Droit des contrats et obligations
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Contrats spéciaux

  • Christine Hugon
    Professeur de droit privé
    Université de Montpellier
    Laboratoire de droit privé
  • Kiteri Garcia
    CDRE Bayonne – UPPA

Les lecteurs de cette chronique savent que la garantie légale de conformité du Code de la consommation n’est plus applicable aux ventes d’animaux domestiques depuis le 1er janvier 2022. Toutefois, cette exclusion que nous appelions de nos vœux, ne s’applique pas aux transactions conclues antérieurement à cette date. Un examen rapide des décisions rendues ces derniers mois en matière de vente d’animaux domestiques confirme que le flot du contentieux est loin encore d’être endigué. Plus préoccupant encore, le risque d’une conception trop laxiste de la convention tacite permettant d’échapper au régime spécial du Code rural risque d’en ouvrir encore plus largement les vannes. En effet, écarter trop facilement l’application du droit spécial du Code rural aurait pour effet de permettre aux acheteurs de se placer dans de très nombreuses hypothèses sur le terrain particulièrement accueillant du Code civil. Bien évidemment, ils ne pourront le faire que sous réserve de démontrer que le défaut affectant l’animal repose sur une cause existant au moins en germe au moment de la vente ; mais cela peut être le cas pour de nombreuses pathologies, notamment d’origine génétique, ou dont le développement dépend des conditions de vie et de travail de celui-ci. Or, l’action en garantie des vices cachés du Code civil se révèle très favorable à l’acheteur. Celui-ci peut exercer son action dans les deux ans suivant l’extériorisation des symptômes ou l’établissement du diagnostic, sous réserve que son action soit introduite dans les 20 ans du jour de la transaction1.
L’importance quantitative du contentieux des ventes d’animaux et tout particulièrement de chiens et d’équidés est telle qu’il ne peut en être rendu compte qu’à travers une sélection d’arrêts dans l’objectif de mettre en lumière quelques décisions révélatrices des difficultés soulevées. Le poids des faits, le rôle clé des expertises vétérinaires expliquent la rareté des pourvois dans ce domaine. Il convient donc de signaler une décision de première chambre civile du 29 octobre 2023 rappelant que le délai de prescription de l’action en garantie légale de conformité du Code de la consommation ne court pas à compter de l’accord sur la chose et sur le prix, mais à compter de la délivrance de l’animal (I). Du côté des juridictions du fond, plusieurs décisions confirment que la destination de l’animal joue un rôle clé que ce soit sur le terrain du droit de la consommation ou sur celui de la garantie légale du Code civil. Cela ressort entre autres d’un arrêt de la cour d’appel de Paris, en date du 15 juin 2023 (RG n° 20/12967) ayant débouté les acheteurs d’un chien de race berger allemand de leurs demandes en remboursement de la totalité des frais avancés pour soigner leur animal et en paiement de 10 000 € à titre de dommages-intérêts au motif que le chien affecté d’une dysplasie de la hanche n’était pas pour autant impropre à sa destination d’animal de compagnie (II) ou encore de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 17 octobre 2023 (RG n° 23/02933) se fondant sur la destination sportive d’un cheval atteint de boiterie pour prononcer la résolution de la vente sur le terrain de la non-conformité du droit de la consommation (III). Cette question de la destination de l’animal est récurrente dans les contentieux relatifs aux équidés, comme le confirme la cour d’appel de Caen dans sa décision du 12 septembre 2023 (RG n° 20/01180) lorsqu’elle apprécie la garantie du vendeur d’un cheval de CSO à l’aune de la hauteur des obstacles évoqués dans les documents contractuels (IV). Cette même cour avait dû antérieurement, dans un arrêt du 27 juin 2023 (RG n° 20/00751) appliquant, ce qui n’est pas courant, le droit suisse, répondre à la question de savoir si la mention dans le contrat de vente « classé en Concours de saut d’obstacles international cinq étoiles » garantit que ce cheval sera à même de poursuivre une carrière à ce niveau après la vente (V).

I. Cass. 1re civ., 29 novembre 2023, n° 22-14122

Vente, garantie légale de conformité du Code de la consommation, point de départ du délai de prescription
Le délai de prescription de l’action en garantie légale de conformité du Code de la consommation court à compter de la délivrance de l’animal

La question du point de départ des délais de prescription des actions en garantie est toujours extrêmement sensible. Lorsque la garantie est recherchée sur le fondement du Code rural et de la pêche maritime, les articles R. 213-5 et suivants imposent des délais très courts courant à compter de la livraison de l’animal (Code rural et de la pêche maritime, art. R. 213-7). La règle est cohérente car c’est seulement à partir du moment où il est mis en possession de l’animal que l’acheteur est à même de découvrir le vice rédhibitoire. Dans le droit commun de la vente civile, l’action en garantie des vices cachés est enfermée dans un double délai : un délai de prescription de deux ans dont le point de départ est extrêmement favorable à l’acheteur car il court à compter de la découverte du vice et un délai butoir de vingt ans à compter de la conclusion du contrat2. Le Code de la consommation, applicable en l’espèce, fait partir le délai de prescription à compter de la délivrance du bien3. Or, dans l’affaire ayant donné lieu au pourvoi, la cour d’appel de Montpellier avait fait courir le délai de deux ans de prescription de l’action en garantie légale de conformité du Code de la consommation à compter de la vente et, non comme l’impose le Code de la consommation, à compter de la délivrance de la chose. La doctrine considère que la notion de délivrance de la chose en droit de la consommation doit s’apprécier selon les règles applicables à la délivrance dans les ventes civiles, laquelle est présentée par l’article 1604 du Code civil comme « le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l’acheteur »4. L’accord sur la chose et sur le prix, dont la date coïncidait en l’espèce avec celle de la facture, avait assuré le transport de la chose en la puissance de l’acheteur mais cette date coïncidait-elle avec la mise en possession de la chose que la doctrine assimile souvent à l’entrée en jouissance de l’acheteur5 ou, selon la formule retenue par l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux, à la mise à disposition de l’acheteur ? Cela n’était pas impossible, d’autant plus que la jument avait, le même jour, été transférée au centre équestre dans lequel pratiquait l’acheteur. La cassation est intervenue sur un manque de base légale au motif que les juges du fond auraient dû, au regard des faits de l’espèce, s’attacher à déterminer à quel moment l’acheteur était effectivement entré en possession de la jument, autrement dit avait été mis en mesure de s’en occuper et de s’en servir en tant que propriétaire. Le seul fait que le paiement ait été différé et que les documents afférents à la jument ne lui aient pas encore été remis ne devrait pas suffire à établir que la mise à disposition avait été retardée jusqu’à ce transfert. Certes, l’obligation de délivrance s’étend aux accessoires de la chose, mais il semble peu probable de pouvoir soutenir qu’en matière de transfert d’équidés, la mise à disposition soit subordonnée à la remise des documents concernant l’équidé lesquels sont parfois retenus jusqu’au complet paiement du prix ou le temps de les faire mettre en règle auprès de l’institut français du cheval et de l’équitation, ce qui lorsqu’il s’agit d’obtenir l’attribution d’un numéro SIRE français pour un cheval né à l’étranger, peut parfois prendre plusieurs semaines. Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de trancher cette question.

II. CA Paris, 15 juin 2023, RG n° 20/12967

Contrat de vente, garantie légale de conformité du Code de la consommation, chien, dysplasie de la hanche
Une dysplasie de la hanche ne rend pas systématiquement un chien de compagnie impropre à son usage

Dans l’arrêt Delgado, la Cour de cassation avait paralysé l’alternative que le Code de la consommation offre au vendeur professionnel de paralyser l’alternative laissée à l’acheteur entre la reprise du bien et sa mise en conformité lorsque cette dernière entraîne un coût disproportionné au regard de la valeur du bien6. En conséquence, l’acheteur de l’animal non conforme se trouvait en mesure d’exiger du professionnel qu’il assume la totalité des soins vétérinaires à prodiguer tout au long de la vie de l’animal. C’est bien ce qu’entendaient faire les acheteurs d’un chiot de race berger allemand qui, devenu adulte, avait développé une dysplasie de la hanche, maladie d’origine génétique très répandue dans cette race de chiens et dont il est démontré qu’elle peut apparaître alors même que les parents de l’animal n’en étaient pas affectés.
En l’espèce, le chiot avait été acheté à un vendeur professionnel, le 17 janvier 2018, pour la somme de 950 €. Le 30 avril 2018, le chien ayant boité, il avait été emmené en consultation, puis avait subi, dans l’année, plusieurs interventions orthopédiques. Les acheteurs avaient alors adressé divers courriers au vendeur professionnel pour se faire rembourser le prix d’acquisition et les actes médicaux. Face à son refus, les acheteurs ont, sans succès, tenté un référé provision pour finalement assigner au fond en se plaçant sur le terrain du défaut de conformité du Code de la consommation. Ils demandaient la condamnation du vendeur à leur verser la somme de 5654,98 € au titre des frais vétérinaires, 10 000 € à titre de dommages-intérêts ainsi que le remboursement de la totalité des frais de la procédure. Dans une décision confirmative, la cour d’appel de Paris a rejeté leurs prétentions. La dysplasie coxofémorale figurant dans la liste des vices rédhibitoires du Code rural, la cour d’appel a, tout d’abord, affirmé que le fait qu’une maladie figure dans la liste des vices rédhibitoires ne constituait pas de facto un défaut de conformité. Elle a, ensuite, rappelé les critères de conformité tels qu’ils résultent du Code de la consommation. Examinant les éléments de preuve fournis par les acheteurs, et notamment les rapports vétérinaires, elle observe qu’aucun d’entre eux n’a été signé et qu’aucun examen du chien n’a été réalisé en présence d’un représentant des vendeurs. Les juges en déduisent que si le caractère génétique de cette maladie est admis par les scientifiques, il n’est pas impossible que les conditions de vie et la suralimentation du chien aient pu influencer le développement de la maladie. Ils observent – et l’élément parait avoir été déterminant – que le chien avait été vendu comme un animal de compagnie à usage exclusivement domestique, ce que révélait la convention de vente signée par les parties. O, les acheteurs n’avaient pas démontré qu’il présentait une santé incompatible avec sa qualité d’animal de compagnie. Il pouvait monter dans une voiture et, selon les dires d’un vétérinaire, courir comme un lapin. Les juges ajoutent que le fait que cette maladie fasse obstacle à son utilisation en tant que reproducteur alors que cette qualité n’entrait pas dans le champ contractuel, ne pouvait constituer un éventuel défaut de conformité. L’espèce, parce qu’elle concerne une dysplasie de la hanche, permet de revenir une fois encore sur cette maladie très commune devenue un véritable nid à contentieux. Même si certains pensent que la peur d’une condamnation incitera les éleveurs à mieux choisir leurs reproducteurs, il est possible de penser que la véritable prévention résultera, du côté des professionnels, d’une sensibilisation des juges de race et des groupements d’éleveurs et, du côté des acheteurs, d’une information sur la nécessaire adaptation des conditions de vie et d’alimentation de leurs chiens.

III. CA Aix-en-Provence, 17 octobre 2023, RG n° 23/02933

Vente, garantie légale de conformité du droit de la consommation, visite vétérinaire d’achat
L’acheteur d’un cheval destiné à la compétition de dressage devenu boiteux six mois après la vente en raison d’une pathologie apparente sur les clichés réalisés pour la visite d’achat, mais non révélée par le vétérinaire, peut obtenir la résolution de la vente et engager la responsabilité de l’homme de l’art

En l’espèce, un cavalier amateur avait acheté 8000 € un cheval de pure race espagnole auprès d’un vendeur professionnel. Une visite d’achat avait été réalisée le jour même. Elle concluait à des signes cliniques normaux permettant un usage sportif de dressage. Six mois après, le cheval commence à boiter et les examens radiographiques mettent en évidence une pathologie, laquelle était déjà visible sur les radiographies de la visite d’achat. L’acheteur assigna son vendeur et le vétérinaire ayant procédé à la visite d’achat en résolution de la vente, remboursement du prix d’achat et remboursement de ses préjudices financiers, affectif et moral pour un total supérieur à 10 000 €. La cour d’appel confirma le jugement en ce qu’il a ordonné la résolution de la vente, le remboursement du prix et condamné in solidum le vendeur et le vétérinaire ayant pratiqué la visite d’achat à rembourser la somme de 3075 € au titre des dépenses engagées pour le cheval.
Du côté de la responsabilité du vétérinaire, la cour d’appel rappelle qu’il n’est tenu que d’une obligation de moyens quant à la réalisation de l’examen de visite d’achat. En l’espèce, sa responsabilité a été retenue uniquement parce qu’après avoir fait le bon diagnostic, il avait omis d’en informer les parties notamment en indiquant qu’elles pourraient en être les conséquences, y compris, à moyen terme alors même qu’il était informé de la destination sportive de l’équidé. Sur ce point, l’arrêt n’appelle pas de commentaire particulier.
Sur le terrain du droit de la consommation, les juges du fond considèrent que la pathologie qui rendait l’équidé impropre à son usage était déjà visible sur les radiographies de la visite d’achat et, en conséquence, antérieure à la vente. Ils observent, ensuite, que l’évolution, bien qu’incertaine, entraînait un pronostic réservé sur l’avenir sportif de ce dernier alors même que l’usage spécial recherché par l’acheteur avait été porté à la connaissance du vendeur. Ce raisonnement laisse penser que, dans l’esprit des magistrats, lorsque le cheval est destiné à une utilisation sportive, toute tare, toute fragilité, ne s’étant pas manifestée par des signes cliniques extérieurs antérieurement à la vente mais étant déjà décelable par des investigations vétérinaires pourra conduire à la résolution de la vente. Cette analyse revient à faire supporter par le vendeur le risque d’une dégradation de l’animal. La solution est extrêmement sévère lorsque l’objet de la vente est un être vivant. Il est indéniable que tout mammifère comporte en germe de nombreuses pathologies lesquelles, selon ses conditions de vie, pourront ou non se développer, pourront ou non être soignées, pourront ou non permettre une utilisation alternative de l’animal. Elle démontre simplement que l’animal est perçu comme un objet de consommation qui doit, coûte que coûte, fournir les utilités prévues et que le Droit traite comme un risque supporté par le vendeur, le développement de pathologies que des traitements adaptés ou une autre utilisation de l’animal aurait peut-être pu éviter.
Il serait tentant de penser que l’exclusion de l’application de la garantie de conformité du Code de la consommation aux ventes d’animaux rééquilibrera heureusement la relation contractuelle entre l’acheteur et le vendeur de l’animal par un renvoi au droit spécial du Code rural. En effet, celui-ci limite l’action en garantie à des pathologies déterminées apparaissant dans un temps très court suivant la vente, tout en réservant à l’acheteur la possibilité d’engager la responsabilité du vendeur qui se serait livré à des manœuvres dolosives. Certes, ce système peut paraître bien sévère pour les acheteurs. Il présente cependant plusieurs avantages. Il les incite à faire pratiquer des visites d’achat dont le résultat, s’il se révèle réservé, pourra les conduire soit à ne pas acquérir l’animal, soit à l’acquérir en se préparant à l’utiliser en tenant compte de ces fragilités. Une fois le cheval en possession de l’acquéreur, celui-ci alors tout intérêt à en préserver la santé, quitte à renoncer à ses espoirs de médailles ou à le revendre en toute honnêteté en signalant ces pathologies à une personne qui n’aura pas les mêmes ambitions. Toutefois, cette vision des rapports se nouant autour du trio, acheteur, vendeur, animal implique que celui-ci soit perçu par les deux premiers davantage comme un être vivant et sensible que comme une machine destinée à produire des résultats sportifs, ce qui encore trop souvent malheureusement le cas tant dans le monde équestre que dans le monde judiciaire. C’est cette vision utilitariste que révèle la décision commentée ci-dessous.

IV. CA Caen, 12 septembre 2023, n° 20/01180

Vente, garantie des vices cachés du Code civil, garantie légale de conformité du Code de la consommation, équidé
L’arroseur arrosé ou lorsque l’examen détaillé des faits du débat révèle des contradictions dans les prétentions du demandeur quant aux capacités sportives d’un cheval de CSO

Décidément, il existe encore des cavaliers, y compris chez les amateurs, qui ne perçoivent les équidés destinés à la compétition qu’à travers les performances qu’ils sont susceptibles de réaliser. L’espèce jugée par la cour d’appel de Caen, le 12 septembre 2023, souligne cette triste réalité et confirme à quel point l’application de la garantie légale du Code civil aux cessions d’animaux domestiques se révèle complexe et passablement mal adaptée à la réalité du vivant. Fort heureusement, dans cette affaire, les juges du fond sont arrivés à en tempérer les effets en démêlant patiemment l’écheveau des faits de l’espèce mêlant données de la médecine vétérinaire et performances sportives.
Une personne achète courant janvier 2013, pour le prix de 35 000 €, un cheval destiné à la compétition de sauts d’obstacles. Celui-ci devait être utilisé par sa fille, cavalière amateur, pour participer à des concours en Espagne. Moins d’un mois après la vente, ce premier équidé ayant révélé des douleurs dorsales, l’acheteuse obtient du vendeur, l’EARL Tip top Cheval, l’échange entre ce cheval et un autre cheval qui appartenait jusqu’alors à un autre propriétaire. L’échange intervient courant mars 2013 après une visite vétérinaire réalisée à la demande du propriétaire du cheval donné en échange. Quelques mois après, ce deuxième équidé devenant boiteux, l’acheteuse assigne, le 2 janvier 2014, le propriétaire du cheval donné en échange et l’EARL Tip top Cheval pour obtenir en référé la désignation d’un expert judiciaire. Le rapport d’expertise définitif est déposé le 27 octobre 2017. L’acheteuse assigne par acte des 5 et 6 décembre 2018, l’EARL Tip top Cheval, le propriétaire du cheval qu’elle avait accepté un échange et le vétérinaire ayant procédé à la demande de ce dernier à la visite préalable à la transaction. Elle demande, à titre principal, la résolution de la vente, à titre subsidiaire, sa nullité pour vente de la chose d’autrui et, en tout état de cause, la condamnation solidaire des vendeurs et du vétérinaire au remboursement du prix d’achat ainsi que de l’ensemble des frais liés à la vente soit au total plus de 80 000 €.
Le vendeur initial, l’EARL Tip top Cheval, et le propriétaire du cheval donné en échange plaident l’irrecevabilité de ses demandes pour défaut de droit d’agir au motif qu’elle avait entre-temps revendu le cheval. Les premiers juges la déclarent recevable en ses demandes mais rejettent l’ensemble de celles-ci et la condamne aux dépens. L’acheteuse interjette appel.
La cour d’appel confirme la recevabilité de son action au motif que « si l’action en garantie des vices cachés se transmet, en principe, avec la chose vendue au sous-acquéreur, pour autant le vendeur intermédiaire ne perd pas la faculté de l’exercer quand elle présente pour lui un intérêt certain et direct ».
Sur le fond, l’appelante critiquait le rejet de son action en résolution de la vente assortie de dommages-intérêts tant sur le terrain de la garantie des vices cachés du Code civil que sur celui de la non-conformité du droit de la consommation encore applicable aux ventes d’animaux domestiques.

a) La garantie des vices cachés du Code civil

La lecture de l’arrêt révèle que les avocats des défendeurs n’ont pas discuté l’applicabilité de l’action en garantie des vices cachés du Code civil. La discussion portait donc sur le fait de savoir si les conditions nécessaires au succès de l’action en garantie étaient réunies.
Sur la question de l’existence du vice, les juges du fond se fondent sur le fait que la pathologie en question, une maladie naviculaire des deux antérieurs, était décelable sur les clichés radiographiques réalisés lors de la visite vétérinaire préalable à l’échange, même si les symptômes, la boiterie, ne se manifestaient pas encore sur le plan clinique. Le vice était caché car il n’était pas discuté que l’acheteuse n’avait pas été informée de la présence de cette pathologie qu’elle n’avait découvert que plusieurs mois après. Il s’en déduit qu’il s’agissait bien d’un vice caché, peu importe que l’ancien propriétaire du cheval n’en ait pas eu connaissance car le cheval n’avait pas encore boité, et d’un vice antérieur à la transaction car il apparaissait sur les clichés radiographiques réalisés avant l’échange.
La discussion va alors se concentrer sur le caractère déterminant du vice caché, autrement dit sur la question de savoir si cette pathologie avait rendu le cheval impropre à sa destination ou en avait tellement diminué l’usage que si l’acheteuse en avait été informée, elle aurait renoncé à l’acheter ou en aurait offert un prix réduit.
Pour trancher cette question, les juges du fond se sont d’abord appuyés sur l’avis de l’expert judiciaire. Or, il avait confirmé que le cheval aurait pu recevoir un traitement adapté à sa situation et que celui-ci lui aurait permis de poursuivre sa carrière sportive au même niveau qu’avant la vente. Pour confirmer que sa maladie ne l’a pas rendu impropre à sa destination, ils appuient aussi leur analyse sur plusieurs éléments du dossier révélant qu’il a régulièrement participé à des épreuves sportives avec succès entre 2013 et 2019.
L’acheteuse avait bien essayé de contester cette analyse en observant, d’abord, que le traitement administré est, à la fois, complexe et coûteux et, ensuite, que le cheval était destiné à tourner sur des épreuves dites de 140, autrement dit dans lesquels il est censé sauter des obstacles d’un 1m40 ou plus et que sa pathologie l’avait réduit à sortir sur de plus petites épreuves et qu’il lui arrivait même de refuser de sauter les obstacles d’un mètre. La lecture de cette argumentation fait peine pour le cheval en question car elle donne le sentiment que pour cette propriétaire, il n’était qu’une machine à sauter des obstacles. Prenant la peine d’analyser en profondeur le dossier de l’appelante, la cour observe qu’elle a, elle-même, écrit dans son assignation en référé probatoire que l’animal était destiné au concours de saut d’obstacles et qu’il avait été acquis pour les épreuves cadets-juniors (1m20 à 1m30 de hauteur) et que les résultats en compétition révèlent qu’il a participé à ce niveau de compétition au moins jusqu’à 2017.
Rentrant plus encore dans les faits de l’espèce, les magistrats de la cour d’appel observent que la baisse de performance du cheval à partir de 2017 s’explique peut-être par son vieillissement ou par les qualités propres du cavalier qui le monte. Ils en déduisent qu’il n’est donc pas démontré, ni que la pathologie du cheval l’ait rendu impropre à l’usage auquel il était destiné, ni que cet usage en ait été diminué dans de telles proportions que l’acheteuse « même complètement informée sur son état réel, aurait renoncé à acquérir l’animal, voir qu’elle n’en aurait donné qu’un moindre prix ». Ils confirment donc le rejet de la demande en résolution de la vente et en restitution du prix fondée sur l’article 1641 du Code civil.

