juridique, il bénéficie du régime désormais inscrit à l’article L. 411-1 du Code de l’environnement, qui interdit, par principe, leur destruction. Il n’en demeure pas moins qu’il peut causer des dommages aux activités humaines, notamment agricoles. C’est ici son comportement naturel qui est questionné, les grands prédateurs se nourrissant d’individus ovins dont la destination est l’alimentation humaine.

 

  1. Pour faire face à cette pression de l’animal sauvage sur l’animal d’élevage, plusieurs garde-fous ont été posés, tantôt par le législateur, tantôt par le juge administratif. Le premier consiste en la mise en place de subventions pour protéger les cheptels des attaques. Ces opérations de protection de l'environnement dans les espaces ruraux (OPEDER) prévoient également un système d’indemnisation pour dédommager les éleveurs dont les troupeaux sont victimes d’actes de prédation. Le second consiste en l’exercice concomitant d’une action en responsabilité administrative sur le fondement jurisprudentiel du régime de la responsabilité du fait des lois. Depuis une décision du Conseil d’État du 30 juillet 2003 35, il est convenu que les préjudices résultant de la prolifération d’animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite peuvent faire l’objet d’une indemnisation par l'État. Cette indemnisation est possible à condition que le requérant rapporte la preuve d’une part, que le préjudice subi excède les aléas inhérents à l’activité en cause, et d’autre part, qu’il revêt un caractère grave et spécial. Pour exemple, ce régime a été appliqué à l’ours brun36. Il a particulièrement défrayé la chronique lorsqu’il a été appliqué aux cormorans37.

 

  1. Dans une décision du 3 novembre 202438, la CAA de Lyon a consolidé cette position jurisprudentielle. La responsabilité pour rupture d'égalité devant les charges publiques du fait de l'activité législative de l'État à raison des dommages causés par la prolifération des espèces protégées s’applique désormais aux loups39. L’action en responsabilité a été déposée par un éleveur du « Grand Oisans sauvage » qui a subi une série d’attaques meurtrières en 2018 sur son troupeau composé de 900 individus qui paissent sur plus de 1800 hectares d’un relief difficile et escarpé. Indemnisé au titre du dispositif OPEDER, il a déposé une demande d’indemnisation complémentaire qui a été rejetée par le préfet de l’Isère qui estimait les preuves d’imputation manquantes (au total, le requérant estimait une perte de 163 ovins soit 17,8 % de son cheptel). L’intéressé a saisi le tribunal administratif de Grenoble qui a fait droit à sa demande. Le ministre compétent a interjeté appel. En réponse, la CAA a validé l’application de ce régime. Pourraient être commentées ici les analyses relatives à la faute exonératoire de la victime, ou le montant des indemnisations du préjudice subi. Mais c’est davantage la cause première sur laquelle il faut s’arrêter : le juge administratif estime que le loup prolifère alors même que la population régresse depuis 2022 et que les quotas de tirs ont augmenté ces dernières années. Le statut de protection de canis lupus venant d'être révisé à la baisse au niveau européen, cette position jurisprudentielle pourrait évoluer dans les années à venir (A. T.).

 

II. La protection des habitats des animaux sauvages

 

  1. L’actualité de l’année écoulée nous conduira du principe de protection des habitats des animaux sauvages, illustré par la cigogne noire dans le parc national des forêts (A), aux dérogations (de plus en plus larges) accordées à cette protection (C), en passant par un cas limite relatif à la trop méconnue datte de mer (B).

 

A. Le parc national des forêts au soutien de la cigogne noire

 

  1. Le cas rapporté ici, examiné devant la Cour administrative d’appel de Lyon40, illustre la façon dont la protection des espaces naturels est susceptible de renforcer celle des espèces animales protégées par la loi41. En l’espèce, il s’agit d’un projet d’implantation de quatre éoliennes au sein de l’aire d’adhésion (optimale) du parc national des forêts (Bourgogne - Champagne), créé en 201942. Pour rappel, l’aire d’adhésion entoure le cœur qui constitue l’espace à protéger des parcs nationaux français. Les contraintes pour les activités humaines y sont moins importantes que dans le cœur. Toutefois, en raison de la « solidarité écologique » (C. envir., art. L. 331-1) existant entre ces deux types de zones, les travaux ou aménagements projetés sur le territoire de communes « ayant vocation à adhérer à la charte du parc national » (ce que l’on nomme l’aire d’adhésion « optimale ») qui sont de nature à « affecter de façon notable le cœur » ne peuvent être autorisés ou approuvés que sur avis conforme de l'établissement public du parc (C. envir., art. L. 331–4 II).

 

  1. L’un des points centraux de l’affaire, sur le fond, concerne l’évaluation de l’impact du projet éolien sur la cigogne noire (Ciconia nigra). Plus rare que la cigogne blanche (Ciconia ciconia), elle est comme cette dernière inscrite sur la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire national43. Aussi, un premier moyen d’assurer sa protection, face à un projet susceptible de l’affecter, est de se placer sur le terrain du droit de la protection des espèces, en s’assurant qu’aucune interdiction fixée par la loi n’est violée (C. envir., art. L. 411–1)44. Un autre est de faire jouer la protection spatiale au soutien de celle de l’espèce animale. Ainsi, l’établissement public du parc national des forêts a rendu un avis défavorable à l’encontre du parc éolien litigieux, fondé notamment sur les atteintes à l’avifaune et en particulier la cigogne noire. S’agissant d’un avis conforme, il a entraîné le rejet de la demande d’autorisation par le préfet de la Côte-d’Or. Mais le risque pour la cigogne noire est-il réel, et, si oui, était-il susceptible de fonder l’avis défavorable du parc ?

 

  1. La Cour se fonde implicitement sur l’approche de solidarité écologique45 mentionnée plus haut pour répondre à ces questions. Si, comme le pétitionnaire le soutient, la zone d’implantation potentielle du projet et ses abords immédiats « ne sont pas une zone propice au nichage de la cigogne noire, plusieurs couples de cette espèce nichent au sein du coeur du parc, situé au plus près à six kilomètres. Or, les adultes reproducteurs peuvent s'éloigner de plus de vingt kilomètres de leur nid pour se nourrir et capturer leurs proies ». En raison de cette écologie particulière, l’exploitation du parc éolien litigieux est porteur de risques de collision, de fragmentation de l’habitat et de perte de zones de gagnage pour la cigogne noire. De plus, la Cour s’emploie à caractériser le lien particulier qui unit le parc national des forêts et la cigogne noire. Ainsi, cet espace protégé « a notamment été créé en vue de préserver le milieu naturel, et en particulier la faune des territoires qu'il couvre. Il dispose d'un projet de préservation pour le cœur de son parc qui inclut, selon sa charte, la conservation des espèces patrimoniales, parmi lesquelles figure la cigogne noire. Il a ainsi pu se fonder sur le risque que le projet faisait peser sur les populations de cigognes noires nichant en son cœur (...) pour émettre un avis défavorable ». Il faut en effet préciser que le cœur du parc national des forêts abrite actuellement sept couples reproducteurs de cette espèce classée en danger sur la liste rouge de l’UICN, sur les soixante-dix à quatre-vingt-dix que compterait le pays dans son ensemble. C’est dire la responsabilité particulière de ce territoire pour la conservation de la cigogne noire à l’échelle nationale (S. J.).

 

B. La datte de mer et la remise en état du domaine public naturel

 

  1. Cette affaire de contravention de grande voirie se situe, pour ce qui nous intéresse dans le cadre de la chronique, à la jonction entre le principe de protection des habitats d’espèces protégées et les dérogations à la protection. Propriétaire d’une villa à Coti-Chiavari (Corse-du-Sud), Mme B. a implanté, en vue de permettre l’amarrage de navires de plaisance, une structure en pierres maçonnées composée d'un quai, d'une dalle, de bittes d'amarrage, d'une échelle d'accès à la mer, d'installations électriques et d'un tuyau d'eau (sur une superficie de 198 mètres carrés). Après avoir jugé que ces aménagements étaient constitutifs d’une occupation sans titre du domaine public maritime naturel, le tribunal administratif de Bastia a, le 14 avril 2016, enjoint à Mme B. de remettre les lieux en leur état initial (à l'exception d'une partie d'un escalier), sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de sa notification. Mme B. se pourvoit en cassation contre l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille qui l’a condamnée à verser à l’État la somme de 124 960 euros au titre de l’astreinte. La défense de Mme B. s’articule autour de la découverte, postérieure au jugement du tribunal administratif de Bastia, de la présence d’une colonie de dattes de mer (Littophaga Littophaga) dans l'emprise de la zone des travaux destinés à détruire le quai en béton. Or la datte de mer, aussi appelée moule lithophage en raison de sa capacité à creuser les roches tendres, est une espèce strictement protégée par l’annexe IV de la directive « Habitats »46, et qui figure à l’arrêté interministériel du 20 décembre 2004 fixant la liste des animaux de la faune marine protégés sur l'ensemble du territoire47. Selon Mme B., compte tenu de l’absence de méthode de déplacement vers un autre habitat, la démolition du quai compromettrait la préservation de la colonie de dattes de mer, et exposerait aux sanctions pénales établies à l’article L. 415–3 du code de l’environnement. La Cour administrative d’appel de Marseille a jugé inopérant le moyen tiré de ce que l'exécution du jugement du 14 avril 2016 serait susceptible de menacer les dattes de mer.

 

  1. Le juge administratif du fond aurait-il dû tenir compte de cet élément pour évaluer la difficulté d’exécution de l’injonction ? Le Conseil d’État répond par l’affirmative dans sa décision du 19 décembre 202448, en annulant pour erreur de droit l’arrêt de la Cour administrative d’appel. Selon les juges du Palais-Royal, il lui revenait « d'apprécier la réalité de la difficulté d'exécution ainsi invoquée et, le cas échéant, de préciser les conditions d'exécution de la démolition ordonnée et les diligences pouvant être accomplies à cette fin par les parties, en évaluant la possibilité éventuelle pour l'autorité administrative d'accorder une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ». Ou, pour le dire à la manière du rapporteur public Romain Victor, la Cour aurait dû « définir les mesures propres à assurer que la démolition s’effectue dans des conditions respectueuses du droit de l’environnement 49. Cet arrêt constitue ainsi une nouvelle atténuation des conséquences du principe d’indépendance des législations, résultant de l’obligation de prendre en compte la préservation des espèces protégées par le droit domanial. Plus largement, pour Norbert Foulquier, il « marque une étape supplémentaire importante dans l'environnementalisation du droit domanial »50.

 

  1. En tout état de cause, pour espérer obtenir la dérogation « espèces protégées » au titre de l’article L. 411–2 du code de l’environnement, le projet de destruction du quai en béton devrait en réunir les conditions, et notamment justifier l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur (S. J.).

 

C. L’actualité 2024 des dérogations « espèces protégées »

 

  1. Un très grand nombre de décisions juridictionnelles ont été rendues en matière de dérogations « espèces protégées » en 2024. Il s’agit d’une tendance lourde dont on peut regretter qu’elle tende progressivement à mettre au second plan le principe même de la protection, au bénéfice de ce qui devrait rester l’exception. Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’abondance de données brutes, nous avons fait le choix de n’évoquer que quelques décisions seulement, soit qu’elles apportent de nouvelles précisions juridiques, soit qu’elles mettent particulièrement au centre de l’attention certaines espèces animales. La plupart de ces décisions portent sur les conditions de sollicitation de la dérogation, mais l’une d’entre elles est relative à l’intérêt à agir du voisin contre une dérogation « espèce protégée ».

 

1. Les conditions de sollicitation de la dérogation

 

  1. Pour rappel, dans un avis contentieux du 9 décembre 202251, le Conseil d’État a considéré que « le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. À ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation « espèces protégées ». »

 

  1. Dans le sillage de cette interprétation (au demeurant discutable au regard du cadre européen de protection stricte des espèces animales52), la jurisprudence administrative a continué, en 2024, à préciser les conditions de sollicitation de la dérogation « espèces protégées »53, et en particulier la notion centrale de « risque suffisamment caractérisé ». On sait désormais, suite à un arrêt du 6 novembre 202454, que le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique des faits sur la question de savoir si un projet comporte un risque suffisamment caractérisé d'atteinte à des espèces protégées et nécessite, dès lors, une dérogation « espèces protégées ».

 

  1. Par ailleurs, dans un arrêt du 30 mai 202455, le Conseil d’État estime que l’existence d’un risque suffisamment caractérisé pour les espèces protégées doit être recherché dès l'origine, avant la mise en fonctionnement d’une installation. En l’espèce, il s’agissait d’un parc éolien, susceptible de présenter des risques pour les chiroptères et certaines espèces d’oiseaux protégés. L’arrêt de la Cour administrative d’appel est cassé, pour avoir déduit qu’une évaluation des effets du projet sur la mortalité des espèces au début de la mise en fonctionnement du parc éolien suffisait à le dispenser de solliciter une dérogation « espèces protégées ».

 

  1. Enfin notons, parmi les applications les plus médiatiques de la notion de risque suffisamment caractérisé au cours de l’année 2024, celle réalisée par la Cour administrative d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 18 décembre 202456. L’existence d’un risque suffisamment caractérisé pour l’outarde canepetière (Tetrax tetrax) aurait dû conduire les porteurs du projet de réalisation de quatre réserves de substitution, dont celle de Sainte-Soline (Deux-Sèvres), à solliciter une dérogation « espèces protégées ». En l’absence de cette démarche administrative, leurs autorisations sont annulées (S. J.).

