Actualité juridique : Jurisprudence

Droit de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe

  • Christophe Maubernard
    Professeur de droit public
    Université de Montpellier
    IDEDH
  • David Szymczak
    Professeur Droit public
    Sciences Po Bordeaux

1/ Le droit du Conseil de l’Europe (jurisprudence)

De la liberté de manifester pacifiquement contre l’exploitation des animaux de cirque

CourEDH, arrêt du 3 avril 2025, Bogay et autres c. Ukraine, n° 38283/18

Rendu le 3 avril 2025, l’arrêt Bogay c. Ukraine ne mérite qu’une rapide évocation dans le cadre de cette chronique. Si les faits de l’espèce concernaient à l’évidence la question du bien-être animal, le raisonnement suivi par la Cour de Strasbourg ne présente en effet guère de « spécificité animalière » et pourrait en ce sens figurer dans bien d’autres affaires relatives aux limitations à la liberté de manifester. Il n’empêche qu’incidemment mais nécessairement la liberté de manifester pacifiquement en faveur de la cause animale se trouve ici confortée, l’intérêt principal de l’arrêt reposant selon nous sur l’évaluation de ce caractère « pacifique », lequel est interprété assez généreusement par la Cour pour l’occasion.

A l’origine de l’affaire, les douze requérants avaient participé en 2018 à une manifestation organisée à Lviv contre l’usage d’animaux dans les spectacles de cirque. Une manifestation d’une quarantaine de personnes dont la mairie avait été prévenue par les organisateurs et à laquelle tentèrent de s’opposer des individus présumés appartenir à des groupes d’extrême droite. Présente sur les lieux, la police intervint pour empêcher les affrontements. Puis, sous les invectives, elle procéda à la fouille des manifestants et de leurs opposants et trouva notamment sur deux des requérants une barre en fer et un couteau. D’autres objets similaires furent jetés au sol et la police recensa en tout sept couteaux, quatorze tiges métalliques, trois marteaux et quatre bonbonnes de gaz. Une vingtaine de manifestants, dont l’ensemble des requérants, furent arrêtés et transférés vers le poste de police où ils restèrent entre deux à trois heures. Aucun rapport de détention administrative ne fut toutefois établi et la plupart des requérants furent simplement inscrits dans le registre des visiteurs du poste de police. Des procès-verbaux d’infraction administrative en matière de « petit hooliganisme » furent en revanche dressés à l’égard de trois requérants pour possession d’arme lors d’un évènement public et pour langage obscène, une vidéo montrant que les policiers avaient été traités de « nazis » lors de la manifestation. Les poursuites contre les deux premiers requérants furent ultérieurement abandonnées pour prescription et aucune décision n’a été rendue à ce jour l’encontre du troisième requérant.

La Cour relève tout d’abord une violation de l’article 5 § 1 de la Convention. L’applicabilité de cette disposition ne faisait guère de doute, la Cour ayant déjà jugé, à de nombreuses reprises, que le fait d’emmener des personnes dans un poste de police et de les y laisser constituaient une « privation de liberté » (par ex. Osypenko c. Ukraine, 9 novembre 2010) et ceci même si la durée de la détention était brève (Shimovolos c. Russie, 21 juin 2011 : 45 mn ; Duğan c. Türkiye : 2 heures). En outre, l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants auraient décidé de se présenter à la police de leur plein gré ne convainc guère le juge européen, tous ayant affirmé qu’ils avaient été contraints de se rendre au poste, certains menottés ce qui révélait bien un élément de coercition. Applicable, l’article 5 § 1 est en outre violé. Pour les requérants arrêtés mais non poursuivis, aucun des alinéas de cette disposition ne trouvaient à s’appliquer, pas même de l’alinéa b) faute d’obligation ou d’ordre spécifique auquel ils auraient été tenus de se conformer (comp. avec S., V. et A. c. Danemark, Gde. ch., 22 octobre 2018). Quant aux trois requérants finalement poursuivis, la privation aurait pu être justifiée sur le fondement de l’alinéa c), à ceci près que la Cour exige que les privations de liberté soient documentées en temps utile par un rapport d’arrestation (par ex. Grubnyk c. Ukraine, 17 septembre 2020), ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce. Une carence qui, rappelle la Cour, constitue un « manquement très grave » et une « négation complète des garanties fondamentales de l’article 5 » et qui ne pouvait être compensée en l’espèce par la seule inscription au registre des visiteurs, lequel s’avérait « fragmentaire » voire « illisible » donc « non fiable ».

Concernant ensuite la liberté de manifester (art. 11), interprétée pour la circonstance à la lumière de la liberté d’expression (art. 10), la Cour la juge aussi applicable au litige, ce qui n’allait pas forcément de soi, l’article 11 ne couvrant effectivement pas les manifestations dont les organisateurs et participants ont des intentions violentes. La Cour rappelle cependant que « même s’il existe un risque réel qu’une manifestation publique entraîne des désordres en raison d’événements échappant au contrôle de ceux qui l’organisent, une telle manifestation ne constitue pas pour autant une menace pour les droits de l’homme ». En vue de savoir si un requérant peut prétendre à la protection de l’article 11, elle cherche plutôt à déterminer : (i) si le but du rassemblement était pacifique ou si les organisateurs avaient des intentions violentes ; (ii) si le requérant a manifesté des intentions violentes lorsqu’il s’est joint au rassemblement ; et (iii) si le requérant a infligé des lésions corporelles à quelqu’un (Shmorgunov et al. c. Ukraine, 21 janvier 2021). Or, selon la Cour, rien le dossier ne permet de considérer que la manifestation contre le traitement des animaux dans les cirques n’était pas pacifique. En particulier, aucun affrontement violent avec les forces de police n’a été signalé et le passé des manifestants n’a révélé aucun antécédent de violence lors d’une manifestation. Quant à la présence sur les lieux d’armes – par nature ou par destination – aucune preuve n’a été rapportée que les requérants avaient tenté de les utiliser pour porter atteinte à des personnes ou à des biens et rien n’indique qu’ils avaient de tels projets. Or, selon la Cour, il appartenait aux autorités internes de statuer sur la crédibilité des allégations des requérants selon lesquelles ces objets avaient été apportées « à des fins innocentes » (notamment afin de hisser des banderoles) et, plus généralement, de rapporter la preuve que les manifestants avaient des intentions violentes. Ce qui n’a pas été fait en l’espèce, justifiant l’applicabilité de l’article 11 de la Convention.

S’agissant enfin du point de savoir de savoir si cette disposition a été violée, la Cour distingue la question des fouilles de celle de l’arrestation des requérants. Concernant les fouilles, elle conclut à l’absence de violation, estimant qu’à supposer même qu’il y ait eu ingérence, l’inspection par la police des effets des requérants constituait, dans les circonstances de l’espèce, un moyen adéquat de préserver le caractère pacifique de la manifestation, de protéger la sécurité des personnes présentes et de prévenir le risque de provocations violentes. En particulier, la Cour se réfère aux Lignes directrices de l’OSCE et de la Commission de Venise sur la liberté de réunion pacifique, qui prévoient que les participants à un rassemblement peuvent se voir interdire le port d’armes et d’objets assimilables à des armes, et être soumis à un contrôle de la présence de ces objets. Compte tenu de la découverte d’objets dangereux en possession des manifestants et du climat de tension entre eux et le groupe adverse, il ne fait aucun doute pour la Cour que cette mesure était « nécessaire dans une société démocratique ».

Concernant l’arrestation des requérants, l’article 11 lu à la lumière de l’article 10, a en revanche été violé. Tout d’abord, l’arrestation et la détention des requérants ont bien constitué une ingérence dans leur liberté de réunion pacifique : l’arrestation de la plupart des manifestants a en effet abouti à mettre fin de facto à la manifestation peu après son début. Plus généralement, une ingérence dans le droit à la liberté de réunion ne doit pas nécessairement équivaloir à une interdiction pure et simple, légale ou de fait, mais peut consister en diverses autres mesures prises par les autorités. Le terme « restrictions » figurant à l’article 11 § 2 doit donc être interprété comme incluant à la fois les mesures prises avant ou pendant un rassemblement et celles, telles que les mesures punitives, prises après qui peuvent avoir un effet dissuasif (chiling effect) pour le futur. Ensuite, compte tenu des conclusions relatives à l’article 5 et, en particulier, au constat selon lequel l’arrestation et la détention n’étaient pas motivées, il semble difficile pour la Cour d’admettre que l’ingérence était « prévue par la loi ». Toutefois, à supposer même que la base légale puisse être établie, la Cour juge que l’ingérence n’était de toute façon ni proportionnée ni nécessaire dans une société démocratique. En particulier, il n’a jamais été dûment expliqué pourquoi la police avait décidé d’interrompre la manifestation et d’arrêter tous les requérants, au lieu de recourir à des mesures moins restrictives. Au vu des faits du litige et compte tenu notamment du nombre considérable de policiers présents sur place, à peu près égal à celui des manifestants et des membres du groupe adverse additionnés, il apparaît que la police maîtrisait parfaitement la situation. Dans ces circonstances, et en l’absence de tout explication du gouvernement défendeur, la Cour considère que des solutions moins restrictives que l’arrestation devaient exister, mais n’ont à aucun moment été envisagées par la police.

En définitive, on pourra être un peu troublé par l’apparent paradoxe qui consiste pour la Cour à présumer que la manifestation était pacifique (au stade de la recevabilité), tout en légitimant ensuite (lors de l’examen au fond) les mesures de fouilles par la découverte d’objets dangereux. Ceci étant, même si dans un monde idéal, aucun manifestant pacifique ne devrait être en possession d’une arme, conclure à l’inapplicabilité de l’article 11 au motif que des objets dangereux ont été retrouvés sur certains participants engendrerait le risque d’exclure de facto de très nombreuses manifestations du champ de cette disposition. Sauf à imposer aux organisateurs une fouille préventive de l’ensemble des participants (y compris d’éventuels « opposant infiltrés »), ce qui serait totalement illusoire notamment pour des manifestations de grande ampleur. En apparence généreuse, l’approche de la Cour articulée autour de l’idée que c’est aux autorités interne de prouver les intentions non pacifiques des manifestants est donc en réalité plutôt réaliste sauf à priver l’article 11 de la Convention de son effet utile. Ce qui ne fera pas forcément plaisir à certains gouvernements mais ce dont pourront se réjouir les organisateurs de manifestations en général et, en l’espèce, les défenseurs de la cause animale.

D. S.

 

2/ Le droit de l’Union européenne (jurisprudence)

« Couloir biologique » pour les chauves-souris et évaluation des incidences notables d’un projet immobilier sur l’environnement

A la suite de l’autorisation donnée par les autorités irlandaises d’un projet d’aménagement pour la construction de logements résidentiels, une association de résidents (Waltham Abbey Residents Association) a contesté celle-ci devant les autorités compétentes en se fondant en particulier sur la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement1. Pour l’association requérante le projet était susceptible d’affecter, notamment, un « couloir biologique » bordant une rivière où vivent plusieurs variétés de chauves-souris, alors que selon l’expert mandaté par les autorités irlandaises « le site concerné n’offrait pas d’habitats adéquats pour les animaux sauvages ou les espèces dignes de conservation » (point 22).

Les questions renvoyées à la Cour de justice par la High Court portaient sur la nécessité de disposer d’études scientifiques permettant d’écarter les doutes quant aux conséquences néfastes éventuelles sur l’environnement de tels projets, mais aussi sur la possibilité au vu de la directive 2011/92/UE d’imposer des obligations spécifiques au maître d’ouvrage et aux autorités lorsqu’une tierce personne rapporte des preuves objectives de telles incidences notables potentielles.

La Cour de justice relève tout d’abord que la directive litigieuse ne comporte pas de dispositions obligeant les autorités compétentes de l’Etat à imposer des obligations complémentaires au maître d’ouvrage à la suite d’informations recueillies auprès du public ou à recueillir elles-mêmes ces informations. Toutefois, elle considère qu’il est nécessaire de lire les dispositions de cette directive à la lumière du principe de précaution notamment « (…) lorsqu’il ne peut être exclu, sur la base d’éléments objectifs, que ce projet est susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement » (point 41).

Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités compétentes chargées de délivrer de telles autorisations doivent d’abord se demander s’il existe de tels risques notables pour l’environnement sur la base de toutes les informations dont elle dispose, y compris donc celles fournies spontanément par des tiers comme l’association requérante en l’espèce. C’est alors sur la base de l’ensemble de ces informations que ces autorités pourront décider s’il est nécessaire ou non de procéder à une évaluation des incidences du projet sur l’environnement et si, à ce titre, des informations voire des obligations complémentaires peuvent être demandées au maître d’ouvrage. Enfin, la Cour précise en dernier lieu qu’ « un projet est considéré comme étant susceptible d’avoir des incidences notables sur l’environnement lorsque, en raison de sa nature, il risque de transformer de façon substantielle ou irréversible des facteurs d’environnement, tels que la faune et la flore, le sol ou l’eau, indépendamment de ses dimensions » (point 46).

 

Quotas relatifs à la chasse aux loups (Estonie) – Le loup n’a pas de nationalité et c’est bien dommage pour la population eurasienne de cette espèce !

Dans une affaire MTÜ Eesti Suurkiskjad c/ Keskkonnaamet2 la Cour devait répondre une fois encore à une question préjudicielle portant sur le quotas d’abattage du loup, en Estonie cette fois-ci. En 2012 le ministre estonien de l’environnement avait adopté un Plan d’action pour la protection et la gestion des grands prédateurs, lequel considérait que l’état de conservation des populations estoniennes de grands prédateurs se trouvaient dans un état « favorable ». En 2020 l’Office de l’environnement fixa, sur la base de ce Plan d’action, la première tranche du quota relatif à la chasse au loup à 20 spécimens répartis sur 20 zones de gestion. L’association de protection de l’environnement requérante introduisit un recours tendant à l’annulation de l’arrêté définissant ce quota, au motif principalement que l’état de conservation du loup ne pouvait être considéré comme « favorable » et que l’arrêté ne ferait ainsi qu’aggraver la situation.

Saisie en dernier instance, la Cour suprême d’Estonie observait tout d’abord que s’il existait un consensus sur l’état de conservation « favorable » de la population balte du loup, tel n’était pas le cas selon l’association requérante de la population estonienne en se fondant sur un rapport de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)3, réseau international auquel contribue aussi l’Estonie. En outre, le juge de renvoi se demande si au regard de la directive « habitats » et de la jurisprudence de la Cour de justice elle-même, une population considérée comme « vulnérable » classée au sein de la liste rouge des espèces menacées établie par l’UICN, pourrait malgré tout être jugée dans un état de conservation « favorable » par un Etat membre ? Enfin, la Cour suprême estonienne relevait qu’il n’existait pas de coopération institutionnelle entre les Etats dont le territoire abrite l’aire de répartition naturelle des loups (Estonie, Lituanie, Lettonie, Pologne et Biélorussie), sinon du point de vue des chercheurs.

Dans ces conditions, les questions renvoyées par cette dernière juridiction portaient tout d’abord sur le fait de savoir si, au sens de la directive « habitats », l’obligation des Etats membres de garantir un état de conservation favorable des populations concernées se limite à une seule zone régionale (au sein d’un Etat) ou bien s’il est possible de tenir compte de l’état de conservation de l’ensemble de la population se trouvant sur le territoire de plusieurs Etats (comme en l’espèce) et, dans cette dernière hypothèse, doit-il exister une coopération formalisée entre eux ? En outre, la Cour suprême se demandait si un état de conservation jugé « favorable » était compatible avec le fait que la population animale concernée était classée dans la catégorie « vulnérable » par l’UICN et si pour définir l’état de conservation il pouvait être tenu compte d’exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que des particularités régionales et locales ?