b) Sur l’action en garantie de conformité du Code de la consommation

La transaction étant intervenue à une époque où le Code de la consommation était encore applicable aux ventes d’animaux domestiques, les juges du fond ont été tenus d’examiner sur ce terrain aussi la recevabilité des demandes de l’acheteuse. Ils constatent, tout d’abord, qu’elle avait bien contracté en qualité de consommatrice et en dehors du cadre d’une activité professionnelle alors que le propriétaire du cheval donné en échange et l’EARL Tip Top Cheval avaient la qualité de professionnels. Le débat alors se concentre sur la conformité au sens du droit de la consommation de la chose livrée. Sur ce point, la cour observe que les vendeurs avaient livré « un animal présentant toutes les caractéristiques attendues par [l’acheteuse], à savoir un cheval de compétition de saut d’obstacles destiné à sa fille, sportive amateure ». Ils reprennent la démonstration précédente aux termes de laquelle les faits du dossier ont permis de démontrer qu’elle n’avait « pas commandé un cheval apte à sauter des obstacles de 1m40 à 1m45, mais des obstacles de l’ordre de 1m20 à 1m30 tout au plus, ce qu’il s’est avéré capable de faire pendant plusieurs années ». Ils en déduisent que l’animal est donc conforme au contrat au sens de l’article L. 211-4 du Code de la consommation et, par ailleurs, propre à l’usage attendu d’un bien semblable au sens de l’article L. 211-5 du même code car correspondant à la description donnée par le vendeur et possédant les qualités sportives annoncées par l’acheteur.
Même si le raisonnement est parfaitement argumenté, il ne peut que faire frémir les cavaliers avancés dans l’art subtil de préparer les chevaux à assumer les utilités que l’homme leur destine. Un cheval n’est pas une mobylette, ni un robot. L’art de la préparation consiste à la fois à donner envie au cheval de faire ce qui lui est demandé et de le préparer physiquement et techniquement à le faire. Comme tout sportif, il peut avoir des baisses de moral, des baisses de forme. En tant qu’équidé, il peut aussi souffrir de la mauvaise équitation de son cavalier, de la moindre compétence d’un entraîneur, de conditions de vie ou d’entraînement inadaptées. Bref, il est impossible de garantir qu’un cheval sera à même de continuer à sortir dans le même niveau d’épreuve dans sa nouvelle vie.
Admettre qu’en indiquant dans un contrat que le cheval mis en vente est apte à accomplir une prestation sportive ne peut en aucun cas garantir qu’il sera en mesure de se maintenir ou d’être maintenu à ce niveau postérieurement à la transaction. En l’espèce, l’acheteuse a été déboutée de ses demandes car le cheval avait continué à sortir en compétition. Vraisemblablement, la solution aurait été différente si le cheval avait cessé la compétition pour des raisons qui auraient tout à fait pu être étrangères à sa maladie, comme une baisse de moral ou un mauvais entraînement alors même que les vendeurs auraient été dans l’incapacité ou tout au moins dans une très grande difficulté quant à la preuve de ces causes.
Un cheval n’étant pas une machine, mais un être vivant, il faut admettre que l’acheteur supporte le risque inhérent à tout sportif d’une baisse de performance, à moins bien sûr que par une clause expresse le vendeur se soit engagé sur un résultat déterminé. Mais il ne peut alors pas s’agir d’une suite normale de la transaction mais d’une gestion du risque par le contrat sur le fondement d’un engagement très spécifique du vendeur.
La lecture de cet arrêt confirme à quel point il était urgent d’écarter l’application du droit de la consommation aux ventes d’animaux domestiques et, à quel point, il serait bénéfique de revenir à une lecture stricte du droit spécial des ventes d’équidés tels qu’il résulte du Code rural. Certes, ce point n’avait pas été mis dans le débat par les avocats des parties, très vraisemblablement parce que la jurisprudence contemporaine interprète trop largement le renvoi tacite au droit commun du Code civil lequel se révèle à bien des égards inadaptés à la réalité du vivant.
Il est intéressant d’observer que le droit suisse se révèle mieux adapté que notre droit français comme le démontre une autre décision de la cour d’appel de Caen.

V. CA Caen, 27 juin 2023, n° 21/00752

Vente, équidé, application du droit suisse, droit spécial des ventes du bétail
La mention dans un contrat écrit de vente d’un cheval classé en CSI ***** n’impose pas que le cheval se maintienne à ce niveau de compétition dans le futur

Deux chevaux de CSO avaient été achetés au propriétaire d’un haras ; le premier par acte du 7 juillet 2014 pour la somme de 200 000 €, et le second par acte du 1er décembre 2015 pour 2.700.000 francs suisses soit, au taux de change en vigueur au jour de la vente, l’équivalent de 2 475 474,45 €. L’acheteuse n’en prend pas possession et les laisse en pension chez le propriétaire du haras. Les relations initialement amicales entre les parties se dégradent à partir de juin 2016. L’acheteuse assigne en référé devant le tribunal de grande instance de Paris le propriétaire du haras à fins de remise sous astreinte de ses deux chevaux. L’ordonnance de référé ordonne la restitution des chevaux et une mesure d’expertise vétérinaire destinée à s’assurer de leur état de santé. Après la restitution des chevaux, l’expert désigné conclut que si l’état du premier était globalement satisfaisant, le second souffrait de lésions qui, déjà au temps de la vente, étaient de nature à l’empêcher de concourir au niveau de compétition qui avait été le sien au cours des années 2013 et 2014. Il en déduisait qu’au moment où la vente est intervenue sa valeur était inférieure à 200 000 €. L’acheteuse assigne le propriétaire du haras devant le tribunal de grande instance d’Argentan aux fins de réduction du prix de vente du second cheval sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Les juges du fond constatent que le litige relevait des juridictions françaises et jugent qu’il est régi sur le fond par les dispositions du droit suisse. Les premiers juges déboutent l’acheteuse de sa demande de réduction du prix. Celle-ci interjette appel. Pour des raisons liées à la complexité de la procédure d’appel et aux erreurs commises par les avocats de l’intimé, la cour d’appel n’est pas saisie de la fin de non-recevoir tirée du non-respect des conditions de délai prévues à l’article 202 du code suisse des obligations. Le débat se concentrera donc sur la demande en réduction de prix examinée à la lumière du droit suisse. La cour d’appel en rappelle le contenu. L’article 197 du code suisse des obligations dispose que « le vendeur est tenu de garantir l’acheteur tant en raison des qualités promises qu’en raison des défauts qui, matériellement ou juridiquement, enlève à la chose soit sa valeur, soit son utilité prévue, ou qui les diminue dans une notable mesure ». Le même article dispose que le vendeur « répond de ces défauts, même s’il les ignorait ». Toutefois, la cour d’appel de Caen indique « qu’il est dérogé à ce principe dans le commerce du bétail par l’article 198 du même code lequel prévoit qu’il n’y a lieu à garantie dans le commerce du bétail (chevaux, ânes, mulet, race bovine, moutons, chèvres et porcs) que si le vendeur s’y est obligé par écrit envers l’acheteur ou s’il a intentionnellement induit en erreur ». La cour d’appel de Caen en déduit qu’« en l’espèce, il est constant que la demande formée (par l’acheteuse) ne peut que reposer sur ces dernières dispositions et en déduit qu’il lui appartient alors soit d’établir que le propriétaire du haras s’est engagé par écrit à garantir les qualités dudit cheval, soit de démontrer qu’il a intentionnellement induit en erreur sur ses qualités, ce qui correspond à la définition du dol ».
Le contrat de vente était ainsi rédigé : « je soussigné, Monsieur L, demeurant à (…), vendre ce jour à titre personnel à Madame B, demeurant à (…) en Suisse, un Etalon Cheval de Sport SF, Quaoukoura Du Ty, classé en CSI ***** » avec l’indication du prix « 2 700 000 Fr. ».
La cour d’appel considère que ni la qualité d’étalon, ni la race du cheval ne sont contestés. Qu’en conséquence, la seule discussion concerne sa qualification de cheval classé en concours de saut d’obstacles international cinq étoiles, ce qui correspond à la catégorie la plus prestigieuse. La cour d’appel constate qu’avant la vente, il avait effectivement gagné plusieurs épreuves de ce niveau et qu’il était monté à cette époque par un cavalier médaillé champion olympique. La divergence entre les parties réside sur le sens à donner à cette qualification de cheval classé en CSI cinq étoiles. L’acheteur considère que le vendeur s’était engagé à lui vendre un cheval présentant toutes les qualités pour conserver un tel classement. Elle évoque au soutien de son interprétation le prix exceptionnellement élevé de ce dernier. Pour sa part, le vendeur considère qu’il n’a jamais entendu garantir les performances à venir de l’animal, mais seulement le fait qu’il avait été classé à ce niveau.
Au soutien de l’analyse du vendeur, la cour conclut qu’au moment de la vente, ses performances avaient commencé à baisser puisqu’il ne concourait plus qu’à des épreuves de niveau inférieur, ce que l’acheteuse ne pouvait pas ignorer car il s’agit de classements officiels publiés par la fédération française d’équitation. Les juges du fond évoquent aussi un message antérieur à la vente adressée par le propriétaire du haras à celle-ci. Celui-ci était constitué d’une photo accompagnée de la légende suivante : « Quaouk qui pense plus à brouter qu’à faire sa rééducation ». La cour ajoute que l’acheteuse a très bien pu vouloir faire l’acquisition de ce cheval à un prix aussi élevé sans se soucier particulièrement de ses performances à venir lesquelles, observe fort justement la cour, dépendent largement des qualités de l’entraîneur qui le prendra en charge ainsi que du cavalier qui le monterait le jour du concours. Cette constatation pleine de sagesse confirme si besoin était qu’un animal reste un être sensible dont la santé et les performances dépendent de facteurs très variables. Certains cavaliers feront des miracles avec des chevaux fragiles alors que d’autres beaucoup moins bons, parviendront à rendre malades ou boiteux des chevaux qui, dans les mains des premiers, auraient eu des carrières tout à fait satisfaisantes. À cet égard, le droit suisse paraît tout à fait raisonnable en ce qu’il écarte toute garantie du vendeur en dehors de manœuvres dolosives ou de la présence d’une clause écrite extensive de garantie. Il n’est finalement pas très éloigné de l’esprit du Code rural, lequel limite la garantie légale du vendeur d’un animal domestique à des vices prédéterminés apparaissant dans un délai très court suivant la vente tout en réservant l’hypothèse d’un dol ou d’une convention contraire des parties renvoyant au droit commun du Code civil. La fragilité du système français repose sur l’admission trop laxiste d’une convention dérogatoire tacite laquelle a pour effet de faire perdre sa logique au système particulier du Code rural. Il convient, nous semble-t-il, de ne pas perdre de vue que cette législation spéciale destinée à écarter en principe l’application de la garantie légale du Code civil a été adoptée à une époque où la quasi-totalité des animaux domestiques était utilisée par l’homme que ce soit pour la chasse ou le gardiennage lorsqu’il s’agissait de chiens, ou pour être montés ou attelés lorsqu’il s’agissait d’équidés.
Tant que les juges ne reviendront pas à une conception plus orthodoxe de la convention tacite écartant l’application du droit spécial, le contentieux des ventes d’animaux domestiques servira de terreau à l’ego ou à l’intéressement des acheteurs déçus. Fort heureusement, les quelques affaires commentées démontrent que certains juges ne s’y trompent pas et parviennent parfois, en articulant finement les moyens de droit et les faits du débat, à limiter leurs ambitions.

C.H.

Du contrat de transhumance – Cour d’appel de Chambéry, 17 octobre 2023 – n° 0/00627

Nous avions déjà souligné, dans le dernier numéro de cette chronique, l’originalité d’un contrat de clonage qu’il n’est pas courant de rencontrer dans les décisions de justice. Cette fois encore, l’affaire est atypique puisqu’elle conduit à la reconnaissance d’un contrat singulier à savoir le contrat de transhumance. Sans l’œil affuté du Professeur Jean-Pierre Marguénaud, cette décision inédite serait sans doute passée inaperçue, qu’il en soit remercié.
La transhumance n’est que rarement abordée par les juges et lorsqu’elle l’est, le litige se concentre sur les obligations de déclaration auxquelles cette pratique oblige ou sur les contaminations entre animaux qui peuvent survenir en cours de transhumance (en ce sens, voir cass. civ. 2ème, 4 octobre 1995, n° 93-20.717 ou CAA Marseille, 4 novembre 2010, n° 09MA00511). La décision rendue par la Cour d’appel de Chambéry le 17 octobre 2023 se révèle donc remarquable puisqu’elle porte sur l’existence et donc la qualification du contrat de transhumance.
En l’espèce, un éleveur de bovins a envoyé ses animaux en alpage dans le cadre de la transhumance d’été durant la saison 2016. Il a pour cela confié 63 bovins à une société agricole mais n’en dénombre que 52 à la fin de la période de transhumance. Il assigne alors la société en paiement d’une somme de 23.760 euros à titre de dommages-intérêts, représentant la valeur des 9 animaux manquants. Le Tribunal de Grande Instance de Chambéry, dans un jugement en date du 18 décembre 2019, estime que le demandeur ne démontre pas avoir confié 62 bovins (entre la demande et la réponse du tribunal, le chiffre passe de 63 à 62) à la société pour la transhumance 2016 et ne fait pas droit à sa demande d’indemnisation. L’éleveur interjette appel et produit comme pièces deux factures de transporteurs d’animaux : l’une établie pour le transport de 62 bovins en juillet 2016, l’autre pour un transport du lieu de transhumance aux étables de l’éleveur en octobre 2016, concernant cette fois 53 bovins. La Cour infirme le jugement : elle décide en premier lieu qu’au regard des deux factures, un contrat verbal de transhumance est démontré entre les parties. En second lieu, elle fait droit à la demande en indemnisation de l’éleveur pour la perte de 5 animaux, pour lesquels une société d’équarrissage est intervenue. Pour justifier la réparation, la Cour d’appel met à la charge de la société agricole ayant géré la transhumance une inexécution fautive dans la mesure où elle n’a fait aucune déclaration de perte des animaux auprès de leur éleveur. Un tel manque de transparence et d’information au moment de la disparition des animaux et au moment du transport retour d’estive constitue une faute dans l’exécution du contrat, sur le fondement de l’article 1147 du Code civil, d’autant que l’intimée n’allègue pas l’existence d’un cas de force majeure.
Cette décision nous permet d’appréhender quelques éléments du contrat de transhumance, sans toutefois répondre à toutes les interrogations que pose inévitablement un tel contrat sui generis.
Deux points posaient problème en l’espèce, d’une part l’existence du contrat, d’autre part les obligations auxquelles il donne lieu.
Quant à l’existence du contrat de transhumance, l’arrêt indique simplement qu’il s’agit d’un contrat par lequel un éleveur confie des animaux en estive. On aurait aimé en savoir davantage sur le contenu de ce contrat, encore jamais rencontré et par ailleurs aujourd’hui peu documenté. Si la pratique de la transhumance, elle, est connue parce qu’ancestrale, sa manifestation juridique l’est moins : quel est donc le rapport contractuel qui vient encadrer la migration traditionnelle et périodique de bêtes (ovins, caprins, bovins ou équins) entre des pâturages d’hiver et des pâturages d’été ? Le contenu du contrat en lui-même n’est pas précisé : le contrat de transhumance tel qu’il est qualifié par la Cour d’appel de Chambéry inclut-il le fait de déplacer les bêtes et de les monter jusqu’au lieu de pâturage ou simplement de surveiller les animaux en pacage, une fois ceux-ci déposés par camion ? La distinction est essentielle puisqu’elle permettrait de rapprocher le contrat de transhumance soit d’un contrat d’entreprise soit d’un dépôt. S’il s’agit de conduire les animaux à leur lieu de pâturage estival, qui alors délimite le parcours des bêtes et décide des modalités de conduite du troupeau ? Le berger/vacher est-il tenu de suivre les directives des éleveurs ? Si oui, ne pourrait-on pas alors y voir un contrat de travail puisqu’il y aurait alors indéniablement un lien de subordination… ?
En qualifiant le rapport contractuel de « contrat de transhumance », la Cour d’appel n’apporte que peu de précisions quant au contenu des obligations réciproques et à la nature du contrat.
Elle s’explique d’autant moins qu’elle le déduit de deux factures de transporteurs, l’un ayant pris les animaux à leur lieu d’élevage pour les conduire sur le lieu de départ de la transhumance, l’autre ayant fait le chemin de retour vers l’élevage une fois la transhumance terminée. La juridiction indique que le contrat de transhumance était en l’espèce verbal, ce qui ne permet guère d’en savoir davantage, d’autant que, concernant une pratique traditionnelle, il doit de surcroît dépendre d’usages locaux.
L’arrêt est moins laconique concernant les obligations que ce contrat singulier renferme. Il reproche en effet à la société encadrant la transhumance d’avoir violé son obligation de transparence et d’information au moment de la disparition des animaux et au moment du transport retour d’estive. Ce manquement constitue une faute dans l’exécution du contrat entraînant la responsabilité du débiteur de l’obligation. Il n’est donc pas reproché au vacher un défaut de soins ou de surveillance des animaux, ni même leur perte en tant que telle, mais seulement un défaut d’information relative à leur disparition au propriétaire. Mais alors, on peine à comprendre pourquoi l’indemnisation du défaut d’information ne concerne que 5 animaux sur les 9 manquants. On pourrait en déduire qu’un certain pourcentage de pertes de bêtes est admis, ce que l’on peut entendre : on sait par exemple que le loup peut s’attaquer au bétail transhumant (en ce sens, voir François Moutou, « Tribune contradictoire. Le loup, Biologie, écologie, éthologie, aspects sanitaires », RSDA 1/2014, p. 223) ou qu’en montagne, des animaux peuvent se perdre ou encore être foudroyés. L’essentiel, pour le vacher en charge de la transhumance, serait alors d’en informer l’éleveur. Le régime ne peut alors se rattacher au contrat de dépôt qui ne supporte pas la perte d’un objet confié. A la lecture de cette décision, le contrat de transhumance repose alors principalement sur une obligation d’information.
Cependant, qu’advient-il des 4 bêtes disparues dont les corps n’ont pas été ramassés par l’équarrissage et qui n’ont donc pas été identifiés grâce à leur numéro d’immatriculation ? Elles ne semblent ni concernées par l’obligation d’information, ni par une quelconque obligation de surveillance. D’elles, il n’est pas question puisque leur disparition n’est pas indemnisée. La réparation des seules bêtes identifiées fait en quelque sorte disparaître le problème des 4 autres bêtes jamais retrouvées. Possiblement, la Cour a estimé que la preuve de leur disparition n’était pas rapportée. Seulement, les juges fondent le contrat de transhumance et l’ensemble du raisonnement sur le différentiel entre le nombre de bêtes déposées et celui des bêtes ramenées à l’élevage. De deux choses l’une : soit la juridiction estime cette preuve suffisante et elle prend sa décision en constatant qu’au total 9 bêtes ont disparu, soit elle refuse de se fonder sur les factures de transports des animaux pour démontrer le contrat de transhumance et n’accède pas à la demande de réparation de l’éleveur. Sans nécessairement aboutir à une obligation de résultat, le bien-être animal aurait voulu que l’on se soucie davantage des animaux, de leurs surveillance et disparition que de la stricte information de leur propriétaire. Rappelons que sur 9 êtres sensibles disparus, la décision ne se préoccupe que de 5 d’entre eux. A défaut de cadavres, le sort des autres n’est même pas mentionné : quantité négligeable, ou menu fretin…La résurgence du contrat de transhumance, portant par essence sur des animaux, aurait mérité une lecture plus contemporaine.

K.G.

