Actualité juridique : Jurisprudence

Droit criminel

  • Jacques Leroy
    Professeur émérite
    Université d’Orléans
  • Jérôme Leborne
    Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles
    Université de Toulon

Précisions sur l’étendue des investigations et des infractions à l’encontre de l’exploitant

Mots clés : terrain d’élevage – établissement – bâtiment – agents habilités – visite – retrait d’animaux – entrave aux fonctions

 

1. Contextualisation. Le droit pénal animalier n’est pas un droit homogène. Il a la particularité de se diviser en différents contentieux qui dépendent du rapport de l’homme avec l’animal, de la fonction ou de l’utilité de l’animal pour l’homme plus particulièrement. Le droit pénal animalier est donc un droit pénal de situation. Ainsi, au droit pénal des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, lequel représente le droit pénal général de l’animal (textes du Code pénal et du Code de procédure pénale), s’ajoutent – en vérité, ils se substituent le plus souvent – le droit pénal des animaux de production (élevage, transport et abattage), le droit pénal des animaux d’expérimentation, le droit pénal des animaux de distraction et le droit pénal des animaux sauvages, constituant en eux-mêmes et à eux tous le droit pénal spécial de l’animal (textes du Code rural et de la pêche maritime et du Code de l’environnement). Ce sont les règles de cette protection spéciale de l’animal qui font l’objet principal de cette chronique.

2. Présentation. En effet, pas moins de quatre arrêts, dont trois rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation, évènement suffisamment rare pour être souligné, ont été amenés à se prononcer dans cette première moitié d’année 2024 sur l’étendue des investigations, d’une part, des infractions, d’autres part, à l’encontre d’exploitants, en apportant parfois des précisions bienvenues. Plus exactement, la Cour de cassation s’est penchée à deux reprises sur la qualification d’un terrain d’élevage (I). Une Cour d’appel indique la nature et ses conséquences des pouvoirs dont disposent les agents dans le cadre d’opérations de visite sur un terrain d’élevage (II). Dans son troisième arrêt, la Cour de cassation délimite le champ d’application de l’infraction d’entrave aux fonctions des agents (III).

 

I. La qualification d’un terrain d’élevage 

 

3. Avec ou sans mur ? Actualité politique, sociale et européenne brûlante, la question du statut des terrains d’élevage est remontée jusqu’à la chambre criminelle de la Cour de cassation. Elle devait déterminer si un établissement, d’abord, un bâtiment, ensuite, devaient nécessairement s’entendre comme une construction fermée, ou s’ils pouvaient s’étendre à des terrains d’élevage seulement clôturés, donc à une construction ouverte. En clair : l’établissement et le bâtiment peuvent-ils exister sans mur ? A priori aussi insignifiante qu’évidente, la réponse est plus subtile qu’il n’y paraît et emporte des effets majeurs : en termes de pouvoirs d’investigation, enjeux de la première affaire, en termes d’infractions, enjeux de la seconde. Plus grave encore peut-être, la réponse diffère entre les deux affaires. Il en résulte une distorsion de qualification du terrain d’élevage entre la matière environnementale (A) et la matière rurale (B).

 

A. La qualification d’un terrain d’élevage en matière environnementale

Cass. Crim., 16 janvier 2024, pourvoi n° 22-81.5591

 

4. Contestation des visites. À l’occasion de différents contrôles effectués durant l’année 2019, des agents de l’Agence française de la biodiversité (devenue depuis 2019 l’Office français de la biodiversité)2 ont constaté sur des terres utilisées pour l’élevage que des opérations de girobroyage avaient causé la mort de nombreuses tortues d’Hermann. Condamné le 12 janvier 2022 par la Cour d’appel de Bastia, à deux mois d’emprisonnement avec sursis et 35 000 euros d’amende pour le délit d’espèce animale non domestique protégée (art. L. 415-3, 1°, a, C. Env.), l’agriculteur s’est pourvu en cassation, estimant les visites opérées sur ses terres irrégulières.

5. Qualification de l’établissement (rejetée). En premier lieu, il reproche à l’arrêt de la Cour d’appel de ne pas avoir annulé les procès-verbaux des différentes visites alors que les agents de l’environnement n’avaient pas, préalablement, informé le procureur de la République. Il se fonde sur l’article L. 172-5 du Code de l’environnement duquel les agents de l’environnement tirent leurs pouvoirs de visite et de constatation des infractions sanctionnées par ledit code. La Cour d’appel a admis que, d’après l’alinéa 2 de l’article, les agents de l’environnement « sont tenus d’informer le procureur de la République, qui peut s’y opposer, avant d’accéder » à des lieux à caractère professionnel. Elle a toutefois nuancé cette reconnaissance, en énonçant que la prescription à la charge des agents de l’environnement ne pouvait se lire indépendamment des dispositions de l’alinéa 2, 1°, visant spécifiquement les « établissements, locaux professionnels et installations dans lesquels sont réalisés des activités de production, de fabrication, de transformation, d’utilisation, de conditionnement, de stockage, de dépôt, de transport ou de commercialisation ». C’est pourquoi elle a écarté la demande en nullité du requérant. Il y a donc en réalité deux questions. La première, celle de l’étendue de l’obligation préalable de l’information au procureur de la République, à savoir si elle doit s’appliquer à tout lieu à caractère professionnel ou seulement à ceux susvisés. La seconde, celle de la qualification des terres professionnelles, c’est-à-dire si elles doivent s’entendre comme tout lieu professionnel ou plus spécifiquement comme « un établissement, un local professionnel ou une installation ». La lecture « par élimination » des juges est validée par la Cour de cassation. Interprétant strictement le texte, elle énonce que les dispositions litigieuses « s’étendent non à tout lieu à usage professionnel, mais seulement à ceux [précités] ». Autrement dit, l’obligation d’informer préalablement le procureur n’est pas générale mais spéciale, et la liste des lieux professionnels protégés est exhaustive. Partant, les terres, mêmes utilisées professionnellement, étant exclues des prévisions légales, l’obligation d’informer le procureur avant d’y accéder ne trouvait pas à s’appliquer. Il faut comprendre que des terres ne deviennent pas pour autant un établissement, ou un local professionnel, ou une installation, parce qu’elles sont clôturées et utilisées pour l’élevage. En définitive, un terrain d’élevage clôturé ne constitue pas, en soi, un établissement (ni un local professionnel ni une installation) et la Cour de cassation refuse de l’assimiler comme tel. La construction fermée, en l’occurrence l’absence de construction fermée donc d’un bâtiment, apparaît déterminante. « Un établissement, ça se bâtit », pourrait-on dire. En revanche, lorsqu’un tel établissement existe, le non-respect de la formalité d’information préalable du procureur est dès lors sanctionné d’une nullité d’ordre public3.

6. Qualification de domicile (rejetée). Jouant, en second lieu, sur le fait que son exploitation était entièrement close et raccordée à l’eau, l’agriculteur attribue à ses terres la qualification de domicile afin de bénéficier du régime juridique qui en découle. Aux termes de l’article L. 172-5, alinéa 3, du Code de l’environnent, les agents de l’environnement ne pouvaient visiter les terres en tant que domicile (sachant qu’elles ne peuvent s’entendre comme un « local comportant des parties à usage d’habitation » selon le raisonnement précédent) qu’ « avec l’assentiment de l’occupant ou, à défaut, en présence d’un officier de police judiciaire ». Il faut donc définir en amont le domicile pour dire si oui ou non la protection de l’alinéa 3 s’applique aux faits de l’espèce. À la différence du droit civil où il constitue un élément de la personnalité juridique (lieu du principal établissement), en droit pénal le domicile est plus largement le lieu où la personne peut se dire chez elle, peu importe qu’elle y habite ou non, peu importe le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux. La chambre criminelle l'a ensuite élargi à un « lieu normalement clos ». Aujourd’hui, une jurisprudence constante considère que l'habitabilité du lieu clos permet de caractériser le domicile, peu importe que l'habitation du lieu soit permanente, temporaire ou épisodique. « Un domicile, ça s’y habite », dirait-on ici. Or, la clôture et le raccordement à l’eau ne suffisent pas à faire des terres agricoles un lieu habitable, proclame la Cour de cassation. Effectivement, jusqu’à preuve du contraire, on ne peut habiter un terrain dépourvu de toutes installations élémentaires pour y vivre. La qualification du domicile écartée, les agents n’étaient encore pas soumis aux obligations de l’article L. 172-5. Cet échec était aisément prévisible. La Cour de cassation avait déjà prononcé en droit pénal de l’environnement des solutions similaires pour la cabane de chasseur4 ou le véhicule du braconnier5. Il faut se féliciter de ce tableau jurisprudentiel qui se dessine et s’étoffe en procédure pénale environnementale à l’aune des règles de droit commun. On tend de cette façon vers des notions « transpénales ». Ce respect des principes et des règles généraux est la garantie d’une sécurité et d’une cohérence juridiques, manquant cruellement au droit pénal animalier. La preuve en est du deuxième arrêt rendu en matière rurale.

