Doctrine et débats

De la Déclaration universelle à la Déclaration européenne des droits de l’animal !

  • Jean-Pierre Marguénaud
    Agrégé de Droit privé et de Sciences criminelles
    Université de Montpellier
    Membre de l'Institut de Droit Européen des Droits de l'Homme (IDEDH)

 

1. Dans le numéro 1/2021 de la RSDA (page 15 et suivantes), avait été proposé un article intitulé « De la Déclaration universelle à la Déclaration européenne des droits de l'animal ? ».
2. Constatant le déficit d'effectivité dont souffre la Déclaration européenne des droits de l'animal, dont la première version date de 1978, par rapport à la Déclaration européenne des droits de l'Homme de 1948 qui a notamment bénéficié de déclinaisons régionales, ce texte s'était attaché à démontrer que, pour le réduire, il serait pertinent d'élaborer une Déclaration européenne des droits de l'animal qui servirait à dégager « une communauté de vue dans les sociétés modernes » sur la nécessité de protéger les animaux par des droits qui sont déjà dans l'antichambre de la Convention européenne des droits de l'homme et à donner à la Cour l'élan nécessaire pour qu'elle admette la recevabilité des requêtes introduites en leur nom et entraîner les juridictions du monde entier dans son sillage comme elle l'a déjà fait de manière parfois très spectaculaire (p. 26).
3. Or, moins de 4 ans plus tard, la Déclaration européenne des droits de l'animal, dite DEDA, dévoilée à la Mairie de Strasbourg le 29 janvier 2025, proclamée dans plusieurs villes françaises à partir du 17 février – à Toulouse, à Nice, à Brive, à Landernau, aux Pennes-Mirabeau, à Pau, à Toulon et ailleurs –, approuvée par la municipalité de Grenoble et quelques autres, est devenue une réalité. Le point d'interrogation qui se trouvait à la fin de l'article publié en 2021 peut donc être remplacé par un point d'exclamation en vue d'une présentation dans la RSDA où elle a fait ses premiers pas.
4. La DEDA ayant déjà eu un certain écho au-delà des limites hexagonales, cette présentation ne sera pas la première à laquelle se sera livré le soussigné puisqu'il en a déjà publié une, le 18 juin 2025, dans le n° 3/2025 de la revue DALPS dirigée par Marita Gimenèz Candela, mais pour la RSDA qui était déjà dans les coulisses, l'approche sera un peu différente. Au moins le sujet sera-t-il rigoureusement le même puisqu'il s'agit du texte de la Déclaration proclamée le 17 février 2025 qu'il faut immédiatement reproduire avant de le commenter, puis examiner comment s'est déroulée sa réception, et enfin tenter de dégager ses perspectives d'influence concrète et effective.

I. Texte de la Déclaration européenne des droits de l’animal du 17 février 2025

Déclaration européenne des droits de l’animal
Rédigée par un collectif de chercheurs en droit animalier coordonné par le professeur Jean-Pierre Marguénaud

Préambule

Considérant la continuité fondamentale entre toutes les formes de vie, de la plus simple à la plus complexe, leur différenciation étant le fruit d’une évolution graduelle et progressive ;
Rappelant que la sensibilité ainsi que les capacités cognitives donnent naissance à des intérêts qui sont au fondement même de droits inaliénables, lesquels sont d’ores et déjà reconnus et protégés au profit des êtres humains ;
Soulignant qu'une protection exigeante des intérêts de tous les êtres vivants, humains ou animaux non humains, est nécessaire encore qu'ils ne possèdent pas les mêmes aptitudes ni ne les possèdent au même degré ;
Considérant que la méconnaissance ou le mépris des intérêts des animaux et des droits qui en découlent ont conduit, d'une part, à banaliser tant les violences et les atrocités commises à leur encontre que leur exploitation abusive, d'autre part, à renforcer l'indifférence aux conséquences des bouleversements climatiques à leur égard et sur leurs relations réciproques avec la flore ;
Tenant compte des caractéristiques morales de l’espèce humaine, de la place qu’elle occupe dans ce monde et de la responsabilité qu’elle assume à l’égard du vivant ;
S'appuyant sur la conviction profonde que la condition des animaux peut et doit s'améliorer sans provoquer l'affaiblissement de la protection de l'intégrité de la personne humaine ;
Constatant le développement des normes protectrices des animaux au sein de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et dans les systèmes juridiques des États membres de ces organisations internationales ;
Affirmant la nécessité de consolider ce patrimoine européen d'idéaux et de valeurs, et de faire apparaître l’existence d’un consensus européen favorable à une augmentation régulière du niveau de protection des animaux ;
Il est proclamé ce qui suit :

Titre I – Les interdictions

Les actes de cruauté

Article 1

Nul animal ne peut être soumis ou exposé à un acte de cruauté.
L'acte de cruauté envers un animal se caractérise soit par le plaisir à le faire souffrir, soit par l'indifférence à l'extrême intensité des souffrances, des douleurs, ou des angoisses qui lui sont infligées.

Article 2

Est réputé acte de cruauté :
- tout délaissement volontaire d'un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité ;
- tout acte d'abattage qui n'a pas donné lieu à un étourdissement préalable à la saignée ;
- tout acte ayant pour objet d'ôter la vie, qui ne provoque pas la mort instantanée de l'animal ;
- toute souffrance volontairement infligée à un animal donné en spectacle pour le divertissement de l'homme ;
- tout refus de rechercher, de mettre au point ou d'appliquer des méthodes alternatives à la mise à mort des animaux envahissants, soupçonnés d'être atteints de maladies contagieuses ou utilisés à des fins expérimentales.

Les mauvais traitements

Article 3

Nul animal totalement ou partiellement privé de liberté naturelle ne peut être placé dans des conditions incompatibles avec les impératifs biologiques et comportementaux de son espèce, plus particulièrement du point de vue de l'hygiène, de la santé, de l'alimentation, de l'abreuvement, de l'hébergement, du mouvement et des besoins sociaux.
Le placement et le maintien d'un animal dans des conditions incompatibles avec les impératifs biologiques et comportementaux de son espèce constituent des actes de maltraitance.

Article 4

Tout animal que l'homme a choisi pour compagnon, qui a travaillé à son profit, qui a servi à l'approfondissement de ses connaissances ou au renforcement de sa sécurité, doit avoir une durée de vie conforme à sa longévité naturelle dans les conditions nécessaires à son bien-être.

Article 5

Le lien affectif établi entre un être humain et un animal doit pouvoir être maintenu dans l'intérêt de celui-ci dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques et comportementaux de son espèce.

L’insensibilisation

Article 6

Toutes recherches et expériences scientifiques ayant pour objet ou effet de rendre des animaux définitivement insensibles sont interdites.

Titre II – La préservation

Article 7

Nul animal ne peut être retiré du milieu naturel dans lequel il vit à d'autres fins que de lui prodiguer des soins ou de le transférer dans un sanctuaire, une réserve ou tout autre lieu aménagé en vue de favoriser sa survie et celle de l'espèce à laquelle il appartient.

Article 8

Les animaux sauvages doivent pouvoir développer librement leurs cycles, processus et interactions biologiques tant entre populations qu'entre individus les composant.
Ils doivent pouvoir bénéficier des connectivités écologiques nécessaires à leurs déplacements.
Ils doivent pouvoir vivre dans un environnement naturel équilibré, non pollué et non contaminé par les activités humaines.

Article 9

Les États ont l’obligation d’empêcher l’extinction des espèces animales vivant à l’état de liberté naturelle.
La réparation en nature doit être prioritaire en cas d’atteinte à une espèce sauvage et de perte de richesse biologique qui en résulte.

Titre III – La condition juridique

Article 10

La protection juridique de l'animal doit être non seulement répressive et administrative mais également civile et constitutionnelle.
L'animal doit être représenté en justice pour lui-même.

Article 11

La reconnaissance d'une personnalité juridique dotée de droits différenciés propres aux animaux qui en seront progressivement revêtus doit être regardée comme un moyen privilégié d'atteindre les objectifs affirmés dans la présente Déclaration.
Cette personnalité juridique sui generis ne saurait avoir pour effet d'imposer aux animaux des obligations ou des devoirs en contrepartie des droits qui leurs seraient reconnus.

Article 12

Les animaux sauvages vivant à l'état de liberté naturelle, en tant qu'éléments de la nature ou en qualité d'espèces totémiques, peuvent se voir reconnaître une personnalité juridique dotée de droits qui leur sont propres.

Article 13

Il est souhaitable que la prise en charge de la protection juridique des animaux soit assurée par une autorité administrative indépendante dénommée Défenseur des Animaux.

Titre IV – L’éducation

Article 14

Le respect des animaux doit être inculqué aux enfants dès le plus jeune âge et figurer de manière significative dans tous les programmes de l'école à l'Université.
Des modules de formation à la sensibilité animale et aux besoins spécifiques des espèces concernées doivent être dispensés dans toutes les formations scolaires, universitaires et professionnelles qui destinent les personnes à travailler directement ou indirectement avec des animaux.

Les auteurs :

Jacques Leroy
Professeur agrégé de Droit privé et de sciences criminelles, professeur émérite de l'Université d'Orléans, Doyen honoraire de la Faculté de Droit, d’Économie et de Gestion d'Orléans.
Jean-Pierre Marguénaud
Professeur agrégé de Droit privé et de sciences criminelles, chercheur à l'Université de Montpellier
Séverine Nadaud
Maître de conférences HDR en Droit public à l'Université de Limoges, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences économiques de Limoges.
Muriel Falaise
Maître de Conférences en Droit privé et sciences criminelles à l'Université Lyon III
Olivier Le Bot
Professeur agrégé de Droit public à l'Université d'Aix-Marseille.
Fabien Marchadier
Professeur agrégé de Droit privé et de sciences criminelles à l'Université de Poitiers.
François-Xavier Roux-Demare
Maître de conférences en Droit privé et sciences criminelles à l'Université de Brest, Doyen honoraire de la Faculté de Droit, Économie, Gestion et AES de Brest
Claire Vial
Professeur agrégé de Droit public à l'Université de Montpellier.
Jérôme Leborne
Maître de Conférences en Droit privé et sciences criminelles à l'Université de Toulon

Le processus d’élaboration :

Rédigée par Jacques Leroy, Jean-Pierre Marguénaud et Séverine Nadaud le 17 août 2022 ; enrichie le 19 novembre 2022 des observations de Muriel Falaise, Olivier Le Bot, François-Xavier Roux-Demare, Claire Vial et Fabien Marchadier, lequel l'a équipée le 19 mai 2023 d'un préambule précisé le 14 septembre 2023 en fonction des remarques des susdits.
Retravaillée le 30 septembre 2023 par Jean-Pierre Marguénaud en fonction des observations largement convergentes d'une philosophe et d'un historien du droit anthropologue.
Relue et réajustée par Jean-Pierre Marguénaud et Jérôme Leborne le 10 octobre 2024.
Allégée le 21 octobre 2024 par Jacques Leroy et Jean-Pierre Marguénaud après les réactions aux objections de Muriel Falaise et d'Olivier Le Bot relatives à l'articulation des protections des animaux et des êtres humains.

Novembre 2024

II. Commentaire de la Déclaration européenne des droits de l’animal du 17 février 2025

5. Rédigée par 9 universitaires français, 3 femmes et 6 hommes, majoritairement quadragénaires, entourés par un trentenaire et deux septuagénaires, qui ont fortement contribué à faire émerger le droit animalier dans les Facultés de droit du pays de René Descartes, la DEDA s'inscrit exactement dans la ligne indiquée dans le texte publié dans la RSDA en 2021. Ce n'est pas, en effet, une lettre au Père Noël, sommé d'entasser dans sa hotte tous les droits des animaux les plus raffinés que les militants les plus sincères de la cause animale aimeraient trouver dans leurs petits souliers : elle s'en tient à rassembler les données à partir desquels pourrait se dégager « une communauté de vues dans les sociétés modernes » en considération de laquelle la Cour européenne des droits de l'homme et les juridictions ou les institutions qui sont dans son sillage, pourraient accorder plus de poids à l'intérêt des animaux et à l'intérêt de celles et ceux qui les protègent. Elle a donc délaissé, autant que faire se pouvait, le mode incantatoire, pour suivre toujours au plus près possible son fil rouge qui est la quête de l'effectivité.
6. Il faut d'ailleurs souligner que, sur les 14 articles auxquels il a été convenu de s'en tenir, plus du tiers visent exclusivement à promouvoir et préciser les moyens de rendre la protection des animaux plus concrète et effective : en mobilisant le droit civil et le droit constitutionnel à côté du droit pénal et du droit administratif (article 10) ; en préconisant prudemment mais clairement une certaine forme de personnalité juridique (articles 11 et 12) ; en insistant sur l'importance de l'éducation (article 14) et en reprenant l'idée chère à Robert Badinter d'instituer un Défenseur des animaux (article 13).
7. Au risque de se heurter, provisoirement, à la perplexité de certains défenseurs des animaux et de les obliger à s'approprier des mécanismes juridiques qu'ils n'ont pas en tête, la DEDA assume de se situer au confluent des droits de l'animal et du droit européen des droits de l'homme. Avec quelques mois de recul, on peut d'ailleurs vérifier qu'elle correspond exactement aux vues d'une éminente personnalité qui apparaît comme un phare dressé à ce point de convergence : Jean-Paul Costa. Connaisseur sans égal du droit européen des droits de l'homme puisqu'il a présidé la Cour européenne des droits de l'homme de janvier 2007 à novembre 2011, ce grand juriste français a eu à cœur d'établir, à la fin de sa vie qui s'est achevée en avril 2023, la parfaite compatibilité de la protection des droits de l'Homme et de la protection des droits des animaux. Avec pour premier résultat de ruiner définitivement les arguments préhistoriques de ceux qui font valoir qu'il n'y a pas à perdre son temps à protéger les animaux puisqu'il reste tant à faire pour les Hommes, Jean-Paul Costa a en effet apporté deux contributions majeures à l'éclaircissement de cette question polémique. L'une se trouve dans un article intitulé « Remarques ingénues d'un partisan des droits de l'homme » publié dans « Ad bestias... Regards sur le droit animalier », ouvrage dirigé par Ninon Maillard et Xavier Perrot pour marquer le 10ème anniversaire de la RSDA (Neta Varia Edizione, avril 2022). Il y livre, avec prudence, cette importante conclusion suivant laquelle « la progression des droits de l'animal ou des animaux (le pluriel semble en définitive plus judicieux) me paraît à la fois souhaitable et vraisemblable » (p. 446). L'autre a pris la forme d'une communication (disponible sur You Tube) consacrée à « La Déclaration des droits de l'animal » à l'occasion du colloque organisé le 22 octobre 2019 à l'Institut de France par la LFDA et son Président Louis Schweitzer sur le thème « Droits et personnalité juridique de l'animal ». Ayant plus particulièrement à l'esprit la Déclaration universelle des droits de l'animal dont la 3ème version venait d'être mise en circulation, le Président Jean-Paul Costa, qui avait débuté son allocution en insistant sur la convergence entre les droits de l'homme et les droits de l'animal, s'était prononcé sans la moindre équivoque en faveur d'une Déclaration des droits de l'animal parce que, tout en étant dépourvue de force juridiquement contraignante, elle pouvait produire de précieux effets d'encadrement et d'entraînement et servir de levier. Témoignage de la convergence entre les droits de l'Homme et les droits de l'animal, la DEDA est conçue pour lui permettre de produire un effet d'entraînement qui prendrait appui sur les mécanismes de garantie collective des droits de l'homme. Dotée d'un préambule élaboré principalement par le Professeur Fabien Marchadier, remettant prudemment en selle la personnalité juridique qui, au regret exprimé le 22 octobre 2019 par le Président Costa, brillent par leur absence dans la 3ème version de la Déclaration universelle, la Déclaration européenne, instrument de nature purement privée dépourvue de la plus petite force juridique contraignante, est néanmoins de nature à influencer l'évolution de la protection des animaux, de tous les animaux, contre la souffrance due aux actes de cruauté et aux mauvais traitements (articles 1 à 4) et de la préservation des animaux sauvages vivant à l'état de liberté naturelle (articles 7 à 9) auxquels s'est plus particulièrement intéressée la Doyenne Séverine Nadaud.
8. Il importe de remarquer que, dans sa quête d'effectivité guidée par l'expérience européenne acquise en matière de protection des droits de l'homme, la DEDA, dont les rédacteurs ont pleine conscience qu'elle ne changera strictement rien du jour au lendemain, refuse de donner l'illusion dangereuse, si violemment reprochée aux Droits de l'homme dans l'Abécédaire (accessible sur You Tube) de Gilles Deleuze ne jurant que par la jurisprudence dont il ignorait l'existence européenne, qu'elle va conférer d'elle-même des droits aux animaux : elle assume de s'en tenir à montrer le cap et le chemin qui pourraient leur permettre petit à petit d'en acquérir véritablement. Sous la dénomination « Déclaration européenne des droits de l'animal » retenue pour faire écho à la Convention européenne des droits de l'homme dont elle cherche à épouser l'effectivité, il s'agit très exactement d'une Déclaration européenne vers les droits de l'animal. C'est pourquoi, suivant une formulation résolument calquée sur celle des articles 3 et 4 de la Convention européenne des droits de l'homme qui prohibent la torture, les traitements dégradants, l'esclavage, la servitude et le travail forcé, elle affirme généralement, conformément à ce qui avait été préconisé dans l'article publié dans la RSDA en 2021, que « Nul animal ne peut être soumis ou exposé... », au lieu de poser péremptoirement que « Tout animal a droit à... ».
9. L'essentiel reste encore à dire. Pour que la DEDA ouvre la voie vers des droits de l'animal ou des animaux, sa rédaction par 9 juristes universitaires constitue une étape majeure mais elle ne suffira pas. Il faudra, en effet, qu'elle révèle « une communauté de vues dans les sociétés modernes », qu'elle devienne un socle européen suffisamment large et solide pour qu'elle puisse servir de point d'appui aux législateurs et aux juges principalement européens. Autrement dit, il faudra qu'elle devienne durablement l'affaire de tous et de toutes. D'où l'intérêt de savoir quel accueil lui a déjà été réservé.

III. Réception de la Déclaration européenne des droits de l’animal du 17 février 2025

10. Dévoilée et proclamée publiquement entre le 29 janvier et le 28 février 2025 dans plusieurs lieux symboliques allant de la mairie de Strasbourg à la Faculté de droit de Toulon en passant par le Campus universitaire Robert Badinter de Brive la Gaillarde où un solide relais médiatique avait été établi, la DEDA a vite recueilli les signatures de nombreux soutiens soit, au 17 mars 2025, 394 personnalités et plus de 100 organisations dont quelques-unes en regroupent des dizaines d'autres. Il n'est pas dans le caractère du soussigné de faire étalage des compliments et des louanges qui ont généralement accompagné ces engagements derrière la DEDA. Pour qu'elle puisse gagner de nouveaux adeptes, il sera plus constructif de répondre ici aux critiques qui ont entraîné des hésitations, des refus de s'associer et même une rétractation.
11. Quant à cette dernière, elle a été curieusement motivée par l'ignorance des sources de financement d'un projet d'une telle ampleur. Il importe donc de préciser que, pour étonnant que cela puisse paraître par les temps qui courent, il n'y a aucune source de financement : la DEDA a été réalisée avec un budget de zéro euros, et par conséquent dans la plus parfaite indépendance, grâce au travail gratuit et désintéressé des 9 auteurs qui, dans la plus pure tradition d'indépendance universitaire, n'ont été payés par personne pour écrire ce qu'ils ont écrit et au soutien bénévole d'élus locaux, de personnalités médiatiques et de collègues qui ont été séduits et gagnés à l'idée de contribuer à la faire connaître.
12. Quant aux critiques moins atypiques, il faut remarquer que, du côté des défenseurs des animaux en tout cas, elles ont toutes été constructives à l'exception de celle d'une immodeste doctorante proposant de jeter à la poubelle le travail de 9 docteurs en droit qui, peut-être pas tout à fait par hasard, ont allègrement gravi la plupart des échelons de la carrière universitaire. Cette charge s'appuie si souvent sur des arguments caricaturalement erronés, tels que l'accusation de faire de la personnalité juridique une condition sine qua non alors que l'article 11 ne l'envisage que comme un moyen privilégié, ou celle de ne pas préciser explicitement que la protection contre la violence s'étend à tous les animaux alors que la première phrase de l'article 1 selon laquelle « nul animal ne peut être soumis ou exposé à un acte de cruauté » ne laisse pas la moindre place à la plus petite ambiguïté ; elle a tellement peu intégré la démarche européenne dans laquelle le texte se situe, qu'il faut la mettre sur le compte de l'impatience, particulièrement émouvante et moyennement excusable, de se faire reconnaître avant d'avoir pris le temps de connaître. Elle offre aussi une remarquable occasion de constater l'émergence d'un nouvel adage : « grâce aux réseaux sociaux, ceux qui s'y connaissent le moins sont aussi ceux qui sont les plus capables d'influencer ceux qui n'y connaissent rien ».
13. D'autres critiques mieux maîtrisées ont été déployées ici ou là. L'une d'entre elles revient à se demander comment des juristes exclusivement français pourraient prétendre mettre sur pied, entre soi, une déclaration européenne. Travailler avec des juristes d'autres pays européens aurait en effet correspondu à une exigence légitime. Malheureusement, il n'était pas réaliste, avec un budget de zéro euros, d'espérer surmonter dans un délai raisonnable les difficultés matérielles se dressant sur ce chemin cosmopolite. Il a semblé préférable de tenter l'aventure entre français ayant déjà l'habitude de travailler ensemble malgré leurs différences de points de vue sur des aspects essentiels comme par exemple la personnalité juridique. Compte tenu de leur dispersion géographique entre Limoges, Poitiers, Orléans, Montpellier, Aix en Provence, Lyon, Brest et Toulon et de leurs emplois du temps respectifs souvent surchargés par des responsabilités administratives, il n'a pas déjà été si facile de coordonner leurs efforts. Essayer de se concerter avec des collègues parlant d'autres langues eût été peine perdue, dans un premier temps. Dans un second temps, en revanche, l'objectif de les associer est prioritaire puisqu'il est indispensable pour que la DEDA constitue un socle européen suffisamment large et solide pour révéler une véritable communauté de vues dans les sociétés modernes. Les soutiens des Professeures Marita Gimenèz Candela du Max Planck-Institut, Amy Fitzgerald de l'Université de Windsor, Giulia Guazzaloca de l'Université de Bologne, Nastasa Stojanovic de l'Université de Nis, montrent que cet objectif n'est pas hors d'atteinte. La démarche européenne, déjà rappelée à l'envi, dans laquelle s'inscrit la DEDA établit d'ailleurs à suffisance que, quoique rédigée par des français, elle est résolument d'esprit européen. Toutes proportions évidemment gardées, irait-on dénier à la Convention européenne des droits de l'homme son caractère européen au prétexte que le français Pierre-Henri Teitgen en a été le principal rédacteur ?
14. Un autre reproche parfois entendu tient à ce que seuls des universitaires ont participé à la rédaction de la DEDA. D'autres que des universitaires auraient fort bien pu, en effet, y prêter la main et particulièrement des juristes expérimentés qui sont au cœur des actions associatives ou municipales. Le risque eût alors été de donner une coloration partisane sinon au texte du moins à la démarche et d'empêcher de rassembler les forces protectrices des animaux. Comme on le sait, le monde de la protection animale est admirable pour son dévouement de tous les jours face aux situations les plus sordides mais il souffre de son émiettement, de sa division qui l'empêchent d'être suffisamment entendu dans les débats politiques et judiciaires. Le regrouper au-delà des différences d'approche et de stratégie de ses composantes, par-dessus les susceptibilités des personnalités qui l'animent, est peut-être la première des urgences pour rendre plus concrètes et plus effectives les règles protectrices. Un texte rédigé par des universitaires neutres et impartiaux avait donc plus de chance de fédérer le plus grand nombre d'organisations. Or, les rédacteurs de la DEDA ont été eux-mêmes étonnés de la rapidité avec laquelle un nombre si élevé de fondations et d'associations se sont regroupées sous son étendard. Cela ne suffira pas pour permettre au monde de la protection animale de parler d'une seule voix dans les occasions décisives, mais du point de vue de la réception de la DEDA c'est déjà un commencement d'autant plus encourageant qu'il était inattendu.
15. La critique principale s'est articulée autour de l'accusation fulminée contre les auteurs d'être une bande de juristes ringards et rétrogrades qui auraient commis la faute rédhibitoire de ne pas avoir utilisé le mot sentience. La sentience, assurément leur disait bien quelque chose et même beaucoup à certains d'entre eux. Seulement, ils ont unanimement remarqué que, à supposer qu'il s'agisse d'une notion scientifique indiscutable, la sentience n'était pas un concept juridique opérationnel. La critique de l'avoir oubliée témoigne de la part de celles et ceux qui l'ont formulée d'une ignorance manifeste de la nature des relations entre la science et le droit. Pour certains, le droit doit toujours être à la remorque de la science et n'a rien de mieux et d'autre à faire que de relever à un moment donné, de la manière la plus précise et la plus exhaustive possible, les avancées de la science pour les revêtir du sceau de la solennité. Dans cette perspective, reconnaître dans un texte juridique que la sentience regroupe des avancées scientifiques remarquables est une urgence absolue ou, dit autrement, se dispenser de la reconnaître est une insulte intolérable aux scientifiques qui lui ont permis d'émerger. Or le rôle principal du droit n'est pas de délivrer des satisfecits aux chercheurs qui ont trouvé quelque chose : c'est, en deux mots, de pacifier les rapports sociaux en canalisant la force publique le plus souvent par le relais d'un jugement. À cette fin il doit, bien entendu, s'appuyer sur la science mais il n'en est pas l'esclave. Il suffit, pour s'en convaincre, de se souvenir que l'expert qui est censé apporter la vérité scientifique rend seulement des avis que le juge n'est pas obligé de suivre. De même, pour rendre son office, le juge n'a pas besoin du soutien de textes nourris de toute les précisions scientifiques se rapportant au sujet : ce serait bien souvent une lourde carapace ne lui laissant pas plus d'initiative qu'à une tortue retournée sur le dos. Dès lors, la présence de la sentience dans un texte juridique ne se justifie que si elle peut être utile pour asseoir de nouvelles solutions ou des solutions différentes. Or, jusqu'à présent, nul ne semble avoir réussi à établir ce que, dans une objectif de renforcement de la protection juridique des animaux, la sentience apporterait de plus que la sensibilité reconnue notamment par l'article 515-14 du Code civil. Dans la mesure où, si l'on a bien compris, il y aurait moins d'animaux sentients que d'animaux sensibles, la sentience pourrait même être, paradoxalement, un concept juridique régressif excluant des millions d'animaux du champ de certaines protections juridiques. Néanmoins le club des supporters de la sentience est si influent, l'enthousiasme de la plupart de ses membres est si communicatif, qu'une pointe de remords de ne pas lui avoir fait la moindre place pouvait commencer à naître chez certains des auteurs. Le trouble n'a pas duré, puisque le 21 février 2025, à l'occasion du colloque organisé au Sénat par François-Xavier Roux-Demare et le sénateur Arnaud Bazin pour marquer le 10ème anniversaire de l'article 515-14 du Code civil, la pertinence juridique de la sentience a été atomisée par le Professeur Sandrine Clavel. Invitée à répondre à la question de savoir si cet article avait impulsé des réformes politiques étrangères, l'oratrice a en effet établi qu'il avait surtout incité les législateurs d'ailleurs à retenir, comme lui, la qualité d'être sensible (sensitivity) plutôt que la sentience sur laquelle les chercheurs anglophones ne seraient, de toute façon, pas encore d'accord. Le refoulement de la sentience aux portes de la DEDA est donc parfaitement justifié.
16. Un des 14 articles a souvent suscité plutôt de la perplexité que des critiques. Il s'agit de l'article 6 qui vise à interdire les recherches tendant à rendre les ou des animaux définitivement insensibles. Un monde dans lequel les animaux ne souffriraient plus pourrait, à première vue, sembler idéal. En réalité, l'article 6 occupe le centre de gravité de la DEDA dont l'objectif principal est la lutte contre la souffrance des animaux êtres sensibles. Or il semblerait que des chercheurs, des producteurs, agacés par les contraintes qui leur sont imposées au nom du respect de la sensibilité des animaux qu'ils exploitent, travailleraient à contourner les entraves et les difficultés en mettant au point des animaux sur lesquels la souffrance n'aurait plus prise. Dès lors prohiber les actes de cruauté et les mauvais traitements n'auraient plus de sens, la branche sur laquelle la DEDA est assise ayant été sciée. C'est ici l'occasion de mettre en évidence le paradoxe du droit animalier qui à la différence du droit de l'environnement s'attache à toujours protéger la sensibilité des animaux : dire que les animaux sont des êtres sensibles, c'est dire aussi qu'ils doivent rester sensibles pour être encore des animaux.
17. Une dernière critique doit être ici réfutée : celle qui reproche à la DEDA de ne pas proclamer que les animaux ont droit à la vie. Il s'agit, pour ainsi dire, d'une réaction d'enfants déçus que le Père Noël n'ait pas déposé au pied de leur sapin un cadeau que l'on ne peut pas ouvrir. Affirmer dans une formule générale que « Tout animal a droit à la vie » pourrait être satisfaisant pour l'esprit mais n'aurait aucune perspective d'effectivité que la DEDA vise inlassablement en contemplation de la CEDH laquelle, on ne l'a pas souvent remarqué, ne consacre pas le droit de toute personne à la vie comme elle reconnaît, par exemple, que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ou à la liberté d'expression. Son article 2 se contente en effet d'affirmer que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi », ce qui est loin d'être aussi énergique. Encore précise-t-il toujours, dans une formule il est vrai neutralisée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, que la mort peut être infligée en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal. Surtout il affirme dans trois alinéas toujours opérationnels que la mort ne viole pas l'article 2 en cas de recours à la force rendu absolument nécessaire pour assurer la défense d'une personne contre la violence illégale, pour effectuer une arrestation irrégulière ou empêcher une évasion ou encore pour réprimer une émeute ou une insurrection. Le droit de l'homme à la vie étant protégé de manière aussi relative, il y avait un risque de se laisser emporter à admettre un droit à la vie de l'animal presque absolu. Dans la mesure où un très grand nombre d'animaux se nourrissent exclusivement d'autres animaux, le droit à la vie de l'animal ne se prêterait d'ailleurs qu'à une mise en œuvre contradictoire que la seconde version de la déclaration universelle des droits de l'animal rendu publique en 1990, ne parvenait pas tout à fait à empêcher en affirmant dans son article 1er alinéa 1 que « tous les animaux ont des droits égaux à l'existence dans le cadre des équilibres biologiques ». Face à l'extrême complexité de la question générale, il a semblé plus raisonnable d'introduire dans l'article 4 une reconnaissance ciblée d'une perspective de droit à la vie en faveur de l'animal que l'homme a choisi pour compagnon, de celui qui a travaillé à son profit et de celui qui a servi à l'approfondissement de ses connaissances ou au renforcement de sa sécurité.
18. Des critiques plus ponctuelles sont parfaitement fondées, comme celle de ne pas avoir dit assez clairement que c'était aussi le refus de rechercher, de mettre au point et d'appliquer des méthodes alternatives à l'expérimentation animale elle-même qui devait être regardé comme un acte de cruauté. Leur prise en compte s'inscrit dans les perspectives.

IV. Perspectives de la Déclaration européenne des droits de l’animal du 17 février 2025

19. Comme la Convention européenne des droits de l'homme à laquelle elle cherche à faire écho, la Déclaration européenne des droits de l'animal doit être un instrument vivant. Le faire vivre ce serait peut-être lui donner une version affinée pour tenir compte des critiques et suggestions légitimes recueillies au cours de la phase de lancement. Lui donner de la vitalité, ce sera la traduire dans le plus grand nombre possible de langues de façon à ce qu'elle puisse se diffuser dans l'ensemble des États du Conseil de l'Europe et refléter une large communauté de vues dans les sociétés modernes sur la protection concrète et effective des animaux. La faire vivre ce devrait être multiplier les manifestations destinées à la faire mieux connaître et déployer ses potentialités fédératrices du monde de la protection animale.

A. Une version affinée ?

20. Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans une tour d'ivoire, constamment animés par un esprit de tolérance et d'ouverture, les 9 universitaires rédacteurs de la DEDA ne sont pas sourds aux critiques qui lui ont été adressées et sont convaincus qu'accepter de les entendre ne serait pas l'aveu d'une faiblesse mais l'affirmation d'une force. Ils sont donc tout à fait favorables à l'idée de les intégrer dans une version affinée qui est déjà pratiquement prête puisqu'elle se bornerait à apporter deux ou trois précisions et à dissiper une ou deux ambiguïtés. La mise en œuvre de cette idée simple pourrait cependant se heurter à un certain nombre de difficultés techniques. La première consisterait à associer à la nouvelle version les signataires de la première. Même si, entre les deux, les différences seraient minimes, il est hors de question de les placer devant le fait accompli et de les enrôler au soutien d'un texte qu'ils n'auraient pas pu approuver entièrement. Avec du travail, du doigté et un peu de temps, cet obstacle doit pouvoir être surmonté. L'autre devrait donner un peu plus de fil à retordre : c'est le risque de confusion entre les deux versions étant donné qu'il y aurait peu d'espoir d'empêcher la première de continuer à circuler sur internet. Dans ces conditions, la tentation est forte de s'en tenir à l'adage « le mieux est l'ennemi du bien » mais d'autres défis ont déjà été relevés.