Du rejet de la nullité de la vente d’une chienne réputée agressive – Cour d’appel de Toulouse, 25 septembre 2023 – n° 21/02442

Alors qu’elle a fait l’acquisition d’une chienne de race « chien de cour italien », plus connue sous le nom de cane corso, pour un prix de 1 000 euros, le 18 décembre 2016, sa propriétaire se plaint de son agressivité un an plus tard à son éleveur. Ce dernier accepte de reprendre la chienne, tout en s’engageant par écrit à restituer à l’acheteuse la somme de 500 euros.
Ne parvenant pas à récupérer cette somme, l’acheteuse a assigné l’éleveur afin de voir prononcer la nullité de la vente et d'obtenir réparation de ses préjudices. Les demandes sont confuses et variées : la propriétaire de l’animal demande tout à la fois la nullité de la vente pour dol, le constat de l’accord des parties sur la nullité de la vente, la résolution du contrat et la condamnation de l’éleveur au versement de la somme de 3.211,60 euros au titre du remboursement des frais de dressage canin, frais vétérinaires et frais médicaux la concernant.
Déboutée de l’entièreté de ses demandes le 27 mars 2020 par le tribunal judiciaire de Montauban, la propriétaire maintient ses demandes en appel. La Cour d’appel de Toulouse rend un arrêt confirmatif le 25 septembre 2023, dont la qualité didactique doit être soulignée : chacune des prétentions est reprise une à une, son fondement textuel décortiqué et une réponse précise et argumentée est apportée.
Ainsi, alors que l’appelante soutenait que son consentement à la vente de la chienne avait été surpris par dol, dans la mesure où l’éleveur avait tu son sevrage précoce cause de son caractère agressif, la Cour répond en des termes clairs en posant la définition de la nullité et du dol, soulignant que la preuve de ce dernier n’était en aucun cas rapporté.
Patiemment, la Cour précise la différence entre la nullité et la résolution amiable du contrat, qui ne suivent pas le même régime. En l’espèce, les parties ne se sont pas entendues pour annuler rétroactivement le contrat mais elles sont tombées d’accord pour que l’éleveur récupère l’animal et verse à l’acheteuse la somme de 500 euros. Il ne s’agit donc pas d’une nullité venant sanctionner un défaut de formation du contrat mais d’une résolution, qui devra être exécutée selon les termes prévus par les parties, précise la Cour. L’éleveur devra donc s’exécuter en reprenant la chienne et en versant à sa propriétaire la somme de 500 euros.
Les demandes tenant à l’indemnisation sont traitées de la même manière, le juge d’appel rappelant les fondements du droit de la responsabilité et notamment la nécessité de démontrer une faute de l’éleveur qui, en l’espèce, n’est pas caractérisée. En effet, une faute délictuelle ne peut se déduire de la seule résolution amiable du contrat de vente. Ce faisant, la décision ne s’attarde pas sur le montant des sommes demandées par l’acheteuse déçue, notamment le fait qu’elle y intégrait les frais de dressage canin. Outre qu’on ne peut déterminer le montant alloué à ce dressage puisqu’une somme globale est réclamée, il est heureux que la Cour n’ait pas fait droit à une telle demande. Le coût d’un animal ne peut être réductible à son seul prix d’achat : encore faudra-t-il le nourrir, le soigner, s’en occuper en fonction de ses besoins. Certains individus nécessiteront des frais vétérinaires, d’autres une alimentation adaptée. Et pour d’autres encore, il s’agira de cours d’éducation. Répondre aux besoins ordinaires des animaux que l’on achète ne saurait constituer un dommage et l’éducation d’un chien relève de ceux-ci. On ne peut que louer, face à de telles demandes, la patience judiciaire.

K.G.

  • 1 Cass. mixte, 21 juill. 2023, nos 20-10.763 B, 21-15.809 B, 21-17.789 B et 21-19.936 B ; Gaz. Pal. 2023, n° 34, p. 15, obs. S. Piédelièvre ; LPA 2023, n° 4, n. E. Hung Kung Sow ; LEDC sept. 2023, n° DCO201r7, obs. M. Latina ; Revue Lamy Droit Civil, n° 219, p. 26-28, obs. A. Nivert ; Defrénois 2023, n° 42, p. 13 s. ; RDC 2023, n° 4, p. 30, n. L. Thibierge ; Gaz. Pal. 2023, n° 34, p. 22, n. G. Leroy.
  • 2 Cass. ch. Mixte, 21 juillet 2023, n° 20-10763, 21-15809, 21-17789 et 21-19936, précités.
  • 3 L. 221-12 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 devenu depuis l'article L. 217-3 du même code.
  • 4 Dalloz action, Droit de la consommation, 2021/2022, 211.181, p. 514.
  • 5 En ce sens, P. Delebecque, C.-E. Bucher et F. Collart Dutilleul, « Contrats civils et commerciaux », p. 246, n° 219.
  • 6 Cass. 1re civ., 9 déc. 2015, n° 14-25910 ; K. Garcia, Revue semestrielle de droit animalier 2015, n° 1, p. 48 ; D. 2016, 360, n. S. Desmoulin-Cansellier ; G. Paisant, « la question des vices cachés dans les ventes d'animaux domestiques aux consommateurs », JCP G 2016. 173.
 

RSDA 2-2023

Droit civil
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Responsabilité civile

  • Jean Mouly
    professeur émérite
    Université de Limoges
    FDSE – OMIJ

Responsabilité civile délictuelle. Troubles anormaux de voisinage. Chien. Aboiements. Bruits intenses et excessifs. Zone pavillonnaire. Cessation du dommage
CA Rennes 17 octobre 2023, RG n° 20/05934


Après le chant du coq Maurice, voici les aboiements de la chienne Joy. On se rappelle que le tribunal d’instance de Rochefort, dans son jugement du 5 septembre 2019, avait refusé de considérer que les cocoricos de ce fier gallinacé constituent un trouble anormal de voisinage, étant entendu que l’affaire se déroulait dans une petite localité qualifiée de « rurale » et que les cocoricos litigieux ne se produisaient que le matin sur une courte période d’une demi-heure, et encore, de manière espacée. Le juge en avait conclu, après avoir remarqué, non sans humour, qu’« il n’est pas contesté que le coq chante et que tel est d’ailleurs le propre du coq », que le trouble dénoncé ne présentait pas un caractère « excessif »1. En réalité, ce n’était pas la première fois qu’un juge avait à se prononcer sur ce type d’affaires. Une précédente espèce, relative également aux gallinacés d’un poulailler, avait déjà fait grand bruit dans la presse. À propos de cet animal, le juge avait alors estimé que « son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements, et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ». Et il concluait ainsi : « la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Salledes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme»2. Cet arrêt fut certes censuré par la Cour de cassation, mais seulement parce que les juges s’y étaient déterminés par « des considérations générales étrangères à l’espèce »3.
On concédera bien volontiers que l’espèce ici commentée, si elle est également relative aux nuisances sonores causées par un animal, est bien moins originale que les précédentes qui viennent d’être rapportées, ce qui explique sans doute qu’elle n’ait pas eu les honneurs de la grande presse. Pour être plus banale, elle n’en présente pas moins de l’intérêt car elle est tout à fait révélatrice de fréquents conflits de voisinage. D’un point de vue plus technique, elle mérite également d’être signalée car, contrairement à leurs collègues auvergnats, les juges bretons ont en l’occurrence parfaitement su situer le litige dans son cadre juridique et, on le verra plus loin, prononcer des sanctions particulièrement adaptées.
En l’espèce, les demandeurs se plaignaient de ce que la chienne de leur voisin se mettait à aboyer chaque fois qu’ils sortaient dans leur jardin. Selon ces derniers, la simple présence d’une personne hors de la maison provoquait les aboiements de la chienne, lesquels ne cessaient que lorsque cette personne regagnait l’habitation. Ces aboiements étaient par ailleurs décrits comme « forts, continuels et même agressifs » et se produisaient alors même que la chienne n’avait pas été provoquée. Il en résultait que les propriétaires se trouvaient pour une large part privés de l’usage de leur jardin qu’ils avaient pourtant aménagé comme jardin d’agrément. Ils intentèrent alors contre ces voisins pour le moins importuns une action en justice fondée sur les troubles anormaux de voisinage et le juge leur donna gain de cause.
Fort justement, celui-ci commence par rappeler que « L'article 544 du code civil dispose que “La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements“ ». Puis il ajoute que « La responsabilité pour trouble anormal de voisinage est une responsabilité sans faute dont la mise en œuvre suppose la preuve d'une nuisance excédant les inconvénients normaux de voisinage, en fonction des circonstances et de la situation des lieux ». En réalité, la théorie des troubles de voisinage, bien que d’origine ancienne, ne s’est véritablement « autonomisée » que dans la seconde moitié du XXe siècle, d’abord par une décision du 4 février 1971 permettant au propriétaire d’immeuble d’exiger une réparation dès lors que les inconvénients subis excèdent les troubles normaux de voisinage4, puis par un arrêt du 10 novembre 1986 qui, abandonnant toute référence au code civil, énonça un nouveau principe général du droit selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage »5. Toutefois, l’évolution ne devait vraiment s’achever qu’avec un arrêt du 13 septembre 2018 qui, renversant la jurisprudence antérieure, décida que « l'action pour troubles anormaux du voisinage constitue non une action immobilière réelle, mais une action en responsabilité extracontractuelle, soumise à la prescription de dix années de l'article 2270-1 du code civil »6. Pour ceux qui auraient pu en douter, l’arrêt commenté trouve donc bien sa place dans la présente rubrique relative à la responsabilité civile délictuelle.
Comme l’indique également l’arrêt commenté, cette responsabilité est une responsabilité objective, le trouble anormal de voisinage engageant celui qui doit en répondre alors même qu’il n’aurait pas commis de faute. Le débat se concentre donc sur l’anormalité du trouble et, le cas échéant, sur le lien de causalité entre ce trouble et le fait générateur. La Cour de cassation laisse en la matière un pouvoir souverain au juge du fond7. Il est cependant généralement admis que l’appréciation de l’anormalité du trouble doit se faire « in abstracto », le trouble devant être ressenti comme tel par une personne placée dans les mêmes conditions8. Pour faciliter cette appréciation, la doctrine a dégagé un certain nombre de critères que l’on a pu trouver particulièrement bien synthétisés par le nouvel article 3.101, paragraphe 1, alinéa 2, du code civil... belge, selon lequel « Pour apprécier le caractère excessif du trouble, il est tenu compte de toutes les circonstances de l'espèce, tels le moment, la fréquence et l'intensité du trouble, la préoccupation ou la destination publique du bien immeuble d'où le trouble causé provient »9.
L’arrêt commenté n’est certes pas aussi précis, les juges se bornant à indiquer que l’anormalité du trouble s’apprécie « en fonction des circonstances et de la situation des lieux ». En l’espèce, il ressortait néanmoins d’un procès-verbal de commissaire de justice (ci-devant huissier) et de différents témoignages, notamment d’entrepreneurs venus effectuer des travaux chez les demandeurs, que les aboiements de la chienne étaient particulièrement intenses et continuels et que rien ne pouvait les arrêter. Comme il a déjà été indiqué, ils se produisaient à n’importe quelle heure du jour et ne laissaient aucun répit au voisinage pour peu qu’une personne fût dans le jardin. On ne pouvait donc douter qu’en l’espèce, un tel trouble constituât, pour une personne normale, même particulièrement accommodante, un trouble dépassant le seuil de l’admissible ou du tolérable. On approuvera donc les juges d’avoir considéré qu’en l’espèce le trouble anormal de voisinage était caractérisé. On l’approuvera d’autant que les juges soulignent encore que le comportement du chien était inadapté compte tenu de ce que ses maîtres habitaient une zone pavillonnaire dont les habitants étaient en droit d’attendre un minimum de tranquillité. La solution eût peut-être été différente si l’affaire s’était déroulée en pleine campagne...
Certes, les propriétaires de la chienne essayaient bien de démontrer que pour cette race de chiens, dont l’instinct de garde est particulièrement développé, les colliers anti-aboiements ne sont d’aucune efficacité. Ils semblaient sous-entendre qu’ils n’avaient donc pas commis de faute et qu’ainsi rien ne pouvait leur être reproché. On a vu cependant que la responsabilité pour troubles de voisinage est une responsabilité sans faute. En aurait-il été autrement qu’ils auraient eu bien du mal à s’exonérer de leur responsabilité. En effet, les juges indiquent d’abord clairement, dans leur arrêt, qu’un tel chien (chien berger montagnard de la serra da Estrela du Portugal, de la famille des molossoïdes) n’a pas sa place dans une zone pavillonnaire. Ensuite, il est précisé par un éleveur canin, dont le témoignage est retenu par les juges, que, pour cette race de chiens, il existe des colliers anti-aboiements spéciaux « avec stimulation par tripodes » qui sont efficaces. Les défendeurs ne pouvaient donc plus guère nourrir d’espoir. Et effectivement, les juges concluent que « les demandeurs établissent avec une force probante suffisante que les aboiements, forts et répétés en limite séparative des fonds émanant du chien Joy de leurs voisins et se déclenchant de manière systématique à la vue de personnes dans le jardin causent un trouble qui excède largement les inconvénients normaux du voisinage ». Il ne leur restait plus alors qu’à fixer la sanction. Sur ce point également, l’arrêt mérite d’être salué.
Il ne décide pas en effet de mettre à la charge des propriétaires du chien une indemnité qui n’aurait eu en définitive qu’une fonction de peine privée, mais n’aurait guère satisfait les demandeurs. Il préfère, comme le demandaient d’ailleurs ces derniers, condamner in solidum les propriétaires de l’animal « à prendre toute mesure pour faire cesser le trouble anormal de voisinage sous astreinte de 50 € par jour de retard ». Au surplus, pour assurer l'efficacité de la mesure et la non-réitération d'aboiements anormaux, ils fixent une astreinte de 1 500 € par infraction constatée. Il s’agit là de mesures particulièrement adaptées aux circonstances de l’espèce. Restera évidemment à faire appliquer la décision. L’astreinte devrait inciter les propriétaires de la chienne à agir le plus rapidement possible. Il leur appartiendra soit, comme le suggérait l’éducateur canin, d’utiliser un collier anti-aboiements spécial, soit de déménager ou de changer... de chien. Les amis des bêtes regretteront sans doute que, une fois de plus, les animaux soient les « victimes » de décisions judiciaires. On rappellera cependant qu’il appartient d’abord aux maîtres de bien choisir les animaux qu’ils souhaitent pour compagnons. Le « contrat d’engagement et de connaissance » imposé par l’article 1er de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 à tout acquéreur d’animal de compagnie devrait à l’avenir mieux éclairer ce choix. En tout cas, la décision rendue en l’espèce par la Cour de Rennes paraît la bienvenue. Elle ne devrait pas poser les mêmes difficultés d’exécution que celle rendue à propos de batraciens, par trop bruyants, qui avait condamné le propriétaire du fonds à combler la mare où ceux-ci avaient élu domicile. En effet, les batraciens en question étant des animaux protégés, le comblement de la mare exposait le propriétaire aux foudres de la loi pénale si bien que celui-ci se trouvait devant le dilemme cornélien : ou ne pas exécuter la décision de justice ou subir une condamnation pénale10. On terminera ce bref commentaire en faisant deux observations.
Contrairement à de nombreux contentieux, la présente affaire ne mettait pas aux prises des gens de la campagne avec des néo-ruraux, comme c’était le cas notamment dans l’affaire du coq Maurice. On se rappelle que, suite à cette dernière, le législateur, en dépit de l’avis contraire du Conseil d’État, était intervenu pour inscrire au patrimoine commun de la Nation, prévu par l’article L.110-1 du code de l’environnement, aux côtés des espaces naturels et paysages, les « sons et les odeurs qui les caractérisent » (loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes). On ne voit guère pourtant en quoi cette loi pourrait permettre de mieux résoudre les conflits de voisinage, même si elle cherche incontestablement à mieux protéger les traditions campagnardes. On ne s’étonnera donc pas qu’on ait pu qualifier cette malheureuse initiative de « gabegie »11 parlementaire ou de « contresens juridique et historique »12.
Pourtant, toujours saisi de frénésie législative, le Parlement ne devait pas en rester là. En effet, l’Assemblée Nationale a adopté en première lecture, le 4 décembre 2023, une proposition de loi déposée par Mme Le Peih, intitulée pompeusement « loi visant à adapter le droit de la responsabilité civile aux enjeux actuels » (n° 1602). Que l’on se rassure ! Le propos de ce texte n’est pas de réformer l’ensemble du droit de la responsabilité civile mais, plus modestement, de créer dans le code civil un nouvel article 1253, s’insérant dans les dispositions sur le préjudice écologique et permettant de réparer les troubles anormaux de voisinage. Ce n’est pas le lieu de commenter cette loi qui n’est d’ailleurs qu’en chantier. On se demandera seulement si une telle initiative n’est pas quelque peu précipitée alors que l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile entend lui aussi traiter de la question (avant-projet de 2017, nouvel article 1244 du code civil). Il est vrai que l’objectif principal de la proposition est de consacrer « la théorie de la pré-occupation (collective ?) » lorsque les activités polluantes étaient déjà exploitées avant l’installation des nouveaux venus. Il s’agit donc principalement de protéger les exploitants en place, notamment agricoles, contre des néo-ruraux mécontents (le projet de loi reconnaît lui-même qu’il vise à « répondre aux préoccupations du monde rural »), ce qui nous ramène une fois de plus à notre coq Maurice. Toutefois, même sur ce point, on peut douter de l’intérêt véritable de la disposition alors qu’il existe déjà un article L.113-8 du code de la construction et de l’habitation comportant des dispositions analogues mais que le nouveau texte s’empresse évidemment d’abroger. Selon son promoteur, l’exonération de responsabilité prévue pat le nouvel article 1253 alinéa 2 aurait une portée plus large, ce qui justifierait la nouvelle disposition législative (Rapport n° 1912). En réalité, cette extension de l’exonération reste à démontrer. Et si tel était le cas, cela voudrait dire que le législateur distribue un peu plus généreusement des permis de polluer... Il faudrait de temps en temps rappeler au législateur que le mieux est souvent l’ennemi du bien.

  • 1 RSDA 2020, n° 1, p. 345, note G. JEANNOT-PAGES ; Rev. dt. Rural 2019, n° 477, p. 46, note C. LATIL ; JCP G 2020, n° 20, p. 478, note J. MONNET ; Rev. dt. d’Assas 2019, n° 19, note J. DE DINECHIN.
  • 2 Riom, 7 sept. 1995, n° XRIOM070995X.
  • 3 Civ. 2e 18 juin 1997, n° 95-20.652.
  • 4 Civ. 3e 4 février 1971, n° 69-14.964, Bull. civ. III, n° 80 ; JCP 1971, II, 16781, 1re espèce, note R. LINDON.
  • 5 Civ. 2e, 19 novembre 1986, n° 84-16.379, Bull. civ. II, n° 172 ; D. 1988. 16, note A. ROBERT.
  • 6 Civ. 2e, 13 septembre 2018, n° 17-22.474, Bull. civ. II, n° 176 ; RTD civ. 2018. 948, obs. W. DROSS.
  • 7 Civ. 3e 3 novembre 1977, n° 76-11.047, D. 1978, 434, note F. CABALLERO.
  • 8 En ce sens Ph. BRUN, Responsabilité extracontractuelle, Lexisnexis, n° 523.
  • 9 R. AMARO, Rép. Civ. Dalloz, Troubles de voisinage, n° 86.
  • 10 Bordeaux, 2 juin 2016 et sur la même affaire, Civ. 2e, 14 décembre 2017, n° 16-22.509, D. 2018, 995, note G. LERAY.
  • 11 E. BOTEREL, AJDI 2021, 354.
  • 12 A. DENIZOT, RTD civ. 2021, 490.
 

RSDA 2-2023

Actualité juridique : Sélection du semestre

La personnalité juridique des animaux en France : une lumière calédonienne

  • Jean-Pierre Marguénaud
    Agrégé de Droit privé et de Sciences criminelles
    Université de Montpellier
    Membre de l'Institut de Droit Européen des Droits de l'Homme (IDEDH)

Dans le numéro 2/2017 (p. 15) de la Revue semestrielle de droit animalier, un article intitulé « La personnalité juridique des animaux en France. Une lueur calédonienne » avait montré comment, de la plus surprenante des manières, la personnalité juridique de l'animal avait commencé à se faufiler en droit positif français grâce au Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté créé par une Délibération 2016-13 API du 6 avril 2016 (JONC du 23 juin 2016, p. 5936) dont l'article 110-3 avait eu l'audace d'énoncer, on ne se lasse pas de le rappeler, que, « afin de tenir compte de [la] conception de la vie et de l’organisation sociale kanak, certains éléments de la Nature pourront se voir reconnaître une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres, sous réserve des dispositions législatives et réglementaires en vigueur ».
Il ne s'agissait cependant que d'une lueur qui vivoterait tant qu'aucun élément de la Nature n'aurait été concrètement engagé sur la voie prometteuse qui venait d'être ouverte et qui pouvait même perdre toute pertinence française si la Nouvelle-Calédonie, dont les Îles Loyauté constituent une des trois Provinces, accédaient à l'indépendance. Or, une demi-douzaine d'années plus tard, la Nouvelle-Calédonie est toujours une collectivité sui generis française en fonction des résultats, il est vrai fortement contestés, des trois référendums organisés le 4 novembre 2018, le 4 octobre 2020 et le 21 décembre 2021, et la lueur est devenue lumière.
En effet, grâce à une Délibération n° 2023-28/API du 29 juin 2023 (JONC du 18 juillet 2023, p. 14809), le Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté a été enrichi de plusieurs articles aux termes desquels les requins et les tortues marines sont des entités naturelles sujets de droit à qui des droits fondamentaux sont reconnus et qui n'ont pas de devoirs. Ainsi, en France, sous la dénomination d'entité naturelle sujet de droit, vient donc d'apparaître, d'abord au bénéfice de deux espèces d'animaux sauvages, une nouvelle catégorie de sujets de droit, un siècle et quelques années après la publication à la Revue trimestrielle de droit civil de 1909 (p. 611) de l'article fondateur que René Demogue a consacré à la notion. Il faudra donc commencer par une présentation de la nouvelle venue avant d'essayer d'apprécier son importance dans le débat sur la personnalité juridique des animaux.