 

B. La qualification d’un terrain d’élevage en matière rurale

Cass. Crim., 23 avril 2024, pourvoi n° 23-83.604

 

7. Contestation des infractions d’implantation. Un exploitant agricole est poursuivi pour plusieurs contraventions liées à l’élevage de cochons gascons qu’il pratique sur un terrain clôturé appartenant à la commune. Après avoir bénéficié d’une relaxe partielle devant les juges du premier degré, il est reconnu coupable par ceux du second de violations d’un règlement sanitaire départemental et d’un arrêté municipal, d’avoir implanté un élevage porcin à moins de 100 mètres des habitations, en premier lieu, à moins de 35 mètres d’un cours d’eau, en second lieu. L’arrêt en date du 16 mai 2023 de la Cour d’appel de Colmar le condamne à deux amendes de 200 euros chacune, trois amendes de 150 euros chacune, deux amendes de 100 euros chacune, un an d’interdiction de détenir certains animaux et une confiscation de ces derniers. Espérant faire annuler sa condamnation, l’éleveur de cochons forme un pourvoi en cassation. Son premier moyen met en exergue que l’interdiction de l’article 153.4 du Règlement Sanitaire Départemental du Haut-Rhin d’implanter des élevages porcins à lisier à moins de 100 mètres des immeubles habités, concerne exclusivement les règles générales d’implantation « des bâtiments renfermant des animaux ». Dans la même veine, le second moyen argue que l’interdiction de l’article 153.2 du Règlement Sanitaire Départemental du Haut Rhin d’implanter un élevage à moins de 35 mètres d’un cours d’eau, vise « les bâtiments renfermant des animaux à demeure ou en transit ». En somme, les deux textes qui ont servi de fondement à sa condamnation concernent spécialement un « bâtiment ». Un élevage en plein air équipé d’une clôture constitue-t-il un bâtiment ?

8. Qualification de bâtiment (retenue). Puisque la Cour de cassation venait de considérer quelques semaines auparavant qu’un terrain professionnel ne se confond pas avec un établissement, on pouvait raisonnablement penser qu’elle estime qu’un terrain d’élevage ne peut constituer un bâtiment. Au fond, la situation est exactement la même : un élevage en plein air, une clôture, pas de construction fermée, pas de bâtiment. Rien ne semble devoir justifier une différence de traitement. Pourtant, les Hauts magistrats ne sont pas de cet avis. Ils valident la motivation des juges selon laquelle « si, dans son sens courant, la notion de bâtiment évoque plutôt une construction fermée, l’étymologie autorise une définition plus large incluant toute édification, toute installation construite par la main de l’homme, de sorte qu’un site d’élevage en plein air équipé d’une clôture ou barrière empêchant les animaux d’en sortir doit être considéré comme un bâtiment renfermant des animaux ». Reprenons. Un bâtiment n’est pas nécessairement une construction fermée, sens courant, car il peut étymologiquement englober toute installation construite par la main de l’homme. Partant, la clôture étant une installation construite par l’homme, l’élevage en plein air équipé d’une clôture constitue un bâtiment. La clôture a pour effet de faire basculer le terrain dans le champ du bâtiment. Elle ne le fait pas basculer, en revanche, dans celui de l’établissement pour en revenir à la première affaire. Il y aurait une différence de nature entre l’établissement et le bâtiment. Si le terrain clôturé ne peut être considéré comme un établissement mais peut l’être en tant que bâtiment, cela suppose que la notion d’établissement soit plus restrictive que celle de bâtiment. L’établissement serait limité à la construction fermée. En somme, l’établissement s’entend comme un bâtiment au sens courant. Mais le bâtiment n’est pas seulement une construction fermée. Plus large, un bâtiment peut s’entendre comme toute construction humaine. En résumé, l’établissement existe avec mur, le bâtiment existe avec ou sans mur. Il ne peut y avoir d’établissement sans bâtiment, mais il peut y avoir un bâtiment sans établissement. On pourrait objecter que dans le langage courant, l’établissement peut également renvoyer à l’action de s’installer, et non pas nécessairement à une construction fermée. Il faut également ajouter que « l’installation » au sens du Code de l’environnement, ne doit pas être confondue avec « toute installation construite par la main de l’homme » constitutive d’un bâtiment selon la formule de la Cour de cassation. On ne comprendrait pas pourquoi sinon le terrain clôturé s’est vu refusé cette qualification dans la première affaire. L’installation version Code de l’environnement, est bien synonyme d’établissement ou de local professionnel, soit une construction fermée, le bâtiment dans un sens courant. Pour assoir leur décision, les juges ajoutent que « l’arrêté du 27 décembre 2013, relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement soumises à déclaration, définit comme “bâtiments d’élevages“ les enclos d’élevage de porcs en plein air ». La Cour de cassation conclut de cette façon : la Cour d’appel « pouvait déterminer la signification des termes dans le règlement sanitaire départemental au regard, notamment, du vocabulaire particulier utilisé dans le domaine technique ou professionnel concerné » sans méconnaître le principe de légalité. Sur ce dernier point, rien n’est moins sûr. Pour sa défense, il faut reconnaître que le droit pénal rural est assez chaotique. L’office du juge pénal est de compenser les malfaçons de la loi, au détriment quelquefois de la logique.

 

II. Les opérations de visite et de retrait d’animaux sur un terrain d’élevage

Cour d’appel de Bordeaux, 8 avril 2024, n° 23/05491 (base de données « jurisprudence » Lefebvre Dalloz).

 

9. Rappels de procédure. En procédure pénale, l’administration de la preuve par l’officier de police judiciaire ou par l’agent de police judiciaire qui le seconde, est subordonnée aux règles de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire sous le contrôle du procureur de la République et aux règles de l’information judiciaire sous la direction d’un juge d’instruction si celle-ci est ouverte. La constatation des infractions dans le cadre d’activités professionnelles est plus délicate encore en raison des caractéristiques des lieux où les faits se produisent, bien souvent des lieux clos et protégés, et de la connaissance nécessaire de la réglementation en vigueur, parfois très technique, que n’ont pas forcément les officiers de police judiciaire déjà surchargés par les délits du quotidien. Pour faire face aux difficultés du terrain, le législateur a créé un régime spécial dans les pages du Code rural, octroyant à certains agents (dont l’article L. 205-1 fixe la liste) le pouvoir de constater les infractions animalières du Code pénal et du Code rural au sein de lieux professionnels. La constatation des infractions par ces agents habilités est d’autant plus intéressante que les procès-verbaux établis par leurs soins font foi jusqu’à preuve contraire6, leur conférant une valeur probante plus étendue que celle des procès-verbaux établis par les officiers de police judiciaire, dont la présomption se limite à la constatation des contraventions7. L’intérêt de ce régime dérogatoire tient dans l’attribution de prérogatives spéciales que les agents et fonctionnaires habilités peuvent exercer au cours de leurs missions d’inspection et de contrôle. L’article L. 214-23 I du Code rural énumère une série de pouvoirs spéciaux notables. L’un d’eux est l’objet de cette affaire.

10. Contestation de l’ordonnance du JLD. Saisi par requête du 10 novembre 2023, le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal judiciaire de Bergerac autorise, par ordonnance du 14 novembre 2023, la Directement Départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP) à pénétrer sur les parcelles louées par deux femmes où 17 équidés sont détenus. Le 16 novembre 2023, la DDETSPP intervient sur les lieux et procède au retrait de 6 d’entre eux en raison de leur état de souffrance constatée due notamment à des mauvais traitements et à des défauts de soins avérés, aux conditions de détention des chevaux inadaptées et au défaut d’alimentation. Le 19 novembre 2023, les locataires font appel de l’ordonnance du JLD et contestent le déroulement des opérations de visite autorisées par ladite ordonnance.

11. Premier argument : l’absence d’opposition. Elles font d’abord valoir qu’elles ne se sont jamais opposées à ce que les agents pénètrent sur leurs parcelles pour procéder aux contrôles et constatations nécessaires, alors qu’un refus des occupants des lieux doit être préalable pour prendre une telle ordonnance. Ce à quoi les juges répondent que, selon l’article L. 214-23, I, 5°, du Code rural et de la pêche maritime, pour l’exercice des inspections, des contrôles et des interventions de toute nature qu’implique l’exécution des mesures de protection des animaux prévues par le même code, les fonctionnaires et agents habilités à cet effet, peuvent solliciter du juge des libertés et de la détention, dans les formes et conditions prescrites par l’article L. 206-1, l’autorisation d’accéder à des locaux professionnels dont l’accès leur a été refusé par l’occupant ou à des locaux comprenant des parties à usage d’habitation, pour y procéder. Il convient effectivement de vérifier l’existence d’un refus d’accès aux parcelles. Or en l’espèce, les juges relèvent que le refus préalable des occupantes des lieux est caractérisé par la position de refus exprimée, et expressément mentionnée sur le procès-verbal d’un premier retrait d’animaux réalisé le 2 mai 2023, en s’opposant à ce que les agents pénètrent sur les parcelles. On pourrait rétorquer à la Cour d’appel qu’un premier refus n’entraîne pas, comme elle le laisse entendre, une « présomption de refus » pour la suite et pour toutes les opérations, d’autant plus que six mois se sont écoulés entre le refus exprimé et la demande d’autorisation au JLD. Si on suivait le texte à la lettre, il faudrait s’assurer avant chaque demande au JLD que le refus des occupants demeure. « Un refus par demande » en quelque sorte. Celui-ci devrait donc être expressément renouvelé, sauf à privilégier l’efficacité comme en l’espèce.

12. Deuxième argument : l’absence de contrôle du JLD. Les requérantes estiment ensuite que la visite ne s’est pas déroulée sous l’autorité et le contrôle du juge comme l’exige l’article L. 206-1 III du Code rural, dont l’indisponibilité durant les opérations de visite et de saisi ne leur ont pas permis de les contester, les privant ainsi de leur droit à un procès équitable et à un recours. L’argument est balayé par la Cour d’appel qui constate que le jour même des opérations de visite, le JLD a rendu une ordonnance rejetant la demande de suspension ou d’arrêt des opérations. Impossible de soutenir dans ces conditions que le juge ne contrôlait pas l’opération et qu’elles furent privées de leur recours.