 

2. « Y a même un chat, une tortue, des poissons rouges, il ne manque rien…» sauf l’intérêt à agir du voisin contre la dérogation « espèces protégées »

 

  1. Dans cette affaire, la dérogation « espèces protégées » n’est pas contestée devant le juge par une association de protection de l’environnement, comme c’est souvent le cas, mais par un voisin. Cela pose nécessairement la question de l’intérêt à agir de ce dernier contre ce type de décisions.

 

  1. En l’occurrence, des spécimens de tortues d’Hermann (Testudo hermanni), espèce protégée, sont présents sur la parcelle pour laquelle la société Probat a obtenu un permis de construire un immeuble d’habitation (sur le territoire de la commune de Porto-Vecchio, en Corse-du-Sud). Cette société a demandé et obtenu une dérogation lui permettant de déplacer les tortues et détruire leur habitat. Un particulier ainsi qu’une SCI (société civile immobilière) forment un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté préfectoral octroyant la dérogation. Leur intérêt à agir a été reconnu en première instance, mais pas en appel, d’où le dépôt d’un pourvoi en cassation.

 

Dans son arrêt du 8 juillet 202457, le Conseil d’État rappelle que les requérants « se sont prévalus de leur qualité de voisins immédiats de cette parcelle et de la circonstance que cet arrêté mettrait un terme au passage des tortues sur leur propriété depuis le terrain d'assiette du projet, leur faisant perdre le plaisir que leur procure la venue de ces tortues ». Toutefois, il rejoint la solution de la Cour administrative d’appel qui a considéré que cet intérêt n’était pas suffisant pour pouvoir contester la décision devant le juge administratif. En outre, la SCI requérante (dont l’activité consiste en la gestion et l'exploitation par bail ou location du terrain dont elle est propriétaire et en sa mise en valeur) n’est « pas susceptible de subir un préjudice d'agrément résultant de ce que cette décision mettrait un terme à la présence des tortues sur sa propriété ».

 

  1. Comme l’écrivent Jessica Makowiak et Isabelle Michallet, « cette décision restreint sévèrement l’intérêt à agir, en minorant l’atteinte portée sur les intérêts individuels par une destruction de la biodiversité. Le droit de vivre dans un environnement sain et équilibré, reconnu dans d’autres contentieux comme étant une liberté fondamentale, est ici inopérant »58 (S. J.).

 

III. La protection des déplacements des animaux sauvages

 

  1. La libre circulation des animaux sauvages est doublement à l’honneur de cette partie: symboliquement reconnue comme une composante de l’OVC59 de protection de l’environnement (A), elle peut justifier l’instauration par les auteurs d’un PLU (plan local d’urbanisme) d’un corridor écologique destiné à restaurer les continuités écologiques (B).

 

A. La libre circulation des animaux sauvages, composante de l’OVC de protection de l’environnement

 

  1. Dans la mesure où elle a déjà été commentée à plusieurs reprises dans cette revue, nous ne reviendrons pas en détail sur la décision du Conseil constitutionnel du 18 octobre 202460. La QPC portait sur plusieurs dispositions de la loi du 2 février 2023, visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée61. Parmi elles figure l’article L. 372–1 du code de l’environnement, qui exige la mise en conformité des clôtures implantées dans les espaces naturels afin de permettre, en tous temps, la libre circulation des animaux sauvages. Son atteinte au droit de propriété était contestée. En préambule de son contrôle, le Conseil constitutionnel affirme: « il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre la libre circulation des animaux sauvages dans les milieux naturels afin de prévenir les risques sanitaires liés au cloisonnement des populations animales, de remédier à la fragmentation de leurs habitats et de préserver la biodiversité. Ce faisant, il a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement ». Le pas est symboliquement significatif pour la protection des déplacements des animaux sauvages: leur libre circulation participe de l’OVC de protection de l’environnement, et à ce titre, peut justifier des limitations au droit de propriété. En l’espèce, selon les Sages, le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les objectifs poursuivis et le droit de propriété (S. J.).

 

B. PLU et continuités écologiques à restaurer

 

  1. La (libre) circulation des animaux sauvages est aussi l’enjeu d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon, en date du 2 juillet 202462. Deux sociétés contestent la délibération du Conseil métropolitain de Saint-Etienne Métropole approuvant le PLU de la commune de La Talaudière, spécialement en ce qu’elle établit un corridor écologique sur les parcelles qu'elles exploitent. Au soutien de leur requête en annulation, elles soutiennent notamment que le corridor n'est pas fonctionnel en raison des aménagements existants qui empêchent matériellement la circulation de la faune. En effet, les terrains en question seraient entourés d’un grillage haut et épais. Toutefois, et c’est le point intéressant de cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Lyon affirme explicitement que l’instauration d’un corridor écologique peut avoir pour objectif de restaurer (et pas seulement de préserver, ou de maintenir) la continuité écologique et donc les capacités de dispersion des animaux sauvages. Elle appuie son interprétation extensive sur l’article L. 151–23 du code de l’urbanisme, qui évoque lui-même la « remise en état » des continuités écologiques au titre des motifs d’identification et de délimitation des sites et secteurs à protéger par le règlement du PLU (S. J.).
  • 1 Son entrée en vigueur, elle, date du 1er mars 2005.
  • 2 G. Leray et V. Monteillet, « Chronique droit de l’environnement », Recueil Dalloz 2025, p. 974.
  • 3 Après 10 ans à écrire cette chronique, son auteur a formulé le vœu de transmettre progressivement le flambeau. Simon Jolivet souhaite exprimer ici sa profonde gratitude envers la direction de la RSDA (en particulier Jean-Pierre Marguénaud puis Fabien Marchadier), pour la confiance qu’elle lui a témoignée tout au long de ces années. Il tient également à remercier Aline Treillard d’avoir accepté de s’engager dans cette belle et exigeante entreprise.
  • 4 La seule différence consiste en l’ajout d’initiales à la fin de chaque paragraphe, afin que le lecteur puisse identifier l’auteur(e) correspondant(e).
  • 5 CE, 20 sept. 2022, n° 451129 : RSDA n° 1/2023, p. 97, cette chronique.
  • 6 TA de La Réunion, ord., 20 avril 2024, n°2400489, Société d’études ornithologiques de la Réunion.
  • 7 TA Toulouse, ord., 19 juillet 2023, One Voice, n° 2304194, J.-C. Zarka,  « Il est désormais possible de recourir au référé-liberté pour la protection de l’environnement », Les Petites Affiches, janvier 2023, pp. 34-36.
  • 8 CE, 18 octobre 2024, n° 498433, Ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, AJDA, 2025, p. 552.
  • 9 Sur ce principe, voir l’article complet de S. Baldin et S. De Vido, « The In Dubio Pro Natura principle, an attempt of a comprehensive legal reconstruction », Revista General de Derecho Público Comparado, 32/2022, pp. 168-199.
  • 11 10V. par ex. https://www.revue-rsda.fr/articles-rsda/7584-droit-national-de-l-environnement, § 10. Arrêté du 1er septembre 2022, JO 17 septembre 2022.
  • 12 P. Mouterde, « La justice autorise l’introduction controversée de grands tétras », Le Monde, 28-29 avril 2024.
  • 13 L. Radisson, « Le projet de lâcher de grands tétras dans les Vosges divise les naturalistes », Actu-environnement, 26 mars 2024.
  • 14 TA Nancy, ord., 26 avr. 2024, SOS Massif des Vosges et a., n° 2401140.
  • 15 Voir le numéro RSDA 2/2020 qui comprend un dossier spécial sur les oiseaux.
  • 16 L'effectif de l'espèce en France comptait encore environ 150 individus au début du XXème siècle et n'en comptait plus que 7 ou 8 dans les années 1980.
  • 17 Pays de l’Ours – Adet, Evolution du coefficient de consanguinité de la population d’ours des Pyrénées, 2024.
  • 18 La démogénétique étudie les effets des changements climatiques sur les organismes vivants et leurs conséquences en termes de productivité des systèmes, survie et répartition des populations à travers une approche génétique.
  • 19 CE, 18 avril 2024, n°469587 et n°474049, AJDA 2024, p. 878.
  • 20 CAA Paris, 12 janvier 2024, n° 22PA05499.
  • 21 https://www.revue-rsda.fr/articles-rsda/7584-droit-national-de-l-environnement, § 4 et s.
  • 22 CE, 20 mars 2023, FNE et a., n° 449788,  AJDA 2023, p. 1294, note L. Peyen ; RJE, 2023, p. 711, note A. Duplan.
  • 23 CE, ord., 22 décembre 2023, FNE et a., n° 489926, 489932, 489949, EEI 2024, n° 28, note L. Daydie; RJE 2024, p. 473, note M. Fontaine.
  • 24 JO du 26 octobre 2023, texte n° 3.
  • 25 CE, 30 déc. 2024, FNE et a., n° 489906 : EEI 2025, no 17, note L. Daydie. V. aussi plus largement R. Ecorchard, « Un vaste chemin pour l’obtention d’une meilleure protection des populations de cétacés du golfe de Gascogne », Droit de l’environnement 2025, p. 122.
  • 26 Peltier, H., Authier, M., Dars, C., Wund, S. & Spitz, J. (2024) Bilan des mortalités par capture : hiver 2024. Rapport technique (version 1). 11p. Observatoire Pelagis, UAR 3462, CNRS-LRUniv.
  • 27 Des petits oiseaux aux grands principes. Mélanges en hommage au Professeur Jean Untermaier, Mare & Martin, 2018.
  • 28 Sur l’anguille, v. A. Danto, « Anguilla viaticum : l’anguille européenne, voyageuse convoitée objet de complexités éco-ethno-juridiques », RSDA n° 2/2024.
  • 29 CE, 26 févr. 2024, Assoc. Défense des milieux aquatiques et a., n° 458219 B : AJDA 2024, p. 414.
  • 30 JOUE L 248 du 22 sept. 2007, p. 17.
  • 31 CE, 18 déc. 2024, AFEPP, n° 489084. V. aussi du même jour CE, 18 déc. 2024, AFEPP, n° 475158 (à propos du refus du ministre, non remis en cause par le juge, d’interdire la pêche de l’anguille jaune par les pêcheurs de loisir).
  • 32 Règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union, et établissant, pour 2023 et 2024, de telles possibilités de pêche pour certains stocks de poissons d’eau profonde, JOUE L 28 du 31 janv. 2023, p. 1.
  • 33 Unités de gestion de l’anguille.
  • 34 « Le loup », dossier thématique, RSDA n° 1/2014, p. 213 et s.
  • 35 CE 30 juill. 2003, Assoc. pour le développement de l'aquaculture en région Centre et a., n° 215957, JCP Adm. 2003, n°1896, note Broyelle.
  • 36 CE 29 déc. 2004, n°266888.
  • 37 CE 1er févr. 2012, Bizouerne et EARL Étang du Galetas, n°347205, Dr. envir., 2012, p.40 ; Envir., 2012, n° 16, note Trouilly ; AJDA, 2012. 1077, note Belrhali-Bernard ; Faune sauvage n° 295, 2012, p. 52, note Charlez.
  • 38 CAA de Lyon, 3 novembre 2024, n° 22LY00305, Ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, AJDA, 2025, p. 205, obs. Ph. Yolka.
  • 39 Des tribunaux administratifs avaient déjà consacré cette application. Voir TA Clermont-Ferrand, 22 sept. 2022, n° 2000297 ; TA Toulouse, 15 déc. 2023, SCEA de Beauvoisin.
  • 40 CAA Lyon, 1er févr. 2024, Sté PE du Moulin à vent, n° 22LY03417, BDEI, juin 2024, n°3257, obs. R. Pintus; RJE 2025, p. 195, chron. J. Makowiak et I. Michallet.
  • 41 Une autre illustration, en 2024, est fournie par l’extension validée de la réserve naturelle nationale des Sept-Îles au bénéfice de la quiétude des animaux marins : CE, 21 juin 2024, Féd. française motonautique, n° 488466, RSDA 2/2024, obs. M. Deguergue; DMF janv. 2025, p. 94, obs. S. Jolivet; RJE 2025, p. 195, chron. J. Makowiak et I. Michallet.
  • 42 Décret n° 2019–1132 du 6 novembre 2019, JO du 7 novembre 2019, texte n° 7.
  • 43 Arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés et leurs modalités de protection, JO du 5 déc. 2009.
  • 44 C’est d’ailleurs ce qui a été fait dans une autre affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Lyon, concernant également l’impact d’un projet éolien sur la cigogne noire dans l’aire d’adhésion du parc national des forêts: CAA Lyon, 3 octobre 2024, Sté SPV CITE, n° 23LY02360: RJE 2025, p. 195, chron. J. Makowiak et I. Michallet.
  • 45 Sur cette approche, v. plus largement Solidarité écologique: quelles perspectives pour un nouveau principe du droit de l'environnement?, VertigO, hors-série 37, déc. 2022.
  • 46 Directive 92/43/CEE du Conseil européen du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, JOUE du 22 juillet 1992.
  • 47 JO du 7 janv. 2005, texte n° 38.
  • 48 CE, 19 déc. 2024, Mme B., n° 491592 B: JCP Adm. 2025, n° 2048, obs. Ch. Roux; ibid., n° 2055, concl. R. Victor; RDI 2025, p. 76, obs. N. Foulquier.
  • 49 R. Victor, « Exécution de l’injonction de remettre en état le domaine public naturel: le juge ne peut se désintéresser des espèces protégées », JCP Adm. 2025, n° 2055, concl. précitées.
  • 50 N. Foulquier, « L’environnementalisation du régime de l’occupation du domaine public », RDI 2025, p. 76, note précitée.
  • 51 CE, avis, 9 déc. 2022, Assoc. Sud-Artois pour la protection de l'environnement et a., n° 463563 : RSDA n° 1/2023, cette chronique, p. 103.
  • 52 V. J. Bétaille, « La protection européenne des espèces mise à mal par le Conseil d’État », RTDE 2023, p. 187.
  • 53 Pour une approche globale de la jurisprudence du Conseil d’État à ce sujet, V. A. Goin, L. Cadin, « La fable du juge et des animaux protégés », AJDA 2025, p. 228.
  • 54 CE, 6 nov. 2024, Assoc. pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et a., n°  471372 B: AJDA 2024, p. 2094; EEI 2024, n° 124, note A. Muller-Curzydlo; ibid. 2025, n° 9, note S. Galipon.
  • 55 CE, 30 mai 2024, n° 474077: EEI 2024, n° 90, obs. R. Micalef.
  • 56 CAA Bordeaux, 18 déc. 2024,  Assoc. Poitou-Charentes Nature et a., n° 21BX02981, 23BX0159: AJDA 2024, p. 2343 ; Dr. adm. 2025, n° 20, obs. É. B.
  • 57 CE, 8 juill. 2024, M. A. et SCI Florence, n° 465780: RJE 2025, p. 207, chron. J. Makowiak et I. Michallet.
  • 58 J. Makowiak et I. Michallet, « Chronique “droit de la protection de la nature” », RJE 2025, p. 207. Les auteures font allusion ici au contentieux du référé-liberté: CE, 20 sept. 2022, n° 451129: RSDA 1/2023, p. 97, cette chronique.
  • 59 Objectif de valeur constitutionnelle.
  • 60 Cons. const., 18 oct. 2024, Groupement forestier Forêt de Teillay et a., n° 2024-1109: RSDA 2/2024, chron. O. Le Bot; ibid., chron. C. Vial.
  • 61 Loi n° 2023-54, JO du 3 février 2023, texte n° 1. Sur cette loi, v. cette chronique, RSDA 1/2024, § 28.
  • 62 CAA Lyon, 2 juillet 2024, SARL LTCM et la SCI TLMCAT, n° 22LY02784: RJE 2025, chron. J. Makowiak et I. Michallet, p. 202.  
 