I. Présentation de l'entité juridique naturelle sujet de droit du Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté

Avant de présenter le sujet de droit inédit dans le paysage juridique français, et pour refréner un peu l'enthousiasme que l'annonce de son arrivée pourrait soulever, il convient de signaler qu'il a peut-être déjà du plomb dans l'aile. En effet, dans un entretien publié dans le Journal Le Monde les 10-11 septembre 2023, le Ministre de l'Intérieur et des Outre-Mer s'est interrogé sur la pertinence de trois codes de l'environnement en Nouvelle-Calédonie (Cf. Caroline Marie et l'interview de Carine David https://la1ere.francetvinfo.fr/gerald-darmanin-s-interroge-sur-la-pertinence-de-trois-codes-de-l-environnement-en-nouvelle-caledonie-1428080.html 13 septembre 2023) et nul ne saurait prédire si les entités naturelles sujets de droit survivraient dans un Code de l'environnement néo-calédonien unifié. En attendant d'en savoir plus, et puisque le pire n'est jamais sûr, il y a lieu de présenter l'avancée majeure réalisée le 29 juin 2023 en distinguant le cadre général de la reconnaissance des entités naturelles sujets de droit (A) et la reconnaissance pionnière de cette qualité aux requins et aux tortues marines (A).

A. Le cadre général de la reconnaissance des entités naturelles sujets de droit

Une section entière du Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté est consacrée aux entités naturelles sujets de droit et une sous-section contient des dispositions communes à toutes.
C'est l'article 242-16 alinéa 1er, se reportant au principe unitaire de vie édicté par l'article 110-3, qui, afin de tenir compte de la valeur coutumière dans la nature kanak, prévoit la reconnaissance de la qualité d'entité naturelle sujet de droit à laquelle sont éligibles, si l'on peut se permettre cette tournure galvaudée, les éléments de la nature qui font l'objet d'une énumération un peu maladroite. Il s'agit des espèces vivantes, qui comprennent à l'évidence des espèces animales et les sites naturels énumérés par l'article 242-17, lequel après avoir expressément attribué la nouvelle qualification novatrice aux requins et aux tortues marines s'en tient à affirmer qu'ils pourront être rejoints par d'autres éléments du vivant sans dire lesquels, ainsi que par des sites et monuments naturels sans préciser la différence entre les deux sous-catégories ni en donner d'exemples. Outre cette imprécision, on peut relever une certaine contradiction entre la formulation de l'article 242-16 suivant laquelle les éléments de la nature se voient reconnaître la qualité d'entité naturelle sujet de droit et celle de l'article 242-17 qui indique seulement que les autres éléments du vivant et les sites et monuments naturels pourront être reconnus comme entités naturelles sujets de droit suivant une procédure dûment indiquée.
L'alinéa 2 de l'article 242-16 énonce de manière beaucoup plus claire deux dispositions communes essentielles : des droits fondamentaux sont reconnus aux entités naturelles revêtues de la qualité de sujets ; elles n'ont pas de devoirs.
De la première affirmation lapidaire on peut déduire que la dénomination exacte devrait être « entité naturelle sujet de droits fondamentaux » ; que la thèse suivant laquelle les êtres humains n'ont pas l'exclusivité des droits fondamentaux (V. particulièrement R. Pierre, « Les droits fondamentaux des personnes morales de droit privé », Éditions universitaires européennes, Sarrebruck, 2011) est consolidée et qu'il y aurait désormais une différence inattendue entre les êtres humains titulaires de droits fondamentaux et de droits qui ne le sont pas et les entités naturelles qui, à première vue, n'auraient que des droits fondamentaux. De la seconde affirmation découle une différence, très attendue cette fois, entre les entités naturelles et les personnes humaines. Elle est si essentielle qu'elle est développée par l'alinéa 3 de l'article 242-16 où il est précisé que ni les entités naturelles sujets de droit, ni leur porte-parole, ni la Province des îles Loyauté ne peuvent être tenus responsables d’éventuels dommages qu’elles pourraient causer. Ainsi le Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté vient-il, à l'égard des entités naturelles au premier rang desquelles figurent deux espèces d'animaux, de balayer expressément l'obstacle souvent avancé (particulièrement par Gwendoline Lardeux in « Humanité, personnalité, humanité », RTDCiv. 2021, p. 589) pour s'opposer à toute forme de reconnaissance de personnalité juridique de l'animal qui tiendrait à l'impossibilité d'être sujet de droit si l'on n'est pas symétriquement tenu de devoirs et d'obligations.
L'article 242-16 consacre son quatrième et dernier alinéa à résoudre la question la plus difficile sur laquelle viennent souvent buter les tentatives de reconnaissance de la qualité de sujet de droits à d'autres entités que les êtres humains : la représentation. Ainsi est-il précisé que l'intérêt à agir dont dispose chaque entité naturelle est exercé en son nom par le Président de la province des îles Loyauté, par un ou plusieurs porte-paroles, par les associations agréées pour la protection de l’environnement et les groupements particuliers de droit local à vocation environnementale. Il faut souligner l'attention particulière qui a été accordée à la désignation et au rôle des porte-paroles qui commencent à ressembler aux traducteurs du monde naturel dont nous avons une compréhension limitée du langage que Marie-Angèle Hermitte, au nom de l'égalité des armes, appelle de ses vœux (Cf. son article intitulé « Quel type de personnalité juridique pour les entités naturelles ? », in Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, direction Claire Vial et J-P Marguénaud, Mare & Martin, 2021, p. 123). C'est surtout par leurs modalités de désignation, établies par l'article 242-20, que les porte-paroles peuvent apparaître comme des traducteurs puisque, pour moitié, ils sont nommés pour deux ans renouvelables sur proposition des conseils d'aire coutumiers. Quant à leurs attributions, elles sont définies d'abord par l'article 242-21 qui prévoit qu'ils « sont obligatoirement consultés pour toute décision concernant l’entité naturelle sujet de droit qu’ils représentent et sont informés de toute atteinte portée à l’intégrité de celle-ci. Ils participent à l’élaboration d’éventuels plans de gestion de l’entité naturelle. Ils peuvent s’autosaisir de toute question relative à l’espèce ou site naturel sujet de droit dont ils sont porte-paroles et proposer collectivement ou individuellement toute action ou projet de réglementation en sa faveur » ; ensuite par l'article 242-22 suivant lequel « les porte-paroles sont chargés de défendre les intérêts de l’espèce ou du site naturel qu’ils représentent, de solliciter le président de l’assemblée de province aux fins :
- de l’exercice de ses pouvoirs de police pour toute atteinte aux droits et à l’intégrité de l’espèce ou du site naturel portée à leur connaissance ;
- de saisir la justice le cas échéant, de se prononcer préalablement à l’instruction de toute demande de dérogation.
Les décisions sont prises par consensus par les porte-paroles ».
Cet article laisse planer quelques ambiguïtés. Une décision prise par consensus est-elle une décision prise à l'unanimité ? Si tel devait être le cas, il eût été quand même plus simple de le dire franchement. Le plus déroutant vient de ce que les porte-paroles sont chargés de solliciter le président de l'assemblée de province aux fins de saisir la justice le cas échéant. Faut-il comprendre qu'ils ne font qu'attirer l'attention du président de l'assemblée pour le persuader de la nécessité de saisir la justice qu'ils ne peuvent pas saisir directement ? Ce seraient donc, en contradiction avec l'article 242-16 qui leur permet d'exercer au nom de l'entité naturelle l'intérêt à agir dont elle dispose, des représentants... qui ne représenteraient pas devant les tribunaux. Peut-être ne s'agit-il là que de petites fautes d'inattention que la pratique corrigera à la première occasion.
Il existe une ambiguïté beaucoup plus significative et particulièrement féconde tenant à l'énumération par l'article 242-18 des droits fondamentaux dont bénéficient les entités naturelles sujets de droit déjà reconnues ou qui le seront. On s'aperçoit, en effet, que les espèces vivantes et les sites naturels dont la liste des droits fondamentaux figure dans un I, ont, comme les écosystèmes et à nouveau les sites naturels auxquels est destiné le II, des droits à dimension collective tels que le droit à un environnement naturel équilibré, non pollué et non contaminé par les activités humaines et le droit à la restauration de leur habitat dégradé, mais aussi et peut-être surtout des droits à dimension individuelle à savoir : le droit de n’être la propriété de quelque État, province, groupe humain ou individu que ce soit ; le droit à exister naturellement, à s’épanouir, à se régénérer dans le respect de leur cycle de vie et à évoluer naturellement ; le droit de ne pas faire l’objet de dépôt de brevet et le droit à l’absence d’infection, de contamination ou de dispersion, par quelque moyen que ce soit, d’organismes génétiquement modifiés pouvant les impacter ; le droit à la liberté de circulation et de séjour au sein de leur environnement naturel ; le droit de ne pas être retirées de leur milieu naturel ; le droit de ne pas être gardées en captivité ou en servitude, et celui de ne pas être soumis à un traitement cruel ; lequel, personne ne pourra en disconvenir, ne peut être conçu qu'en considération de la sensibilité individuelle de l'animal appartenant à l'entité naturelle sujet de droits.
Par-delà son caractère ambivalent né de la confusion des droits collectifs et des droits individuels, la liste dressée par l'article 242-18 est exemplaire pour avoir identifié des droits fondamentaux adaptés aux spécificités des entités naturelles sans jamais chercher à imiter les droits, fondamentaux ou non, accordés aux êtres humains. Dès lors elle consacre une victoire éclatante de la personnalité technique inspirée de René Demogue, inlassablement opposée dans ces colonnes et ailleurs à la personnalité anthropomorphique, et donne un éclat particulier à la célèbre formule de Marie-Angèle Hermitte, « Les droits de l'homme pour les humains, les droits du singe pour les grands singes ! » (Cf. Le Débat 2000/1, n° 108).

B. La reconnaissance de la qualité d'entités naturelles sujets de droit aux requins et aux tortues marines

Ce sont donc deux espèces d'animaux qui ont eu l'honneur de devenir les premières entités naturelles sujets de droit dans la Province des Îles Loyauté, en Nouvelle Calédonie et par conséquent en France. Il est à noter qu'elles ne l'ont pas reçu en tant qu'espèces menacées de disparition mais parce que ce sont des espèces totémiques. Pour accompagner cette reconnaissance, elles ont bénéficié de dispositions spécifiques qui sont d'ailleurs formulées de manière un peu surprenante. Alors en effet que l'article 242-18 qui énumère les droits fondamentaux communs à toutes les entités naturelles sujets de droit annonce, in fine, que des droits spécifiques à chaque entité juridique naturelle peuvent être également octroyés par l’assemblée de la province des îles Loyauté, les dispositions particulières aux requins et aux tortues sont accordées suivant la méthode désespérément classique d'interdictions énoncées sous la menace de sanctions administratives et pénales de la même nature que celles qui sont prévues par les articles 242-4 à 242-12 en faveur des espèces animales figurant en annexe 3 I-A, parmi lesquels on trouve par exemple le renard volant orné, la baleine à bosse, le dauphin à long bec, le martin-chasseur, le siffleur doré, ou le tricot rayé jaune qui n'ont pas encore été élevés dans la catégorie des entités naturelles sujets de droit. Il ne faut pas négliger pour autant l'importance et l'originalité des interdictions d'observation grâce à la pratique du « shark feeding » ou d'action tendant à familiariser à la présence humaine ou à sédentariser que l'article 242-24 fulmine en faveur des requins ou de tout comportement volontaire susceptible de perturber un spécimen ou un groupe de spécimens, notamment : l’approche à une distance de moins de 10 mètres et la production de lumière ou l’introduction de chiens sur les sites de pontes en période de pontes et d’émergences qui sont prévues pour les tortues marines par l'article 242-25. Il n'en reste pas moins que les premières entités naturelles sujets de droit sont principalement protégées par les droits fondamentaux énumérés par l'article 214-8 qui, paradoxalement, sont principalement des droits à dimension individuelle. Il s'agit là, bien entendu, d'un élément clé pour apprécier l'influence des nouvelles dispositions du Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté sur le débat qui prend parfois des allures de combat sur la personnalité juridique de l'animal.

II. L'influence de la reconnaissance des requins et des tortues marines comme entités naturelles sujets de droit sur le débat relatif à la personnalité juridique de l'animal

On peut déjà apprécier une influence concrète et effective : la consécration d'une personnalité juridique adaptée aux animaux ; et se risquer à pronostiquer une influence potentielle : la mise en place d'un modèle de personnification technique à vocation universelle.

A. La consécration d'une personnalité juridique adaptée aux animaux

On aura remarqué que l'article 214-16 du Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté qui introduit en droit positif les entités naturelles sujets de droit par référence à l'article 110-3 ne lui emprunte pas la notion de personnalité juridique dotée de droits qui sont propres aux éléments de la nature. Il faudrait recueillir le témoignage de Victor David qui, comme on commence à le savoir, a été, en tant que Chargé de mission à l'IRD de Nouméa, au Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté ce que Portalis a été au Code civil, pour savoir s'il s'agit là d'une élégance de style pour éviter une répétition ou d'une tentative de rétropédalage en rase campagne. De toute façon, la discordance entre les deux articles sera assurément exploitée par les puissants opposants à toute forme de personnification juridique du moindre être vivant extérieur au règne humain. On les entend déjà s'écrier : « L'honneur est sauf ! La dignité est sauvegardée ! Le bon sens a fini par l'emporter ! Vous voyez bien que les entités naturelles ne sont pas des personnes juridiques puisqu'elles sont reconnues seulement comme sujets de droit ! » Il est à espérer que le diable saura les convaincre de se ruer sur cet argument. Il serait en effet bien trop frustrant de ne pas avoir la joie de leur répliquer : mais que faites-vous de Marie-Angèle Hermitte et de René Demogue ?
Que faites-vous de Marie-Angèle Hermitte qui plus et mieux que personne en France a étudié les droits de la Nature et qui ne manque jamais une occasion de rappeler cette règle d'or : « “être une personne juridique”, “être un sujet de droit”, “avoir la personnalité juridique” sont des termes équivalents qui renvoient a minima à l'existence d'un point d'imputation des droits et de la capacité d'ester en justice qui en découle ». Pour soutenir que, au regard du Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté qui utilise les deux expressions, personne juridique et sujet de droits, les remarques de Marie-Angèle Hermitte les tenant pour équivalentes sont hors sujet, il faudra quand même une solide argumentation. En tout cas, cette fois, il ne sera plus permis de la sous-estimer comme se le permettent quelquefois de jeunes chercheurs distraits ou gênés.
Et que faites-vous de René Demogue ? Voilà donc un code qui reconnaît aux entités naturelles la qualité de sujets de droit et vous négligeriez de vous reporter à la définition qu'en donne l'auteur français qui lui a attaché son nom ? Cette définition que, sauf paresse ou rouerie intellectuelles, on ne peut ignorer quand on aborde ces questions, la voici, une nouvelle fois rappelée : « la qualité de sujet de droit appartient aux intérêts que les hommes vivant en société reconnaissent suffisamment importants pour les protéger par le procédé technique de la personnalité' » (R. Demogue, « La notion de sujet de droit », RTDCiv. 1909, p. 630). Refuser d'admettre que les sujets de droit qui viennent d'apparaître en Nouvelle-Calédonie sont inéluctablement des personnes juridiques ne relèverait plus vraiment, dans ces conditions, de la démarche juridique mais plutôt de la tentative désespérée d'imposer le « juridiquement correct », tentation qui pourrait évoquer celle observée ailleurs ou autrefois d'interdire d'exposer des nus dans les musées. Les tenants de cette pudibonderie juridique sont tellement nombreux dans les instances universitaires qu'il faut bien entendu recommander vivement aux jeunes chercheurs nourrissant l'espérance légitime d'entrer dans la carrière de soutenir l'idée suivant laquelle, non, décidément , le Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté, n'a pas octroyé la personnalité aux requins et aux tortues marines. Que d'autres se satisfassent d'avoir « au fond le procédé technique de la personnification sans le nom » (R. Demogue, op. cit., p. 638) ne changera rien à l'essentiel : leur opposition à la reconnaissance de la personnalité juridique aux éléments naturels en général et aux espèces animales en particulier vient de subir dans cette province française ultramarine un échec total. Il est même double.
Comme, on vient de le voir, les droits fondamentaux accordés aux espèces naturelles sont, dans un grand nombre de cas, des droits n'ayant d'intérêt que pour les individus qui les composent, la personnalité juridique considérée comme le point d'imputation de droits n'a pas été seulement reconnue à deux espèces naturelles mais à des centaines ou à des milliers de requins et de tortues marines qui les composent. Appliquée aux espèces d'animaux sauvages à tout le moins, la notion d'entité naturelle sujet de droit est donc une forêt impuissante à cacher les arbres, une sorte de personne juridique gigogne qui appelle presque inéluctablement une déclinaison en faveur des individus qui la composent surtout lorsque, comme dans le cas des requins et des tortues marines, ce sont des êtres sensibles. Que l'article 252-19 admette, à titre dérogatoire, que la capture de spécimens de requins ou de tortues marines peut être autorisée pour certaines cérémonies coutumières ne dément pas cette analyse. Elle confirme au contraire la souplesse de la personnalité juridique technique appliquée aux animaux qui, échappant à l'emprise du principe d'égalité, permet en fonction de ce que jugent souhaitable les hommes vivant en société, de la conférer ou de la retirer à certains et pas à d'autres.
Que l'article 242-17 du Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté ait finalement abouti, sans doute à la grande surprise de beaucoup, à attribuer aussi à des milliers de requins et de tortues marines une personnalité juridique point d'imputation de droits qui leurs sont propres, est, il faut y insister, un élément majeur pour tenter d'apprécier son influence potentielle sur le combat pour la personnalité juridique des animaux.

B. La mise en place d'un modèle de personnification technique à portée universelle

En reconnaissant déjà la personnalité juridique à des animaux sauvages individuellement considérés, le Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté, ouvre évidemment la voie à la personnification, en France métropolitaine, des animaux que l'article 515-14 du Code civil qualifie depuis 2015 d'êtres vivants doués de sensibilité. Bien entendu, d'aucuns objecteront que le principe unitaire de vie à partir duquel l'avancée personnificatrice calédonienne a été transposée repose sur des données culturelles qui n'ont strictement rien à voir avec celles que l'on observe entre Dunkerque et Hendaye ou entre Brest et Toulon et que la transposition des solutions dans l'Hexagone des solutions ultramarines n'est ni concevable, ni convenable.
Ce serait confondre le chemin et la brouette. Il dépend bien entendu de chaque pays, de chaque État, de chaque territoire, d'apprécier, en fonction de ses spécificités géographiques, écologiques et sociétales, s'il est indiqué d'ouvrir le chemin de la personnalité juridique pour tels animaux ou telles entités naturelles, et il est parfaitement exact que les spécificités d'ici ne commandent pas d'ouvrir le chemin ailleurs où existent d'autres spécificités et que, à première vue, il n'est pas forcément nécessaire d'accorder aux animaux de compagnie de Clermont-Ferrand la personnalité juridique parce que les requins d'Ouvéa ou les tortues marines de Lifou l'ont obtenue. Seulement quand, le moment venu, les données écologiques ou sociétales auront indiqué, pour des raisons identiques ou antinomiques, qu'il faut aussi ouvrir le chemin, le moyen technique de la personnification qui permet de s'y engager efficacement sera aussi pertinent ici qu'ailleurs ou là-bas : les brouettes roulent de la même manière sur tous les chemins du monde et la lagune espagnole de Mar Menor et son bassin ont obtenu la personnalité juridique le 30 septembre 2022, dix mois avant les tortues et les requins néo-calédoniens. Ce que le Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté vient à son tour de montrer à la France entière, c'est que la technique de la personnalité juridique est un outil parfaitement adapté lorsqu'il y a une volonté de mieux protéger les intérêts des animaux et des entités naturelles. L'exemple est là. Nul ne peut préjuger du moment où il sera opportun de le suivre pour tels ou tels animaux domestiques ou vivants à l'état de liberté naturelle considérés collectivement ou individuellement, mais il est là, en pleine lumière.
En écartant résolument d'imposer des devoirs aux nouveaux sujets de droit qu'il vient de reconnaître, Le Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté semble aussi avoir forgé un modèle qui peut s'exporter dans le monde entier puisqu'il vient de lever l'obstacle sur lequel se sont brisés, le 14 juin 2022 devant la Cour d'appel de New-York ( Cf. O. Le Bot, RSDA n° 2/2022, p. 127), les espoirs de Steven S. Wise de faire reconnaître à l'éléphante Happy la qualité de personne juridique non-humaine titulaire des droits de l'habeas corpus et qui semble être une des raisons du retrait au Gange et à son affluent, la Yamuna, par la Cour suprême indienne, le 7 juillet 2017, de la personnalité juridique que leur avait reconnu quelques mois plus tôt, le 20 mars 2017, la Haute Cour de l'État himalayen de l'Uttarakhand (https://www.geo.fr/voyage/video-pourquoi-le-gange-a-t-il-ete-dechu-de-ses-droits-188964).
Ainsi délestée de la traîne de devoirs et d'obligations dont on aurait voulu l'affubler et qui l'empêchait de prendre son élan, la personnalité juridique des animaux est désormais parée pour réussir là où d'autres modèles ont échoué. Le Code de l'environnement de la Province des Îles Loyauté qui l'a organisée à partir de droits fondamentaux résolument conçus en fonction du particularisme des éléments naturels que sont les animaux là où d'autres ont tenté de procéder par transposition des droits élaborés pour les êtres humains, vient de mettre en lumière que la personnalité technique est parfaitement adaptée à « la réalité des choses, ce maître auquel la science du droit se doit largement soumettre » (R. Demogue, op. cit., p. 636). La réalité des choses, c'est la nécessité d'assurer une protection plus efficace des intérêts des animaux. Elle n'apparaît pas partout et en même temps, elle ne se manifeste pas pour tous les animaux à la fois, mais lorsque l'évolution des mentalités a réussi à la faire émerger pour tels ou tels, la personnalité juridique technique, jusqu'à plus ample informé, est à ce jour et depuis René Demogue, le moyen le plus commode et le plus simple qui permette de la prendre en compte. Or, le choix du moyen le plus commode et le plus simple d'atteindre le plus efficacement un résultat jugé souhaitable à un moment donné relève du bon sens qui est peut-être universel...