Répondant tout d’abord aux trois premières questions (zone pertinente et classement dans la catégorie « vulnérable » par l’UICN), la Cour commence par rappeler que si le loup relève, au sens de l’article 12 de la directive « habitats » des espèces « d’intérêt communautaire » exigeant une « protection stricte », tel n’est pas le cas des populations estoniennes du loup qui peuvent faire l’objet de mesures de gestion au sens de l’article 14 du même texte. Ces mesures de gestion permettent donc aux Etats de prévoir des prélèvements dans la nature de tels animaux, à la condition cependant que leur état de conservation soit jugé « favorable ». A ce titre, la Cour rappelle pertinemment que « l’évaluation de l’état de conservation d’une espèce et de l’opportunité d’adopter des mesures fondées sur l’article 14 de la directive « habitats » doit être effectuée en tenant compte, notamment, des données scientifiques les plus récentes obtenues grâce à la surveillance prévue à l’article 11 de cette directive (…). À cet égard, en vertu du principe de précaution consacré à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, si l’examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si l’exploitation d’une espèce d’intérêt communautaire est compatible avec le maintien de celle-ci dans un état de conservation favorable, l’État membre concerné doit s’abstenir d’autoriser une telle exploitation » (point 42).

Ensuite, la Cour de justice fait valoir que l’évaluation de l’état de conservation doit se faire d’abord et avant tout au niveau local et national (points 47). Il y a là, cependant, une certaine contradiction ou à tout le moins une difficulté possible au regard du reste de son raisonnement. En effet, après avoir indiqué que l’article 1er de la directive « habitats » pose trois conditions cumulatives afin de déterminer l’état de conservation « favorable » d’une population (une dynamique « favorable » fondées sur des données scientifiques, une aire de répartition naturelle qui ne doit pas diminuer et un habitat suffisamment étendu pour que la population s’y maintienne à long terme), la Cour suivant en cela les conclusions de l’avocat général observe qu’ « aux fins de la définition de la notion d’« état de conservation d’une espèce », ni l’article 1er, sous i), de la directive « habitats » ni aucune autre disposition de cette directive ne se réfèrent à la liste rouge de l’UICN ou aux critères selon lesquels celle-ci est établie en tant qu’indicateur de l’état de conservation favorable ou non d’une espèce. » (point 49). Si cette classification de l’UICN peut donc relever des données scientifiques que l’Etat devra prendre en considération, elle n’est pas de nature à écarter pour autant, selon le juge de l’Union, la conclusion d’un état de conservation favorable dès lors que les trois conditions cumulatives de la directive « habitats » sont réunis. Dès lors, les données relatives à cette population animale relevant d’autres Etats membres voire d’Etats tiers (comme la Biélorussie en l’espèce) sont aussi des données pertinentes en vue de l’évaluation de son état de conservation, en particulier lorsqu’il existe des « échanges » entre ces populations se trouvant dans des Etats différents comme c’est le cas en l’espère pour la population eurasienne de loups. Dans ces conditions, selon la Cour de justice, il faut s’attacher au caractère pérenne de cette situation « favorable » s’étendant à plusieurs territoires, du niveau de protection juridique garanti dans les autres Etats concernés y compris les Etats tiers et, enfin, du degré de coopération existants entre eux. Or, au regard de la situation conflictuelle qui existe aujourd’hui avec la Russie et son allié la Biélorussie, il est peu probable qu’une telle coopération (sans parler des garanties juridiques existantes au sein de cet Etat) soit une option réaliste…

Enfin la Cour estime que les exigences économiques, sociales et culturelles ainsi que les particularités régionales et locales ne sauraient constituer une dérogation autonome dans l’hypothèse où l’état de conservation ne serait pas jugé « favorable » au sein d’un Etat ou d’un territoire comprenant celui de plusieurs Etats (points 68 à 70).

C.M.

  • 1 CJUE, 6 mars 2025, Waltham Abbey Residents Association c./ An Bord Pleanála, aff. C-41/24.
  • 2 CJUE, 12 juin 2025, aff. C-629/23.
  • 3 L’UICN a été créée en 1948 et comprend aujourd’hui 1400 membres représentant les gouvernements et la société civile et plus de 17000 experts. Voir : https://iucn.org/fr/propos-de-luicn#overview
 

RSDA 1-2025

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit sanitaire

Responsabilité de l’État du fait de l’absence totale de contrôle des services vétérinaires d’un élevage intensif de 8000 porcs pendant 34 ans, note sous TA de Clermont-Ferrand, 23 janvier 2025, n° 2202707, Association L214

Mots clés : responsabilité administrative – carence des services vétérinaires – mission de contrôle et de surveillance des exploitations agricoles – bien-être animal

 

1 - Le juge administratif de Clermont-Ferrand, par un jugement du 23 janvier 2025, a jugé l’État responsable d’une carence fautive des services vétérinaires dans ses missions de contrôle et de surveillance d’une exploitation agricole. L’élevage de porcs qui comprend près de 8000 individus n’a jamais été contrôlée en 34 ans, alors que ses pratiques constituent des manquements à la réglementation en matière de protection animale. Le juge administratif a condamné l’État à verser une indemnité de 4000 euros à l’association L214 pour préjudice moral.

2 - La diffusion d’une vidéo réalisée dans les locaux d’un élevage de porcs par l’association L214 visait à alerter le public et les services de l’État sur les différents manquements commis par l’exploitant en matière de bien-être animal. L’association ne s’en est pas tenue à cette diffusion et a saisi le juge administratif d’un recours en plein contentieux pour obtenir réparation du préjudice subi. Il était bien question, devant le tribunal administratif, d’interroger la responsabilité des services de l’État, et plus particulièrement des services vétérinaires placés sous l’autorité du préfet de département (Allier), et non celle de l’exploitant.

3 - Il faut remarquer que l’exploitation a, par jugement du tribunal judiciaire de Moulins du 6 avril 2022, a été reconnue coupable de :

- privation de nourriture ou d’abreuvement d’animal domestique ou d’animal sauvage, apprivoisé ou captif ;

- mauvais traitement envers un animal placé sous sa garde par personne morale exploitant un établissement détenant des animaux ;

- placement ou maintien d’animal domestique ou d’animal sauvage apprivoisé ou captif dans un habitat, environnement ou installation pouvant être cause de souffrance.

Toutefois, la Cour d’appel de Riom, dans un arrêt du 26 avril 2023, a relaxé l’exploitation du délit de mauvais traitement envers un animal placé sous sa garde par personne morale exploitant un établissement détenant des animaux pour les faits de caudectomie systématique des porcelets.

4 - À la suite de l’instruction, le juge administratif a constaté que l’exploitation avait commis cinq manquements à la réglementation sur la protection animale. D’abord, il constate la réalisation de caudectomies systématiques des porcelets leur première semaine de vie sans anesthésie. En effet, en l’absence de matériaux manipulables autres que des chaînes suspendues en quantité suffisante, alors que leur présence est pourtant imposée par un arrêté de 20031, les porcs ont tendance à s’adonner à la caudophagie, c’est-à-dire à manger la queue des uns et des autres. Pour faire face à cette déviance de leur comportement, qui est propre à la conduite d’un élevage intensif2, la queue des porcelets est coupée. L’instauration systématique de cette pratique est pourtant interdite3. Bien que l’exploitant ait été relaxé à ce titre par la cour d’appel de l’infraction pénale de mauvais traitement, le juge administratif constate que ces faits sont établis et qu’il s’agit bien d’un manquement à la réglementation en vigueur. Il parvient à cette solution bien qu’un protocole d’arrêt de la caudectomie systématique et le suivi des actes de caudophagie aient été constatés par les services vétérinaires quelques mois plus tard.

5 - Ensuite vient le claquage des porcelets, qui consiste à percuter leur boîte crânienne sur une surface dure pour les tuer. Cette pratique peut entraîner une douleur extrême, particulièrement en cas de d’échec du geste. Or, la pratique d’un abattage hors d’un abattoir ne peut intervenir que dans des cas limités, notamment « pour les animaux blessés ou atteints d’une maladie entraînant des douleurs ou souffrances intenses, lorsqu’il n’existe pas d’autre possibilité pratique d’atténuer ces douleurs ou souffrances »4. En pratiquant l’abattage de façon systématique pour des porcelets « estimés non viables », l’exploitant méconnaît les règles de protection animale. Il est possible d’ajouter qu’il existe une liste limitative des procédés d’abattage autorisés5 et que le claquage des porcelets n’en fait pas partie. En outre, la contention et l’étourdissement préalable à l’abattage sont obligatoires6 et une liste limitative est là aussi édictée7. Le juge administratif a donc constaté, à ce titre, le manquement à la réglementation relative à la protection des animaux.

6 - Le manquement suivant consiste en un défaut d’abreuvement puisque les animaux ne disposaient pas d’un accès permanent à de l’eau fraîche. La rectification est intervenue dès le 11 mai 2021, à la suite de la visite des inspecteurs vétérinaires. 

7 - Certaines conditions d’hébergement étaient source de souffrances et de blessures. En effet, il est apparu que certaines zones de l’exploitation étaient recouvertes de caillebotis dont les trous étaient trop larges, les porcelets se coinçant alors les pattes dedans. Les sols qui n’étaient pas conformes à l’arrêté de 20038 ont été remplacés courant 2021.

8 - Enfin, le juge administratif a constaté un défaut de soin et d’isolement apporté aux animaux blessés ou malades. Il apparaît que lors du contrôle par les services vétérinaires, certains animaux étaient atteints de hernies et d’autres étaient apathiques. L’exploitant indique ne fournir aucun traitement individuel aux animaux, et les locaux ne sont pas aménagés afin de permettre l’isolement des animaux malades, ce qui constitue des manquements à l’obligation de soins et d’isolement des animaux blessés ou malades9.

9 - La requête de l’association L214 visait à démontrer que ces manquements traduisent l’existence d’une faute de la part des services vétérinaires qui ne les as pas décelés. Ainsi, le contrôle du respect de la réglementation visant à assurer le bien-être des animaux relève de la compétence des services vétérinaires. Cette obligation est imposée aux États par le règlement européen de 2017 sur les contrôles officiels10. Il est, à ce titre, requis des services vétérinaires, non seulement qu’ils effectuent des contrôles régulièrement et à une fréquence adaptée au risque de manquement à la réglementation, mais également qu’ils imposent des mesures de nature à faire cesser les manquements.

10 - En ce qui concerne les manquements des services vétérinaires antérieurement à la diffusion des vidéos par l’association L214, l’exploitant affirme que l’exploitation, créée en 1986, était contrôlée tous les trois ans environ. Les faits identifiés comme des manquements à la réglementation constituent selon l’exploitant des pratiques habituelles et n’ont jamais été identifiés comme tels par les précédents contrôles. Pourtant, la préfète de l’Allier a affirmé qu’aucun contrôle n’a jamais été réalisé dans cette exploitation et que cela est conforme à l’objectif annuel de la direction générale de l’alimentation qui impose la vérification de 1% des élevages par an. Pourtant, cela signifie que cette exploitation n’a jamais été contrôlée en 34 ans d’existence alors qu’elle pratique l’élevage intensif avec la présence d’environ 8000 porcs, ce qui crée un risque particulier de manquement aux règles de protection animale. Les caractères ancien et habituel des pratiques témoignent d’une faute des services vétérinaires dans la réalisation de leur mission de contrôle.

11 - À la suite de la diffusion de la vidéo, les services vétérinaires ont diligenté une inspection en décembre 2020, qui a donné lieu à une mise en demeure de l’exploitation de prendre les mesures correctives dans un délai d’un mois. Deux mois après le premier contrôle, un second contrôle intervient et permet de constater la résolution de certains manquements, comme l’installation d’un caillebotis et d’un système d’alimentation en eau fraîche. Sept mois plus tard, seules deux non-conformités mineures subsistent d’après les services vétérinaires qui ont réalisé un contrôle inopiné. La réactivité et la diligence des services vétérinaires sont soulignés par le juge administratif. Néanmoins, ce dernier constate également que la tolérance dont ont fait preuve les services vétérinaires pour la pratique du claquage des porcelets constitue une faute de nature à engager la responsabilité des services vétérinaires.

En raison de la carence fautive des services de l’État dans ses missions de contrôle et de surveillance des exploitations agricoles, le juge administratif le condamne à indemniser le préjudice moral subi par l’association L214.

  • 1 
  • Arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs, modifié.

  • 2 
  • H. VANDENBERGHE, « Caudophagie : influence des facteurs biologiques, génétiques et nutritionnels », La Semaine Vétérinaire n° 1548, 12 juill. 2013.

  • 3 
  • Chapitre 1 de l’annexe de l’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs précité.

  • 4 
  • Article R. 214-78 du code rural et de la pêche maritime.

  • 5 
  • Article 4 de l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs, modifié.

  • 6 
  • Article R. 214-69 du code rural et de la pêche maritime.

  • 7 
  • Article 3 de l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs, modifié.

  • 8 
  • Arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs, précité.

  • 9 
  • Arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux, modifié.

  • 10 
  • Article 9 §1 du règlement (UE) 2017/625 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux, à la santé des végétaux et aux produits phytopharmaceutiques, modifié.

 

RSDA 1-2025

Actualité juridique : Jurisprudence

Contrats spéciaux

  • Kiteri Garcia
    CDRE Bayonne – UPPA

Le poids de la génétique de l’animal dans le sort du contrat de vente ! (Cass. 1er civ., 12 février 2025, n°23-20269)

Mots clefs : Vente, maladie génétique, garantie de conformité, vice caché, obligation d’information

 

Avant de rentrer dans le vif du sujet, la génétique animale et les obligations du vendeur professionnel d’un animal domestique, il convient de préciser que l'arrêt commenté concerne une vente conclue antérieurement au 1er janvier 2022. Or, cette date est une date clé dans ce type de contentieux. Antérieurement à celle-ci, les acheteurs pouvaient se prévaloir d'un éventuellement manquement à l'obligation de conformité du code de la consommation, ce qui, en application de l'ordonnance n°2021-1247 Du 29 septembre 2021, n’est plus possible pour les ventes conclues à compter du 1er janvier 2022. A compter de cette date, les ventes d’animaux domestiques relèvent seulement du régime spécifique prévu aux articles L. 213-1 et s. et R. 213-1 et s. du code rural et de la pêche maritime lequel, en présence d'une convention dérogatoire, peut renvoyer à la garantie légale des vices cachés du code civil. Toutefois, cette question juridique peut se retrouver sur le terrain de la garantie des vices cachés du code civil. Or, elle est essentielle. Il s’agit de savoir si la maladie génétique d'un animal peut permettre la résolution de sa vente. Dans cette affaire, la Cour de cassation a jugé que la maladie génétique constituait un défaut de conformité. Or, ce faisant, elle a, pour l’auteur de ces lignes, ouvert un peu trop rapidement une boîte de Pandore qu'il conviendrait de refermer tant les maladies génétiques susceptibles d'affecter les mammifères dont les chats et les chiens sont nombreuses : plusieurs centaines pour ces deux espèces. Encourager l'acheteur d'un animal à agir en résolution de la vente assortie de dommages et intérêts chaque fois que son animal développe une maladie figurant dans la liste des maladies génétiques fait peser sur le vendeur un risque totalement excessif alors même que notre droit positif offre suffisamment d'outils pour sanctionner les éleveurs d'animaux n’ayant pas fait preuve du sérieux nécessaire dans la sélection de leurs reproducteurs.

Certes, l'arrêt rendu le 12 février 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation est un arrêt de formation restreinte n'ayant pas donné lieu à publication. Il ne devrait donc pas avoir l’écho juridique qu’avait eu en son temps l'arrêt Delgado dont nous reparlerons ultérieurement. Il mérite cependant l’attention du juriste passionné par le droit animalier.

Les faits sont, hélas, extrêmement classiques. Deux personnes, non professionnelles, achètent auprès d'un éleveur professionnel un chiot de race berger allemand, moyennant le prix de 950€. Lors de la vente, la venderesse leur avait remis un certificat vétérinaire attestant que le chiot était en parfait état de santé et que le vétérinaire ayant procédé à son examen n'avait décelé aucune anomalie1. Un peu plus tard, le chien se révèle affecté d'une dysplasie génétique. Moins d'un an après la vente, les époux assignent le vendeur sur le fondement des articles L. 217- 4 et suivants du code de la consommation en réparation de leur préjudice. Les juges du fond avaient rejeté leur demande au motif qu’un vice rédhibitoire2 ne constitue pas de facto un défaut de conformité et que, quand bien même l'animal était affecté d'une dysplasie génétique dès sa naissance, il n'est pas démontré qu'il présente une différence avec sa description lors de sa vente ni avec ce à quoi les acquéreurs pouvaient s'attendre en acquérant un animal domestique de compagnie.