RSDA 1-2025

Dossier thématique : Points de vue croisés

Le porc : génétique, élevage et science

  • Pierre Mormede
    Docteur vétérinaire, docteur d'université. Directeur de recherche émérite
    INRAE. Département de génétique animale, centre de recherches de Toulouse
  • Agnès Waret-Szuka
    Maître de conférences en élevage et médecine des porcins
    ENVT CIRAD UMR Astre

Origine

1. Le porc (Sus domesticus) est un mammifère artiodactyle (à nombre pair de doigts), monogastrique et omnivore, de la famille des suidés, comme le sanglier d’Eurasie Sus scrofa dont il dérive par domestication. Ces deux espèces peuvent se reproduire entre elles avec des descendants fertiles. Deux centres principaux de domestication du cochon sauvage ont été mis en évidence, en Chine il y a environ 9 000 ans et en Anatolie il y 6 000 ans. La domestication proprement dite a été précédée par une longue période de commensalisme1.

Génétique

2. Les deux espèces diffèrent par leur caryotype, 38 chromosomes (36 autosomes et 2 chromosomes sexuels) pour le porc domestique et 36 pour le sanglier, les chromosomes 15 et 17 étant fusionnés chez le sanglier. Leur croisement donne des descendants qui possèdent 36, 37 ou 38 chromosomes, ce qui permet de détecter les hybridations entre animaux sauvages et domestiques2. Le génome complet du porc a été publié en 20123. Il contient 2,6x10^9 nucléotides codant 21 640 gènes. Cette étude a montré que les populations de sangliers sauvages ont divergé entre 1,6 et 0,8 million d’années, ce qui explique l’importance des différences entre les porcs européens et asiatiques, en plus des divergences liées à des processus différents de sélection plus récents. Bien que la distance phylogénétique entre l’homme et le porc (97 millions d’années) soit plus importante qu’entre l’homme et la souris (91 millions d’années), la comparaison des génomes et de leurs expressions tissulaires montre que les deux espèces sont des modèles intéressants pour l’étude des bases moléculaires des maladies humaines4.

3. La filière porcine est organisée de façon pyramidale, avec des élevages de sélection génétique, peu nombreux (1 à 2 % de l’effectif total de truies), et des élevages de multiplication (5 à 7 % des truies), dont le renouvellement est assuré par des animaux issus des élevages de sélection, qui ont pour rôle de produire et de diffuser (avec les centres d’insémination porcine) les animaux améliorateurs nécessaires au renouvellement des élevages de production, dernier étage de la pyramide5. Quatre races représentent la très grande majorité des porcs de production, deux races sélectionnées principalement pour leurs qualités maternelles, le Large White (LW) et le Landrace (LR) et deux races sélectionnées pour leur conformation (le porc de Piétrain et le Duroc). Le principal schéma génétique de production des porcs charcutiers est un croisement à trois voies entre une truie croisée LW x LR et un verrat Piétrain ou Duroc pour apporter un taux de muscle plus élevé et une viande de qualité. Des races de porcs chinois, en particulier la race Meishan, ont été introduits dans les années 1980 pour mettre à profit son exceptionnelle prolificité et sa qualité de viande. Il existe de nombreuses variétés de ces races principales et autres lignées composites propres à chaque entreprise de sélection. Quelques races locales sont conservées (Porc Pie noir du Pays basque, Porc gascon, Porc corse…). Ces animaux sont élevés de façon extensive et fournissent de produits de qualité pour des marchés de niche.

4. Les critères de sélection ont beaucoup évolué6. Les premiers caractères pris en compte ont été la vitesse de croissance (+) et l’adiposité (-). Ainsi le gain moyen quotidien de poids est passé de 650 g/jour en 1986 à 800 g en 2016. À la fin du siècle dernier, l’efficacité alimentaire, la qualité des carcasses et de la viande ont été ajoutés, puis la taille des portées. Depuis le début du 20e siècle, des caractères dits « fonctionnels » – qui ne sont pas directement des caractères de production – ont été introduits dans les schémas de sélection. Ces caractères sont importants pour le bien-être des animaux, comme les aptitudes maternelles (survie des nouveau-nés), la longévité de truies reproductrices, la résistance aux maladies, la qualité des aplombs et plus globalement des caractères de robustesse, concept qui associe la capacité à maintenir un haut niveau de production et une bonne efficacité alimentaire sans dégrader la santé, le bien-être et l’aptitude à la reproduction des animaux. On voit donc la très grande diversification des caractères sélectionnés et la prise en compte de caractères fonctionnels de plus en plus complexes. À titre d’exemple, en 2023, une truie produisait en moyenne 13,2 porcelets sevrés par portée (+ 1,6 porcelet sevré en 10 ans), 25,3 porcelets par an (+ 12 % en 10 ans) et l’indice de consommation des porcs à l’engrais atteignait 2,76 kg d’aliment consommé par kg de gain de poids (- 3 % en 10 ans).

5. La sélection classique repose sur le calcul des différences de performances entre générations, les meilleurs animaux étant conservés pour la production de la génération suivante. Les connaissances sur le génome du porc ont permis de développer des tests moléculaires pour éliminer des tares génétiques présentes dans certaines races comme le gène de sensibilité au stress particulièrement fréquente chez le porc de Piétrain (gène HAL) ou un gène responsable d’un défaut de qualité de la viande (gène RN). La connaissance de la séquence et de la variabilité des génomes ainsi que le développement des techniques de génotypage à grande échelle permettant d’établir une carte d’identité des variations génétiques pour chaque individu ont ouvert la voie, au début du 21e siècle, à la technique dite de « sélection génomique ». Au lieu des sélectionner les animaux sur la base des caractéristiques phénotypiques des reproducteurs, cette approche vise à sélectionner directement les polymorphismes moléculaires favorables pour le caractère recherché. Il faut pour cela établir la carte génétique de chaque individu et calculer dans la population animale étudiée les corrélations entre la variabilité génomique et les caractéristiques phénotypiques. Il est alors attribué à chaque site variable (locus) du génome une valeur génétique dont la combinaison à tous les sites de variabilité analysés donne la valeur génétique globale de l’animal étudié en fonction des objectifs de sélection. La sélection des animaux est faite sur la base de leur carte génétique, qui permet de prédire (avec une marge d’erreur plus ou moins grande) leur profil phénotypique. Il est ainsi possible de prendre en compte des caractères plus nombreux, voire plus difficiles à mesurer, à condition d’en avoir étudié au préalable les déterminants génomiques. Cette sélection génomique est désormais utilisée pour la plupart des espèces domestiques et permet des ‘progrès’ génétiques beaucoup plus rapides que la démarche traditionnelle7.

Élevage de production

6. La viande de porc est la viande la plus consommée à l’échelle mondiale (à égalité avec les viandes de volailles) (36 % de la viande consommée par personne et par an). C’est aussi la viande la plus consommée en Europe et en France. Les caractéristiques biologiques de l’espèce rendent possible un coût de production bas. Ainsi, c’est par exemple, l’espèce dont la part consommable en pourcentage du poids de l’animal vif est la plus importante (83 % vs 61 % pour une vache allaitante)8. La Chine est le principal producteur de porcs (44,09%) devant l’UE (22,02%) qui est le principal exportateur et les Etats-Unis (11,66%). L’Espagne est le premier producteur de porcs en Europe depuis 2020 devant l’Allemagne et la France. En France cela représente 2 204 tonnes de viande de porc produite9.

7. La filière porcine française souffre d’une compétition généralisée et brutale. Par ailleurs les éleveurs n’ont pas la maitrise des prix auxquels leurs productions leur sont achetées. La baisse des coûts de production est donc pour eux une obligation. C’est ce qui a conduit à la prédominance du modèle de production standardisé, ultra-rationalisé et industrialisé que l’on connait aujourd’hui en France10. La logique de maitrise des coûts explique aussi la spécialisation des exploitations et leur concentration territoriale. Ainsi la Bretagne, 6 % de la SAU nationale concentre 56 % des porcs ou 450 porcs par km211.

8. La France est un pays de « naisseurs-engraisseurs » (44 %). L’éleveur naisseur-engraisseur fait naître les porcelets et les élève jusqu’à l’abattage, vers 115 kg de poids vif. Ces élevages comptent 203 truies en moyenne. Il existe aussi des élevages dits naisseurs qui feront naitre des porcelets pour les vendre au moment du sevrage, c’est-à-dire à la fin de la période d’allaitement par la truie, vers 8 kg ou après une période dite de post-sevrage à 30 kg. La période d’allaitement dure 3 ou 4 semaines en fonction de la conduite choisie par l’éleveur et celle de post-sevrage en général 6 semaines. Les animaux seront ensuite engraissés par des engraisseurs pendant environ 4 mois pour atteindre leur poids d’abattage.

9. Le modèle d’élevage prédominant dit ‘conventionnel’ est en bâtiment fermé avec un sol en caillebottis. Il existe par ailleurs une grande diversité d’autres systèmes dits ‘alternatifs’ qui se démarquent notamment par une volonté de mieux répondre au bien-être des animaux et par la production de produits plus qualitatifs. Ils relèvent souvent d’un cahier des charges spécifique correspondant ou non à un signe officiel de qualité et d’origine. On y retrouve des élevages de plein air mais aussi sur litière (paille, sciure…). En 2021, ces derniers ne représentaient que 5 à 10 % des élevages en France12.

10. Le système d’élevage actuellement majoritaire devient de moins en moins acceptable en lien avec l’évolution des valeurs socioculturelles à travers le monde. Le concept de bien être est au cœur des évolutions actuelles ; prise en compte du bien-être des animaux mais aussi de celui des éleveurs et de l’environnement avec le concept « One Welfare ». Dans ce cadre, sont remis en cause la conception de la conduite d’élevage en lien avec celle des bâtiments et notamment la restriction de mouvement des animaux, l’absence d’accès à l’extérieur et à la lumière naturelle, mais aussi des pratiques mutilantes pour les animaux.

11. La réglementation européenne et française a déjà amené à des changements majeurs dans les pratiques d’élevage. Ainsi, depuis le 1er janvier 2022, la castration chirurgicale à vif des porcelets males est interdite alors qu’elle paraissait jusque-là incontournable en raison du risque d’odeurs sexuelles de la viande. Pour ceux qui poursuivent la castration chirurgicale il s’agit de prendre en charge la douleur par anesthésie et analgésie. Il est aussi possible d’opter pour une castration vaccinale mais cela est très peu utilisé à l’heure actuelle en France (< 1 % des porcs mâles) au contraire du Brésil par exemple où cette pratique est largement répandue (> 80 % des porcs mâles)13. Les freins sont possiblement en lien avec une problématique croissante d’acceptation de la vaccination mais aussi avec une mise en pratique potentiellement complexe sur des porcs très lourds lors du rappel vaccinal. D’autres éleveurs ont opté pour un élevage de porc mâles entiers (28 % des porcs mâles produits en France) avec un tri à l’abattoir sur la base de la détection olfactive des carcasses odorantes. Cependant, les mâles entiers sont plus maigres et leurs carcasses se prêtent mal à certaines transformations (salaisons sèches). Ainsi l’adhésion de l’ensemble des professionnels de la filière, notamment de certains transformateurs, n’est pas toujours facile d’autant que cela implique un surcoût au niveau de l’élevage qu’il faut compenser.