     

    RSDA 2-2023

    Droit civil,Droit des personnes et de la famille
    Actualité juridique : Jurisprudence

    Chronique : Droit civil des personnes et de la famille

    • Hania Kassoul
      Maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles
      Université Côte d’Azur (Nice)

    De juin à décembre 2023. Le présent panorama couvre la période allant de juin à décembre 2023. Parmi l’actualité jurisprudentielle, on ne fera que signaler certaines décisions (non commentées) rendues relativement à la preuve de la cession d’animaux1, souvent des bovins et des chevaux, quelques arrêts classiques relatifs à la détermination de la loi applicable à l’action en réparation d’une atteinte causée à l’animal dont la situation est internationale2, à la perte de chance de faire naître des poulain3, à la couverture assurantielle de la perte d’animaux d’élevage4, à la garantie des vices cachés portant sur du matériel de traite provoquant des infections et douleurs aux vaches laitières5, au trouble anormal du voisinage provoqué par les aboiements intempestifs du chien du voisin6, ou encore à la liquidation de l’astreinte assortissant l’obligation pour une association de restituer des chiens à leur propriétaire7.
    La sélection commentée montre pour sa part quelques percées notables d’une (discrète) tendance zoocentrique dans le traitement civil des animaux, mais rien de nouveau sous le soleil du droit animalier8. Elle offre néanmoins l’occasion d’utiles rappels autant qu’elle laisse planer des incertitudes. On retiendra notamment qu’un plaideur a tenté de solliciter la compensation du pretium doloris de l’animal : bien que ce ne soit pas une première, ce réflexe n’est pas encore habituel et les tentatives ne parviennent pas encore à convaincre les juges. Globalement, les décisions examinées permettent de revenir sur la réparation des préjudices invocables par le propriétaire au titre de l’atteinte causée à son animal, ainsi que sur la mise en œuvre de la garantie de conformité, la perte du cheval à l’occasion d’un acte de maréchalerie, l’appréciation du préjudice causé par l’euthanasie du cheval de course, l’opportunité du référé pour éviter l’abattage d’un cheptel, ou encore sur les préoccupations liées à l’animal familial. Nous distinguerons, comme à l’accoutumée au sein de cette chronique, entre les décisions permettant de discuter, en premier lieu, de la relation entre humain et animal (I), et, en second lieu, de l’animal dans la famille (II).

    I. La relation humain/animal

    A. Dysplasie du berger allemand cédé : action en garantie de conformité et préjudices réparables (Civ. 1ère, 20 décembre 2023, pourvoi n° 22-17.838 (Rejet). Arrêt attaqué : CA Grenoble, 1ère ch., 12 avril 2022, n° 20/00795)

    Mots-clefs : Garantie de conformité – régime applicable avant l’ordonnance n° 2021/1247 du 29 septembre 2021 – remboursement des frais de santé (oui) – préjudice moral (oui) – préjudice animal pur (non)

    Faits et première instance (rejet). En l’espèce, une agricultrice-éleveuse a vendu en décembre 2016 un jeune berger allemand moyennant un prix de 1.200 euros. L'animal a été diagnostiqué comme atteint de dysplasie coxo-fémorale en mars 2017. Malgré trois interventions chirurgicales durant l’année 2017, cette anomalie locomotrice de croissance – caractéristique des spécimens hypertypiques – n’a pas disparu. C’est ainsi que l’acheteuse a d’abord réclamé à la venderesse la somme de 3.287,90 euros représentant le prix de vente de l’animal ajouté au coût des consultations et interventions chirurgicales. Sur ordonnance de référé, une expertise a ensuite conclu que l’animal présentait un handicap sévère et que, malgré les actes de chirurgie réalisés dans les règles de l’art, son pronostic locomoteur était très réservé. L’acheteuse a donc fait assigner la venderesse « aux fins d’entendre annuler la vente du 19 décembre 2016 pour défaut de conformité et subsidiairement vices rédhibitoires et condamner la défenderesse à lui payer les sommes de 1200 euros au titre de la restitution du prix de vente, de 6889,86 euros au titre des frais médicaux, de 3000 euros au titre des frais de déplacement, de 3288 euros au titre des frais d’expertise, de 10000 euros en réparation de son préjudice moral et d’agrément et de 5000 euros en réparation du préjudice de douleur subi par l’animal ». On souligne d’ores et déjà que la demanderesse a sollicité – à la fois – la restitution de l’intégralité du prix de vente, le remboursement des frais de santé vétérinaire, l’indemnisation de son propre préjudice moral, mais aussi du préjudice de souffrance endurée par son animal (qu’elle souhaitait conserver). Toutefois, la juridiction de première instance a débouté la demanderesse de l’ensemble de ses demandes, notamment au motif que :
    - l’action en garantie des vices rédhibitoires des articles R. 213-5 et R.213-7 du Code rural et de la pêche maritime, auxquels les parties n’ont pas entendu déroger par convention, n’a pas été intentée dans le bref délai de 30 jours à compter de la livraison de l’animal ;
    - que la preuve n’était pas rapportée de l’existence de la maladie au jour de la délivrance de l’animal, alors que si l’affection de dysplasie coxo-fémorale est héréditaire et non congénitale, il résulte de l’expertise que ses causes sont multifactorielles et que les facteurs environnementaux jouent un rôle dans son apparition.
    Au cœur du litige se trouvaient donc la question du régime applicable à la cession, et celle de savoir si est constitutive d’un vice antérieur à la vente une pathologie dont le développement dépend tant d’une prédisposition génétique que de facteurs exogènes.
    En appel (infirmation). Le jugement a été infirmé par la Cour d’appel de Grenoble. Cette dernière accueille la demande indemnitaire sur le fondement de la garantie de conformité du Code de la consommation. Faisant prévaloir le critère génétique, elle retient que la dysplasie sévère dont souffre l’animal est une maladie héréditaire, laquelle est donc nécessairement antérieure à la vente. Alors que les demandes sont reçues au visa des textes protégeant le consommateur, elle juge qu’il s’agit d’un défaut de conformité rendant l’animal impropre à son usage normal puisque celui-ci ne peut plus assurer la garde et la protection du commerce de sa propriétaire. Est ainsi incluse dans le champ de la protection la personne physique qui acquiert un animal destiné à occuper son commerce9, autorisant ainsi le bénéficie sur le plan probatoire de la présomption de mauvaise foi de la venderesse professionnelle. Attirons néanmoins l’attention sur le fait qu’en l’espèce l’action en garantie a été introduite par l’acheteuse personne physique ainsi que par la société exploitant le tabac. La Cour d’appel a jugé que seule l’acheteuse personne physique était titulaire de l’action concernant une vente ayant « d’abord et principalement porté sur un animal de compagnie ». Il est en conséquence difficile de suivre l’argumentation de la Cour qui consiste à ouvrir droit à l’action au motif que le contrat relevait du droit de la consommation car l’animal est de compagnie, mais qui caractérise l’impropriété sur la seule finalité liée à la garde du commerce.
    Le juge d’appel relève par ailleurs que l’acheteuse « opte » pour la réparation de l’ensemble de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux – elle demande notamment réparation de son préjudice moral et d’agrément, constatant que son animal souffre et qu’il est physiquement diminué, ainsi que celle des souffrances endurées par l’animal lui-même qui, aux termes de l’article 515-14 du Code civil, est un être vivant doué de sensibilité. Malgré un exposé du litige rapportant une assignation en « annulation de la vente », on apprend donc à la lecture de l’arrêt d’appel que l’acheteuse a « choisi de conserver l’animal sans demander la résolution de la vente »10. Le traitement de l’articulation des demandes indemnitaires, et de leur contenu, mérite d’être regardé attentivement (d’autant qu’elles ne sont pas discutées dans le pourvoi en cassation).
    Primo, sur les enjeux patrimoniaux.
    D’une part, se posait la question de la restitution du prix. L’article L. 217-10 du Code de la consommation prévoit que si la réparation et le remplacement du bien sont impossibles, l'acheteur peut rendre le bien et se faire restituer le prix ou garder le bien et se faire rendre une partie du prix. En l’occurrence, la demande formée par l’acheteuse en restitution intégrale du prix s’avérait donc incompatible avec l’option choisie consistant à conserver l’animal. Relevant précisément que la demanderesse réclame la restitution intégrale sans pour autant désirer se séparer de son chien, la juridiction grenobloise retient une solution en demi-teinte. Pour surmonter la contradiction, elle ne procède pas, du moins en apparence, à une réévaluation du chien ; elle tranche simplement le prix en deux, jugeant ainsi que : « choisissant de conserver l’animal sans demander la résolution de la vente, M Z ne peut exiger que la restitution d’une partie du prix payé, ainsi que le prévoit l’article L. 217-10 du Code de la consommation. Eu égard au handicap définitif de l’animal il sera fait droit à sa demande de remboursement dans la limite de la somme de 600 euros représentant la moitié du prix convenu ». L’hésitation est permise sur la rigueur technique de ce procédé : la réduction du prix doit-elle épouser les formes d’une division égalitaire, motif pris de ce que le chien n’est pas restitué ? On peut en douter, dès lors que l’action en réduction du prix a la nature d’une action estimatoire et devrait donc permettre la restitution de « la partie du prix » correspondant à la différence entre la valeur réelle de l’animal et le montant payé au jour de la vente. Si le raisonnement n’est pas de bonne méthode, il n’est toutefois pas inintéressant sur le plan de sa philosophie. Au moins sur le plan symbolique, le chemin pris par le juge grenoblois semble éviter la réduction analogique de l’animal à un bien comme les autres. En s’abstenant de procéder à la réévaluation économique de l’animal qui se révèle handicapé, pour privilégier un partage équivalent du prix entre l’éleveuse-venderesse et l’adoptante-acheteuse, la juridiction semble davantage statuer en équité, au regard de la nature particulière du chien, qu’en droit. En d’autres termes, sans discuter ici de la problématique plus fondamentale de la patrimonialité de l’animal, on pourrait voir dans le partage opéré une présomption selon laquelle, aux yeux de son maître, l’animal handicapé ne peut voir sa valeur réduite en-deçà d’un certain montant. Aussi, tenant compte de la valeur affective du chien, laquelle justifie que soit ordonnée une indemnisation largement supérieure au prix de la vente, le juge ne semble pas pouvoir se résoudre à réduire excessivement la valeur économique de l’animal : l’acheteuse attachée à son chien, au point de ne pas souhaiter le restituer et de dépenser des sommes importantes pour le soigner, ne saurait prétendre que le handicap de l’animal en annihile la valeur. Aussi, indifféremment de l’amoindrissement réel de sa valeur patrimoniale, le chien ne pourrait pas ne rien coûter. Au travers de cette conception projetée sur le choix du juge, se nicherait donc un refus de l’animal à « zéro euro ». De façon plus pragmatique, on pourrait encore considérer que le prix minimal représente la compensation du coût de l’élevage pour la venderesse.
    D’autre part, se posait la question du remboursement des frais de santé. Est allouée à la demanderesse la totalité de la somme réclamée, soit 6.889,86 euros. La solution est désormais classique, établie par l’arrêt Delgado11. La juridiction ne tient pas compte de ce que plusieurs des factures ne comportent pas l’intégralité des mentions exigées par le Code rural, ces irrégularités formelles ne les privant pas de valeur probante. De plus, la demande est justifiée dès lors que les chirurgies, réalisées dans les règles de l’art, n’ont certes pas fait disparaître le handicap du chien, mais ont été « utiles » en ce qu’elles ont « permis de ne pas faire perdre à l’animal une chance d’amélioration de son état ». L’argument présenté par la défenderesse, consistant à exclure le remboursement d’actes de soins infructueux, ne peut donc prospérer dès lors que les tentatives n’étaient pas illusoires et permettaient d’espérer une amélioration. On en déduit en creux qu’un acharnement excessif des propriétaires n’aurait pas permis l’indemnisation d’actes illusoires ou inadaptés. Par ailleurs, on remarque qu’en l’espèce la demanderesse a obtenu la compensation des frais de santé actuels mais n’a pas eu le réflexe de réclamer l’indemnisation des frais futurs causés par le handicap persistant de son chien, ce qui aurait été de bonne méthode en suite de résultats thérapeutiques limités. Or, on se souvient que, récemment, la Cour d’appel de Chambéry a alloué 5.603,51 euros au seul titre des frais futurs justifiés par la malformation d’une chienne berger allemand dont l’espérance de vie a été évaluée à 11 années, à raison de 360 euros annuels de dépenses vétérinaires à venir12.
    Secundo, sur les enjeux extrapatrimoniaux.
    D’une part, le préjudice moral du propriétaire est reconnu sans difficulté en son principe, sans exigence probatoire particulière. La juridiction juge ainsi qu’un préjudice moral est « incontestablement subi par le maître de l’animal, qui a lui-même souffert des souffrances endurées par son compagnon ». Assisterait-t-on à l’émergence d’une présomption d’affection entre l’animal domestique et son humain en droit de l’indemnisation ? Ce serait là l’implication naturelle de la définition de l’animal de compagnie dégagée par l’arrêt Delgado selon laquelle la destination d’un animal de compagnie est de recevoir l’affection d’un maître. Dans la veine de cette jurisprudence, la terminologie employée par la Cour exprime la dimension relationnelle certaine entre l’acheteur qui est un « maître » et l’animal qui est « compagnon », et cela indépendamment de la destination du berger allemand dont la cessionnaire a reconnu ici qu’elle consistait, en partie, en « la protection de son commerce de tabac presse ». C’est probablement ce qui a permis de laisser entrer dans le giron de l’article L. 217-10 du Code de la consommation l’action de la commerçante : l’animal n’avait pas pour seule destination la protection de l’établissement commercial. Cette admission nous indique que l’animal utilisé par son propriétaire dans un but professionnel peut néanmoins recevoir son affection (ce qui laisse ouvertes des questions relatives au préjudice d’affection des éleveurs et agriculteurs dont l’attachement peut s’étendre au-delà du rapport utilitaire13). Partant, serait aussi présumée l’existence du préjudice moral, l’atteinte étant automatiquement provoquée par la perte ou la souffrance d’un être dont il est présumé qu’il est aimé. Cette présomption de préjudice semble être l’expression d’une évolution de la posture des juges du fond, puisqu’il appartient ordinairement au demandeur de démontrer la réalité de son préjudice d’affection14. Le montant demandé en l’espèce est toutefois fortement modéré par le juge qui n’accorde pas les 10.000 euros réclamés, mais justifie l’allocation d’une somme de 500 euros. Compte tenu des implications pour le maître du déficit fonctionnel permanent du jeune animal, et des chirurgies qui sont déjà intervenues, on peut juger faible le montant alloué. De façon générale, comme pour tout dommage non pécuniaire, le mode de calcul des dommages et intérêts dus au titre du préjudice moral n’a jamais fait l’objet d’une science particulièrement lisse, bien que rationnalisée en matière de liquidation du préjudice corporel. Concernant le préjudice affectif du propriétaire d’un animal, la même affirmation pourrait être formulée tant il est vrai que depuis l’arrêt Lunus15, la quantification de ce préjudice demeure inégale et obscure. A votre bon cœur, Messieurs, Mesdames les juges ? Une tentative de compilation de la jurisprudence pourrait sans doute faire apparaître des pratiques judiciaires plus ou moins généreuses selon les ressorts. L’ère postérieure à la loi de simplification de 2015 devrait théoriquement se prêter à une revalorisation de ce poste indemnitaire. C’est ce qui est ouvertement défendu au Québec, dont la législation a intégré également en 2015 un article 898.1 du Code civil équivalent de notre actuel article 515-14. Prenant appui sur des avis de magistrats tels que Pierre Cliche (Cour du Québec) ou François Toth (Cour supérieure), la doctrine québécoise observe ainsi que ce nouvel article sert d’argument pour un rehaussement du référentiel indemnitaire relatif au dommage extrapatrimonial du propriétaire de l’animal16. Il faudrait donc que les tribunaux entreprennent une purge idéologique afin de tenir compte des conséquences émotionnelles réelles du dommage sur un propriétaire – ce qui n’est d’ailleurs que l’expression du principe de réparation intégrale – et non de s’en tenir à une euphémisation de la valeur affective susceptible d’être attachée aux animaux.
    Une telle euphémisation transparaît parfois de façon assumée dans les décisions judiciaires, comme en témoigne un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes (dont les arguments sont rapportés dans une décision de la Cour de cassation17) appréciant le montant des dommages et intérêts dus à une association de protection animale intervenue dans une affaire de mauvais traitements, et estimant que : « il convient avant tout de relativiser l’ampleur des préjudices évoqués par la partie civile à la mesure des conséquences objectives subies par les animaux et de rappeler notamment, au titre de la réparation du préjudice moral, que si sans conteste possible les animaux sont des êtres doués de sensibilité et méritent soins et attentions à la mesure de leur nature vivante, il convient de conserver une nécessaire modération dans l’appréciation des préjudices issus d’atteintes n’affectant pas des personnes humaine18 ». Outre le jugement de valeur morale ou philosophique, trahissant ici une opinion du juge, l’argument a de quoi surprendre sur le plan juridique, étant rappelé que le préjudice moral est strictement le résultat d’une atteinte affectant une personne, qu’elle soit physique ou morale, et que par l’effet de cette rhétorique euphémisante, ce sont bel et bien des intérêts humains qui se trouvent relativisés.
    D’autre part, le juge refuse l’indemnisation du pretium doloris de l’animal, au motif qu’« aucune indemnité ne saurait être allouée à M Z au titre de la souffrance de l’animal, qui est, certes, un être vivant doué de sensibilité, mais qui n’est pas un sujet de droit ». Si les demandes en indemnisation du préjudice de souffrances endurées par l’animal sont rares, les réponses juridictionnelles se répètent et se ressemblent19. Dans l’esprit des juges, l’absence de personnalité juridique ferait systématiquement obstacle à la reconnaissance d’un préjudice proprement animal, ne laissant place qu’à la compensation des préjudices dérivés, à savoir ceux d’un propriétaire. Toutefois, la réécriture de l’article 528 du Code civil ne prévoit plus que les animaux sont des biens par nature. Parallèlement, la nouvelle matrice de la responsabilité civile, reconnaît le préjudice écologique sans que l’environnement ne soit aujourd’hui pour autant doté de la qualité de sujet de droit. Ces mutations rendent infondée la croyance selon laquelle le préjudice dépend d’un intérêt personnifié et que l’atteinte à l’animal ne peut être regardée que par le prisme du patrimoine de son propriétaire. Elles devraient permettre la reconnaissance, à droit constant, d’un préjudice purement animalier sans nécessité – sur cette question – d’utiliser le vecteur d’une personnalité juridique. C’est du moins un point de vue qu’il est possible de défendre solidement, dans une approche utilitariste de l’action en réparation, permettant l’habilitation du propriétaire à agir dans l’intérêt de son animal, et une approche objective de la responsabilité civile d’ores et déjà confrontée à la nécessaire compensation des atteintes causées à des intérêts non personnifiés20.
    Cour de cassation (rejet du pourvoi). La vendeuse professionnelle s’est pourvue en cassation, arguant que la responsabilité du vendeur n’est engagée sur le fondement de la garantie légale de conformité que si le défaut de conformité existait lors de la délivrance du bien. Or, selon elle, l’arrêt de la Cour d’appel s’est borné à affirmer que la dysplasie du chien était « en germe au jour de la vente » au seul motif que le canidé détenait les gènes permettant de développer cette maladie, alors que ces gènes n’entrainaient pas nécessairement le développement de la maladie et que « des facteurs extérieurs ont pu jouer un rôle dans l’apparition de la dysplasie ». En d’autres termes, la Cour d’appel aurait violé l’article L. 217-4 du Code de la consommation (dans sa version antérieure à l’ordonnance de 2021), en ne constatant pas l’existence certaine de la maladie lors de la délivrance. La thèse était pour le moins subtile, consistant à distinguer entre l’animal dont la maladie génétique est déjà déclarée au jour de la vente et celui dont la même maladie ne se révèle que postérieurement à la délivrance. Cette subtilité n’a pas convaincu la Cour de cassation. En effet, le juge d’appel a souverainement relevé que l’animal était atteint d’une dysplasie coxo-fémorale, soit une maladie héréditaire qui ne peut se développer qu’en présence de gènes spécifiques, lesquels peuvent être transmis par des ascendants eux-mêmes indemnes de cette pathologie. Ce faisant, la Cour d’appel a pu estimer, même si des facteurs d’environnement ont pu jouer un rôle dans le déclenchement de cette maladie, que les causes premières de cette affection étaient nécessairement antérieures à la vente et en déduire que cette maladie invalidante avait rendu l’animal impropre à son usage de chien de compagnie et de protection, justifiant ainsi la mise en œuvre de la garantie de conformité.
    Si la solution elle-même n’appelle pas de commentaire particulier, les rappels normatifs opérés par la Cour font apparaître pour leur part des sujets d’inquiétude pour les cessions postérieures à l’ordonnance de 2021. La Cour de cassation prend effectivement le soin de rappeler qu’il résulte de l’article L. 213-1 du Code rural et de la pêche maritime, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021, que les dispositions qui régissent la garantie légale de conformité sont applicables aux ventes d’animaux conclues entre un vendeur agissant au titre de son activité professionnelle ou commerciale et un acheteur agissant en qualité de consommateur. C’est là un point de vigilance pour l’avenir : si un acheteur peut invoquer, comme en l’espèce, la garantie de conformité du Code de la consommation, c’est uniquement dans le cadre d’une vente antérieure à l’ordonnance de 2021. Depuis cette ordonnance, l’article L.217-2 du Code de la consommation exclut les ventes d’animaux domestiques du domaine de la garantie de conformité consumériste. Les situations comparables aux faits examinés sont et seront moins favorables aux acquéreurs d’animaux de compagnie, lesquels se trouveront assujettis aux dispositions du Code rural, sauf stipulation leur permettant de se prévaloir du Code de la consommation. Or, le Code rural prévoit dans son article L. 213-7 que l'action en réduction de prix autorisée par l'article 1644 du Code civil ne peut être exercée lorsque le vendeur offre de reprendre l'animal vendu en restituant le prix et en remboursant à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente. Le choix opéré par la réforme de 2021 est à ce titre déconnecté des évolutions du droit animalier, des besoins de la matière, et de la place qu’occupe l’animal de compagnie dans le droit contemporain et dans la société. Elle décourage clairement la prise en compte de la dimension affective de l’animal, l’acquéreur étant privé de l’action estimatoire et vraisemblablement réduit à devoir opter entre la conservation de l’animal ou une offre de « reprise » avec remboursement des frais. On peine à comprendre si les offres de reprise et de remboursement, qui semblent cumulatives, peuvent être décorrélées l’une de l’autre afin d’envisager un remboursement sans reprise. Quel serait l’effet d’un refus de la part de l’acheteur d’une offre de remboursement imposant la reprise de l’animal ? Peut-il n’accepter que le remboursement sans reprise ? Il reste à savoir si, dans le futur contentieux, les juges s’inspireront de la jurisprudence Delgado pour aménager le risque de rigidité de ce texte qui, s’il n’exclut pas l’octroi de dommages et intérêts au profit de l’acheteur, doit s’articuler avec l’article L. 213-1 qui pour sa part n’y ouvre droit qu’en cas de dol. Dans l’idéal, il faut espérer une interprétation judiciaire audacieuse de l’article L. 213-7 du Code rural, à la lumière de l’article 515-14 du Code civil, afin que la loi nouvelle n’incite pas à la restitution de l’animal pour des seuls motifs économiques.