13. Troisième argument : l’excès de pouvoir du JLD. Elles exposent également que l’ordonnance ne pouvait autoriser l’accès au site que pour exercer des contrôles et non l’accès au site pour des interventions de toute nature. Là encore, l’argument est rejeté sans difficulté. L’article L. 214-23 I dispose expressément que « pour l'exercice des inspections, des contrôles et des interventions de toute nature qu'implique l'exécution des mesures de protection des animaux », les agents habilités peuvent solliciter du JLD l'autorisation d'accéder à des locaux professionnels. Sur le fond, par ailleurs, la Cour d’appel estime l’ordonnance motivée par la nécessité de pénétrer sur les lieux afin de vérifier l’état sanitaire des animaux présents et, le cas échéant, prendre toutes dispositions de protection utiles, ce qui était justifié par les constats réalisés lors de l’inspection du 10 octobre 2023 par les agents de la DDETSPP accompagnés d’un vétérinaire mandaté et de son rapport établi lors de la première opération de retrait par le même vétérinaire, dont les analyses techniques ne sont pas sérieusement contredites par les attestations du vétérinaire sollicité par les appelantes. En effet, déjà, lors de l’inspection réalisée en juillet 2023, ont été constatées notamment, sur plusieurs animaux, des blessures surinfectées, hémorragiques et purulentes, un amaigrissement, un défaut d’alimentation adapté, des parcelles partiellement enherbées et mal entretenues, favorisant le développement du parasitisme. Le 14 novembre 2023, les agents procédaient au même constat lors des opérations de visite. Ce n’est pas dit aussi clairement, mais il était manifestement urgent pour leur vie de sortir les animaux de cet endroit.

14. Quatrième argument : l’excès de pouvoir des agents. Le dernier argument, et surtout la réponse de la Cour d’appel, est la partie la plus intéressante de l’affaire. Les détentrices des chevaux relèvent que la loi ne prévoit pas que les agents, devant être autorisés par le procureur de la République à procéder aux opérations de visite, puissent décider de procéder ou de faire procéder immédiatement au retrait des animaux. Il est fait ici application de l’article L. 214-23 II du Code rural selon lequel « dans l'attente de la mesure judiciaire prévue à l'article 99-1 du code de procédure pénale, les agents qui sont mentionnés au I de l'article L. 205-1 et au I du présent article peuvent ordonner la saisie ou le retrait des animaux et, selon les circonstances de l'infraction et l'urgence de la situation, les confier à un tiers, notamment à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d'utilité publique ou déclarée, pour une durée qui ne peut excéder trois mois ou les maintenir sous la garde du saisi ». Avec ces dispositions, le législateur a créé une mesure de « protection immédiate »8 en attendant la mise en place de la mesure de conservation judiciaire de l’animal prévue par l’article 99-1 du Code de procédure pénale, laquelle peut prendre un certain temps. On notera que ces pouvoirs ont l’apparence de mesures de police administrative puisque ces dernières s’exercent dans le cadre d’un contrôle préventif. Mais, parce que l’article L. 214-23 II est pensé comme une procédure préalable à une procédure judiciaire, dans un arrêt du 9 novembre 2018 le Conseil d’État9 les a assimilés à des mesures de police judiciaire dont le litige relève de la compétence exclusive des juridictions de l’ordre judiciaire10. Sur le fondement de cet article, la Cour d’appel considère que les agents pouvaient, à l’occasion des opérations de visite autorisées par le juge des libertés et de la détention, procéder à toute saisie et à tout retrait d’animaux selon les circonstances de l’infraction et l’urgence de la situation, notamment lorsque la survie des animaux est menacée comme en l’espèce, en usant de leurs pouvoirs propres, dans l’attente d’une mesure judiciaire prise sur le fondement de l’article 99-1 du Code de procédure pénale par le procureur de la République ou le juge d’instruction, dans les trois mois du retrait. Il faut donc distinguer les opérations de visite, relevant du pouvoir du JLD de les autoriser en cas de refus des occupants, des opérations de retrait, pouvoirs conférés par la loi aux agents habilités indépendamment du cadre de leur intervention et dont ils sont dès lors toujours titulaires. En somme, il s’agit d’une séparation de pouvoirs, garante des droits des justiciables, et au demeurant adaptée à la pratique car les pouvoirs sont distribués en fonction des rôles des protagonistes. Ainsi en l’espèce, la mise en œuvre d’une procédure de retrait de 6 équidés le 13 novembre 2023 n’est pas de nature à invalider les opérations de visite réalisées et actées par procès-verbal du même jour, lequel n’est pas davantage entaché d’irrégularité au motif qu’il ne mentionne pas les opérations de retrait, alors que les opérations de retrait font l’objet d’un procès-verbal et d’une procédure distincts des opérations de visite. Les opérations de retrait, au surplus, ont été validées par le procureur de la République. En conséquence de quoi, la restitution des animaux peut être sollicitée par application de l’article 41-4 du Code de procédure pénale, indépendamment du sort du recours exercé à l’encontre de l’ordonnance et des opérations de visite. C’est là reconnaître une certaine autonomie, ou indépendance, entre les opérations de visite autorisées par le JLD et de retrait effectuées par les agents habilités, ce qui n’est pas dénué de sens dès lors qu’il s’agit de pouvoirs propres. Finalement, les juges rejettent l’intégralité des demandes des requérantes, confirment l’ordonnance du JLD et les opérations réalisées sur le terrain. D’ailleurs, lorsque l’exploitant s’oppose à leur exercice, il encourt le délit d’entrave.

 

III. L’infraction d’entrave à l’exercice des fonctions

Cass. Crim., 23 janvier 2024, pourvoi n° 23-80.689.

 

15. L’infraction d’entrave. C’est l’histoire d’une association de protection animale qui soustrait des animaux à la maltraitance pour mieux les maltraiter ensuite. Les deux gérantes d’une association ont racheté une centaine d’équidés maltraités, abandonnés ou destinés à l’abattoir, mais qu’elles gardent dans de très mauvaises conditions. Les contrôles effectués par la direction départementale de la protection des populations (DDPP) aboutissent aux poursuites et à la condamnation de la présidente de l’association, notamment pour mauvais traitements envers des animaux par un exploitant d’établissement et opposition à fonctions, à un an d’emprisonnement avec sursis probatoire, la seconde de l’association, pour mauvais traitements envers animaux par un exploitant d’établissement et opposition à fonctions, à six mois d’emprisonnement avec sursis probatoire, et toutes deux à l’interdiction définitive de détenir des équidés, cinq ans d’interdiction professionnelle et la confiscation des animaux, par la Cour d’appel de Poitiers le 18 janvier 2024. Dans leur pourvoi en cassation, les prévenues se fondent indirectement sur le principe de légalité pour reprocher à l’arrêt de les avoir déclarées coupables d’entraves aux fonctions des agents, alors que l’article L. 205-11 du Code rural punit de six mois d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende l’obstacle ou l’entrave à l’exercice des fonctions des agents habilités « à rechercher et à constater des infractions », ce que ne font pas les personnes chargées d’exécuter une décision du procureur de la République selon elles.

16. L’entrave à…. La Cour de cassation fait sienne la motivation des juges. Ces derniers énoncent que le 17 août 2017, sur réquisitions du procureur de la République, au visa de l’article 99-1 du Code de procédure pénale, un inspecteur en chef de la santé publique vétérinaire, un vétérinaire inspecteur contractuel affecté à la direction départementale de la protection des populations (DDPP) et deux gendarmes, accompagnés, notamment par des membres d’une autre association de protection animale, se sont présentés sur les lieux du refuge pour retirer des équidés qui devaient être remis à cette autre association, mais se sont heurtés au refus d’autoriser l’accès aux animaux. Les juges ajoutent qu’après négociation, la seconde prévenue a désigné des chevaux dont il s’est avéré qu’ils ne figuraient pas sur la liste préalablement établie, et a ensuite refusé de remettre les passeports correspondant à ceux qui avaient été attrapés. Ils retiennent encore que, à l’occasion d’une autre intervention aux mêmes fins, des aliments avaient été déposés loin de l’installation préparée pour le retrait, dans le but de retarder cette opération. La présidente de l’association a laissé sortir son chien berger allemand dont elle savait qu’il n’obéissait pas et qui a excité les animaux en les mordant. Les deux prévenues ont également refusé de remettre les passeports des vingt-six animaux retirés, dont six n’ont pu être identifiés, et que le comptage des animaux a permis de laisser penser que trente équidés avaient été déplacés malgré la décision de saisie. Ils relèvent également que, lors d’une nouvelle opération, les prévenues ont refusé de remettre les passeports des équidés retirés ce jour-là. Ils précisent enfin qu’entre le 16 et 21 août 2018, elles ont emmené des équidés que les gendarmes, qui avaient précédemment constaté une tentative de leur part de les transporter dans les Vosges, avaient saisis sur pied, à la demande du procureur de la République, dans l’attente de leur retrait. La Cour de cassation estime que la Cour d’appel a dès lors fait l’exacte application de l’article L. 205-11. Les Hauts magistrats avaient antérieurement précisé que ce délit-obstacle « suppose établie une obstruction apportée à des demandes réitérées d’un fonctionnaire de contrôle, en vue de l’empêcher d’exercer sa mission »11. Sur le fond, les juges ont largement motivé en l’espèce la caractérisation de l’entrave, effectivement répétée, dont se déduit l’intention12. Certes, mais entrave à qui ? entrave à quoi ? Du point de vue des requérantes, le texte fulmine l’entrave aux agents chargés de rechercher et constater les infractions, et par conséquent l’entrave à la recherche et à la constatation des infractions. Les agents chargés d’exécuter une opération de retrait par le procureur de la République ne sont donc pas chargés de rechercher et constater des infractions. En outre et surtout, ces agents habilités n’ont pas réalisé de telles recherches en exécutant la mission confiée. Elles estiment ainsi que le délit d’entrave n’est pas applicable puisqu’il n’y a pas d’entrave à la recherche et à la constatation des infractions. Ici, la Cour de cassation interprète strictement le texte. Elle relève qu’il « ne procède à aucune distinction entre les fonctions exercées par les agents qu’il désigne, de sorte que l’entrave ou l’obstacle apportés à ces fonctions n’est pas limité à celles qui consistent dans la recherche et la constatation des infractions ». Cette précision n’est absolument pas négligeable. Le texte vise les agents habilités à rechercher et à constater les infractions. Cependant, ces agents n’interviennent pas nécessairement sur les lieux pour procéder à la recherche et à la constatation des infractions. Il s’agit d’une habilitation et non d’une mission exclusive, encore moins d’une obligation. Ils peuvent intervenir sur les lieux à titre préventif par exemple pour opérer de simples contrôles. Pour le dire autrement, les agents habilités à rechercher et constater des infractions possèdent d’autres fonctions que celles-là, plus générales ou plus spécifiques, dans le cadre desquelles ils peuvent intervenir ou être sollicités. Tel est le cas en l’espèce, les agents de la DDPP sont requis par le procureur de la République pour procéder au retrait des animaux, au titre de leur compétence. Sur ce point précisément, la Cour de cassation met en exergue que le texte n’établit pas de différence entre leurs fonctions. L’entrave porte ainsi sur toutes les fonctions. En conclusion, il faut retenir que l’entrave ne peut s’exercer qu’envers des agents habilités à rechercher et constater des infractions mais qu’elle peut s’exercer dans le cadre de toutes leurs opérations, pour être réprimée.