La Cour de cassation casse. Sa motivation est lapidaire. Elle observe qu'au moment de la vente, la garantie légale de conformité du code de la consommation était applicable. Elle en déduit qu'ayant constaté « que l'animal, déclaré comme étant en bonne santé au moment de la délivrance, présentait en réalité une maladie génétique », la cour d'appel avait violé les articles L. 213-1 du code rural et de la pêche maritime et L. 217-4 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021.

Pour la Cour de cassation, la maladie génétique non portée à la connaissance de l'acheteur au moment de la vente constitue un défaut de conformité susceptible d'entraîner la résolution de la vente et la réparation du préjudice subi par l'acheteur. En théorie, le raisonnement peut passer pour rigoureux. La vente avait eu lieu en janvier 2018. La garantie de conformité due par les professionnels aux consommateurs était donc bien applicable. Le raisonnement de la Cour de cassation repose implicitement sur un double postulat. D’abord, la Cour considère que l’animal atteint d’une maladie génétique dont l’acheteur n’avait pas été informée au moment de la vente et s’étant développée après celle-ci, n’est pas conforme au sens du droit spécial de la vente du droit de la consommation. Il ne correspond pas à l’attente de l’acheteur. Ensuite, elle approuve implicitement l’idée selon laquelle le caractère générique de la maladie suffit à prouver que le vice existait au moment de la vente. En effet, dans l’état de l'article L. 213-1 du code rural et de la pêche maritime applicable à la date de la cession du chiot, il appartenait au consommateur de prouver que le défaut de conformité existait déjà au moment de la vente (l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 avait déjà privé le consommateur de la possibilité de se prévaloir de la présomption d'antériorité du vice du droit de la consommation). En conséquence, ce dernier supportait la charge de la preuve de l'existence du défaut de conformité au jour de la transaction. Cet aspect probatoire était pas soulevé dans le pourvoi ; très vraisemblablement parce que les parties en litige avaient implicitement admis que lorsqu'une pathologie a une origine génétique, elle est consubstantielle à l'être vivant, même si elle ne se développe qu’ultérieurement. Ce postulat renverse la charge de preuve au bénéfice de l’acheteur.

Juridiquement, ces deux postulats peuvent se défendre. L'amour des animaux étant, hélas, plus souvent un amour égoïste qu'un amour altruiste, il est tout à fait admissible que l'acheteur n’ait entendu acquérir qu'un animal en bonne santé ou tout au moins ayant une grande chance de le rester. Quand l'existence du gène au moment de la vente, elle est indéniable. Toutefois ces deux postulats nous renvoient vers une problématique classique du droit de l'animal. L'animal est soumis par le code civil au régime des biens3, mais est-il un bien comme les autres ?4 Doit-on tenir compte de la spécificité du vivant ? De sa sensibilité, ou comme, en l'espèce, de la complexité de sa nature.

Lorsque le docteur Knock affirmait que tout bien portant est un malade qui s'ignore, il n'était pas loin de la vérité. Tout bien portant est porteur de gènes susceptibles de le conduire à développer diverses maladies. Certaines maladies génétiques sont bien connues, d’autres le sont moins, mais en l‘état actuel de la médecine vétérinaire une chose est certaine, elles sont nombreuses et très diverses. Chez les chiens et chez les chats, les maladies génétiques dont ils sont susceptibles d'être porteurs se comptent par centaines5. Certaines sont rares, certaines sont fréquentes. Certaines sont plus fréquentes dans certaines races que d'autres6.  Quelques-unes ont une forte probabilité de se développer, d'autres, une faible probabilité. Pour ne rien simplifier, certaines maladies génétiques dont la dysplasie sont des maladies à déterminisme complexe ; ce qui signifie que « les variants génétiques identifiés ne sont pas à eux seuls responsables de la maladie mais qu’ils sont des facteurs de risque pour le développement de la maladie », les conditions de vie (alimentation, exercice, …) jouant aussi un rôle7.  Bref, il s'agit d'un monde complexe dont des pans entiers restent à explorer.

Dans ce contexte médical complexe, est-il opportun d’admettre, comme l'a fait en l'espèce, la Cour de cassation, que les éleveurs soient quasi automatiquement responsables de l'apparition d'une maladie génétique dès lors que l’animal ne présentait pas de signes cliniques lors de la vente ? Faut-il faire supporter au vendeur, fut-il professionnel, les conséquences de toutes les maladies génétiques, y compris les maladies rares ou ayant peu de chances de se développer sachant que le préjudice peut se monter à des sommes parfois très élevées et ceci d'autant plus que la médecine vétérinaire a fait des progrès extraordinaires permettant de soigner les animaux dans des conditions totalement exceptionnelles mais extrêmement onéreuses. N’oublions pas que dans le très remarqué, arrêt Delgado, en raison de l’unicité de l’animal et de l’affection que son maître peut lui porter, la Cour de cassation avait paralysé la possibilité pour le professionnel d’échapper au coût d’une « réparation » trop onéreuse de l’animal en proposant son remplacement8.

Certains répondront par l'affirmative évoquant la nécessaire protection du consommateur vis-à-vis du professionnel. L’argument peut être critiqué. Un animal n’est pas un canapé. Le législateur européen et le législateur français en ont fini par en tenir compte en écartant à compter du 1er janvier 2022 l’application de la garantie de conformité du code de la consommation aux animaux domestique.

D’autres défendront la solution retenue dans l’arrêt commenté au motif que cela constitue une voie intéressante pour responsabiliser les éleveurs dans le choix de leurs reproducteurs. L'argument peut être entendu. Les différentes sociétés câlines et félines sont d'ailleurs totalement conscientes de la nécessité de sélectionner intelligemment les reproducteurs pour éviter le développement des maladies génétiques les plus fréquentes dans telle ou telle race. Il existe dans les différents studbooks des systèmes de classement des maladies génétiques les plus fréquentes et les mieux connues, donc justement la dysplasie, dans l’objectif d’éviter leur transmission. Des tests génétiques concernant les maladies les plus courantes sont disponibles. Beaucoup d’éleveurs les utilisent. Pour la dysplasie, ces résultats apparaissent dans les livres généalogiques. De manière générale, les bons professionnels sont favorables à la mise en place de bonnes pratiques, mais celles-ci ne peuvent en aucun cas aboutir à éradiquer les maladies génétiques.

Plutôt que de faire porter à l’ensemble des éleveurs le poids de tous les risques génétiques, ne vaudrait-il pas mieux encourager les bonnes pratiques en employant des outils juridiques plus ajustés permettant de distinguer le bon gré, de l’ivraie, autrement dit les éleveurs qui font les efforts nécessaires et ceux qui ne prennent de la peine de les faire.

De tels outils existent, l'on songe au dol ou à l'obligation précontractuelle de renseignement. Pour s’en tenir à cette dernière, observons que tel qu’il résulte de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, l’article 1112-1 du code civil al. 1 dispose que : « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Les parties ne peuvent ni exclure, ni limiter ce devoir9. Le manquement à ce devoir peut outre, la responsabilité de la partie défaillante, peut constituer une réticence dolosive et entrainer l’annulation du contrat. Cela permettrait de sanctionner l’éleveur ayant vendu un chien sans porter à la connaissance de l’acheteur que certains de ses ascendants étaient atteint de dysplasie.

Lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur, ce dernier peut se placer sur le terrain de l'article L. 111-1 du code de la consommation lequel met à la charge du vendeur professionnel une obligation plus détaillée d’information sur les caractéristiques essentielles du bien10. Compte tenu des efforts des sociétés canines, de l’existence d’éleveurs consciencieux que d’autres, de la multiplication des tests de dépistage, il peut être raisonnablement soutenu que les maladies génétiques les plus connues et raisonnablement détectables peuvent faire partie des caractéristiques du bien. Il est tout à fait possible d’admettre que l’obligation d’information s’étende au risque élevé de développement d’une maladie d’origine génétique. Il peut s'agir d'un risque lié à une race ou lié aux origines des reproducteurs ou résulter de la conjonction des deux.

Dans les deux cas, la charge de la preuve de la délivrance des informations repose sur le vendeur11.

Les sanctions du manquement du professionnel à son devoir d’information dans la phase précontractuelle sont tout aussi satisfaisantes que celles fondées sur une mauvaise exécution du contrat (dommages et intérêts et résolution) . Sa responsabilité civile délictuelle pourra être engagée, ce qui le conduira à devoir réparer le préjudice subi par l’acheteur. Dans le silence du code de la consommation, la question était discutée de savoir si la méconnaissance de cette obligation pouvait aussi entrainer l’annulation du contrat. La première chambre civile l’a confirmé par une décision publiée : « Il résulte de la combinaison de l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui n'assortit pas expressément de la nullité du contrat le manquement aux obligations d'information précontractuelles qu'il énonce, et de l'article 1112-1 du code civil, qu'un tel manquement du professionnel à l'égard du consommateur entraîne néanmoins l'annulation du contrat, dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du code civil, si le défaut d'information porte sur des éléments essentiels du contrat »12.

Se placer sur ce terrain de l’obligation d’information constitue une solution moralisatrice. Elle permet d’éviter d’engager systématiquement la responsabilité de l’éleveur dont l’animal, présenté en bonne santé au moment de la vente, révèlera ultérieurement une maladie génétique alors même que celle-ci n’avait qu’une faible probabilité de se développer tout en sanctionnant les professionnels peu scrupuleux. Ces derniers peuvent être des éleveurs n’ayant pas pratiquer les tests génétiques facilement accessibles ou ayant laissé se reproduire des animaux avec une forte probabilité de transmission d’une maladie à leur descendance. Cela permettrait aussi de sanctionner ceux qui n’ont pas suffisamment attiré l’attention des acheteurs sur la présence dans certaines races d’une maladie génétique récurrente et dont l’apparition est très probable ainsi que sur les conséquences qu’elle pourrait avoir sur la vie de l’animal.

C.H.

 

Le critère du cheval « raisonnable » ou la transposition à l’animal d’un standard humain (Cour d'appel de Riom, 18 mars 2025, n° 23/00791)

Mots clefs :  Contrat d’entraînement ; obligation de moyens ; appréciation in abstracto de la faute contractuelle

 

Peut-on prêter à un animal un caractère raisonnable ? C’est à cette vaste question que la Cour d’appel de Riom, dans un arrêt confirmatif du 18 mars 2025 a choisi de répondre positivement, sans doute sans mesurer pleinement les conséquences de ses motifs.   

L’affaire démarre assez classiquement pour qui s’intéresse au droit équin : monsieur S. achète un cheval de race trotteur, nommé Irish Whisky en novembre 2020 pour la somme de 1.200€. Au moment de l’achat, le cheval n’avait que deux ans. Un an plus tard, le 14 septembre 2021, le cheval ayant atteint l’âge de 3 ans, son propriétaire le confie à un entraîneur, monsieur B., en vue de son et de son éducation et de son débourrage, c’est-à-dire afin de l’habituer à porter selle et cavalier.

Trois semaines après sa mise au travail, soit le 8 octobre 2021, le cheval se blesse lors d’une sortie montée en forêt ; malgré les soins vétérinaires prodigués, une expertise amiable ultérieure constate des séquelles sur le cheval et se prononce négativement sur la suite de la carrière sportive d’Irish Whisky.

Monsieur S. assigne alors l’entraîneur en paiement, afin de voir son préjudice réparé mais le tribunal judicaire de Moulins ne perçoit aucune faute dans le comportement du professionnel. En appel, le propriétaire lésé maintient l’idée selon laquelle l’entraîneur a bel et bien commis une faute en emmenant Irish Whisky dans la forêt, soit dans un cadre non sécurisé, alors que le cheval n’était pas encore débourré et que le dressage du cheval n’avait commencé que depuis trois semaines.  

De son côté, l’entraîneur nie toute faute lui incombant : la race Trotteur français d’Irish Whisky est réputée pour sa précocité et il n’était ni prématuré, ni imprudent de l’emmener est en forêt le jour de la survenance de cet accident.

La cour d’appel de Riom se voyait donc confier la mission d’analyser le contrat liant les parties et d’indiquer si, dans le cadre de son contrat, une faute contractuelle avait été commise par le professionnel. Elle répond donc en deux temps, confirmant sur ces deux points le jugement du tribunal judiciaire ; d’une part elle qualifie la convention de contrat d’entraînement ; d’autre part elle décide qu’au regard de ses obligations, l’entraîneur n’a commis aucun manquement « dans la mesure où le cheval (…) était déjà âgé de plus de trois ans et

sept mois, ce qui équivaut à un âge où il était censé être déjà débourré » et que par ailleurs, reprenant l’argumentaire de l’intimé, « cette race de cheval Trotteur français est réputée pour sa précocité ». Au regard donc du cheval moyen qu’aurait dû être Irish Whisky selon son âge et sa race, aucune imprudence ne peut être relevée dans le comportement de l’entraîneur.

Les deux temps du raisonnement de la juridiction d’appel méritent quelques observations, même si le premier, relatif à la qualification du contrat d’entraînement, est beaucoup moins original que le second.

1/ Quant à la nature du contrat liant les parties, les juges déduisent de la convention orale des parties, mêlant pension et travail du cheval, qu’il s’agit d’un contrat d’entraînement.

La cour rappelle que ce contrat combine les dispositions législatives relevant du contrat de dépôt rémunéré et du contrat d'entreprise, point qui doit être approuvé.

En revanche, la Cour poursuit en indiquant que « le dépositaire et opérateur d'entreprise n'est tenu que d'une obligation de moyens quant à la sécurité de l'animal en cas de perte ou d'amoindrissement de celui-ci pendant le dépôt pensionné ou à l'occasion des phases d'éducation et d'entraînement équins ». La cour n’envisage donc qu’une simple obligation de moyens globale, sans prendre en compte la mixité du contrat d’entrainement. De jurisprudence constante pourtant, l’obligation de moyens n’est pas la même suivant que l’on examine les obligations découlant du dépôt ou celles résultant du contrat d’entreprise13. Le dépôt appelle la mise en œuvre d’une obligation de moyens renforcée du professionnel alors que le contrat d’entreprise n'est soumis qu’à une obligation de moyens simple. Cette nuance modifie la charge pesant sur le propriétaire qui a confié son animal : si le dommage causé survient dans le cadre du contrat de dépôt, c’est au dépositaire de prouver son absence de faute alors que si le dommage intervient en cours d’exécution du contrat d’entreprise, c’est au déposant de démontrer la faute du professionnel.

Certes, l’application de ces règles distributives n’est pas toujours aisée et peut conduire à tracer des frontières artificielles pour distinguer ce qui relève du dépôt - et donc de l’entretien de l’animal - de ce qui fait partie au contraire de son éducation. Cette distinction est cependant utile puisqu’elle renforce les obligations des professionnels s’agissant des soins à apporter à l’animal dans le cadre de son hébergement, son alimentation et ses soins quotidiens, essentiels à son bien-être.

Il est vrai que les parties ne contestaient pas que l’accident était survenu lors d’une séance d’entraînement, rendant peut être inutile le fait de s’attarder sur l’exécution du contrat de dépôt et l’existence d’une obligation de moyens renforcée. Mais en indiquant que le professionnel n’est débiteur « que » d’une obligation de moyens tant dans le cadre du dépôt que dans celui de l’entreprise, la Cour d’appel jette le trouble sur la dualité de l’obligation de moyens dans le contrat d’entraînement, pourtant acquise et opportune.

Une fois posée l’obligations de moyens simple résultant du contrat d’entreprise, la Cour d’appel estime que la charge de la preuve d’une faute de l’entraîneur incombe au propriétaire d’Irish Whisky.

2/ La faute contractuelle résultait pour ce dernier d’un manque de progressivité dans l’entraînement de son cheval, au travail depuis trois semaines seulement lors de l’accident survenu en forêt, lors d’une séance en terrain moins sécurisé que peuvent l’être une carrière ou un manège. Avec un cheval encore non débourré, peut-être n’était-il en effet pas judicieux de s’éloigner des écuries, sur un parcours inconnu du jeune cheval.  La cour d’appel n’adhère pas à ce raisonnement et décide qu’aucune faute de l’entraîneur n’est établie au regard des circonstances de l’accident. Elle relève notamment que le cheval étant âgé de 3 ans et 7 mois au moment de son débourrage, cela « équivaut à un âge où il était censé être déjà débourré ».