    B. Acte de maréchalerie causant la perte du cheval : responsabilité et préjudices réparables (Bordeaux, 1e civ., 20 novembre 2023, RG n° 21/01983)

    Mots-clefs : Louage d’ouvrage – responsabilité civile contractuelle – faute du maréchal-ferrant (oui) – obligation de conservation et de sécurité de l’animal – indemnisation de la perte de l’animal – nécessité d’une expertise contradictoire (non) – préjudice moral (oui)

    Faits. En l’espèce, un cheval s’est blessé alors qu’il était confié à une maréchale-ferrante ayant pour tâche de le ferrer. La professionnelle a expliqué, lors de la déclaration de sinistre, qu’elle était en train de « parer le postérieur droit quand le cheval s'est mis à bouger pour une raison inconnue » et qu’elle a alors « perdu l'équilibre et lâché le pied. Tayten a pris peur et a reculé en direction de mon trépied. Il s'est emmêlé les pieds dans celui-ci et s'est blessé le postérieur gauche au-dessus du boulet ». Souffrant d’une « plaie à mi-canon avec sections des tendons fléchisseurs superficiel et profond des doigts PG », le vétérinaire a émis un « pronostic sportif très réservé à nul ». Le cheval a été euthanasié quelques jours plus tard. Plusieurs questions se posent.
    Sur la responsabilité. Tout d’abord, la blessure étant survenue à l’occasion d’un acte de maréchalerie, la maréchale-ferrante est-elle responsable du dommage et sur quel fondement ? C’est ici l'article 1789 du Code civil qui est mobilisé, texte relatif au louage d’ouvrage et d’industrie, prévoyant que « dans le cas où l'ouvrier fournit seulement son travail ou son industrie, si la chose vient à périr, l'ouvrier n'est tenu que de sa faute ». La règle assoit les obligations et le principe de responsabilité du loueur d'ouvrage qui est tenu d'une obligation de conservation et de restitution de la chose qui lui a été confiée. Il ne peut se libérer qu'en prouvant qu'il n'a commis aucune faute21. La professionnelle invoquait précisément l’absence de faute, estimant avoir prodigué des soins consciencieux à l’animal, ainsi que tout lien de causalité entre son acte et la blessure de l’animal qui, selon elle, se serait blessé seul. Le donneur d’ordre soutenait pour sa part que le loueur d’ouvrage est débiteur d’une « obligation de sécurité » à l’égard de l’animal qui lui est confié. Aussi, la juridiction reconnaît-elle le lien de causalité entre l’intervention de la professionnelle et la perte du cheval, relevant que celle-ci a « lâché le pied de l'animal, qui est venu heurter le trépied, dont elle ne conteste pas qu'il était en métal et non en plastique ». On reconnaît dans cet élément de fait, souligné par le juge, l’élément constitutif d’une faute d’abstention consistant à ne pas avoir choisi un trépied conçu dans un matériau de nature à sécuriser le lieu d’intervention sur les animaux. La faute serait donc ici une faute de négligence, la Cour jugeant que la défenderesse « n'apporte aucun élément de nature à démontrer qu'elle a pris toutes les précautions nécessaires aux fins d'exécuter correctement son acte de maréchalerie ». L’obligation de conservation est mobilisée en tant qu’obligation de moyens renforcée, à charge pour le débiteur de prouver qu’il a mis en œuvre tous les moyens nécessaires à la conservation de la chose. Or, le fait que la cause de l’agitation du cheval soit inconnue ne déjoue pas cette obligation, la Cour de cassation ayant déjà jugé que la cause de la disparition est indifférente22.
    Sur la preuve du dommage. Ensuite, l’absence d’expertise contradictoire constatant le dommage est-elle de nature à exclure la responsabilité ? L’entrepreneuse arguait que « sa faute ne peut être déduite de la blessure du cheval, dès lors que celle-ci n'a pas été contradictoirement constatée ». Sans s’attarder sur l’incohérence de l’argument (lequel confond preuve de la faute et preuve du dommage), il faut encore ajouter que son assureur estimait pour sa part que l’absence d’expertise contradictoire, en raison de l’euthanasie précipitée du cheval, fait obstacle à la juste évaluation du dommage. Pour écarter ces arguments, le juge bordelais s’est concentré sur l’impossibilité de réaliser une expertise compte tenu d’un critère zoocentré, à savoir les souffrances endurées. En effet, à deux reprises, il est rappelé que « les souffrances endurées par l’animal » nécessitaient une prise en charge immédiate (le jour même de l’accident), et qu’à ce titre « il ne saurait être reproché au propriétaire de ne pas avoir attendu une expertise contradictoire au regard des souffrances endurées par son animal ». On rappellera de plus que la preuve du dommage peut se faire par tout moyen et que la décision du juge devra résulter d’indices concordants corroborés. L’absence d’expertise, tout comme la production d’une expertise officieuse, n’est donc pas de nature à faire obstacle à la preuve du dommage et à son évaluation23. C’est néanmoins l’enjeu tenant à la prise en charge urgente des souffrances vécues par l’animal qui aura été ici déterminant pour écarter l’argument relatif à l’administration de la preuve.
    Sur l’évaluation des dommages et intérêts. Enfin, on notera qu’en l’espèce le propriétaire ne tente pas de solliciter l’indemnisation du préjudice de souffrances endurées par son cheval. Il réclame la compensation de la perte patrimoniale qu’il a subie, ainsi que de son préjudice moral causé par cette perte. L’indemnisation du préjudice moral, sollicitée à hauteur de 5.000 euros, mérite d’être mis en lumière car la Cour s’attache à relever que le propriétaire « ne produit aucun élément permettant d'établir la relation étroite qu'il entretenait avec son cheval », de même qu’il n’établit pas la date à laquelle il a acquis l'équidé. On comprend que le juge du fond cherche à faire entrer dans le giron de son appréciation la durée de la relation entre l’homme et son animal, de plus qu’il exige la preuve du lien affectif particulier qui a pu se nouer entre eux. Nonobstant l’absence de ces éléments probatoires, le juge grenoblois ne nie pas le préjudice en son principe : la preuve de « l’étroitesse de la relation » ayant vocation à évaluer seulement l’ampleur du préjudice24. C’est pourquoi il est jugé qu’en raison de « la perte brutale de son cheval, qu'il a dû faire euthanasier à la suite d'un accident de maréchalerie, il sera alloué à M. [U] la somme de 500 euros en réparation de son préjudice moral. Le jugement sera infirmé en ce sens ». L’infirmation porte ici sur le montant du préjudice, étant précisé que le Tribunal judiciaire de Périgueux avait alloué la somme de 2.000 euros. On retiendra donc la nécessité, à l’instar du traitement du préjudice d’affection des victimes indirectes, de démontrer le degré d’attachement de la victime à l’être perdu. Dans le cadre de cette comparaison, rappelons-nous que la charge probatoire est renforcée concernant les relations dont la nomenclature ne présume pas l’étroitesse, telle que celle des petits-enfants avec leurs grands-parents parmi lesquels on distingue entre ceux « justifiant se voir régulièrement » et les autres. Il en va de même pour « les autres parents ou proches justifiant fréquenter régulièrement la victime » dont le préjudice est rarement indemnisé au-delà de 3.000 euros, selon la même nomenclature. Matériellement, les juridictions civiles sont ainsi habituées, lorsqu’un effort probatoire est consenti par les plaideurs, à établir l’étroitesse de la relation sur la base de témoignages de l’entourage, de photographies et autres traces du lien perceptibles via des captures d’écran de comptes de réseaux sociaux, ou encore possiblement de rapports médicaux permettant d’attester de l’atteinte émotionnelle provoquée par la perte de l’être disparu. C’est cet effort probatoire qu’aurait dû faire le propriétaire pour obtenir la juste compensation de son préjudice.

    C. L’euthanasie du poulain dont le pronostic vital n’est pas engagé peut-elle constituer un préjudice réparable pour son propriétaire ? (Rouen, 1e civ., 13 décembre 2023, RG n° 22/03502)

    Mots-clefs : Bail rural – responsabilité du bailleur pour la perte du poulain (non) – préjudice moral causé par l’euthanasie (non) – preuve de la faute (non) – preuve du dommage (non)

    Faits et procédure. Au cours d’un litige relatif à la reconnaissance d’un bail rural, l’occupant des parcelles litigieuses, éleveur de poulains, a découvert l’un de ses animaux présentant une boiterie. Présenté le jour même à un vétérinaire, l’animal a été euthanasié. Le couple propriétaire du poulain a alors assigné les sociétés bailleresses en réparation des préjudices subis en conséquence de la perte du poulain. Les demandes ayant été rejeté devant le Tribunal judiciaire d’Evreux, les demandeurs ont interjeté appel de la décision. Dans les arguments présentés à la Cour, ils décrivent des relations conflictuelles avec les intimés et font valoir plusieurs manquements contractuels, invoquant des troubles de jouissance tels que le non-entretien de clôtures endommagées, la création de tranchées ou fossés à l'intérieur des parcelles présentant un risque pour les équidés, le parcage répétitif des équidés dans de petites parcelles, leur déplacement, ainsi que des problèmes d'alimentation en eau. Pour ces raisons, ils imputaient aux bailleurs la boiterie et le décès du poulain et recherchaient principalement leur responsabilité contractuelle sur le fondement de l’article 1719 du Code civil, et subsidiairement leur responsabilité extracontractuelle fondée sur l’article 1240 du Code civil. En plus d’autres prétentions indemnitaires relatives à l’inexécution du bail, ils réclamaient ainsi le paiement de 15.000 euros au titre de la valeur vénale du poulain, de 922 euros au titre des frais de vétérinaire et de 5.000 euros au titre de leur préjudice moral. Les intimés soutenaient pour leur part qu’il n’était pas démontré que le dommage leur était imputable. Ils arguaient de plus – et c’est ce qui retiendra davantage notre intérêt – que l’euthanasie du poulain n’était pas « inéluctable » et résultait d’un choix des propriétaires non justifié médicalement. Ils contestaient en cela le préjudice moral invoqué.
    Sur la responsabilité du bailleur dans la perte du cheval. Pour se déterminer sur la responsabilité, le juge rouennais relève que si les propriétaires du cheval énumèrent une série de manquements imputés aux bailleurs, ils n’établissent aucun fait précis relatif à un traumatisme du cheval ou en lien avec la santé de celui-ci. A cet égard, on ne s’étonnera pas que la seule description de parcelles en mauvais état – dont il est rappelé qu’il appartient au preneur de les entretenir – ne suffise pas à établir un lien de causalité entre les supposés manquements du bailleur et le dommage invoqué. La responsabilité ne pouvait donc être engagée en l’absence de fait fautif et de lien de causalité. Reste que la Cour s’attache ensuite à examiner le rôle des propriétaires dans la survenance de la perte de l’animal, ce qui appelle des réflexions plus difficiles sur la pertinence du critère d’inéluctabilité de l’euthanasie pratiquée sur le poulain blessé.
    Sur le préjudice résultant de l’euthanasie du cheval. La Cour se fonde sur le rapport vétérinaire, lequel indique que le cheval présente une sévère inflammation des os du pied dont l'étiologie est inconnue, envisageant cependant une « probable » origine septique et/ou traumatique ; ajoutant que les lésions osseuses s’accompagnaient en l’espèce d’une sévère infection rendant « le pronostic sportif très réservé ». Il ajoute que « les propriétaires décident d'euthanasier le cheval ». Le juge relève alors que si le professionnel vise clairement une pathologie sévère dont l'origine est indéterminée, il ne conclut pas qu’est engagé le pronostic vital. A bien lire le rapport, on remarque en effet que le professionnel est réservé sur l'avenir sportif de l'animal, sans pour autant décrire une situation sanitaire justifiant l’euthanasie. Aussi, en l’absence d’un tel élément, le propriétaire de l’animal ne serait pas fondé, selon la Cour, à se prévaloir de la perte subie. On pourrait discuter des raisons de cette analyse juridique, au prisme des pratiques professionnelles vétérinaires. On fera d’abord remarquer que, conformément aux normes déontologiques de la profession, la décision d’euthanasier ne revient pas au vétérinaire qui pratique l’acte mais au propriétaire de l’animal pris en charge, dans une logique comparable à celle qui ordonne qu’un médecin ne peut se substituer à son patient pour décider des actes, lesquels doivent demeurer librement consentis. Il était donc difficile de tirer un quelconque argument de ce que la décision d’euthanasier a été prise par le propriétaire. C’est bien la justification qui est au cœur de la question posée. Or, la participation du vétérinaire à une euthanasie est ici, sans le dire explicitement, comprise comme un acte de convenance : c’est ce que l’on peut inférer du recours au critère de l’inéluctabilité (non reconnue en l’espèce). Ce raisonnement pose des questions éthiques et juridiques difficiles car le seul fait que le pronostic vital de l’animal ne soit pas engagé ne suffit pas à exclure le recours justifié à l’euthanasie. En effet, l’Ordre National des Vétérinaires définit l’euthanasie comme « un acte médical vétérinaire à visée humanitaire destiné à abréger la vie d’un animal présentant une pathologie physique ou mentale à l’origine de souffrances pour lui-même ou son entourage ». Pour sa part, le règlement européen n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort définit la mise à mort d’urgence de l’animal comme celle « d’animaux blessés ou atteints d’une maladie entrainant des douleurs ou souffrances intenses lorsqu’il n’existe pas d’autres possibilités pratiques d’atténuer ces douleurs ou souffrances ». Quant à lui, le Code rural prévoit que le vétérinaire « s'efforce, dans les limites de ses possibilités, d'atténuer la souffrance de l'animal et de recueillir l'accord du demandeur sur des soins appropriés. En l'absence d'un tel accord ou lorsqu'il ne peut répondre à cette demande, il informe le demandeur des possibilités alternatives de prise en charge par un autre vétérinaire, ou de décision à prendre dans l'intérêt de l'animal, notamment pour éviter des souffrances injustifiées » (art. R. 242-48). Toutefois, il reste muet sur la définition de l’euthanasie, malgré les recommandations du Comité d’éthique d’intégrer une article prévoyant que celle-ci consiste en un « acte vétérinaire consistant à provoquer la mort d’un animal avec un minimum de souffrance ou de détresse, qui est pratiqué lorsque le vétérinaire estime qu’il est justifié au vu des circonstances médicales, réglementaires, humanitaires, économiques, sanitaires ou environnementales » et que cet acte ne peut être envisagé qu’après avoir épuisé en conscience la recherche de solutions alternatives25. Le Comité présente le cas des animaux d’élevage et des chevaux de course comme celui d’euthanasies problématiques, du fait qu’il s’agit d’animaux « acquis ou obtenus à des fins économiques mais qui ne peuvent apporter aucun bénéfice économique à leur propriétaire (animaux surnuméraires, chevaux qui ne peuvent plus concourir…) et dont le maintien dans des conditions de vie adéquates représente une charge financière parfois difficilement supportable ».
    Aussi, à la lumière de ces quelques éléments, on peut voir que le choix d’euthanasier l’animal, dont on rappelle qu’il revient au propriétaire et non au vétérinaire, ne peut se réduire à la seule question du pronostic vital. Elle est au croisement d’une évaluation utilitariste qui doit permettre la pesée de différents enjeux au cœur desquels se trouvent l’espoir pour l’animal d’une survie qualitative, ce qui dépend autant des chances de soins adaptés susceptibles d’être pris en charge par le propriétaire, que de la perspective de conditions de vie sans contraintes ou souffrances excessives – telles que celles imposées par les séquelles causant un lourd handicap, par exemple. Ces considérations montrent que le critère de l’inéluctabilité corrélée au pronostic vital n’est pas pertinent : l’absence d’engagement de pronostic vital ne fait pas théoriquement obstacle à l’existence d’un préjudice moral pour le propriétaire qui serait contraint d’opérer un arbitrage éthique tenant compte de l’intérêt de son animal à survivre dans des conditions satisfaisantes et de ses propres moyens (particulièrement matériels et financiers) à supporter de telles conditions. Le préjudice pourrait être en revanche contesté lorsque, suivant une appréciation in concreto, une euthanasie a été décidée pour des motifs incompatibles avec les préoccupations d’un propriétaire attaché au bien-être de son animal. En l’espèce, même si la reconnaissance du dommage n’aurait pas permis d’établir pour autant la responsabilité recherchée, on peut regretter que la décision ne se soit pas attachée à apprécier plus finement la caractérisation du préjudice moral résultant d’une euthanasie.