B. Des traductions dans les langues des États membres du Conseil de l'Europe

21. On l'a déjà dit et redit, l'idée qui soutient la DEDA porte à la consolider et à l'élargir en socle commun révélateur d'une communauté de vues dans les sociétés modernes sur lequel les législateurs nationaux et peut-être surtout les juges nationaux et européens pourraient prendre appui pour faire évoluer les réponses aux questions qui fâchent dans un sens plus favorable aux animaux et aux personnes physiques et morales qui les défendent. Cette consolidation et cet élargissement n'ont de chance de devenir significatifs que s'ils s'étendent à l'Europe tout entière entendue comme l'Europe du Conseil de l'Europe qui compte pour le moment 46 États membres. Puisque, cela irait évidemment sans le dire, tous ces États ne pratiquement pas la même langue, la traduction de la DEDA est la clé de son rayonnement véritablement européen. Grâce au dévouement et à l'énergie d'une poignée de personnes particulièrement motivées, et notamment Emma Infante subitement décédée en avril 2025 à qui cet article est dédié, des versions appropriées ont permis, à la grande surprise des rédacteurs, de recueillir le soutien de plus de 30 organisations espagnoles de protection des animaux et notamment celui des parlementaires espagnols anciens et actuels attachés à la cause. Ce succès inespéré est particulièrement encourageant mais il ne faudra pas s'en contenter. Pour en appeler d'autres, une version anglaise est déjà disponible. Il va falloir, toujours avec le même budget de zéro euros, susciter de bonnes volontés pour obtenir des versions italienne, portugaise, allemande, danoise, suédoise, norvégienne, turque, roumaine et beaucoup d'autres pour lesquelles des contacts sont en cours d'établissement. Comme si ce chantier n'était pas déjà d'une ampleur suffisamment démesurée, il y aurait peut-être un vif intérêt à ce que la DEDA se diffuse et se propage dans les langues relevant de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du 5 novembre 1992 que la France se refuse toujours à ratifier.

C. Des manifestations amplificatrices

22. Pour que la DEDA atteigne son objectif premier de constituer un socle suffisamment solide pour servir de point d'appui à des solutions plus favorables aux animaux et son objectif apparu en cours de route de fédérer le monde de la protection animale pour le rendre plus fort face à des adversaires puissamment structurés, il n'est pas nécessaire qu'elle suscite un engouement. Il est en revanche absolument indispensable qu'elle provoque un mouvement d'adhésion qui pourrait se concrétiser par de nouvelles déclarations de soutien (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.). Après la phase de lancement autour du 17 février 2025 qui a enclenché le mouvement dans des conditions que l'on pouvait difficilement rêver meilleures, il importe désormais de le prolonger et de l'amplifier par des manifestations publiques qui pourraient se succéder, par exemple à partir du 4 octobre 2025 à l'occasion de la journée mondiale des animaux. Les 9 rédacteurs qui travaillent à associer une capitale et le Parlement européen à la DEDA et leur petite dizaine d'infatigables relayeurs, ne pourront évidemment pas faire longtemps l'essentiel tous seuls. De très belles initiatives locales ont d'ailleurs été prises autour du 17 février 2025. Les perspectives d'avenir de la DEDA dépendent presque exclusivement de leur multiplication...

     

    RSDA 1-2025

    Doctrine et débats

    Entre Tradition, Compassion et Modernité : Le Droit Animalier Indien à la Croisée des Chemins

    • Allison Fiorentino
      Maître de conférences
      Université de Rouen
      Membre du Centre Universitaire Rouennais d'Etudes Juridiques (CUREJ, EA 4703)

    1. L'Inde, civilisation millénaire aux traditions spirituelles et philosophiques profondes, offre un terrain d'étude fascinant et paradoxal pour le droit animalier. Sa relation avec le règne animal constitue une trame complexe où s'entremêlent une profonde révérence et une indifférence parfois déconcertante, une éthique ancienne et des pressions modernes. D'une part, le principe de l’Ahimsa – la non-violence envers tous les êtres vivants – irrigue les fondements de l'hindouisme, du jaïnisme et du bouddhisme, et imprègne une part significative de la culture et des attitudes indiennes. Les animaux occupent une place singulière, transcendant leur statut de simples entités biologiques pour devenir des figures vénérées dans la mythologie, centrales dans les rituels religieux et intégrées à la vie quotidienne de millions d'Indiens, témoignant d'une reconnaissance séculaire de l'interdépendance homme-animal. Le statut sacré accordé à la vache, la vénération du singe incarnant Hanuman ou l'association de l'éléphant au dieu Ganesh illustrent cette sensibilité culturelle.

    2. Cependant, cette éthique traditionnelle se heurte de plein fouet aux réalités contemporaines qui confrontent les animaux dans l'Inde moderne. Les forces de la modernisation, l'urbanisation galopante, l'industrialisation de l'agriculture et l'influence prégnante de modèles utilitaristes occidentaux ont profondément modifié ce rapport ancestral. La cruauté envers les animaux, qu'elle résulte de la négligence, de l'ignorance, de traditions contestées ou d'intérêts économiques prépondérants, demeure une réalité tangible et préoccupante. Des conditions effroyables dans les abattoirs et les laboratoires aux souffrances endurées par les animaux de cirque ou ceux abandonnés dans les rues des villes et des campagnes, les faits témoignent d'un fossé troublant entre les idéaux professés et la pratique vécue. Cette dichotomie place le droit animalier indien à une intersection critique, tiraillé entre des héritages culturels contradictoires, des pressions sociales divergentes et des impératifs économiques souvent incompatibles avec le bien-être animal.

    3. Face à cette situation contrastée, le cadre juridique indien relatif à la protection animale révèle ses propres ambiguïtés. Bien que la Constitution de l'Inde ne confère pas explicitement de droits fondamentaux aux animaux, elle contient des dispositions qui constituent des fondations cruciales, bien qu'indirectes, pour leur protection juridique. L'article 48, relevant des « Principes Directeurs de la Politique de l'État », traite notamment de l'organisation de l'agriculture et interdit l'abattage des vaches et des veaux, reflétant ainsi constitutionnellement l'importance culturelle des bovins. L'article 48A, introduit par le 42eme amendement en 1976, impose à l'État le devoir de protéger l'environnement et de sauvegarder les forêts et la faune. Plus significatif encore peut-être, l'article 51A(g), inscrit parmi les « Devoirs Fondamentaux » du citoyen, dispose que tout citoyen a le devoir « de protéger et d'améliorer l'environnement naturel, y compris les forêts, les lacs, les rivières et la vie sauvage, et d'avoir de la compassion pour les créatures vivantes ». Toutefois, la nature non-justiciable des Principes Directeurs et des Devoirs Fondamentaux limite leur applicabilité directe, les positionnant davantage comme des lignes directrices pour l'action étatique et l'interprétation législative que comme des droits actionnables.

    4. Par conséquent, la protection effective des animaux en Inde se joue essentiellement au niveau législatif. Deux textes majeurs constituent la pierre angulaire de cette architecture juridique : la loi sur la Prévention de la Cruauté envers les Animaux de 1960 (Prevention of Cruelty to Animals Act, PCA) et la loi sur la Protection de la Faune de 1972 (Wildlife Protection Act, WPA). La loi PCA vise, de manière générale, à prévenir l'infliction de douleur ou de souffrance inutiles aux animaux, qu'ils soient domestiques ou sauvages, tandis que la loi WPA se concentre spécifiquement sur la conservation des espèces sauvages et de leurs habitats. Malgré ce cadre législatif, son efficacité est fréquemment remise en cause par des faiblesses significatives. La loi PCA, en particulier, fait l'objet de critiques persistantes pour ses dispositions pénales obsolètes et dérisoires, rendant son effet dissuasif négligeable dans l'Inde contemporaine. De plus, des exceptions controversées au sein de la loi PCA, notamment concernant l'expérimentation animale et l'abattage rituel pour des motifs religieux (article 28), réduisent considérablement sa portée protectrice et soulignent la tension persistante entre bien-être animal, recherche scientifique et liberté de religion.

    5. En réponse à ces lacunes législatives, le pouvoir judiciaire indien, et notamment la Cour suprême, est intervenu périodiquement, interprétant les lois existantes dans un sens plus favorable à la protection animale. L'arrêt historique de 2014 dans l'affaire Animal Welfare Board of India c. A. Nagaraja, qui avait initialement interdit le sport traditionnel de Jallikattu (combat de taureaux), constitue un jalon important à cet égard. La Cour avait alors reconnu la dignité intrinsèque des animaux et remis en question la notion de « nécessité » souvent invoquée pour justifier la cruauté. Cependant, la réaction socio-politique véhémente qui s'en est suivie, les amendements législatifs adoptés par l'État du Tamil Nadu et la validation finale de la pratique encadrée par la Cour suprême en 2023 illustrent la précarité des avancées jurisprudentielles face à des pratiques culturelles profondément ancrées et aux pressions politiques. Cette saga juridique incarne le défi central auquel est confronté le droit animalier indien : concilier les valeurs constitutionnelles, les mandats législatifs, les traditions culturelles et les normes éthiques évolutives concernant la sensibilité et le bien-être des animaux.

    6. Cet article se propose d'analyser en profondeur le paysage multidimensionnel du droit animalier indien, en explorant ses dimensions historiques, culturelles, législatives et jurisprudentielles. Il cherche à répondre à plusieurs questions clés : comment les traditions historiques et religio-culturelles uniques de l'Inde ont-elles influencé le développement et les limites de son cadre de protection animale ? Quelles sont les forces spécifiques et, plus crucialement, les faiblesses persistantes au sein des dispositions constitutionnelles et des lois fondamentales (PCA et WPA) ? Dans quelle mesure l'interprétation judiciaire, illustrée par les affaires Jallikattu, a-t-elle réussi à faire progresser le bien-être animal, et quelles sont ses limites inhérentes ? Enfin, quels sont les défis actuels et les perspectives pour le renforcement de la protection animale en Inde, notamment à la lumière des réformes législatives proposées comme le projet d'amendement à la loi PCA de 2022 ?

    7. La pertinence de cette investigation dépasse les frontières de l'Inde. Alors que la prise de conscience mondiale sur la sensibilité et le bien-être animal s'accroît, comprendre comment une nation majeure, dotée d'une riche tradition de non-violence, aborde ces questions offre des perspectives précieuses. Cette étude adopte une approche doctrinale et socio-juridique, analysant les sources juridiques (textes constitutionnels, lois, jurisprudence) ainsi que la littérature académique, tout en contextualisant le cadre juridique dans le milieu social et culturel complexe de l'Inde.

    8. Le présent article vise à fournir une compréhension complète et critique du droit animalier indien à sa croisée des chemins actuelle, entre tradition, compassion et exigences de la modernité. Pour ce faire, nous examinerons tout d’abord les fondements historiques, culturels et juridiques du rapport de l'Inde aux animaux, en analysant l'influence de concepts tels que l'Ahimsa, le statut des animaux sacrés, l'impact de l'ère coloniale et la mise en place du cadre constitutionnel et législatif post-indépendance (I). Nous évaluerons ensuite de manière critique les dynamiques et les défis contemporains, en se concentrant sur le rôle évolutif de la jurisprudence à travers le prisme de la controverse Jallikattu et en examinant l'impact potentiel des récentes initiatives de réforme législative (II)

     

    I. Fondements historiques, culturels et juridiques du rapport aux animaux en Inde

     

    9. Cette première partie explore les racines profondes de la relation entre l'homme et l'animal en Inde, en examinant les influences culturelles et religieuses (A) ainsi que le socle législatif et constitutionnel qui en découle (B).

     

    A. Fondements historiques et culturels du droit animalier en Inde

     

    10. Cette sous-partie détaille les concepts et périodes clés qui ont façonné la perception et le traitement des animaux, en abordant le principe de l'Ahimsa (a), le statut particulier des animaux sacrés (b), et l'impact de la période coloniale (c).

     

    a) Ahimsa

     

    11. L'Inde, berceau de civilisations millénaires, porte en elle un héritage spirituel et philosophique où la notion d'Ahimsa, la non-violence envers tous les êtres vivants, occupe une place centrale. Ce principe, bien plus qu'une simple injonction morale, s'enracine profondément dans les textes sacrés et les pratiques religieuses de l'hindouisme, du jaïnisme et du bouddhisme1. Il ne s'agit pas seulement d'éviter de tuer, mais d'une posture éthique globale, une reconnaissance de la sacralité de la vie sous toutes ses formes.

    12. Dans l'hindouisme, l'Ahimsa est intimement liée à la croyance en la réincarnation et au karma. Chaque être vivant, du plus humble insecte au plus majestueux éléphant, est perçu comme une étincelle du divin, une manifestation de l'âme universelle (Atman). Blesser ou tuer un animal, c'est donc porter atteinte à cette essence divine, et s'exposer à des conséquences karmiques négatives2. Les Védas, textes fondateurs de l'hindouisme, bien que n'interdisant pas formellement la consommation de viande, mettent en garde contre la violence gratuite et insistent sur le respect de la vie animale.

    13. Le Yajur Veda, par exemple, affirme que le service aux animaux conduit au paradis3, soulignant ainsi la valeur intrinsèque de la vie animale et l'importance d'une relation harmonieuse avec elle.

    14. Cependant, il est crucial de nuancer cette vision idéalisée de l'ahimsa védique. Les rituels décrits dans les Védas impliquaient fréquemment des sacrifices d'animaux, y compris de bovins, considérés comme des offrandes nécessaires pour apaiser les dieux et assurer la prospérité de la communauté4. La viande de ces animaux sacrifiés était ensuite consommée lors de banquets rituels. Cette pratique, loin d'être perçue comme une violation de l'ahimsa, était intégrée à un système complexe de croyances et de rites où le sacrifice était considéré comme un acte sacré, permettant de régénérer la vie et de maintenir l'ordre cosmique.

    15. Cette apparente contradiction entre le principe de non-violence et la pratique du sacrifice a généré des tensions et des débats au sein même de la tradition védique. Des textes plus tardifs, comme le Shatapatha Brahmana (VIIIe-VIIe siècles av. J.-C.), tentent de résoudre cette tension en affirmant que le sacrifice animal n'est pas une véritable mise à mort, mais plutôt une transformation, une libération de l'âme de l'animal5. D'autres textes, comme le Manusmriti (IIe siècle av. J.-C. - IIIe siècle apr. J.-C.), expriment une condamnation plus claire de la violence envers les animaux, affirmant qu'elle est incompatible avec la quête du bonheur6.

    16. L'émergence du jaïnisme et du bouddhisme, aux VIe et Ve siècles av. J.-C., marque un tournant décisif dans l'histoire de l'ahimsa en Inde. Le jaïnisme, pour sa part, pousse le principe d'Ahimsa à son paroxysme. Les moines jaïns, par exemple, balayent le sol devant eux pour éviter d'écraser des insectes, et filtrent l'eau qu'ils boivent pour ne pas ingérer de micro-organismes. Le végétarisme est une pratique stricte, et toute forme de violence envers les animaux est considérée comme un péché grave7.

    17. Le bouddhisme, bien qu'il n'interdise pas formellement la consommation de viande pour les laïcs, met l'accent sur la compassion envers tous les êtres sensibles. Le Bouddha lui-même est souvent représenté entouré d'animaux, symbolisant l'harmonie entre l'homme et la nature.

    18. Cet héritage spirituel a indéniablement influencé les premières législations indiennes. Les édits d'Ashoka, empereur maurya du IIIe siècle avant J.-C., converti au bouddhisme, témoignent d'une préoccupation pour le bien-être animal. Les édits d'Ashoka, gravés sur des piliers et des rochers à travers le sous-continent indien, témoignent de cette politique révolutionnaire : « Pour mettre en œuvre ses politiques, Asoka a imposé des restrictions sur l'abattage d'animaux pour la Cuisine Royale et a établi des hôpitaux et planté des herbes médicinales tant pour les êtres humains que pour les animaux »8. L'édit rupestre de Khalsi à Dehradun représente un témoignage tangible de cette politique de compassion envers les animaux.

    19. Cependant, il est crucial de nuancer cette vision idéalisée. La réalité historique et contemporaine de l'Inde révèle une relation complexe et parfois contradictoire avec les animaux. Si le végétarisme est largement pratiqué, la consommation de viande n'est pas absente, et les pratiques cruelles envers les animaux, malheureusement, persistent9. En outre l’hindouisme, lui-même, prône certains actes cruels envers les animaux. Le Tantra, un courant ésotérique de l'hindouisme, a une relation complexe avec la violence et le sacrifice animal. Bien que certaines branches du Tantra prônent la non-violence, d'autres, en particulier celles associées à la déesse Kali, intègrent le sacrifice animal comme un élément central de leur pratique10.

    20. Le sacrifice à Kali, déesse de la destruction et de la transformation, est souvent perçu comme un moyen d'obtenir sa faveur, de canaliser son énergie, ou de surmonter les obstacles. Le sang versé est considéré comme une offrande puissante, capable de nourrir la déesse et de renforcer son pouvoir11.

    21. Cependant, cette pratique est loin de faire l'unanimité. Elle suscite des critiques, tant de la part des réformateurs hindous que des défenseurs des droits des animaux12. Les arguments avancés sont multiples : cruauté envers les animaux, caractère « primitif » et « superstitieux » du rituel, incompatibilité avec une vision moderne de l'hindouisme.

    22. Cette tension entre différentes interprétations de la tradition religieuse se reflète aujourd'hui dans les débats juridiques et politiques concernant la réglementation des sacrifices animaux. Certains États indiens ont interdit ces pratiques (comme l'Himachal Pradesh), tandis que d'autres maintiennent des exceptions légales pour les pratiques religieuses. L’article 28 de la loi Prevention of Cruelty to Animals, qui exempte l'abattage d'animaux pour des raisons religieuses des dispositions anti-cruauté, témoigne de cette tension non résolue entre protection animale et liberté religieuse.

    23. La complexité de cette question montre que l'héritage philosophique et religieux indien concernant les animaux ne peut être réduit à une vision uniforme. Il s'agit plutôt d'une mosaïque de traditions parfois contradictoires, dont l'interprétation et l'application contemporaines font l'objet de débats constants.

     

    b) Les animaux sacrés

     

    24. Parmi les manifestations les plus emblématiques de l'influence religieuse sur le droit animalier indien figure le statut particulier accordé aux bovins. La vache, considérée comme sacrée dans l'hindouisme13, bénéficie d'une protection juridique spécifique qui illustre parfaitement l'interpénétration du religieux et du juridique dans le contexte indien.

    25. Cette sacralité trouve une traduction constitutionnelle dans l'article 48 de la Constitution indienne, qui stipule : « L'État s'efforce d'organiser l'agriculture et l'élevage selon des méthodes scientifiques modernes et, en particulier, prend des mesures pour préserver et améliorer les races, et interdire l'abattage des vaches, des veaux et autres bovins laitiers et de trait ». Cette disposition, classée parmi les « Principes directeurs de la politique de l'État », constitue un cas unique où une espèce animale spécifique reçoit une mention constitutionnelle explicite14.

    26. Sur ce fondement constitutionnel, de nombreux États indiens ont adopté des législations interdisant ou restreignant sévèrement l'abattage des bovins. Ces lois varient considérablement dans leur portée et leur application selon les États, reflétant les tensions régionales autour de cette question. Dans des États comme le Gujarat, l'abattage des bovins est puni de peines pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à vie, tandis que d'autres États comme le Kerala maintiennent une législation plus permissive.

    27. D'autres animaux bénéficient également d'une aura sacrée : l'éléphant, associé à Ganesh, le dieu à tête d'éléphant ; le singe, incarnation d'Hanuman, le dieu-singe dévoué ; le serpent, symbole de fertilité et de puissance cosmique ; le tigre, monture de la déesse Durga…15.

    28. Cette sacralisation de certains animaux a des implications ambivalentes. D'un côté, elle peut conduire à une protection accrue de ces espèces, à une forme de respect et de vénération. De l'autre, elle peut engendrer une hiérarchisation des espèces, où les animaux sacrés sont privilégiés au détriment des autres. Cette hiérarchisation peut même justifier des pratiques cruelles envers les animaux considérés comme « impurs » ou « nuisibles ».

     

    c) Période coloniale : entre exploitation, contrôle et premières critiques

     

    29. La colonisation britannique a introduit des changements plus profonds et plus durables, motivés par des considérations à la fois idéologiques, économiques et politiques. Les Britanniques, porteurs d'une vision du monde façonnée par les Lumières, le christianisme et l'essor du capitalisme, considéraient de nombreuses pratiques indiennes comme « arriérées », « superstitieuses » et « cruelles ». L'animal, dans cette perspective, était perçu comme une ressource à exploiter de manière rationnelle et efficace, ou comme un être inférieur dont le sort était subordonné aux intérêts humains.

    30. Les missionnaires chrétiens, dont l'influence grandissait parallèlement à l'expansion coloniale, ont joué un rôle actif dans la dénonciation des pratiques religieuses hindoues impliquant des animaux, comme le sacrifice. Pour eux, ces pratiques étaient non seulement cruelles, mais aussi idolâtres et contraires à la « vraie » religion. L'exemple de William Ward, horrifié par le bain de sang de Kalighat16, est révélateur de cette attitude17. Il ne s'agissait pas seulement de protéger les animaux, mais aussi de « civiliser » les Indiens en les convertissant au christianisme et en les débarrassant de leurs superstitions. La comparaison avec le sacrifice dans la religion juive, considérée comme obsolète, est aussi très révélatrice18.

    31. Mais les critiques ne venaient pas seulement des missionnaires. Des administrateurs coloniaux, des intellectuels et des réformateurs hindous ont également exprimé leur désapprobation face à certaines pratiques. Ces critiques, cependant, étaient souvent motivées par des considérations différentes. Pour les administrateurs, il s'agissait de maintenir l'ordre public, d'assurer l'hygiène et la salubrité des villes, et de moderniser l'économie. La création d’abattoirs centralisés et réglementés, par exemple, visait à la fois à améliorer l'hygiène et à contrôler le commerce de la viande19.

    32. Pour les réformateurs hindous, comme Bankim Chandra Chatterji, il s'agissait de purifier l'hindouisme de ses éléments jugés archaïques ou dégradants, et de le rendre compatible avec les valeurs de la modernité occidentale. L'ahimsa, réinterprétée et mise en avant, devenait un argument pour critiquer le sacrifice animal et promouvoir le végétarisme20. Il s'agissait de faire évoluer l'hindouisme vers une pratique plus spirituelle et moins violente.

    33. Les premières lois britanniques concernant les animaux en Inde, adoptées au XIXe siècle, reflètent une ambivalence fondamentale. D'un côté, elles témoignent d'une volonté de réprimer certaines pratiques jugées cruelles, en particulier celles qui pouvaient choquer la sensibilité des colonisateurs. De l'autre, elles s'inscrivent dans une logique de contrôle et de rationalisation de l'utilisation des animaux, au service des intérêts coloniaux. A ce titre, nous pouvons citer des lois comme l'Elephant Preservation Act de 1879 et le Wild Birds and Animals Protection Act de 191221. Ces textes, bien qu'ils introduisent des restrictions à la chasse et à la capture de certaines espèces, visent avant tout à préserver les ressources animales pour l'exploitation coloniale (chasse sportive, commerce de l'ivoire) et à prévenir les conflits entre les animaux sauvages et les populations humaines.

    34. L'influence des sociétés de protection des animaux, créées en Grande-Bretagne au XIXe siècle, est également perceptible. Ces organisations, souvent animées par des motivations religieuses et morales, ont exercé une pression sur les autorités coloniales pour qu'elles adoptent des mesures de protection animale. Cependant, cette influence est restée limitée, et les préoccupations des colonisateurs ont souvent primé sur le bien-être animal.

    35. Il est important de noter que ces premières législations ne remettent pas en cause le statut d'objet des animaux. Elles ne visent pas à reconnaître des droits aux animaux, mais plutôt à réglementer leur utilisation et à prévenir les abus les plus flagrants. Cette approche, qualifiée de « welfariste » (bien-être animal) plutôt qu'abolitionniste (droits des animaux), restera longtemps dominante dans le droit animalier indien.

    36. La fondation de la première SPCA à Calcutta en 1861, par un Britannique, marque une étape importante dans l'institutionnalisation de la protection animale en Inde22. Cependant, il est crucial de noter que cette initiative, comme les lois anti-cruauté qui ont suivi, était largement inspirée par le modèle britannique et reflétait les préoccupations et les valeurs de la société coloniale. L'accent était mis sur le bien-être des animaux, et non sur leurs droits, et la cruauté était définie de manière restrictive, laissant de nombreuses formes d'exploitation animale en dehors du champ d'application de la loi.

    37. La colonisation a aussi introduit la notion d'espaces publics qui devaient être réglementés, propres, et aseptisés. C'est dans ce contexte que l'on observe une volonté de cacher, dissimuler la vue du sang, qui est perçu comme sale23.

     

    B. Les fondements légaux

     

    38. Cette sous-partie se concentre sur l'armature juridique de la protection animale en Inde, en commençant par les dispositions constitutionnelles (a), puis en détaillant les lois spécifiques majeures (b et c) et d'autres textes pertinents (d).

     

    a) La Constitution indienne : fondement indirect de la protection animale

     

    39. La Constitution indienne, bien qu'elle ne consacre pas explicitement de droits fondamentaux aux animaux, recèle en son sein des dispositions qui, par leur interprétation jurisprudentielle, constituent un fondement indirect mais crucial pour la protection animale. Il s'agit de l'article 48A et de l'article 51A(g).

    40. L'article 48A, intégré à la Constitution lors du 42ème amendement en 197624, dispose que « l'État s'efforce de protéger et d'améliorer l'environnement et de sauvegarder les forêts et la vie sauvage du pays »25. Cette directive, placée dans la partie IV de la Constitution relative aux Principes Directeurs de la Politique de l'État (DPSPs), n'est pas directement justiciable, c'est-à-dire qu'elle ne peut être invoquée directement devant les tribunaux pour contraindre l'État à agir.

    41. Cependant, l'article 48A revêt une importance symbolique et programmatique considérable. Il témoigne d'une prise de conscience constitutionnelle de la nécessité de préserver l'environnement et la faune, et assigne à l'État un rôle proactif dans ce domaine. Cette disposition, bien que non contraignante en soi, sert de guide et de source d'inspiration pour l'action législative et politique en matière de protection animale et environnementale. Elle reflète une valeur fondamentale que l'État indien s'engage à promouvoir et à intégrer dans ses politiques publiques26.

    42. L'article 51A(g), également introduit par le 42ème amendement, impose à chaque citoyen indien le devoir fondamental « de protéger et d'améliorer l'environnement naturel, y compris les forêts, les lacs, les rivières et la vie sauvage, et d'avoir de la compassion pour les créatures vivantes »27. Contrairement aux DPSPs, les devoirs fondamentaux (Partie IV-A de la Constitution) sont adressés directement aux citoyens et visent à promouvoir une citoyenneté active et responsable.

    43. L'article 51A(g) est particulièrement novateur en ce qu'il érige la « compassion » envers les créatures vivantes en devoir fondamental. Cette disposition transcende une vision purement utilitariste ou anthropocentrique de la protection animale, en reconnaissant une valeur intrinsèque à la vie animale et en appelant à une éthique de la bienveillance envers toutes les formes de vie. Elle invite les citoyens indiens à adopter une attitude proactive et empathique envers les animaux, et à contribuer, par leurs actions individuelles et collectives, à la protection de l'environnement et de la biodiversité.

     

    b) Le Prevention of Cruelty to Animals Act (PCA), 1960

     

    44. La loi sur la prévention de la cruauté envers les animaux (PCA Act) de 1960 fut introduite en remplacement de la législation antérieure, à savoir la loi de 1890 sur la prévention de la cruauté envers les animaux (Prevention of Cruelty to Animals Act, 1890). L'une des principales lacunes de la loi antérieure résidait dans le fait que la définition du terme « animal » était limitée aux seuls animaux domestiques et capturés. Cette définition, particulièrement restrictive, excluait de son champ d'application les animaux errants, lesquels subissent pourtant la majeure partie des comportements cruels et sadiques.

    45. Parmi les autres difficultés majeures de la loi de 1890 figuraient le caractère inadéquat des sanctions prévues pour les contrevenants et les récidivistes, le fait que la loi ne couvrait que des actes de cruauté très spécifiques, et l'absence de dispositions réprimant tant l'administration délibérée de substances nuisibles aux animaux que le manquement du propriétaire à son obligation de fournir une alimentation, un abreuvement et un abri suffisants à son animal.

    46. La loi PCA de 1960 fut promulguée grâce aux efforts de Rukmini Devi Arundale, première femme de l'histoire indienne à être nommée membre de la Rajya Sabha28 et militante pour le bien-être animal. Elle introduisit une proposition de loi d'initiative parlementaire à la Rajya Sabha, et son discours inspira le Premier ministre indien de l'époque, Jawaharlal Nehru, qui convint de la nécessité de réformer les lois existantes et proposa la création d'une commission chargée d'examiner la question29.

    47. C’est ainsi que fut promulgué le Prevention of Cruelty to Animals Act(PCA) en 196030. Cette loi constitue la première législation nationale dédiée au bien-être animal dans l'Inde post-indépendance. L'objectif fondamental, tel qu'énoncé dans son préambule, est de prévenir l'infliction de douleur ou de souffrance inutiles aux animaux et d'amender les lois existantes en ce sens. Cette nuance initiale – la prévention de la souffrance inutile – est cruciale car elle sous-tend l'ensemble de l'édifice légal et ouvre la porte à des interprétations complexes sur ce qui peut être considéré comme « nécessaire » dans les interactions homme-animal.

    48. La loi adopte une définition large du terme « animal », l'envisageant comme « toute créature vivante autre qu'un être humain »31, conférant ainsi à la législation une portée potentiellement vaste, englobant théoriquement les animaux domestiques, sauvages, captifs ou errants. La disposition centrale de la loi est sans conteste l’article 11, qui énumère une série d'actes et d'omissions considérés comme des traitements cruels. Ce texte interdit explicitement de battre, donner des coups de pied, surmener, surcharger, torturer ou traiter de toute autre manière un animal de façon à lui causer une douleur ou une souffrance superflues. Il prohibe également le fait d'employer un animal inapte au travail, de lui administrer des substances nuisibles, de le transporter dans des conditions douloureuses, de le confiner dans des cages exigües sans possibilité de mouvement raisonnable, de le maintenir enchaîné de manière déraisonnable, ou de négliger de lui fournir nourriture, eau et abri suffisants. Enfin, l'abandon d'un animal et l'organisation de combats d'animaux sont également interdits. Cette énumération détaillée témoigne d'une volonté de couvrir un large spectre de mauvais traitements observables.

    49. Cependant, l'une des critiques les plus récurrentes et les plus fondées adressées à la loi PCA de 1960 concerne la faiblesse des sanctions pénales qu'elle prévoit32. Pour une première infraction de cruauté telle que définie par l’article 11, la loi prévoit une amende minimale de dix roupies (0.11 euros) pouvant aller jusqu'à cinquante roupies (0.54 euros). En cas de récidive dans les trois ans suivant la première condamnation, l'amende est portée à un minimum de vingt-cinq roupies (0.27 euros) et un maximum de cent roupies (1.08 euros), ou peut être assortie d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à trois mois. Ces montants, fixés en 1960, sont aujourd'hui considérés comme dérisoires et totalement inefficaces pour dissuader les auteurs d'actes de cruauté. Cette obsolescence des sanctions constitue une lacune majeure qui vide la loi d'une grande partie de sa substance et de son potentiel dissuasif dans le contexte socio-économique actuel de l'Inde.

    50. Au-delà de la faiblesse des peines, la loi PCA est également caractérisée par des exceptions notables qui soulèvent des questions éthiques et socioculturelles complexes. L’article 14, par exemple, autorise l'expérimentation animale à des fins d'avancement des connaissances physiologiques ou médicales, utiles à la santé humaine, animale ou végétale, bien qu'elle prévoie la mise en place d'un comité de contrôle pour réguler ces pratiques. Cette disposition place la loi dans une tension inhérente entre la protection animale et les impératifs perçus de la recherche scientifique et du progrès humain.

    51. Plus controversée encore est l’article 28, qui dispose que rien dans la loi ne rendra délictueux le fait de tuer un animal de la manière requise par la religion d'une communauté. Cette exception, qualifiée de « notoire »33, apparaît comme une dérogation majeure au principe de prévention de la cruauté. Dans le contexte d'une Inde caractérisée par une profonde diversité religieuse34, où les sacrifices animaux font partie intégrante de certaines traditions séculaires, cette section cristallise le conflit potentiel entre le sécularisme de l'État35, la liberté religieuse garantie par la Constitution, et l'objectif de bien-être animal promu par la loi elle-même. Bien que la jurisprudence ait tenté, notamment dans l'affaire Nagaraja36, de limiter la portée de cette exception en affirmant la primauté de la loi sur la coutume cruelle37, la persistance de pratiques sacrificielles à grande échelle témoigne de la complexité de l'application de la loi face à des considérations religieuses et culturelles profondément ancrées. L’article 11[3] prévoit également des exceptions pour certaines pratiques d'élevage comme l'écornage ou la castration, ainsi que pour la destruction des chiens errants par les autorités, ajoutant une couche supplémentaire de complexité quant à la délimitation de la cruauté « inutile ».