12. La réglementation interdit aussi de couper la queue des porcs de façon systématique en routine (Directive 2008/120/CE). Celle-ci est pratiquée au cours des premiers jours de vie des porcelets par la majorité des élevages en Europe pour réduire le risque de caudophagie. Elle cause néanmoins des douleurs dans les jours qui suivent et qui peuvent être persistantes (Sandercock et al., 2016). La caudectomie ne peut donc en théorie être pratiquée que lorsque les moyens ont été pris en élevage pour éviter le déclenchement d’épisodes de caudophagie. Cependant, l’origine de la caudophagie étant multifactorielle et non totalement élucidée, il n’existe malheureusement pas aujourd’hui de solution à proposer aux éleveurs qui garantisse la réussite d’un arrêt de coupe de queue. Ainsi, la gestion au quotidien de porcs à queue non coupée apparait souvent complexe à mettre en œuvre malgré la prise en compte de nombreux facteurs de risque (gestion de la ventilation, quantité et composition de l’aliment, surface disponible, apport de matériau d’enrichissement de l’environnement…) et une surveillance importante des animaux14, ce qui rend l’application de la réglementation délicate.

13. D’autres évolutions réglementaires européennes sont attendues très prochainement. En ce qui concerne les truies et pour atténuer la majorité des conséquences négatives de l’élevage actuel, il s’agirait de leurs fournir plus d’espace en supprimant la contention en cage quel que soit leur statut gestationnel, en incorporant plus de fibres dans les rations et en apportant des matériaux de nidification en maternité15. Cela peut sembler simple mais soulève cependant plusieurs défis dont celui de bouchage des caillebottis et de gestion compliquée des lisiers. Ainsi, les besoins d’investissement à l’échelle de la ferme France, quand on associe plusieurs mesures, sont estimés à 10 milliards d’euros ou plus selon les scénarios retenus16. Ces études soulignent la nécessité d’accompagner financièrement et techniquement les éleveurs sur une période de transition qui pourra être importante.

14. Si les surcoûts associés à un accès à l’extérieur des animaux sont aussi de nature à augmenter fortement le coût de production des porcs avec un impact à la hausse plus ou moins fort sur les prix à la consommation, ils posent aussi des défis en termes sanitaires. Il est en effet moins facile de contrôler les interactions avec la faune sauvage dans ce type de configuration ou de gérer le parasitisme17. Par ailleurs, n’étant pas le système majoritaire, il peut y avoir une impression des acteurs concernés de non prise en compte de leurs contraintes lors de la formulation de certaines réglementations. Par exemple cela a été le cas au départ pour l’arrêté « biosécurité » qui s’est imposé aux élevages (tous les suidés, tous les détenteurs) suite à la réapparition en Europe de la fièvre porcine africaine (FPA). La FPA, maladie infectieuse virale hémorragique des suidés domestiques et sauvages n’est pas contagieuse pour l’homme. Sa survenue en France engendrerait néanmoins des pertes économiques majeures en raison de son taux de mortalité élevé et de restrictions commerciales imposées aux pays touchés. Par ailleurs, la confirmation d’un foyer de la maladie impliquerait un nombre potentiellement important d’animaux abattus afin d’éviter sa propagation, abattages sanitaires qui sont eux aussi de moins en moins acceptés par le grand public. Comme il n’existe à ce jour aucun vaccin ou traitement de la maladie, la solution de la prévention avec la mise en place de mesures de biosécurité s’est rapidement imposée. Il s’agit de « mesures de gestion et de mesures matérielles qui visent à réduire les risques d’introduction, de développement, et de propagation des maladies (i) à une population animale (à partir ou au sein de celle-ci), (ii) à un établissement, une zone, à un compartiment, à un moyen de transport ou tout autre site, installation ou local, à partir de ou au sein de celui-ci » (Loi de santé animale, règlement (UE) 2016/4292). Au-delà des défis techniques et financiers posés par les obligations de moyens dans des élevages ces mesures questionnent la perception des risques par les différents acteurs et la nature même de ce qu’on nomme « élevage ».

15. Les maladies porcines ne se limitent pas à celles qui sont réglementées et sont le plus souvent polyfactorielles. Elles sont dues à la conjonction de facteurs de risque multiples infectieux et environnementaux (bâtiment, conduite du troupeau…). La difficulté de leur gestion tient notamment au nombre d’animaux présents. Cela va impacter la facilité et la précocité de détection des problèmes mais aussi la présence de statuts différents des animaux et la facilité d’administration des soins. Des leviers incitatifs et réglementaires à l’échelle nationale ou européenne visant à la diminution de l’usage des antibiotiques (plans écoantibio), ainsi qu’au niveau de la filière et au niveau de l’élevage (respect des normes zootechniques, biosécurité, vaccinations…) ont permis de repenser et d’améliorer les modalités de gestion des pathologies. Ainsi entre 2010 et 2022, le Panel Inaporc rapporte une baisse d’utilisation de 77 % d’antibiotiques chez le porc et particulièrement en post sevrage qui était jusque-là le stade le plus consommateur. On note cependant un ralentissement de cette tendance car les marges de baisse semblent diminuer au fil du temps.

16. En conclusion, des améliorations non négligeables ont été apportées à l’élevage porcin ces quinze dernières années. Il n’en reste pas moins qu’il est aujourd’hui confronté à une crise majeure de légitimité environnementale, sociale et économique et doit évoluer en profondeur18.

Utilisation à des fins scientifiques

17. En 2023, 10 907 porcs ont été utilisés à des fins scientifiques, soit 0,5 % de l’ensemble des animaux utilisés à cette fin (2 046 754)19. Par comparaison, pendant cette même année, 22,25 millions de porcs ont été produits pour l’alimentation20. Le but de ces utilisations était la recherche fondamentale (1 804), la réglementation (1 124), la recherche translationelle pour améliorer la santé humaine (4 833), la préservation des espèces ( 5), la protection de l’environnement (72) et la formation (3 069)

18. Du fait de sa taille, de sa physiologie, de sa sensibilité aux maladies humaines, le porc est une espèce précieuse pour la recherche biomédicale où il est présent dans l’ensemble des disciplines21. Les porcs d’élevage peuvent atteindre à l’âge adulte 250 à 350 kg. Pour se rapprocher de la taille des humains ainsi que pour faciliter l’élevage et la manipulation des animaux, des races naines sont utilisées comme les porcs Yucatan ou Ossabaw pour l'étude des pathologies nutritionnelles (obésité, troubles digestifs fonctionnels, pathologies cardiovasculaires et maladies métaboliques)22. En outre, des lignées de porcs de petite taille (les mini-porcs) ont été développées à partir de races existantes et d’une sélection génétique pour une taille réduite. Différentes lignées ont été développées, comme le mini-porc de Göttingen dans les années 1960, qui pèse 35 kg à l’âge adulte.

19. Le porc est utilisé en chirurgie pour la formation des chirurgiens et pour la chirurgie expérimentale. Un domaine particulièrement actif est la recherche sur l’utilisation du porc comme donneur d’organes pour des xénogreffes chez l’homme, dans un contexte de pénurie mondiale d’organes, en raison de sa proximité morphologique et de sa disponibilité. « Le franchissement de la barrière interespèces dans le but de sauver une vie humaine pose autant de questions pour le donneur (le porc) que pour le receveur (l’humain) »23. Cette utilisation du porc comme source d’organes à visée thérapeutique pose encore un certain nombre de problèmes scientifiques, le rejet du greffon par la mise en œuvre du système immunitaire par l’organisme receveur, la transmission de pathogènes (en particulier des virus) et des problèmes de coagulation en raison de différences entre les deux espèces. La principale voie de recherche est fondée sur les techniques récentes d’édition du génome pour ‘humaniser’ les mécanismes de l’immunité responsables du rejet, associées à des traitements immunosuppresseurs classiques. Plusieurs entreprises produisent ainsi des lignées de porcs avec des modifications du génome de plus en plus nombreuses dont les organes (rein, cœur) sont utilisés à titre expérimental chez des primates non humains, mais aussi chez quelques rares patients humains, avec un succès encore limité24.

20. L’utilisation de porcs à des fins scientifiques est régie par les textes applicables à l’ensemble des animaux utilisés à des fins scientifiques (directive européenne 2010/63/UE et textes d’application dans le droit national). Tout projet est soumis à autorisation par le ministère chargé de la recherche après évaluation et validation par un comité d’éthique en expérimentation animale. Le comité vérifie que le projet est justifié du point de vue scientifique ou éducatif, ou requis par la loi ; que les objectifs du projet justifient l’utilisation des animaux ; que le projet est conçu pour permettre le déroulement des procédures expérimentales dans les conditions les plus respectueuses de l’animal et de l’environnement. Finalement, le comité fait une analyse comparative des dommages et des avantages du projet, visant à apprécier si la souffrance, la douleur et l’angoisse potentiellement infligées aux animaux sont justifiées par les résultats escomptés au bénéfice de l’homme, des animaux ou de l’environnement.

Conclusion

21. Le porc occupe une place à part parmi les animaux domestiques. Il partage une proximité physiologique avec les humains sans qu’il soit trop proche au niveau émotionnel pour permettre son exploitation pour notre alimentation et pour son utilisation à des fins scientifiques, essentiellement pour les progrès de la santé humaine. Son utilisation à des fins scientifiques est régie par des textes exigeants pour la protection des animaux et de réels progrès sont réalisés pour sa protection en élevage, même s’il reste encore du chemin à parcourir pour parvenir à son réel bien-être.

 

Mots-clés : porc ; génétique ; élevage porcin ; science

  • 1 Chansigaud. Histoire de la domestication animale. Paris, Delachaux et Niestlé, 2020.
  • 2 Mary et al. (2021). Analyse de l'hybridation dans les populations françaises de sangliers à l'aide de données de génotypage pangénomique. Journées de la Recherche Porcine en France. hal-03482640
  • 3 Groenen et al. (2012). Analyses of pig genomes provide insight into porcine demography and evolution. Nature 491, 393–398. doi : 10.1038/nature11622
  • 4 Kern et al. (2021). Functional annotations of three domestic animal genomes provide vital resources for comparative and agricultural research. Nat Commun 12, 1821. doi : 10.1038/s41467-021-22100-8
  • 5 Bidanel et al. (2020). Cinquante années d’amélioration génétique du porc en France : bilan et perspectives. INRAE Productions Animales, 33(1). doi :10.20870/productions-animales.2020.33.1.3092
  • 6 Ducos et Verrier (2022). Aspects génétiques de l’évolution de l’élevage : une histoire de temps, de moyens et d’organisation sociale. Bull. Acad. Vét. France 175, 353-361. doi : 10.3406/bavf.2022.70987 
  • 7 Robert-Granié et al. (2011). Principes de base de la sélection génomique. INRAE Productions Animales, 24(4), 331-340. hal-01000275
  • 8 Laisse et al. (2018). L’efficience nette de conversion des aliments par les animaux d’élevage : une nouvelle approche pour évaluer la contribution de l’élevage à l’alimentation humaine. INRAE Prod. Anim. 31 (3), 269-288. doi : 10.20870/productions-animales.2018.31.3.2355
  • 9 Rapport marché du porc breton (2022). https://www.marche-porc-francais.com/wp-content/uploads/2022/07/rapport2021.pdf 
  • 10 Ducos A., Verrier E. (à paraître, 2025), Tout est-il vraiment bon dans le cochon ? Le cochon et nous, Presses Universitaires de Grenoble, coll. 'Virus de la recherche'.
  • 11 Roguet et al. (2023). Evolution, diversité et typologie des exploitations porcines en France : enseignements du recensement agricole de 2020, comparaison aux recensements de 2010 et 2000. Journées de la recherche porcine en France, 55 : 2-6. https://www.journees-recherche-porcine.com/texte/2023/ecosocio/ec01.pdf
  • 12 Anses (2021). Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif aux « dispositifs de protection des parcours de porcins en plein air vis-à-vis des risques sanitaires ». https://www.anses.fr/fr/system/files/SABA2020SA0026Ra.pdf
  • 13 De Briyne et al. (2016). Pig castration: will the EU manage to ban pig castration by 2018? Porcine Health Management, 2 :29. doi : 10.1186/s40813-016-0046-x
  • 14 De Freitas et al. (2023). Comportement et intégrité physique de porcs à queue non coupées logés sur caillebottis. Journées de la recherche porcine en France, 55, 57-62. https://www.journees-recherche-porcine.com/texte/2023/bienetre/b04.pdf 
  • 15 Kremer et al. (2025) Expertise du CNR BEA : implication pour les élevages français de l’avis de l’EFSA au sujet du bien être des porcs. Zoom sur les truies. Journées de la recherche porcine en France, 57, 8-12. https://www.journees-recherche-porcine.com/texte/2025/bienetre/b02.pdf
  • 16 Courboulay et al. (2025). Évaluation des impacts économiques et organisationnels de mesures proposées dans les rapports EFSA pour améliorer le bien-être des porcs. Journées de la recherche porcine en France, 57, 13-19. https://www.journees-recherche-porcine.com/texte/2025/bienetre/b03.pdf
  • 17 Delsart et al. (2020). Pig farming in alternative systems: strengths and challenges in terms of animal welfare, biosecurity, animal health and pork safety. Agriculture 10(7), 261. doi:10.3390/agriculture10070261.
  • 18 Peyraud et al. (2019). Quelle science pour les élevages de demain ? Une réflexion prospective conduite à l’INRA. INRA Productions Animales 2019, 32(2), 323-338. doi : 10.20870/productions-animales.2019.32.2. 
  • 19 MESRI (2025). Utilisation d’animaux à des fins scientifiques dans les établissements français – Enquête statistique 2023. https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/sites/default/files/2025-04/enqu-te-2023-utilisation-des-animaux-des-fins-scientifiques-36640.pdf 
  • 20 Agreste (2023). Animaux de boucherie, abattage et production. https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-saiku/?plugin=true&query=query/open/GROSANIMAUX#query/open/GROSANIMAUX 
  • 21 Val-Laillet et al. (2024). Dans : De Monte et al. Manuel d’expérimentation animale. La Pratique – tome 2, partie 3. Presses Universitaires François Rabelais, Tours, France, p.341-442.
  • 22 Couvert et al. (2024). The Yucatan minipig model: A new preclinical model of malnutrition in obese patients with acute or chronic diseases. Clin Nutr. 2024;43(2):357–65. doi : 10.1016/j.clnu.2023.12.003
  • 23 Agence de la biomédecine (2024). Des organes animaux chez l’humain : La xénotransplantation au cœur des préoccupations scientifiques et éthiques de demain. La lettre de la biomédecine, novembre 2024. https://www.agence-biomedecine.fr/fr/don-et-greffe-d-organes-et-de-tissus/des-organes-animaux-chez-l-humain-la-xenotransplantation-au-coeur-des-preoccupations-scientifiques-et-ethiques-de-demain.
  • 24 Schwartz-Cornil et Sage (2025). Le porc en transplantation d’organes : du modèle préclinique à la xénotransplantation. Bull. Acad. Vét. France, 2025. doi :.10.3406/bavf.2025.71115 
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RSDA 1-2025

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit administratif

  • Pascal Combeau
    Professeur de droit public
    Université de Bordeaux
    Institut Léon Duguit
  • Maryse Deguergue
    Professeure émérite de droit public
    Université Paris
    ISJPS (CERAP)

Les actes de prédation du loup : de l’indemnisation forfaitaire à la responsabilité sans faute de l’Etat législateur ?