    D. Référé : les espoirs déçus de l’éleveur bio soucieux de récupérer ses animaux cédés alors qu’il était hospitalisé (Caen, 1e civ., 28 novembre 2023, RG n° 23/00781)

    Mots-clefs : Référé – abattage des animaux cédés – urgence (non) – dommage imminent (non)

    Faits : des animaux vendus en l’absence de leur éleveur. A l’ère où la situation agricole noue des drames humains et animaliers qui attirent de plus en plus l’attention du grand public, les faits de cette espèce pourraient tristement faire l’objet d’un western moderne ou d’un drame social adapté au cinéma. En l’espèce, s’est jouée la situation de Monsieur D., gérant d’une EARL élevant un cheptel bovin labellisé bio, au sein d’une exploitation éco-responsable et promotrice du « bien-être animal ». L’arrêt reste mystérieux sur le contexte juridico-administratif du litige, mais l’on apprend qu’en conséquence de diverses décisions administratives, Monsieur D. a tenté de mettre fin à ses jours, l’exposant à plusieurs périodes d’hospitalisation de juin à fin septembre 2022. L’exposé du litige rapporte que, lors de l’été 2022, durant une hospitalisation pour soins psychiatriques, le cheptel a été vendu – « à la demande de l’administration » – à une société spécialisée dans la vente de gros animaux vivants à viande (exploitation non dotée du label biologique). Plus précisément, motif pris de l’incapacité du gérant à assurer la prise en charge du cheptel, l’administration aurait convaincu son épouse (tiers à l’exploitation), de céder 199 bovins en l’absence de son mari26. Désireux de se voir restituer ses animaux et d’empêcher leur abattage, Monsieur D., en tant que représentant légal de l’EARL, entreprit plusieurs actions qui s’avèrent révéler la déceptivité de la procédure de référé. Pour sa part, le cessionnaire soutenait qu’une partie du bétail cédé avait été revendue à des éleveurs, une autre à des abattoirs ou partie à l'équarrissage, de sorte que plus rien ne restait entre ses mains.
    Procédure : stratégie du référé. En janvier 2023, sur le fondement des articles 834 et 835 du Code de procédure civile, l’éleveur assigna la société acheteuse devant le juge des référés coutançais, aux fins d’obtenir l’interdiction de la revente et de l’abattage des animaux issus de son exploitation. Il agit également au fond, en février, en vue d’obtenir l’annulation de la vente de juillet 2022 pour cause de trouble mental du vendeur au moment de la vente. L'ordonnance du juge des référés du Tribunal judiciaire de Coutances du 23 mars le débouta de l’ensemble de ses demandes, ce qui le conduit à interjeter appel devant la juridiction de Caen. Le juge caennais confirma en toutes ses dispositions l’ordonnance déférée. Pour rappel, en vertu de l'article 834 du Code de procédure civile, le président du Tribunal judiciaire peut, dans tous les cas d'urgence, ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend. Quant à lui, l’article 835 dispose dans son alinéa 1er que le président du Tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Il prévoit ensuite, dans son second alinéa, que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. La stratégie procédurale s’est montrée infructueuse, chacun des critères permettant de faire utilement aboutir l’action en référé ayant été balayé.
    Sur le cas d’urgence. L’urgence est une condition d’exercice de ses pouvoirs par le juge des référés, étant précisé que le caractère de l’urgence est un élément de fait souverainement apprécié par le juge au jour où il statue, et cela de façon plus ou moins objective27. Le critère de l’urgence a fait l’objet d’une appréciation pour le moins expéditive, dès l’ordonnance attaquée qui était elle-même ainsi qualifiable. Adoptant le point de vue du président du Tribunal judiciaire, la Cour d’appel a estimé que l’article 834 n’est pas applicable au cas d’espèce, au motif que « la vente des animaux ayant eu lieu le 8 juillet 2022, et l'assignation devant le juge des référés étant en date du 13 janvier 2023, l'urgence ne peut être considérée comme caractérisée ». On peine à entrevoir de façon évidente la corrélation entre la date de la vente et la condition d’urgence, dès lors que l’action en référé a pour but d’empêcher le transfert et l’abattage des bovins pour l’avenir28. Or, en apparence du moins, tant le transfert que l’abattage constituent des événements susceptibles de survenir postérieurement à l’acte de vente dont la date n’est pas, à elle seule, déterminante. Aussi, le juge de l’urgence aurait-il dû s’attacher à examiner si la perspective de réalisation de ces événements appelait des mesures urgentes au jour où il a statué, à savoir en mars 2023. Le premier juge s’était contenté de dire que les animaux, au vu du temps écoulé (8 mois), avaient été « manifestement » revendus ou déjà abattus, sans que l’affirmation ne soit fondée sur autre chose qu’une référence, imprécise, aux usages.
    Ces éléments ne permettent pas d’évincer l’urgence, dès lors que le juge n’examine pas sérieusement s’il est possible de remédier de façon conservatoire à la situation des éventuels animaux qui seraient restés entre les mains du cessionnaire, et cela pour éviter la survenance d’un dommage irréparable. Ainsi dit, le temps écoulé, à la lumière de l’espérance de vie de bovins en exploitation, était au contraire de nature à renforcer l’urgence. On pourrait ajouter, au surplus, que l’éleveur, ayant été empêché d’agir plus tôt, en raison de sa détresse psychique et de son état de santé au moment de la vente de ses vaches, devait précisément solliciter des mesures urgentes. Aussi, les arguments de faits relatifs à l’urgence se mêlaient-ils au critère du dommage imminent, balayé lui aussi.
    Sur le dommage imminent. La juridiction estime qu’en l’espèce le dommage imminent n’est pas démontré, excluant ainsi son intervention au titre de l’alinéa 1er de l’article 835 du Code de procédure civile. Elle mêle l’examen de ce critère avec celui relatif au champ de ses compétences.
    D’une part, pour juger l’absence de dommage imminent, elle relève que l’appelant pourra, en cas d’annulation de la vente, obtenir une restitution par équivalent. Outre qu’elle semble ici confondre le caractère irréparable du dommage (ce qui relèverait alors de l’appréciation de l’urgence) et son caractère imminent (qui impose d’apprécier si l’atteinte à l’origine du préjudice n’est pas encore réalisée mais se produira sûrement si aucune mesure n’est prise immédiatement29), c’est là une conception pour le moins déconcertante de ce que constitue le « dommage » aux yeux de la Cour. En effet, les animaux sont regardés uniquement par le prisme de leur dimension patrimoniale, sans considération prise pour leurs conditions de vie ni pour le lien spécifique que l’éleveur peut entretenir avec eux. Sans spéculer sur les mobiles intimes de Monsieur D., on peut inférer de la stratégie procédurale déployée que ce n’est pas le préjudice patrimonial résultant de la perte des vaches qui préoccupe l’éleveur, mais bel et bien l’atteinte qui pourrait être portée à des animaux qu’il a élevés et souhaite récupérer vivants. Le « dommage » se loge donc dans la perte des individus animaux, laquelle est irréversible, et non dans le résultat patrimonial de cette atteinte qui pourrait être compensée ultérieurement. Cette thèse est d’autant plus soutenable que, en l’espèce, les animaux ont fait l’objet d’une vente, ce qui suppose un transfert à titre onéreux. En ce sens, le vendeur est censé avoir perçu une contrepartie économique. Partant, en cas d’annulation de la vente postérieure à l’abattage des animaux, il ne pourrait recevoir une compensation financière – puisque la vente a déjà opéré un échange de prestations – mais auraient éventuellement droit, en restituant le prix perçu, à restitution d’autres vaches – jugées équivalentes – qui ne sont pas celles qu’il a élevées. Cependant : quoi de plus normal – pourrait-on dire ? Les vaches « produites » par des éleveurs ne sont-elles pas fongibles ? Leur sort n’est-il pas toujours le même ? Leur destination n’étant pas celle d’un animal de compagnie, ne sont-elles pas toutes de même nature ? Le dire trop rapidement reviendrait sans doute à entretenir des a priori sur le rapport que peuvent entretenir les agriculteurs avec leurs animaux30. En l’occurrence, l’animal élevé par un éleveur que l’on pourrait qualifier d’« engagé », en raison de sa démarche éco-responsable et de son cahier des charges biologique, pourrait au contraire justifier qu’il ne considère pas ses animaux comme fongibles, d’une part, et qu’il refuse, d’autre part, que les conditions de leur vie ou mort soient incompatibles avec un certain niveau éthique. Ainsi comprise, l’action de l’éleveur pousserait à considérer que le « dommage » – dont on insiste sur le fait qu’il doit être distingué du préjudice – n’est pas réparable et qu’il est imminent dans la mesure où le maintien des animaux entre les mains de l’acquéreur les expose à la revente ou à l’abattage.
    D’autre part, la Cour caennaise juge qu’elle ne peut prononcer l’interdiction de vendre ou d’abattre les « bêtes acquises » dans la mesure où l’appelant, à qui cette preuve incombe nous dit-on, doit établir que l’intimée est toujours en possession de certains animaux. Cette charge probatoire peut paraître sévère : le cédant qui a prouvé que le cessionnaire a acquis les animaux, ne prouve-t-il pas que les animaux sont en la possession de celui qui les a acquis, à charge pour ce dernier de démontrer le contraire ? Exiger la preuve qu’un acquéreur est toujours en possession de la chose vendue, c’est demander beaucoup au vendeur, nous semble-t-il. C’est toutefois de cette absence de preuve qu’est tiré le refus de retenir l’existence d’un dommage imminent, celui-ci ne pouvant être caractérisé si le vendeur n’a plus les animaux ni justifier le prononcé de mesures conservatoires. Bien que ce point ne soit pas discuté en appel, il faudrait encore s’émouvoir de ce que le juge coutançais a rejeté la mesure d’instruction sollicitée par le demandeur (une production d’un inventaire des bovins) au motif que « la demande additionnelle soutenue à l'audience visant à voir produire l'inventaire des bêtes vendues, et ainsi à suppléer une éventuelle carence de l'EARL COLISCOWBIO dans l'administration de la preuve en vue d'une instance au fond ». Premièrement, si l’article 146 du Code de procédure civile exclut le recours aux mesures d’instruction pour suppléer la carence d’une partie, il ne s’applique pas en principe aux mesures d’instruction in futurum31. Aussi, la demande ne pouvait pas être écartée de ce chef. Deuxièmement, la seule perspective d’une instance au fond est utilisée par le magistrat coutançais pour rejeter la demande, alors qu’aucune instance au fond n’était introduite au jour où il statuait (!). L’action au fond n’était donc que potentielle, et cet argument ne devrait pas peser sur l’opportunité de la mesure dans le cadre du référé.
    Sur l’absence de contestation sérieuse. La Cour exclut le pouvoir du juge des référés fondé sur l’alinéa 2 de l’article 835 du Code de procédure civile, estimant que l'existence d'une procédure au fond démontre qu'il existe une contestation sérieuse. Il est vrai que Monsieur D. avait fait le choix d’assigner au fond en nullité de la vente, ce qui pouvait lui être opposé par le juge d’appel. Néanmoins, il aurait été en toute hypothèse difficile de faire application de cet alinéa, puisque l’action avait non pour but d’obtenir une provision ou l’exécution d’une obligation, mais de faire ordonner une mesure conservatoire susceptible d’éviter la réalisation d’un dommage imminent, ce qui est réservé au champ plus opportun en l’espèce de l’alinéa premier de l’article 835, lequel est indifférent à l’existence d’une contestation sérieuse.
    Finalement, sous réserve des éléments de fait susceptibles de nous échapper, on peut regretter que le pouvoir d’appréciation souveraine de l’urgence et du dommage imminent n’ait pas permis l’obtention des mesures conservatoires sollicitées, celles-ci étant le premier recours utile d’un éleveur séparé de ses animaux durant une période où il n’était pas en mesure d’assurer le suivi de son cheptel. Les faits de l’espèce décrivent à ce titre des circonstances particulièrement sensibles, sans doute symptomatiques d’une crise sociale et humaine traversée par le milieu agricole. De façon plus générale et périphérique, la décision examinée draine des questions délicates relatives au sort des animaux des personnes hospitalisées pour troubles psychiatriques32, ainsi que sur les choix opérés en vue de la gestion d’un cheptel élevé conformément à un label biologique et dont la cession, sous l’effet d’une pression contextuelle qui resterait ici à clarifier, peut objectivement dégrader les conditions de vie et d’abattage. Elle charrie encore, de manière plus directe cette fois-ci, la difficile compréhension par le droit de la relation qui peut exister entre les personnes et les animaux dont la destination n’est pas celle de « compagnie ». Cette réception reste un impensé en comparaison de l’importante littérature consacrée au statut de l’animal de compagnie. En conclusion, on soulignera simplement qu’une autre perspective procédurale aurait peut-être permis une appréciation plus accueillante des circonstances de l’espèce. Monsieur D. désirant obtenir l’annulation de la vente litigieuse aurait effectivement pu envisager une assignation au fond à jour fixe, laquelle aurait permis d’inclure, dans un délai accéléré, la question de la restitution en nature des animaux dans la discussion relative à la nullité de la vente – même si, en l’espèce, la nullité pour insanité d’esprit du représentant d’une EARL peut apparaître comme un fondement périlleux. L’article 840 du Code de procédure civile prévoit que la partie qui sollicite l’autorisation d’assigner à jour fixe doit justifier des motifs de l’urgence, ce qui libère donc théoriquement des considérations liées à l’existence restrictive d’un dommage imminent et, potentiellement, de la charge probatoire relative à la possession des animaux ayant fait l’objet de la cession.

    II. L’animal dans la famille

    A. Séparation des concubins : preuve de la propriété et conditions de vie de l’animal (Paris, Pôle 4 chambre 10, 22 juin 2023, n° 21/00923)

    Mots-clefs : Concubinage – titre de propriété de l’animal (preuve) – indivision et partage – garde de l’animal – résidence de l’animal

    Faits et procédure. Après environ 7 ans de vie commune, un couple de concubins s’est séparé, sans se disputer le sort de leurs deux chats, Dizzy et Daïa, restés chez l’ex-concubine. Pendant plusieurs années, l’ex-concubin a pratiqué des visites à l’ancien domicile, et reçu régulièrement les animaux en sa nouvelle demeure. Toutefois, 5 années après la séparation, il sollicita, par l’intermédiaire de son conseil, l’organisation d’un partage de garde. Se heurtant à un refus, et après une tentative infructueuse d’accord amiable, il saisit le juge afin de faire constater qu’il serait propriétaire des animaux, de condamner Madame N. à les lui restituer, et, à titre subsidiaire, de constater que les conditions de vie des animaux à l’ancien domicile ne sont pas compatibles avec leurs besoins. Il demandait, en seconde intention, que soit reconnue l’indivision sur les animaux et prononcés en conséquence une garde alternée des chats, ou, à défaut, un partage en lui faisant attribuer un chat. En cours d’instance, Daïa décédait, privant d’objet les demandes formées à son sujet. Les demandes ont été rejetées par le Tribunal judiciaire, ainsi que par la Cour d’appel de Paris. Dans une approche principalement pratique, il est intéressant de revenir ici sur les détails des arguments et des faits ayant permis au juge parisien de statuer en faveur de l’ex-concubine.
    Sur la preuve de la propriété. En l’espèce, soutenant que son ex-compagne l’a dépossédé de ses chats, l’empêchant de les voir et de s’en occuper, l’appelant prétendait être le propriétaire des animaux, affirmant avoir : signé les attestations de cession, réglé une partie de leur prix, signé leur carte d’identification, enregistré les animaux auprès de la Traditional Cat Association, fait examiner les chats et réglé les frais vétérinaires, jouets et accessoires, organisé et réglé la castration du chat mâle et la stérilisation de la femelle, ayant toujours agi en faits comme le propriétaire des animaux. Toutefois, la Cour rappelle très classiquement le principe posé par l’article 2276 du Code civil, selon lequel en fait de meubles, possession vaut titre. Or, en l’espèce, l’intimée était restée, de bonne foi, en possession des animaux, de façon paisible et ininterrompue, les accueils des animaux au nouveau domicile de l’ex-concubin ayant été certes réguliers, mais ponctuels, ce qui ne permettait pas de constater des interruptions de la possession. Aussi, la présomption de propriété n’a-t-elle pas été renversée. En effet, la signature de l’attestation de cession par le concubin ne pouvait suffire à établir son titre de propriétaire, dès lors que ladite attestation ne mentionne que sa compagne. Concernant le paiement du prix, le juge écarte la production du relevé de compte, estimant que si celui-ci établit un débit au profit de la société venderesse, ceci ne permet pas d’établir ce qui en a été l’objet. Cette appréciation est corroborée par le fait que la carte d’identification de Dizzie mentionne seulement Madame en qualité de « Nouveau Propriétaire », le nom de Monsieur n’apparaissant finalement dans aucun document, pas même la carte I-Cad (société d’identification des carnivores domestiques). Cependant, apparaît une forme de contradiction dans le raisonnement judiciaire qui rappelle tout à la fois que, « en fait de meubles, possession vaut titre » et que « Madame [N] est en possession du chat Dizzy, avec Monsieur [I] depuis son acquisition », ce qui serait de nature à établir que les concubins ont été copropriétaires des animaux, les ayant possédés ensemble durant des années selon les propres constatations de la Cour. Aussi peut-on regretter que l’enseignement ici ne soit pas clair. Est-ce le principe de la possession qui devait prédominer ? Dans ce cas, les faits indiquaient une copropriété des concubins, rejetée par la Cour qui constatait pourtant la possession tant à l’égard de la concubine que du concubin. Sont-ce l’attestation de cession et autres documents relatifs à l’identification de l’animal qui devaient guider la preuve de la propriété de l’animal ? Ces éléments ont semblé justifier aux yeux du juge la propriété de Madame, perdant de vue le jeu de l’article 2276 du Code civil. Se fait ainsi sentir un besoin de clarification sur la hiérarchie opérée au sein des modes de preuve susceptibles de rattacher l’animal à son propriétaire ; d’autant que, pour rappel et comparaison, la jurisprudence a déjà précisé, dans une situation analogue, que la preuve de la propriété des animaux est libre, comme pour les autres biens, « les différents certificats d'identification ou d'immatriculation de l'animal ne sont pas déterminants en la matière et constituent simplement des éléments qui, corroborés par d'autres, peuvent emporter la conviction du juge sur la question de la propriété de l'animal »33.
    Sur les conditions de vie du chat. A titre subsidiaire et au soutien de sa demande, le demandeur espérait convaincre le juge d’ordonner une restitution en invoquant les articles 515-14 du Code civil et L. 214-1 du Code rural, alléguant qu’il était de l’intérêt du chat de lui être remis. Il versa pour cela des photographies de diverses aspects de l’ancien domicile du couple dans lequel est resté l’animal avec sa propriétaire. Il expose ainsi que, selon lui, les conditions d’existence au sein de l’appartement ne seraient pas compatibles avec les besoins de l’animal. On notera que la rhétorique déployée visait à montrer que le concubin aurait lui-même souffert de l’absence de lumière naturelle dans le domicile, du temps de la vie commune, au point que cela aurait joué un rôle dans la séparation. Ce faisant, il porte un argument relatif au bien-être des occupants humains et animaux de l’appartement. Toutefois, c’est un manque de cohérence entre les demandes qui ruine l’argumentation présentée. Outre le fait qu’il était auto-incriminant d’alléguer l’inconfort de l’appartement dans lequel le concubin avait lui-même accueilli et gardé les chats pendant des années, il était manifestement contradictoire de prétendre, dans une première demande, que c’est au titre de l’intérêt des animaux qu’il réclame la restitution, puis, dans des demandes subsidiaires, de solliciter le partage au titre de l’indivision ou une garde alternée. Cette stratégie argumentative révélait le caractère artificiel de l’argument fondé sur les articles 515-14 du Code civil et L. 214-1 du Code rural, lequel ne visait – apparemment – qu’à satisfaire l’intérêt personnel du concubin désireux de récupérer les animaux pour lui-même et non dans leur intérêt. Le moyen tiré de la sensibilité et des besoins animaux n’a donc pas prospéré, ce qui s’avère perturbant car la Cour de cassation interdit en principe de tirer argument du subsidiaire pour juger du bien-fondé du principal34. A ce titre, la demande subsidiaire ne pouvait constituer un aveu selon lequel le concubin ne croit pas en la thèse qu’il soutient principalement.
    Par ailleurs, il est édifiant d’observer que, alors qu’il exclut l’existence d’un titre de propriété (puis d’une indivision), le juge s’attache tout de même à apprécier l’opportunité d’une garde exclusive de l’animal au profit de l’ex-concubin, sur le seul fondement de la sensibilité de l’animal et des obligations dont est redevable son propriétaire à ce titre35. En se limitant à l’intérêt exclusif du chat, il se prête ainsi à une analyse zoocentrée in concreto, basée sur les habitudes du chat (dont on soulignera l’âge avancé), mettant ainsi en avant le fait que l’animal est « habitué depuis son adoption à la vie citadine », mode de vie dont il n’est pas démontré qu’il est incompatible avec l’espèce siamoise. La question qui émerge alors en contre-plan est celle de savoir si, dans l’hypothèse où les conditions de vie de l’animal chez l’ex-concubine – propriétaire – avaient été jugées contraires aux besoins du spécimen, le juge aurait ordonné qu’une garde exclusive soit octroyée au profit de l’ex-concubin. Tel semble être le potentiel qui se cache dans ce modus cogitandi, la Cour laissant poindre une virtualité favorable à l’intérêt de l’animal mais aussi, par ce truchement, aux droits d’un ex-partenaire désireux de garantir un meilleur avenir à l’animal au moment de la séparation. Ce serait aussi envisager, de façon bien plus audacieuse, que la sensibilité de l’animal est susceptible de supplanter sa nature patrimoniale, transformant le contentieux patrimonial de la famille en contentieux extrapatrimonial dont la préoccupation est le sort des membres animaux de la famille et non le partage des biens.
    La question semblait plus ouverte concernant l’argument tenant aux absences répétées de la propriétaire, en raison de sa carrière de musicienne. Les déplacements laissant le chat seul dans l’appartement sont-ils constitutifs d’une atteinte aux besoins du spécimen ? La Cour répond par la négative sur le principe. Il appartient au demandeur de prouver que ces déplacements sont de nature à nuire à l’animal, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque plusieurs attestations permettaient d’établir que des proches s’occupaient du chat en l’absence de sa maîtresse, sans que soit démontrée que cela altère son bien-être.
    Sur l’indivision et le partage. Enfin, le demandeur a tenté de faire reconnaître l’indivision, laquelle serait révélée par le partage des frais relatifs aux animaux durant les années de vie commune. Cependant, le défaut de preuve de titre de propriété à son profit ne peut être rattrapé par l’argument du partage des frais, lequel n’est pas nécessairement l’indice d’une indivision. Selon la Cour, la ventilation des frais démontre le partage de « la garde » de l’animal, les frais étant seulement liés à cette garde. Sur ce point, on peut se demander avec perplexité quelle distinction le juge entend opérer entre les frais qui seraient purement liés à la garde d’un animal familial, et ceux liés aux prérogatives et devoirs d’un propriétaire à qui il appartient. Tout au plus aurait-on compris que, bien qu’ils n’y soient pas obligés, les concubins aient ensemble participé aux frais de leur vie commune, incluant en cela les dépenses liées au domicile et aux animaux domestiques, et que la participation du concubin à ces frais ne le rend pas propriétaire des animaux évoluant dans la sphère de cette vie commune. Au surplus, ne constitue pas une reconnaissance de propriété indivise le fait pour l’ex-concubine de s’être adressée à son ancien compagnon, dans un courriel postérieur à la rupture, en visant « tes enfants » ou « nos chats » pour évoquer les animaux. Ce langage est effectivement « spontané » comme le relève la Cour, ce dont on peut déduire qu’il appartient au registre affectif et ne révèle pas la conception technique que se fait la concubine des rapports patrimoniaux du couple aux animaux litigieux.
    Concernant les effets d’une éventuelle reconnaissance de l’indivision, le demandeur envisageait alternativement l’attribution d’un chat sur deux – ce qui n’avait plus de sens compte tenu de la perte de Daïa, sauf à rendre un jugement salomonide36 – ou la garde alternée. On peut douter de ce que la provocation d’un partage puisse mener à une garde alternée, laquelle ressemble davantage à une modalité de mise en œuvre d’un droit de jouissance partagée. C’est plus logiquement une licitation qui se serait imposée. Pourtant, tel n’est pas ce qui préoccupait la discussion technique au cœur du litige : le juge parisien estime que Monsieur ne peut fonder sa demande de garde partagée du chat Dizzy au titre du partage provoqué d’une indivision qui n’existe pas, mais il ajoute encore que l’intéressé ne démontre pas non plus qu’il soit de l’intérêt du chat de voir sa « résidence fixée » alternativement chez l’une et l’autre des parties, une telle alternance ayant pour effet de « perturber le rythme du chat ». Il est difficile de ne pas voir transparaître ici encore l’extraction de la question de l’attribution de l’animal des enjeux patrimoniaux car, finalement, parfaitement en dehors de toute considération liée à l’indivision, c’est bel et bien la question de « la fixation de la résidence du chat », dans son intérêt exclusif, qui est discuté. Or, par contraste, il est tentant d’en déduire à nouveau que, si l’intérêt du chat l’avait commandé, le juge aurait pu « fixer la résidence » du chat chez l’ex-concubin qui n’en est pas le propriétaire, pas même indivis. Les mots employés témoignent d’ailleurs d’une purge idéologique manifeste, dès lors qu’il n’est pas juridiquement possible de traiter de « la résidence » d’un bien revendiqué. Ici aussi, émerge l’extra-patrimonialisation de ce contentieux : l’article 515-14 du Code civil redessinerait-il discrètement mais sûrement les chemins mentaux des juges dans le traitement civil de l’animal ?