J. Leborne

 

Tr. correc. Bordeaux, 27 novembre 2023, n° 168/2024

 

Mots-clés : Cadavres d’animaux. Atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques protégées. Détention et cession illicites d’un animal d’une espèces non domestiques ou de ses produits. Action civile d’associations de protection de l’environnement et de défense des animaux.

 

La plupart des êtres humains qui aiment les animaux les aiment pour leur qualité d’êtres vivants doués de sensibilité. Certains, par réflexe anthropomorphique, vont même jusqu’à leur prêter une personnalité proche de celle de l’homme qui doit pouvoir se poursuivre au-delà de la mort. À cet égard, l’affaire du chien « Felix » dans laquelle ses maîtres souhaitaient qu’il fût inhumé dans le caveau familial révèle ce lien d’affection ultime qui peut unir l’homme à son animal dans leur repos éternel13. Si une telle inhumation est refusée en l’état de la législation actuelle, en revanche, le respect dû à l’animal autorise son maître à l’enterrer dans un cimetière spécialement destiné aux animaux. Celui d’Asnières-sur-Seine est célèbre14. D’autres, souhaitent offrir à l’animal « une seconde vie ». Le recours à la taxidermie le leur permet grâce aux techniques de conservation de l’enveloppe du corps de l’animal. Celui-ci peut alors être naturalisé, c’est-à-dire rétabli dans des attitudes proches de l’état de nature. Les musées d’histoire naturelle regorgent de spécimens d’espèces de contrées éloignées ou disparues permettant aux visiteurs d’avoir une connaissance en trois dimensions d’animaux jusqu’alors représentés sous forme d’image ou de croquis. Le professeur Alan S . Ross relève que dans la culture visuelle européenne les animaux naturalisés deviennent omniprésents, dans les musées certes, mais aussi comme objet d’éducation, dans les divertissements populaires ainsi que dans la décoration intérieure15. Des chimères sont réalisées, des animaux revêtus d’habits chamarrés sont présentés dans des postures imitant celles d’êtres humains et le 400ème anniversaire de La Fontaine a donné lieu à des expositions criantes de réalisme. La taxidermie s’élèverait-elle au rang d’art supérieur16 ? Des entreprises d’envergure mondiale, tel Rowland Ward, vont jusqu’à financer des expéditions de chasse pour satisfaire à une demande croissante17. Cette source potentielle de revenus n’échappe pas malheureusement à l’attention d’individus mal intentionnés qui semblent oublier que l’utilisation de la dépouille d’un animal est soumise à certaines règles strictes18 et qu’il faut respecter la Convention de Washington du 3 mars 1973 sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction ( CITES). D’où l’affaire dont a connu le tribunal correctionnel de Bordeaux qui a statué par jugement du 27 novembre 2023. La décision est, certes, ancienne mais doit néanmoins être portée à la connaissance des lecteurs de la revue.

Sur le signalement de l’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » auprès des services de police d’Alpes-Maritimes, de faits de récupération, conservation, entreposage, traitement et vente de cadavres d’animaux, des poursuites pénales furent engagées contre plusieurs personnes, dont l’une en particulier qui avait posté sur des réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles elle proposait à la vente des cadavres d’animaux récupérés grâce à la complicité d’un agent travaillant dans un abattoir situé dans le département des Charentes. Une vidéo avait même été tournée à l’équarrissage où la prévenue venait « faire son marché », comme l’a souligné le tribunal. Une fois la collecte effectuée, elle chargeait les animaux dans un camion, sans aucune précaution sanitaire, pour les transporter chez elle avant de les entreposer et de les traiter pour la vente. Certaines vidéos étaient choquantes, comme celle qui montrait un cerveau sorti de sa boîte crânienne ! Les animaux prélevés étaient de toutes sortes : domestiques (chiens , chats, gibiers) ou sauvages. La liste donnée par le jugement du tribunal est très longue et éloquente : crocodiles, boa, tortues marines, tortue d’Hermann, des crânes d’alligator, de kangourou d’ours noir, de caméléon, de singes et de félins, un squelette entier de zèbre, des tatous à neuf bandes, de nombreux oiseaux (chouette chevêche, buse variable, mésange bleue, martinet noir, bernache) appartenant à des espèces protégées … Un véritable cimetière à ciel ouvert. La « passion » de la prévenue, qu’elle appelait « ostéologie », consistait « à décharner, éviscérer, écorcher et découper des animaux afin de n’en garder, la plupart du temps, que le squelette mais parfois la peau ou des parties (pattes, têtes, sabots.) ».

Interrogée sur la règlementation française et celle de la convention de Washington, la prévenue admettait ne pas les connaître entièrement. Elle voyait dans son activité une forme d’hommage, de seconde vie après la mort, une vie éternelle offert aux animaux, persuadée que ses acheteurs, probablement séduits par cette forme d’art, sauront les respecter. Toutes les personnes poursuivies furent finalement reconnues coupables à des degrés différents, en fonction de leur participation, et condamnées à des peines d’emprisonnement avec sursis et à des peines d’amende. La peine d’emprisonnement de douze mois prononcée contre celle qui se livrait à cette activité d’ostéologie a été assortie pour sa totalité du sursis probatoire, afin d’assurer la poursuite d’un suivi médical et d’obtenir l’indemnisation des parties civiles, à laquelle s’est ajoutée, à titre complémentaire, une peine d’interdiction d’exercer toute activité d’ostéologie, de naturalisme, de taxidermie, d’équarrissage ou d’activité professionnelle en lien avec l’infraction pendant cinq ans avec exécution provisoire.

Sur les faits reprochés, il y a peu à dire dans la mesure où ils correspondent aux incriminations rappelées par le jugement à savoir pour l’essentiel : l’interdiction de porter atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques protégées, de détenir, transporter, de naturaliser ou de céder des animaux appartenant à ces espèces (v° notamment , C. envir., art. L411-1 §1, 1°, L411-2, L415-3, 1°)19.

En revanche, l’intérêt de la décision, selon nous, porte sur l’action civile de l’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » aux côtés des actions civiles exercées par la « Ligue de protection des oiseaux » (LPO) et l’association « Charente nature ». Si ces deux dernières associations ont pour objet, l’une, la sauvegarde de la faune sauvage, l’autre, la conservation d’espèces menacées, la première citée a pour objet la défense et la protection des animaux. Dès lors, les fondements légaux pouvant justifier la recevabilité des constitutions de partie civile de ces associations sont différents. Les associations « Charente nature » et la « Ligue de protection des oiseaux » se sont constituées parties civiles sur le fondement de l’article L142-2, al.1 du Code de l’environnement aux termes duquel « Les associations agréées mentionnées à l'article L141-2 peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour objet de défendre et constituant une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l'environnement, à l'amélioration du cadre de vie, à la protection de l'eau, de l'air, des sols, des sites et paysages, à l'urbanisme, à la pêche maritime ou ayant pour objet la lutte contre les pollutions et les nuisances, la sûreté nucléaire et la radioprotection, les pratiques commerciales et les publicités trompeuses ou de nature à induire en erreur quand ces pratiques et publicités comportent des indications environnementales ainsi qu'aux textes pris pour leur application ». À ce titre, ces deux associations (l’une agréée et l’autre reconnue d’utilité publique) peuvent, bien entendu, exercer les droits reconnus à la partie civile en présence d’une atteinte portée à des animaux, vivants ou morts, relevant d’espèces protégées, ceux-ci étant partie intégrante à la nature que les associations en question ont pour mission de protéger dans toute ses composantes.