    52. Enfin, il est essentiel de mentionner que la loi PCA Act, dans son Chapitre II, a institué l'Animal Welfare Board of India(AWBI). Conçu comme un organe statutaire doté de la personnalité morale38, l'AWBI a pour mission principale de promouvoir le bien-être animal et de conseiller le gouvernement central sur l'application et l'amélioration des lois relatives à la prévention de la cruauté. Ses fonctions, détaillées à l’article 9, incluent la sensibilisation du public, le soutien aux refuges, et la formulation de recommandations sur des sujets variés allant du transport des animaux aux conditions dans les abattoirs. Bien que l'existence de l'AWBI soit une reconnaissance institutionnelle de l'importance du bien-être animal, son efficacité réelle est souvent remise en question en raison du manque de ressources, de pouvoirs d'exécution limités et des défis inhérents à la mise en œuvre de ses recommandations sur le terrain.

    53. En somme, la loi Prevention of Cruelty to Animals Actde 1960 représente une base législative essentielle pour la protection animale en Inde. Toutefois, son impact est considérablement atténué par la faiblesse de ses sanctions, devenue flagrante avec le temps, par des exceptions controversées qui reflètent les tensions socioculturelles du pays, et par des défis persistants dans son application effective, créant un fossé préoccupant entre les intentions louables du législateur de 1960 et la réalité souvent brutale vécue par les animaux en Inde aujourd'hui. Pour reprendre les termes des professeurs Mishra et Choudhary : « En Inde, où la condition des personnes vivant dans la rue est déjà si effroyable, il est fort peu probable que le sort des animaux errants figure parmi les priorités du gouvernement »39.

     

    c) Le Wildlife Protection Act (WPA), 1972

     

    54. Si la loi PCA Act de 1960 constitue le socle de la législation contre la cruauté envers les animaux en général, le Wildlife Protection Act(WPA) de 197240 représente le pilier central et la législation de principe en Inde spécifiquement dédiée à la protection et à la conservation de la faune et de la flore sauvages41. Son adoption survient dans un contexte de prise de conscience croissante, tant au niveau national qu'international (influencée notamment par la Conférence de Stockholm de 1972), de la nécessité impérieuse de préserver la biodiversité face aux menaces grandissantes de l'activité humaine. La loi vise explicitement à assurer la sauvegarde et la protection de la faune sauvage, y compris les espèces végétales, et à garantir la sécurité environnementale et écologique du pays42. Elle marque un changement de paradigme par rapport aux législations antérieures, souvent fragmentaires et principalement axées sur la régulation de la chasse plutôt que sur une conservation proactive43.

    55. La portée de la loi WPA est large, comme en témoigne sa définition de la « faune sauvage »44, qui englobe tout animal, toute vie végétale aquatique ou terrestre faisant partie intégrante d'un habitat. Le terme « animal sauvage » désigne quant à lui tout animal spécifié dans les Annexes I à IV de la loi. Ce système d'annexes est une caractéristique structurelle essentielle de la WPA, établissant différents niveaux de protection juridique en fonction du statut de conservation des espèces. Les Annexes I et II (Partie II) confèrent la protection la plus rigoureuse aux espèces en danger critique, interdisant strictement le braconnage, la mise à mort ou le commerce de ces animaux, sauf dans des circonstances très exceptionnelles. Des animaux emblématiques comme le tigre du Bengale ou le léopard des neiges y figurent. Les Annexes III et IV concernent des espèces qui nécessitent une protection mais ne sont pas considérées comme gravement menacées ; la chasse y est interdite, mais les sanctions encourues en cas d'infraction sont moins sévères que pour les espèces des Annexes I et II. La loi comporte également une Annexe V listant les animaux considérés comme « vermine », dont la chasse peut être autorisée, et une Annexe VI protégeant certaines espèces végétales spécifiques.

    56. L'une des interdictions fondamentales édictées par la loi WPA est celle de la chasse, définie de manière extensive à l’article 9 pour inclure non seulement l'acte de tuer ou de capturer, mais aussi le piégeage et l'empoisonnement de tout animal sauvage. Cette interdiction générale ne souffre que d'exceptions très limitées, principalement encadrées par l’article 11 : la chasse peut être autorisée par le Chief Wildlife Warden(l'autorité principale au niveau de l'État) si un animal sauvage devient dangereux pour la vie humaine ou la propriété (y compris les récoltes sur pied), ou s'il est malade ou handicapé au point d'être incapable de survivre. Toute chasse effectuée dans ces conditions exceptionnelles doit l'être de bonne foi, et l'animal tué devient alors propriété du gouvernement. La loi interdit également de perturber ou détruire les œufs ou les nids d'oiseaux et de reptiles.

    57. Reconnaissant que la protection des espèces ne peut être dissociée de la préservation de leur habitat, la loi WPA institue un réseau d'aires protégées. Le Chapitre IV de la loi prévoit la création et la gestion de Sanctuaires et de Parcs Nationaux par les gouvernements des États, dans des zones jugées d'importance écologique, faunique, florale ou géomorphologique. L'entrée dans ces zones est strictement réglementée, et toute activité susceptible de détruire, exploiter ou retirer la faune et la flore, ou de détruire ou détourner l'habitat (y compris les cours d'eau) est interdite, sauf autorisation expresse et motivée. Le pâturage du bétail y est également prohibé.

    58. La loi WPA s'attaque également au commerce illégal des espèces sauvages et de leurs produits dérivés. L’article 39 établit un principe fondamental : tout animal sauvage (autre que la vermine), qu'il soit chassé, trouvé mort ou tué par erreur, ainsi que toute partie d'animal, viande, trophée ou article manufacturé en provenant, est considéré comme propriété du gouvernement de l'État. Toute personne détenant un animal captif listé dans les Annexes, ou un trophée ou article dérivé d'un animal des Annexes I ou II, doit en faire la déclaration auprès du Chief Wildlife Warden45. La loi encadre strictement le commerce : seules les personnes détenant une licence peuvent exercer des activités de taxidermie, de commerce de trophées, de viande d'animaux sauvages ou d'animaux captifs46. La vente ou le transfert de tels articles est soumis à l'obtention préalable d'un certificat de propriété47.

    59. Pour assurer la mise en œuvre de ses dispositions, la loi établit une structure administrative spécifique, avec des autorités désignées aux niveaux central (Directeur de la Préservation de la Faune) et étatique (Chief Wildlife Wardenet autres officiers). Elle prévoit également la constitution d'un National Board for Wild Lifeet de State Boards for Wild Life, dont le rôle est principalement consultatif, visant à orienter les politiques de conservation, à promouvoir le développement des aires protégées et à harmoniser les besoins des populations locales (notamment tribales) avec les impératifs de protection48. Enfin, l’article 51 détaille les sanctions pénales encourues en cas d'infraction, prévoyant des peines d'emprisonnement (pouvant aller jusqu'à sept ans pour les infractions les plus graves concernant les espèces de l'Annexe I ou de l’Annexe II) et des amendes significatives49, conçues pour avoir un effet dissuasif.

     

    d) Autres législations et règlements pertinents

     

    60. Au-delà des deux piliers que sont les lois PCA de 1960 et WPA de 1972, le paysage juridique indien comprend d'autres textes qui, directement ou indirectement, façonnent le statut et la protection des animaux. Ces dispositions, bien que parfois plus anciennes ou plus générales, interagissent avec les lois principales et révèlent les complexités et les contradictions inhérentes à l'approche indienne du droit animalier.

    61. Antérieur aux lois spécifiques sur le bien-être animal, le Code pénal indien de 186050, monument législatif de l'ère coloniale, aborde la question des animaux principalement sous l'angle du dommage à la propriété. Les article 428 et 429 du Code pénal indien criminalisent la « destruction de biens » consistant à tuer, empoisonner, mutiler ou rendre inutile un animal. La distinction entre les deux articles repose sur une évaluation pécuniaire de l'animal : l’article 428 s'applique aux animaux d'une valeur de dix roupies ou plus, tandis que l’article 429 vise spécifiquement certains animaux jugés plus précieux (éléphant, chameau, cheval, buffle, taureau, vache, bœuf) quelle que soit leur valeur, ou tout autre animal d'une valeur de cinquante roupies ou plus. Cette approche, bien qu'offrant une forme de protection pénale, est fondamentalement problématique du point de vue du bien-être animal. Elle reflète une perspective anthropocentrique et utilitariste où l'animal est avant tout considéré comme un bien, une propriété appartenant à un être humain51.

    62. La gravité de l'acte répréhensible est mesurée non pas en fonction de la souffrance infligée à l'être sensible, mais en fonction de la perte économique subie par son propriétaire. L'obsolescence des seuils monétaires fixés en 1860 rend par ailleurs ces dispositions particulièrement inefficaces aujourd'hui52. Bien que le Code pénal Indien reconnaisse l'animal comme une « créature vivante autre qu'un humain », son traitement juridique reste ancré dans le paradigme de la propriété, occultant la reconnaissance de sa capacité à souffrir et son potentiel statut de victime53.

    63. Outre les lois et codes, des textes de nature règlementaire ont une incidence sur le sort des animaux en Inde. Les lois PCA et WPA prévoient la possibilité pour le gouvernement d'édicter des règles d'application spécifiques pour divers domaines. Ces règlements constituent une part substantielle et très détaillée du droit animalier indien. Parmi les plus notables, on trouve :

    64. Le Animal Birth Control (Dogs) Rules de 200154 : ce règlement vise à gérer les populations de chiens errants de manière humaine, en privilégiant la stérilisation et la vaccination plutôt que l'éradication systématique. Il encadre les méthodes de capture, de traitement et de remise en liberté des chiens, et prévoit l'euthanasie uniquement pour les animaux incurablement malades ou mortellement blessés, selon des méthodes précises. Ce règlement représente une tentative de concilier la santé publique et la gestion des populations errantes avec une approche plus éthique du traitement des animaux.

    65. D'autres ensembles de règles concernent le transport des animaux (Transport of Animals Rules)55, les conditions dans les abattoirs (Slaughter House Rules)56, et l'utilisation d'animaux dans les spectacles (Performing Animals (Registration) Rules)57. Chacun de ces textes tente d'établir des normes minimales de bien-être dans des contextes spécifiques d'utilisation animale.

     

    II. Les voies d'amélioration : vers un droit animalier plus protecteur en Inde ?

     

    66. Cette seconde partie se penche sur les évolutions récentes et les pistes pour renforcer la protection juridique des animaux, en analysant la dynamique jurisprudentielle (A) et les propositions de réformes législatives (B).

     

    A. Une jurisprudence progressiste en butte aux oppositions culturelles : le cas du Jallikattu

     

    67. Cette sous-partie analyse l'évolution marquante de la jurisprudence à travers le cas emblématique du Jallikattu, depuis l'interdiction historique de 2014 (a) jusqu'au revirement controversé de 2023 (b).

     

    a) Le bouleversement de l’arrêt de 2014

     

    68. Étymologiquement le Jallikattu signifie pièces d’or ou d’argent (jalli) et lié (kattu)58. Il s’agit d’une pratique sportive consistant à attacher de l’argent aux cornes d’un taureau. Des jeunes hommes, en âge de se marier, pour prouver leur bravoure doivent tenter de prendre l’argent.

    69. A l’inverse de la corrida, le but n’est donc pas d’infliger des souffrances à un taureau et de fait ce sont les hommes qui, souvent, en paient les conséquences. Ainsi en 2004, cinq individus sont décédés des suites des blessures reçues lors des combats avec les taureaux59. Toutefois les taureaux aussi s’exposent à des blessures involontaires. C’est au nom du bien-être des animaux que ces combats se sont heurtés à l’hostilité croissante des autorités publiques et judiciaires qui en ont décrété l’interdiction. La première règlementation du Jallikattu fut une loi adoptée en 2009 qui autorisait ces combats en les enfermant dans certaines limites60. Cette législation spécifique au Tamil Nadu n’allait pas être du goût de certains défenseurs du bien être animalier qui attaquèrent ce dispositif. L’affaire fut initiée par l’organisation gouvernementale Animal Welfare Board of India, chargée de veiller au respect de la législation de 1960 relative à la prévention de la cruauté envers les animaux61. Elle attaqua en justice la loi de 2009 afin d’obtenir l’interdiction sur le territoire national du Jallikattu. C’est ainsi que la Cour Suprême se trouva saisie de cette affaire. Elle donna gain de cause à la requérante.

    70. Dans son jugement de 2014, la Cour suprême, guidée notamment par le juge K.S. Radhakrishnan, a articulé son interdiction autour de plusieurs axes juridiques fondamentaux. Elle a d'abord jugé que ces pratiques constituaient une violation manifeste de la loi PCA, en particulier de ses articles 3 et 11, qui imposent un devoir général de soin et prohibent spécifiquement l'infliction de douleurs ou de souffrances non nécessaires, y compris par l'incitation au combat ou à la performance entraînant une telle souffrance. La Cour a estimé que le Jallikattu et les courses de chars soumettaient les animaux à une détresse physique et psychologique excessive, incompatible avec l'esprit et la lettre de la loi. Elle a également écarté l'argument selon lequel ces activités pourraient bénéficier d'une exemption au titre de la « nécessité » prévue à l'article 11[3] de la PCA Act, considérant que le divertissement humain ne saurait constituer une telle nécessité justifiant la cruauté observée.

    71. De manière particulièrement novatrice, la Cour a élevé la protection des animaux à un niveau quasi-constitutionnel. Elle a affirmé que tous les êtres vivants possèdent une dignité intrinsèque et un droit fondamental à vivre paisiblement, à l'abri des souffrances évitables et dans le respect de leur bien-être. Pour étayer cette position, les juges se sont référés aux Devoirs Fondamentaux inscrits dans la Constitution indienne, spécifiquement l'article 51-A(g), qui enjoint à protéger l'environnement naturel et à faire preuve de compassion envers les créatures vivantes, et l'article 51-A(h), qui promeut l'esprit scientifique et l'humanisme. Cette interprétation a conduit la Cour à considérer que ces devoirs impliquent une protection active des animaux, connectée implicitement au droit à la vie et à la dignité garanti par l'article 21 de la Constitution.

    72. Conséquemment, la législation spécifique de l'État du Tamil Nadu de 2009, a été jugée invalide. La Cour a estimé qu'en cherchant à réglementer plutôt qu'à interdire une pratique jugée intrinsèquement cruelle et contraire à la loi fédérale (loi PCA), la législation de 2009 entrait en conflit avec cette dernière et devait donc céder le pas en vertu du principe de suprématie de la loi fédérale. Elle a relevé que cette loi visait avant tout à préserver une coutume sociale plutôt qu'une pratique religieuse essentielle. Enfin, les préoccupations relatives à la sécurité publique, illustrées par le non-respect fréquent des mesures de protection minimales lors des événements passés, ont également pesé dans la balance décisionnelle.

    73. Il convient de noter que ce jugement n'est pas exempt de critiques ou d'analyses nuancées. Tout d’abord, nous pouvons mettre en avant la fracture culturelle entre une Inde urbaine, perçue comme plus sensible aux normes internationales de bien-être animal, et une Inde rurale attachée à ses traditions62. Des interrogations ont également été soulevées quant à la cohérence de cette interdiction avec la permission d'autres pratiques impliquant la mort ou l'utilisation d'animaux, comme l'abattage pour l'alimentation ou pour des motifs religieux, souvent justifiées par le concept de « nécessité » que la Cour a écarté pour le Jallikattu. De plus, l'argument selon lequel les taureaux, n'étant pas utilisés dans un spectacle à but lucratif (absence de billetterie), et par conséquent ne devraient pas être catégorisés comme « animaux de spectacle » au sens strict, a été rejeté par la Cour Suprême sans que celle-ci ne le justifie.

    74. L'arrêt de 2014 constitua indéniablement une décision fondatrice dans l'évolution du droit animalier en Inde. En ancrant l'interdiction du Jallikattu et des courses similaires dans une lecture rigoureuse de la PCA Act et en l'enrichissant d'une reconnaissance de la dignité et des droits fondamentaux des animaux dérivés de la Constitution, la Cour suprême a posé un jalon important. Elle a affirmé la prévalence des impératifs de prévention de la cruauté sur des traditions culturelles lorsque celles-ci impliquent une souffrance animale avérée et évitable.

    75. Néanmoins cette décision ne fut pas suivie par une acceptation pacifique de l’interdiction du Jalikattu. Bien au contraire, elle fut vécue comme une insulte envers la population de l’Etat du Tamil Nadu. En janvier 2017, des manifestations furent organisées contre la décision de la Cour Suprême, non seulement dans l’Etat du Tamil Nadu63 mais également à l’étranger, notamment à Londres devant l’ambassade indienne64. Les réseaux sociaux sur lesquels les protestations peuvent légitimement inquiéter les pouvoirs publics ont abondamment servi de caisse de résonnance à la campagne des indiens de cet État65 qui, un peu partout dans le monde, ont réclamé le retour de leur « sport » favori : Etats-Unis, Australie, Afrique du Sud, Singapour… Partout où des ressortissants du Tamil Nadu ont élu domicile, des évènements ont été organisés pour contrer ce qui était présenté comme une atteinte à la culture de cet État66.

    76. Ces manifestations amenèrent promptement les autorités indiennes à réagir et le 23 janvier 2017, le gouvernement du Tamil Nadu adopta un règlement autorisant de nouveau le Jallikattu en dépit de l’interdiction de la Cour Suprême67. Quelques semaines plus tard, l’Assemblée législative du Tamil Nadu a voté un amendement à la loi fédérale PCA de 1960 visant à légaliser le Jallikattu68 en le qualifiant d’exception culturelle. Il modifie la loi fédérale PCA dans ses applications locales en précisant que la pratique traditionnelle du Jallikattu, dès lors qu’elle est encadrée par des « règles » strictes pour limiter la souffrance animale, ne sera pas considérée comme de la cruauté illicite envers les animaux. Le préambule de la loi déclare expressément que le Jallikattu fait partie intégrante de la culture et du patrimoine de l’État du Tamil Nadu, ce qui justifie son autorisation encadrée. Parmi les mesures d’encadrement introduites (figurant au nouvel article 3, al. 2 de la loi amendée), on note l’obligation d’obtenir des autorisations administratives pour chaque événement, la présence de vétérinaires, la création d’arènes sécurisées, la limitation du nombre de participants censées atténuer la violence de la pratique et protéger tant les animaux que le public.

    77. La Cour Suprême indienne n’a donc pas pris la mesure de l’importance culturelle du Jallikattu pour la population de cet Etat indien. Le Jallikattu est au cœur des pratiques masculines tamoules. Le taureau qui s'élance, dans les chansons et dans le langage courant, est une métaphore du jeune homme intrépide et viril, en particulier dans les castes de propriétaires terriens. Le Jallikattu, qui se déroule dans des lieux importants comme Alanganallur à Madurai, est retransmis à la télévision. Les gagnants reçoivent souvent des prix importants qui sont sponsorisés par des notables locaux. D’ailleurs, l'organisation de l'événement est un moyen pour les personnes ayant des ambitions politiques de s'attirer les faveurs des habitants de la région.

    78. Cependant les opposants de cette pratique ne désarmaient pas et un nouveau round judiciaire fut initié lorsque l’amendement légal de 2017 fut contesté devant la Cour Suprême par les organismes de protection animale, au premier rang desquels l’AWBI, PETA India, et d’autres ONG nationales69. En face, l’État du Tamil Nadu, soutenu par l’Union indienne, a défendu la validité de son amendement en mettant en avant le caractère culturel du Jallikattu. Ses avocats ont soutenu que la Constitution, en son article 29, alinéa 1, protège le droit de toute section de citoyens de conserver sa culture. Selon eux, le Jallikattu correspond à une tradition culturelle propre au peuple tamoul, qui mériterait à ce titre une protection constitutionnelle en tant qu’élément du patrimoine culturel. Ils ont également argué que les modifications législatives de 2017 avaient corrigé les défauts pointés par la Cour en 2014 – par exemple, la présence obligatoire de vétérinaires et la création d’arènes évitant les déchaînements incontrôlés – de sorte que les conditions du Jallikattu « moderne » ne seraient plus comparables aux abus du passé. Enfin, il a été avancé que la survie même des races bovines locales dépend du Jallikattu : sans la perspective de ces événements, les éleveurs n’auraient plus intérêt à conserver les taureaux de race indigène (moins productifs pour le lait ou le labour), ce qui conduirait à leur disparition. L’amendement de 2017, en permettant le Jallikattu, servirait donc indirectement un objectif d’ordre public agricole conforme à l’article 48 de la Constitution (amélioration des races animales).

    79. Consciente des enjeux à la fois juridiques et sociétaux de ce litige, la Cour suprême n’a pas tranché immédiatement. Dans une ordonnance du 2 février 201870, une formation de deux juges (présidée par J. Dipak Misra) a décidé de renvoyer l’affaire devant une Cour constitutionnelle de cinq juges afin de statuer sur les questions de principe soulevées. La Cour a estimé que le dossier soulevait des interrogations constitutionnelles majeures touchant aux droits culturels, aux droits des animaux, à la portée des devoirs fondamentaux envers les êtres vivants, et au partage des compétences législatives entre l’Union et les États fédérés.

    80. Parmi les questions de droit formulées à destination du banc constitutionnel figuraient :

    -Le Tamil Nadu avait-il compétence pour adopter l’amendement de 2017 à la PCA Act, ou s’agit-il d’un empiétement illégitime sur le domaine fédéral ?

    -Le Jallikattu peut-il être considéré comme faisant partie intégrante du patrimoine culturel tamoul au sens de l’article 29[1] de la Constitution, et bénéficier à ce titre d’une protection particulière ?

    -L’amendement de 2017 a-t-il effectivement supprimé la cruauté et respecte-t-il les exigences constitutionnelles, ou bien viole-t-il l’article 51A(g) (devoir de compassion) et éventuellement des droits fondamentaux (égalité en article 14, droit à la vie en article 21) ?

    81. Ces questions devaient être tranchées par la Cour suprême siégeant en banc constitutionnel. En attendant, aucune suspension ne fut ordonnée contre les amendements : de 2017 à 2023, le Jallikattu a pu se tenir chaque année au Tamil Nadu sous le régime de la loi amendée, bien que sous la menace d’une invalidation judiciaire ultérieure. Notons d’ailleurs, que les diverses élections qui se tinrent dans cet Etat durant cette période firent de cette pratique un enjeu important avec la promesse implicite : « votez pour nous et vous aurez toujours le Jallikattu »71.

    82. Il fallut attendre 2023 pour que la Cour Suprême rende enfin son arrêt.

     

    b) Le désaveu jurisprudentiel de 2023

     

    83. Après plusieurs années de réflexions, c’est le 18 mai 2023 que la Cour suprême, constituée de cinq juges (présidée par J. K.M. Joseph), a rendu son arrêt dans l’affaire désormais connue sous le nom de « Jallikattu II ». Cet arrêt, intitulé Animal Welfare Board of India & Ors. c. Union of India & Ors72 a finalement validé les amendements législatifs autorisant le Jallikattu.

    84. La Cour suprême a donc, en 2023, renversé partiellement la solution de 2014, en jugeant que la reprise encadrée de ces sports traditionnels n’était pas inconstitutionnelle. Cependant, ce revirement s’est accompagné de nuances importantes dans le raisonnement.

    85. Compétence législative et validité formelle de la loi de 2017 : La Cour a jugé que l’État du Tamil Nadu avait agi dans le cadre de ses pouvoirs. L’amendement de 2017 a été considéré comme relevant de la compétence des Etats fédérés en raison du paragraphe 17, liste 3 de l’Annexe 7 de la Constitution73. Ce texte donne compétence aux parlements locaux pour prendre les mesures nécessaires pour la prévention de la cruauté envers les animaux. Dès lors, avec l’assentiment du Président de l’Union, le Tamil Nadu était habilité à adapter la loi de 2017 dans son État. La Cour a estimé que le législateur local poursuivait ostensiblement un objectif légitime (encadrer la pratique pour minimiser la cruauté) et non un détournement de pouvoir​. En substance, la Cour a constaté que la nouvelle loi, assortie de règles d’application, visait à minimiser la cruauté dans le Jallikattu et les sports similaires.

    86. Selon la Cour il y a donc cohérence (et non opposition) entre la finalité de la loi fédérale et celle de la loi d’État amendée. En conséquence, sur le plan formel, la validité juridique de l’amendement du Tamil Nadu a été confirmée.

    87. Caractère culturel du Jallikattu : La question très débattue de savoir si le Jallikattu constitue une part essentielle du patrimoine culturel tamoul n’a pas été tranchée de façon catégorique par la Cour. Son approche marque néanmoins une inflexion par rapport à 2014. La Cour a relevé que le Jallikattu existe depuis au moins quelques siècles au Tamil Nadu et qu’il implique un taureau lâché dans une arène où des participants tentent de l’arrêter. Toutefois, déterminer si cette pratique est véritablement « intégrée à la culture tamoule» nécessiterait, selon la Cour, une analyse anthropologique, religieuse et sociale approfondie qui dépasse le cadre du contrôle juridictionnel. La Cour suprême a estimé qu’il n’y avait pas lieu pour elle de trancher définitivement ce point dans le cadre de ces recours. Elle a noté qu’entre-temps, le législateur avait affirmé ce caractère culturel dans le préambule de la loi de 2017, et que perturber cette décision du législateur ne serait pas opportun. En termes diplomatiques, l’arrêt énonce : « Puisque le travail législatif a déjà été accompli et que le Jallikattu a été reconnu comme faisant partie du patrimoine culturel du Tamil Nadu, nous ne voulons pas perturber cette appréciation du législateur ».

    88. La Cour va même plus loin en désavouant explicitement la position de la Cour Suprême de 2014 sur ce point : « Nous n’acceptons pas l’opinion exprimée dans l’affaire A. Nagaraja selon laquelle la tenue du Jallikattu ne fait pas partie du patrimoine culturel du peuple du Tamil Nadu », ajoutant qu’en 2014 la Cour n’avait pas disposé d’éléments suffisants pour évaluer la culture locale. Ce faisant, l’arrêt de 2023 revient sur le constat de 2014 qui minimisait la portée culturelle du Jallikattu. Néanmoins, la Cour en 2023 n’a pas explicitement consacré le Jallikattu en tant que droit culturel fondamental protégé par l’article 29[1] de la Constitution. Elle a laissé la question ouverte aux débats, relevant davantage du forum politique que du juge. En pratique, cela signifie que la Cour a accordé une marge de manœuvre au législateur local pour décider s’il convient de préserver telle tradition culturelle, plutôt que d’imposer un jugement de valeur définitif sur la culture.

    89. Gageons que les émeutes qui ont suivi sa décision de 2014, l’ont conduit à sagement réaliser qu’elle n’avait pas conscience de l’influence des cultures locales.

    90. Appréciation de la cruauté et conditions du Jallikattu « régulé » : Sur le fond, la Cour constitutionnelle a reconnu que son arrêt Nagarajaavait dénoncé avec raison la cruauté inhérente aux combats de taureaux tels qu’ils étaient pratiqués auparavant. Elle rappelle que, dans l’arrêt de 2014, il avait été établi que « de telles activités ne sauraient être justifiées au nom de la tradition culturelle d’un État » et qu’elles contrevenaient aux articles 3 et 11 de la loi PCA du fait des sévices infligés aux taureaux. Toutefois, l’arrêt de 2023 souligne que les nouvelles mesures réglementaires mises en place par l’amendement de 2017 et ses règles d’application ont pour objet de « réduire substantiellement la douleur et la souffrance » des animaux tout en permettant la poursuite du sport traditionnel. Elle note que l’État a, par exemple, créé des enclos spécifiques pour isoler les taureaux avant le lâcher, imposé des contrôles vétérinaires et banni certaines pratiques brutales.

    91. Ce faisant, elle laisse entendre qu’un Jallikattu encadré et humanisé est envisageable légalement. En outre, le fait que l’amendement ait reçu la sanction du Président de l’Inde confère, d’après la Cour, une légitimité supplémentaire à l’action de l’État du Tamil Nadu dans le cadre fédéral. La conclusion est que le Jallikattu, tel que réglementé par la loi de 2017 et ses règles, n’équivaut plus à de la cruauté prohibée. La Cour affirme expressément que la nouvelle loi ne contrevient pas au devoir de compassion de l’article 51A(g), et qu’elle ne viole pas non plus les droits fondamentaux consacrés par les articles 14 et 21 de la Constitution.

    92. Rapport à l’arrêt Nagaraja: La Cour en 2023 s’est attachée à expliquer que sa décision n’ignorait pas l’arrêt Nagarajamais reflétait une situation juridique différente. Elle a affirmé que la loi de 2017 et ses règles n’étaient pas directement contraires aux principes énoncés dans l’affaire  Nagaraja. Ainsi, la Cour estime que l’objectif de protection animale poursuivi en 2014 reste pris en compte, mais par un autre moyen : au lieu d’une interdiction pure et simple, on a désormais un régime législatif qui cherche un équilibre. Dès lors, elle a formellement écarté les recours des associations animales et confirmé la validité de l’amendement du Tamil Nadu.

    93. La Cour a toutefois assorti son feu vert d’une mise en garde : elle a ordonné que les autorités locales appliquent strictement toutes les dispositions de protection contenues dans la loi de 2017.

    94. La saga juridique du Jallikattu a illustré de façon aiguë la tension entre la préservation des traditions culturelles et les exigences du bien-être animal moderne74. Elle amène en effet à se questionner sur le fait de savoir si un État peut invoquer un droit culturel pour soustraire une pratique aux normes générales. Si la réponse est positive, comment arbitrer lorsque cette pratique porte atteinte à la sensibilité morale contemporaine qui tend à proscrire la cruauté envers les animaux ? En 2014, la balance avait penché en faveur des animaux, ce que certains ont applaudi comme le triomphe d’une « morale constitutionnelle » progressiste sur des vestiges culturels jugés « barbares »75. Cependant, d’autres commentateurs (notamment au Tamil Nadu) ont critiqué l’arrêt Nagaraja en estimant qu’il reflétait une incompréhension du contexte local et une forme d’ingérence du pouvoir judiciaire central dans les affaires d’une minorité culturelle régionale76. A l’inverse, la décision de 2023 a déçu les partisans d’une vision éco-centrique du droit et est dénoncée comme une régression du droit des animaux77.

     

    B. Les innovations législatives futures

     

    95. Le semi-échec de l’évolution jurisprudentielle ne doit pas occulter les autres leviers possibles d’amélioration du sort juridique des animaux au titre desquels figure en première place le rôle du législateur.

    96. Cette sous-partie explore les autres leviers potentiels pour améliorer le droit animalier, principalement à travers les initiatives législatives visant à réformer les lois existantes, en se focalisant sur un projet de loi majeur (a) et d'autres propositions (b).

     

    a) Le projet de loi de 2022

     

    97. Il demeure évident que des réformes législatives substantielles sont indispensables pour pallier les insuffisances manifestes du cadre juridique actuel. L'activisme judiciaire, bien que précieux, ne peut se substituer indéfiniment à la volonté politique et à l'action du législateur pour moderniser et renforcer les lois de protection animale.

    98. L'une des faiblesses les plus criantes et universellement reconnues de la loi Prevention of Cruelty to Animals Act(PCA) de 1960 réside dans le caractère obsolète et dérisoire des sanctions pénales qu'elle prévoit pour les actes de cruauté78. Comme souligné précédemment, une amende maximale de cinquante roupies (0.54 euros) pour une première infraction, ou de cent roupies (1.08 euros) et/ou trois mois d'emprisonnement pour une récidive, n'a plus aucun effet dissuasif dans l'Inde contemporaine. Ces montants symboliques créent une situation d'impunité de fait pour les auteurs de maltraitances, même graves, et renvoient un message sociétal préoccupant quant à la valeur accordée à la vie et à la souffrance animales79.

    99. C’est notamment à ce défaut qu’un projet de loi déposé en 2022 vise à remédier80. Ce projet a trouvé sa source dans une campagne médiatique portée par une publication virale sur les réseaux sociaux #NoMore50 (en référence au montant dérisoire de l’amende encourue en cas de mauvais traitement). Cette campagne a été amplifiée par People for Animals, une organisation de défense des droits des animaux. Une vidéo percutante partagée sur leur compte officiel met en vedette Maneka Gandhi, ancienne ministre et figure de proue de la cause animale. Elle y appelle à une action urgente, exhortant le public à soutenir des pétitions pour amender la loi de 1960. Son message insiste sur l'importance de passer de la sensibilisation à des mesures concrètes81.

    100. Le célèbre acteur indien John Abraham s'est également joint à la cause, renforçant la visibilité du mouvement. Dans une déclaration passionnée, il a encouragé le public à agir au-delà des simples vœux, soulignant l'urgence de protéger les animaux face à la destruction de leur habitat et aux actes de cruauté. Il a spécifiquement appelé à écrire au Premier ministre Narendra Modi et au ministre de l'Élevage, Parshottam Rupala, pour demander une réforme législative82.

    101. Le projet de loi propose 61 amendements visant à combler les lacunes existantes, à renforcer les sanctions et à introduire de nouveaux concepts alignés sur la compréhension contemporaine du bien-être animal. Parmi les modifications envisagées figurent : une redéfinition de la cruauté (i), l’aggravation des sanctions (ii), la création de cinq libertés fondamentales au profit des animaux (iii), enfin l’interdiction des pratiques jugées particulièrement cruelles (iv).