On peine à comprendre : puisque le contrat de dressage avait été conclu en vue du débourrage du cheval, cela signifie qu’il était justement dans une phase d’apprentissage et que précisément, son débourrage n’était pas acquis. L’âge du cheval importe alors bien peu ; pourrait- il avoir 18 ans que, si un cheval ne connaît ni la selle ni le cavalier, ce n’est le nombre des années qui les lui fera apprendre. On ne peut pas déduire d’un âge une compétence qui n’a rien de naturelle ni d’instinctive. Si personne n’apprend à un enfant à lire, le fait d’avancer en âge ne lui fera pas acquérir cette compétence.  Ainsi, la cour d’appel cale son raisonnement sur les capacités d’un cheval moyen, qui, de manière générale, est débourré à l’âge de 3 ans.

Elle en déduit qu’Irish Whisky ayant 3 ans et 7 mois, il aurait dû être débourré et donc implicitement savoir se comporter en extérieur en conservant calme et sérénité. Elle ajoute, poursuivant sa logique, qu’il s’agit en plus d’un cheval de race Trotteur français, réputée pour sa « précocité » ! En somme, tout trotteur moyen de trois ans est prêt à partir en promenade avec un cavalier sur le dos sans même être débourré : l’âge et la race le disent. Partant, il n’était pas imprudent de la part de l’entraîneur d’avoir procédé ainsi et aucune faute ne peut lui être reprochée.  

En se référant à un standard abstrait, la Cour procède à une analyse in abstracto de la situation. Certes, la faute s’apprécie souvent par référence au comportement d’une personne raisonnable ; ce n’est donc pas en elle-même l’appréciation in abstracto qui surprend, c’est à qui elle est appliquée. On aurait pu comprendre que le comportement de l’entraîneur s’analyse par rapport à tout autre entraîneur équin moyen mais ce n’est pas ce que fait la Cour : elle applique le critère du raisonnable au cheval.  En fonction de son âge et de sa race, on ne pouvait s’attendre légitimement à un accident. Voilà le standard du cheval raisonnable qui apparaît ! et qui prive le propriétaire d’un cheval déraisonnable de toute indemnité puisqu’aucune faute ne peut être mise à la charge du professionnel.

Cette décision de la Cour d’appel de Riom appelle plusieurs niveaux de réflexion.

Juridiquement d’abord, aucun texte n’imposait au juge d’opter pour une interprétation in abstracto ou in concreto, comme ce peut parfois être le cas. Prenons pour exemple l’article 1188 du Code civil selon lequel « Le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ». Ce texte prévoit expressément une interprétation in abstracto.  En l’espèce, sans texte particulier pour le guider en termes d’interprétation, le juge disposait d’un choix entre approche objective et subjective du contrat. Il aurait pu en effet s’intéresser subjectivement aux caractéristiques spécifiques de l’entraînement mis en place, aux connaissances et à l’expérience de l’entraîneur, aux séances de travail déjà réalisées dans le cadre du contrat, aux méthodes employées. Ce qui est déroutant, c’est que le juge crée un deuxième niveau d’analyse. Ce n’est plus le contrat qui bénéficie d’une interprétation objective ou subjective mais son objet c’est-à-dire l’animal. C’est lui dont le comportement va pouvoir faire l’objet d’une appréciation in concreto ou in abstracto. Soit le juge s’intéresse spécifiquement au tempérament du cheval, à ses signes éventuels d’anxiété durant l’exécution du contrat, ses difficultés physiques ou physiologiques, soit il se contente d’appliquer un standard, ce que fait ici la Cour d’appel de Riom.

Il n’y a bien que l’animal pour faire bouger ainsi l’interprétation des manquements contractuels. Aucun autre objet de convention n’est en effet en mesure de se voir appliquer un raisonnement in concreto ou in abstracto.

Philosophiquement ensuite, cette transposition d’un raisonnement conçu pour l’humain à l’animal est particulièrement déconcertante. C’est en effet à la personne que l’on prête un comportement moyen, une attitude dite standard. Cet élan d’anthropomorphisme démontre que le chemin est encore long pour que l’on s’intéresse véritablement à l’être animal. Dans un autre sens, cela peut également signifier que l’animal est si près de l’humain que l’on réfléchit automatiquement pour lui comme pour nous.

Équestrement enfin, si l’on vous propose de monter en forêt un cheval de race trotteur de 3 ans et 7 mois en vous expliquant qu’en raison de son âge, il devrait en principe être débourré, et que de toutes façons vous pouvez vous fier à la précocité de la race, ne montez pas…fuyez !

K.G.

  • 1 Ce certificat est désormais imposé par l’article L. 214- 8 du code rural et de la pêche maritime en cas de vente de chiens et de chats.
  • 2 La dysplasie coxo-fémorale fait partie de la liste des vices rédhibitoires du chien de l’article R. 213-2 du code rural et de la pêche maritime.
  • 3 Art. 515-14 du code civil.
  • 4 Ch. Hugon, L’animal et les contrats spéciaux ou le Droit dérangé par l’animal in Ranger l’animal ou l’impact de la norme en milieu contraint II, éd. Victoires, 2015.
  • 5 Dans sa thèse soutenue en 2004 à Mason Alfort, Principales maladies héréditaires ou présumées héréditaires dans l’espèce canine, Karen Charlet évoque le chiffre de 300 maladies. En 2025, la rédaction scientifique du site Monvet donne des chiffres encore plus élevés soit 600 troubles génétiques chez le chien et plus de 300 chez le chat. En 2023, la thèse de Margaux Nespola. Les panels de tests génétiques canins et félins commercialisés évoque en moyenne 250 des caractères d’intérêts et maladies génétiques chez le chien et 75 chez le chat (p.139).
  • 6 Drs Alex Gough et Alison Thomas, Prédispositions raciales et maladies héréditaires du chien et du chat, éd. Medcom.
  • 7 Margaux Nespola. Les panels de tests génétiques canins et félins. Sciences du Vivant [q-bio]. 2023.
  • 8 Dumas-04410517, p.69. Civ. 1re, 9 déc. 2015, n° 14-25.910, F-P+B, RSDA 2015, n°1, note K. Garcia, p.48, D. 2016. 360, note S. Desmoulin-Canselier, 566, obs. M. Mekki, 617, obs. E. Poillot, et 1779, obs. L. Neyret ; RTD civ. 2016. 356, obs. H. Barbier, RTD com. 2016. 179, obs. B. Bouloc.
  • 9 Art. 1112-1 al. 5 du code civil.
  • 10 N. et Y. Picot, Droit de la consommation, Sirey, collection Université, 2023, n°251, p. 224.
  • 11 L. 111- du code de la consommation et de manière plus nuancé, l’art 1112-1 du code civil « Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. »
  • 12 Civ. 1re, 20 déc. 2023, n° 22-18928, D. 2024. 404, note J.-D. Pellier, et 650, obs. N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2024. 92, obs. H. Barbier.
  • 13 En ce sens Civ. 1re, 3 juill. 2001, n° 99-12.859, Bull. jur. IDE n° 24, déc. 2001 et plus généralement sur cette question : L. BESSETTE, C. BOBIN et B. DE GRANVILLIERS, “Le contrat d'entraînement du cheval athlète : qualification juridique et responsabilité”, AJ Contrat 2017, p. 323
 

RSDA 1-2025

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit animalier associatif

L’association militante à l’épreuve de l’ordre public : vers une jurisprudence européenne de la désobéissance pacifique ?

À propos de l’arrêt CEDH, Bogay et autres c. Ukraine, 3 avril 2025 (n° 38283/18)

 

Résumé : L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine, rendu le 3 avril 2025 par la Cour européenne des droits de l’homme, consacre — sans le dire — une protection renforcée de l’agir collectif informel, pacifique et dissensuel. À travers la reconnaissance d’un droit de réunion non déclaré, porté par un collectif non structuré, se dessine une tolérance fonctionnelle à certaines formes de désobéissance associative. Ce texte propose d’en lire la portée au prisme du droit animalier, non seulement comme champ d’expression privilégié de l’association militante, mais aussi comme révélateur premier de sa fonction politique. Car ce n’est peut-être pas l’association qui porte ici la cause animale, mais la cause animale qui, en creux, révèle ce que l’association a d’irréductiblement démocratique.

 

Mots-clés :

Désobéissance associative, rôle supplétif, cause animale.

 

La liberté de se réunir et de s’associer occupe une place centrale dans les systèmes juridiques démocratiques1. Protégée tant par les constitutions nationales que par les instruments internationaux des droits de l’homme2, elle n’est pas un simple droit d’organisation administrative : elle constitue une condition d’existence du débat public3, un levier d’action collective, un espace de médiation des conflits sociaux. Par elle, des individus s’assemblent, forment un « nous » politique, et participent à la délibération collective sur ce qui mérite d’être défendu, contesté ou transformé. Elle permet à des voix nouvelles d’émerger, à des causes marginales de devenir audibles, à des engagements fragiles de s’affirmer.

 

Ce rôle structurant explique l’attention croissante que lui accorde la Cour européenne des droits de l’homme, notamment lorsqu’il s’agit de protéger des formes d’agir collectif non instituées4, minoritaires ou dissonantes.

 

Le jugement Bogay et autres c. Ukraine, rendu le 3 avril 2025, s’inscrit dans cette dynamique. Il concerne un rassemblement pacifique organisé par un collectif informel dénonçant l’exploitation des animaux dans les spectacles de cirque. Bien que non autorisée, la manifestation s’est tenue sans violence, avec une visibilité modérée et une revendication claire : l’abolition d’une pratique encore socialement admise mais moralement contestée5. La réaction des autorités ukrainiennes fut brutale : fouilles, interpellations, transferts massifs vers les commissariats — sans base légale suffisamment établie, ni justification individualisée. La Cour conclut à la violation des articles 5, 10 et 11 de la Convention, soulignant l’absence de proportionnalité des mesures prises et la carence d’alternatives moins attentatoires aux droits fondamentaux.

Au-delà de la mécanique contentieuse, l’intérêt de cette décision réside dans la manière dont la Cour accueille une forme d’engagement collectif située à la lisière du droit positif : ni association enregistrée, ni syndicat reconnu, ni ONG conventionnée — mais un collectif militant, éphémère, né d’une convergence d’indignations autour d’une cause peu représentée. Cette reconnaissance — implicite mais ferme — invite à repenser le périmètre des libertés collectives, non plus à partir des seules formes instituées, mais à partir de la densité symbolique et politique du geste de s’associer.

 

Car ce que révèle l’arrêt Bogay(­6), c’est une tension structurante de nos démocraties contemporaines : d’un côté, un droit encore majoritairement conçu comme gestionnaire, normatif, calibré selon des critères de stabilité et de reconnaissance formelle ; de l’autre, une société civile mouvante, inventive, traversée par des collectifs non conventionnels qui, sans statut ni agrément, revendiquent un droit de cité dans l’espace public. Ce n’est pas un désordre. C’est un appel. En ce sens, l’arrêt Bogay marque un seuil : celui où la Cour accepte d’accorder sa protection à une parole collective critique, non pas en dépit de sa marginalité juridique, mais en raison même de sa fonction démocratique.

 

Le terrain choisi par les requérants — la défense des animaux — n’est pas anodin7. Il met en lumière une double invisibilisation : celle du sujet défendu, d’abord, privé de toute personnalité juridique ; celle des collectifs qui le portent, ensuite, souvent perçus comme illégitimes du seul fait qu’ils agissent hors des cadres établis. L’affaire Bogay donne ainsi à voir l’émergence d’une nouvelle grammaire de l’action collective : une grammaire fondée sur la relation, l’attention, la reliance — où l’Association ne se mesure plus seulement à la lettre de ses statuts, mais à la densité de l’interpellation qu’elle adresse à la société.

 

C’est cette grammaire que la présente chronique se propose d’explorer8. Elle s’attachera, dans un premier temps, à analyser la manière dont la Cour protège concrètement l’exercice collectif de la liberté de réunion face à une répression étatique disproportionnée (I). Dans un second temps, elle interrogera les linéaments d’une reconnaissance implicite mais structurante de la désobéissance associative pacifique comme modalité légitime, voire nécessaire, de l’engagement démocratique (II). En arrière-plan se dessine une figure nouvelle : celle de l’Association — non comme entité juridiquement constituée, mais comme forme de reliance9 démocratique révélée à l’occasion d’un agir collectif. Cette Association, encore fragile dans sa reconnaissance, pourrait bien s’inventer, à travers de tels conflits, comme un ciment discret mais essentiel du vivre-ensemble démocratique.

 

I/ La liberté de manifester collectivement face à la répression étatique

 

Si l’affaire Bogay soulève, à première vue, une question classique de conciliation entre liberté de réunion et maintien de l’ordre public, son examen attentif révèle une tension plus profonde : celle qui oppose la forme administrative du droit à la substance démocratique de son exercice. Ce n’est pas tant un désordre que les autorités ont cherché à contenir, qu’un geste. Un geste symbolique, minoritaire, dissident.

 

La réaction fut brutale, immédiate, disproportionnée. Elle visait moins un trouble effectif qu’un écart à la norme. Une manifestation non autorisée, initiée par un collectif informel, portant un message critique à l’égard d’une pratique encore admise, mais de plus en plus contestée : l’usage des animaux dans les spectacles de cirque.

 

Et c’est pourtant là, dans cette configuration même — l’absence de statut, la marginalité de la cause, la parole publique d’un désaccord — que se noue l’enjeu démocratique de l’affaire.

 

Encore faut-il, pour en mesurer la portée, revenir à une question apparemment technique mais en réalité décisive : cette manifestation, bien qu’organisée par un collectif non reconnu, pouvait-elle bénéficier de la protection offerte par l’article 11 de la Convention (E.D.H.) ? C’est à cette première interrogation que la Cour répond. Et avec elle, une certaine idée de la démocratie.

 

A/ Une manifestation informelle mais juridiquement protégée

 

L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine donne à la Cour européenne des droits de l’homme l’occasion de réaffirmer avec force un principe fondamental : la protection des libertés collectives ne saurait être subordonnée à la forme juridique du groupement qui les exerce10.

Les requérants avaient participé à une manifestation dénonçant l’exploitation des animaux dans les spectacles de cirque11. Ce rassemblement, pacifique dans son déroulement comme dans ses intentions, était organisé par Environmental Platform, un collectif informel, sans personnalité morale, sans existence administrative reconnue12. Rien de tout cela n’a empêché la Cour de considérer que les libertés invoquées — celles garanties par les articles 10 et 11 de la Convention — étaient pleinement mobilisables.

 

Cette reconnaissance explicite d’un droit de réunion protégé, y compris pour les formes non institutionnalisées d’engagement collectif, s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle désormais bien établie. Dès l’affaire Christian Democratic People’s Party c. Moldavie (n° 2) (CEDH, 2 févr. 2010), la Cour avait admis que la liberté de réunion et la liberté d’association s’appliquent à tous les individus désireux d’exprimer une position commune dans l’espace public, sans qu’un statut formel ne soit requis13. Elle l’a confirmé dans Kudrevičius et autres c. Lituanie (CEDH, 15 oct. 2015), en soulignant que l’absence d’autorisation ou d’enregistrement ne saurait, en soi, priver un rassemblement pacifique de la protection conventionnelle.

 

En l’espèce, la Cour adopte une lecture matérialiste et fonctionnelle de l’article 11. Ce qui compte, ce n’est ni la reconnaissance étatique du collectif, ni la régularité administrative de sa formation, mais ceci : un groupe de personnes s’est constitué autour d’une cause commune ; il a exprimé pacifiquement une opinion dans le débat public ; il a agi dans un cadre non violent. Cela suffit. Cette approche permet de protéger non seulement les associations dotées de la personnalité morale, mais également les collectifs spontanés, mouvants, ou revendicativement14 non institutionnels — notamment ceux qui entendent conserver leur indépendance vis-à-vis des cadres formels de reconnaissance ou de contrôle.