Mais qu’en est-il de l’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » ? Elle ne peut se constituer partie civile que sur le fondement de l’article 2-13 du Code pénal. Or, pour les associations dont l’objet statutaire est la protection et la défense des animaux, le texte ne permet la constitution de partie civile qu’à la suite d’une infraction au Code pénal et aux articles L. 215-11 et L. 215-13 du Code rural et de la pêche maritime, soit l’abandon, les sévices graves ou de nature sexuelle, les actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal. La Cour de cassation, dans le fameux arrêt de sa chambre criminelle « Cannelle »20, le rappelle sans ambiguïté : le délit d’atteinte à la conservation d’espèces animales non domestiques par destruction, qui constitue une infraction aux dispositions législatives relatives à la protection de la nature et de l’environnement, n’entre pas dans les prévisions de l’article 2-13 du code de procédure pénale. Les associations de protection animale ne peuvent donc se constituer partie civile pour des infractions portant atteinte à l’environnement, même si elles sont commises sur des animaux. L’association « Extrême sauvetage combat la cruauté animale » se trouve en porte à faux car en l’espèce il ne s’agit pas d’animaux vivants doués de sensibilité, victimes d’actes de cruauté, mais d’animaux morts sur les dépouilles desquelles, le propriétaire se livrait à des pratiques relevant peut-être de la nécrophilie ou de la psychiatrie mais nullement de la cruauté, un cadavre ne souffrant pas. L’infraction de « sévices et d’actes de cruauté » est ici inconcevable La recevabilité de cette constitution de partie civile par le tribunal correctionnel de Bordeaux est donc énigmatique. Signifierait-elle alors que pour ses juges, l’animal mort n’est pas seulement une chose inanimée sans valeur mais un corps méritant le respect à l’image de l’être humain dont le cadavre doit être protégé contre toute atteinte à son intégrité (CP, art. 225-17)21 ? La prévenue ne s’est-elle pas livrée sur les dépouilles de ces pauvres bêtes à des agissements profanatoires ? A défaut de textes, le statut de l’animal est à nouveau posé implicitement. Attendons la décision de la Cour d’appel puisque le jugement a fait l’objet d’un recours. Le plus simple, pour l’instant, serait déjà d’autoriser les associations de protection animalière à se constituer partie civile en cas d’infractions à la législation sur les espèces protégées22.

J. Leroy

  • 1 Sur cet arrêt : S. Detraz, « Droit de visite des agents et fonctionnaires chargés de l’environnement », D., 2024, n° 11, p. 588 ; P. Dufourq, « Droit pénal de l’environnement : la constatation des infractions sur un terrain agricole », Dalloz actualité, 2024, 1er février ; D. Pamart, « Quand trois agents de l’AFB vont aux champs », Dr. rural, 2024, n° 2, comm. 14. ; J.-H. Robert, « Gyrobroyage de tortues et de procédures », Dr. pénal, 2024, n° 3, comm. 49.
  • 2 Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement, JORF n° 172, 26 juillet 2019, texte n° 2.
  • 3 Cass. Crim., 21 mars 2023, pourvoi n° 22-82.342 ; J. Leborne « L’obligation d’informer préalablement le procureur de la République en droit pénal de l’environnement », cette revue, 2023, n° 1, p. 61 ; J.-H. Robert, « La fièvre de l’or salit les âmes et les eaux », Dr. pénal, 2023, n° 5, comm. 89.
  • 4 Cass. Crim., 20 octobre 2020, pourvoi n° 19-87.656 ; J. Leborne, « La notion de domicile en droit pénal : vers l’élémentaire ? », AJ Pénal, 2021, n° 2, p. 101 ; J.-H. Robert, « Confusion de vocabulaire entre “domicile“ et “lieu d’habitation“, Dr. pénal, 2020, n° 12, comm. 203 ;
  • 5 Cass. Crim., 5 janvier 2021, pourvoi n° 20-80.569 ; S. Fucini, « Visite d’un véhicule en matière environnementale : absence d’autorisation du procureur », Dalloz actualité, 2021, 29 janvier ; J. Leborne, « Le véhicule du braconnier et la notion de domicile : précisions sur les conditions de fouille », cette revue, 2021, n° 1, p. 59 ; M. Redon, « La voiture du braconnier n’est pas son domicile ! », Dr. rural, 2021, n° 491, comm. 62 ; J.-H. Robert, « Taïaut, taïaut, mais sur les chasseurs », Dr. pénal, 2021, n° 3, comm. 46.
  • 6 Art. L. 205-3, al. 1., Code rural. Ces procès-verbaux doivent, sous peine de nullité, être adressés dans les 8 jours suivant leur clôture au procureur de la République et une copie doit être également transmise, dans le même délai, à l’intéressé s’il est connu, sauf si le procureur s’y oppose (art. L. 205-.3, al. 2).
  • 7 Art. 537 Code de procédure pénale.
  • 8 J.-Y. Maréchal, « Fascicule 20. Art. 521-1 et 521-2 : sévices graves ou actes de cruauté envers les animaux », JurisClasseur Code pénal, 2023, n° 164.
  • 9 CE, 9 novembre 2018, pourvoi n° 421302 ; F. Gaullier-Camus, « La ferme se rebelle devant le juge judiciaire », Dr. rural, 2019, n° 473, comm. 57.
  • 10 Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à nos développements dans notre thèse : J. Leborne, La protection pénale de l’animal, Mare & Martin, coll. Bibliothèque des thèses, 2024, p. 160-161, n° 115.
  • 11 Cass. Crim., 31 octobre 2017, pourvoi n° 16-86. 310.
  • 12 Si l’élément moral n’est pas prévu par le texte, il correspond néanmoins à l’exigence d’un élément intentionnel en matière délictuelle, conformément au principe de l’article 121-3 alinéa 1 du Code pénal. Cette intention permet, par ailleurs, de faire la distinction entre le délit et les contraventions sanctionnant le défaut de présentation de documents obligatoires. À défaut de caractériser le délit, les prévenus doivent être condamnés du chef de la contravention (Cass. Crim., 31 octobre 2017, pourvoi n° 16-86.310 ; J.-H. Robert, « L’article 121-3, al. 1er du Code pénal sert enfin à quelque chose », Dr. pénal, 2018, n° 2, comm. 28).
  • 13 Souhait non exaucé en l’espèce: T.A Bordeaux, 22 nov. 1961,Sieur Blois, JCP 1961.II. 12407 ; C.E. 17 avr. 1963, Sieur Blois, D.1963.459, note P. Eismein, JCP1963.II.13227, note E.-P. Luce ; sur cette affaire , J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, PUF, 1992, p.451.
  • 14 Entre autres chiens ou chevaux , c’est là que se trouve la tombe du chien Rintintin, véritable « acteur » de cinéma !
  • 15 « Taxidermie », in Dictionnaire historique et critique des animaux, éd. Champ Vallon, 2024, p. 532 et s.
  • 16 W. Shufeldt « Taxidermy as an art”, The Art World 3, 1971: “ Au cours des cinquante dernières années, j’ai assité non seulement à la différenciation complète des travaux du naturaliste, du taxidermiste, du médecin et du biologiste, mais aussi au passage des méthodes et matériaux démodés à l’époque actuelle, où la taxidermie et les meilleures écoles de taxidermie du monde entier ont acquis le droit incontestable d’être classées parmi les arts supérieurs. », extrait cité par le professeur A.S. Ross, in op.cit. , p. 535.
  • 17 Ibid.
  • 18 M. Falaise, « le droit de disposer du corps de son animal », RSDA 1/2016, p. 389 et s.
  • 19 Des dérogations sont prévues à condition qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. Les dérogations sont accordées soit à des fins de recherche scientifiques et d’éducation, soit en raison de problème de santé publique soit dans l’intérêt de la faune et de la flore sauvage ou encore pour prévenir des dégâts importants aux cultures, à l’élevage, aux pêcheries, aux forêts, aux eaux. V° R. Larrere, « La protection de la nature et les animaux », RSDA 1/2016.265 et s.
  • 20 Cass.crim. 1er juin 2010, n°09-87.159 : RSDA 1/2010.68, note D. Roets.
  • 21 Durant de nombreuses décennies, la dissection de grenouilles ou de souris était courante dans les établissements scolaires en cours de Sciences de la Vie et de la Terre. Cette pratique qui réifiait l’animal, est désormais interdite : v° C. Boyer-Capelle, « Interdiction par circulaire des dissections en cours de SVT : à la recherche du fondement juridique pertinent, obs. à propos de CE, 6 avr. 2026, Syndicat national des enseignements de second degré, n°391423, RSDA 1/2016.73 et s.
  • 22 Dans le même sens, J. Leborne, note sous Cass.crim. 28 novembre 2023, n°22-87.559 , RSDA 2/2023, « chron.droit criminel ». V° aussi, C. Lacroix, « L’article 2-13 du CPP relatif à l’action civile des associations de protection des animaux, 20 ans après », RSDA 1/2013 .339 et s.
 

RSDA 1-2024

Actualité juridique : Jurisprudence

Sommaires de jurisprudence

  • Delphine Tharaud
    Professeure de droit privé
    Université de Limoges
  • Brigitte Des Bouillons
    Docteure en droit
    Université de Rennes 1

I. Les animaux au sein des relations contractuelles

 

A. Les contrats

 

a. La vente

 

Cass. Civ. 1re, 24 avril 2024, 22-17.907

Vente aux enchères – Transport

 

Lors du salon de l’agriculture, l’association Blonde Pays d’Oc, mandatée par un éleveur, a vendu une vache aux enchères publiques à un prix dépassant 16 000 euros. Les conditions de vente du salon prévoyaient que l’éleveur devait effectuer le transport jusqu’à l’abattoir, l’animal étant sous la seule responsabilité de l’acquéreur à partir de l’intervention des services vétérinaires attestant que la carcasse était conforme et sans vice caché.