     

    i) Redéfinir la cruauté : introduction de la « cruauté odieuse » et de la « bestialité »

     

    102. Une critique majeure de la loi de 1960 était son manque de gradation dans la définition de la cruauté, traitant divers actes sous l'égide générale de l’article 11 avec des sanctions uniformément faibles. Le projet de loi de 2022 cherche à remédier à cela en introduisant une nouvelle catégorie d'infraction : la « cruauté odieuse » (gruesome cruelty).

    103. Ce nouvel article 11A définirait la « cruauté odieuse » comme tout acte impliquant des animaux entraînant « une douleur et une souffrance extrêmes » et « susceptible de laisser l'animal avec un handicap à vie ». Les exemples spécifiques inclus dans cette définition sont la mutilation ou la mise à mort d'un animal par des méthodes cruelles (comme l'injection de strychnine dans le cœur), tout acte causant des dommages physiques permanents, rendant l'animal inutile, ou causant une blessure susceptible d'entraîner la mort, l'incitation ou l'organisation de combats d'animaux, et la promotion ou la participation à des compétitions de tir où des animaux sont libérés de captivité à cette fin.

    104. De manière significative, la « bestialité » est explicitement incluse sous la définition de cruauté odieuse. Le projet de loi la définit comme « tout type d'activité sexuelle ou de rapport sexuel entre un être humain et un animal ». Cette inclusion est une réponse législative directe à des formes de cruauté particulièrement choquantes. Bien que souvent occultés, des cas de bestialité émergent périodiquement dans l'actualité indienne, provoquant une onde de choc et une indignation considérable au sein de l'opinion publique83. L’un des cas les plus répugnants qui a été médiatisé s’est déroulé en 2018. Huit hommes ont été arrêtés dans le village de Mewat pour le viol collectif d'une chèvre gestante, qui est morte des suites de ses blessures84. Malheureusement l’actualité récente se fait toujours l’écho de ces pratiques détestables. En 2024, un résident de Modinagar, a été filmé, copulant avec une chienne. La vidéo, enregistrée par un voisin, a provoqué un tollé en ligne85.

     

    ii) Sanctions renforcées : une analyse comparative

     

    105. Le moteur principal de la réforme est la reconnaissance quasi unanime que les sanctions existantes sont obsolètes et inefficaces. Le projet de loi de 2022 propose une augmentation drastique des amendes et des peines d'emprisonnement, visant à créer un effet dissuasif réel et à garantir que la punition soit proportionnelle à la gravité de l'infraction.

    106. Le tableau suivant compare les sanctions de la loi PCA de 1960 avec celles proposées dans le projet de loi d'amendement de 2022.

    107. Tableau 1. Rs: roupies. Lakh: 100 000 roupies

     

    iii) Codifier le bien-être animal : les cinq libertés et le devoir de diligence

     

    108. Le projet de loi de 2022 propose l'introduction d'un nouvel article 3A, consacrant explicitement les cinq libertés fondamentales des animaux, un concept internationalement reconnu86. Les cinq libertés ont été formulées pour la première fois dans le cadre du Rapport Brambell en 1965, au Royaume-Uni. Ce rapport, commandé par le gouvernement britannique, visait à enquêter sur les conditions de bien-être des animaux dans les systèmes d'élevage intensif. Dirigé par le professeur Roger Brambell, le comité a établi que les animaux devaient bénéficier de conditions minimales pour éviter la souffrance.

    109. En 1979, le Farm Animal Welfare Council (FAWC), créé au Royaume-Uni, a formalisé ces principes sous la forme des « cinq libertés », qui ont depuis été adoptées et adaptées par de nombreuses organisations internationales, dont l'Organisation mondiale de la santé animale. Ces libertés ont évolué pour s'appliquer non seulement aux animaux d'élevage, mais aussi à d'autres catégories d'animaux.

    110. Ces libertés sont :

    -Ne pas souffrir de soif, de faim et de malnutrition.

    -Ne pas souffrir d'inconfort dû à l'environnement.

    -Ne pas souffrir de douleur, de blessures et de maladies.

    -Pouvoir exprimer les comportements normaux propres à l'espèce.

    -Ne pas éprouver de peur et de détresse.

    111. L’article 3A du projet de loi impose un devoir positif à toute personne ayant la charge d'un animal de garantir ces libertés. Cela représente une évolution significative par rapport à l’actuel article 3 de la loi de 1960, qui se concentre principalement sur le devoir négatif d'empêcher l'infliction de douleurs ou de souffrances inutiles. L'inclusion explicite des cinq libertés marque un changement conceptuel majeur, passant d'une législation axée principalement sur la prévention de la cruauté (une obligation négative) à une législation visant également la promotion du bien-être (une obligation positive). Bien que formulées comme des « libertés de ne pas souffrir de », ces libertés englobent des aspects positifs tels que le confort environnemental et la capacité d'exprimer des comportements normaux. Cette codification aligne plus étroitement le droit indien sur les principes et la science contemporains du bien-être animal au niveau international et pourrait fournir une base juridique plus solide pour poursuivre les cas de négligence ou de soins inadéquats.

     

    iv) L’interdiction de pratiques spécifiques

     

    112. Au-delà des dispositions générales, le projet de loi cible des pratiques spécifiques jugées cruelles et inhumaines, qui étaient souvent négligées. Il propose d'interdire explicitement :

    -L'utilisation de mors à pointes sur les chevaux, qui causent des douleurs et blessures sévères.

    -Le gavage forcé d'animaux à des fins de divertissement ou de compétition.

    -L'expérimentation animale pour les cosmétiques, s'alignant sur les tendances mondiales vers des méthodes d'essai éthiques.

    113. Enfin, le projet met un accent fort sur le sauvetage et la réhabilitation des animaux victimes de cruauté, en prévoyant la création obligatoire d'abris et de centres de réhabilitation pour leur fournir les soins nécessaires. Il reconnaît également l'importance de l'éducation et de la sensibilisation, suggérant l'intégration de sujets sur le bien-être animal dans les programmes scolaires pour cultiver l'empathie dès le plus jeune âge. Cette approche multidimensionnelle indique une compréhension que le bien-être animal efficace nécessite plus que de simples sanctions plus sévères pour des incidents isolés.

    114. Le projet de loi est officiellement prêt pour être déposé en vue de discussions parlementaires. Cependant malgré l'achèvement apparent des processus de consultation et un soutien généralisé, ce texte n’a toujours pas été officiellement déposé au Parlement indien. Les raisons de ce retard restent floues. Des responsables du ministère ont évoqué des étapes procédurales non encore atteintes ou une possible priorisation d'autres projets de loi lors des sessions parlementaires. Ce retard rend les experts perplexes, compte tenu du consensus apparent sur la nécessité de la réforme. Il laisse supposer l'existence potentielle d'obstacles politiques, administratifs ou liés à des intérêts industriels non explicitement déclarés. Les explications officielles vagues pourraient masquer des désaccords internes, des préoccupations concernant l'allocation des ressources nécessaires à la mise en œuvre (par exemple, pour les abris ou le renforcement des SPCA), ou simplement une priorité politique moindre par rapport à d'autres agendas législatifs87.

     

    b) Les autres propositions légales

     

    115. L'intérêt soutenu pour la réforme de la loi PCA se manifeste également par des propositions de loi d'initiative parlementaire, bien que celles-ci aient généralement une portée plus limitée que le projet gouvernemental de 2022. Ces initiatives illustrent deux stratégies législatives différentes : des corrections ciblées pour des problèmes spécifiques (sanctions, exemptions) versus une refonte fondamentale de l'ensemble de la loi. L'absence de progrès sur le projet de loi global pourrait encourager davantage de tentatives ciblées. Deux exemples récents peuvent être cités :

    116. La proposition de loi n° 8 de 2022. Introduit en 202288, ce projet vise exclusivement à augmenter les amendes monétaires prévues aux articles 11 (cruauté générale) et 20 (infractions liées à l'expérimentation) de la loi de 1960. Sa portée est nettement plus restreinte que celle du projet gouvernemental.

    117. La proposition de loi n° 68. Introduit en février 202489 (Shri Saket Gokhale, Rajya Sabha), ce projet se concentre sur l'augmentation de la sanction prévue à l’article 20, en ajoutant une peine d'emprisonnement potentielle et une amende considérablement plus élevée pour les violations liées à l'expérimentation animale.

     

    Conclusion

     

    118. Au terme de cette analyse, le droit animalier indien apparaît comme un domaine juridique complexe, pétri de contradictions et en pleine mutation. L'enchevêtrement unique de traditions culturelles et religieuses prônant la compassion, notamment à travers le principe d’Ahimsa, coexiste de manière frappante avec les réalités d'une cruauté persistante, exacerbée par les pressions de la modernité. Le cadre juridique actuel, bien que posant des jalons constitutionnels importants (articles 48A, 51A(g)) et reposant sur des lois fondamentales comme les lois PCA de 1960 et WPA de 1972, souffre de lacunes manifestes : obsolescence des sanctions, exceptions controversées et défis d'application sur le terrain.

    119. L'impulsion donnée par la jurisprudence, illustrée de manière emblématique par la saga du Jallikattu, a démontré à la fois le potentiel transformateur du juge et sa précarité face aux résistances culturelles et politiques profondes. L'arrêt de 2023, tout en validant une pratique encadrée, souligne la difficulté inhérente à l'arbitrage entre protection animale, patrimoine culturel et libertés fondamentales dans le contexte indien.

    120. L'Inde se trouve indéniablement à la croisée des chemins. L'avenir du droit animalier dépendra de sa capacité à surmonter ces tensions. Les propositions de réforme législative, en particulier le projet d'amendement à la loi PCA de 2022 visant à renforcer drastiquement les sanctions et à consacrer les cinq libertés, représentent une opportunité cruciale. Cependant, leur adoption et leur mise en œuvre effective nécessiteront une volonté politique forte et soutenue, capable de traduire les idéaux de compassion, ancrés dans la tradition et réaffirmés par la Constitution, en une protection tangible et efficace pour les millions d'animaux partageant le territoire indien. Le véritable défi réside désormais dans la concrétisation de cet impératif éthique et juridique.

    • 1 B. MITRA, « An Empirical Study on Animal Welfare in India », Supremo Amicus, 2018, vol. 4, p. 74 ; U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, thèse de doctorat, UPES, Octobre 2024, spéc. 3 ; 38-41 et 91, disponible sur : https://dr.ddn.upes.ac.in/xmlui/bitstream/handle/123456789/4413/Udit%20Raj%20Sharma%20Ph.D.%20Thesis%20TBP.pdf?sequence=1
    • 2 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 39.
    • 3 C. SINGH, S. MOHAN, « Desecrating the Silent Majority Critical Analysis of Animal Laws in India », International Journal Of Law Management & Humanities, 2020, vol. 3, n° 2, pp. 949-955, spéc. p. 950.
    • 4 D. MOODIE, « On blood, power, and public interest: the concealment of hindu sacrificial rites under indian law », Journal of Law and Religion, 2019, vol. 34, n° 2, pp. 165-182, spéc. p. 167.
    • 5 Id.
    • 6 C. SINGH, S. MOHAN, « Desecrating the Silent Majority Critical Analysis of Animal Laws in India », op. cit., p. 950.
    • 7 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 39.
    • 8 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 40.
    • 9 D. MOODIE, « On blood, power, and public interest: the concealment of hindu sacrificial rites under indian law », op. cit., pp. 168-169.
    • 10 Id.
    • 11 Id.
    • 12 D. MOODIE, « On blood, power, and public interest: the concealment of hindu sacrificial rites under indian law », op. cit., p. 170.
    • 13 C. S. ADCOCK, « Sacred Cows and Secular History: Cow Protection Debates in Colonial North India », Comparative Studies of South Asia, Africa and the Middle East, 2010, vol. 30, n° 2, pp. 297-311; S. CHIGATERI, « Negotiating the ‘Sacred’ Cow: Cow Slaughter and the Regulation of Difference in India », in Democracy, Religious Pluralism and the Liberal Dilemma of Accommodation, Monica MOOKHERJEE (ed), Springer, 2011 pp. 137-159 ; F. J. SIMOONS, D. O. LODRICK, « Background to Understanding the Cattle Situation of India: The Sacred Cow Concept in Hindu Religion and Folk Culture », Journal of Social and Cultural Anthropology, 1981, pp. 121-137 ; A. N. PAL, « The Sacred Cow in India : A Reappraisal », Indian Anthropologist, 1996, vol. 26, n° 2, pp. 53-62.
    • 14 D. DAS, « A Critical Analysis of Animal Cruelty in India », Jus Corpus Law Journal, 2022, vol. 2, n° 4, pp. 583-595, spéc. p. 587 ; P. TIWARI, « Animals, Culture and Law - Rights related to Animal Protection and Conservation in India », Supremo Amicus, 2021, vol. 24, [1140] ; H. VIJAIVERGIA, « Status of Animal Laws in India: Strict Implementation or a Tribute Suffices? », Jus Corpus Law Journal, 2021, vol. 2, n° 1, pp. 166-177, spec. p. 167.
    • 15 A. SHARMA, « Laws and Judicial Contribution for Animal Rights in India », Indian Journal of Law and Legal Research, 2023, vol. 5, n° 3, pp. 1-11, spec. p. 2; U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., pp. 38-39.
    • 16 Des sacrifices rituels d'animaux ont été et sont encore pratiqués au temple de Kalighat, l’un des sanctuaires hindous les plus anciens et les plus vénérés de Kolkata, dédié à la déesse Kali. En 2024, la Haute Cour de Calcutta a refusé d'interdire les sacrifices d'animaux lors de la fête de Kali Puja, estimant que ces pratiques faisaient partie des coutumes religieuses essentielles en Inde orientale, bien que controversées. OpIndia Staff, « Calcutta High Court denies to curb animal sacrifice in Goddess Kali temple, says practices in East India differ from those in North India », OpIndia, section Law, 30 octobre 2024, https://www.opindia.com/2024/10/calcutta-high-court-denies-to-curb-animal-sacrifice-in-goddess-kali-temple-says-practices-in-east-india-differ-from-those-in-north-india/
    • 17 D. MOODIE, « On blood, power, and public interest: the concealment of hindu sacrificial rites under indian law », op. cit., p. 170.
    • 18 Id.
    • 19 D. MOODIE, « On blood, power, and public interest: the concealment of hindu sacrificial rites under indian law », op. cit., p. 175.
    • 20 D. MOODIE, « On blood, power, and public interest: the concealment of hindu sacrificial rites under indian law », op. cit., p. 170.
    • 21 P. TIWARI, « Animals, Culture and Law - Rights related to Animal Protection and Conservation in India », op. cit., p. 6.
    • 22 A. MISHRA, N. CHOUDHARY, « lack of implementation of animal laws in India: a critical appraisal rights in India », Supremo Amicus, 2019, vol. 11, pp. 91-103, spéc. p. 93.
    • 23 D. MOODIE, « On blood, power, and public interest: the concealment of hindu sacrificial rites under indian law », op. cit., p. 180.
    • 24 A. SHARMA, « Laws and Judicial Contribution for Animal Rights in India », op. cit., p. 3.
    • 25 L’article peut être consulté sur le site : https://indiankanoon.org/doc/871328/
    • 26 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 86.
    • 27 L’article peut être consulté sur le site : https://indiankanoon.org/doc/1644544/
    • 28 Il s’agit de la chambre haute du Parlement de l’Inde.
    • 29 D. DAS, « A Critical Analysis of Animal Cruelty in India », Jus Corpus Law Journal, 2022, vol. 2, n° 4, pp. 583-595, spéc. p. 586.
    • 30 Cette loi peut être consultée sur le site : https://www.indiacode.nic.in/bitstream/123456789/11237/1/the_prevention_of_cruelty_to_animals_act,_1960.pdf
    • 31 Article 2 (a) PCA 1960.
    • 32 A. MISHRA, N. CHOUDHARY, « Lack of implementation of animal laws in India: a critical appraisal rights in India », op. cit., pp. 94-97 ; H. TIWARI, S. SETHI, V. GHARAT, « Regulations Governing Animal Rights in India », Indian Journal of Integrated Research in Law, 2023, vol. 3, n° 1, pp. 1-13, spéc. p. 8 ; U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 110.
    • 33 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 110.
    • 34 Pew Research Center, « Religion in India: Tolerance and Segregation », 2021, https://www.pewresearch.org/religion/2021/06/29/religion-in-india-tolerance-and-segregation/ ; N. K. DAS « Cultural Diversity, Religious Syncretism and People of India: An Anthropological Interpretation », Bangladesh e-Journal of Sociology, 2006, vol. 3, n° 2, pp. 32-52 ; L. DUDLEY JENKINS, « Diversity and the Constitution in India: What is Religious Freedom », Drake Law Review, 2009, vol. 57, pp. 913-941 ; G. DIETHER, S. BOERNER, D. CHATTERJEE, « Do religious differences matter? An analysis in India », Team Performance Management: An International Journal, 2011, vol. 17, nᵒ 3/4, pp. 224‑40.
    • 35 Le sécularisme indien, inscrit dans la Constitution de 1950, se caractérise par un principe de neutralité active, selon lequel l'État adopte une attitude équidistante envers toutes les religions tout en intervenant ponctuellement pour préserver la diversité confessionnelle et les libertés religieuses (art. 25 à 28 de la Constitution indienne). Contrairement à la conception française de la laïcité, issue de la loi du 9 décembre 1905, qui repose sur une stricte séparation institutionnelle entre l'État et les cultes avec une relégation du religieux dans la sphère strictement privée, le modèle indien admet une interaction plus souple entre l’État et les communautés religieuses. Ainsi, l'État indien n'hésite pas à réglementer ou soutenir certaines pratiques religieuses afin d'assurer la cohésion sociale et l'égalité entre les communautés, tandis que la France privilégie un idéal de neutralité absolue des institutions publiques, excluant tout soutien direct à une quelconque confession. R. BHARGAVA, « What Is Indian Secularism and What Is It For? » India Review, 2002, vol. 1, n° 1, pp. 1-32 ; S. GANGULY, « The Crisis of Indian Secularism », Journal of Democracy, 2003, vol. 14, no 4, pp. 11‑25; P. VAN DER VEER, « Religion, Secularism, and the Nation », India Review, 2008, vol. 7, no 4, pp. 378‑96.
    • 36 La décision Animal Welfare Board of India v. Nagaraja de 2014 constitue un arrêt historique rendu par la Cour suprême de l’Inde, portant sur la protection juridique des animaux en lien avec les pratiques culturelles. Dans cette affaire, la Cour a jugé que la tradition du Jallikattu (course de taureaux) violait la Prevention of Cruelty to Animals Act de 1960 ainsi que les dispositions constitutionnelles relatives à la dignité et au droit à la vie, étendues exceptionnellement aux animaux au titre de l'article 21 de la Constitution indienne. Voir infra.
    • 37 V. KANSAL, « The Curious Case of Nagaraja in India: Are Animals Still Regarded as “Property” With No Claim Rights? » Journal of International Wildlife Law & Policy , 2016, vol. 19, no 3, pp. 256‑67.
    • 38 A. SHARMA, « Laws and Judicial Contribution for Animal Rights in India », op. cit., p. 4.
    • 39 A. MISHRA, N. CHOUDHARY, « Lack of implementation of animal laws in India: a critical appraisal rights in India », op. cit., p. 94.
    • 40 Cette loi peut être consultée sur le site : https://tribal.nic.in/downloads/FRA/Concerned%20Laws%20and%20Policies/Wildlife%20Protection%20Act,%201972.pdf
    • 41 A. SHARMA, « Laws and Judicial Contribution for Animal Rights in India », op. cit., p. 5.
    • 42 Id.
    • 43 P. TIWARI, « Animals, Culture and Law - Rights related to Animal Protection and Conservation in India », op. cit.
    • 44 Article 2 (36) de la loi WPA.
    • 45 Article 40 de la loi WPA.
    • 46 Article 44 de la loi WPA.
    • 47 Article 42 de la loi WPA.
    • 48 Articles 3, 4 et 5 de la loi WPA.
    • 49 De 25 000 roupies (270 euros) à 200 000 roupies (2 162 euros).
    • 50 Ce texte peut être consulté à l’adresse : https://www.indiacode.nic.in/bitstream/123456789/15289/1/ipc_act.pdf
    • 51 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 151.
    • 52 A. MISHRA, N. CHOUDHARY, « Lack of implementation of animal laws in India: a critical appraisal rights in India », op. cit., p. 94.
    • 53 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 154.
    • 54 Ce texte peut être consulté sur le site : https://chdanimalhusbandry.gov.in/pdf/ABC__Dogs__Rules__2001.pdf
    • 55 Ce texte peut être consulté sur le site : https://ahd.uk.gov.in/files/5.2-Transport-of-Animals-Amend-Rules-2001.pdf
    • 56 Ce texte peut être consulté sur le site : awbi.gov.in/uploads/regulations/163309997882(SLAUGHTER HOUSE) RULES, 2001.pdf
    • 57 Ce texte peut être consulté sur le site : https://awbi.gov.in/uploads/regulations/163309972634PERFORMING%20ANIMALS%20(REGISTRATION)%20RULES,%202001.pdf
    • 58 A KALAIYARASAN, « Politics of Jallikattu », Economic & Political Weekly », 11 février 2017, pp. 10-13.
    • 59 R. SARA ABRAHAM, « Case Comment on Animal Welfare Board of India v. A. Nagaraja & Ors. (the Jallikattu Judgment) », 16 novembre 2015, https://www.lawctopus.com/academike/jallikattu-verdict-supreme-court/#_ednref2
    • 60 Tamil Nadu Regulation of Jallikattu Act, 2009, http://www.tniuscbe.org/download/gg/gg190.pdf
    • 61 Prevention of Cruelty to Animals Act, 1960, http://www.envfor.nic.in/legis/awbi/awbi01.pdf
    • 62 L’un des commentateurs de cette décision ironisait sur le fait que les magistrats avaient certainement le devoir d’illuminer le chemin des frustes habitants du Tamil Nadu. R. SARA ABRAHAM, « Case Comment on Animal Welfare Board of India v. A. Nagaraja & Ors. (the Jallikattu Judgment) », op. cit.
    • 63 En janvier 2017, plus d'un million de personnes ont occupé plusieurs espaces publics dans différentes régions de l'État du Tamil Nadu, protestant contre l'interdiction du Jallikattu. Ce fut l'une des plus importantes manifestations politiques dans le Tamil Nadu depuis l'indépendance de l’Inde. P. DEEPAK, « Power and Subjectification at the Edge of Social Media Interfaces in the Aftermath of the Jallikattu Protest », Humanities, 2023, vol. 12, no 4, p. 82.
    • 64 « Tamil lawyers, students protest against Jallikattu ban in Delhi », The Indian Express, 19 janvier 2017 ; « From London to Madurai and beyond: Tamilians protest against jallikattu ban », The News Minute, 18 janvier 2017.
    • 65 A. KALAIYARASAN « Politics of Jallikattu », Economic and Political Weekly, 2017, vol. 52, no 6, pp. 10‑13.
    • 66 G. RAVINDRAN, « Jallikattu Uprising: Rhizomatic Spatialities, Protesting Bodies and Controls », In Deleuzian and Guattarian Approaches to Contemporary Communication Cultures in India, éd. Gopalan Ravindran, Springer, 2020, pp. 15‑31.
    • 67 B. SIVAKUMAR, « Jallikattu: Tamil Nadu assembly passes bill to amend PCA Act », The Times of India, 23 janvier 2017.
    • 68 Prevention of Cruelty to Animals (Tamil Nadu Amendment) Act, 2017, disponible sur le site : https://prsindia.org/files/bills_acts/bills_states/tamil-nadu/2017/BillNo-1of2017TN.pdf
    • 69 Supreme Court Observer, « Challenge to the Practice of Jallikattu », https://www.scobserver.in/cases/challenge-to-the-practice-of-jallikattu/
    • 70 Id.
    • 71 P. DEEPAK, « Power and Subjectification at the Edge of Social Media Interfaces in the Aftermath of the Jallikattu Protest », Humanities, 2023, vol. 12, no 4, p. 82.
    • 72 The Animal Welfare Board Of India vs Union Of India, 18 Mai 2023, https://indiankanoon.org/doc/124059674/
    • 73 Ce texte peut être consulté sur le site : https://www.constitutionofindia.net/schedules/list-iii-concurrent-list/
    • 74 D. THAKUR, « Resolving the cultural right-animal right conflict in India: analyzing Article 29(1) through the paradigm of Jallikattu », Commonwealth Law Bulletin, 2018, vol. 44, n° 3, pp. 363-380.
    • 75 G. BHATIA, « Guest Post: The Supreme Court’s Anthropocentrism in the Jallikattu Judgment – II », Constitutional Law and Philosophy (blog), 16 juillet 2023, https://indconlawphil.wordpress.com/2023/07/16/guest-post-the-supreme-courts-anthropocentrism-in-the-jallikattu-judgment-ii/ ; D. KANSRA, « Case Comment on Animal Welfare Board of India v. A. Nagaraja », Quarterly Newsletter published by the Indian Law Institute, 2014, vol. 16, n° 2 ; T. MODI, S. STAR, « A Critical Analysis of the Animal Welfare Board of India v Union of India (Jallikattu II Case): Evolution of Animal Rights Jurisprudence in India », Jindal Global Law Review, 2024, vol. 1, pp. 201‑211.
    • 76 G. SHARMA, S. SINGH, « Regulating India’s blood-sport: an examination of the Indian Supreme Court’s decision in Animal Welfare Board of India v. A. Nagaraja », Jindal Global Law Review, 2015, vol. 6, pp. 113–122. Ces auteurs soulignaient également à juste titre un argument constitutionnel opportunément oublié par la Cour Suprême dans son arrêt de 2014 : l’article 29(1) de la Constitution indienne. Ce texte protège les cultures des groupes. Par conséquent, l’identité tamoule devait bénéficier d’un respect égal à celui d’autres communautés. Par ailleurs d’autres pratiques potentiellement cruelles, comme certains sacrifices d’animaux à des fins religieuses ou des sports équestres dans le nord de l’Inde, n’ont pas été interdites de la même manière.
    • 77 V. PARVEEN, «Case Study On the Landmark Ruling On Jallikattu - A Critical Analysis Contemplating the Deviation from Ecocentric Approach », Journal of Law and Legal Research, 2024, vol. 1, n° 3, pp. 7-12.
    • 78 D. DAS, « A Critical Analysis of Animal Cruelty in India », op. cit., p. 593 ; H. TIWARI, S. SETHI, V. GHARAT, « Regulations Governing Animal Rights in India », op. cit., p. 12.
    • 79 U. R. SHARMA, Animal Law in India: A Jurisprudential Analysis, op. cit., p. 110.
    • 80 Draft Prevention of Cruelty to Animal Act, (Amendment) Bill 2022 for amendment of Prevention of Cruelty to Animal Act, 1960-reg., 21 novembre 2022, https://prsindia.org/files/parliamentry-announcement/2022-12-07/Public%20notice-Draft%20PCA%20bill-2022.pdf
    • 81 India Today, « All about #NoMore50, the call to amend the animal cruelty act after 63 years », 19 juillet 2023, https://www.indiatoday.in/information/story/what-is-nomore50-2408660-2023-07-19
    • 82 Id.
    • 83 N. M. HANAGANDI, « Bestiality: A Rising Concern in India », Environmental Law & Policy Blog, Centre for Advocacy and Research in Environment and Animal Protection – National University of Study and Research in Law Ranchi, 11 février 2021, https://careapnusrl.wordpress.com/2021/02/11/bestiality-a-rising-concern-in-india/
    • 84 K. GAUTHAM, « Section 377 : Animal rights activists want it to safeguard animals against sexual offences », The Times of India, Times News Network, 2 août 2018, https://timesofindia.indiatimes.com/city/chennai/section-377-animal-rights-activists-want-it-to-safeguard-animals-against-sexual-offences/articleshow/65219961.cms
    • 85 A. SINGH, « Man held for bestiality as clip sparks outrage », The Times of India, Times News Network, Ghaziabad News, 26 août 2024, https://timesofindia.indiatimes.com/city/ghaziabad/man-arrested-for-bestiality-after-video-sparks-outrage/articleshow/112789053.cms
    • 86 D. M. BROOM, « A history of animal welfare science », Acta Biotheoretica, 2011, vol. 59, n° 2, pp. 121-137 ; C. MCCAUSLAND, « The Five Freedoms of Animal Welfare Are Rights », Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 2014, vol. 27, pp. 649-662 ; S.P. MCCULLOCH, « A critique of FAWC’s Five Freedoms as a framework for the analysis of animal welfare », Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 2013, vol. 26, n° 5, pp. 959-975.
    • 87 « The Prevention of Cruelty to Animals (Amendment) Bill, 2022 : A long-awaited reform », Bar and Bench, 23 juillet 2024, https://www.barandbench.com/columns/the-prevention-of-cruelty-to-animals-amendment-bill-2022-a-long-awaited-reform ; N. MADAAN, « Uncertainty looms over tabling of draft Prevention of Cruelty to Animals (Amendment) Bill in Monsoon Session of Parliament », Times of India, 8 juillet 2023, https://timesofindia.indiatimes.com/city/pune/uncertainty-looms-over-tabling-of-draft-prevention-of-cruelty-to-animals-amendment-bill-in-monsoon-session-of-parliament/articleshow/101602355.cms ; A. A. RAJ, N. BISWAS, « Legal Framework for Preventing Animal Cruelty in India with Special Reference to the Draft Prevention of Cruelty against Animals (Amendment) Bill 2022 », Ecology Environment and Conservation, 2024, vol. 30, n° 4, pp. 854-1860.
    • 88 Cette proposition de loi a été déposée par deux parlementaires : Shri Shyam Singh Yadav et Lok Sabha. Elle peut être consultée sur le site : https://sansad.in/getFile/BillsTexts/LSBillTexts/Asintroduced/8%20of%202022%20as%20introduced%20.pdf?source=legislation
    • 89 Cette proposition de loi a été déposée par deux parlementaires : Shri Saket Gokhale et Rajya Sabha. Elle peut être consultée sur le site : https://sansad.in/getFile/BillsTexts/RSBillTexts/Asintroduced/07_prevention%20of%20Cruelty_saket-E29202470802PM.pdf?source=legislation
     

    RSDA 1-2025

    Dossier thématique : Points de vue croisés

    Contorsions cognitives et alimentation porcine

    • Laurent Bègue-Shankland
      Professeur de psychologie sociale à l’Université Grenoble Alpes, LIP/PC2S

    1. Selon une enquête, un Européen moyen ne consommerait pas moins de 46 cochons au cours de sa vie1. Or, non seulement les conditions d’élevage de ces animaux sont notoirement inacceptables2, mais les conditions d’abattage sont régulièrement mises en cause pour leur non-conformité sanitaire et les souffrances animales qu’elles peuvent causer, aux antipodes de l’image commerciale de la « viande heureuse »3. Ainsi, dans la mesure où une possible culpabilité vis-à-vis des animaux tués est universellement partagée4, on peut s’attendre à ce que le consommateur mobilise des mécanismes d’apaisement cognitif.  Cet article expose plusieurs aspects de ces logiques mises en évidence par la psychologie sociale.

    2. Harmoniser ses pensées et ses actions est une préoccupation humaine qu’un chercheur de l’Université Stanford, Léon Festinger, a placée au cœur d’une importante théorie de l’équilibre cognitif5. La théorie de la dissonance cognitive a été développée pour rendre compte des processus psychologiques qui nous permettent de faire coexister des pensées inconciliables et de restaurer un sentiment de cohérence subjectivement acceptable lorsque nous éprouvons un état d’inconfort psychologique. L’expérience d’une dissonance cognitive peut provenir d’une incohérence entre des contenus de pensée comme : « Je porte atteinte à des animaux » et « Je ne souhaite pas faire de mal aux animaux ». Une manière conséquente de surmonter la dissonance peut résider dans le fait de diminuer voire de supprimer toute action attentatoire aux vies animales. Par exemple, l’alimentation carnée étant considérée comme une cause notoire de souffrances animales6, s’abstenir de manger de la viande peut constituer une manière de mettre en cohérence ses pensées et ses actions. Les enquêtes menées auprès des consommateurs européens montrent que cette décision n’est pas à l’ordre du jour pour la majorité d’entre eux7: la consommation de viande a été multipliée par deux en France depuis les années 1950 et ceux qui s’en abstiennent volontairement sont moins de 5 % dans la plupart des pays du monde.  Bien que l’on constate des évolutions significatives chez les plus jeunes, on compte actuellement 2,2 % de personnes végétariennes ou végétaliennes (s’abstenant d’aliments d’origine animale) en France8, avec toutefois de nombreux abandons. Selon les enquêtes, entre 40% et 75% des végétariens ne le seraient que temporairement9. Il existe cependant d’autres modalités de résolution de cette dissonance cognitive alimentaire que l’on désigne par le « paradoxe de la viande»10.