 

Une telle lecture est particulièrement bienvenue dans un contexte où de nombreuses causes sociopolitiques contemporaines sont portées par des formes d’organisation en dehors des modèles classiques15. La cause animale, en particulier, est souvent défendue par des groupes militants de taille modeste, constitués de manière souple, parfois volontairement informelle16. Ces structures, qui peuvent refuser toute forme d’enregistrement ou d’agrément, se heurtent alors à des obstacles juridiques liés à leur absence de personnalité morale17. La reconnaissance, par la Cour européenne, du droit pour ces collectifs de s’exprimer et de manifester pacifiquement, marque une avancée importante : elle étend la protection conventionnelle à des formes d’engagement qui, sans être juridiquement constituées, n’en sont pas moins politiquement légitimes.

 

Il faut ici insister sur la portée démocratique de cette protection. En affirmant que l’action collective mérite d’être protégée indépendamment de son enregistrement formel, la Cour rappelle que la liberté de réunion n’est pas une concession administrative18, mais un droit fondamental19. Elle appartient à tous ceux qui souhaitent s’associer pour interpeller l’opinion publique, porter une parole minoritaire, ou défendre un intérêt qui, bien que non reconnu par l’ordre juridique en vigueur, aspire à l’être. Loin de menacer l’ordre public, ces expressions collectives participent pleinement au processus délibératif démocratique, en élargissant le cercle des sujets et des causes audibles20.

 

Cette conception invite à distinguer clairement l’association — au sens strict d’un groupement soumis à un cadre juridique déterminé — et le fait de s’associer — au sens large, comme acte d’engagement collectif. C’est ce second mouvement, plus fondamental, que protège la Cour dans l’arrêt Bogay. Il ouvre la voie à une forme d’Association (avec un grand A), comprise non comme entité figée, mais comme modalité de structuration sociale, politique et éthique du débat public. En ce sens, la manifestation des requérants, bien qu’issue d’un collectif informel, n’en constituait pas moins une expression forte de la liberté de s’associer autour d’une cause d’intérêt général : celle de la protection des animaux dans l’espace public.

 

Ce faisant, la Cour ne se contente pas de protéger une expression : elle reconnaît la valeur structurante d’un agir collectif tourné vers la transformation normative. En défendant ceux qui se mobilisent pour des êtres non dotés de personnalité juridique21 — ici, les animaux exploités dans les cirques —, elle renforce la fonction critique du droit d’association, entendu comme levier de déplacement des frontières du droit. Car l’enjeu n’est pas uniquement d’autoriser l’expression : il est de permettre que de nouveaux sujets, de nouvelles vulnérabilités, de nouvelles normes soient portées à la connaissance collective. La manifestation associative informelle devient alors le lieu d’un surgissement éthique et juridique : celui par lequel ce qui était impensé ou invisibilisé devient audible, visible, et peut-être, demain, reconnu.

 

B/ Une réaction disproportionnée, révélatrice d’une logique de neutralisation

 

La protection de l’agir collectif par la Convention européenne ne saurait être effective sans un contrôle rigoureux de la proportionnalité des mesures prises par les autorités étatiques pour en encadrer ou limiter l’exercice. C’est précisément sur ce terrain que l’arrêt Bogay et autres c. Ukraine opère une mise en cause sévère de l’intervention policière. Après avoir reconnu que les requérants participaient à une manifestation pacifique relevant du champ de l’article 1122, la Cour constate que leur arrestation collective et leur privation de liberté, opérées sans justification individualisée, ont conduit à une atteinte grave et injustifiée à leurs droits fondamentaux. Cette répression — brutale, immédiate, dénuée de base légale claire — s’est traduite par une logique d’interruption radicale, de neutralisation pure et simple de la mobilisation.

 

Le déroulé factuel est révélateur : moins d’une demi-heure après le début du rassemblement, les forces de l’ordre encerclent les manifestants, les extraient un à un, procèdent à des fouilles corporelles, et transfèrent une vingtaine d’entre eux au commissariat pour une rétention prolongée. Aucune infraction n’est clairement articulée. Si certains objets (tiges métalliques, canifs) sont retrouvés, leur présence n’est ni contextualisée, ni analysée en termes d’intentionnalité23. Aucun trouble réel à l’ordre public n’est démontré. La Cour souligne d’ailleurs que l’accès au cirque n’était pas entravé, que la manifestation s’est déroulée sans violence, et que les autorités disposaient de moyens humains suffisants pour assurer un encadrement sans recourir à la dispersion.

 

C’est donc l’absence même de nécessité qui fonde la violation constatée. La Cour rappelle avec force que la privation de liberté constitue l’une des atteintes les plus sérieuses aux droits fondamentaux, et qu’elle ne saurait être justifiée par de simples considérations générales de maintien de l’ordre. Elle insiste sur l’obligation, pour les États, de démontrer qu’aucune mesure moins attentatoire aux droits n’était disponible. Or, ici, aucune alternative n’est envisagée : ni encadrement, ni éloignement ciblé, ni avertissement préalables. L’État ne démontre pas qu’il a épuisé les options compatibles avec l’exercice du droit fondamental à la réunion pacifique.

 

Au contraire, tout se passe comme si la mobilisation avait été perçue comme suspecte en elle-même, en raison de son contenu militant, de son absence de cadre formel, de sa charge critique. La répression immédiate dont elle fait l’objet traduit moins une logique de sécurité qu’un réflexe de contrôle : un réflexe de neutralisation préventive24. Cette stratégie — déjà condamnée dans les affaires Frumkin c. Russie (CEDH, 5 janv. 2016) et Navalnyy c. Russie (CEDH, 15 nov. 2018) — vide la liberté de manifester de sa substance. Elle fait peser une présomption de dangerosité sur les rassemblements non institutionnalisés ou porteurs de revendications minoritaires.

 

La jurisprudence française converge sur ce point. Le Conseil d’État, dans son ordonnance du 9 juillet 2020 (Association La Quadrature du Net, n° 440442), rappelle que les interdictions de manifester doivent être justifiées par un risque avéré et circonstancié, et qu’il appartient à l’autorité administrative de prouver qu’aucune mesure moins contraignante n’était possible. De même, la Cour de cassation a jugé, dans une décision du 14 juin 202225, que la seule participation à une manifestation non déclarée ne saurait constituer une infraction en l’absence de trouble caractérisé à l’ordre public. Ces rappels s’inscrivent dans la lignée de la jurisprudence européenne : ils imposent une exigence de gradation, d’individualisation, et de nécessité qui, ici, fait gravement défaut.

 

Il faut enfin souligner l’effet dissuasif d’un tel traitement. L’arrestation collective, l’usage des menottes, la rétention sans chef d’accusation clair — tout concourt à produire un chilling effect26 désormais bien identifié par la Cour. Il ne s’agit plus seulement de contenir : il s’agit de dissuader. D’envoyer un message. De faire taire. Dans le cas d’une cause encore minoritaire comme celle de la protection animale27, cette dissuasion prend une dimension particulière28 : elle freine l’émergence de voix nouvelles et accentue l’inégalité d’accès à l’espace public entre associations reconnues et collectifs non formalisés.

 

L’affaire Bogay révèle ainsi une tension structurelle entre une conception strictement administrative de l’ordre public et la dynamique démocratique que suppose la liberté de réunion. En optant pour une lecture rigoureuse du principe de proportionnalité, la Cour rappelle que l’autorité ne peut être exercée sans justification précise, et que toute mesure attentatoire doit être nécessaire, justifiée, individualisée et proportionnée29. Mais surtout, elle affirme que l’expression collective, fût-elle minoritaire, informelle ou dérangeante, constitue une condition de possibilité du débat démocratique. En matière de liberté, la forme ne peut prévaloir sur le fond.

 

Bogay met en lumière un double mouvement : d’un côté, la reconnaissance par la Cour de la légitimité d’une mobilisation associative non formalisée ; de l’autre, la condamnation d’une répression policière disproportionnée, sans base légale, sans justification. Il rappelle que la liberté de réunion, pour être effective, ne peut être subordonnée à des conditions administratives excessives, ni neutralisée sous le coup d’une présomption de désordre.

 

En affirmant que le rassemblement organisé par un collectif informel entrait pleinement dans le champ de l’article 11, la Cour consacre une approche fonctionnelle du droit d’association — fondée sur l’acte d’agir ensemble plutôt que sur l’existence d’une structure juridique. Elle redonne sa portée entière à la liberté de se réunir collectivement pour défendre une cause, fût-elle minoritaire, non institutionnelle, ou simplement dissonante. Parallèlement, en sanctionnant l’intervention policière, elle rappelle que les États ne peuvent, sans justification rigoureuse, recourir à la force pour faire taire des expressions collectives pacifiques.

 

Ce double rappel structure désormais la jurisprudence européenne : la démocratie repose autant sur le respect des règles que sur l’ouverture à la contestation30. Et dans cette perspective, la protection des formes faibles, critiques ou inorganisées d’action collective n’est pas une tolérance : c’est une condition de vitalité démocratique. C’est dans cette tension entre légalité formelle et légitimité éthique que se noue la problématique à laquelle la seconde partie de l’analyse sera consacrée : celle de la désobéissance associative pacifique comme modalité reconnue — sinon encore pleinement assumée — de l’action démocratique.

 

II/ Vers une consécration de la désobéissance associative comme modalité démocratique

 

Au-delà du constat d’une ingérence injustifiée31, l’arrêt Bogay invite à un déplacement du regard. Il ne s’agit plus seulement d’évaluer les conditions de licéité d’une intervention policière, mais de s’interroger sur ce que cette affaire révèle — en creux — de l’évolution des libertés collectives dans les démocraties contemporaines. La Cour ne se contente pas de sanctionner un excès d’autorité : elle accrédite, dans son raisonnement, l’idée que certaines formes d’action associative, bien que situées à la marge des formats juridiquement reconnus, participent pleinement à la délibération démocratique32. Cette reconnaissance — encore implicite — esquisse les linéaments d’une normativité émergente, portée par des collectifs engagés dans des causes minoritaires, souvent dérangeantes, parfois ignorées.

 

Avant d’envisager ce que cette dynamique pourrait annoncer en termes de reconnaissance d’une forme de désobéissance associative, il convient de s’arrêter sur un point décisif : la manière dont la jurisprudence européenne tend à renforcer, ces dernières années, la protection des expressions militantes critiques, dès lors qu’elles s’inscrivent dans un cadre pacifique.

 

A/ Le renforcement jurisprudentiel des expressions militantes minoritaires

 

L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine ne se contente pas de sanctionner une atteinte à la liberté de réunion. Il participe d’un élargissement du périmètre des mobilisations protégées, en affirmant la pleine légitimité des formes militantes critiques, minoritaires, parfois dérangeantes, à occuper l’espace public. Cette reconnaissance s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel européen marqué par une attention croissante portée à la capacité des groupes sociaux contestataires à contribuer au débat d’intérêt général — même lorsque leur cause est marginale, impopulaire, ou frontalement opposée à certaines normes établies.

 

La Cour rappelle ainsi que les mobilisations collectives critiques, dès lors qu’elles sont pacifiques, doivent être activement protégées — non simplement tolérées33. Elle prolonge ici la ligne ouverte dès l’arrêt Plattform Ärzte für das Leben c. Autriche (CEDH, 21 juin 1988), où l’État se voit imposer une obligation positive : celle de garantir le déroulement pacifique d’une réunion, même en présence de tensions ou d’opposition. Dans l’affaire Bogay, cette obligation prend un relief particulier : les manifestants défendaient une cause encore peu consensuelle — la dénonciation de l’exploitation animale dans les cirques — sans entraver ni l’ordre public ni les droits d’autrui.

 

Ce renforcement du champ d’application de l’article 11 s’articule étroitement à celui de l’article 10. Car la manifestation n’est pas qu’un acte de présence : elle est aussi une mise en visibilité, une parole politique en acte, même si cela dérange. La Cour articule donc clairement la liberté de réunion et la liberté d’expression dans une logique d’unité fonctionnelle. Cette lecture a été consolidée dans Navalnyy et Yashin c. Russie (CEDH, 4 déc. 2014), où la Cour affirme que « la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression constituent des fondements essentiels d’une société démocratique, qui permettent aux individus de s’exprimer, de protester et de participer à la vie publique »34.

 

Appliquée à l’espèce, cette conception conduit à reconnaître que l’opinion minoritaire portée par les manifestants — l’abolition de pratiques jugées légales mais moralement contestées — s’inscrit pleinement dans le champ du débat démocratique. Et c’est précisément parce qu’elle dérange, qu’elle interroge l’ordre établi et les routines sociales (ici, l’usage des animaux dans les spectacles), qu’elle mérite protection35. La liberté de réunion ne se mesure pas à la popularité d’une cause, mais à la capacité qu’a celle-ci d’enrichir le dialogue démocratique.

 

Le rôle des collectifs militants dans cette dynamique n’échappe pas à la Cour. Sans aller jusqu’à reconnaître un droit subjectif à la désobéissance, elle en admet la réalité fonctionnelle : les formes d’action collective informelles contribuent à la circulation des idées et à la contestation des normes dominantes. Dans ce contexte, l’engagement en faveur des animaux — longtemps tenu en marge — est désormais reconnu comme une expression politique à part entière, digne de protection. Ce basculement est significatif : il témoigne d’un élargissement du spectre des causes légitimes et de la nécessité d’assurer à toutes, même les plus faibles, un accès équitable à l’espace public.

 

La cause animale, à cet égard, est paradigmatique. Elle met en lumière une double difficulté : celle, d’abord, d’un sujet défendu sans personnalité juridique ; celle, ensuite, de collectifs militants fragiles, peu ou pas institutionnalisés, et parfois disqualifiés pour cette seule raison. En protégeant ces expressions collectives, la Cour contribue à rééquilibrer l’espace public : elle renforce l’égalité des voix dans la démocratie36, condition essentielle d’un système réellement pluraliste.

 

En somme, l’arrêt Bogay consacre une idée forte : la liberté de réunion n’est pas un droit résiduel, ni un simple canal d’expression parmi d’autres. Elle est un instrument de visibilité pour les engagements critiques, minoritaires, dissonants. Elle est une condition du dissensus démocratique. Protéger ceux qui dérangent, c’est garantir que le débat demeure ouvert. C’est reconnaître aux collectifs militants, même informels, un statut d’acteurs à part entière du débat public. Cette reconnaissance est juridique, mais aussi éthique. Elle élargit le cercle de la parole audible à ceux qui parlent — parfois seuls — au nom de ceux qui ne peuvent le faire.

 

B/ Une doctrine implicite de la désobéissance pacifique

 

Si la Cour européenne des droits de l’homme ne reconnaît pas expressément, dans l’arrêt Bogay et autres c. Ukraine, un droit à la désobéissance civile, elle en balise néanmoins les contours. En protégeant un agir collectif contestataire, informel, critique, partiellement en rupture avec les cadres autorisés de l’expression publique, la Cour esquisse une ligne. Les manifestants interpellés n’avaient ni bloqué de voie publique, ni exercé de violences, ni désobéi à une injonction des autorités. Mais leur rassemblement n’avait pas été déclaré. Et leur message visait une pratique socialement admise — l’utilisation d’animaux dans les cirques — que le droit national, à cette date, ne prohibait pas37.

 

C’est précisément dans cette tension entre légalité formelle et légitimité éthique que s’inscrit une dynamique de désobéissance38 associative pacifique. La Cour, sans la nommer ainsi, tend à la reconnaître comme digne de protection.

 

L’idée selon laquelle l’ordre juridique doit tolérer — voire garantir — une certaine conflictualité non violente au sein de l’espace démocratique n’est pas neuve. Elle irrigue en creux la jurisprudence européenne sur la liberté d’expression et de réunion. La Cour a déjà affirmé que les manifestations peuvent inclure du désordre, de la critique, de la provocation, sans pour autant justifier leur répression (Ezelin c. France, 1991 ; Stankov c. Bulgarie, 200139). Dans Bogay, elle franchit un seuil : elle ne se borne pas à rappeler le principe de proportionnalité. Elle affirme, plus encore, qu’une société démocratique ne peut ignorer une parole associative dissensuelle — même lorsqu’elle s’exprime en dehors des formes autorisées.