Après abattage et livraison de la carcasse à l’acquéreur, ce dernier a refusé de payer le prix convenu car il soutenait que la viande était impropre à la consommation. Le tribunal arbitral puis la cour d’appel ont considéré que le transfert de risques avait été réalisé le jour de l’abattage et, par conséquent, ont condamné l’acheteur à payer le prix convenu.

L’arrêt de la Cour d’appel de Paris est cassé au motif que les juges du fond n’ont pas tenu compte du défaut des 3 estampilles sanitaires et de la seule présence d’une étiquette suiveuse, constatés par procès-verbal d’huissier. Dès lors, les services sanitaires n’ont pu attester de la conformité de la carcasse lors de l’abattage. Ces manquements réglementaires rendaient impossible la mise sur le circuit alimentaire de la carcasse, ce qui justifie une absence de paiement du prix.

D. T.

 

b. Bail rural

 

Aucune jurisprudence pour ce numéro.

 

c. Le dépôt

 

CA Limoges, 10 janvier 2024, n° 22/00759

Chien – Association – Absence de contrat écrit – Contrat de dépôt (oui) – Contrat de vente (non)

 

La propriétaire d’une chienne Husky l’a confiée à une association. Aucun contrat écrit n'a été signé. 4 mois plus tard, la restitution de l’animal est demandée, mais l’association s’y oppose. S’en est suivie une procédure de saisie avec intervention d’huissier, mais devant la Cour d’appel de Limoges, les débats ont porté sur la qualification juridique du contrat entre la propriétaire du chien et l’association. Pour la première, il s’agissait d’un contrat de dépôt par lequel elle confiait temporairement son animal à l’association qui devait lui restituer à première demande. Pour la seconde, il s’agissait d’un contrat de cession emportant transfert de propriété définitif le jour où l’animal lui a été confié. Pour l’essentiel, la cour d’appel s’appuie sur le fait que l’association n’a sollicité un changement officiel de détenteur de l’animal que postérieurement à la date de demande de restitution. Elle se fonde également sur des témoignages permettant d’établir l’état d’esprit de la propriétaire au moment où elle a confié sa chienne. De ces éléments principaux et d’autres pièces du dossier, la cour d’appel estime que le contrat doit s’analyser en un contrat de dépôt.

D. T.

 

B. La responsabilité contractuelle

 

Aucune jurisprudence pour ce numéro.

 

C. Le droit du travail/les relations de travail

 

CA Dijon, 21 mars 2024, n° 21/00655

Accident du travail – Parc animalier – Manipulation – Obligation de sécurité – Faute inexcusable de l’employeur (oui)

 

Une soigneuse animalière dans un parc zoologique a été victime d’un accident du travail. Précisément, elle s’est fait mal au dos en manipulant un varan d’une trentaine de kilos alors qu’elle le remettait dans son enclos intérieur.

Après la reconnaissance d’une incapacité de 12 %, elle a finalement été licenciée pour inaptitude professionnelle. Elle essaye d’obtenir la reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur pour manquement à son obligation de sécurité. Son argumentation est essentiellement fondée sur le défaut de prise en compte des risques, ce que réfute l’employeur en s’appuyant sur l’expérience professionnelle de la salariée, le suivi de formation sur le transport d’animaux lourds et surtout l’existence d’un protocole de sécurité que la salariée n’aurait pas suivi en manipulant seule le reptile. Pourtant, infirmant la décision de première instance, la Cour d’appel reconnait l’existence d’une faute inexcusable car si l’employeur a effectivement pris des mesures de prévention, dans les faits, le jour de l’accident, la salariée n’était pas en mesure de suivre le protocole imposé par l’employeur. Le manque de personnel sur site, la seule présence de stagiaires, la formation professionnelle suivie par la soigneuse en matière de transport et non de manipulation d’animaux lourds sont autant d’éléments qui, aux yeux des juges, indiquent que les mesures préventives n’étaient « ni appropriées ni effectives pour préserver la salariée du risque de pathologie lombaire ».

D. T.

 

II. Les animaux protégés

 

A. Espèces protégées

 

Cass. Crim., 26 mars 2024, n° 23-81.410

Tortue d’Hermann – Zone naturelle – Abattage d’arbres – Travaux – Préjudice écologique

 

Les agents d’une réserve naturelle ont constaté d’existence de travaux et l’abattage d’arbres dans une zone Natura 2000 qui correspond à l’habitat protégé de la tortue d’Hermann. Deux tortues d’Hermann, espèce menacée classée comme vulnérable, ainsi qu’un lézard vert, espèce protégée, ont été retrouvés morts. Le directeur de la société propriétaire des parcelles concernées ainsi que plusieurs cadres de celle-ci ont été poursuivis pour atteinte à l'habitat, destruction d'espèces protégées et déforestation. Devant la chambre criminelle de la Cour de cassation, les prévenus soulèvent un moyen concernant leur condamnation à verser solidairement presque 185 000 euros au titre de préjudice écologique. Ils contestent le calcul des coûts au titre de la réparation de l’écosystème et de la réintroduction d’animaux. Cependant, la Haute juridiction reprend les différents éléments de calcul retenus par les juges du fond, comme l’importance de la destruction de l’habitat, la difficulté d’estimer les coûts de réintroduction des animaux, ainsi que le fait qu’aucune précision n’a été donnée par les prévenus concernant les possibilités de travaux de remise en état et le constat d’une impossibilité de réparation en nature. Dès lors, à défaut de remise en état proposée, la cour d’appel a souverainement évalué les dépenses nécessaires.

D.T.

 

CE, 26 avril 2024, n° 467728

Abeilles – Insectes pollinisateurs – Pollinisation – Protection – Cultures non attractives

 

Annulation pour excès de pouvoir de la décision fixant la liste des cultures qui ne sont pas considérées comme attractives pour les abeilles ou d'autres insectes pollinisateurs, telles que mentionnées à l'article 1er de l'arrêté du 20 novembre 2021 relatif à la protection des abeilles et des insectes pollinisateurs et à la préservation des services de pollinisation lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, publiée au bulletin officiel du ministère de l'agriculture le 24 mars 2022. Pour le Conseil d'État, le syndicat des apiculteurs d'Occitanie requérant est seulement fondé à demander l'annulation de la liste en tant qu'elle mentionne parmi les cultures non attractives pour les abeilles et les autres insectes pollinisateurs celles de la lentille, du pois (Pisum sativum), du soja et de la vigne.

B. des B.

 

CE, 15 mars 2024, n°4 61634

Abeilles – Produits phytopharmaceutiques

 

L'association Générations futures, l'Union nationale de l'apiculture française et l'association Agir pour l'environnement ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions du 27 septembre 2017 de la directrice générale déléguée de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) autorisant la mise sur le marché français des produits phytopharmaceutiques " Closer " et " Transform ", produits par la société Dow Agrosciences SAS.

Le juge suprême annule pour erreur de droit l’arrêt n° 20MA00410 du 17 décembre 2021 de la Cour administrative d'appel de Marseille confirmant le jugement n° 1704687 du 29 novembre 2019 annulant ces décisions. Il considère qu’il appartenait aux juges du fond de caractériser en quoi les conditions d'emploi telles qu'elles étaient formulées, au demeurant en recourant à des phrases types prévues à l'annexe III du règlement (UE) n° 547/2011 de la Commission du 8 juin 2011 portant application du règlement (CE) n° 1107/2009, n'auraient pas permis aux utilisateurs professionnels avertis de déterminer l'usage adapté des produits pour assurer l'effectivité des interdictions et prescriptions énoncées, dont le respect est contrôlé par les services du ministère chargé de l'agriculture conformément à l'article 68 du règlement du 21 octobre 2009 et à l'article L. 253-13 du code rural et de la pêche maritime, et dont la méconnaissance est punie en application de l'article L. 253-17 du même code. Enfin, eu égard aux termes des conditions ainsi énoncées, suffisamment précises pour en assurer l'application effective par les professionnels avertis employant ces produits, ils ont dénaturé les pièces du dossier soumis à son examen.

B. des B.

 

CE, 18 avril 2024, n° 469597

Ours – Mesures d’effarouchement (oui)

 

Rejet de la requête présentée par l'association Pays de l'ours - ADET (Association pour le développement durable des Pyrénées), l'association Ferus – Ours Loup Lynx Conservation, l'Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (ASPAS), le Comité écologique ariègeois, l'association France nature environnement Hautes-Pyrénées, l'association Animal cross et l'association Fonds d'intervention éco-pastoral - groupe ours Pyrénées (FIEP) demandant au Conseil d’État d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 20 juin 2022 de la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et du ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.

Si les associations requérantes soutiennent que l'arrêté attaqué méconnaît le principe de précaution défini par l'article 191 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, pour le juge, il ressort des pièces du dossier, en particulier du bilan tiré de l'expérimentation menée en 2019, 2020 et 2021, qu'en l'état des connaissances disponibles, les mesures d'effarouchement simple par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, préconisées par l'arrêté attaqué, ne sont pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d'ours dans leur aire de répartition naturelle ou à empêcher l'amélioration de l'état de conservation de l'espèce.