    1. La stratégie de l’évitement

    3. Une manière bien éprouvée d’apaiser l’inconfort cognitif est le simple évitement de la réalité inconfortable11. Pour esquiver de manière psychologiquement économe le sentiment désagréable d’une dissonance entre le précepte de non-violence et l’alimentation carnée, ne suffit-il pas simplement de fuir les situations susceptibles de l’engendrer ? Avec l’élévation historique de la sensibilité humaine et le rejet croissant de la cruauté envers les animaux12, l’effacement de leur corps s’est imposé dans les pratiques alimentaires, comme l’analysait le sociologue Norbert Elias :
    « La manière de présenter la viande a beaucoup évolué entre le Moyen Âge et l’époque moderne. La ligne de ce changement est très instructive : dans les couches supérieures de la société médiévale, on portait sur la table des animaux entiers ou d’énormes quartiers de viande. C’était la façon habituelle de servir les poissons, les oiseaux – parfois avec leurs plumes –, les lièvres, moutons et veaux. Le gros gibier, les porcs et les bœufs étaient en entier rôtis à la broche […]. L’orientation de cette évolution ne saurait faire le moindre doute : alors que la norme du départ considérait la vue d’une bête tuée et son dépeçage sur la table comme agréable ou du moins nullement déplaisante, l’évolution s’oriente vers une autre norme qui postule qu’on oublie autant que possible qu’un plat de viande a quelque rapport avec un animal13. »

    4. L’éloignement et l’invisibilité des lieux et des violences de l’abattage, la disparition des corps entiers sur les étals, les tables festives ou les livres de cuisine, la suppression dans l’assiette de parties anatomiques qui renvoient à un véritable animal (ayant des yeux, des oreilles, un groin), les évocations du destin champêtre des animaux d’élevage, tout ceci permet d’éluder l’ambivalence des consommations carnées.

    5. Cependant, lorsqu’il n’est plus possible d’escamoter la réalité crue de la chair animale, les propriétés déformantes et les vertus plastiques du langage entrent en scène. La désignation de la substance animale emprunte un lexique qui le dissocie de son espèce pour l’introduire dans une catégorie alimentaire. Ainsi, le cochon sera transsubstancié en porc avant d’être mué en jambon, et la vache convertie en segmentations anatomiques (le filet, le rumsteak) et donc ainsi parfaitement éclipsée par les formes géométriques imposées à sa chair. Cette dissociation, dont l’industrie de la viande sait le caractère impératif, permet de déjouer tout risque d’empathie et d’adoucir l’acte alimentaire. Une étude menée par deux chercheurs de la London School of Economics montrait à l’inverse qu’après une manipulation expérimentale conduisant à ce que les consommateurs perçoivent un cochon sous des apparences plus humaines, les participants anticipaient qu’ils éprouveraient de la culpabilité s’ils venaient à en manger, et diminuaient alors leur intention de le faire14.

    6. Dans une étude qui illustre très littéralement le phénomène de « désanimalisation », on présentait à des participants les photos de cochons cuisinés et disposés sur un plateau. À certains d’entre eux, on montrait ces animaux privés de leur tête et à d’autres des animaux entiers, puis l’on mesurait l’empathie éprouvée pour eux et le dégoût que l’idée de leur consommation suscitait. Les résultats ont indiqué que les cochons intacts évoquaient davantage d’empathie que les cochons décapités, et la perspective de leur consommation suscitait une répugnance accrue15.

    Image 1 : Les cochons destinés à la consommation et présentés avec leur tête suscitent plus de dégoût et d’empathie que ceux qui ne sont pas intacts, selon une étude de Kunst et Hohle (2016).

    7. Plus d’une trentaine d’études ont approfondi ce phénomène de « désanimalisation ». Les femmes, mais aussi les consommateurs les plus jeunes et issus de pays industrialisés sont plus affectés que les autres lorsqu’on leur présente un plat avec un animal entier par rapport à un plat qui ne fait plus penser à un animal16.

    2. L'atténuation de responsabilité

    8. Si, malgré l’évitement du caractère brut de la viande et l’euphémisation de sa présentation, le mangeur omnivore reste perturbé par l’origine vivante des aliments qu’il consomme, plusieurs ajustements cognitifs restent à sa disposition. À cet égard, les justifications culturelles de l’alimentation carnée établies par Jared Piazza et ses collègues s’avèrent persuasives, quoique de manière inégale17. Car s’il est probablement ardu de justifier, selon les canons de l’éthique du moins, la consommation d’animaux par simple invocation des pratiques majoritaires ou par la référence au plaisir gustatif des saveurs de la viande cuite (la fameuse réaction de Maillard)18, l’individu peut toujours invoquer d’impérieuses nécessités biologiques ou l’existence de profonds déterminismes évolutifs (« on en a toujours mangé ») pour se convaincre que l’alimentation carnée est une exigence dictée par notre nature humaine. Comme nous avons pu l’observer par ailleurs, l’invocation de de registre est plus fréquente chez des personnes ayant des modalités de pensée reflexives moins exigeantes19

    9. Si l’on croit que le fait de s’abstenir de manger de la viande compromet la santé ou défie une constante anthropologique profonde, pourquoi s’obstiner à faire l’ange en renonçant aux bêtes ? Continuer à penser (certes à tort)20 que la viande est une nécessité vitale, cela signifie que l’on n’a pas le choix de s’en abstenir. Or, le sentiment de ne pas avoir le choix affaiblit généralement l’expérience de la dissonance21.

    3. La minimisation de la consommation

    10. Les études de nutrition en population générale font état d’une surprenante incohérence des réponses en matière de régime alimentaire déclaré lors d’enquêtes de consommation. De nombreux consommateurs de viande ou de poisson persistent à se décrire comme végétariens22 est-ce en vertu d’une probable méconnaissance ou d’un usage fort peu rigoureux du vocabulaire alimentaire ?

    11. Cependant, il existe également des mécanismes actifs qui conduisent les individus à minimiser leurs habitudes carnées. Dans une étude, des participantes qui avaient pour consigne de remplir anonymement un questionnaire alimentaire déclaraient un niveau de consommation de viande inférieur si on les amenait à croire qu’elles allaient ensuite visionner un documentaire consacré à la maltraitance animale dans le secteur industriel de l’élevage23. On assiste par ailleurs à une minimisation des auto-estimations de la consommation de viande chez des omnivores qui font état de leurs habitudes alimentaires immédiatement après avoir pris connaissance des habitudes d’une personne végétarienne, dont la simple évocation aurait pour effet d’amplifier leur dissonance cognitive24.

    4. Le déni de capacités des animaux et leur exclusion morale

    12. Minorer les capacités sensorielles, l’intelligence ou la valeur des animaux consommés sont des mécanismes universels25 qui participent d’un désir de réduire l’inconfort cognitif. Cette idée est illustrée par les observations d’une ethnologue de la vie rurale, Yvonne Verdier :

    13. « En engraissant, le cochon prend nom et rang de Monsieur. On l’appelle ainsi parce qu’il est « bien soigné, qu’il est beau, tout blanc, tout rosé, et qu’il fait du bien, surtout après sa mort ». Mais on s’attache à lui et on a mal au cœur le jour où il faut le tuer. Ainsi, un beau matin, on décide que l’animal est devenu méchant, comme pour alléger le crime (ainsi, la fermière, lorsqu’elle a à choisir quelle bête de basse-cour elle tuera, choisit celle qui est “trop vieille”, celle qui “n’est plus bonne à rien”, celle qui “ embête les autres”)26».

    14. L’ethnologue Catherine Rémy a vérifié cette « subjectivation négative » auprès d’ouvriers d’abattoir lorsqu’ils évoquent la dangerosité d’une bête qui ne « coopère pas » à son abattage. Ces phénomènes de réduction de dissonance ont aussi été analysés de manière plus systématique. Ainsi, dans une situation de laboratoire, une étude indiquait que le simple fait pour quelqu’un d’anticiper la consommation d’un morceau de viande suffisait à amoindrir la considération attribuées aux animaux de boucherie. De plus, l’attribution d’une vocation alimentaire aux animaux rendait plus accessibles les représentations qui justifiaient qu’on les mange. Des participants évaluaient ainsi les capacités mentales de 32 animaux différents, et il est apparu que l’estimation de leur comestibilité était inversement corrélée aux capacités qui leur étaient imputées : les vaches ou les cochons étaient ainsi jugés nettement moins intelligents que les chats, les lions et les antilopes. Ce résultat s’ajoute à une étude démontrant que face à une image de vache supposée aller à l’abattoir, des participants sont plus enclins à minorer ses capacités mentales et sa capacité à souffrir que si la même vache n’est pas destinée à être tuée27

    15. Le simple fait de classer un animal dans une catégorie alimentaire suffit à influencer l’idée qu’on se fait de ses facultés mentales. Dans une étude, on présentait ainsi à des participants un document sur un mammifère, le kangourou arboricole de Bennett. On les informait que ce mammifère ne vivait qu’en Nouvelle-Guinée, que sa population était importante et stable, et qu’il avait un cycle de reproduction rapide. Puis on introduisait diverses informations. Par exemple, il était précisé que la viande de l’animal était consommée par les habitants du pays, ou au contraire, on ne disait rien de sa consommation. Les participants indiquaient ensuite dans quelle mesure ils estimaient que ce type de kangourou souffrait s’il était blessé, et s’il méritait de ne pas être maltraité. Il est apparu que le simple fait de ranger cet animal dans la catégorie de la viande consommable suffisait à minorer les capacités sensorielles qui lui étaient prêtées28. À l’inverse, il suffit que le consommateur pense aux capacités mentales d’un animal pour que la perspective de l’avaler suscite en lui le dégoût29. Cependant, la mise en exergue des capacités cognitives du cochon ne s’accompagne pas automatiquement d’une élévation de la considération qui lui est accordée30

    Conclusion

    La raison alimentaire du plus fort s’emploie donc activement à justifier ses préférences. Elle sait se mettre au service des usages institués de mille manières. Dans certains cas, ses mobiles sont transparents et se déduisent directement d’intérêts économiques ou de normes corporatives31. Mais le plus souvent, les mécanismes de justification sont plus subtils, non verbalisés et sincères. Nous voulons nous convaincre nous-mêmes que nous sommes des personnes moralement décentes et cohérentes. Cependant, les justifications bien huilées qui organisent le monde selon des modalités qui s’accommodent à nos pratiques doivent surmonter une possible résistance et non des moindres. Celle-ci procède de dispositions affectives et morales qui opèrent constamment dans nos relations avec les membres de notre espèce, et qu’il nous faut discipliner lorsqu’il s’agit de considérer l’empathie à laquelle peuvent prétendre d’autres animaux. Nous sommes en effet porteurs de plusieurs codes moraux enracinés dans notre histoire et dont certains prohibent la maltraitance des êtres vivants que nous côtoyons32

    [Ce texte constitue une reprise mise à jour du chapitre 5 du livre : L. Bègue-Shankland, Face aux animaux. Nos émotions, nos préjugés, nos ambivalences. Paris : Editions Odile Jacob. Nous remercions l’éditeur pour l’autorisation de reproduction accordée à titre gracieux.]

     

    • 1 Enquête CREDOC, citée par Curtay, J.P. & et Magnin, V. (2018). Moins de viande. Vers une transition au profit de notre santé, du monde vivant et de l’environnement. Paris, Solar, p. 23.
    • 2 Par exemple, selon les chiffres officiels fournis par les filières françaises concernées ou les sites gouvernementaux, l’élevage intensif impliquant un confinement des animaux et l’absence d’accès à l’extérieur concerne 83 % des poulets de chair, 97 % des dindes, 99 % des lapins, et 95 % des cochons.
    • 3 Pilgrim, K. (2013). ‘Happy cows’, ‘happy beefs’ : a critique of the rationale for ethical meat. Environmental Humanities, 3, 111-127.
    • 4 Digard, J.P. (1999). Les Français et leurs animaux. Paris, Fayard, p. 148.
    • 5 Festinger, L. (1957). A theory of cognitive dissonance. Stanford University Press
    • 6 Norwood, B. & Lusk J. (2011). Compassion by the Pound: The Economics of Farm Animal Welfare. Oxford University Press, New York; Gancille, J.M. (2020). Carnage. Paris, Rue de l’Echiquier.
    • 7 Hartmann, C., & Siegrist, M. (2017). Consumer perception and behaviour regarding sustainable protein consumption: A systematic review. Trends in Food Science Technology, 61, 11-25.
    • 8 France Agrimer (2020). Végétariens et flexitariens en France en 2020. Enquête IFOP pour France Agrimer.
    • 9 Ruby M. B. (2012). Vegetarianism. A blossoming field of study. Appetite58(1), 141–150 ; Cooney, N. (2014). Veganomics. New York, Lantern Books.
    • 10 Loughnan, S., Haslam, N., & Bastian, B. (2010). The role of meat consumption in the denial of moral status and mind to meat animals.Appetite,55(1), 156–159. Voir aussi Rothgerber, H., Rosenfeld, D. L. (2021). Meat-related cognitive dissonance : The social psychology of eating animals. Social and Personality Psychology Compass, 15, e12592. Une perspective interculturelle est introduite par Tian, Q., Hilton, D., Becker, M. (2016). Confronting the meat paradox in different cultural contexts : Reactions among Chinese and French participants. Appetite, 96, 187–194. 
    • 11 Loughnan, S., Haslam, N., & Bastian, B. (2010). The role of meat consumption in the denial of moral status and mind to meat animals.Appetite,55(1), 156–159. Voir aussi Rothgerber, H., Rosenfeld, D. L. (2021). Meat-related cognitive dissonance : The social psychology of eating animals. Social and Personality Psychology Compass, 15, e12592. Une perspective interculturelle est introduite par Tian, Q., Hilton, D., Becker, M. (2016). Confronting the meat paradox in different cultural contexts : Reactions among Chinese and French participants. Appetite, 96, 187–194.
    • 12  Pinker, S. (2017). La part d'ange en nous. Paris, Les Arènes, chapitre 7.
    • 13 Elias, N. (1973). La civilisation des mœurs. Calmann-Levy, p. 169-171
    • 14 Wang, F., & Basso, F. (2019). "Animals are friends, not food": Anthropomorphism leads to less favorable attitudes toward meat consumption by inducing feelings of anticipatory guilt. Appetite138, 153–173
    • 15 Kunst, J. R. & Hohle, S. M. (2016). Meat eaters by dissociation: How we present, prepare and talk about meat increases positivity to eating meat by reducing empathy and disgust. Appetite, 105, 758-774
    • 16 Benningstad, N. C., & Kunst, J. R. (2020). Dissociating meat from its animal origins: a systematic literature review. Appetite, 147:104554
    • 17 Piazza, J., Ruby, M. B., Loughnan, S., Luong, M., Kulik, J., Watkins, H. M., & Seigerman, M. (2015). Rationalizing meat consumption. The 4Ns.Appetite,91, 114–128. 
    • 18 Mottram, D. S. (1998). Flavor formation in meat and meat a review. Food Chemistry, 62(4), 415-424.
    • 19 Rappelons que selon les autorités sanitaires, cela n’est pas le cas. : Melina, V., Craig, W., & Levin, S. (2016). Position of the Academy of Nutrition and Dietetics: Vegetarian Diets.Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics,116(12), 1970-1980 ; Mariotti, F. (2017). Vegetarian and plant-based diets in health and disease prevention. New York, Academic Press. 
    • 20 Cooper, J. (2007).Cognitive dissonance: Fifty years of a classic theory.London, Sage.
    • 21 Bègue, L., & Vezirian, K. (2023). Analytic cognitive style is inversely related to meat consumption.Personality and Individual Differences, 212,1–8
    • 22 Rothgerber, H. (2014). A comparison of attitudes toward meat and animals among strict and semi-vegetarians.Appetite,72, 98–105. 
    • 23 Rothgerber, H. (2019).“But I don’t eat that much meat”: Situational underreporting of meat consumption by women. Society and Animals, 27,150–173.
    • 24 Rothgerber H. (2014). A comparison of attitudes toward meat and animals among strict and semi-vegetarians.Appetite,72, 98–105.
    • 25 Sur l’universalité de l’abaissement des animaux avant l’abattage, on pourra se reporter à Dalla Bernardina, S. (1991). Une personne pas tout à fait comme les autres. L’animal et son statut. L’Homme, 31, 4, 33-50.
    • 26 Verdier, Y. (1977). Le langage des cochons. Ethnologie Française, 7, 2, 143-154.
    • 27 Loughnan, S., Haslam, N., & Bastian, B. (2010). The role of meat consumption in the denial of moral status and mind to meat animals.Appetite,55(1), 156–159. 
    • 28 Loughnan, S., Haslam, N., & Bastian, B. (2010). The role of meat consumption in the denial of moral status and mind to meat animals.Appetite,55(1), 156–159. 
    • 29 Ruby, M. B., & Heine, S. J. (2012). Too close to home. Factors predicting meat avoidance. Appetite59(1), 47–52. 
    • 30 Piazza, J., & Loughnan, S. (2016). When Meat Gets Personal, Animals’ Minds Matter Less: Motivated Use of Intelligence Information in Judgments of Moral Standing.Social Psychological and Personality Science,7(8), 867-874 ; Tian, Q., Liu, X., Zhou, J., & Sun, T. (2020). Do Animals’ Minds Matter Less, When Meat Gets Personal? Replications of Piazza and Loughnan (2016) in China. Social Psychological and Personality Science12(3), 417-425.
    • 31 Hannan, J. (2020). Meatsplaining. The animal agriculture industry and the rhetoric of denial. Sydney : Sydney University Press.
    • 32 Graham, J., Nosek, B. A., Haidt, J., Iyer, R., Koleva, S., & Ditto, P. H. (2011). Mapping the moral domain.Journal of Personality and Social Psychology,101(2), 366–385. Il s’agit des principes de non-nuisance, d’équité, de loyauté, d’autorité et de pureté. Voir Haidt, J. (2012). The righteous mind : Why good people are divided by politics and religion. New York, Pantheon ; Haidt J. (2007). The new synthesis in moral psychology. Science, 316(5827), 998-1002.    
     

    RSDA 1-2025

    Doctrine et débats

    « Préjudice animalier », neutralisation des décisions de l’État attentatoires à la vie de l’animal sauvage… : quelles avancées pour le droit français de la protection animale ?

    • Cassandre Genonceau
      Avocat et Docteur en droit

    Résumé

     

    À ce jour la protection de l’animal est appréhendée par le droit français sous un prisme anthropocentrique. La protection de cet être vivant implique une conciliation entre le souci de ne pas lui infliger de souffrances inutiles et celui d’assurer le respect des droits humains en lien avec l’exploitation de l’animal, ce qui n’est pas sans difficultés. Le droit positif n’a pas encore consacré de véritable statut juridique propre à l’animal : qualifié de bien meuble mais se distinguant des choses inertes, les règles qui lui sont applicables découlent de considérations strictement humaines. Néanmoins, ces dernières années ont été marquées par une évolution favorable de la législation et de la jurisprudence quant au souci de reconnaître et de limiter la souffrance de l’animal, au point que le droit de la protection animale pourrait finalement être animé par le souci de conférer une protection propre à ce dernier, quitte à préjudicier aux droits et libertés de l’Homme. À cet égard, la position de certaines juridictions judiciaires et administratives de première instance a récemment relancé le débat sur la personnalisation de cet être vivant. En tout état de cause, en tant qu’être sensible1 partie intégrante du patrimoine commun de la nation2, l’animal est semblable à l’Homme ; la présente contribution se propose d’interroger les effets juridiques de cette similarité sous le prisme de la protection contre la maltraitance et du bien-être animal.

    1. Fin 2024, le sort d’une laie sauvage apprivoisée surnommée Rillette par sa détentrice a heurté une partie de la société. Le mammifère était menacé de saisie et d’euthanasie par la préfecture de l’Aube compte tenu des irrégularités administratives afférentes à sa détention – l’animal, alors marcassin et vivant à l’état sauvage mais nécessitant des soins, avait été extrait de la nature sans déclaration préalable. Des pétitions engendrant un grand nombre de signatures ont manifesté la forte désapprobation de l’opinion publique quant aux risques encourus par l’animal, eu égard notamment au lien d’affection manifeste unissant l’animal et sa détentrice et à l’absence de dangerosité de cet être vivant apprivoisé, avant que la justice n’ordonne finalement à la préfecture de revoir sa copie3. Au-delà de l’imbroglio administratif afférent à la détention d’un animal sauvage, cette affaire révèle également à quel point il est délicat pour le droit de se saisir de la question de la protection animale. Cela implique de s’interroger sur le rapport de l’Homme à l’animal, et subséquemment de questionner la nature juridique de ce dernier et d’évaluer la teneur et la portée de la responsabilité de l’Homme à son égard.

    2. Être dénué de raison et nécessaire à la survie et au bien-être de l’Homme, l’animal est destiné à l’exploitation. Pour autant, l’animal n’est dénué ni de conscience, ni d’émotions – certaines espèces, tout du moins. Ainsi, il ne saurait être l’égal de l’Homme, mais il ne saurait davantage être assimilé à une chose. Si le législateur a depuis longtemps entendu contrôler la liberté de l’Homme de disposer d’un animal, qui ne saurait (plus) être absolue, des efforts restent à fournir. Récemment, certaines juridictions administratives et judiciaires ont pris le parti d’alourdir la responsabilité de l’État et des particuliers à l’égard des animaux dans une mesure tout à fait inédite, qu’il s’agisse d’interrompre brutalement un vaste projet économique et social afin de ne pas détruire des espèces animales protégées, de personnaliser l’animal objet de maltraitance en lui reconnaissant implicitement la qualité de victime d’une infraction pénale, ou encore de suspendre en urgence une décision administrative susceptible de conduire à la mise à mort d’une espèce sauvage apprivoisée. La présente contribution propose de dresser un état des lieux des évolutions jurisprudentielles récentes dans le domaine de la protection animale et des perspectives législatives qu’il reste à explorer pour parfaire cette protection ; elle interroge également les limites d’une telle protection en termes de moyens et d’objectifs eu égard à l’indispensable primauté de la personne humaine par rapport à tout autre être vivant4, ne serait-ce que pour garantir la survie et la conservation de l’Homme.

    3. Sensible à son environnement et dépendant de celui-ci – et partant semblable à l’Homme –, l’animal n’est définitivement pas un objet de droit comme les autres (I). En dépit de son incapacité à jouir de droits subjectifs, sa protection est garantie par le législateur et le juge, qui ont progressivement consenti à limiter les droits et libertés de l’Homme en faveur du bien-être animal (II).

     

    I. L’animal, être sensible et partie intégrante du patrimoine naturel : fondement de la protection

     

    4. La sensibilité de l’animal est explicitement reconnue par le droit français et a été réaffirmée avec force en 2015 en intégrant le Code civil ; partant, elle est opposable à l’Homme et produit nécessairement des effets juridiques. Pour autant, le droit n’offre pas de protection à l’animal pour ce qu’il est mais pour ce qu’il représente pour l’Homme, de sorte que le rapport juridique de l’Homme à l’animal n’a pas fondamentalement changé (A). Il reste que la sensibilité de l’animal justifie la consécration d’un régime juridique propre, distinct de celui afférent aux autres biens meubles (B).

     

    A. Le rapport de l’Homme à l’animal saisi par le droit

     

    5. L’étude du rapport de l’Homme à l’animal, riche d’enseignements en ce qu’il intéresse l’interaction entre la morale et le droit, a naturellement fait l’objet de nombreuses réflexions sociologiques, historiques, philosophiques ou environnementales5. Néanmoins, ce rapport reste délicat à appréhender pour le droit. Évaluer le degré de protection à offrir à l’animal implique en définitive de questionner la part de sacrifice que l’Homme est prêt à consentir pour garantir le bien-être animal, sans autre contrepartie que la satisfaction de protéger un être vivant qui n’échappera en tout état de cause jamais à sa condition de dominé. Cette problématique intéressait déjà les jusnaturalistes il y a quelques siècles, sans que le législateur français ne s’en saisisse. L’animal n’était autrement perçu que comme une chose, certes animée mais privée de raison6, de sorte que, si la cruauté et l’exploitation déraisonnées était contraires à la morale7, cet automate en mouvement était voué à la domination absolue8. Au milieu du XXème siècle, l’appréhension de la condition de l’Homme par le droit a paradoxalement éveillé la conscience de la communauté internationale (ou au moins européenne9) sur la condition de l’animal : ainsi, s’ils poursuivent des objectifs distincts, le droit de l’environnement – qui prône la protection du patrimoine naturel et de ses composantes, au service de l’être humain – et celui afférent aux droits de l’Homme ont révélé que l’humanité, au-delà d’être précieuse et sacrée pour l’ensemble des peuples démocratiques, était synonyme de responsabilité. Vis-à-vis de l’animal, cette responsabilité apparaît toutefois limitée par rapport au respect dû à la vie, à la liberté et à la dignité de l’être humain.

    6. Le droit français de la protection animale, dont les normes sont principalement contenues dans le Code rural et de la pêche maritime, le Code pénal et le Code de l’environnement, s’est construit autour de deux considérations :

    • d’une part, l’animal est un être sensible, capable de ressentir et de communiquer des émotions. Ainsi, la notion de sensibilité10 a été érigée comme fondement légal de la protection de l’animal11. Si elle peut paraître critiquable au premier abord, l’absence de définition de la notion d’être vivant « sensible » dans les textes permet au droit d’appréhender un grand nombre de situations attentatoires à la vie ou à l’intégrité physique ou psychique de l’animal, qu’il s’agisse d’un animal domestique, apprivoisé et de rente et – dans une moindre mesure cependant – vivant à l’état sauvage ;
    • d’autre part, l’animal (sauvage) est considéré comme une partie intégrante du patrimoine naturel dans le droit de l’environnement. À la différence d’autres branches du droit (droit pénal, droit rural), la protection de l’animal sauvage, notamment régie par le Code de l’environnement, présente une dimension moins morale qu’utilitariste. L’animal sauvage n’est pas qualifié d’être sensible. Certaines espèces méritent d’être protégées parce qu’elles présentent un intérêt scientifique ou environnemental particulier pour l’Homme12 (la primeur de la protection étant en définitive donnée à l’épanouissement de l’être humain13) ; la souffrance de l’animal sauvage est admise même lorsqu’il ne représente pas un danger sécuritaire ou sanitaire pour l’Homme (destruction d’espèces nuisibles – mais pas nécessairement dangereuses14 –, expériences scientifiques15, chasse – qualifiée d’activité à caractère environnemental, culturel, social et économique16).

    7. Ainsi, la protection de l’animal en droit français présente une dimension largement anthropocentrée. L’animal n’est pas protégé pour lui-même mais pour ce qu’il représente pour l’Homme ou pour ce qu’il lui apporte : la protection de l’animal en droit français découle de son utilité pour l’être humain (protection de certaines espèces sauvages indispensables à la préservation de l’environnement, lui-même indispensable aux besoins essentiels de l’Homme ; respect des besoins physiologiques de l’animal de rente dans le cadre d’un enjeu sanitaire), de l’affection que l’Homme lui porte (animaux de compagnie, qu’ils soient domestiques, apprivoisés ou captifs) et des valeurs morales que l’Homme choisit de s’appliquer à lui-même (réglementation applicable à la lutte contre la maltraitance des animaux domestiques, apprivoisés ou captifs). On le constate dans les réactions suscitées par le sort de Rillette : l’émoi de l’opinion publique découle avant tout de l’attachement profond que lui porte sa détentrice. L’Homme s’identifie et compatit à la souffrance de son semblable. De la même façon, pour rejeter les demandes répétées de sa détentrice de garder l’animal, la préfète de l’Aube avait estimé que, dans la mesure où l’Homme n’avait pas choisi et organisé sa captivité avant sa naissance, l’animal ayant été « directement prélevé dans la nature », la laie n’avait aucune « origine licite » et ne pouvait en conséquence être appréhendée par le droit applicable à la détention d’animaux non domestiques17, de sorte que la nature juridique de l’animal ne dépendrait pas de son essence même mais de la seule volonté de l’Homme. Les prémices de la conceptualisation du droit de la protection animale apparus au XVIIIe siècle étaient marquées par cet anthropocentrisme : d’une part, l’Homme serait naturellement sensible à la souffrance de l’animal, être faible qu’il prend en pitié18 ; d’autre part, cet attribut naturel ferait naître un devoir moral, celui de lui éviter des souffrances inutiles19, mais sans pour autant créer de devoirs envers l’animal lui-même20.

    8. La protection de l’animal est donc circonscrite à l’intérêt de l’Homme, ce qui entraîne des incidences concrètes sur son régime juridique. L’animal est un être sensible mais n’en reste pas moins un objet de droit. Son degré de protection dépend de la volonté du législateur, et à travers lui des valeurs que la société s’applique à elle-même, pour elle-même.

     

    B. L’animal, un objet de droit particulier

     

    9. S’il est évident que l’animal dénué de Raison ne saurait être titulaire d’obligations, il ne saurait davantage, à notre sens, être titulaire de droits21. En effet, l’accessibilité de l’animal à la catégorie de sujet – y compris passif – de droit ne paraît pas acceptable en l’état du droit positif français. D’abord, transposer la théorie des droits fondamentaux de l’Homme (fondés sur la condition d’être humain) à l’animal (droits qui seraient par exemple fondés sur son appartenance à la famille des êtres vivants doués de sensibilité) aurait pour effet de désacraliser l’Humanité. Ensuite, à supposer que l’animal se voit reconnaître la qualité de « personne non humaine », les droits subjectifs qui lui seraient reconnus se trouveraient nécessairement confrontés aux droits de l’Homme afférents à la vie, à la santé, à la propriété ou encore à la religion, et à l’impératif de sécurité et de salubrité publiques. L’on ne saurait concevoir un sujet de droit de seconde zone. Par ailleurs, comment arbitrer entre la vie de l’animal et la liberté de l’Homme d’en disposer22 ? Enfin, la reconnaissance de droits à l’animal ne présenterait aucun effet utile dans la mesure où cet être n’a ni conscience de sa position de dominé, ni les capacités d’échapper à cette condition23. Certes, la jouissance d’un droit n’est pas conditionnée à une capacité d’exercice pour son titulaire : ainsi des enfants et des personnes majeures protégées, considérées comme vulnérables ; de la même manière, la sensibilité de l’animal est reconnue par le législateur, qui attribue à l’Homme voire à l’État la responsabilité de sa protection. Il reste que l’enfant devient discernant à mesure qu’il grandit d’une part, et qu’il est voué à exercer pleinement ses droits à sa majorité d’autre part. Quant à l’adulte bénéficiaire d’une protection juridique et qui ne peut exercer ses droits par lui-même, c’est son appartenance à la communauté humaine qui fonde ses droits ; la sacralisation de son existence promue par les droits humains24, qui reflète la valeur de la personne humaine et constitue un idéal à atteindre25, ne saurait s’étendre à l’animal sans heurter les principes fondateurs des droits de l’Homme.

    10. Faute pour l’animal de pouvoir prétendre à la qualité de sujet de droit, la protection qui lui est reconnue par le droit atteint ses limites à partir du moment où elle nuit au bien-être ou à la conservation de l’Homme, ou à ses droits et libertés. L’animal est un objet de consommation, de commerce, d’agrément, de divertissement et de culte26. Il est cessible, objet de paiement, de garantie27 ou de partage28, et saisissable29. Son sort dépend de la volonté de son propriétaire, qui peut « l’utiliser »30 comme bon lui semble : sous réserve des normes réprimant les actes de cruauté, les sévices graves et les mauvais traitements, le pouvoir du propriétaire sur le corps de l’animal (castration/stérilisation, insémination, toilettage, corrections éducatives31), sur sa liberté de mouvement, sur son environnement de vie et sur le choix de sa destination (agrément, élevage, commerce) apparaît absolu. La mise à mort d’animaux (y compris domestiques) est admise même lorsqu’ils ne présentent pas de danger pour l’Homme32, notamment s’ils sont errants33 ou qu’ils causent des « dégâts »34, sans que cela ne constitue un acte de cruauté au sens de la loi pénale. La contravention de mise à mort involontaire (mais fautive) d’un animal35 est moins réprimée que le délit d’acte de cruauté ou les sévices graves36, de sorte que le législateur pénal ne s’est pas donné pour objectif de conférer un caractère sacré à la vie de l’animal mais de sanctionner la violence purement gratuite de l’Homme – la répression de tels actes étant en définitive favorable à la moralité de l’être humain dans ses rapports avec ses semblables. Quant à l’intégrité de l’animal, le respect dû à la dépouille de l’être humain ne s’étend pas aux cadavres d’animaux (qualifiés selon les cas de « sous-produits animaux » ou de carcasses37), et à travers la répression des actes sexuels sur les animaux, c’est en réalité la déviance de l’Homme qui est sanctionnée38. Finalement, la primeur de la protection juridique est systématiquement donnée à l’Homme39, y compris lorsque cela induit pour l’animal une souffrance ou une mort parfaitement étrangères aux besoins strictement essentiels de l’être humain (chasse, corridas, expériences scientifiques…).