Note sous CAA, Lyon, 30 avril 2025, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, n° 22LY03432

 

Mots-clés : prédation du loup, espèces protégées, indemnisation forfaitaire, responsabilité sans faute de l’Etat législateur, rupture d’égalité devant les charges publiques

 

  1. On sait déjà depuis quelques années que la réglementation concernant ce grand prédateur, guidée par le respect d’un équilibre précaire entre la défense d’une espèce protégée et la défense des troupeaux1, n’est pas dénuée d’ambiguïtés dès lors que la protection, affirmée avec force par la loi qui proscrit la destruction des espèces protégées2, doit s’accommoder de limites de plus en plus importantes. D’un plan national d’actions sur le loup (PNA) à un autre3, le système des autorisations de tirs accordées par les préfets se veut de plus en plus souple4, aidé par une interprétation jurisprudentielle plutôt favorable aux dérogations au régime de protection, assises sur l’article L. 411-2-4° du code de l’environnement5. D’un autre côté, face à la recrudescence de la prédation sur les troupeaux, consécutive à l’augmentation de la population lupine6, l’Etat a, dès 1993, mis en place un dispositif d’indemnisation forfaitaire des éleveurs : c’est précisément ce dispositif qui est au cœur de cet arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Lyon le 30 juin 2025 qui vient confirmer un autre arrêt rendu par la même juridiction le 13 novembre dernier7.

 

  1. En l’espèce, le troupeau d’un exploitant agricole et éleveur ovin domicilié dans la commune de Collandres (Cantal) a subi, dans la nuit du 2 au 3 mai 2019, une attaque dont vingt-neuf moutons ont été victimes. Suivant la procédure édictée par la circulaire du 27 juillet 2011 relative à l'indemnisation des dommages causés par le loup aux troupeaux domestiques, alors applicable, le propriétaire prend attache avec le service national de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) – devenu, depuis le 1er janvier 2020, l’Office français de la biodiversité qui fusionne l’ONCFS et l’Agence française pour la biodiversité8 – qui réalise un constat de dommages le 3 mai puis un dossier technique le 4 mai. Les agents de l’ONCFS confirment bien un acte de prédation mais excluent la responsabilité du loup en raison de l'existence d'indices excluant cette responsabilité, à savoir le diamètre des perforations inférieures à 3 mm et la faible profondeur des lésions constatées. Sur la base de cette expertise, le préfet du Cantal écarte toute indemnisation par une décision du 14 mai 2019. Demandant le réexamen de son dossier, le propriétaire se voit opposer un deuxième refus préfectoral le 16 décembre 2019, sur le même fondement confirmé par un groupe de travail. Ce sont ces deux décisions de refus qui sont contestées devant le juge administratif. Le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, par un jugement en date du 22 septembre 20229, se prononçant comme juge de plein contentieux, condamne l’Etat à verser à l’éleveur une somme de 5472 euros par application du barème prévu par la circulaire : il estime qu’en lui refusant tout droit à indemnisation, le préfet a méconnu les dispositions de la circulaire de 2011 car il n’établit pas que les conditions permettant d’exclure avec certitude la responsabilité du loup sont réunies. Le juge relève en effet que l’expertise n’est pas aussi catégorique et que, pour certaines victimes animales, il demeure un doute technique qui, conformément aux prescriptions de la circulaire, doit profiter à l’éleveur. La Cour administrative d’appel confirme ce raisonnement : « un doute existant quant à l'absence de responsabilité du loup dans l'attaque survenue, c'est à bon droit que pour ce motif le tribunal a fait droit à la demande » de l’éleveur (point 6) ; il rejette par conséquent la requête du ministre tout en ajoutant, au titre de l’évaluation des préjudices, une somme de 1500 euros correspondant à l’indemnisation du préjudice moral que le Tribunal avait exclue mais que la Cour prend en considération en estimant que la circulaire n’excluait pas ce type d’indemnisation. Cet arrêt rendu par le juge lyonnais présente un double intérêt. S’il se fonde essentiellement sur le régime d’indemnisation du fait de la prédation des loups, il apporte des précisions importantes sur ce mécanisme forfaitaire qui a connu ces dernières années des modifications substantielles (I). Ensuite et surtout, il esquisse, dans le droit fil de quelques décisions rendues par des juridictions administratives territoriales, la possibilité – non explorée en l’espèce – d’une responsabilité sans faute pour rupture d'égalité devant les charges publiques du fait de l'activité législative de l'Etat à raison des dommages causés par la prolifération des spécimens d'une espèce animale protégée (II).

 

I. L’application du régime d’indemnisation forfaitaire

 

  1. La première précision est d’ordre contentieux et relève de l’office du juge administratif. En effet, dans son recours initial devant le Tribunal administratif, l’éleveur contestait, à titre principal, la légalité des décisions préfectorales lui refusant toute indemnisation. Le juge ne s’était pas placé sur ce terrain : il a considéré que les décisions préfectorales n’ont eu pour seul effet que de lier le contentieux à l’égard de l’objet de la demande du requérant « qui, en formulant ses conclusions, a donné à l’ensemble de sa requête le caractère d’un recours de plein contentieux »10. Il en a déduit que la demande le conduisant à se prononcer sur le droit de l’intéressé à percevoir la somme qu’il réclame, il n’a pas à se prononcer sur les vices propres entachant les décisions. La Cour confirme cet office restreint à la pleine juridiction : si le défendeur persiste à contester en appel les décisions préfectorales, « ainsi que l'a rappelé à bon droit le tribunal, les moyens de légalité soulevés par l'intimé à l'encontre de ces décisions sont sans incidence sur la solution du litige » (point 2). Cette affirmation n’est pas forcément évidente. L'objet d'une décision statuant sur une demande d'octroi de l'aide à la suite d'une attaque de troupeaux présente un caractère incontestablement pécuniaire, et, en application de la jurisprudence Lafage11, le juge administratif pouvait très bien être saisi d’un recours pour excès de pouvoir. C’était d’ailleurs la solution donnée par le Tribunal administratif de Marseille qui, saisi en 2022 d’un tel refus d’indemnisation, s’est prononcé sur la légalité des décisions préfectorales12. Mais il est vrai que la jurisprudence – issue essentiellement des tribunaux administratifs – n’est pas fixée : certains tribunaux s’estiment saisis d’un contentieux uniquement indemnitaire13, tandis que d’autres admettent un contentieux mixte, examinant d'abord la légalité du refus d'indemnisation puis le droit à indemnisation du requérant14. Un jugement du Tribunal administratif de Toulouse rendu en 2023 a tenté, en suivant les conclusions de son rapporteur public15, une clarification bienvenue : les décisions de refus d’indemnisation des éleveurs de troupeaux attaqués « qui ont un objet purement pécuniaire, peuvent être contestées par la voie du recours pour excès de pouvoir ou d'un recours indemnitaire dans le délai de recours contentieux de droit commun » 16. L’option des deux recours, conformément à la jurisprudence Lafage, est donc ouverte et si, dans notre affaire, c’est la voie du recours indemnitaire qui a été privilégiée, c’est sous réserve que ce recours soit introduit dans le délai de recours contentieux de droit commun de deux mois17.

 

  1. L’autre précision a trait au régime d’indemnisation des dommages causés par le loup aux troupeaux domestiques, défini depuis 1993 et jusqu’en 2019, par voie de circulaires du ministre en charge de l'écologie. La circulaire du 27 juillet 2011, applicable en l’espèce, prévoit ainsi un barème d’indemnisation en fonction des animaux visés par des attaques (ovins, bovins, caprins, équins ou canidés) et en fonction de différentes situations, selon que les animaux sont tués, disparaissent ou subissent des perturbations (pertes indirectes). Elle précise également la procédure d’indemnisation : la signalisation par l’éleveur dans un délai de 72 heures à différents organismes (dont l’ONCFS), le constat et l’analyse technique et la décision prise par le préfet de département en fonction des conclusions de l’expertise technique. Ce dernier n’est pas tenu d’accorder l’indemnisation lorsque la responsabilité du loup dans l’attaque est écartée. Toutefois, la circulaire tient compte du doute : « la conclusion technique est ainsi élaborée par recherche des éléments écartant la responsabilité du loup, plutôt que de ceux qui la prouverait, ces derniers étant souvent aussi observés en cas d’attaque de chiens. La construction même de la décision d’indemnisation tient donc compte de cette incertitude et, en cas de doute technique, l’analyse conduit ainsi à une décision prise à l’avantage de l’éleveur ayant subi des dommages »18. L’arrêt commenté montre une interprétation compréhensive de ces dispositions, qui va dans le sens des intérêts de l’éleveur. D’abord en faisant application du doute raisonnable quant à l’absence de responsabilité du loup dans l’origine des dommages ; ensuite, en acceptant d’indemniser le préjudice moral subi par l’éleveur alors même que la circulaire ne prévoit pas cette hypothèse. Le tribunal administratif avait, sur ce point, une interprétation plus restrictive en considérant que « la circulaire a vocation à couvrir l’indemnisation de la totalité du préjudice de l’éleveur, le requérant n’apparait pas fondé à demander la condamnation de l’Etat à l’indemniser du préjudice moral qu’il invoque »19. Si le requérant peut être satisfait de cette solution, il n’en reste pas moins que le régime d’indemnisation prévu par la circulaire de 2011 fut régulièrement critiqué. Le plan d’actions sur le loup pour la période 2018-2023 relevait ainsi que les barèmes d’indemnisation ont été en quelque sorte cristallisés en 2011 et que « plusieurs années après leur fixation, il est légitime de réviser ces modalités d’indemnisation pour tenir compte des évolutions des prix de marché constatées et des nouveaux contextes de prédation »20. Cette révision interviendra avec le décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx21. En dehors du fait que le régime d’indemnisation adopté sur la base des lignes directrices de l'Union européenne concernant les aides d'Etat dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales 2014-2020, est désormais reconnu par un texte de droit « dur », s’appliquant de manière commune aux loups, aux ours et aux lynx, ce texte simplifie les démarches et précise les modalités d’indemnisation. Il pose surtout le principe que les montants forfaitaires et les modalités de calcul de l’indemnisation sont déterminés par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’Environnement et de l’Agriculture et sont révisés tous les trois ans22. Si le décret de 2019 n’est pas invoqué dans notre affaire dès lors que les faits sont antérieurs à son entrée en vigueur, cette évolution montre que les pouvoirs publics souhaitent bien renforcer le dispositif d’indemnisation forfaitaire. Mais avant comme après 2019, la question se pose de savoir si le droit commun de la responsabilité administrative peut s’appliquer ; c’est justement ce qu’explore notre arrêt.

 

II. La voie de la responsabilité sans faute de l’Etat législateur 

 

  1. L’apport essentiel de l’arrêt tient en effet à ce considérant qui mérite d’être cité entièrement : « Il résulte des principes qui gouvernent l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat que le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en œuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer. Ainsi, même si les dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement ne le prévoient pas expressément, le préjudice résultant de la prolifération des animaux sauvages appartenant à des espèces dont la destruction a été interdite en application de ces dispositions, doit faire l'objet d'une indemnisation par l'Etat lorsque, excédant les aléas inhérents à l'activité en cause, il revêt un caractère grave et spécial et ne saurait, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés » (point 3). Si la Cour n’exploite pas cette voie, se focalisant pour l’essentiel sur le régime d’indemnisation forfaitaire, elle n’en pose pas moins le principe d’une responsabilité sans faute de l’Etat pour rupture d’égalité devant les charges publiques à raison des dégâts causés par les loups, en tant que ceux-ci constituent une espèce protégée par la loi. C’est ici l'article L. 411-1 du code de l'environnement, codifiant la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976, qui est spécifiquement visé et on sait comment cette loi a pu justifier la reconnaissance par le Conseil d’Etat de la responsabilité sans faute (issue de la célèbre jurisprudence La Fleurette) pour des dommages causés aux pisciculteurs par les grands cormorans 23. En première instance, le Tribunal administratif de Clermont-Ferrand avait déjà admis l’extension de cette jurisprudence aux dommages causés par les loups24, suivi par le Tribunal administratif de Toulouse25. Quant à la Cour administrative d’appel de Lyon, elle n’en est pas à son premier coup d’essai : après l’avoir admis implicitement en 202026, elle a posé franchement le principe en 2024 que notre arrêt reproduit in extenso27.