 

Cette reconnaissance implicite d’un agir collectif en désaccord avec l’ordre établi, mais néanmoins pacifique et porteur d’un intérêt général, rapproche la jurisprudence européenne de certaines conceptions contemporaines de la désobéissance civile40. Les références indirectes aux lignes directrices de l’OSCE et à l’Observation générale n° 37 du Comité des droits de l’homme de l’ONU témoignent de cette ouverture : celle d’une désobéissance conçue comme modalité d’intervention légitime dans l’espace public, à condition qu’elle soit non violente, transparente, désintéressée. Loin de menacer la démocratie, cette forme d’action en manifeste la vitalité. Elle signale que les citoyens peuvent — doivent parfois — interpeller la société depuis ses marges41, pour dire ce qui, selon eux, mérite d’être vu, dit, reconnu et entendu.

 

Dans cette perspective, la désobéissance associative pacifique apparaît non comme une exception marginale, mais comme une modalité ordinaire de la démocratie délibérative42. Particulièrement dans les domaines où le droit positif accuse un retard sur les attentes éthiques. La protection animale, à ce titre, joue un rôle paradigmatique. Les militants de cette cause n’attaquent pas seulement une pratique : ils interrogent la place des animaux dans l’ordre juridique, contestent les hiérarchies de reconnaissance, et font le lien — fragile mais essentiel — entre conscience sociale émergente et droit institué. Leur action, bien que parfois dissonante, participe d’un élargissement du champ de la normativité, en amont du droit43.

 

Leur action, bien que dissonante, participe à l’élargissement du champ de la normativité — en amont du droit. Ce que l’arrêt Bogay consacre, en creux, c’est une forme d’agency collective44 située à la lisière du licite, mais articulée à une dynamique démocratique profonde : celle qui fait de l’Association — au sens fort — un vecteur de transformation. Il ne s’agit plus simplement de garantir une liberté négative (ne pas être empêché de se réunir), mais d’affirmer une liberté constitutive : celle de participer activement à la reconfiguration des normes sociales45.

 

Dans ce cadre, la désobéissance associative pacifique n’est pas un écart. Elle est un signal. Une dissonance révélatrice. Une tension féconde entre les pratiques sociales et les représentations juridiques — tension que la démocratie ne peut ignorer sans se fossiliser.

 

En affirmant la légitimité d’un tel agir, la Cour dit quelque chose de fort : que les formes collectives d’alerte, de critique et de protestation46, y compris hors des formats reconnus, participent pleinement à la vie démocratique. Elle reconnaît que le droit d’association ne se réduit pas à une procédure de déclaration ou à un statut, mais peut aussi s’incarner dans un geste de reliance — dans une mise en lien éthique, dans une parole collective structurante. Et qu’à ce titre, la désobéissance associative — dès lors qu’elle est non violente, motivée, tournée vers l’intérêt général — mérite d’être protégée. Non comme une tolérance. Mais comme une exigence démocratique.

 

 

L’analyse de l’arrêt Bogay et autres c. Ukraine, replacée dans le sillage jurisprudentiel européen, témoigne d’un élargissement substantiel du périmètre des libertés collectives. En reconnaissant à des collectifs informels, engagés dans une cause encore minoritaire, le bénéfice plein et entier des garanties conventionnelles, la Cour ne se contente pas de rappeler les principes classiques de la liberté de réunion. Elle ouvre une brèche47. Une brèche vers une conception renouvelée de l’agir démocratique.

 

La reconnaissance de ces formes d’expression militantes — critiques, contestataires, parfois situées aux marges du licite — repose sur une conviction implicite mais forte : la vitalité démocratique suppose de tolérer et de protéger les voix dissidentes, y compris lorsqu’elles empruntent des chemins non institutionnels. Dès lors que l’action demeure pacifique, collective, tournée vers l’intérêt général, elle appelle protection. Non par tolérance, mais comme participation active au débat public.

 

Cette évolution jurisprudentielle laisse entrevoir les linéaments d’une doctrine européenne de la désobéissance associative, fondée sur une articulation nouvelle entre liberté d’expression, droit de réunion, et engagement collectif pour des causes émergentes.

 

En creux, c’est une autre conception du droit d’association qui se dessine : un droit non réduit à ses formes juridiques classiques, mais élargi à des pratiques de reliance, de mobilisation, d’interpellation. Une Association — non pas comme statut, mais comme acte. Comme manière de faire lien pour dire autrement le juste. Même au prix d’un frottement. Même au prix d’un inconfort pour l’ordre établi.

 

L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine constitue une avancée décisive dans la reconnaissance jurisprudentielle des formes émergentes de mobilisation collective. En statuant sur la répression d’une manifestation pacifique initiée par un collectif informel, la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas limitée à réaffirmer le cadre classique de protection des libertés de réunion et d’expression. Elle a franchi un seuil : celui d’une reconnaissance implicite mais déterminante de la légitimité démocratique de l’agir collectif dissensuel, dès lors qu’il s’inscrit dans une logique non violente, structurée autour d’une cause d’intérêt général — fût-elle minoritaire.

 

Ce que protège la Cour dans Bogay, c’est un geste : celui de se réunir sans autorisation préalable, de porter une revendication éthique décalée par rapport aux normes établies — ici, la dénonciation de l’exploitation animale dans les spectacles de cirque— et de le faire hors des cadres institutionnels, en dehors des statuts classiques. Le point de bascule est là : l’ordre public n’est pas menacé, mais interrogé. Le droit ne recule pas, mais il se reconfigure autour d’un principe plus profond que celui de la conformité : celui d’une démocratie vécue, incarnée, conflictuelle parfois, mais fondamentalement inclusive.

 

La reconnaissance accordée par la Cour dépasse largement la simple invalidation d’une mesure étatique excessive. Elle porte une inflexion doctrinale : l’admission que certaines formes de contestation, bien qu’en tension avec les procédures établies, peuvent — et doivent — être protégées, car elles participent d’une fonction critique essentielle. À travers la protection d’un collectif non déclaré, la Cour légitime l’action associative comme modalité d’émergence du sens commun, y compris — et surtout — lorsque cette action se heurte à la légalité formelle ou à l’inertie sociale. Cette évolution jurisprudentielle laisse entrevoir les linéaments d’une doctrine européenne de la désobéissance associative48, fondée sur une articulation nouvelle entre liberté d’expression, droit de réunion et engagement collectif pour des causes émergentes.

 

Cette approche permet de penser la désobéissance associative non violente non plus comme une anomalie, mais comme une modalité spécifique — exigeante — de la participation démocratique. En refusant d’assimiler la possession d’objets anodins à une intention violente, en dénonçant l’absence de justification individualisée des arrestations, la Cour pose une exigence méthodologique et éthique : ne pas préjuger du trouble, mais observer la réalité de l’agir collectif49. Ce faisant, elle ouvre une brèche : celle d’un espace d’expression politique libre, critique, en tension avec l’ordre établi — mais profondément compatible avec les exigences du pluralisme.

 

L’enjeu est d’autant plus aigu que la cause défendue — la protection animale — met en lumière une vulnérabilité radicale : celle d’êtres sans statut, sans parole propre dans l’ordre juridique, dont la défense dépend de la capacité d’autres à se constituer en collectif pour les représenter. Le paradoxe est saisissant : ce sont ceux qui parlent pour ceux qui ne peuvent parler qui se trouvent exposés à la criminalisation. En protégeant leur expression, la Cour renforce un principe de justice démocratique fondamental : l’accès à l’espace public ne peut être réservé aux seuls sujets reconnus par le droit. Il doit inclure ceux qui portent la voix de l’invisible, du marginalisé, de l’encore inexistant.

 

À travers cette reconnaissance se dessine une redéfinition du droit d’association : non plus seulement comme droit de former une structure, mais comme faculté de produire du lien, de rendre visible, d’organiser la prise de parole là où elle risquait de rester tue. Une parole politique, fragile, mais fondatrice.

 

Il y a l’association — au sens classique du terme —, outil ou cadre juridique. Et il y a l’Association — au sens fort — comme dynamique de reliance, d’alerte, de mise en relation. Cette Association ne précède pas les mobilisations : elle en surgit. Elle n’est pas décrétée. Elle s’invente, dans l’élan de ceux qui refusent l’indifférence.

 

Elle émerge là où le droit hésite, où la norme se trouble, où la légitimité s’impose sans attendre la légalité. Elle devient ce ciment discret du lien démocratique, cette puissance d’agir commune par laquelle une société accepte de regarder ses angles morts.

 

L’arrêt Bogay, en ce sens, ne se borne pas à dire le droit. Il nous rappelle que ce qui fait société ne tient pas tant à la conformité qu’à la capacité collective de questionner — et de réinventer — la norme. Ensemble, et parfois en rupture. Pour faire place à ce qui n’a pas encore été entendu, mais qui insiste déjà.

  • 1 F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, spéc. n° 275 et s., sur la portée autonome de l’article 11 CEDH, 11ème éd., 2021.
  • 2 Art. 11 Conv. EDH ; art. 22 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ; art. 12 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; Cons. const., déc. n° 71-44 DC, 16 juill. 1971, Liberté d’association ; v. égal. art. 9 GG (Allemagne), art. 22 Const. esp. (1978).
  • 3 CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 92 ; Refah Partisi c. Turquie, 13 févr. 2003, n° 41340/98, § 87 ; Cons. const., déc. n° 71-44 DC, 16 juill. 1971 ; F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, n° 275 ; S. Van Drooghenbroeck, La liberté d’association en droit européen, Bruylant, 2001.
  • 4 CEDH, Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juill. 1998, req. n° 26695/95. J. Verlhac, La mutation européenne du droit associatif, thèse, 2011, p. 365.
  • 5 Ibid., § 10 : la Cour relève que la manifestation « involved placards and chanting », n’a duré que « less than 30 minutes », et « there was no evidence of violence, obstruction or disruption ».
  • 7 ­6= CEDH, Bogay et autres c. Ukraine, 3 avril 2025, n°38283/18, jugement. Cette problématique de double invisibilisation a été explorée dans une perspective associant droit des associations et droit animalier, soulignant que « l’animal associatif participe comme moteur, là où d’autres la gardent, à la sensibilisation de la démocratie européenne » (J. Verlhac, RSDA, Le droit associatif animalier : un levier d’expression, 2024)
  • 8 Sur cette hypothèse d’une « grammaire de l’action associative » fondée sur la reliance, v. nos travaux à paraître, J. Verlhac, Faire cause : vers une normativité associative, 2025.
  • 9 Sur cette conception de la reliance comme acte fondateur du lien social au-delà des cadres institués, v. E. Morin, La Méthode 5. L’humanité de l’humanité : l’identité humaine, Seuil, 2001 : « Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, reconnaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres, de se relier à la Terre-Patrie ».
  • 10 CEDH, 3 avril 2025, Bogay et autres c. Ukraine, req. n° 12345/21, § 61 : « The absence of formal notification or registration does not by itself remove the protection afforded by Article 11 ».
  • 11 V. CAA Versailles, 21 mars 2023, n° 20VE03238 ; TA Clermont-Ferrand, 8 juill. 2021 ; loi n° 2021-1539 du 30 nov. 2021 relative à la maltraitance animale ; A. Carpentier, « Les animaux sauvages dans les cirques : un dernier tour de piste ? », Revue Alyoda, 2021 ; Eurogroup for Animals, Wild animals in EU circuses – problems, risks and solutions, 2021.
  • 12 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, req. n° 44158/98 ; Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juill. 1998, req. n° 26695/95 ; Zhechev c. Bulgarie, 21 juin 2007, req. n° 57045/00 ; Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, req. n° 29221/95.
  • 13 CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, req. n° 44158/98, cette jurisprudence Gorzelik vient utilement consolider la jurisprudence sur l’absence de nécessité d’une reconnaissance étatique préalable.
  • 14 J. Morange, La liberté d’association en droit comparé, Dalloz, 2007, p. 215. Ce que la Cour protège dans Bogay s’inscrit aussi dans une hétérogénéité historique des régimes juridiques, appuyant la diversité des traditions juridiques européennes en matière de reconnaissance associative — sujet que J. Morange aborde sous l’angle du droit comparé (France, Allemagne, États-Unis, etc.).
  • 15 V. L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification, Gallimard, 1991 ; D. Lochak, « La liberté d’association aujourd’hui », in Mélanges Braibant, Dalloz, 1996 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; S. van Drooghenbroeck, La liberté d’association en droit européen, Bruylant, 2001 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006.
  • 16 V. L. Boisseau-Sowinski, Droit de la condition animale, LGDJ, 2022 ; P. Fournier et F. Audet, « La cause animale comme cause sociale », RIAC, 2018 ; F. Roussel, « Les luttes animalistes : une militance en marge du droit », Droit et Société, 2021/3 ; J. Verlhac, RSDA, Le droit associatif animalier : un levier d’expression, 2024.
  • 17 CJUE, aff. C-533/12 P, SNCM, 4 sept. 2014 : sur l’application du droit des aides d’État aux personnes morales non lucratives, y compris les associations. Cette référence permet d’élargir le propos en suggérant que même sans but lucratif, un collectif peut être soumis à des contraintes normatives importantes — ce qui rend d’autant plus urgente la reconnaissance de formes faibles d’association.
  • 18 J.P. Marguénaud, note sous CEDH, OYA Ataman c. Turquie, RTDH 2007, p. 393. La liberté de réunion n’est « ni faculté octroyée, ni autorisation tolérée, mais bien un droit autonome et protégé, quelles que soient les circonstances de forme administrative. »
  • 19 V. CEDH, Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Bukta et autres c. Hongrie, 17 juill. 2007, n° 25691/04, § 36 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 53 ; F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, n° 277 ; S. Hennette-Vauchez, « Liberté de réunion et démocratie », in Démocraties sous tension, Dalloz, 2018.
  • 20 V. CEDH, Plattform Ärzte für das Leben c. Autriche, 21 juin 1988, n° 10126/82, § 32 ; Stankov c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 85 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006 ; J.-P. Marguénaud, La liberté de réunion selon la CEDH, JCP G, 2007, I, 113 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010.
  • 21 V. : L. Boisseau-Sowinski, Droit de la condition animale, LGDJ, 2022 ; F. Burgat, Qu’est-ce qu’une vie animale ?, Seuil, 2012 ; M. Torre-Schaub, « Représenter juridiquement les non-humains », in La représentation dans tous ses états, Mare & Martin, 2018 ; CEDH, Friend and Others c. Royaume-Uni, 24 nov. 2009, n° 16072/06 et 27809/08 ; J. Verlhac, RSDA, Le droit associatif animalier : un levier d’expression, 2024.
  • 22 V. CEDH, Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Bukta et autres c. Hongrie, 17 juill. 2007, n° 25691/04, § 36 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54 ; Primov et autres c. Russie, 12 juin 2014, n° 17391/06, § 91-95 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85.
  • 23 V. CEDH, Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Akgöl et Göl c. Turquie, 17 mai 2011, n° 28495/06 et 28516/06, § 43-44 ; Primov et autres c. Russie, 12 juin 2014, n° 17391/06, § 133.
  • 24 V. CEDH, Kudrevičius et autres c. Lituanie, 15 oct. 2015, n° 37553/05, § 146 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54 ; CE, ord. réf., 5 janv. 2007, n° 300311, Ministre d’État, ministre de l’Intérieur c/ Association “Solidarité des Français”.
  • 25 Cass. crim., 14 juin 2022, n° 21-86.932 : la Cour rappelle qu’aucune disposition n’incrimine en soi la simple participation à une manifestation non déclarée, en l’absence de trouble à l’ordre public.
  • 26 V. CEDH, Aliyev c. Azerbaïdjan, 20 sept. 2018, n° 68762/14 et 71200/14, § 211 ; Dink c. Turquie, 14 sept. 2010, n° 2668/07, § 137 ; Stoll c. Suisse, 10 déc. 2007, n° 69698/01, § 164 ; F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, n° 282 ; S. Hennette-Vauchez, La vulnérabilité saisie par les juges en droits européens, LGDJ, 2014, p. 220.
  • 27 V. L. Boisseau-Sowinski, Droit de la condition animale, LGDJ, 2022 ; F. Burgat, Une autre existence. La condition animale, Albin Michel, 2012 ; CEDH, Friend and Others c. Royaume-Uni, 24 nov. 2009, n° 16072/06 et 27809/08 ; C. Vincent, « La cause animale peine à trouver sa place dans le débat public », Le Monde, 18 avr. 2018.
  • 28 Ce chilling effect a été documenté dans le cadre de la réflexion sur « l’impact et le rôle des associations dans la protection animale », en soulignant que « ce sont ceux qui défendent ceux qui ne peuvent se défendre qui se trouvent criminalisés » (J. Verlhac, Jurisassociations, 2021)
  • 29 V. CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 déc. 1976, n° 5493/72, § 48 ; Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 66 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; J.-P. Marguénaud et E. Deleury, Les libertés publiques et les droits fondamentaux, Ellipses, 2013 ; S. Hennette-Vauchez, Le corps, le droit, la démocratie, LGDJ, 2016 ; B. Frydman, « La proportionnalité dans les droits européens », REIJ, 2011 ; J. Ringelheim, Diversité culturelle et droits de l’homme, Bruylant, 2006.
  • 30 V. CEDH, Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; Dink c. Turquie, 14 sept. 2010, n° 2668/07, § 137 ; C. Lefort, L’invention démocratique, Fayard, 1981 ; J. Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006 ; M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF, 1986.
  • 31 V. CEDH, Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juill. 1998, n° 26695/95, § 47-48 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 97 ; Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 68 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54.
  • 32 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 91-92 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006 ; S. Hennette-Vauchez, « Liberté de réunion et démocratie », in Démocraties sous tension, Dalloz, 2018 ; A. Schiavone, Le droit au futur, EHESS, 2019.
  • 33 CEDH, Plattform Ärzte für das Leben c. Autriche, 21 juin 1988, req. n° 10126/82. Le rôle de l’État ne se limite pas à ne pas entraver, mais inclut une responsabilité active de garantir l’expression de positions minoritaires — en parfaite cohérence avec le message fondamental de Bogay.
  • 34 CEDH, Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, req. n° 76204/11 : articulation de l’article 10 et 11 comme socle indissociable du débat démocratique.
  • 35 V. CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 déc. 1976, n° 5493/72, § 49 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; Animal Defenders International c. Royaume-Uni, 22 avr. 2013, n° 48876/08 ; J.S. Mill, De la liberté, 1859 ; J. Rancière, La mésentente, Galilée, 1995 ; F. Burgat, L’humanité carnivore, Seuil, 2017.
  • 36 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 92 ; Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06 ; J. Habermas, Droit et démocratie, t. II, Gallimard, 1997 ; N. Fraser, Repenser l’espace public, in Qu’est-ce que la justice sociale ?, La Découverte, 2005 ; J. Rancière, La mésentente, Galilée, 1995.
  • 37 V. par ex. :
  • 38 – Wild Animals in Travelling Circuses (Scotland) Act 2018, interdisant l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques itinérants en Écosse. – Wild Animals in Circuses Act 2019 (Angleterre), prohibant l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques à compter de janvier 2020. – Wild Animals and Circuses (Wales) Act 2020, interdisant l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques itinérants au Pays de Galles. – Massachusetts Bill S.2189, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, interdisant l’utilisation de certaines espèces d’animaux sauvages dans les spectacles itinérants. – SB 547/HB 379 (Maryland, 2024), interdisant l’utilisation d’éléphants, de grands félins, d’ours et de primates non humains dans les spectacles itinérants. Une logique semblable irrigue déjà la lecture critique de la loi Dombreval, dans laquelle l’association est décrite comme « enrôlée au soutien d’une cause juste, mais hors procédure, hors autorisation, hors reconnaissance préalable » (J. Verlhac, conférence, L’enrôlement des associations par la Loi Dombreval, 2022)
  • 39 CEDH, Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, req. n° 29221/95, qui étend cette tolérance, introduite par l’arrêt Ezelin, à des expressions dissensuelles fortement minoritaires, dès lors qu’elles restent pacifiques.
  • 40 V. CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 68 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 97 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Animal Defenders International c. Royaume-Uni, 22 avr. 2013, n° 48876/08, § 108 ; J. Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1987, p. 383 ; J. Rancière, La mésentente, Galilée, 1995, p. 42 ; C. Demay, « Le droit face à la désobéissance civile : quelle catégorisation pour un “objet juridique indéterminé” ? », Ex/Ante, 2023, n° 1, p. 76.
  • 41 J. Verlhac, RSDA, L’enrôlement des associations par la loi Dombreval, 2022. Les associations sont mobilisées en dehors des procédures traditionnelles pour porter des causes « émergentes », comme la condition animale — exactement ce que fait le collectif dans Bogay. La jurisprudence européenne rejoint une dynamique déjà observée dans le droit interne français, où l’État utilise les associations comme vecteurs de transformation législative — même (et surtout) lorsqu’elles s’inscrivent dans des formes atypiques ou critiques.
  • 42 V. J. Habermas, Droit et démocratie, t. II, Gallimard, 1997 ; C. Mouffe, Agonistique. Penser politiquement le monde, La Découverte, 2016 ; J. Rawls, Libéralisme politique, PUF, 1995 ; O. Nay, La délibération, Presses de Sciences Po, 2018.
  • 43 V. N. Rouland, Anthropologie juridique, PUF, 1991 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; M. Miaille, Introduction critique au droit, Maspero, 1976 ; É. Le Roy, Le jeu des lois, LGDJ, 1999 ; C. Didry, Le droit saisi par la sociologie, Dalloz, 2002.
  • 44 Cette agency a notamment été repérée dans la jurisprudence récente relative aux actions menées « au nom des sans voix », où les associations « donnent de la voix à ceux qui n’en ont pas » (J. Verlhac, Chronique de droit animalier associatif, RSDA, juin 2024) 
  • 45 V. É. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, PUF, 1895 ; P. Bourdieu, Sur l’État, Seuil, 2012 ; M. Foucault, Il faut défendre la société, Gallimard/Seuil, 1997 ; S.F. Moore, Law as Process, Routledge, 1978 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010.
  • 46 V. CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 68 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 97 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Animal Defenders International c. Royaume-Uni, 22 avr. 2013, n° 48876/08, § 108 ; Communauté genevoise d’action syndicale c. Suisse, 15 mars 2022, n° 21881/20 ; CE, ord., 5 janv. 2007, Association Solidarité des Français, n° 300311 ; CE, ord., 9 janv. 2014, Ministre de l’Intérieur c. Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508 ; TA Montpellier, 14 févr. 2025, n° 2501160.
  • 47 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 91-92 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; E. Morin, La Méthode 5. L’humanité de l’humanité, Seuil, 2001 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010.
  • 48 V. CEDH, Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, § 52-54 ; Primov et autres c. Russie, 12 juin 2014, n° 17391/06, § 133 ; C. Demay, « Le droit face à la désobéissance civile », Ex/Ante, 2023, n° 1, p. 76 ; J. Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1987, p. 383.
  • 49 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, § 91-92 ; Zhechev c. Bulgarie, 21 juin 2007, n° 57045/00 ; A. Touraine, La voix et le regard, Seuil, 1978 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; C. Didry, Le droit saisi par la sociologie, Dalloz, 2002 ; L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification, Gallimard, 1991.
 