    11. Pour autant, l’animal a progressivement acquis un statut juridique particulier qui le distingue des choses inertes, dépossédées de conscience et d’émotion40. Ainsi, l’animal n’a ni droits ni devoirs : c’est un objet particulier de droit qui se distingue des autres biens meubles eu égard à sa nature (un être vivant sensible) et à sa destination (voué à la domination de l’Homme). Certes, il est regrettable que l’absence de rationalisation du droit animalier n’ait pas encore permis la consécration d’une nouvelle catégorie juridique, celle des êtres sensibles, le régime juridique applicable à l’animal étant toujours inclus dans la catégorie des biens insérée dans le livre II du Code civil. Néanmoins, depuis 2015 l’animal n’est plus assimilé à un bien meuble qui se meut par lui-même (ancien article 528 du Code civil), c’est-à-dire à une sorte de machine animée, mais est désormais qualifié d’être vivant « soumis au régime des biens »41, et ce, « sous réserve des lois qui les protègent », de sorte que la protection animale constitue un motif légitime de limitation des droits et libertés de l’Homme (liberté de commerce ou de consommation42, droit au respect de la vie privée et familiale43, droit de propriété44…). Sa détention, son « utilisation » et sa cession sont régies par une réglementation spécifique45. La souffrance du propriétaire d’un animal dont la vie ou l’intégrité physique sont mises à mal par l’action ou l’abstention fautives de l’Homme constitue un préjudice moral indemnisable fondé sur le lien particulier qui unit l’animal à son détenteur46, distinct du préjudice matériel (frais d’entretien et de garde des animaux saisis47, perte de l’animal faisant naître un préjudice patrimonial et renvoyant l’animal à une valeur de remplacement48). C’est ce même lien d’affection qui protège l’animal de compagnie d’une saisie visant son propriétaire débiteur, l’animal étant considéré comme nécessaire « à la vie du débiteur et de sa famille »49. Le bien-être psychique de l’animal est également protégé à travers la consécration d’infractions constitutives non plus de sévices sexuels mais de véritables « atteintes sexuelles »50, qualification parfaitement identique à celles qui visent la personne humaine51 ; réprimées indépendamment de toute souffrance physique causée à l’animal, ces infractions semblent reconnaître une forme d’intégrité morale chez l’animal semblable à celle de l’être humain.

    12. La protection reconnue à l’animal en considération de sa sensibilité le distingue nécessairement des autres biens meubles. Sans forcément lui reconnaître des droits, la sensibilité de l’animal justifie de faire peser sur l’être humain et l’État une responsabilité renforcée aux fins de le protéger. À cet égard, l’animal est un être incapable de jure comme de facto: il est dépourvu de la capacité intellectuelle et physique qui lui permettrait de se protéger de l’Homme en cas de besoin d’une part, et de la capacité juridique d’imposer par lui-même le respect par l’Homme de ses besoins fondamentaux d’autre part. Or, le législateur français ne semble manifestement pas prêt à consacrer une protection purement désintéressée de l’animal, c’est-à-dire allouée dans son intérêt propre et non pour satisfaire les besoins ou la moralité de l’Homme. Cependant, ces dernières années une conception moins anthropocentrée de la protection animale semble voir le jour dans la jurisprudence administrative et judiciaire.

     

    II. L’animal, être incapable: quelle protection ?

     

    13. La reconnaissance juridique de la sensibilité de l’animal aurait pu conduire à une protection accrue de cet être vivant. Pour autant, les normes applicables à la protection animale restent limitées dans leurs objectifs ou leurs effets et souffrent d’un manque de cohérence, ce qui nuit à la protection effective de tous les animaux (A). Pour autant, certaines juridictions de première instance semblent aujourd’hui promouvoir une protection renforcée de l’animal en priorisant le respect de sa vie et de ses besoins fondamentaux face à des enjeux humains économiques et sociaux ou liés à l’ordre public, voire en le personnalisant ; in fine, une approche désintéressée du droit de la protection animale pourrait voir le jour (B).

     

    A. La lutte contre la maltraitance animale : un champ de protection inachevé

     

    14. La répression de la maltraitance animale a intégré le droit pénal français au XIXe siècle par l’incrimination de la mise à mort d’un animal d’élevage ou domestique sans nécessité52 et des actes de maltraitance commis sur les animaux domestiques (infraction opposable au propriétaire ou au gardien comme à toute personne53), avant de faire l’objet d’une codification de ses principes et de ses règles au sein de l’ancien Code rural54 puis du nouveau Code pénal55. Le nouveau Code pénal du début des années 1990 consacre une protection propre à l’animal pour ce qu’il est, en dissociant la lutte contre la maltraitance de la protection du droit de propriété lorsque le fait est imputable non au propriétaire mais à autrui56. L’animal n’est plus assimilé à un (simple) bien mais à un être vivant capable de ressentir des émotions. Ce rejet de la chosification de l’animal en droit pénal impactera bien plus tard le droit civil : ce n’est qu’en 2015 que le Code civil proclamera la notion d’« être vivant doué de sensibilité » au sein du Livre II consacré aux biens (loi n° 2015-177 du 16 février 2015), nuançant (sans toutefois la renier) la traditionnelle classification des personnes et des biens. Outre la grave maltraitance envers un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, qui excède les simples « mauvais traitements », le législateur pénal qualifie de « sévices graves ou actes de cruauté57 » :l’abandon d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, les atteintes sexuelles commises sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, et le fait de mener des expériences scientifiques sur les animaux en violation de la réglementation applicable58. En parallèle, le Code rural et de la pêche maritime et le Code pénal consacrent une interdiction générale de se livrer à des mauvais traitements59 sur les animaux (« sans nécessité »60 ajoute toutefois le Code pénal) ; une telle interdiction est opposable à toute personne, notamment le gardien au sens large61 et l’exploitant d’un établissement détenant des animaux62, tel qu’un abattoir63. La protection contre la maltraitance animale s’étend à l’utilisation d’animaux vivants dans le cadre d’activités commerciales (vente, transport, hébergement, stationnement des animaux64) ou de divertissement65. L’on constate que le législateur français est progressivement passé d’une logique de bientraitance, limitée au respect des besoins physiologiques de l’animal à celle de bien-être animal66. Ainsi, la législation fait obligation à l’être humain – non seulement au propriétaire mais également à « tout Homme » – de détenir un animal dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce67 ; cette protection tient compte de la nature de l’animal, de ses caractéristiques propres et de la sensibilité à son environnement. Si les mauvais traitements ne sont pas définis par la loi, il apparaît que leur qualification recouvre non seulement le non-respect des besoins physiologiques de l’animal ou les blessures causées à l’animal, mais également les souffrances morales constitutives d’un état d’anxiété, de peur, d’angoisse ou de stress intense68 incompatible avec sa sensibilité – étant précisé que la notion de souffrance visée dans la loi n’est pas limitée à une douleur physique69. En cela, la notion de mauvais traitements sur les animaux est similaire à celle consacrée dans les normes issues du droit international et européen des droits de l’Homme destinées à protéger la dignité humaine, l’interdiction des traitements inhumains et/ou dégradants recouvrant des souffrances tant physiques que morales dès lors qu’elles excèdent un certain seuil70. En ce qui concerne l’animal de rente, sous l’impulsion du droit européen71 la loi française met à la charge de l’exploitant un certain nombre d’obligations positives et négatives72 destinées à offrir à l’animal captif un environnement de vie compatible avec les caractéristiques de son espèce. La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a renforcé la répression des infractions afférentes à la maltraitance animale (nouvelles infractions pénales, renforcement des peines encourues, nouvelles circonstances aggravantes), limité l’exploitation des animaux non domestiques à des fins de divertissement et de spectacles, et intégré une logique préventive à l’arsenal législatif, le candidat à la propriété d’un animal domestique (chiens, chats, équidés…73) devant désormais attester de ses connaissances des besoins spécifiques de l’espèce animale concernée avant de l’acquérir. Finalement, si l’animal n’est pas (encore ?) une personne au sens juridique du terme titulaire de droits, et que l’Homme a le droit de limiter sa liberté de mouvement et de procéder à sa mise à mort sous réserve des dispositions prévues par la loi, cet être vivant sensible et conscient de son environnement est en droit de voir ses besoins fondamentaux respectés74 ; ainsi, le droit de la protection animale présente aujourd’hui une dimension indubitablement éthique75.

    15. Néanmoins, le droit de la protection animale souffre à ce jour d’un défaut de rationalisation de la matière. Premièrement, les normes pénales en matière de protection animale manquent de cohérence. La loi pénale réserve notamment la qualification de délit aux actes de cruauté, aux sévices graves, à l’abandon d’animaux captifs, à la mise à mort infligée sans nécessité ainsi qu’aux « mauvais traitements » infligés par l’exploitant76. Or, certaines actions ou abstentions fautives de l’Homme susceptibles de causer des souffrances physiques ou psychiques particulièrement graves eu égard à leur durée ou à leurs effets sont réprimées en tant que simples contraventions : ainsi des mauvais traitements volontaires77 ou des manquements constatés dans la satisfaction des besoins essentiels de l’animal78 imputables à un particulier, avec toutes les incidences qu’une telle qualification entraîne en ce qui concerne la nature de la peine encourue et la caractérisation d’un état de récidive légale ; un défaut de soins, d’alimentation ou d’abreuvement constitue une contravention distincte du délit sanctionnant les sévices graves, l’abandon et les actes de cruauté, alors même que l’abstention volontaire du gardien expose nécessairement l’animal à une souffrance physique grave et prolongée, et est commise en toute connaissance de cause du danger encouru pour la vie ou la santé de l’animal79. Il serait finalement plus cohérent de supprimer la contravention de défaut de soins au profit d’une application élargie du délit d’abandon, ce qui apparaît cohérent eu égard à la volonté réaffirmée du législateur en 2021 de renforcer la lutte contre toute forme de maltraitance animale. De plus, alors que les mauvais traitements infligés à des animaux captifs par l’exploitant ou tolérés par l’exploitant sont qualifiés de délit, les mauvais traitements volontaires infligés par un agent de l’exploitant constituent une simple contravention, alors même que le bien-être de l’animal relève de la responsabilité première du gardien80 ; ainsi, les manquements à la réglementation applicable à l’abattage des animaux imputables aux opérateurs et qui sont de nature à exposer les animaux à des souffrances prolongées ou intenses revêtent la nature d’une contravention de 4ème classe81. Plus généralement, en l’absence de définition claire des sévices graves, des mauvais traitements et de l’abandon, il appartient à l’autorité judiciaire et à la juridiction de jugement de fixer le seuil de protection à assurer aux animaux exposés à la maltraitance de l’Homme. Cela peut aboutir à des décisions de justice variables en ce qui concerne la qualification juridique retenue, ce qui a une incidence non seulement sur les peines prononcées et le montant de l’indemnisation allouée en réparation des préjudices causés mais aussi sur l’intervention à l’instance des associations de protection des animaux82. Enfin, l’on précisera que bien que la mise à mort volontaire et sans nécessité sur un animal domestique, apprivoisé ou captif ait été requalifiée en délit depuis la réforme de 2021 (nouvel article 522-1 du Code pénal), l’ancienne contravention n’a pas été abrogée et apparaît toujours dans la partie réglementaire du Code pénal (article R 655-1 du Code pénal). Si cela n’emporte pas d’incidence sur l’application de cette nouvelle infraction, d’un point de vue symbolique cette négligence questionne.

    16. Deuxièmement, alors que le législateur s’est donné pour objectif de sanctionner les souffrances inutiles infligées aux êtres vivants sensibles, les corridas et les combats de coq, qui ont pour objet – ou a minima pour effet – la mort d’un animal et qui impliquent un risque de blessures graves et un état de stress intense, bénéficient toujours d’une dérogation protégeant ses organisateurs de toute sanction pénale83. Pour le Conseil constitutionnel, la tolérance du législateur, fondée sur le souci de respecter une tradition locale ininterrompue (simplement « supposée » ou bien « effective» d’après les termes de la loi84) se justifierait par le fait que ces activités ne portent atteinte à aucun droit constitutionnellement garanti85 – il reste qu’aucun droit constitutionnel à la culture n’a jamais été reconnu par le Conseil constitutionnel pour renforcer cette assertion. Le maintien de cette exemption pénale étonne également compte tenu de l’interdiction de construction de nouveaux gallodromes86 – qui, certes, a été érigée pour accompagner progressivement l’extinction de cette pratique87, mais qui n’en demeure pas moins contraire à l’esprit de la loi pénale sur la protection animale – et de la prohibition d’autres formes de tuerie ou d’actes de cruauté sur des animaux captifs commis à des fins de divertissement ou de loisir88 . D’autres agissements gravement attentatoires au bien-être animal n’entraînent aucune sanction pénale : c’est le cas des actions ou abstentions volontaires qui nuisent à l’intégrité physique ou à la vie des animaux sauvages vivant dans la nature. Ainsi, la lutte contre la maltraitance animale n’a pas vocation à protéger les espèces sauvages non captives mais les animaux domestiques ainsi que les « animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité »89, la protection de la faune sauvage (certaines espèces seulement) étant régie par des dispositions spécifiques du Code de l’environnement90 qui intéressent la protection de l’environnement promue dans l’intérêt exclusif de l’Homme. La notion de captivité induit l’incapacité de l’animal à se mouvoir librement du fait de l’Homme, qui le place sous son contrôle91 ; tel n’est pas le cas d’un animal sauvage qui ne peut fuir en raison de son état de santé. En conséquence, ignorer le sort d’un animal blessé alors que celui qui le trouve a la capacité de le soigner ou de concourir à ce qu’il soit soigné sans se mettre en danger n’expose son auteur à aucune sanction pénale. Si certaines associations se sont données pour mission d’apporter les premiers soins à des espèces sauvages non captives, le citoyen92 tout comme les représentants ou agents de l’État93 n’ont aucune obligation d’abréger les souffrances d’un animal sauvage, y compris lorsque le fait de l’Homme est à l’origine de son état (collision sur la route94, animal pris au piège dans une clôture ou une infrastructure, activité de chasse95…). En somme, il n’existe aucune obligation pour l’Homme de protéger les animaux sauvages en raison de leur sensibilité96. Une protection indirecte est envisagée à travers l’exonération de la responsabilité pénale de celui qui abat sciemment un animal sauvage mortellement blessé sans être titulaire d’un permis de chasse97, sans toutefois qu’une autorisation expresse d’abattre l’animal ne soit expressément prévue par la loi98. Certes, il n’apparaît pas raisonnable de consacrer une obligation générale de respect et de protection des animaux sauvages par l’Homme, qui ferait peser sur ce dernier la responsabilité indéfinie et illimitée de porter secours à tous les animaux trouvés en état de détresse du fait d’un prédateur, d’un accident ou d’une insuffisance de ressources. L’animal sauvage qui vit dans la nature est imprévisible et potentiellement dangereux pour la santé ou la sécurité de l’Homme, et il n’appartient pas à l’Homme de substituer sa propre loi à la « sélection naturelle ». En revanche, le droit a vocation à appréhender les interactions entre l’être humain et les animaux99, et le droit de l’environnement prône une certaine harmonie entre l’Homme et la nature, le législateur concédant que la « protection » des êtres vivants captifs comme non captifs et la « préservation de leur capacité à évoluer » concourent à atteindre l’objectif de développement durable100. À cet égard, la chasse de loisir101 (parfaitement étrangère à un impératif de régulation des espèces, et donc inutile aux besoins essentiels de l’être humain), bien que réglementée, semble incompatible avec cet objectif ; difficile en revanche de la prohiber eu égard à son rôle social et économique, cette activité étant au demeurant ancrée dans les mœurs et la coutume.

    17. Troisièmement, en ce qui concerne les normes applicables à l’élevage et à l’abattage des animaux de rente, le législateur a confié au gouvernement le soin de définir les mesures à mettre en œuvre pour protéger les animaux contre « les mauvais traitements » ou « les utilisations abusives » – sans définir ces dernières – et pour « leur éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et d'abattage des animaux102 ». Pour autant, le législateur français n’a pas adhéré à la possibilité offerte par le législateur européen aux États membres de l’Union européenne de prohiber l’abattage rituel sans étourdissement103, cette forme d’abattage n’étant au demeurant autorisée par l’Union qu’à titre dérogatoire104. Si en de multiples occasions le Conseil d’État a souligné que la réglementation française en la matière se justifiait par le souci d’assurer une juste conciliation entre les objectifs de police sanitaire (et non le bien-être animal…) et l’égal respect des croyances et traditions religieuses105 – le Conseil d’État se refuse manifestement à qualifier l’abattage sans étourdissement de mauvais traitement106, non sans une certaine incohérence107 –, la justice semble aujourd’hui prête à réinterroger la légitimité du recours à la saignée d’un animal en état de conscience108 dans la mesure où le bien-être animal découle des valeurs morales et démocratiques inhérentes à tout État de droit109. Une modification de la réglementation de l’abattage rituel ne manquerait pas d’agiter l’opinion publique. Il reste que le bien-être animal ne constitue pas seulement un moyen d’action ou un critère d’appréciation mais un véritable objectif assigné par le législateur à la politique en faveur de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche maritime110.

    18. Finalement, il appert que la loi ne protège pas les animaux pour ce qu’ils sont, des êtres qui ressentent et expriment des émotions, mais parce que l’Homme, qui les a domestiqués ou placés en captivité, a la responsabilité morale de les protéger en sa qualité d’exploitant, de gardien ou de propriétaire. L’année 2025 pourrait-elle marquer les prémices d’un changement de paradigme pour le droit de la protection animale ?

     

    B. La personnalisation de l’animal au service d’une protection désintéressée et renforcée

     

    19. À l’analyse de trois décisions récentes rendues respectivement le 16 janvier 2025111 et le 27 février 2025112, le juge administratif prend fait et cause pour la vie d’animaux sauvages, quitte à limiter la liberté de l’Homme et l’autorité de l’État ; ce faisant, il semble remettre en question l’anthropocentrisme qui imprégnait jusqu’ici le droit de la protection animale. Dans la première décision, le juge des référés de Châlons-en-Champagne était appelé à statuer sur une demande de suspension de l’exécution de la décision du 28 novembre 2024 par laquelle le préfet de l’Aube s’était opposé à la déclaration de détention d’un animal non domestique – la laie Rillette, que sa détentrice avait trouvée, en détresse, à l’état de marcassin avant de l’apprivoiser. Au-delà de considérer qu’un doute sérieux apparaissait quant à la légalité de l’acte administratif, la décision innove en ce que le juge de céans a admis la nécessité de statuer dans l’urgence, en application de l’article L 521-1 du Code de justice administrative, en considération du risque de confiscation et de mort encouru par l’animal113 ; pourtant, le critère de l’urgence qui conditionne la recevabilité du référé-suspension est habituellement apprécié en tenant compte d’un risque d’atteinte grave et immédiate à la situation du requérant, aux intérêts qu’il entend défendre ou à un intérêt public114, c’est-à-dire en considération d’un risque de préjudice pour l’être humain115. Bien que le juge administratif ne fasse pas expressément référence à la sensibilité de l’animal, cette décision a pour effet de juridiciser la souffrance propre de ce dernier, quitte à désavouer l’autorité régalienne chargée d’assurer la santé et la salubrité publiques – étant précisé que le juge aurait pu s’en tenir à la seule démonstration d’un risque de souffrance morale encouru par la détentrice de la laie pour justifier sa décision. En substance cette décision tend également à admettre pour la première fois l’existence d’un éventuel droit de porter secours aux animaux sauvages nés dans la nature, et de les détenir subséquemment conformément aux conditions prévues par la loi du moment que ce prélèvement ne porte pas atteinte à la préservation de l’espèce en cause et n’est contraire ni à la santé humaine, ni à la santé animale, ni à la sécurité publique116. En ce qui concerne les deux jugements rendus par le Tribunal administratif de Toulouse en février dernier, la juridiction de céans a annulé deux autorisations environnementales délivrées deux ans auparavant par l’État aux fins d’élargissement de l’autoroute A 69 en considération du risque encouru par des espèces animales protégées, alors même que les travaux avaient commencé, la biodiversité étant déjà largement impactée. Certes, les motifs des décisions sont basés sur une application classique « bénéfices/risques » pour l’environnement dans un souci de conciliation entre la protection de la nature et l’intérêt de l’Homme ; la singularité de cette décision réside dans le fait que le Tribunal administratif a privilégié la prise en compte des incidences de la poursuite d’un tel projet sur l’animal sauvage (à savoir la capture, l’enlèvement, la destruction et la perturbation intentionnelle d’un grand nombre de spécimens d’espèces protégées, et la destruction, l’altération ou la dégradation de sites de reproduction ou d’aires de repos de ces espèces) par rapport aux (lourdes) conséquences socio-économiques provoquées par une mise en suspens brutale du projet, les juges de céans ayant en tout état de cause estimé que le projet ne répondait pas à un impératif d’intérêt public majeur susceptible de justifier l’octroi d’une dérogation à l’interdiction de porter atteinte aux espèces protégées117. À cet égard, et bien que la Cour administrative d’appel de Toulouse ait finalement prononcé le sursis à exécution des jugements emportant annulation des autorisations environnementales trois mois plus tard118, ces deux décisions de première instance sont historiques : jamais aucune juridiction administrative n’avait pris le parti de suspendre un projet urbain aussi avancé en considération d’autres impératifs que ceux afférents à la vie, à la santé ou à la sécurité de l’Homme.

    20. L’on pourrait percevoir dans toutes ces décisions la tentation des magistrats de concevoir une protection purement désintéressée pour l’animal, protégé pour lui-même et non (plus seulement du moins) pour ce qu’il représente pour l’Homme ou pour ce qu’il lui apporte, qui pourrait s’étendre à d’autres domaines du droit de la protection animale, notamment la matière pénale. Certaines juridictions pénales (peu nombreuses, certes) ont de leur côté tenté de personnaliser l’animal à travers la reconnaissance ambitieuse d’un « préjudice animalier » destiné à indemniser la souffrance propre de l’animal née d’une infraction imputable à l’Homme. C’est le cas du Tribunal correctionnel de Lille qui, le 12 février 2025119, a reconnu à une association de protection animale le droit de solliciter une indemnisation destinée à réparer la souffrance endurée par un animal domestique mort des suites d’un acte de cruauté. Cette notion de préjudice animalier, loin d’avoir encore imprégné la jurisprudence mais qui avait déjà été consacré par cette même juridiction le 11 janvier 2024120, se distingue selon les cas du préjudice qui réside dans l’affliction du propriétaire de l’animal ou dans l’atteinte aux intérêts collectifs d’une association qui s’est donnée pour mission de protéger les animaux ou l’environnement121. À ce jour, la souffrance de l’animal découlant du comportement fautif de l’Homme n’est reconnue qu’à travers celle des personnes physiques ou morales122. Or, dans cette décision du 12 février 2025, l’animal n’est plus objet mais victime de l’infraction dès lors qu’une indemnisation peut être allouée en son nom à la demande de la partie civile. Si la notion de préjudice animalier avait déjà été conceptualisée dans la doctrine123, sa consécration prétorienne – qui ne manquera sans doute pas d’être un jour soumise au contrôle de la Cour de cassation – est inédite. Reste à en déterminer la base légale. En matière pénale, elle pourrait résider dans une lecture combinée des articles 2 et 2-13 du Code de procédure pénale ainsi que de l’article L 142-2 du Code de l’environnement selon les cas (qualité pour agir) et de l’article 3 du Code de procédure pénale (tous les préjudices moraux découlant des faits objet de la poursuite sont indemnisables) ; en matière civile, le fondement légal pourrait découler d’une lecture combinée de l’article 1240 du Code civil et de l’article 515-14 du Code civil associé à l’article L 214-1 du Code rural et de la pêche maritime (reconnaissance de la sensibilité animale). L’intérêt de ce préjudice animalier est de permettre le cas échéant au propriétaire de l’animal ou à une association de porter la souffrance propre de l’animal devant la justice, leur qualité pour agir et leur intérêt à agir pouvant selon nous découler du commandement fait par la loi (article L 214-1 du Code rural et de la pêche maritime) ou par leurs statuts de défendre la cause animale, et du fait que la loi a érigé la protection des animaux en un objectif d’intérêt général (article L 110-1 du Code de l’environnement). En revanche, hors le cas prévu par les articles L 142-1 et L 142-2 du Code de l’environnement, une demande d’indemnisation formulée au titre du préjudice souffert par l’animal apparaît plus difficile à envisager à l’occasion d’une instance administrative : la notion d’intérêt à agir n’est certes définie par aucun texte mais a fait l’objet d’une longue construction prétorienne au cours de laquelle le juge administratif a bien souvent pris ses distances avec les principes qui régissent la réparation d’un préjudice en matière civile ; l’on constate plus particulièrement une réticence du Conseil d’État à admettre l’existence d’un préjudice né de la seule atteinte portée à la vie ou à l’intégrité physique d’un animal : ainsi, la haute juridiction administrative ne semble pas favorable à admettre l’existence d’un préjudice qui ne se rattacherait pas de façon concrète et effective à l’intérêt de l’association requérante124 – contrairement à la Cour de cassation, qui admet que la seule atteinte aux intérêts statuaires d’une association de protection des animaux fait naître un préjudice moral indirect indemnisable125. Quant à son bien-fondé, la reconnaissance d’un préjudice animalier en droit pénal présente indubitablement un effet dissuasif (la création d’un nouveau chef de préjudice augmentant le montant des sommes allouées126 – même si le montant purement symbolique fixé par le Tribunal correctionnel de Lille dans ses deux décisions n’a pas excédé 100 euros). En outre, elle pourrait conduire le législateur à étendre le champ d’application de l’article 2-13 du Code de procédure pénale – limité aux infractions constitutives de sévices graves, d’actes de cruauté, d’un abandon ou de mauvais traitements127 – de sorte qu’une association pourrait désormais solliciter réparation à l’occasion de la commission de toute infraction pénale préjudiciable à la vie ou à l’intégrité physique et psychique d’un animal (défaut de soin, conditions de garde incompatibles avec les caractéristiques propres de l’espèce, non-respect des règles en matière d’abattage attentatoire au bien-être animal, vol…). Enfin, la consécration d’un tel préjudice pourrait inviter le législateur à réévaluer la réglementation des corridas, des combats de coq ou de la chasse de loisir, ou encore à renforcer la protection des animaux sauvages vivant dans la nature128 ou celle des espèces animales aquatiques (l’abattage d’espèces animales aquatiques n’est pas réglementé par la législation française et européenne129 en dépit de leur sensibilité apparente pour certaines). Il reste que le législateur français n’a pas souhaité consacrer de préjudice animalier en même temps que le préjudice écologique, constitutif d’une atteinte à l’environnement lui-même, qui a intégré les dispositions du Code civil sur la responsabilité extracontractuelle en 2016130 et dont la consécration avait été préalablement confirmée par la Cour de cassation131. En tout état de cause, si un préjudice animalier venait à être consacré par d’autres juridictions ou confirmé par la Cour de cassation, voire par le législateur lui-même, il nous semble impératif de limiter son champ d’application eu égard à la nécessité pour l’Homme de maintenir la primauté de sa conservation et de son bien-être sur celles de l’animal. En effet, si la consécration de ce nouveau préjudice poursuit un objectif louable, promouvoir le bien-être animal tout en dissuadant plus efficacement autrui de se livrer à des mauvais traitements sur les animaux, elle pose nécessairement la question de la personnalisation de l’animal132, qui ne semble, elle, pas opportune. À notre avis, l’on ne saurait reconnaître la qualité de sujet de droit à l’animal sans que cela ne porte atteinte aux principes fondamentaux du droit civil et à l’Homme. Accorder des droits aux animaux captifs comme non captifs impliquerait une augmentation significative des devoirs de l’être humain à leur égard, quitte à préjudicier gravement à ce dernier : toute intervention de l’Homme visant à modifier l’environnement (constructions d’infrastructures, de maisons d’habitation…), à interagir avec l’environnement (chasse de régulation, agriculture…) et à exploiter l’animal (élevage, abattage, vente) serait nécessairement compromise, avec toutes les incidences socio-économiques qu’une telle limitation des activités humaines engendrerait. Toutes les formes de domination de l’animal au profit de l’Homme ne seraient plus acceptables puisqu’elles heurteraient nécessairement a minima la liberté de l’animal. En effet, comment concevoir des droits pour l’animal sans lui reconnaître au préalable une certaine liberté d’action, de mouvement ou d’expression inhérente à sa nature ? À terme, la personnalisation de l’animal ferait se confronter la vie (quid de l’abattage aux fins de consommation ?), la dignité (quid des techniques d’insémination artificielles du point de vue de la notion d’atteinte sexuelle ? – hors du champ pénal pour le moment133) et la liberté (quid de la détention d’un animal non domestique incompatible avec sa nature ?) de l’animal à celles de l’Homme. Il nous semble plus raisonnable de limiter l’application du préjudice animalier à l’action en réparation découlant de la commission d’une infraction pénale, d’une faute civile voire de l’illégalité d’un acte administratif ; à cet égard, l’on rappellera que la reconnaissance du préjudice écologique pur n’avait ni pour objet ni pour effet de personnaliser l’environnement, à ce jour dépourvu de droits. De cette façon l’on préserverait la primauté des droits humains essentiels sur le bien-être animal tout en assurant à l’animal, victime directe de l’Homme, une protection désintéressée et renforcée à partir du moment où celle-ci n’a pas pour effet de nuire à l’Humanité.

     

    Conclusion

     

    21. La prise en compte des droits et libertés de l’Homme dans l’appréciation du degré de protection à accorder aux animaux est indispensable à la conservation de l’être humain. Le droit de la protection animale ne saurait avoir vocation à extraire l’animal de sa condition de dominé. Pour autant, le fait de l’Homme ne saurait impliquer une atteinte à la vie ou au bien-être de l’animal lorsque cette intervention n’est pas strictement nécessaire ; à cet égard, le cadre applicable aux conditions d’abattage, à l’exploitation de l’animal à des fins de divertissement ou de loisirs et à la lutte contre la maltraitance animale mériterait d’être réévalué. En outre, l’on ne saurait dénier toute responsabilité à l’être humain vis-à-vis du sort d’un animal sauvage vivant dans la nature du seul fait que la souffrance endurée par ce dernier n’impacte pas ou n’intéresse pas l’être humain. Certes, il apparaît dangereux de sacraliser l’existence de l’animal, au risque de nuire à la vie, au bien-être et à la sécurité de l’Homme. En revanche, les valeurs morales afférentes au bien-être animal auxquelles s’attachent les sociétés démocratiques contemporaines, de même que l’accroissement des données scientifiques qui tendent à démontrer objectivement la souffrance physique et psychique de l’animal, sont autant de motifs qui devraient pousser le législateur à concevoir une protection désintéressée pour l’animal. Il n’est pas question d’opposer les besoins fondamentaux des animaux aux droits humains, mais de concevoir la responsabilité morale de l’Homme vis-à-vis des animaux comme une composante de son humanité134, ce qui justifierait la consécration de nouveaux droits, concepts ou catégories juridiques135 en faveur de la protection animale, à l’image du « préjudice animalier » reconnu par certaines juridictions. Ce changement de paradigme pour le droit de la protection animale impliquerait pour l’Homme des sacrifices susceptibles d’heurter son mode de vie, sa culture ou sa religion, de sorte que tout effort de modification législative en faveur d’une protection renforcée des animaux sera vraisemblablement fastidieux. En tout cas, une partie de la société est prête à adopter un mode de vie plus éco-responsable et se montre de plus en plus sensible au bien-être animal. Les juridictions judiciaires et administratives continueront sans doute à alimenter le débat de la place de l’animal au sein du corpus juridique dans les prochaines années, avec l’aide du juge européen.