    B. La preuve de la cession de poulains en dépôt chez l’ex-compagnon peut-elle résulter d’un simple commencement de preuve par écrit ? (Civ. 1ère, 5 juillet 2023, pourvoi n° 22-18.750)

    Mots-clefs : Dépôt – propriété de l’animal (mode de preuve)

    Faits. En l’espèce, la séparation d’un couple ayant vécu maritalement durant 21 ans a posé la question de la restitution à son ex-compagne de chevaux conservés par l’ex-compagnon. C’est ainsi que Madame I. a assigné Monsieur Y. aux fins de le voir condamner à lui restituer sous astreinte une jument et quatre poulains, et d'être indemnisée au titre d'un préjudice moral et d'une perte d'exploitation de ses chevaux. Le Tribunal judiciaire d’Argentan a rejeté ses demandes et l’a condamnée à payer à Monsieur Y. la somme de 3.648 euros au titre des frais de conservation des animaux de Madame I., estimant que ces derniers faisaient l’objet d’un dépôt nécessaire entre les mains de l’ex-compagnon au sens des articles 1949 et suivants du Code civil. L’ex-compagnon exerçait donc son droit de rétention de dépositaire, dans l’attente que lui soient remboursés les frais relatifs à la conservation des chevaux. La Cour d’appel de Caen a déclaré irrecevables toutes les demandes de l’appelante, laquelle a obtenu, sur pourvoi en cassation, l’annulation partielle de la décision attaquée. La Cour d’appel de renvoi ayant jugé que trois poulains dont la restitution étaient réclamés n’appartenaient plus à Madame I. mais à son ex-compagnon, la demanderesse s’est à nouveau pourvue en cassation. C’est sur ce point que l’attention sera portée, le reste des moyens au pourvoi ne présentant pas d’intérêt particulier.
    Difficultés. La question était ici de déterminer si l’ex-compagne était restée propriétaire des poulains nés de sa jument au moment où celle-ci était en dépôt chez Monsieur Y. En l’occurrence, elle avait l’avantage car son titre de propriété était présumé, en application de l'article 4 du décret 2001-913 du 5 octobre 2001, devenu l’article D. 212-49 du Code rural et de la pêche maritime, prévoyant qu'est qualifié de naisseur, sauf convention contraire, le propriétaire de la poulinière qui met bas, et que, sauf convention contraire déposée au fichier central, le naisseur est enregistré comme propriétaire du poulain à la naissance. De plus, l'article 547 du Code civil dispose que le croît des animaux appartient au propriétaire par voie d'accession. Aussi, l’existence d’un dépôt, dépourvu de dérogation à la loi, ne pouvait faire obstacle à l’application de ces textes et donc à la voie de l’accession. Pour sa part, Monsieur Y., le dépositaire, entendait démontrer l'existence d'une convention opérant transfert de propriété, conformément aux articles 1341 et 1347 du Code civil, devenus 1359 et 1362. Or, il ne versait pour prouver la convention aucun acte sous seing privé. Toutefois, la Cour d’appel a relevé, exerçant souverainement son pouvoir d’appréciation, que dans les courriers échangés avec son ex-compagnon, Madame I. n’a jamais demandé la restitution des poulains, mais seulement de ses juments. Ces courriers, en l’absence de convention écrite, ont constitué un commencement de preuve par écrit ayant permis au juge rouennais de retenir souverainement l’existence du transfert de propriété. Le moyen de cassation présenté par la demanderesse consistait pour sa part à soutenir que le silence d’un écrit ne peut constituer un commencement de preuve par écrit. Cependant, il n’était pas possible pour la Cour de cassation de contrôler l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond, ce qui empêchait ce moyen de prospérer. Dans une approche pratique et casuistique, on peut néanmoins revenir sur l’appréciation du juge d’appel en elle-même. En effet, s’il fallait, par réduction, synthétiser le raisonnement de la Cour d’appel, on retiendrait ici que le droit légal d’une propriétaire de jument sur ses poulains peut être renversé par la preuve d’une cession, certes, mais que cette cession peut simplement être déduite de l’absence de demande de restitution des poulains avant le procès. De plus, la réalité d’une cession ne serait par ailleurs corroborée en l’espèce que par une attestation de la fille de Monsieur Y. Le renversement de la présomption semble pour le moins facile, dès lors que l’absence de demande des restitutions des poulains, sans autre élément tels qu’un paiement si la cession est à titre onéreux, ne traduit pas de façon univoque l’existence d’un acte de cession. La conclusion était donc fragile et épousait mal les contours de l’article 1362 du Code civil qui prévoit que constitue un commencement de preuve par écrit tout écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte ou de celui qu'il représente, rend vraisemblable ce qui est allégué. La vraisemblance paraît ici trop largement embrassée, dès lors que le silence relatif à la restitution des poulains pourrait tout aussi bien être dû à un projet de cession avorté, à un projet non abouti d’accord amiable entre les ex-compagnons, à la fixation d’un lieu de résidence du cheval au profit de la visite d’enfants du couple, à la poursuite du dépôt des animaux sur lesquels la demanderesse est en indivision (ce qui était le cas en l’espèce), ou encore à l’ignorance de la propriétaire – avant juridictionnalisation du litige – des droits que la loi lui reconnaît sur les petits nés de ses animaux. Aussi, les éléments de fait ayant servi au renversement du droit de propriété instauré par la loi pourraient paraître bien faibles, d’autant qu’à bien lire l’arrêt d’appel, la cession alléguée aurait été en l’espèce consentie… à titre gratuit !

    C. La fausse évidence du juge des référés : qui du beau-père ou du beau-fils est responsable des morsures du chien ? (Aix-en-Provence, 1e-2e ch., 14 décembre 2023, RG n° 22/15969)

    Mots-clefs : Référé-provision – responsabilité du propriétaire de l’animal – transfert de la garde

    Faits et procédure. En l’espèce, dans les parties communes d’un immeuble, un enfant de deux ans a été mordu par un chien de race Rottweiler. Au moment de la réalisation du dommage, le chien était tenu en laisse, sans muselière, par un homme qui n’en était pas le propriétaire. En effet, l’animal appartenait à son beau-fils. Ce dernier, en raison de la naissance de son enfant, avait confié l’animal à sa mère et à son beau-père, estimant que le chien (acheté trop jeune et non sevré) présentait des troubles du comportement et ne pouvait pas cohabiter en toute sécurité avec un bébé.
    Par ordonnance rendue en référé, le président du Tribunal judiciaire de Nice a condamné in solidum le propriétaire du chien ainsi que son assureur et son beau-père, à verser au représentant légal de la victime une provision de 7.000 euros à valoir à titre de provision sur l'indemnisation de son préjudice. Devant la Cour d’appel, le propriétaire du chien contestait sa responsabilité, estimant que seul le gardien de l’animal au moment des faits doit être tenu pour responsable, tandis que son beau-père arguait que la réalité d’un transfert de garde est une question de fond qui échappe au juge des référés.
    Les débiteurs de l’obligation de réparation. Le juge aixois confirme l’ordonnance en ce qu’elle a établi l’évidence de la responsabilité du propriétaire de l’animal. La confirmation n’est toutefois motivée que par l’irrecevabilité de l’appel incident du propriétaire, rendant impossible la réformation sur ce point de l’ordonnance attaquée. Il confirme également cette dernière concernant l’évidence d’un transfert de la garde du chien entre les mains du beau-père du propriétaire. C’est ainsi que tant le propriétaire que le gardien sont condamnés in solidum au paiement de la provision. Or, retenir un cumul des responsabilités, instaurant une sorte de solidarité spéciale des membres de la famille au titre du dommage causé par l’animal familial, c’est imposer un partage incompatible avec le sens de l’article 1243 du Code civil. Apparaît assurément un hiatus dans l’application de ce texte qui prévoit que « le propriétaire d'un animal, ou37 celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé ». En effet, si la responsabilité du propriétaire est posée, ce n’est qu’au titre de la présomption légale de garde de l’animal ayant causé le dommage. En cas de renversement de la présomption par la preuve d’un transfert de la garde, le propriétaire n’est plus responsable : c’est celui qui se sert de l’animal au moment du dommage qui doit en répondre. Il fallait choisir qui du beau-père ou du beau-fils était redevable de la provision. Le propriétaire du chien pourra en l’occurrence assurer cette défense au fond, le cumul des responsabilités n’ayant été retenu qu’au provisoire.

    • 1 Riom, 29 novembre 2023, RG n° 22/01292 (rappelant que le juge se réfère aux usages dans le domaine agricole concernant l’administration de la preuve de la cession d’animaux).
    • 2 Caen, 28 novembre 2023, RG n° 23/00580.
    • 3 Caen, 21 novembre 2023, RG n° 20/02572 (non).
    • 4 Civ. 2e, 9 novembre 2023, n° 22-11.570.
    • 5 Poitiers, 28 novembre 2023, RG n° 22/00316.
    • 6 Rennes, 17 octobre 2023, RG n° 20/05934.
    • 7 Aix-en-Provence, 14 décembre 2023, RG n° 23/00124.
    • 8 Rennes, 17 octobre 2023, RG n° 20/05934 : où le juge laisse au propriétaire le choix des mesures susceptibles de faire cesser le trouble (n’imposant donc pas un collier anti-aboiement) et relève l’inadaptation du chien (en l’occurrence un chien de garde de type berger) à la vie en zone pavillonnaire.
    • 9 Sur la justification possible de cette appréciation, cf. infra.
    • 10 Rappr. Civ. 1ère, 12 Septembre 2018, n° 16-29.064, cette revue 2018/2, p. 27, note F. MARCHADIER.
    • 11 Civ. 1e, 9 décembre 2015, n° 14-25.910. Cf. dans cette revue 2015/1, 55 note K. GARCIA ; 2015/2, p. 35 note F. MARCHADIER ; D. 2016, p. 360 note S. DESMOULIN-CANSELIER ; CCC 2016/2 comm. 53 obs. S. BERHNEIM-DESVAUX ; JCP G 2016 doctr. 173 ét. G. PAISANT.
    • 12 Sur l’indemnisation du handicap tout au long de la vie de l’animal : Chambéry, 5 janvier 2023, n° 21/00483, obs. F. MARCHADIER, RSDA, 1/2023, p. 29.
    • 13 Cf. not. F. MARCHADIER, « Le préjudice subi par l’animal », Les Cahiers Portalis, 2022/1 (n° 9), pp. 27-37 ; T. GOUJON-BETHAN et H. KASSOUL, « Pour un aggiornamento de la responsabilité civile : vers la reconnaissance d’un préjudice animal pur », RSDA 2/2022, pp. 527-582, n° 9. Sur l’occultation de l’animal de rente et de son traitement, E. BARATAY, Bêtes de somme. Des animaux au service des hommes, Points, Histoire, 2008, spéc. p. 109 et s. ; F. BURGAT, Les animaux d’élevage ont-ils droit au bien-être ?, Inra Editions, 2001 ; X. PERROT, « La construction de l’animal techno-économique. Genèse et faillite programmée du système d’élevage industriel », RSDA, 2014/2, pp. 287-310. Pour une vue générale sur le développement de la zootechnie, R. JUSSIAU et al., L’élevage en France. 10000 ans d’histoire, Educagri, 2000.
    • 14 « le lien d’affection n’étant pas présumé, même à l’égard d’un animal domestique, se pose la question de la preuve de la réalité de cette affection portée à l’animal », in T. GOUJON-BETHAN et H. KASSOUL, « Pour un aggiornamento de la responsabilité civile : vers la reconnaissance d’un préjudice animal pur », préc. Citant par exemple : CA Lyon, 6e ch., 6 décembre 2018, n° 17/05889. Rappr. Amiens, 8 septembre 1998, Gaz. Pal. 2002 n° 311 p. 7, refusant la réparation du dommage moral, « faute pour le propriétaire d’apporter la preuve d’un attachement affectif à l’égard de la pouliche ». Comp. Bourges, 1e Chambre, 7 juillet 2022, RG n° 21/00895 estimant que l’affection existe « nécessairement entre un maître et son animal de compagnie ». V. ég. sur cette question : F. MARCHADIER, « L’atteinte aux sentiments d’affection envers l’animal », cette revue 2009/2, p. 19 ; « L’animal de compagnie, l’animal véritablement aimé par le droit », cette revue 2010/2, p. 43 ; « Variations sur l’atteinte aux sentiments d’affection envers l’animal et sa réparation », cette revue 2011/1, p. 55 ; « L’indemnisation du préjudice d’affection : la banalisation d’une action… attitrée !? », cette revue 2011/2, p. 35 ; « Le dommage subi par l’animal et l’indemnisation du préjudice moral souffert par ses maîtres », cette revue 2017/2, p. 21 ; « Réparer le préjudice d’affection subi par le propriétaire de l’animal », cette revue 2022/2, p. 27.
    • 15 Civ. 1ère, 16 janvier 1962, Sirey 1962. 281 note C.-I. FOULON-PIGANIOL, Dalloz 1962. 199 note R. RODIERE, JCP 1962.II.12557 note P. ESMEIN, RTDC 1962. 316 obs. A. TUNC.
    • 16 Cf. M. LESSARD, « Comment calculer les dommages pour la perte d'un animal ? », in Revue de Sherbrooke, 2021, Janvier Repères 3203 ; citant les décisions suivantes : « Lavigne c. Brousseau-Masse (Chenil Moya), 2017 QCCQ 503, EYB 2017-277173, par. 71-73 ; Paquin c. Langlois, 2017 QCCQ 6052, par. 95 ; Marsan c. Vincent (Animalerie Anipro), 2017 QCCQ 14824, par. 80 ; Desrosiers c. Gaudreau, 2017 QCCQ 16681, para 86 ; Petsoulakis-Xenos c. Clinique vétérinaire Liesse inc, 2018 QCCQ 2286, par. 48 ; Lamoureux c. Vanieris, 2019 QCCQ 2866, par. 36 ; Walsh c. Dandurand, 2019 QCCS 1403, EYB 2019-310244, par. 110-113 ; Ste-Marie c. Grandmont, 2020 QCCQ 1796, par. 42-45 », mais également des auteurs de doctrine : M. LACROIX et G. GIDROL-MISTRAL, « L'animal : un nouveau centaure dans les curies de la responsabilité civile », 2018, 120:2 R. du N. 371, 385, pour qui « envisager l'animal en tant qu'être sensible se traduit, sur le plan du préjudice moral ou des pertes non pécuniaires du propriétaire, par une évaluation plus élevée des dommages-intérêts alloués ».
    • 17 Crim. 12 juin 2019, n° 18-84.504.
    • 18 Nous soulignons.
    • 19 CA Lyon, 20 avril 2009, n° 08/01427 ; CA Saint-Denis de la Réunion, chambre civile, 1er avril 2022, n° 21/00151 ; CA Grenoble, 1re ch., 12 avril 2022, n° 20/00795 : « aucune indemnité ne saurait être allouée à Mme Z au titre de la souffrance de l’animal, qui est, certes, un être vivant doué de sensibilité, mais qui n’est pas un sujet de droit » ; J.-P. MARGUENAUD, « Le cheval Saphir à la croisée des pistes juridiques », RSDA, 2018/1, p. 15.
    • 20 Pour une étude approfondie de cette question et des réponses opérationnelles envisageables de lege lata : cf. Th. GOUJON-BETHAN et H. KASSOUL, « Pour un aggiornamento de la responsabilité civile : vers la reconnaissance d’un préjudice animal pur », RSDA 2/2022, pp. 527-582. Comp. F. MARCHADIER, « Le préjudice subi par l’animal », Les Cahiers Portalis, 2022/1 (n° 9), pp. 27-37.
    • 21 Bordeaux, 8 février 2000, D. 2001. 804, note Ph. MALINVAUD.
    • 22 Civ. 1re, 14 mai 1991, no 89-20.999, P I ; GAJC, 12e éd., 2008, no 159 ; D. 1991. 449, note J. GHESTIN ; RTD civ. 1991. 526, obs. J. MESTRE ; RTD com. 1992. 227, obs. B. BOULOC.
    • 23 Civ. 3e, 5 mars 2020, n° 19-13.509.
    • 24 Cf. supra.
    • 25 Comité d’éthique Animal, Environnement, Santé, avis du 20 septembre 2020.
    • 26 L’autrice de ces lignes adresse ses plus vifs remerciements pour l’aide lui ayant permis de prendre connaissance de l’ordonnance déférée à la Cour d’appel ayant rendu la décision sous examen.
    • 27 N. FRICERO, Th. GOUJON-BETHAN et A. DANET, Procédure civile, LGDJ, 6e éd., 2023, n° 1489 et s.
    • 28 La lecture de l’ordonnance déférée nous apprend que le président du Tribunal judiciaire de Coutance avait vu dans la date de la cession une raison de croire que le sort des animaux était déjà scellé, rendant vaine une mesure conservatoire en vue d’une restitution jugée impossible. Il estima ainsi, sans référence à d’éventuelles pièces justificatives versées par le cessionnaire, que celui-ci avait « manifestement déjà disposé en tout ou partie desdits bovins, selon toute apparence et conformément à des pratiques courantes dans ce secteur d'activité au vu du temps écoulé ».
    • 29 N. FRICERO, Th. GOUJON-BETHAN et A. DANET, n° 1494.
    • 30 Pour rappel, le Tribunal d’instance de Vannes, dont les termes du jugement sont reproduits dans l’arrêt Delgado, avait estimé nécessaire de comparer la situation du chien de compagnie à celle d’une vache laitière en ces termes : « destiné à recevoir l’affection de son maître en retour de sa compagnie et n’ayant aucune vocation économique, comme une vache laitière en a une, il est d’autant plus impossible à remplacer, étant le réceptacle d’une affection unique ».
    • 31 Civ. 2e, 10 mars 2011, n° 10-11.732. Cf. sur ce point N. FRICERO, Th. GOUJON-BETHAN et A. DANET, op. cit., n° 1011.
    • 32 Signalons sur l’argument avancé (en vain) par la personne internée pour cause de maladie psychiatrique désireuse de solliciter sa sortie de l’établissement de soin pour pourvoir aux besoins de son chat dont la mise en pension est onéreuse : Versailles, 7 décembre 2023, RG n° 23/08033. Sur un cas similaire où la patiente souhaite sortir pour retrouver sa vie et pouvoir s’occuper de son chat : Toulouse, 3 novembre 2023, RG n° 23/00151.
    • 33 Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819 ; Bordeaux, 1e ch. civ., 2 mars 2023, n° 20/02157, obs. F. MARCHADIER, RSDA 1/2023, p. 27, faisant alors remarquer que le certificat ne forme par « une sorte d’état civil animalier » et « ne constitue qu’une présomption simple du droit de propriété, susceptible d'être renversée par des éléments factuels contraires, en particulier par une possession utile ». Comp. Nancy, Première Présidence, 6 octobre 2022, n° 22/01656.
    • 34 AP, 29 mai 2009, 07-20.913 : « Ne peuvent constituer un aveu de non-paiement de nature à faire échec à la demande principale tendant à l'application de la prescription de l'article 2273 du code civil, des conclusions par lesquelles une partie soutient, à titre subsidiaire, que la demande en paiement des dépens de son avoué est injustifiée ».
    • 35 La juridiction vise notamment la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie, signée par la France le 18 décembre 1996, publiée au JORF en application du décret n° 2004-416 du 11 mai 2004.
    • 36 A l’instar d’une décision, antérieure à la loi de simplification de 2015, ayant retenu l’indivision : Aix-en-Provence, ch. 11 A, 13 janvier 2012, n° 2012/31, RSDA 1/2012, p. 55 obs. F. MARCHADIER.
    • 37 Nous soulignons.
     

    RSDA 2-2023

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