B. des B.

 

CE, 8 avril 2024, n° 471738

Loups – Tirs de défense simple (oui)

 

Rejet du pourvoi de l'association One Voice contre l’ordonnance n° 2300598 du 13 février 2023, du juge des référés du Tribunal administratif de Marseille, refusant de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet des Alpes-de-Haute-Provence du 19 décembre 2022 autorisant, jusqu'au 16 décembre 2027, des tirs de défense simple en vue de la protection des troupeaux du Groupement Agricole d'Exploitation en Commun (GAEC) de la Borie contre la prédation du loup, sur le territoire de la commune de Châteauneuf-Val-Saint-Donat (Alpes-de-Haute-Provence). Le Conseil d'État confirme l’ordonnance du juge des référés relevant qu’aucun moyen n’était, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée.

B. des B.

 

CE, 15 avril 2024, n° 469526

Espèces protégées – Travaux – Conditions d’urgence (oui)

 

Annulation de l'ordonnance n° 2206980 du 16 novembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble rejetant la requête les associations, Biodiversité sous nos pieds et France Nature Environnement Haute-Savoie demandant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 30 mai 2022 du préfet de la Haute-Savoie portant dérogation aux dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement au bénéfice de la société des Remontées mécaniques de Megève. Comme le rappelle le juge du Conseil d'État, pour déterminer, si une dérogation peut être accordée sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de porter une appréciation qui prenne en compte l'ensemble des aspects du projet, parmi lesquels figurent les atteintes que celui-ci est susceptible de porter aux espèces protégées. Il ressort des pièces du dossier que la liste des espèces protégées affectées par cet aménagement, telle qu'elle figure à l'article 1er de l'arrêté contesté du 30 mai 2022, comporte onze espèces de mammifères, trente espèces d'oiseaux, cinq espèces de reptiles et amphibiens. En se bornant à relever l'état avancé des travaux, 90 % de défrichement de la zone avait été réalisés, alors que l'argumentation dont il était saisi lui imposait d'examiner si l'impact des travaux restant à effectuer sur les espèces protégées pouvait conduire à regarder la condition d'urgence comme remplie, le juge des référés a entaché son ordonnance d'une erreur de droit.

B. des B.

 

TA Nancy ord., 26 avril 2024, n° 240140

Grand tétras – Lâchers – Prélèvements en Norvège – Atteinte à la protection (non) – Intérêt général (oui)

 

Il peut sembler paradoxal de voir les associations de défense des oiseaux s’opposer à une décision du gouvernement autorisant les lâchers de grand tétras dans le cadre du plan de réintroduction du plus gros oiseau terrestre sauvage d'Europe dans les Vosges, dont la mise en œuvre devrait s’étaler sur cinq ans. En effet, les associations, SOS Massif des Vosges, Vosges Nature Environnement, Oiseaux Nature, Paysage Nature et Patrimoine de la Montagne Vosgienne contestent la pertinence de l'opération de réintroduction par le Parc Naturel Régional (PNR) des Ballons des Vosges qu’elles qualifient de coûteuse, d’inutile, et de néfaste pour les oiseaux prélevés en Norvège, capturés et transportés jusqu'en France et qui ne tient pas compte de l’avis défavorable résultant de la « consultation publique qui s'est terminée par un rejet massif et argumenté, 811 contributions défavorables sur un total de 957 réponses ». Tous ces arguments n’ont pas suffi à convaincre le juge de l’inutilité de l’opération. Le juge des référés ne pas retient pas le caractère d’urgence du recours, les lâchers ne sont « pas susceptibles de porter une atteinte suffisamment grave à la protection des oiseaux », observant que « le taux de mortalité lors de telles opérations est faible ». A contrario, il fait valoir que l’introduction de ces grands tétras répondait à « un motif d’intérêt général » de préservation de la biodiversité.

B. des B.

 

B. Chasse et pêche

 

CE, 6 mai 2024, n°468145

Alouettes – Matelotes – Pantes – Référé – Caractérisation de l’urgence – Méthode sélective (non) – Méthode traditionnelles de chasse – Dérogation (non)

 

Annulation pour excès de pouvoir de l’ensemble des arrêtés du 4 octobre 2022 du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires autorisant la capture de l'alouette des champs, à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne et, également, à l'aide de pantes dans les mêmes départements, ainsi que dans ceux de la Gironde et des Pyrénées-Atlantiques et fixant le nombre maximum de ces oiseaux pouvant être capturés pour la campagne 2022-2023.

Saisi par les Associations One Voice et association Ligue pour la protection des oiseaux d’une demande de suspension de l’exécution de ces arrêtés sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative (CJA), le juge des référés du Conseil d'État a rejeté la requête, pour défaut d’urgence, en ce qui concerne les deux premiers arrêtés qui n’ont « ni pour objet ni pour effet, par eux-mêmes, d’autoriser d’éventuels prélèvements » tout en faisant droit à leur demande en ce qui concerne les deux autres arrêtés, les conditions tenant à ce qu’« il n’existe pas d’autre solution satisfaisante » et à ce que la technique soit « sélective » ne paraissant pas satisfaites (CE ord., 21 oct. 2022, Association One Voice et autre, n° 468151 et autres).

Faisant écho à son arrêt du 24 mai 2023, n° 459400, 459405 (voir RSDA 2023-1 p. 200), le Conseil d'État retient, s’agissant des deux premiers arrêtés mettant en œuvre la dérogation prévue à l’article 9 de la directive, que le moyen tiré de ce qu’ils méconnaissent les objectifs de cet article doit être accueilli sur le fond, en ce que l’objectif annoncé visant à préserver les méthodes traditionnelles de chasse ne constitue pas un motif autonome de dérogation au sens de cet article et qu’il n’est pas démontré que les dommages causés aux oiseaux capturés non ciblés pourraient être regardés comme négligeables. Par voie de conséquence, il annule les deux autres arrêtés fixant le nombre de ces oiseaux pouvant être capturés pour la campagne 2022-2023.

B. des B.

 

CE ord., 22 décembre 2023, n°489926

Pêche – Mortalité accidentelle cétacés – Dissuasion acoustique – Fermeture de la pêche – Senne pélagique

 

On se souvient des tensions suscitées par sa décision du 22 décembre 2023 n° 449788, avec les entreprises de pêche (RSDA, n° 2023-2, p. 202), par laquelle le Conseil d'État a enjoint à l’État d'adopter, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur suffisance pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées. Dans le sillage de cette décision, le juge des référés du Conseil d’État, à la demande des associations requérantes, Défense des Milieux Aquatiques, France Nature Environnement et Sea Shepherd France, suspend pour partie l'exécution des dispositions dérogatoires de l'arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d’État auprès de la Première ministre, chargé de la mer interdisant la pêche de fin janvier à fin février, tout en assortissant celui-ci de dérogations qui selon les associations sont de nature à rendre inopérant l’objectif affiché de réduire efficacement la mortalité des cétacés. Plus encore, les juges étendent la fermeture de la pêche dans le golfe de Gascogne aux sennes pélagiques.

B. des B.

 

CE, 26 février 2024, n° 458219

Pêche – Anguilles – Quotas excessifs (non)

 

Rejet de l’ensemble des requêtes présentées par l’Association Défense des milieux aquatiques n°s 461744 et 461745, la Fédération nationale de la pêche et la protection du milieu aquatique et autre n°s 463366 et 463367, l’association France Nature Environnement et autre, demandant au Conseil d’État d'annuler pour excès de pouvoir, en tant qu'ils fixent des quotas excessifs, l'arrêté du 20 octobre 2021 de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022 et l'arrêté du 21 octobre 2021 de la ministre de la mer portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022.

Le juge rappelle « qu’il appartient aux ministres, dans la mise en œuvre de leur compétence d'autoriser par dérogation la pêche de la civelle, qui n'implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l'Union européenne mais suppose l'exercice d'un pouvoir d'appréciation, de veiller au respect des principes de prévention et de précaution respectivement garantis par les articles 3 et 5 de la Charte de l'environnement ». Par ailleurs, si l'anguille européenne est classée comme espèce en danger critique d'extinction, le recrutement au stade de la civelle reste faible mais stable. Par suite et faute d'élément établissant l'impossibilité d'atteindre les objectifs prescrits par les règlements européens des 11 décembre 2013 et 18 septembre 2007, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les quotas de captures fixés par les arrêtés attaqués, combinés aux autres mesures de protection existantes, assureraient une prévention insuffisante des atteintes à l'environnement, en méconnaissance des exigences résultant de l'article 3 de la Charte de l'environnement. Enfin, en l'absence d'éléments circonstanciés accréditant l'hypothèse d'un risque autre que celui, identifié et évalué, que la réglementation ici en cause vise à prévenir, les requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir que, pour parer à la réalisation d'un dommage grave et irréversible à l'environnement, les exigences résultant de l'article 5 de la Charte imposeraient l'adoption de mesures supplémentaires.