     

    • 1 Art. 515-14 du Code civil.
    • 2 Art. L 110-1, I, du Code de l’environnement.
    • 3 TA, réf., Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2025, n° 2403226.
    • 4 Art. 16 du Code civil : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
    • 5 Étienne Bonnot de Condillac, Traité des animaux (1755), Paris : Vrin, 2004, 256 p. ; Sébastien Bouchard, Humanimalité et indignation : apports de la fiction romanesque à la question philosophique du rôle de l'animalité dans le devenir humain de l'homme après Darwin, Thèse de doctorat (dir. Jean-Pierre Cléro, Thierry Belleguic), Université Laval Québec/Université de Rouen Mont-Saint-Aignan, 2016, 480 p. ; David Chauvet, « L’appropriation des animaux », Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, oct. 2020, n° 72, pp. 239-258 ; Elisabeth de Fontenay, Sans offenser le genre humain : réflexions sur la cause animale, Paris : A. Michel, 2008, 213 p. ; Florence Dossche, Paul-Henry Delvaux, Le droit des animaux : perspectives d'avenir, Bruxelles : Larcier, 2019, 346 p. ; Isabelle Doussan, Droit et animal : pour un droit des relations avec les humains, Versailles : Quae, 2024, 88 p. ; Alain Finkielkraut, Des animaux et des Hommes, Paris : Stock, 2018, 300 p. ; Catherine Kerbrat-Orecchioni, « Ce ne sont que des animaux », le spécisme en question, Paris : Le Pommier, 2023, 467 p. ; Julien Lagoutte, « La protection différenciée des êtres vivants : spécisme, antispécisme (et au-delà) du droit pénal français ? », Revue de la recherche juridique - Droit prospectif, janv. 2022, n° 1, pp. 101-128 ; David Le Blanc, Éric Lemonnier, « L'homme, l'animal et le droit (1re partie) », RD rur., n° 489, janv. 2021, pp. 15-37 ; Pierre Serna, L’animal en République. 1789-1802. Genèse du droit des bêtes, Toulouse : Anacharsis, 2016, 256 p. ; Romain Steffenoni, Antispécisme : l'animal moral, Paris : L’Harmattan, 2020, 228 p. ; Christophe Traïni, La cause animale. Essai de sociologie historique (1820-1980), Paris : PUF, 2011, 240 p.
    • 6 Emmanuel Kant, Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (1797), vol. 1, Paris : Durand,1855, § 17, p. 110.
    • 7 Arthur Schopenhauer, Éthique, droit et politique, 1851, tr. Auguste Dietrich, Félix Alcan, 1909, pp. 38-40 : « L'homme est en effet l'unique animal qui inflige des douleurs aux autres sans but déterminé. (...). Aucun animal ne torture uniquement pour torturer ; mais l'homme le fait, et ceci constitue le caractère diabolique, infiniment pire que le caractère simplement bestial ».
    • 8 Jean-Luc Guichet (dir.), De l'animal-machine à l'âme des machines. Querelles biomécaniques de l'âme (XVIIe-XXIe siècle), Paris : Éditions de la Sorbonne, coll. Philosophie, 2010, 206 p. Pour Descartes, « de par ses connaissances de la force et des actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui [les] environnent (…) [les hommes peuvent se] rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » : René Descartes, Discours de la méthode (6èmepartie), 1637.
    • 9 Sous l’égide du Conseil de l’Europe, v. not. : Convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages (1976) ; Convention européenne sur la protection des animaux d'abattage (1979) ; Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie (1987). Sous l’égide de l’Union européenne, v. not. : Protocole n° 33 au traité instituant la Communauté européenne sur la protection et le bien-être des animaux (1997) ; art. 13 du TFUE (2007) (« (…) dans les domaines de l'agriculture, de la pêche, des transports, du marché intérieur, de la recherche et développement technologique et de l'espace, l'Union et les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles (…) ») ; Directive 98/58/CE du Conseil concernant la protection des animaux dans les élevages (1998) ; Règlement (CE) n° 1/2005 du Conseil relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes (2004) ; Règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (2009, ancienne directive 93/119/CE du Conseil).
    • 10 Aloïse Quesne, Jean-Paul Costa, La sensibilité animale : approches juridiques et enjeux transdisciplinaires, Paris : Mare & Martin, 2023, 333 p.
    • 11 En ce qui concerne l’animal captif ou domestique : art. L 214-1 du Code rural et de la pêche maritime ; en ce qui concerne l’animal au sens large : art. 515-14 du Code civil.
    • 12 Art. L 411-1, I, du Code de l’environnement.
    • 13 Art. L 110-1, III, 4° du Code de l’environnement.
    • 14 Art. R 427-1 à R 427-28 du Code de l’environnement.
    • 15 Art. L 412-2 du Code de l’environnement.
    • 16 Art. L 420-1 du Code de l’environnement.
    • 17 TA, réf., Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2025, n° 2403226, cons. 2 (cet argument ayant en définitive été analysé par le juge comme faisant naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision à la lecture des normes applicables : cons. 11-13).
    • 18 Emmanuel Kant, Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (1797), vol. 1, Paris : Durand,1855, § 17, p. 110 ; Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1755.
    • 19 Jean-Jacques Rousseau, « Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes », Préface, 1755 : « Il semble, en effet, que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c'est moins parce qu'il est un être raisonnable que parce qu'il est un être sensible ; qualité qui, étant commune à la bête et à l'homme, doit au moins donner à l'une le droit de n'être point maltraitée inutilement par l'autre ».
    • 20 Pour Kant, l’Homme n’a de devoirs qu’envers l’Homme (Emmanuel Kant, Éléments métaphysiques de la doctrine de la vertu (1797), vol. 1, Paris : Durand,1855, § 16, p. 108).
    • 21 Une partie de la doctrine s’est toutefois sérieusement penchée sur cette hypothèse compte tenu de l’évolution favorable du droit international et européen en matière de bien-être animal : Florence Burgat, Les animaux ont-ils des droits ?, Paris : La documentation française, coll. Doc’ en poche, 2022, 112 p. ; Anne-Blandine Caire, « Les animaux ont-ils des droits ? L'animal, éternel atopos ? », La Revue du Centre Michel de L’Hospital, déc. 2014, n° 6, pp. 3-17 ; Séverine Nadaud, « Droits de l'homme et droits des animaux : la quadrature du cercle? », RTDH, n° 126, avr. 2021, pp. 375-390 ; Aloïse Quesne, Jean-Paul Costa, Laëtitia Romeiro Dias, Quel(s) droit(s) pour les animaux ?, Paris : Mare & Martin, 2023, 176 p. ; Enrique Utria, « Quels animaux, quels droits ? », RSDA, n° 1-2/2019, pp. 517-523 ; Claire Vial, « Et si les animaux avaient des droits fondamentaux ? », RDLF, chron. n° 39, 2019 ; Steven M. Wise, Tant qu’il y aura des cages. Vers les droits fondamentaux des animaux, trad. D. Chauvet, Villeneuve-d'Ascq : PU Septentrion, 2016, 360 p.
    • 22 Sur le refus par une juridiction étrangère de reconnaître à l’animal un droit à la liberté, v. Olivier Le Bot, « La cour suprême censure une décision ayant reconnu le droit à l'habeas corpus au profit d'animaux », RSDA, n° 2/2017, pp. 105-107.
    • 23 D’aucuns questionnent toutefois une organisation naturelle de la vie en communauté chez certaines espèces animales : Philippe Jestaz, « Existe-t-il un pré-droit animal ? », RTD Civ., 2022, n° 1, pp. 81-87.
    • 24 Préamb. de la Déclaration française des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, consacrant les « droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme ».
    • 25 Préamb. (al. 3) de la Charte des Nations Unies du 26 juin 1945 ; préamb. (al. 4) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 16 déc. 1966.
    • 26 François-Xavier Roux-Demare (dir.), L’animal et l’homme (actes de colloque), coll. Droit privé et sciences criminelles, Kremlin-Bicêtre : Mare & Martin, 2019, 384 p.
    • 27 Fabien Marchadier, « Le droit de rétention sur l'animal », RSDA, n° 1/2017, p. 28.
    • 28 L’animal est un bien intégré à la liquidation du régime matrimonial qui peut être attribué par commun accord ou par décision de justice à l’un ou à l’autre des époux divorcés qui justifie de sa propriété ou de son utilité : CA Rouen, 5 janv. 2017, n° 15/04272 (comm. Fabien Marchadier, « L'attribution de l'animal de compagnie au cours de la procédure de divorce », RSDA, n° 1/2017, p. 33).
    • 29 CA Dijon, 5 janv. 2016, n° 15/00192. Il n’existe pas d’insaisissabilité de principe des animaux, quand bien même un changement d’environnement les affecterait (v. cependant l’art. L 112-2, 5° et R 112-2, 14° et 15° du Code des procédures civiles d’exécution).
    • 30 Art. L 214-2 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 31 Sous réserve de l’art. R214-24 du Code rural et de la pêche maritime : « L'exercice des activités d'éducation et de dressage d'un animal de compagnie dans des conditions de nature à lui infliger des blessures ou des souffrances inutiles est interdit ».
    • 32 Art. L 427-6 du Code de l’environnement.
    • 33 Sur la mise à mort d’animaux errants, y compris domestiques : art. L 211-20 à L 211-22 et L 211-25 du Code rural et de la pêche maritime ; TA Limoges, 26 juin 2024, n° 2400968.
    • 34 Art. L 427-8 du Code de l’environnement ; art. R 427-1 à R 427-28 du Code de l’environnement.
    • 35 Art. 522-1 et R 653-1 du Code pénal.
    • 36 Art. 521-1 du Code pénal. La mort de l’animal constitue toutefois une circonstance aggravante du délit de sévices graves ou d’actes de cruauté.
    • 37 Art. L 226-1 du Code rural et de la pêche maritime. Sur l’interdiction de jeter des cadavres d’animaux en violation des règles sanitaires édictées en matière de destruction de sous-produits animaux : art. L 228-5 du Code rural et de la pêche maritime ; TC Béziers, 17 juin 2024, n° 24030000043.
    • 38 Art. 521-1-3 du Code pénal. Sur l’absence d’obligation de bientraitance de l’exploitant à l’égard des cadavres d’animaux par le droit pénal : Cass. Crim. 28 janv. 2020, n° 19-83.205, Inédit (comm. Jacques Leroy, « Mauvais traitements à animal placé sous la garde d'un éleveur », RSDA, n° 1/2020, pp. 49-51).
    • 39 Sur le déplacement forcé d’animaux en lien avec un trouble anormal du voisinage : CA Douai, 22 fév. 2024, RG n° 21/06394 ; Cass. civ. 2, 14 déc. 2017, n° 16-22.509 ; Cass. Crim. 7 oct. 2008, n° 08-80.852, Inédit ; art. R1334-31 du Code de la santé publique ; Grégoire Leray, « Comportement normal de l'animal et trouble anormal de voisinage », RSDA, n° 1-2/2019, pp. 31-34. De la même manière, le propriétaire ne saurait imposer à ses semblables la présence de son animal lorsque cela a pour effet d’attenter aux droits d’autrui ou à l’intérêt général, l’accès de l’animal pouvant être refusé ou limité dans certains établissements, modes de transport ou locaux à usage d’habitation (Fabien Marchadier, « Nouvelle atteinte au droit à la présence de l'animal », RSDA, n° 2/2017, pp. 26-27 ; « L’animal de compagnie restera à la porte de l’EHPAD », RSDA, n° 1/2017, p. 29 ; « Les restrictions au droit à la présence de l’animal : entre consolidation et élargissement », RSDA, n° 1/2012, p. 59).
    • 40 Du point de vue de la responsabilité civile délictuelle, l’animal n’est pas « une chose » mais « un bien » vivant, de sorte que l’article 1242 du Code civil ne s’applique pas au fait de l’animal (art. 1243 du Code civil). Sur ce sujet, v. Jean-Pierre Marguénaud, L’animal en droit privé, Limoges : PULIM, coll. Publications faculté de droit, 1993, 577 p. ; Nadège Reboul-Maupin, « Droit des animaux : opérer une distinction fondamentale entre biens vivants et biens inertes (biens organiques et bien inorganiques) », Les Petites Affiches, 2023, n° 1, pp. 4-13 ; Magali Bouteille-Brigant, « La qualification juridique de l'animal au regard de la distinction des personnes et des choses », RD rur., 1er janv. 2021, n° 489, pp. 19-23 ; François Pasqualini, « L'animal et le droit ; l'animal et la responsabilité civile », Les Petites Affiches, nov. 1994, n° 140, pp. 19-22.
    • 41 Art. 515-14 du Code civil issu de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015.
    • 42 Sur le contrôle de la capacité à détenir un animal de compagnie ou d’agrément, v. les art. L 214-8, V, et L 211-10-1 du Code rural et de la pêche maritime (L. n° 2021-1539 du 30 novembre 2021).
    • 43 Art. L 214-23, 3° et 5°du Code rural et de la pêche maritime.
    • 44 Saisie conservatoire et confiscation d’un animal : art. 99-1 du Code de procédure pénale (autorité judiciaire) et art. L 214-23, II du Code rural et de la pêche maritime (autorité administrative). Peines d’interdiction provisoire ou définitive de détenir un animal : art. 521-1 et 521-1-1 du Code pénal ; art. L 215-11 et L 215-2-1 du Code rural et de la pêche maritime. Sur ce sujet, v. Fabien Marchadier, « La propriété de l'animal à l'épreuve de la maltraitance », RSDA, n° 2/2017, pp. 21-23.
    • 45 Art. L 214-4, art. L 214-6 à L 214-8-2, et art. R 214-19-1 à R 214-34 du Code rural et de la pêche maritime ; art. L 413-1 A à L 413-14 du Code de l’environnement. Sur l’utilisation à des fins scientifiques d’animaux, réglementée et conditionnée à un critère de nécessité : art. R 214-87 à R 214-138 du Code rural et de la pêche maritime ; art. L 412-2 du Code de l’environnement.
    • 46 Cass., civ. 1ère, 16 janv. 1962, publié au bulletin, note C.-I. Foulon-Piganiol, D. 1962, p.199, note R. Rodière, JCP1962.II, p.12557, note P. Esmein, RTDC 1962, p. 316 ; CA Bordeaux, 3 juill. 2017, n° 16/01398 (comm. Fabien Marchadier, « Le dommage subi par l'animal et l'indemnisation du préjudice moral souffert par ses maîtres », RSDA, n° 2/2017, pp. 24-25) ; CA Aix-en-Provence, 17 janv. 2017, n° 15/16280 et CA Nîmes, 6 avr. 2017, n° 15/00437 (comm. Fabien Marchadier, « Le préjudice du fait des souffrances endurées par l'animal », RSDA, n° 1/2017, pp. 31-32) ; CA Aix-en-Provence, ch. 1A, 6 sept. 2011, n° 10/14901 ; CA Paris, 23 janv. 2009, JurisData n° 2009-37-4911.
    • 47 Cass. crim. 31-05-2016, n° 15-82.062, Inédit.
    • 48 CA Paris, ch. 5, 7 avr. 2011, n° 07/17877 ; Juridiction de proximité de vire, 9 déc. 2010 (250 euros alloués au propriétaire éleveur au titre de la perte de deux agneaux et d’une brebis).
    • 49 Art. R 112-2, 14°, du Code des procédures civiles d’exécution.
    • 50 Art. 521-1-1 et s. du Code pénal issus de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021.
    • 51 Art. 222-22 du Code pénal.
    • 52 Art. 452 à 454 de l’ancien Code pénal (1810).
    • 53 Loi du 2 juillet 1850 relative aux mauvais traitements exercés envers les animaux domestiques (la répression n’est à l’époque réservée qu’aux actes commis publiquement).
    • 54 Consécration d’un chapitre portant sur « La protection de l’animal » dans la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et modifiant l’ancien Code rural (« Titre V : De la protection des animaux domestiques et des animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité »).
    • 55 Art. 521-1 à 522-2 et art. R 653-1 à R 655-1 du nouveau Code pénal.
    • 56 L’ancien code pénal (1810) sanctionnait la mise à mort d’un animal commise sans nécessité et les sévices graves ou actes de cruauté au sein d’un chapitre II dédié aux « crimes et délits contre les propriétés » (sect. III, « Destructions, dégradations, dommages »). Le nouveau code pénal (1994) consacre depuis lors un article 521-1 réprimant les actes de cruauté, sévices graves et abandons commis contre les animaux dans un livre V (« Des autres crimes et délits ») distinct du livre III afférent aux crimes et délits contre les biens (la partie réglementaire du Code sanctionnant les contraventions attentatoires aux animaux étant par ailleurs distincte du livre consacré aux contraventions constitutives d’une atteinte aux biens).
    • 57 Titre du chap. Ier du Titre II du Livre V du Code pénal.
    • 58 Art 521-1 à 521-2 du Code pénal.
    • 59 Art. L 214-3 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 60 Art. R 654-1 du Code pénal.
    • 61 Art. R 654-1 du Code pénal ; art. R 215-4 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 62 Art. L 215-11 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 63 Art. R 215-8 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 64 Art. L 214-6 et s. et art. R 214-82 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 65 Art. R 214-84 à R 214-86 du Code rural et de la pêche maritime. Sur l’interdiction de détention, de transport et de spectacles incluant des espèces animales non domestiques dans les établissements itinérants, les établissements proposant une participation de cétacés et leurs contacts directs avec le public, dans les discothèques ou encore à l’occasion d’émissions réalisées en plateau : art. L 413-10 à L 413-14 du Code de l’environnement issus de la loi du 30 novembre 2021 (la mise en œuvre de cette loi étant toutefois différée afin de tenir compte de la nécessaire adaptation des exploitants à ces nouvelles règles).
    • 66 OMSA, « Code sanitaire pour les animaux terrestres », 2024, art. 7.1.1. ; ANSES, « Bien-être animal : contexte, définition et évaluation », avis, fév. 2018, p. 16 : le bien-être animal peut être défini comme « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux de l’animal ainsi que de ses attentes, au regard des conditions dans lesquelles il vit et meurt ».
    • 67 Art. L 214-1 et L 214-2 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 68 Art. R 214-108 du Code rural et de la pêche maritime et art. L 412-2 du Code de l’environnement (expériences scientifiques) ; art. R 214-65 et R 214-67 du Code rural et de la pêche maritime (abattage).
    • 69 Art. L 214-3 (animaux domestiques ou sauvages captifs), art. R 214-17, 3° à 5° (animaux de rente) et R 214-24 (animaux de compagnie) du Code rural et de la pêche maritime.
    • 70 Constitue un traitement inhumain et dégradant le traitement entraînant de vives souffrances physiques ou morales de nature à créer en ses victimes des sentiments de peur, de détresse et d'angoisse intenses (CEDH [GC], Labita c. Italie, 6 avr. 2000, req. n° 26772/95, § 120 ; CEDH, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, 12 oct. 2006, req. 13178/03, § 70).
    • 71 L’Union européenne a érigé le bien-être animal en un objectif intégrant la politique commune en matière d’agriculture, de pêche et de transport (art. 13 du TFUE). Les règles générales de bien-être animal applicables aux conditions d’abattage des animaux de rente sont principalement contenues dans le règlement n° 1099/2009 du 24 septembre 2009 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort, reprises dans le Code rural et de la pêche maritime. Une réglementation spécifique protège certaines catégories d'animaux d’élevage (veaux, cochons, poules pondeuses, poulets destinés à la production de viande), les animaux utilisés à des fins expérimentales et les animaux détenus dans des zoos.
    • 72 Art. R 214-17 du Code rural et de la pêche maritime. Sur la réglementation des conditions d’élevage, de parcage, de garde, de transit, de transport et d’abattage des animaux de rente, v. les art. R 214-18 à D 214-19, l’art. R 214-36, les art. R 214-49 à R 214-81 du Code rural et de la pêche maritime, l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d'immobilisation, d'étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs, ou encore le décret n° 2022-137 du 5 février 2022 relatif à l'interdiction de mise à mort des poussins des lignées de l'espèce Gallus gallus destinées à la production d'œufs de consommation et à la protection des animaux dans le cadre de leur mise à mort en dehors des établissements d'abattage.
    • 73 Art. L 214-8, V, L211-10-1 et D 214-37-1 du Code rural et de la pêche maritime ; arrêté du 11 août 2006 fixant la liste des espèces, races ou variétés d'animaux domestiques.
    • 74 Le bien-être animal implique le respect par l’Homme des cinq libertés fondamentales et individuelles de l’animal, telles que définies notamment par l’Organisation mondiale de la Santé Animale : l’absence de faim, de soif et de malnutrition, l’absence de peur et de détresse, l’absence de stress physique et/ou thermique, l’absence de douleur, de lésions et de maladies, et la liberté d’expression d’un comportement normal de l’espèce (OMSA, « Code sanitaire pour les animaux terrestres », 2024, art. 7.1.2.).
    • 75 Gérald Hess, Corine Pelluchon, Jean-Philippe Pierron et al., Humains, animaux, nature : quelle éthique des vertus pour le monde qui vient ?, Paris : Hermann, 2020, 395 p. ; Lucie Dupin, « Petite introduction d'éthique animale à l'usage des juristes et de droit animalier à l'usage des philosophes », RSDA, n° 1-2/2019, pp. 463-482.
    • 76 Art. 521-1 à 522-2 du Code pénal ; art. L 215-11 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 77 Art. R 654-1 du Code pénal, la peine principale encourue n’étant pas aggravée si l’infraction est commise par le propriétaire de l’animal.
    • 78 Art. R 215-4 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 79 En l’état de la jurisprudence, l’acte délictuel d’abandon, qui se distingue de la contravention de défaut de soins et de la contravention de mauvais traitements, se caractérise notamment par une organisation des soins manifestement insuffisante (Cass. crim. 29 juin 2021, n° 20-84.017), le caractère prolongé du défaut de soins (Cass. crim. 31 mai 2016, n° 15-82.062, inédit) et ses effets irréversibles (Cass. crim. 16 juin 2015, n° 14-86.387, publié au bulletin).
    • 80 Art. L 214-2, al. 1er du Code rural et de la pêche maritime.
    • 81 Art. R 215-8, II, 2° à 6° du Code rural et de la pêche maritime ; ainsi du fait de suspendre un animal conscient, ou de ne pas l’étourdir avant son abattage ou sa mise à mort – hors le cas de l’abattage rituel.
    • 82 Cass. Crim. 22 mai 2007, n° 06-86.339, publié au bulletin (v. infra, B. La personnalisation de l’animal au service d’une protection désintéressée et renforcée).
    • 83 Art. 521-1, 522-1 et R 654-1 du Code pénal. Et pourtant, l’exploitation de l’animal à cette occasion ne saurait recevoir d’autre qualification que celle d’acte de cruauté eu égard à l’intention des organisateurs de tels événements : celle d’assister à la mise à mort d’animaux incapables de se défendre ; le législateur lui-même conçoit que ces événements donnent lieu a minima à des mauvais traitements (art. R 214-85 du Code rural et de la pêche maritime).
    • 84 Art. 521-1, al. 11, art. 522-1, al. 2 et art. R 654-1, al. 3 du Code pénal.
    • 85 Cons. const., déc. n° 2012-271 QPC du 21 septembre 2012, cons. 5 (comm. L. Sermet, RJE 2015, n° 4, pp. 717-733).
    • 86 Art. 521-1 du Code pénal.
    • 87 Cons. const., déc. n° 2015-477 QPC du 31 juillet 2015, cons. 4 (obs. Th. Renoux et X. Magnon, RPDP 2015, p. 678).
    • 88 Tir aux pigeons vivants : art. R 214-35 du Code rural et de la pêche maritime ; manèges à poney : art. L 214-10 du même code.
    • 89 V. not. art. L 214-3 du Code rural et de la pêche maritime et art. 521-1 et s. du Code pénal.
    • 90 Art. R 214-6 du Code rural et de la pêche maritime et art. L 411-1 et s. du Code de l’environnement.
    • 91 La captivité implique une détention (arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d'animaux d'espèces non domestiques, art. II).
    • 92 La répression du défaut de soins à un animal blessé n’intéresse que le gardien de l’animal domestique, apprivoisé ou captif (art. R 214-17, 2° du Code rural et de la pêche maritime). Si la détentrice de Rillette, qui nécessitait des premiers soins d’urgence lorsqu’elle a été découverte affamée dans une poubelle à l’état de marcassin, avait délibérément ignoré son sort, elle n’aurait nullement été inquiétée par la loi.
    • 93 L’obligation du préfet de s’assurer que les soins nécessaires soient prodigués à l’animal blessé ou en état de misère physiologique, et la faculté d’abréger ses souffrances en ordonnant sa mise à mort le cas échéant, ne profite qu’à l’animal domestique et l’animal sauvage apprivoisé ou captif (art. R. 214-17, al. 10 et R 214-58 du Code rural et de la pêche maritime). Le maire, autorité la plus à même d’intervenir rapidement, n’a aucune compétence à l’égard d’animaux sauvages trouvés en état de détresse ou en danger de mort mais peut au contraire ordonner la mise à mort d’un animal « malfaisant ou féroce » aux fins d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques (art. L 2212-2, 7° du CGCT). Pour le reste, les missions des « lieutenants de louveterie » en matière de destruction de spécimens d'espèces animales non domestiques ne répondent pas à une logique de bien-être animal mais de protection de la sécurité ou de la santé humaines et de l’environnement (art. L 427-1 du Code de l’environnement).
    • 94 Le Code de la route ne comporte aucune disposition relative aux atteintes involontaires aux animaux sauvages, au risque de faire peser une responsabilité bien trop lourde sur les usagers de la route. En revanche, il est dommageable qu’aucune obligation de prévenir les services vétérinaires de l’État ou d’abréger les souffrances d’un animal sauvage gravement blessé du fait de l’Homme et dans l’incapacité de se mouvoir ne soit consacrée. Le Code de la route réglemente uniquement la circulation des animaux par l’Homme et réprime les atteintes à la sécurité routière commises en violation de ces dispositions (art. R 421-2, et R 412-44 à R 412-50). Blesser un animal sauvage par imprudence en dépit de panneaux avertissant que la route est habituellement fréquentée par des animaux sauvages n’est pas davantage réprimé par le Code pénal, l’infraction d’atteinte involontaire à la vie d’un animal n’ayant pas vocation à protéger l’espèce sauvage vivant dans la nature (art. R 653-1, al. 1er).
    • 95 La chasse est encadrée en ce qui concerne les modes et moyens employés (art. R 428-8 à R 428-10 du Code de l’environnement) non du point de vue du bien-être animal, cette activité étant notamment exclue du champ d’application du règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort (cons. 14). Ainsi, le fait d’abattre un animal sauvage blessé n’est aucunement exigé du chasseur qui en est la cause. Par ailleurs, n’encourt aucune sanction pénale le chasseur qui se contente de poursuivre ou de tirer sur le gibier sans prendre le soin de procéder à la recherche de l’animal blessé ou de contrôler le résultat de son tir si l’on s’en tient à une interprétation littérale de la notion de captivité. À cet égard, la conduite de chiens de sang est purement bénévole et n’est pas réglementée par la loi (JORFdu 15 août 2023, p. 7528).
    • 96 Jean-Pierre Marguénaud, « Les enjeux de la qualification juridique de l'animal », p. 253, in Maryse Baudrez, Thierry Di Manno, Valérie Gomez-Bassac (dir.), L'animal, un homme comme les autres ?, Bruxelles : Bruylant, 2012 ; Caroline Regad, Cédric Riot (dir.), La personnalité juridique de l'animal. Les animaux sauvages, t. III, coll. Droit & science politique, Le Kremlin-Bicêtre : Mare & Martin, 2024, 172 p.
    • 97 Ne constitue pas un acte de chasse le fait d’achever un animal sauvage aux abois ou mortellement blessé (art. L 420-3, al. 2 du Code de l’environnement), la notion de blessure mortelle étant toutefois sujette à une appréciation variable (CA Rennes, 3 sept. 2018 ; CA Rouen 22 juin 2005, n° 05/00298).
    • 98 A contrario, en ce qui concerne les animaux captifs : art. R 231-6 et R 214-78, 4° du Code rural et de la pêche maritime.
    • 99 Sur l’obligation de l’État d’aménager le territoire aux fins de prévenir l'accès des grands animaux sauvages sur les voies publiques : CAA Marseille, 3e, 19 fév. 2004, n° 00MA00944 ; CAA Versailles, 2e, 2 juin 2005, n° 03VE00909.
    • 100 Art. L 110-1 du Code de l’environnement.
    • 101 L’activité de chasse – qui a vocation à capturer et à tuer du gibier – n’est conditionnée à aucun impératif de régulation (art. L 420-3 du Code de l’environnement), de sorte que la chasse exclusivement exercée à titre de loisir est admise, sous réserve des dispositions relatives aux espèces sauvages protégées (art. L 411-1 et s. du même code).
    • 102 Art. L 214-3, al. 2 du Code rural et de la pêche maritime.
    • 103 Art. 4 § 4 et art. 26 § 2 du règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort ; art. R 214-70, I, 1° du Code rural et de la pêche maritime.
    • 104 CJUE [GC], 29 mai 2018, aff. C‑426/16, points 55 à 57 et points 62 à 65.
    • 105 CE, 5 juill. 2013, n° 361441, cons. 5 (comm. Hervé De Gaudemar, « La légalité de la dérogation à l'obligation d'étourdissement des animaux à l'abattoir », RSDA, n° 2/2013, pp. 67-74 ; Gweltaz Eveillard, « Abattage rituel et police administrative », Droit administratif, déc. 2013, n° 12, pp. 44-48 ; Rémi Pellet, « Interdits alimentaires, hygiénisme et lien social », RDSS, janv. 2022, pp. 86-97). V. aussi CE, 1er juill. 2022, n° 441260, inédit au recueil Lebon, cons. 5.
    • 106 CE, 4 oct. 2019, n° 423647, mentionné aux tables du recueil Lebon.
    • 107 Le Conseil d’État a admis que l’intervention du législateur visant à encadrer les conditions du recours volontaire à l’étourdissement dans le cadre d’un abattage rituel avait pour finalité d'atténuer autant que possible la douleur, la détresse, la peur et les autres formes de souffrance que peut provoquer la mise à mort des animaux (CE, réf., 17 fév. 2021, n° 449083, inédit au Recueil Lebon, cons. 6).
    • 108 à mort illégale d’animaux en dehors d’un abattoir, v. Cass. Crim. 5 nov. 2019, n° 18-84.554, inédit (note Stéphane Detraz, « Au-dessus de la religion, la loi commune : là est le hic », Gaz. Pal., fév. 2020, n° 5, p. 47 ; Julien Lagoutte, « Nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes édictées par la loi pénale. De beaux draps pour un matelas sale ? », pén., fév. 2020, n° 2, pp. 14-20) : la Cour de cassation souligne que « nul ne peut se prévaloir de ses croyances religieuses pour s'affranchir des règles communes édictées par la loi pénale », en ce compris les particuliers qui n’usent d’aucune méthode d’endormissement avant de procéder à l’abattage rituel d’un grand nombre d’animaux.
    • 109 CJUE [GC], 26 fév. 2019, aff. C-497/17, points 48-49 ; CEDH, 13 févr. 2024, n° 16760/22 et al., § 107 et § 123 (Émilie Barbin, « La morale du bien-être animal », Droit administratif, avr. 2024, n° 4, pp. 5-6 ; Gérard Gonzalez, « L'étourdissement préalable dans l'abattage rituel nécessaire au bien-être animal », JCP G, mars 2024, n° 10, p. 439 ; Jean-Pierre Marguénaud, « L'abattage rituel avec étourdissement préalable réversible : une conquête du droit animalier européen », note, D. avr. 2024, n° 14, pp. 711-716 ; Marie-Christine de Montecler, « La convention européenne des droits de l'homme... et de l'animal ? », AJDA, fév. 2024, n° 6, p. 298) ; CJUE [GC], 17 déc. 2020, aff. C-336/19, point 77 (Mélina Oguey, « Abattage rituel : la nécessaire mise en balance entre le bien-être animal et la liberté religieuse », RDLF 2021, chron. n° 08).
    • 110 Art. L 1, I, 5° du Code rural et de la pêche maritime.
    • 111 TA, réf., Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2025, n° 2403226.
    • 112 TA Toulouse, 27 fév. 2025, jugements n° 2303830 et n° 2303544.
    • 113 Alors que le risque de confiscation ou d’euthanasie de l’animal est considéré comme établi, le juge estime que la condition d’urgence doit être regardée comme remplie « eu égard aux risques encourus aussi bien par Mme (…) que par son animal en l’absence de suspension de l’exécution de la décision attaquée » (cons. 4).
    • 114 CE, réf., 19 juill. 2024, n° 496067, inédit au recueil Lebon ; CE, 6 oct. 2021, n° 445733, mentionné aux tables du recueil Lebon.
    • 115 Sur le défaut d’urgence attachée à un risque d’atteinte au bien-être animal au moment de la mise à mort en abattoir : CE, réf., 17 fév. 2021, n° 449083, inédit au Recueil Lebon, cons. 7.
    • 116 TA, réf., Châlons-en-Champagne, 16 janv. 2025, n° 2403226, cons. 12.
    • 117 Pour les magistrats, les bénéfices d’ordre social ainsi que le souci de conforter le développement économique d’un territoire attachés à une telle construction ne constituent pas « une raison impérative d’intérêt public majeur » au sens de l’article L 411-2, I, 4° du Code de l’environnement encadrant les dérogations à la destruction d’espèces animales protégées (cons. 12 à 19).
    • 118 CAA Toulouse, 4ème ch., 28 mai 2025, arrêts n° 25TL00597, n° 25TL00642 et n° 25TL00653.
    • 119 TC Lille, 7ème ch., 12 fév. 2025, n° 23320000398.
    • 120 V. aussi Tribunal de police de Béziers, 23 sept. 2024.
    • 121 Sur la possibilité pour certaines associations de se constituer partie civile à l’occasion d’une infraction attentatoire à l’animal, v. l’art. 2-13 du Code de procédure pénale (espèces animales domestiques ou captives) et l’art. L 142-2, al. 1erdu Code de l’environnement (espèces animales sauvages protégées). L’association qui argue d’un grief attentatoire aux intérêts qu’elle défend peut initier une instance civile ou administrative aux mêmes fins : Cass. 1ère civ. 18 sept. 2008, n° 06-22.038, publié au bulletin ; art. L 142-1 du Code de l’environnement. Il n’est pas question pour l’association de prendre fait et cause pour l’animal, mais d’obtenir réparation à l’occasion d’un préjudice qui lui est personnel.
    • 122 
    • 123 

      CA Douai, 25 février 2010, n° 09/01234, inédit. Finalement, le préjudice moral ne serait destiné qu’à « compenser l’altération des sentiments d’affection qu’inspire l’animal à l’homme » (Fabien Marchadier, « L'indemnisation du préjudice d'affection : la banalisation d'une action ... attitrée !? », RSDA, n° 2/2011, p. 35). Thibault Goujon-Bethan, Hania Kassoul, « Pour un aggiornamento de la responsabilité civile : vers la reconnaissance d’un préjudice animal pur », RSDA, n° 2/2022, pp. 527-582.