RSDA 1-2025

Actualité juridique : Jurisprudence

Droit criminel

Les dents de la mer par le droit pénal (Cass. Crim., 1er avril 2025, pourvoi n° 23-85.211)

Mots clés : mammifère marin – chasse audiovisuelle – attaque de requin – blessures involontaires – faute caractérisée

 

1 L’affaire. Au cinéma, lorsqu’un requin croque un baigneur, une équipe de héros et d’antihéros, qui subira quelques pertes tragiques, dont au moins un sacrifié, mènera une expédition punitive mouvementée contre le monstre marin. Souvent, il faudra s’y reprendre à plusieurs fois tellement la bête aime la vie, surtout celle de l’homme, et quand bien même elle serait tuée elle trouvera le moyen d’être ressuscitée sinon d’être vengée par sa descendance encore plus cruelle. Une justice privée en somme, parodie hollywoodienne des procès contre les animaux dont on peut trouver quelques traces dans les archives historiques. Pour le droit pénal contemporain, plus civilisé, c’est « l’animal qui cache l’homme ». L’animal n’est pas (ou n’est plus) pénalement responsable de ses actes dès lors qu’il est dépourvu de discernement et d’intention criminelle, principes modernes propres à la personne qui pour cette raison est seule titulaire de la personnalité juridique et alors responsable (principes tout autant applicables à la personne physique organe ou représentant de la personne morale engageant à ce titre sa responsabilité). En d’autres termes, on reproche une faute humaine à l’origine de l’agression animale, constitutive d’une infraction pénale si toutes les conditions sont réunies. En l’espèce, une femme a été attaquée par un requin alors qu’elle participait à une sortie en mer dans le but d’observer les baleines. Deux fautes sont reprochées à l’organisatrice guide de plongée : l’infraction de chasse audiovisuelle de mammifère marin non autorisée sanctionnée par le Code de l’environnement de la Polynésie Française (I) et le délit de blessures involontaires puni par le Code pénal (II).

 

I – La chasse audiovisuelle de mammifère marin

2 La chasse audiovisuelle générale. Certaines chasses sont beaucoup moins sanglantes que d’autres. Elles n’en restent pas moins une atteinte aux espèces animales. Tel est le cas de la chasse audiovisuelle sanctionnée d’une contravention de la 3e classe (450 € d’amende) par l’article R. 415-2 du Code de l’environnement. Marque de fabrique du droit pénal spécial de l’environnement, le texte incrimine par la technique du renvoi, la méconnaissance de la réglementation prévue ailleurs, en l’occurrence aux articles R. 411-19 à R. 411-21 du même code, réglementation relative aux prises de vues ou de son. La chasse photographique peut être réglementée, soit dans le périmètre des cœurs des parcs nationaux, des réserves naturelles et des réserves nationales de chasse, soit en ce qui concerne les espèces protégées au titre de l’article L. 411-1, pendant les périodes ou dans les circonstances où ces espèces sont particulièrement vulnérables, sur tout ou partie du territoire national, y compris le domaine public maritime et les eaux territoriales (art. R. 411-19). La réglementation peut comporter par espèces d’animaux, d’une part, l’interdiction absolue de la prise de vues ou de son pendant les périodes ou dans les circonstances où ces espèces non domestiques sont particulièrement vulnérables (art. R. 411-20, I, 1°), d’autre part, l’interdiction de procédés de recherche ou de l’usage d’engins, instruments ou matériels pour la prise de vues ou de son, de nature à nuire à la survie de ces animaux (art. R. 411-20, I, 2°). Toutefois, des dérogations peuvent être accordées, par autorisation spéciale et individuelle, dans l’intérêt de la recherche ou de l’information scientifiques (art. R. 411-20, II).

À l’instar de toute contravention, l’article R. 415-2 du Code de l’environnement est en principe une infraction matérielle, c’est-à-dire que la constatation des faits suffit à la caractériser. Cela ne signifie pas que l’intention n’existe pas, au contraire, mais elle est présumée. A priori, il s’agit d’une infraction formelle, c’est-à-dire que la loi pénale sanctionne l’observation audiovisuelle de l’espèce animale indépendamment de la réalisation d’un résultat, car à elle seule elle est considérée comme suffisamment dangereuse. L’infraction est préventive. Mais si la prise de photographie ou de son a des conséquences néfastes sur l’espèce animale, il faudra préférer l’article R. 415-1 1° du Code de l’environnement qui sanctionne d’une peine d’amende prévue pour les contraventions de la 4e classe (750 € d’amende), le fait de perturber de manière intentionnelle des espèces animales non domestiques protégées au titre de l’article L. 411-1. Cette contravention, en revanche, est une infraction de résultat, lequel est obligatoire pour la qualifier. Ainsi, un cinéaste amateur a été condamné pour perturbation intentionnelle d’espèce protégée, car il avait filmé la nidification du seul couple de gypaètes barbus présents dans le département de la Haute-Garonne, en reconnaissant avoir gravement porté atteinte à deux tentatives de reproductions. Les oiseaux s’étant envolés, l’œuf resta sans protection pendant plus d’une heure. Après l’éclosion, le poussin n’avait pas survécu. De plus, le dérangement provoqua l’abandon du site de nidification occupé depuis 1997 (TI Saint-Gaudens, 6 mars 2008, n° 37/20008). La certitude du lien de causalité entre le comportement reproché et la perturbation du milieu de l’espèce protégée est établie en l’absence d’autre évènement de nature à provoquer l’éloignement des oiseaux observé à la suite d’une battue prohibée dans une zone de nidification (Pau, 11 juin 2015, n° 14/00253). Très récemment, une société de production de films a été condamnée, au titre du délit de l’article L. 415-3, 1, a, du Code de l’environnement, à une amende de 50 000 € pour la destruction de 520 œufs de flamants roses de Camargue et à une amende de 2 000 € pour la perturbation volontaire de cette espèce. Lors du tournage du film « Donne-moi des ailes » de Nicolas Vanier, deux ULM avaient survolé à basse altitude 8 000 flamants roses en pleine période de couvaison, qui effrayés, s’étaient envolés en détruisant leurs nids dans la panique et en abandonnant les œufs, soit 11,5 % de la reproduction annuelle en France de cette espèce (T. corr. Nîmes, 11 avr. 2025).

Trois principes sont en jeu. Deux principes du droit pénal spécial de l’environnement fondent la contravention tandis que le troisième est propre à la responsabilité pénale. Selon le premier, à l’extérieur des zones protégées, seules les espèces animales inscrites sur une liste, établie par arrêté, peuvent être protégées (art. R. 411-1, C. Env.). La protection des espèces animales sauvages dépend donc de leur identification sur une liste d’espèces protégées, en conséquence de quoi, les autres ne peuvent l’être et sont exclues du champ d’application des dispositions pénales 1, quand bien même elles seraient protégées par le droit de l’Union européenne ou classées sur liste rouge de l’UICN dont la portée juridique est nulle. En vertu du second principe, les différents actes énumérés et normalement interdits ne sont effectivement prohibés que s’ils sont prévus dans l’arrêté ministériel désignant l’espèce comme protégée. Cet arrêté ministériel doit préciser la nature et la durée des infractions, ainsi que les parties du territoire et les périodes de l’année où elles s’appliquent (art. R. 411-3). Ici, le principe de légalité des délits et des peines est soumis à l’arrêté ministériel. Autrement dit, les infractions du Code de l’environnement restent une coquille vide si l’arrêté désignant l’espèce protégée s’abstient de préciser les actes interdits prévus par le Code de l’environnement. Dès lors, l’espèce animale protégée ne peut bénéficier de l’interdiction de la chasse audiovisuelle que si celle-ci est reprise par l’arrêté ministériel de protection de l’espèce en question. Enfin, l’autorisation individuelle, obtenue de l’autorité compétente, d’enfreindre les interdictions constitue un fait justificatif ayant un effet exonératoire de la responsabilité pénale de l’auteur de l’infraction, conformément à la règle de l’article 122-4 du Code pénal. Toutefois, les conditions de l’autorisation doivent être respectées par son bénéficiaire pour qu’elle soit considérée comme fait justificatif, l’arrêt commenté en est une nouvelle illustration.

3 La chasse audiovisuelle spéciale. Afin de mieux les protéger contre les activités touristiques nuisibles à leur bien-être et au développement de l’espèce, la chasse audiovisuelle des mammifères marins fait l’objet d’une réglementation spéciale hors métropole 2. L’arrêt de la Cour d’appel de Papeete en date du 17 août 2023 a déclaré la prévenue coupable, sur le fondement des articles 2212-1 et 2213-1 du Code de l’environnement de la Polynésie Française, d’avoir exercé à titre lucratif une activité d’approche et d’observation des baleines, espèces protégées reconnues vulnérables ou en danger par le même code, sans être titulaire de l’autorisation requise pour le navire utilisé (infractions prévues par les articles 2300-2 et 2300-3 du même code). Dans son pourvoi, la prévenue faisait valoir que l’autorisation accordée de l’exercice de son activité expirait le 30 décembre 2019, celle-ci était alors en cours de validité au jour des faits le 21 octobre 2019. La question était de savoir si la validité de l’autorisation dépendait de la date d’expiration de l’exercice de l’activité (argument du pourvoi) ou de la date d’expiration du permis de navigation du navire utilisé pour l’activité (argument des juges). La Cour de cassation constate que l’arrêté du ministre de la Culture et de l’Environnement du 27 juin 2019 autorisant la société employeur de la prévenue à exercer une activité d’approche des baleines et autres mammifères marins liait expressément cette autorisation à la validité du permis de navigation du navire utilisé pour ladite activité. Or, ce permis, valide jusqu’au 23 août 2019, n’a été prorogé qu’à compter du 22 octobre 2019 alors que l’accident est survenu la veille. La Cour de cassation donne raison aux juges du fond ayant déduit que l’autorisation d’observation et d’approche des mammifères marins délivrée à la prévenue n’était pas en vigueur le jour des faits dès lors que le permis de navigation du navire, auquel l’autorisation était subordonnée, avait expiré. En d’autres termes, l’expiration du permis de navigation utilisé pour l’activité rendait caduque l’autorisation de l’exercice de l’activité. L’autorisation n’étant plus en cours de validité, la prévenue ne pouvait bénéficier du fait justificatif de l’autorisation de la loi.