 

  1. La reconnaissance de la responsabilité sans faute de l’Etat législateur dans le cas de la prédation du loup ne découlait pourtant pas de soi. La difficulté tenait en particulier au fait qu’il existe un régime d’indemnisation forfaitaire : l’existence d’un tel mécanisme pousse en principe la jurisprudence à considérer que l’action en responsabilité de droit commun est fermée28 ; on peut ajouter que le décret de 2019, même s’il n’est pas invoqué en l’espèce, prend soin de préciser : « aucune autre aide ne peut être versée au titre de l'indemnisation des dommages dus au loup, lynx ou ours (…) »29. Comment dès lors justifier ce cumul, esquissé par notre arrêt à défaut d’être véritablement expliqué ? On peut ici se référer aux conclusions du rapporteur public dans l’affaire SCEA de Beauvoisin qui apportent un éclairage convaincant sur ce point30. Les régimes d’indemnisation forfaitaire ne peuvent faire obstacle aux mécanismes de responsabilité de droit commun que s’ils sont d’origine législative dans la mesure où ils se rattachent aux obligations civiles dont la détermination des principes fondamentaux est réservée à la loi par l’article 34 de la Constitution. Or, en matière de dommages causés par la prédation lupine, le mécanisme d’indemnisation a longtemps été infra-réglementaire avant d’être réglementaire depuis 2019. Certes, l’article L. 427-6 du code de l’environnement prévoit, spécifiquement pour les loups, que toute attaque « ouvre droit à indemnisation », mais cette disposition très générale ne peut être considérée comme le fondement du régime d’indemnisation qui demeure régi par des textes ad’hoc. Ces derniers ne font donc pas obstacle à l’exercice d’une action en responsabilité. C’est ce que confirme implicitement notre arrêt. Le Tribunal administratif de Toulouse a du reste donné quelques éléments d’articulation lorsqu’est contesté, comme dans l’arrêt commenté, une décision préfectorale de refus d’indemnisation : cette dernière peut, dans le délai contentieux, être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir ou par celle du recours indemnitaire ; l’action en responsabilité est possible mais uniquement à l’expiration du délai et sur un objet qui n’aurait pas la même portée que la contestation de la décision31.

 

  1. Admise dans son principe, la responsabilité sans faute de l’Etat législateur pour des dommages causés par les loups a-t-elle réellement des chances de prospérer ? La question est légitime, d’autant que l’arrêt commenté ne s’engage pas dans cette voie. On sait que l’obstacle principal à l’admission d’une telle responsabilité fondée sur la rupture d’égalité devant les charges publiques tient à la nature du préjudice qui doit être anormal et spécial. En matière d’espèces protégées par la loi, la jurisprudence ajoute une exigence tenant à l’origine du préjudice qui doit résulter de la prolifération de ces espèces, exigence posée par l’arrêt Association pour le développement de l'aquaculture en région Centre32 et reprise par la Cour administrative d’appel. Toutes ces conditions ne sont évidemment pas favorables à la reconnaissance effective de la responsabilité de l’Etat du fait de la loi en général et du fait de la loi sur la protection des espèces en particulier33. C’est singulièrement vrai pour les dommages causés par les loups : le Tribunal administratif de Toulouse relève par exemple que, compte tenu du fait que la prédation qui augmente mécaniquement avec la prolifération du loup touche nombre de départements, la société requérante n’établit pas en quoi son préjudice serait spécial34. L’exigence du préjudice résultant de la prolifération du loup est elle-même très aléatoire : la prolifération s’apprécie-t-elle de manière quantitative en fonction du nombre global d’espèces ou de manière qualitative en fonction des territoires particulièrement touchés ? Comme le souligne Philippe Yolka, l’augmentation de la prédation a entrainé un mouvement d’abaissement de la protection de cet animal qui aura nécessairement un effet sur sa prolifération : dès lors, « il n'est pas certain que cette jurisprudence engendre une descendance considérable, le loup ayant peut-être commencé à creuser sa tombe avec ses crocs »35 On peut donc saluer l’audace du juge administratif tout en craignant que ce nouveau pas (de loup) ne se transforme en coquille vide…

 

Pascal Combeau

 

 

Loup y es-tu ? Loup que fais-tu ?

Note sous CE, 18 avril 2025, n° 493510, inédit au recueil Lebon.

 

Mots-clés : espèces protégées, dérogation à l'interdiction de destruction, plan national d'action pour le loup, protégeabilité des troupeaux.

 

  1. Au moment où le Parlement européen vient de voter, après avoir recouru à la procédure d'urgence, le déclassement de la protection du loup qui passe d'espèce « strictement protégée », à espèce simplement protégée36, le Conseil d'Etat a été conduit à examiner la légalité des dérogations prévues par la réglementation française à l'interdiction de destruction des loups sous l'empire de son ancien statut. L'arrêt commenté, lu le 18 avril 2025, se prononce, à la demande de huit associations, sur la légalité de l'arrêté interministériel, pris par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, en date du 21 février 202437, fixant les conditions et les limites dans lesquelles les dérogations aux interdictions de destructions de cette espèce peuvent être accordées par les préfets. Le cadre juridique de cet arrêté était donc toujours celui de la directive « Habitats » du 21 mai 1992 et de sa transposition dans le code de l'environnement à l'article L. 411-1, textes de référence qui sont sans doute appelés à être modifiés, consécutivement au changement de statut du loup. En outre, cinq parmi les huit associations requérantes, demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de l'instruction de la préfète coordonnatrice du plan national d'action pour le loup et les activités d'élevage en date du 23 février 2024. C'est seulement sur ce dernier recours qu'elles ont obtenu satisfaction au terme d'une décision du Conseil d'Etat particulièrement dense et argumentée.

 

  1. Si le loup, comme l'ours, occupe souvent les colonnes de cette revue, c'est parce qu'il peut faire, en toute légalité, l'objet de tirs mortels de la part des humains, en raison des prédations qu'il cause aux troupeaux d'élevage et du fait de ses caractéristiques biologiques : non seulement le loup est un « animal voyageur », « ubiquiste, capable de s'adapter à tous les milieux », mais c'est aussi un bon reproducteur, dont le taux de croissance annuel est évalué entre 15 et 20%38. Or, l'arrêt commenté montre que l'évolution, depuis quelques années39, est notable et ne va pas dans le sens d'une meilleure protection de cette espèce, anticipant en quelque sorte la nouvelle position de l'Union européenne. Si en 2018 le juge administratif avait examiné la proportionnalité de l'autorisation d'un tir de prélèvement d'un loup par rapport au danger qu'il représentait pour les troupeaux, il n'est pas sûr que ce raisonnement prévale encore aujourd'hui. En effet, l'intérêt de l'affaire commentée ici réside dans le renversement de la logique qui sous-tend les autorisations de tirs : il n'est plus nécessaire de démontrer un risque encouru par les troupeaux, suite à des prédations du loup ayant engendré des dommages importants, il suffit que le risque de dommage soit « suffisamment avéré » pour autoriser des tirs, dont la variété était l'un des enjeux de la contestation de l'arrêté interministériel attaqué. De fait, celui-ci distingue quatre types différents de tirs, à savoir des tirs d'effarouchement, des tirs de défense simple, des tirs de défense renforcée et des tirs de prélèvement. Le Conseil d'Etat a rejeté les moyens d'annulation articulés devant lui et a ainsi accepté la validation de la destruction préventive des loups (I). Par ailleurs, la méconnaissance du principe de précaution ayant été invoquée relativement au maintien de l'espèce canis lupus dans un état de conservation favorable, le Conseil d'Etat l'écarte en se fondant sur l'augmentation de sa population, mais il semble bien que la neutralisation de la précaution soit ambivalente (II), puisque le « risque de dommages » aux troupeaux est pris en considération dans la réglementation et implique que la précaution joue en faveur des animaux d'élevage. Qu'on s'entende bien : il ne s'agit pas de contester systématiquement tout tir létal contre le loup et de nier le traumatisme subi du fait de ses attaques, autant par les bêtes que par leurs éleveurs. La question posée par cette éternelle querelle est seulement de savoir si tuer un loup répond réellement à l'objectif de préservation des animaux d'élevage et de l'intégrité de la propriété privée, sans dommages importants pour cette espèce sauvage, et si une logique de prévention des attaques du loup ne devrait pas prévaloir sur la logique de défense par des tirs létaux.

 

I. La validation de la destruction préventive des loups

 

  1. L'arrêté interministériel était querellé tant sur sa légalité externe que sur sa légalité interne. La régularité de la procédure suivie pour son adoption, et particulièrement la consultation obligatoire du Conseil national de protection de la nature (ci-après CNPN), est reconnue par le juge administratif qui admet que cette consultation a été constructive (A). Sur le fond, la politique de prévention des dommages à l'élevage est validée, alors même qu'elle ne constitue pas toujours une réponse graduée à des véritables attaques (B).

 

A. Une consultation constructive

 

  1. L'article R. 411-13 du code de l'environnement prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent, par arrêté conjoint, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations à l'interdiction de destruction des espèces protégées sont accordées par les préfets, après la consultation pour avis du CNPN. Les associations requérantes avançaient trois moyens d'annulation de cette procédure de consultation, lesquels ont tous été rejetés par le Conseil d'Etat. D'une part, elles prétendaient que le délai de quinze jours pour l'envoi de la convocation à la réunion avec les documents adéquats n'avait pas été respecté, puisqu'il n'avait été que de sept jours, dont seulement trois ouvrés. Conformément à sa jurisprudence bien établie depuis 201140, le Conseil d'Etat estime qu'il ne s'agit pas d'une formalité substantielle, puisque cette irrégularité n'a pas exercé d'influence sur l'avis rendu par le CNPN et qu'elle n'a pas privé les personnes intéressées d'une garantie. Autant dire que les délais fixés par les textes n'ont pas d'importance et peuvent ne pas être respectés sans l'ombre d'une sanction. D'autre part, il était soutenu que l'arrêté litigieux aurait dû être pris postérieurement à l'adoption des plans nationaux d'action opérationnels prévus par l'article L. 411-3 du code de l'environnement. Ces plans, prévus pour la conservation ou le rétablissement des espèces protégées et des insectes pollinisateurs, sont élaborés par espèce ou groupe d'espèces. Concernant le nouveau plan national d'action (PNA) sur le loup, qui couvre la période 2024-2029, il a été adopté lors d'une séance du Groupe National Loup du 20 février 2024 et publié à cette date, ainsi que les trois textes débattus lors de cette séance, à savoir le nouvel arrêté cadre sur les tirs, objet du présent recours, une nouvelle instruction technique sur la gestion de la réponse à la prédation des loups sur les activités d'élevage et le nouvel arrêté relatif aux barèmes d'indemnisation des dommages subis par les élévages victimes de cette prédation41. La concomitance des dates de publication – le 23 février au JO en ce qui concerne l'arrêté attaqué - montre une réelle coordination des autorités compétentes – les ministres en charge de la transition écologique et de l'agriculture et la préfète coordonnatrice du PNA sur le loup, préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes - et une convergence des objectifs, résumés dans le slogan « renforcer la coexistence du loup et des activités d'élevage ». En conséquence, le Conseil d'Etat ne pouvait que rejeter l'argumentation des requérantes, en constatant qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que l'arrêté sur les dérogations à l'interdiction de détruire les loups soit pris postérieurement au plan national d'action les concernant.

 

  1. Enfin, les associations requérantes prétendaient que les modifications, apportées au texte initial par le CNPN et reprises dans la version définitive de l'arrêté, auraient dû faire l'objet d'une nouvelle consultation. Ces modifications sont importantes, puisqu'elles concernent la distinction entre les tirs de défense simple et les tirs de défense renforcée, ainsi que la suppression de l'obligation, pour les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) et les lieutenants de louveterie, d'éclairer leur cible avant chaque tir la nuit. Toutefois, le Conseil d'Etat a pu considérer, à bon droit, que non seulement la nature et les changements limités apportés n'étaient pas des questions nouvelles, mais aussi que le CNPN avait été mis en mesure de se prononcer sur la gradation entre les différents types de tirs et avait déjà fait œuvre constructive en la matière. Au fond, ce sont les mesures « d'effet gradué » et qui peuvent être combinées, pour mettre les troupeaux à l'abri de la prédation du loup, qui interrogent sur la possibilité d'une réelle coexistence du loup et des activités d'élevage, sachant que la population de cette espèce protégée est en croissance dans plusieurs départements et que le front de colonisation de celle-ci s'étend et que, par ailleurs, le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction est autorisée est fixé chaque année par arrêté ministériel42.