    • 124 CE, 30 mars 2015, n° 375144 ; CE, 26 fév. 2016, n° 390081, inédit au recueil Lebon. Il est vrai que l’article L 142-2 du Code de l’environnement distingue la démonstration de l’existence d’un préjudice de la preuve de l’objet statutaire, contrairement à l’article 2-13 du Code de procédure pénale.
    • 125 Y compris lorsque le non-respect de la loi n’a causé aucun dommage avéré aux éléments de l’environnement : Cass. 3ème civ., 9 juin 2010, n° 09-11.738, publié au bulletin.
    • 126 La fixation par le juge pénal ou administratif du montant de l’indemnisation allouée en réparation de l’atteinte portée aux intérêts collectifs d’une association de protection des animaux n’excède généralement pas 1 000 euros (Cass. crim. 31 mai 2016, n° 15-82.062, inédit) – sur l’abandon d’animaux domestiques, v. toutefois TC Béziers, 17 juin 2024, n° 24030000043y compris lorsqu’une décision administrative illégale a donné lieu à la destruction de centaines d'animaux (CAA Nancy, 4ème ch., 22 mars 2010, n° 08NC00735, inédit au recueil Lebon, et CAA Nancy, 1ère ch., 19 déc. 2013, n° 12NC01893, inédit au Recueil Lebon). Sur l’indemnisation plus élevée allouée à une association de protection des animaux en réparation d’un préjudice moral résultant moins de l’atteinte portée à ses intérêts statuaires qu’à son implication directe dans la révélation des mauvais traitements de l’exploitant d’un abattoir et de ses employés, v. TA Pau, 20 juill. 2023, n° 2101030.
    • 127 À la lecture de l’article 2-13 du Code de procédure pénale, ne sont pas autorisées à se constituer partie civile dans une instance pénale les associations qui auraient connaissance d’atteintes involontaires mais fautives à la vie ou à l’intégrité d’un animal (art. R 653-1 du Code pénal ; Cass. Crim. 22 mai 2007, n° 06-86.339, publié au bulletin), d’un défaut de soin et/ou de conditions d’accueil incompatibles avec la sensibilité de l’animal (art. R 215-4 du Code rural et de la pêche maritime ; Cass. Crim. 30 mai 2012, n° 11-8826, comm. Jacques Leroy, « Défaut de soins à animal. Constitutions de partie civile d'associations de protection animale. », RSDA, n° 1/2012, pp. 81-82 ; Cass. Crim. 22 mai 2007, n° 06-86.339, publié au bulletin, note Michel Véron, « Les limites de l'action des associations de défense », pén., 1er sept. 2007, n° 9, pp. 48-49), du non-respect des conditions d’abattage exposant l’animal à une souffrance psychique ou psychique (art. R 215-8, 3° à 6° du Code rural et de la pêche maritime) ou du vol d’un animal de compagnie ou d’agrément l’arrachant ainsi à son environnement de vie habituel (Cass. crim. 24 oct. 2000, n° 99-87.682, inédit).
    • 128 Sans intervention du législateur l’on peut difficilement porter la voix de l’animal sauvage : le préjudice animalier ne saurait s’appliquer aux souffrances de l’animal sauvage non captif, non appréhendé par les infractions pénales de droit commun, et le préjudice écologique n’a vocation qu’à réparer une atteinte « non négligeable » aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes.
    • 129 Art. R 214-64, 1° et 2° du Code rural et de la pêche maritime ; arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d'immobilisation, d'étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs (dispositions applicables aux établissements d’abattage des ongulés domestiques, des volailles, des lagomorphes et du gibier d'élevage) ; cons. 11 du règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort (« Les poissons sont physiologiquement très différents des animaux terrestres, et les poissons d’élevage sont abattus et mis à mort dans un contexte très différent (…) » ; néanmoins, « [d]’autres initiatives (…) devraient être prises sur la base d'une évaluation scientifique des risques relative à l'abattage et à la mise à mort des poissons, réalisée par l'EFSA, et en tenant compte des incidences sociales, économiques et administratives ») ; CJUE [GC], 17 déc. 2020, aff. C-336/19, point 93.
    • 130 Art. 1246 et s. du Code civil (L. n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages).
    • 131 Cass. crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938, publié au bulletin.
    • 132 Art. 2, al. 1er du Code de procédure pénale : « L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ».
    • 133 Art. 521-1-1, al. 2 du Code pénal.
    • 134 Jean-Marie Coulon, « Antagonisme ou complémentarité entre les droits humains et les droits des animaux », RSDA, n° 1/2020, pp. 287-294.
    • 135 Jérôme Leborne, « Une protection pénale pour l'intérêt de l'animal : vers un droit post-moderne du vivant ? », RSDA, n° 1/2020, pp. 497-531 ; Pierre-Jérôme Delage, « L'animal en droit pénal : vers une protection pénale de troisième génération ? », pén., fév. 2018, n° 2, pp. 18-22.
     

    RSDA 1-2025

    Philosophie et théorie du droit
    Dossier thématique : Points de vue croisés

    Le sens moral des cochons

    • Véronique Le Ru
      Professeur de philosophie
      Université de Reims - CIRLEP

     

    À propos du sens moral du cochon, il était une fois une fable de La Fontaine, Le Cochon, la chèvre et le mouton1 :

    Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,
    Montés sur même char s’en allaient à la foire :
    Leur divertissement ne les y portait pas ;
    On s’en allait les vendre, à ce que dit l’histoire :
    Le Charton2 n’avait pas dessein
    De les mener voir Tabarin3.

    Tout est déjà dit, dans cette première phrase : le cochon est gras et on le conduit en compagnie de la chèvre et du mouton à la foire pour les vendre. Seul, des trois animaux, le cochon crie au secours, à l’étonnement de la chèvre et du mouton qui n’anticipent aucun danger ni mal à craindre :


    Dom Pourceau criait en chemin
    Comme s’il avait eu cent Bouchers à ses trousses.
    C’était une clameur à rendre les gens sourds :
    Les autres animaux, créatures plus douces,
    Bonnes gens, s’étonnaient qu’il criât au secours ;
    Ils ne voyaient nul mal à craindre.

    La faculté qu’ont les cochons d’anticiper le danger et la mort, que des études récentes ont confirmée4, ce qui explique que les cochons cherchent à s’échapper des camions qui les transportent à l’abattoir, est ici mise en relief relativement à la placidité et à l’innocence de la chèvre et du mouton étonnés des cris de leur compagnon de voyage. La Fontaine propose lui aussi une explication à cette différence de comportement, du point de vue du cocher, puis du cochon :

    Le Charton dit au Porc : Qu’as-tu tant à te plaindre ?
    Tu nous étourdis tous, que ne te tiens-tu coi ?
    Ces deux personnes-ci plus honnêtes que toi,
    Devraient t’apprendre à vivre, ou du moins à te taire.
    Regarde ce Mouton ; a-t-il dit un seul mot ?
    Il est sage. Il est un sot,
    Repartit le Cochon : s’il savait son affaire,
    Il crierait comme moi, du haut de son gosier,
    Et cette autre personne honnête5
    Crierait tout du haut de sa tête.
    Ils pensent qu’on les veut seulement décharger,
    La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine.

    Le point de vue du cocher est de faire honte au cochon qui se comporte mal par rapport aux deux personnes qui l’accompagnent et qui font preuve de savoir-vivre ou, en l’occurrence de savoir-mourir. Notons que La Fontaine personnifie ici les trois animaux qu’on va vendre, comme s’il s’agissait de trois voyageurs dont deux savent se comporter comme il faut, avec sagesse. Avec sottise, rétorque le cochon, qui leur reproche leur innocence relative au fait que le mouton aussi bien que la chèvre, parce que les humains exploitent leur laine ou leur lait, ont beaucoup plus confiance en eux. Le cochon est seulement nourri et non manipulé au sens propre et au sens figuré, c’est pourquoi il peut anticiper ce qui l’attend :


    Je ne sais pas s’ils ont raison ;
    Mais quant à moi qui ne suis bon
    Qu’à manger, ma mort est certaine.
    Adieu mon toit6 et ma maison.

    Le chagrin du cochon est aussi d’être séparé de sa maisonnée et des autres cochons. Ceci aussi a été confirmé par des études en éthologie : la vie affective des cochons s’inscrit dans la durée et elle est très dense ; un cochon peut mourir de chagrin à la mort de son amie. Un porcelet, séparé de ses proches, même choyé et particulièrement bien traité, peut souffrir de la séparation d’avec les siens à tel point qu’on doit le renvoyer de nouveau dans sa ferme d’origine7.

    La capacité de résister

    S’il y a peu d’esclaves ou de domestiques qui se révoltent contre leur maître, il y a aussi peu d’animaux domestiques qui se rebellent contre leur maître. Toutefois, on observe des formes de résistance à l’emprise et à l’oppression des maîtres dans certaines structures ou dans certains cirques. Ainsi Jason Hribal a montré que les chevaux notamment ont pu opposer des formes de résistance à leur exploitation au travail et il soutient que le remplacement rapide de l’énergie équine par les moteurs à combustion interne au début du XXème siècle s’explique par la volonté des industriels de se débarrasser d’une force de travail indisciplinée, qui remettait en cause ses conditions de travail8 (à l’instar de l’âne bâté qui ne veut pas avancer). Will Kymlicka et Sue Donaldson mentionne que Jason Hribal s’intéresse aussi aux formes de résistance des animaux de cirque, présentées par les directeurs de cirque comme des accidents, alors que ces actes sont incontestablement intentionnels et prémédités : « Ces directeurs sont tout à fait conscients que le public cesserait de soutenir leurs institutions s’il découvrait que les animaux sont à tel point désespérés par leurs conditions de vie qu’ils cherchent à s’échapper, si besoin est à travers une résistance active »9.

    Dans une moindre mesure, sans qu’on puisse parler de formes de résistance à l’oppression, certains comportements des animaux domestiques indiquent qu’ils ont un sens moral et qu’ils s’investissent dans une relation de communication avec les humains, quitte à leur donner une leçon de respect. Jeffrey M. Masson raconte ainsi l’histoire d’une truie extrêmement douce et sociable envers les visiteurs de son enclos et du maître des lieux :

    Un jour, cet agriculteur a dû remplacer une planche pourrie, sur le sol de sa stalle. Cette activité a suscité la curiosité de la truie, qui s’est mise à le bousculer du groin sans arrêt. Énervé, l’homme a dû lui donner un coup de maillet. ‘Je n’aurais pas dû faire cela, car elle m’a tout de suite pris la cuisse dans sa grosse gueule et a serré les mâchoires, mais sans me mordre. Elle a sans doute voulu m’avertir que je ne devais jamais recommencer ce genre de chose avec elle. Elle a trouvé intolérable que je me conduise méchamment envers elle’. Cette histoire est la preuve de capacités remarquables chez ce cochon, qui avait la notion de la justice et des conséquences du non-respect de certaines règles de comportement, mais aussi de l’indulgence à accorder à quelqu’un qui n’était pas censé maîtriser toutes les finesses de l’étiquette porcine10.

    Dans le même chapitre sur les cochons, Jeffrey M. Masson mentionne une autre histoire où deux cochons ont réussi à s’échapper du camion qui les conduisait à l’abattoir et ont fait preuve d’un sens de la cavale hors du commun qui leur a valu la vie sauve dans une ferme refuge :

    Certains ont alors réalisé pour la première fois qu’un cochon ne veut pas mourir. Des centaines de personnes ont proposé d’accueillir ces porcs dans un refuge sûr pour le restant de leur existence. Ils ont abouti dans un refuge animalier où ils n’auraient plus jamais à craindre l’abattoir. Compte tenu de la précipitation dont ils ont fait preuve au cours de leur évasion, on peut penser qu’ils anticipaient bien ce qui les attendait11.

    La conscience de la mort et les affects communs aux cochons et aux humains

    Les cochons ont non seulement une peur viscérale des abattoirs et une attitude de recueillement face à la mort d’un congénère, comme l’ont remarqué Rosamund Young dans La Vie secrète des vaches12 ou Jeffrey M. Masson dans La Vie émotionnelle des animaux de ferme, aussi bien à propos des vaches que des cochons, mais ils ont conscience de la mort, comme l’attestent de nombreux récits.

    On pourrait reprocher à ces récits de faire preuve d’anthropomorphisme, de projeter sur les cochons notre capacité d’anticiper la mort. Mais ces reproches – et cela les rend suspects – vont toujours dans le sens d’un dédouanement du comportement humain de tueur en série : plus d’un milliard d’animaux sont abattus chaque année en France dans les abattoirs sans compter les millions d’individus abattus dans les élevages (en 2022, en raison de la grippe aviaire, 14 millions d’oiseaux ont été asphyxiés dans les élevages intensifs), milliard auquel il faut ajouter les 223 millions de tonnes de poissons (pêchés ou élevés en pisciculture) en 2022. De même que dans les élevages industriels, on désanimalise les animaux pour mieux en faire de la viande sur pied ou des machines à produire lait et œufs, de même on enlève aux animaux leur capacité à anticiper la mort pour se donner bonne conscience malgré les conditions terribles de transport et d’abattage qu’on leur fait subir. Pourtant de plus en plus de preuves s’accumulent sur le fait que certains animaux s’échappent des camions qui les conduisent à l’abattoir, de plus en plus de preuves s’accumulent sur le fait que certains animaux ont conscience du temps et de la mort et savent reconnaître les situations où des individus sont en danger de mort. Nombreux sont les récits où des chiens sentent que leur maîtresse ou maître est en danger de mort et où ils agissent pour leur sauver la vie (les cochons font de même, nous le verrons). Les chiens, comme les cochons, sont capables de mourir de chagrin : le chien qui s’allonge sur la tombe de sa maîtresse ou de son maître et attend la mort éprouve le sentiment de la disparition et de la mort. Et que dire encore de la mort soudaine du jeune cochon Johnny quand son amie Hope décède :

    Hope avait été sauvée d’un parc à bétail alors qu’elle était gravement blessée à une patte. Et elle avait dû apprendre à vivre avec une mobilité très restreinte. Sur ses trois pattes, elle pouvait se déplacer dans l’étable, mais elle ne pouvait pas aller bien loin. Johnny, qui était bien plus jeune que Hope, avait noué avec elle des liens étroits. Le soir, il se couchait toujours juste à côté d’elle et il lui tenait chaud durant les nuits froides. Le matin, quand Bauston [le fermier] lui apportait de la nourriture et de l’eau, Johnny restait avec elle pour empêcher les autres cochons de la déranger et de lui prendre sa nourriture. Pendant la journée, Johnny passait la plus grande partie de son temps à tenir compagnie à Hope dans l’étable. Quand Hope est morte de sa belle mort, Johnny était encore un cochon jeune et en bonne santé. Peut-être ne savait-il rien de la mort. Il a paru extrêmement accablé par le décès de sa meilleure amie. Le cœur brisé, il est mort brusquement, de façon tout à fait inattendue, dans les deux semaines qui ont suivi13.

    Les travaux récents sur la vie émotionnelle des animaux ne peuvent plus nous permettre de nier que les animaux ont des affects très proches des nôtres : l’empathie notamment prend racine chez un ancêtre commun non seulement des primates et des humains, mais des mammifères et des oiseaux (les corbeaux et les corvidés en général peuvent faire preuve d’empathie). L’Âge de l’empathie, pour reprendre le titre célèbre de l’ouvrage de Frans de Waal existait bien avant qu’Homo sapiens sapiens fasse ses premiers pas sur la terre. La Fontaine est donc la bonne source : il nous apprend par ses fables à faire circuler les points de vue humains et animaux, et ce qu’il présente sous forme de fable est une réalité qui est de mieux en mieux documentée scientifiquement.

    La désanimalisation industrielle

    Quand on considère un élevage industriel de porcs hors sol ou de poulets de batterie, on conçoit parfaitement qu’on enlève à chaque individu porcin ou aviaire toute sa qualité de vie à tel point que des formes d’automutilation et de violence entre individus s’installent dans les locaux d’élevage industriel qu’on n’a jamais observées dans des élevages extensifs. Les cochons, dont le mode de vie est de fouir la terre et de vermillonner, se dévorent la queue et se blessent, les poules dont le mode de vie est de gratter la terre pour se nourrir se blessent et s’automutilent.

    Comme le remarque Jeffrey M. Masson, même les neurosciences, aujourd’hui, reconnaissent chez les individus autres qu’humains la présence d’une structure psychique du moi dans le cerveau : « Jaak Panksepp, un des plus grands spécialistes américains des neurosciences, croyait fermement à l’existence d’émotions chez les animaux. Dans son ouvrage de référence, Affective neuroscience : The Foundations of Human and Animal Emotions, il a commencé par observer que le cerveau des animaux comme celui de l’homme sont configurés pour le rêve, l’anticipation, le plaisir gustatif, la colère, la crainte, l’amour et le désir, la reconnaissance de la mère, le chagrin, le jeu et la joie, « et même pour ce qui représente ‘le moi’ comme une entité cohérente du cerveau » »14.

    Jeffrey M. Masson a été psychanalyste avant d’être éthologue et remarque à ce propos qu’on ferait bien de considérer la dépression animale pour comprendre la dépression humaine : « En tant qu’ancien psychanalyste et personne concernée par l’étiologie de la dépression, je pense que nous serions bien inspirés d’étudier la dépression chez les animaux de ferme si nous voulons mieux comprendre la dépression chez l’être humain.  Dans tous les cas qu’il m’a été donné de connaître, les animaux sont déprimés parce qu’ils sont privés de leur existence normale »15. Qu’appelle-t-il ici existence normale ? Tout simplement la capacité de jouir d’un espace de liberté pour étaler ses plumes au soleil, comme aiment le faire les poules, ou se couvrir de boue, comme le font les cochons pour protéger leur peau délicate des rayons du soleil et des parasites. Les animaux de ferme aiment choisir leur nourriture (les moutons aiment particulièrement les chardons, les vaches sont capables de choisir entre des centaines d’espèces végétales : elles ont un sens du goût exceptionnel) et les animaux domestiques sont aussi capables, à l’instar des humains, de transformer leurs ressources en libertés, transformation qu’analyse Amyarta Sen16 en termes de capabilités à propos de la mesure de la qualité de vie. Les capabilités, selon Amyarta Sen, sont précisément les transformations des ressources en libertés. Toujours à l’instar des humains, plus les capabilités des animaux s’expriment, plus ils expriment leur style de vie, plus ils vivent pleinement.

    Si les animaux dans les élevages industriels sont mutilés pour ne pas être blessés (on enlève les cornes aux vaches, on enlève une partie du bec aux poules, on enlève la queue aux cochons, enfin on castre tous les mâles, et la plupart de ces opérations se font sans anesthésie), si les animaux eux-mêmes se battent et se blessent, ou se mutilent eux-mêmes, c’est en raison de leur manque d’espace. Ils n’ont pas d’espace pour se retourner, ils n’ont aucun espace de liberté. Ils ne peuvent développer aucune capabilité, ils sont voués aux incapabilités car pour la plupart des animaux, y compris les humains, devoir vivre dans ses excréments est une incapabilité, c’est-à-dire le contraire d’une capabilité au sens d’Amyarta Sen : au lieu de transformer la nourriture en énergie pour faire des choses, pour exprimer son style de vie, pour s’épanouir, les animaux d’élevage industriel mangent pour être mangés, n'ont aucune qualité de vie et ont conscience de leur impuissance, ce qui les conduit à la dépression, à la violence et à l’automutilation. Ils sont de la viande sur pied : ils transforment leur nourriture en viande sur pied et déchets. En effet comme ils ne peuvent pas bouger, ils vivent dans leurs déchets organiques. L’incapabilité de ces animaux condamnés à l’immobilité est de devoir vivre dans leurs excréments et dans l’ammoniac qui en émane et qui leur cause toutes sortes de maladies de peau. Contrairement à ce qu’on pense souvent, les animaux et notamment les cochons sont propres et sensibles à l’hygiène ; comme les humains, ils n’aiment pas vivre ni dormir dans leurs excréments. Si on les laisse vivre selon leurs goûts, les cochons ne sont pas sales, les vaches ne sont pas crottées. Les cochons se couvrent de boue comme les hippopotames pour protéger leur derme, ce sont des animaux très délicats, comme le souligne Jeffrey M Masson : « Un porc n’ira jamais déféquer à proximité de sa couche ou de l’endroit où il mange. Le porc est un animal particulièrement soigneux. Kim Sturla17 a déjà vu à plusieurs reprises de vieilles truies arthritiques se réveiller tôt le matin, se dresser sur leurs pattes non sans de très gros efforts et se traîner dans la boue sur de longues distances pour aller uriner »18. Les truies quand elles vont accoucher font un nid pour protéger leurs petits : dans les élevages industriels, elles sont encagées dans des stalles où elles ne peuvent se mouvoir. Les élevages industriels transforment les porcs en machines à produire du jambon.

    Pourtant les porcs sont des individus qui nous ressemblent à plus d’un égard (pas seulement pour nous fournir des xénogreffes de cornée oculaire en raison de leur proximité génétique) : ils aiment jouer, ils sont parfois colériques, très affectueux et très attentifs au comportement des autres y compris à ceux qui ne sont pas des congénères. Jeffrey M Masson développe à ce propos plusieurs exemples où des cochons font preuve d’une telle perspicacité et d’une telle sagacité face à une situation qu’ils peuvent sauver des vies. Tel est le cas de Lulu, le cochon de 200 livres du refuge Animal Place adopté par Jo Ann Altsman qui en fait son animal de compagnie : « Jo Ann Altsman était dans sa cuisine, un après-midi, et ne se sentait pas bien. Lulu se rua à travers une ouverture conçue pour un chien d’une dizaine de kilos, s’écorchant jusqu’au sang sur les flancs. Il courut jusqu’à la rue et se coucha au milieu de la chaussée, où il resta étendu jusqu’à ce qu’une voiture s’arrête. Il guida alors le conducteur jusqu’à la maison de sa maîtresse, qui venait de faire un infarctus »19.

    Comment accepter alors les conditions de vie qu’imposent les élevages industriels aux porcs qui pullulent aux Etats-Unis mais aussi en Bretagne ? On les appelle hors sol car les porcs sont installés sur des caillebotis au-dessus du sol, ils ne voient jamais la lumière du soleil, on passe le jet d’eau pour nettoyer les déjections qui ruissellent dans les rivières et finissent dans la mer et provoquent des marées d’algues vertes aux effets particulièrement toxiques : plusieurs morts par an d’individus se déplaçant sur l’estran (humains, chevaux, chiens). Ces élevages industriels sont vraiment hors sol : déconnectés du monde du vivant, déconnectés des besoins des animaux et des humains qui s’en occupent. Ce sont des machines qui broient toute sensibilité, tout rapport au monde, qui dépersonnalisent tous les individus et qui leur enlèvent, comme le souligne Jeffrey M. Masson, le goût même de la vie : « Le porc d’élevage n’est plus curieux, grégaire, fouineur ni autonome, tous ses attributs naturels lui ayant été retirés. Tout se passe pratiquement comme si, de façon tout à fait délibérée, on avait corrompu, supprimé, ou même fait disparaître définitivement tout ce qui constituait la raison d’être de cet animal. L’existence du cochon a été dénaturée, pervertie, altérée, distordue jusqu’à le rendre méconnaissable »20.

    Et pourtant, les poules de batterie, les vaches et les porcs d’élevages industriels sont des bêtes sensibles susceptibles d’affects, d’anecdotes et de récits. Alors qui sommes-nous pour décider ainsi du sort, des vies et des morts de millions de bêtes ?

    Le silence des humains sur les bêtes

    Le silence non pas des bêtes mais des humains sur les bêtes de ferme s’explique certainement par les dissonances affectives et cognitives qui tourmentent les éleveurs mais aussi les consommateurs de viande qui ne peuvent plus dire qu’ils ne savaient pas. La question dans les élevages industriels est réglée de manière simple : on a enlevé, par les conditions d’enfermement et de confinement imposées aux cochons, aux vaches, aux poules, aux canards, aux oies et aux chèvres (il y a aussi des élevages de chèvres hors-sol aujourd’hui), la possibilité pour les animaux de développer leurs capabilités et leur personnalité. Les animaux industriels sont désanimés, dévitalisés, « décérébrés » (leurs capacités cérébrales sont bien inférieures à celles des animaux domestiques en liberté). À vrai dire, on les désanimalise comme on dit qu’on déshumanise les humains par les conditions d’enfermement ou les conditions de vie qu’on leur fait subir. Les élevages industriels désanimalisent les animaux, leur enlèvent à la racine leur animalité si l’on veut bien se rappeler qu’un animal est un être animé, doté d’une anima, âme motrice qui lui permet de s’automouvoir. Or en condamnant les animaux à tenter vainement de prendre pied (ou museau ou groin ou bec) dans le hors-sol du caillebotis ou du béton, en les condamnant à l’immobilité dans leurs cages ou par la stabulation entravée, les agents de l’agro-industrie (on ne peut plus les appeler éleveurs) transforment les animaux en « viande sur pied », ou en machines à produire du lait, des œufs, du magret ou du foie gras, ils ne les considèrent plus comme des individus sensibles et vivants.

    Dans les élevages non industriels, les éleveurs savent bien qu’ils élèvent les animaux pour les exploiter et pour les tuer, mais ils ne peuvent pas ne pas nouer des relations avec eux, d’où leur silence sur leurs relations à leurs bêtes. Ce silence est un impensé qui arrange tout le monde. Dans les fermes, la plupart du temps, les cochons n’ont pas de nom, on les élève pour les manger. Une marque est ainsi inscrite : les bêtes qu’on nomme et dont on parle et qui suscitent tout un ensemble de récits et d’anecdotes, et celles, anonymes, dont on ne parle pas et qui sont invisibles et invisibilisées pour pouvoir être mangées.

    Que serait un monde sans exploitation de viande ?

    Que deviendraient les cochons, les oies, les canards, si on ne les exploitait plus pour leur viande ? Will Kymlicka et Sue Donaldson ont abordé le problème et répondent que les animaux domestiques seraient beaucoup moins nombreux :

    Cela ne signifie pas qu’il n’y aura plus de vaches, simplement qu’il y en aura peu. Il y aura sans doute toujours des personnes désireuses d’avoir des vaches de compagnie (ou des cochons de compagnie), mais dans la mesure où ces animaux seront désormais moins « utiles » (dans des conditions de non-exploitation), leur reproduction diminuera, et ils seront de moins en moins nombreux à faire partie de la communauté des humains et des animaux21.

                On peut aussi imaginer que certains individus mèneraient une vie hybride ; les cochons notamment partageraient leur temps entre la communauté animale et humaine et les troupeaux de sangliers dont ils restent proches, comme Darwin le remarquait déjà dans son ouvrage De la variation des animaux et des plantes à l’état domestique : « des défenses et des soies réapparaissent chez les porcs retournés à l’état sauvage, qui ne sont plus protégés des intempéries »22.

    Pour les animaux domestiques, la cohabitation, depuis des milliers d’années, avec les individus humains dans la maisonnée leur a appris à déchiffrer les sentiments moraux des humains et même pour les cochons à partager la faculté d’anticiper la mort. Mais si les animaux de ferme sont capables d’interpréter les odeurs humaines et les intonations de voix en sentiment de colère, de peine, de joie ou de plaisir, c’est sans doute parce qu’ils sont équipés dans leur conscience des capacités à éprouver ces sentiments et à en détecter les signes chez leurs congénères mais aussi chez les compagnes et compagnons de la maisonnée et chez les humains. Il ne s’agit ici ni d’humaniser les animaux ni d’animaliser les humains, ce qui conduit toujours à en déshumaniser certains. Non, il s’agit plutôt de reconnaître que nous avons des ancêtres communs avec les animaux de ferme et les oiseaux et que nous avons des capacités de sentir en commun (joie, haine, plaisir, tristesse, amitié-amour, haine, camaraderie, colère) qui peuvent aller jusqu’à manifester des comportements d’empathie et d’altruisme et un sens aiguisé de l’injustice. Autrement dit, nous partageons avec certains animaux, et cela très tôt, une capacité d’empathie et ce que Vanessa Nurock appelle avec pertinence une morale naïve23, déjà bien repérée par Jean-Jacques Rousseau quand il fait des deux sentiments de pitié et d’amour de soi les racines communes d’une sociabilité et d’une morale animale et humaine.

    Conclusion : les cochons ont un sens moral

    Nous avons côtoyé la truie Hope qui marche sur trois pattes et le jeune cochon Johny, son chevalier servant, qui meurt de chagrin à la mort de sa compagne.

    Nous avons apprécié l’admirable perspicacité et sagacité du cochon Lulu, qui a sauvé sa maîtresse Jo Ann Alstman en train de faire un infarctus, au risque de sa propre vie : il n’a pas hésité à se blesser les flancs au grillage ni à s’étendre sur la route pour arrêter une voiture et donner l’alerte.

    Toutes ces histoires ne sont pas que des anecdotes qu’on peut balayer du revers de la main. Elles nous racontent une autre histoire de la vie, celle qui n’est pas prise en tenaille entre la compétition et la lutte pour l’existence, mais celle qui est faite de relations d’entraide, de coopération, d’altruisme et de sentiments entre des individus, humains et autres. La vie, dans les histoires individuelles qui l’expriment, dans les relations et les interactions qui s’y tissent, est aussi régie par les facteurs de lien social que sont les émotions partagées : l’empathie, la sympathie ou l’amitié.

    Les cochons font partie de notre monde commun. C’est sans doute la raison pour laquelle les cochons dans moult fictions et romans sont des métaphores des humains : on peut penser bien sûr à Animal farm de George Orwell où les cochons marchant sur leurs deux pattes prennent le pouvoir et assujettissent les quatre pattes (les moutons). On peut penser aussi au film d’animation australo-états-unien Babe, ou le cochon devenu berger, conte animalier où Babe, jeune porcelet, dont toute la famille a été conduite à l’abattoir, est gagné dans une foire par le fermier Hoggetts, rêve de devenir berger et y parvient.

    Enfin, historiquement, les cochons ont partagé nos habitats et nos villes. Les cochons faisaient partie de la ferme, de la maisonnée, mais ont aussi peuplé villages et villes. Sans remonter jusqu’aux célèbres procès au Moyen-Âge où les cochons sont des acteurs accusés de d’avoir porté coups et blessures par la justice, on peut mentionner les émeutes mêlant pauvres et cochons dans les villes de Chicago ou de New-York au XIXème siècle. Les cochons étaient une source de revenus pour les pauvres et avaient aussi pour fonction de nettoyer la voierie : les éboueurs de l’époque en quelque sorte. Quand les premières interdictions de laisser les cochons circuler en liberté dans les villes états-uniennes ont été promulguées, cela a donné lieu à de véritables émeutes mêlant pauvres et cochons24.

    Les cochons sont aussi des individus qui, moralement, nous apprennent à résister contre les formes d’oppression.

    • 1 
    • 2 

      Jean de La Fontaine, Fables, Paris, Gallimard, 1991, p. 242-243.

    • 3 

      Vieux mot qui signifiait autrefois un cocher ou celui qui menait un char ou une charrette (Furetière).

    • 4 

      Antoine Girard, dit Tabarin : Bateleur, comédien qui fut identifié au personnage qu'il inventa dans ses farces.

    • 5 

      Voir Jeffrey M. Masson, La vie émotionnelle des animaux de ferme, trad. Mark Rosenbaum, Paris, Albin Michel, 2020, le chapitre 1 sur les cochons, p. 42-43.

    • 6 

      Honnête au sens de convenable, qui sait vivre (Furetière).

    • 7 

      Mon étable à cochons.

    • 8 

      Jeffrey M. Masson, La vie émotionnelle des animaux de ferme, op. cit., p. 43-44.

    • 9 

      Voir sur cette référence aux travaux de Jason Hribal sur la résistance animale, Will Kymlicka et Sue Donaldson, Zoopolis, une théorie politique des animaux, p. 165. Voir aussi l’ouvrage en anglais de Jason Hribal, Fear of the Animal Planet : the Hidden history of animal resistance, Edimbourg, AK Press, 2003, 2011.

    • 10 

      Ibid., p. 165.

    • 11 

      Jeffrey M. Masson, La Vie émotionnelle des animaux de ferme, op. cit., p. 48.

    • 12 

      Ibid., p. 42.

    • 13 

      Rosamund Young, La Vie secrète des vaches, trad. Sabine Porte, Paris, Stock, 2017.

    • 14 

      Jeffrey M. Masson, La vie émotionnelle des animaux de ferme, p. 69.

    • 15 

      Ibid., p. 211.

    • 16 

      Ibid., p. 105.

    • 17 

      Amyarta Sen, Repenser l’inégalité, trad. Paul Chemla, Paris, Seuil, 2012.

    • 18 

      Kim Sturla s’occupe du refuge Animal Place qui accueille, depuis 1989, à Grass Valley en Californie, des animaux de ferme, notamment des porcs.

    • 19 

      Jeffrey M. Masson, La Vie émotionnelle des animaux de ferme, op. cit., p. 39.

    • 20 

      Ibid., p. 45.

    • 21 

      Ibid., p. 57.

    • 22 

      Will Kymlicka et Sue Donaldson, Zoopolis…, op. cit., p. 197.

    • 23 

      Charles Darwin, De la variation des animaux et des plantes à l’état domestique, Paris, Honoré Champion, 2015, chapitre 3, p. 201.

    • 24 

      Vanessa Nurock, « Les animaux sont-ils des êtres humains sympathiques ? Perspectives cognitives sur la question d’une « morale animale » in La Découverte |« Revue du MAUSS », 2008/1 n° 31 | pages 397 à 410.

    • Voir l’ouvrage en anglais de Jason Hribal, Fear of the Animal Planet : the Hidden history of animal resistance, Edimbourg, AK Press, 2003, 2011

     

    RSDA 1-2025

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