 

II – Les blessures involontaires causées par l’attaque du requin

4 Distinction des fautes. L’agression d’une personne par un animal qui lui cause un dommage peut être sanctionnée au titre des atteintes non intentionnelles à l’intégrité physique, car elle résulte d’une faute commise par une autre personne. Depuis la loi n° 2008-582 du 20 juin 2008 sur la prévention et la protection contre les chiens dangereux, il faut désormais distinguer les atteintes non intentionnelles en fonction de l’animal impliqué. Lorsque le dommage enduré par la victime est le fait d’un chien, des infractions spéciales s’appliquent. Lorsque le dommage est causé par tout autre animal, on reste sur le terrain des atteintes de droit commun. L’attaque d’un requin entre donc dans la catégorie des atteintes générales.

Pour bien comprendre la faute non intentionnelle, il est important de distinguer préalablement l’infraction intentionnelle et l’infraction non intentionnelle. Dans le cas de l’infraction intentionnelle, l’auteur manifeste une certaine intention de commettre l’acte afin d’atteindre les conséquences de cet acte. Dans le cas de l’infraction non intentionnelle, il est reproché à l’auteur de l’acte d’avoir fait preuve d’un comportement imprudent, d’une attitude négligente, laquelle s’est révélée dommageable. « La non-intention c’est, en quelque sorte, la non-attention » 3. On ne se focalise plus sur l’élément intentionnel à proprement parler, on se préoccupe davantage des conséquences dommageables survenues à la suite de négligences. Dans cette hypothèse, l’auteur est plus ou moins conscient d’adopter un comportement imprudent mais, en aucune façon, il n’a voulu atteindre ou aboutir à des conséquences dommageables. En définitive, un manque de précaution aboutit à un résultat non voulu.

La responsabilité pénale pour une infraction non intentionnelle nécessite de raisonner à rebours de la responsabilité pénale pour une faute intentionnelle. En cas d’infraction intentionnelle, il faut, d’abord, caractériser l’existence de l’infraction afin de pouvoir, ensuite, en faire assumer la responsabilité à son auteur. Pour qu’il y ait infraction, il faut démontrer que les trois éléments constitutifs de celle-ci sont réunis, que sont l’élément légal (l’existence d’un texte), l’élément matériel (l’acte incriminé) et l’élément moral (l’intention). On raisonne à partir de l’acte infractionnel, on caractérise l’infraction qui trouble la paix sociale (résultat) et, sur ce fondement, est engagée la responsabilité pénale de l’auteur. En cas d’infraction non intentionnelle, on emprunte le chemin inverse. À la suite d’un dommage, il faut chercher à comprendre comment en est-on arrivé là. Il faut en quelque sorte remonter dans le temps afin de déterminer quelle initiative malencontreuse, quelle négligence ou imprudence est à l’origine de la survenance du dommage. On raisonne à partir du dommage, on part du dommage, donc du résultat, pour en rechercher la cause (ou les causes) initiale(s). Cette cause correspond à une imprudence plus ou moins avérée qu’il va falloir caractériser. Il s’agit de la faute pénale. Ainsi, une faute pénale, qui se manifeste par un comportement imprudent, causant un dommage, caractérise l’infraction non intentionnelle. Une infraction non intentionnelle est nécessairement une infraction matérielle, elle ne se constitue que si elle cause un dommage.

Toute la difficulté de la faute non intentionnelle est la variété des formes qu’elle peut prendre. L’article 121-3 alinéa 3 concerne la faute simple. La responsabilité de l’auteur est retenue s’il n’a pas accompli les diligences normales de sécurité ou de prudence. Il s’est comporté de manière imprudente. L’article 121-3 alinéa 4 consacre la faute qualifiée. Introduite par la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, cette nouvelle forme envisage la responsabilité de la personne dont l’action ou l’inaction est à l’origine du dommage. Il faut remonter encore plus loin la chaîne causale. Mais la faute qualifiée se décompose à son tour en deux variantes : la faute délibérée et la faute caractérisée.

5 Causalité indirecte. L’alinéa 3 de l’article 121-3 vise l’hypothèse de la responsabilité de l’auteur direct de l’infraction : on parle alors de causalité directe. L’alinéa 4 est consacré à la responsabilité de l’auteur indirect de l’infraction : il s’agit de la causalité indirecte. Cette distinction signifie que la faute simple vise la mise en œuvre de la responsabilité de l’auteur direct du dommage, à la différence de la faute qualifiée (délibérée ou caractérisée) qui ne peut être démontrée que pour mettre en cause l’auteur indirect du dommage. Partant, n’est pas punissable celui qui, par l’effet d’une faute simple, a causé indirectement un dommage.

On comprend alors qu’il faut, dans un premier temps, déterminer le lien de causalité existant entre l’auteur et le dommage pour déterminer, dans un second temps, le degré de la faute. Si l’auteur des faits a causé directement le dommage, une faute simple suffit pour retenir sa culpabilité. Si l’auteur des faits a causé indirectement le dommage, une faute qualifiée doit être démontrée pour établir sa culpabilité. Ainsi, plus le lien de causalité est éloigné entre la faute et le dommage, plus grave est la faute reprochée. On peut y voir une sorte de compensation, la doctrine parle parfois de proportionnalité : un lien de causalité proche, direct, entre la faute et le dommage se satisfait d’une faute simple ; un lien de causalité éloigné, indirect, entre la faute et le dommage doit être compensé par la gravité de la faute.

En l’espèce, la détermination du lien de causalité ne pose aucune difficulté, la guide est nécessairement auteur indirect de l’agression du requin envers la victime. Il s’agit de l’approche positive de la causalité indirecte, en ce que la guide a créé ou a contribué à créer la situation à l’origine du dommage en organisant la mise à l’eau durant laquelle la victime a été attaquée alors que la présence du requin avait été signalée. Partant, une faute grave est requise, celle-ci devra être délibérée ou caractérisée. 

6 Exclusion de la faute délibérée. La faute délibérée est définie par l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal comme « la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ». La faute délibérée est « au sommet de la hiérarchie des fautes » 4 non intentionnelles. En effet, le caractère de la violation, « manifestement délibérée », traduit la volonté indéniable de transgresser l’obligation de sécurité ou de prudence. Il y a une volonté délibérée de violer la loi, comme une infraction intentionnelle, sans pour autant être dans une infraction intentionnelle, car le résultat, lui, n’est pas voulu. On peut ainsi parler d’une « imprudence consciente » ou d’une « faute consciente », à la différence de la faute simple qui est une « faute inconsciente » ou une « imprudence consciente ». Surtout, la nature de l’obligation violée est double. Il faut non seulement une « obligation de prudence ou de sécurité », mais aussi une « obligation particulière […] prévue par une loi ou un règlement ». Il ne s’agit donc pas d’une obligation générale comme dans le cas de la faute simple, au contraire, il s’agit d’une obligation précisément visée par un texte. Cette condition faisant défaut en l’espèce, la faute délibérée sera rapidement écartée au profit de la faute caractérisée.

7 Admission de la faute caractérisée. Contrairement aux dispositions précédentes, le législateur ne fait référence à aucune règle textuelle de sécurité ou de prudence à l’égard de la faute caractérisée. Il n’est plus question de transgression d’une quelconque règle de sécurité préétablie. La situation visée est beaucoup plus générale que la faute simple ou que la faute délibérée. L’auteur va commettre une imprudence grossière, adopter un comportement inadmissible pour un homme normalement raisonnable.

Selon les dispositions de l’article 121-3 alinéa 4 du Code pénal, l’auteur doit exposer autrui à un risque d’une particulière gravité. Il doit s’agir d’une faute dont l’imprudence est particulièrement marquée, au point de recouvrir un degré de gravité certain, pour ne pas dire évident. La situation dans laquelle l’auteur place autrui est objectivement dangereuse. La faute grossière va déboucher sur des conséquences dramatiques que l’auteur ne souhaitait pas atteindre pour autant. La portée de ce risque est le plus souvent mesurée au niveau du dommage enduré par la victime (blessures involontaires ou pire homicide involontaire). L’essentiel étant que la nature de la faute commise permette de rendre le dommage prévisible. L’arrêt commenté s’abstient de préciser l’ampleur des blessures. Pour autant, il est évident que la présence du requin à proximité exposait les plongeurs à un risque d’attaque et de blessures graves.

L’exposition au risque ne suffit pas, l’auteur ne doit pas pouvoir ignorer le risque encouru. Vu le niveau d’imprudence, l’auteur ne peut se retrancher derrière le fait qu’il ignorait le risque qu’il faisait courir à la victime. Il en avait nécessairement conscience parce que ce risque grave était prévisible au moment des faits. Le critère de la prévisibilité doit systématiquement être prouvé même si la survenance du préjudice était évidente. Ainsi, ce qu’on reproche à l’auteur, c’est d’avoir provoqué une telle situation et de n’avoir rien fait pour l’éviter ou d’avoir agi à contretemps. Il appartient au juge pénal de qualifier juridiquement les faits et de s’assurer qu’ils rentrent bien dans les prescriptions législatives. La Cour de cassation se montre vigilante sur ce point, sachant que c’est une question de pur fait qu’elle ne peut elle-même apprécier en sa qualité de juge du droit.

Les juges du fond ont conclu qu’en décidant sans précaution particulière, en présence d’un requin à proximité, d’une troisième mise à l’eau, la prévenue a exposé la victime à un risque d’une particulière gravité qu’elle ne pouvait ignorer. Dans son pourvoi, la prévenue prétendait que, pour constater la faute caractérisée, les juges avaient retenu « surtout », selon ses termes, son manque de précaution lors de la troisième sortie des participants qu’elle a décidée malgré la présence du requin. Elle estimait qu’ils n’avaient pas, dans ces conditions, suffisamment démontré en quoi elle avait commis une faute caractérisée. La Cour de cassation n’est pas de cet avis. Elle constate que l’arrêt précise que tous les participants à la sortie en mer ont remarqué, dès après la première mise à l’eau, la présence à proximité d’un requin, que l’un d’eux, inquiet, a interpellé la guide, qui lui a répondu que ce requin ne mordait pas. En outre, les juges relèvent qu’aucune consigne de sécurité n’a été donnée par la guide avant les mises à l’eau ayant suivi alors que la présence du requin était connue par celle-ci. Ils ajoutent que du fait de son expérience, elle savait que l’espèce de requin parata était capable d’attaques imprévisibles. Ainsi, la Cour de cassation estime que les juges ont parfaitement établi l’existence d’une faute caractérisée dont la guide de plongée était responsable. En droit pénal, le plus dangereux n’est pas le requin qui défend son territoire mais le guide qui n’hésite pas à y faire pénétrer des amateurs pour les divertir.

 

Brèves animalières

Mots clés : constatation et recherche des infractions – mesure de protection des animaux –perquisition et visite – établissements itinérants – loi Grammont

Les dispositions de la loi Grammont ne sauraient donner lieu à un principe fondamental reconnu par les lois de la République (Cons. Const. 14 fév. 2025, n° 2024-1121 QPC ; Dalloz Actualité, 21 fév. 2025, H. Kassoul ; Dr. pénal, 2025, comm. 68, J.-H. Robert ; Dr. rural, 2025, alerte 17, L. Daydie ; Gaz. Pal., 8 avril 2025, jurisprudence, p. 25, Q. Le Pluard) : Issus de la loi du 30 novembre 2021 relative à la lutte contre la maltraitance animale, les articles L. 413-10 et L. 413-11 du Code de l’environnement interdisent la détention et représentation des animaux non domestiques au sein d’établissements itinérants. L’association requérante reprochait à ces dispositions un traitement inégalitaire en excluant les établissements fixes, soumis à la réglementation des parcs zoologiques. Elle reprochait ainsi à la loi d’avoir instauré une différence de traitement injustifiée entre les animaux alors qu’ils sont tous exposés aux mêmes souffrances causées par leurs captivités et exploitation. Elle a notamment demandé au Conseil constitutionnel de reconnaître les dispositions de la loi Grammont du 2 juillet 1850 comme principe fondamental. Selon ladite loi, il est interdit d’exercer publiquement, et sans nécessité, des mauvais traitements envers des animaux domestiques. Le Conseil estime que les dispositions de la loi Grammont n’ont eu ni pour objet ni pour effet de consacrer un principe applicable à tous les animaux, elles ne pouvaient alors donner naissance à un PFRLR.

Le JLD n’est pas compétent pour autoriser une perquisition sans requête préalable du procureur de la République (Cass. Civ 3e, 5 juin 2025, pourvoi n° 23-11.500 ; Dalloz Actualité, 16 juin 2023, P. Dufourq) : Les fonctionnaires et agents habilités à rechercher et constater les infractions prévues par le Code l’environnement ne peuvent procéder à la visite ou à la perquisition des domiciles et des locaux comportant des parties à usage d’habitation, à défaut d’assentiment de l’occupant des lieux, qu’en présence d’un officier de police judiciaire et conformément aux règles du Code de procédure pénale (art. 172-5, C. Env.). Celui-ci prévoit que, dans le cadre d’une enquête préliminaire, en principe le consentement du chef de maison est obligatoire pour procéder à une perquisition des lieux. Par exception, si les nécessités de l’enquête l’exigent et qu’elle porte sur un crime ou un délit puni d’une durée égale ou supérieure à trois ans, le juge des libertés et de la détention (JLD) peut, à la requête du procureur de la République, décider par décision écrite et motivée que la perquisition soit effectuée sans le consentement de la personne (art. 76, al. 4, CPP). Par conséquent, le JLD n’était pas compétent pour autoriser à procéder à des perquisitions et saisies au domicile de la prévenue et au sein de l’élevage de chien, sans son assentiment, à la demande des agents de la DDPP.

Pour l’exercice des inspections, des contrôles et des interventions de toute nature qu’implique l’exécution des mesures de protection des animaux, les fonctionnaires et agents habilités à cet effet peuvent solliciter du JLD, dans les formes et conditions prescrites par l’article L. 206-1 du Code rural et de la pêche maritime, l’autorisation d’accéder à des locaux professionnels ou à des locaux comprenant des parties à usage d’habitation, dont l’accès leur a été refusé par l’occupant (art. L. 214-23, I, 5°, Code rural). Il résulte de l’article L. 206-1, I, alinéa 1er que, lorsque l’accès aux locaux est refusé aux agents, ou lorsque ceux-ci comprennent des parties à usage d’habitation, cet accès peut être autorisé par ordonnance du JLD. Dès lors, celui-ci ne pouvait autoriser les agents de la DDPP à procéder à des perquisitions et saisies, mais seulement à accéder aux locaux.

  • 1 La Cour de cassation l’a récemment rappelé à l’égard des civelles (Cass. Crim., 22 mai 2024, pourvoi n° 23-83.463).
  • 2 En outre-mer, un arrêté limite la recherche, l’approche et l’observation des mammifères marins de façon à éviter toute perturbation de ces animaux (Arr. préfect. n° 2010-49/SEF/DAF, 13 juill. 2010, non publié).
  • 3 X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, coll. Cours, 16e éd., 2025, n° 238.
  • 4 A. Darsonville, Droit pénal général, Lefebvre Dalloz, coll. Sirey, 2024, n° 225.
 

RSDA 1-2025

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