 

B. Attaques et contre-attaques

 

  1. Les quatre types de tirs étaient déjà prévus par les arrêtés interministériels antérieurs portant sur les dérogations aux interdictions de destruction des loups43 et l'arrêté attaqué, actuellement en vigueur, ne modifie que les conditions et les modalités d'exercice des opérations de défense. On comprend que le contrôle de proportionnalité, exercé depuis 2018 par le juge administratif44 entre la contre-attaque par les tirs et l'attaque par le loup, c'est-à-dire entre la destruction du loup et le danger qu'il présente pour les troupeaux, ait impliqué l'adaptation des textes pour aboutir à une riposte graduée. De fait, le texte de l'arrêté en cause prévoit, de manière très détaillée, les conditions et les modalités des opérations d'effarouchement, des tirs de défense simple et renforcée et des tirs de prélèvement. A cet égard, il convient de rappeler que les dérogations à l'interdiction de destruction ne peuvent légalement être prévues qu'à deux conditions cumulatives – l'absence d'autre solution satisfaisante et le maintien des populations de l'espèce protégée dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle - et pour cinq objectifs seulement, celui qui nous intéresse ici étant la prévention des dommages importants à l'élevage45. Curieusement, dans l'espèce commentée, le Conseil d'Etat examine en premier lieu la réalité de ce but et en second lieu la réunion des deux conditions précitées. On se permettra d'inverser l'examen de ces questions, car l'interprétation très particulière que la Haute Assemblée donne de l'objectif de prévention des dommages importants à l'élevage relève d'un raisonnement inspiré de la précaution, que nous verrons plus loin.

 

  1. En ce qui concerne la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante, sa méconnaissance était invoquée à la fois à l'encontre de l'arrêté et de l'instruction de la préfète coordonnatrice du plan national d'action sur le loup. Le Conseil d'Etat rejette l'argumentation des associations requérantes concernant l'arrêté, mais il l'accueille à l'encontre de l'instruction qui est donc annulée. Tout d'abord, concernant l'arrêté, le juge relève que, malgré l'importance des investissements dans des mesures de protection des troupeaux et les opérations d'effarouchement, les attaques du loup se sont multipliées entre 2010 et 2020. Il en conclut que ce ne sont donc pas des alternatives satisfaisantes aux tirs de destruction. Par ailleurs, il rejette l'affirmation selon laquelle l'arrêté prévoirait des conditions identiques à la mise en œuvre des tirs de défense simple et renforcée. En effet, si son article 11 prévoit bien des dispositions communes à ces deux types de tirs, ses articles 13 à 15 prévoient des modalités d'intervention des tirs de défense simple différentes de celles prévues pour les tirs de défense renforcée, lesquels font l'objet des articles 16 et 17. L'idée générale qui sous-tend le choix d'un type de tir plutôt que d'un autre est, comme le souligne l'arrêt, « la nécessité de procéder à une réponse graduée et d'établir l'absence d'autre solution satisfaisante ». Précisément, les tirs de défense renforcée ne peuvent intervenir que si des mesures de protection du troupeau ont été mises en œuvre et après le recours aux tirs de défense simple, dès lors que le troupeau a subi au moins trois attaques dans les douze mois précédant la demande de dérogation ou s'il se situe dans une commune où a été constaté le même nombre d'attaques, malgré l'installation de mesures de protection des troupeaux46. Enfin, ni le nombre de tireurs habilités à tirer, ni la dispense, pour les seuls lieutenants de louveterie et les agents de l'OFB, de recourir à une source lumineuse la nuit pour identifier leur cible, n'ont d'incidence sur les conditions posées à la délivrance des autorisations de tir et sur la nécessité d'une réponse graduée, que le Conseil d'Etat rappelle à deux reprises. En outre, le fait que le caractère effectif de la mise en place des mesures de protection des troupeaux et leur efficacité ne seraient pas suffisamment contrôlés et que l'arrêté attaqué ne prévoie pas de modalités de contrôle, n'a évidemment aucune incidence sur sa légalité. En conséquence, la Haute Assemblée estime qu'il n'y a pas eu méconnaissance de la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante et écarte le moyen tiré du caractère injustifié et disproportionné des mesures édictées par l'arrêté attaqué.

 

  1. La solution retenue est par contre différente s'agissant de la légalité de l'instruction de la préfète coordonnatrice du plan d'action sur le loup47. Les requérantes tiraient argument du fait que le recours à des tirs de destruction pouvait être autorisé sans que les troupeaux bénéficient de mesures de protection. Si cet argument avait été rejeté en tant qu'il était dirigé contre l'arrêté, puisque celui-ci ne prévoit cette possibilité que dans certaines zones identifiées par voie réglementaire répondant à plusieurs critères cumulatifs, il a été admis à l'égard de l'instruction de la préfète. Le point 8 de cette dernière indiquait que les troupeaux de bovins ayant subi au moins une prédation au cours des deux dernières années « pourront prétendre », au cas par cas, à une autorisation de tirs de défense simple en l'absence de protection, « compte tenu de leur non-protégeabilité ». Le Conseil d'Etat reconnaît là une présomption de non-protégeabilité des troupeaux de bovins et admet que l'instruction litigieuse méconnaît ainsi la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante, puisqu'elle revient à dispenser la reconnaissance du caractère non-protégeable de ces troupeaux d'une analyse technico-économique réalisée au cas par cas. Autrement dit, le juge sanctionne « le doute qui profite à l'éleveur »48 et qui conduit à autoriser automatiquement des tirs contre les loups, au motif que ses troupeaux ne peuvent pas être protégés dans certaines régions.

 

  1. Si la méconnaissance de la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante a pu prospérer, l'invocation de la condition du maintien de l'espèce canis lupus dans un état de conservation favorable était vouée à l'échec. En effet, le Conseil d'Etat a eu beau jeu de rappeler que, non seulement un plafond de spécimens de loups pouvant être détruits est fixé chaque année par arrêté ministériel et que les dérogations accordées cessent de produire effet quand ce plafond est atteint, mais encore que la population des loups s'est accrue ces cinq dernières années. Au surplus, un système de double information de toute destruction de loup – du bénéficiaire de dérogation vers le préfet et du préfet vers tous les autres bénéficiaires de dérogations et toutes les autorités administratives concernées - permet d'éviter un dépassement du plafond des destructions autorisées chaque année. Aussi, les deux conditions posées par le code de l'environnement, pour prévoir des dérogations légales à l'interdiction de détruire une espèce protégée, étaient-elles bien remplies. Reste à examiner que le but de l'arrêté attaqué est réellement de prévenir des dommages importants à l'élevage. Ce qui apparaît évident posait, contrairement aux apparences, une difficulté certaine, dans la mesure où les associations requérantes invoquaient la violation du principe de précaution par l'arrêté.

 

II. La neutralisation ambivalente de la précaution

 

  1. En première analyse, le principe de précaution semble inopérant dans un contexte où les risques sont connus et répertoriés, tant pour les troupeaux victimes d'attaques régulières du loup, que pour cet animal sauvage dont la viabilité a été longtemps fragile. Pourtant, le Conseil d'Etat suit un raisonnement qui s'apparente à celui de la précaution, lorsqu'il examine l'objectif de prévenir des dommages importants à l'élevage (A) et il rejette l'invocation, par les requérantes, du principe de précaution, visant à faire invalider l'arrêté attaqué, en ce qu'il fait courir des risques à l'espèce canis lupus (B).

 

A. La prise en compte des risques de dommages aux troupeaux

 

  1. L'objectif de prévention des dommages importants à l'élevage est interprété par le Conseil d'Etat d'une manière très particulière, qui tend en réalité à légitimer les tirs de prélèvement sur les loups en dehors de toute attaque, afin de réguler la croissance de l'espèce. L'arrêté attaqué comporte effectivement un chapitre III sur « les opérations de destruction par la mise en œuvre de tirs de prélèvement », dont l'intitulé est évocateur49. Pour résumer, des tirs de prélèvement peuvent être autorisés par les préfets, après avis du préfet coordonnateur, dans des zones où sont constatés « des dommages exceptionnels » dans les troupeaux, ayant donné lieu à des tirs de défense simple et malgré l'installation de mesures de protection, ou dans les zones de présence permanente du loup non constituée en meute, si ces dommages ont été constatés dans les douze derniers mois, et ce, entre le 1er juillet et le 31 décembre de l'année et pour une durée maximale de trois mois, et alors que les tirs de défense renforcée ne se sont pas révélés dissuasifs. En outre, les tirs de prélèvement peuvent être réalisés à l'occasion de battues aux grands gibiers ou à l'occasion de chasses à l'approche ou à l'affût. Alors même que la condition des « dommages exceptionnels » est répétée à deux reprises pour les tirs de prélèvement et que la condition des « dommages importants » est posée de façon générale pour tous les tirs, en vertu de l'article 1 de l'arrêté50, conformément à l'article L. 411-2 du code de l'environnement, le Conseil d'Etat donne de ce dernier article une interprétation extensive, pour ne pas dire laxiste, qui s'inspire de la philosophie de la précaution. Selon la Haute Assemblée, les dispositions de cet article « ne subordonnent pas la légalité des dérogations qu'elles prévoient au constat préalable de dommages importants occasionnés directement au troupeau susceptible de bénéficier de l'octroi d'une telle dérogation, mais à l'existence d'un risque suffisamment avéré de tels dommages, que la dérogation a pour objet de prévenir »51. Le risque avéré de dommage n'est pas un dommage avéré et important, et cette prévention renforcée s'apparente bien à de la précaution.

 

  1. Certes, les chiffres de la prédation du loup, rappelés dans l'arrêt, sont encore importants52 et ont donné lieu au versement de 3,8 millions d'euros d'indemnisation aux éleveurs en 2023. Mais, force est de constater que la prise en considération d'« un risque suffisamment avéré de dommages » vient encore renforcer la présomption de responsabilité d'une attaque par le loup posée à l'article 10 de l'arrêté53, que les associations ont aussi critiquée en vain, le juge estimant qu'elle n'a pas pour effet d'étendre le nombre d'attaques imputables au loup pour justifier, le cas échéant, la délivrance d'une autorisation de tirs de défense. Aussi des observateurs ont-ils pu écrire que « le loup bénéficie d'une présomption de culpabilité », sa responsabilité n'étant écartée que si des éléments prouvent que la mort des animaux domestiques est due à une autre cause54. Par ailleurs, les arguments développés par les associations requérantes, à l'encontre des conditions de mise en œuvre des tirs de défense renforcée et de la durée maximale de cinq ans de l'autorisation des tirs de défense simple, ont été sans peine balayés par le juge qui explique, à juste titre et en substance, que ces conditions sont extrêmement détaillées et exigeantes. Il n'en demeure pas moins que pour certains scientifiques les données accumulées depuis deux décennies montrent que les méthodes de prévention des attaques de loups sur le bétail « ont probablement des effets opposés à ceux recherchés »55.

 

  1. Ce sont évidemment les tirs de prélèvement56, bien qu'ils ne soient autorisés que dans des zones identifiées par voie réglementaire et qu'ils doivent répondre à des critères cumulatifs tenant notamment à l'impossibilité de protéger les troupeaux, qui sont les plus discutables d'un point de vue éthique. De quel droit l'homme peut-il tuer un loup qui ne s'est pas montré agressif ? Si ce n'est toi, c'est donc ton frère, pourraient répondre les auteurs de l'arrêté, paraphrasant le loup de la fable... Appelé à répondre au moyen de violation du principe de précaution appliqué à la préservation de l'espèce canis lupus, le juge administratif refuse de prendre en compte les risques de dommages que les tirs, et en particulier ceux de prélèvement, pourraient faire courir à l'espèce.

 

B. Le refus de prendre en compte les risques de dommages à l'espèce canis lupus

 

  1. Les associations requérantes invoquaient tant l'article 191 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne que l'article L. 110-1 du code de l'environnement, textes qui consacrent le principe de précaution, lequel est interprété par la Cour de justice de l'Union européenne de façon stricte57. Il ressort de sa jurisprudence, comme le rappelle le Conseil d'Etat, que « si l'examen des meilleures données scientifiques disponibles laissent subsister une incertitude sur le point de savoir si une dérogation ...nuira ou non au maintien ou au rétablissement des populations d'une espèce menacée d'extinction dans un état de conservation favorable, l'Etat membre doit s'abstenir de l'adopter ou de la mettre en œuvre ». Toutefois, et le juge le rappelle à plusieurs reprises dans son arrêt, le loup n'est plus une espèce menacée d'extinction et son état de conservation s'avère depuis ces dernières années plus que « favorable » avec un taux de croissance annuel de 15 à 20%. Le terrain du traité européen et de son interprétation jurisprudentielle ne semble donc pas fertile pour faire reconnaître la violation du principe de précaution, potentiellement induite par l'autorisation des tirs contre les loups. C'est en revanche la lettre de l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui pouvait faire prospérer une telle argumentation, en ce qu'il comporte une disposition relative au « coût économiquement acceptable » des mesures de précaution, qui doivent être par ailleurs « effectives et proportionnées », et dont les requérants ne se saisissent pas suffisamment pour faire consacrer le principe de précaution58. Si le Conseil d'Etat écarte l'applicabilité du principe de précaution au cas d'espèce, en raison de l'évolution favorable de la population de loups « qui dépasse le seuil de mille individus sur le territoire national depuis 2022 », selon une méthode de comptabilisation révisée qui améliore sa fiabilité, il ne s'interroge ni sur le caractère effectif et proportionné des tirs, ni sur le « coût économiquement acceptable » ou non de l'ensemble des procédés de défense contre les loups. Or, les tirs de prélèvement en dehors de tout comportement agressif du loup soulèvent plusieurs problèmes, pointés du doigt par les scientifiques. Ils ne résolvent aucun des problèmes passés et obèrent plutôt le futur. On ne peut que retranscrire l'explication circonstanciée de l'un des auteurs spécialistes du loup, selon lequel « tuer un des animaux dominants, le mâle ou la femelle, conduit à désorganiser la meute correspondante, à l'éclater et à conduire ses membres à se décantonner, à changer de domaines vitaux, avec un risque sérieux de causer des attaques dans des secteurs non touchés jusque-là et peut-être non encore protégés »59. Ajoutons que le caractère prétendument non-protégeable de certains troupeaux et le plafond annuel de destruction possible des loups ne peuvent pas justifier moralement ces destructions, que l'on peut effectivement qualifier de « sociales », « sociétales », ou « politiques »60. Sans compter que, pour certains spécialistes, ce serait un effectif double de celui qui est actuellement recensé en France qui permettrait d'assurer définitivement la pérennité de l'espèce sur le territoire national.

 

  1. Au lieu et place d'une politique de destruction, a été proposée une politique de gestion « offrant toutes les garanties de protection des loups mais sans risquer l'exclusion du pastoralisme »61, ce qui suppose des dispositifs de pistage des loups sur leur terrain de chasse et d'avertissement des bergers avant les attaques, lesquels pourraient limiter la prévention à des tirs d'effarouchement, sachant que le loup averti se souvient de la menace reçue. Une telle voie est-elle réaliste et recueillerait-elle l'assentiment des éleveurs ? Rien n'est moins sûr. En tout état de cause, la question du « coût économiquement acceptable » se poserait (le pistage étant coûteux en hommes et en moyens) et serait à mettre en balance avec le coût des indemnisations accordées aux propriétaires de troupeaux pour les pertes imputées au loup, d'autant qu'un nouvel arrêté relatif aux barèmes d'indemnisation des dommages subis par les élevages victimes des prédations par le loup, l'ours et le lynx a été publié le même jour que l'arrêté attaqué et revalorise leur montant62. Désormais, l'indemnisation est basée sur la valeur marchande des animaux tués et une indemnisation pour les animaux disparus est prévue et fixée à 20% du montant de l'indemnisation des animaux tués. L'indemnisation des pertes indirectes est par ailleurs également prévue et proportionnée aux coûts directs. Dans ces conditions, serait-il envisageable d'investir dans une politique de gestion de la population lupine pour éviter la spirale de l'attaque, de la riposte et de l'indemnisation ? Le nouveau PNA sur le loup semble se diriger dans cette voie, puisqu'il prévoit le financement de plusieurs mesures de recherche, dont une étude sur les apports écosystémiques de la présence lupine et sur des nouveaux outils de protection des troupeaux innovants.

 

Maryse Deguergue

 

  • 1 V. G. Audrain-Demey, « Le loup : de la protection des troupeaux à la régulation de l’espèce », RJE 2016/2, p. 234 et s.
  • 2 Code de l’environnement, art. L. 411-1.
  • 3 D. Thierry, « D’un plan loup à l’autre : un équilibre précaire entre respect d’une espèce protégée et défense des troupeaux », Env. 2014, n° 11, ét. 15.
  • 4 Voir le dernier arrêté interministériel « cadre » du 21 févr. 2024 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (canis lupus).
  • 5 Voir notamment, A. Goin et L. Cadin, « La fable du juge et des espèces protégées », AJDA 2025, p. 228 et s. ; X. Braud, « Opérations d’aménagement : le contrôle du juge sur les dérogations à la protection des espèces », Dr. env. 2015, n° 238, p. 334 et s. ; P. Le Goff, « Le juge administratif et le loup », Dr. adm. 2005. Etude 9. Pour des exemples concernant le contrôle des autorisations de tirs, v. M. Deguergue, « Tir autorisé de loups », RSDA 2/2018, p. 67 et s. ; ou le contrôle des arrêtés interministériels, v. P. Combeau, « Quand le Conseil d’Etat avance… à pas de loup », RSDA 1/2020, p. 55 et s.
  • 6 Le plan national d’actions sur le loup 2024-2029 relève pour cette période une augmentation de la population de 114% et une augmentation de la prédation de 17%, voir PNA loup 2024-2029, en ligne, p. 26.
  • 7 CAA Lyon, 13 novembre 2024, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, n° 22LY00305, AJDA 2025, p. 205 et s., note Ph. Yolka.
  • 8 Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité.
  • 9 TA Clermont-Ferrand, 22 septembre 2022, n° 2000297.
  • 10 TA Clermont-Ferrand, 22 septembre 2022, préc., point 2.
  • 11 CE, 8 mars 1912, Lafage, n° 42612, Rec., p. 348, concl. G. Pichat, S. 1913, 3, 1, concl. et note M. Hauriou, GAJA, Dalloz, 24ème éd. 2024, n° 21.
  • 12 TA Marseille, 7 juillet 2022, n° 2008601.
  • 13 Voir TA Montpellier, 29 décembre 2022, n° 2101273.
  • 14 Voir TA Grenoble, 24 mars 2022, n° 1906455.
  • 15 A. Leymarie, « Un mécanisme forfaitaire de nature réglementaire ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action en responsabilité de droit commun », AJDA 2024, p. 515 et s.
  • 16 TA Toulouse, 15 décembre 2023, SCEA de Beauvoisin, n° 2202374, point 3.
  • 17 CE, Sect., 2 mai 1959, Lafon, Rec., p. 282 ; CE, 18 mars 2019, Ghazarossian, n° 414814.
  • 18 Circulaire du 27 juillet 2011, préc., II.2.
  • 19 TA Clermont-Ferrand, 22 septembre 2022, préc., point 9.
  • 20 PNA Loup 2018-2023, en ligne, p. 54.
  • 21 Pour un commentaire de ce décret, voir J. Segura-Carissimi, RSDA 1-2/2019, p. 221 et s.
  • 22 Voir arrêté du 22 février 2024 pris pour l'application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx.
  • 23 CE, Sect., 30 juillet 2003, Association pour le développement de l'aquaculture en région Centre, n° 215957, Rec., p. 367, AJDA 2003, p. 1815, chron. F. Donnat et D. Casas, RFDA 2004, p. 144, concl. F. Lamy, p. 151, note P. Bon, p. 156, note D. Pouyaud, JCP Adm. 2003, n° 1896, note C. Broyelle. Egalement : CE, 1er février 2012, Bizouerne, n° 347205, Rec., p. 14, AJDA 2012, p. 1075, note H. Belrhali, RFDA 2012, p. 333, concl. C. Roger-Lacan, Dr. adm. 2012, n° 53, note C. Broyelle, Envir. 2012, n° 16, note P. Trouilly, JCP Adm. 2012, n° 2146, note B. Pacteau
  • 24 TA Clermont-Ferrand, 22 septembre 2022, préc.
  • 25 TA Toulouse, 15 décembre 2023, SCEA de Beauvoisin, préc.
  • 26 CAA Lyon, 30 juin 2020, Ministre de la Transition écologique et solidaire, n° 18LY02727.
  • 27 CAA Lyon, 13 novembre 2024, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, préc.
  • 28 Voir par exemple pour le caractère exclusif du régime législatif d'indemnisation forfaitaire des harkis : CE, 6 oct. 2023, n° 475115, AJDA 2023, p. 2349, note M. Charité.
  • 29 Décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019, préc., art. 4.
  • 30 A. Leymarie, « Un mécanisme forfaitaire de nature réglementaire ne fait pas obstacle à l'exercice d'une action en responsabilité de droit commun », préc., p. 205 et s.
  • 31 TA Toulouse, 15 décembre 2023, SCEA de Beauvoisin, préc., point 3.
  • 32 CE, Sect., 30 juillet 2003, Association pour le développement de l'aquaculture en région Centre, préc.
  • 33 E. Naim-Gesbert et L. Peyen, « La responsabilité de l'Etat du fait de l'application de la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature. L'arrêt Association pour le développement de l'aquaculture en région Centre et a., ... quinze ans après », RJE 2018, p. 229 et s.
  • 34 TA, Toulouse, 15 décembre 2023, SCEA de Beauvoisin, préc., point 12.
  • 35 Ph. Yolka, note préc., p. 207.
  • 36 Vote du 8 mai 2025 par 371 voix contre 162 et 37 abstentions, après que les 50 Etats membres de la Convention de Berne eurent validé cette proposition de la Commission européenne le 3 décembre 2024. Renseignements recueillis sur le site du Parlement européen : www.europarl.europa.eu.
  • 37 JORF n° 0045 du 23 février 2024, texte n° 46.
  • 38 Sur ces données biologiques, voir l'article de François Moutou, « Le loup, biologie, écologie, éthologie, aspects sanitaires », RSDA 1/2014, p. 215, voir notamment p. 216 et 228. Il y aurait environ un millier de loups en France en 2024 et 23 000 recensés dans toute l'Union européenne.
  • 39 Voir notre précédente chronique sur le loup dans la RSDA 1/2019, sous CAA, Marseille, 14 septembre 2018, Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 16MA03058.
  • 40 CE, Sect., 23 décembre 2011, n° 335477 et Ass., même date, n° 335033, dont le considérant de principe est le suivant : « Considérant que l'article 70 de la loi du 17 mai 2011 dispose que : « Lorsque l'autorité administrative, avant de prendre une décision, procède à la consultation d'un organisme, seules les irrégularités susceptibles d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision prise au vu de l'avis rendu peuvent, le cas échéant, être invoquées à l'encontre de la décision. Considérant que ces dispositions énoncent, s'agissant des irrégularités commises lors de la consultation d'un organisme, une règle qui s'inspire du principe selon lequel, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie ; que l'application de ce principe n'est pas exclue en cas d'omission d'une procédure obligatoire, à condition qu'une telle omission n'ait pas pour effet d'affecter la compétence de l'auteur de l'acte ».
  • 41 Le PNA Loup est consultable sur le site https://agriculture.gouv.fr.
  • 42 En vertu de l'arrêté du 23 octobre 2020 fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée chaque année (JORF n° 0263 du 29 octobre 2020, texte n° 4), ce nombre maximum est fixé à 19% de l'effectif moyen de loups estimé annuellement. Pour l'année 2025, le plafond de destruction est de 192, mais ce plafond est diminué du nombre des animaux ayant fait l'objet d'actes de destruction volontaire (par braconnage essentiellement), en application de l'article 2-III de l'arrêté attaqué.
  • 43 Notamment les arrêtés interministériels du 15 mai 2013 et du 23 octobre 2020. Sur l'état de la question sous l'empire de l'arrêté de 2013, voir Marion Fargier, Adèle Marchal, Ariane Ambrosini, « Le loup est-il une espèce protégée ? », RSDA 1/2014, p. 283.
  • 44 CAA Marseille, 14 septembre 2018, précité.
  • 45 Conditions et buts prévus par l'article L. 411-2-4°-b) du code de l'environnement.
  • 46 Article 16-I-2° de l'arrêté du 21 février 2024.
  • 47 Le Conseil d'Etat a préalablement vérifié sa compétence en premier et dernier ressort pour connaître de la légalité de cette instruction, en constatant que le préfet coordonnateur est une autorité à compétence nationale et qu'il détient un pouvoir réglementaire pour l'exercice de ses missions (point 38 de l'arrêt).
  • 48 Constatation déjà faite dans l'article précité de Marion Fargier, Adèle Marchal et Ariane Ambrosini, RSDA 1/2014, p. 286, à propos de l'indemnisation de toutes les victimes de prédation pour lesquelles la responsabilité du loup n'est pas exclue, une sorte de présomption de culpabilité pesant ainsi sur le loup.
  • 49 Articles 18 à 28 de l'arrêté attaqué.
  • 50 Article 1 : « Le présent arrêté fixe les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction de loups (canis lupus) peuvent être accordées par les préfets en vue de la prévention de dommages importants aux troupeaux domestiques ».
  • 51 Point 13 de l'arrêt. C'est nous qui soulignons.
  • 52 Le Conseil d'Etat, au point 14 de son arrêt, rappelle les 4 181 attaques ayant entraîné 12 526 animaux victimes sur 53 départements en 2022 et les 4 091 attaques ayant fait 10 882 animaux victimes sur 58 départements en 2023.
  • 53 Article 10 de l'arrêté : « … on entend par attaque tout acte de prédation pour lequel la responsabilité du loup ne peut être écartée et donnant lieu à au moins une victime indemnisable ».
  • 54 Le loup est-il une espèce protégée ? Article précité, RSDA 1/2014, p. 286.
  • 55 François Moutou, « Le loup, biologie, écologie, éthologie, aspects sanitaires », RSDA 1/2014, p. 215, voir p. 226.
  • 56 Tirs de prélèvement prévus aux articles 18 à 28 de l'arrêté attaqué.
  • 57 Notamment dans l'arrêt C-674/17 du 10 octobre 2019, cité par le Conseil d'Etat.
  • 58 D'après l'article L. 110-1 du code de l'environnement, le principe de précaution est le principe « selon lequel l'absence de certitude, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ».
  • 59 Article précité de François Moutou, RSDA 1/2014, p. 227.
  • 60 Qualificatifs employés par François Moutou, ibidem.
  • 61 Marc Vincent, « La régulation du loup… pour son bien et celui du pastoralisme », RSDA 1/2014, p. 231, voir p. 241.
  • 62 Arrêté du 22 février 2024 pris pour l'application du décret n° 2019-722 du 9 juillet 2019 relatif à l'indemnisation des dommages causés aux troupeaux domestiques par le loup, l'ours et le lynx, JORF n° 0045 du 23 février 2024, texte n° 47. Cette revalorisation des indemnisations est estimée à 33% pour les ovins et à 25% pour les caprins, selon le PNA loup.
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