B. des B.

 

C. Santé animale et protection des races

 

CE, 26 février 2024, n° 469858

Chats – Race Scottish/Highland – Mutation génétique – Test obligatoire (oui) – LOOF – Coûts excessifs (non)

 

Rejet de la requête, mettant en cause une nouvelle règle adoptée le 27 août 2019, par la fédération pour la gestion du livre officiel des origines félines, applicable aux éleveurs de chats de la race Scottish/Highland à compter du 1er juillet 2020. Le conseil d’administration du LOOF impose désormais, pour les portées nées en France et les chats étrangers demandant leur enregistrement à compter du 1er juillet 2020, d’une part, que « tout reproducteur produisant des chatons Scottish/Highland (…) soit identifié génétiquement et testé pour le gène FOLD pour l’enregistrement d’une déclaration de saillie et de naissance, ainsi que les chats importés pour leur enregistrement au LOOF, ou au moment où ils reproduisent s’ils sont déjà enregistrés » et, d’autre part, que « les tests de filiation [soient] fournis pour tous les chatons au moment de la demande de pedigrees ». Pour le requérant cette procédure stricte engendre un surcoût « considérable » pour les éleveurs qui voient, selon lui, leurs charges tripler. Pour le juge, cette argumentation n’est guère convaincante et dépourvue de tout justificatif, les contraintes et le surcoût engendrés pour les éleveurs ne lui paraissent pas suffire à attester du caractère disproportionné de cette mesure au regard des objectifs poursuivis et du risque à terme, en cas de propagation de cette mutation, de remise en cause de l’élevage de cette race de chats. En outre, rien n’interdit aux éleveurs de répercuter, en tout ou partie, ces coûts dans le prix de vente et cette vérification de parenté paraît pouvoir être un atout pour l’éleveur qui est ainsi en mesure de certifier la généalogie de ses animaux et valoriser la qualité de son travail auprès des acheteurs. Il est en effet clair que le requérant ne cible que la décision mentionnée au point 7 de ce procès-verbal relatif à la race de chats Scottish/Highland et en tant seulement qu’elle conditionne la délivrance de pedigrees des chatons à la réalisation d’un test de filiation.

B. des B.

 

D. Cause animale

 

CE, 26 avril 2024, n° 462884

Cirque – Hippopotame – Départ dans un sanctuaire(non)

 

Nouveau revers pour l’association One Voice dont le pourvoi en cassation formé contre l’arrêt n° 20LY00080 du 3 février 2022 de la Cour administrative d'appel de Lyon pour obtenir le départ de l’hippopotame Jumbo du cirque dans lequel il vit depuis 40 ans, est rejeté par le Conseil d’État. Dans cet arrêt, la Cour administrative d'appel de Lyon a confirmé en appel le jugement n° 1703936 du 19 novembre 2019 du tribunal administratif de Grenoble, rejetant le recours pour excès de pouvoir contre, en premier lieu, la décision du préfet de la Drôme du 28 juin 2017, refusant d'une part, d'abroger l’arrêté d'ouverture, de présentation et de détention de l'établissement de MM. A... et C... B..., dénommé " Cirque B... ", et l’autorisant à présenter au public, dix lions et un hippopotame, et, d'autre part, de procéder au retrait de l’hippopotame du cirque et à son transfert dans un sanctuaire. Pour le Conseil d’État, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’à la date à laquelle le préfet a refusé d’abroger l’arrêté d’ouverture du cirque que celui-ci ne respectait plus les conditions d’accueil de l’hippopotame ; en outre, l’hippopotame Jumbo ne participait plus au spectacle ; que par suite la Cour en s’estimant suffisamment informée pour conclure au rejet de la requête n’a pas commis d’erreur de droit.

B. des B.

 

III. Les animaux, êtres sensibles

 

A. L’alimentation animale (aspects sanitaires)

 

Aucune jurisprudence pour ce numéro.

 

B. Maltraitance, actes de cruauté

 

Cass. Crim., 23 janvier 2024, n° 23-80.689

Association de protection des animaux – Adoption – Mauvais traitement – Sanctions pénales

 

Deux femmes membres d’une association de protection des équidés, dont l’une en était la présidente, s’occupant d’une centaine de chevaux rachetés pour les soustraire à la maltraitance, à l'abandon ou à l'abattoir, ont été poursuivies pour diverses infractions dont abus de confiance, mauvaises conditions d’hébergement et pour obstacles ou entraves aux fonctions des agents chargés de la sécurité sanitaire, de l'alimentation et de la santé publique vétérinaire. Sur ce dernier point, les deux femmes ont fait valoir devant la Cour de cassation que cette qualification appliquée au titre de l'article L 205-11 du code rural et de la pêche maritime ne pouvait être retenue en l’espèce faute d’entrave constatée. Cependant, la Cour de cassation rejette le moyen. Reprenant les faits établis par les agents et pris en compte par les juges du fond, elle tient compte du fait que les deux femmes n’ont pas présenté les passeports des animaux demandés par les agents, ont excité les équidés en lâchant un chien parmi eux, ont retardé les opérations de retrait en éloignant les animaux et en tentant de transporter certains chevaux dans un autre département.

En revanche, la Cour de cassation accueille le moyen relatif à l’absence de qualification d’escroquerie. En effet, la présidente de l’association avait signé sans pouvoir un document présentant faussement un cheval en vue de son adoption et par lequel une personne avait versé une somme d’argent en vue d’une adoption. Pour la Cour de cassation, le délit d’escroquerie ne peut être constitué à partir d’un seul mensonge, fût-il écrit, et doit être accompagné de faits extérieurs constituant une manœuvre frauduleuse.

Pour finir, un dernier moyen portait sur l’absence de motivation de la peine. La présidente de l’association avait été condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire, à l'interdiction d'exercer pendant cinq ans une activité professionnelle en lien avec les animaux, ainsi qu'à la peine complémentaire d'interdiction définitive de détenir des équidés. Cependant, la Cour de cassation reconnaît un manque de motivation concernant ces peines qui doivent notamment tenir compte de la personnalité de la personne condamnée. En effet, les juges du fond ont indiqué ne pas avoir d’éléments tangibles concernant la personnalité de la présidente de l’association alors que son avocat aurait pu utilement répondre à leurs questions sur ce point.

D. T.

 

CE, 29 mars 2024, n° 467524

Lagomorphes – Animaux de compagnie – Certificat d’engagement (oui)

 

Rejet de la requête du syndicat des professionnels de l'animal familier, PRODAF, demandant au Conseil d’État d'annuler pour excès de pouvoir les dispositions du I de l'article D. 214-32-4 du code rural et de la pêche maritime dans leur rédaction résultant du décret n° 2022-1012 du 18 juillet 2022 relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale en tant qu'elles concernent les lagomorphes qui ne sont pas destinés à la consommation humaine. Contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, d'une part, l'inclusion, par les dispositions contestées, des lagomorphes non destinés à la consommation humaine dans le champ des animaux auxquels s'applique l'obligation, pour toute personne envisageant d'acquérir un animal de compagnie, de signer, au moins sept jours avant l'acquisition, un certificat d'engagement et de connaissance des besoins spécifiques, telle que prévue par les dispositions de l'article L. 214-8 du même code, n'est pas contraire à l'objet de ces dispositions, destinées à lutter contre la maltraitance animale en prévenant les achats impulsifs pouvant conduire à de telles situations. D'autre part, la formalité ainsi imposée par les dispositions de l'article L. 214-8 n'étant subordonnée à aucune condition en matière d'identification des animaux concernés, la circonstance qu'aucune obligation de cette nature ne soit imposée pour les lagomorphes est sans incidence sur la légalité des dispositions attaquées.

B. des B.

 

C. Euthanasie, bien-être animal

 

CE ord., 15 février 2024, n° 491562

Euthanasie – Chien – Rage

 

Pas de sursis pour le bichon Toki visé par une mesure d’euthanasie pour avoir croisé lors d’une promenade, un chien porteur de la rage.

Ses propriétaires ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 9 janvier 2024 par lequel le maire de la commune de Hyères-les-Palmiers a ordonné l'euthanasie sans délai de leur petit chien Toki et de lui enjoindre de leur indiquer les mesures de surveillance à prendre, en substitution de la mesure d'euthanasie. Par une ordonnance n° 2400200 du 24 janvier 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté leur demande. Sans attendre la décision du juge du Conseil d’État saisi d’un pourvoi contre cette ordonnance, ni les résultats des examens effectués par un vétérinaire sur le bichon pour savoir s’il était porteur ou non de la rage ; résultats qui in fine se sont avérés négatifs, le préfet a fait exécuter d’office la mesure, d’où cette ordonnance laconique rendue par le Conseil d’État ; la requête étant devenue sans objet : « Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de suspension et d'injonction de la requête de Mme et M. B. ».

B. des B.

 

IV. Les animaux, être aimés

 

Aucune jurisprudence pour ce numéro.

 

V. Les animaux, causes de troubles

 

A. La responsabilité civile

 

Aucune jurisprudence pour ce numéro.

 

B. La responsabilité administrative

 

Aucune jurisprudence pour ce numéro.

 

C. La santé humaine

 

Cass. Crim., 23 avril 2024, n° 23-83.604

Élevage porcin – Règles sanitaires

 

Un homme a exploité un élevage de cochons gascons sur un terrain appartenant à une commune. Il a été condamné pour diverses infractions, notamment relatives aux conditions sanitaires dans lequel l’élevage était effectué. Il a été relaxé concernant d’autres contraventions, ce qui explique que le prévenu et le ministère public ont fait appel du jugement. Devant la Cour de cassation, se pose essentiellement la question de l’admission de la culpabilité de l’éleveur pour manquement à un règlement sanitaire départemental en installant son activité à moins de 100 mètres des habitations. La Cour de cassation a dû répondre au fait de savoir si cette contravention pouvait s’appliquer à un élevage en plein air et non pas seulement aux élevages clos. Le prévenu soutenait que cela n’était pas possible en raison du texte identifiant les « bâtiments renfermant des animaux ». La Haute juridiction ne suit pas cette lecture stricte et admet l’application du texte à l’ensemble des types d’élevage.

D. T.

 

D. Les animaux dangereux

 

a. Imprudence- Négligence

 

Cass. Civ. 2e, 14 mars 2024, n° 22-18.426

Ferme pédagogique – Fauve – Obligation de sécurité – Assurance

 

Une femme exploite une ferme pédagogique dans laquelle elle exerce également en qualité de dompteuse de fauves. En son absence, elle a laissé une bénévole de la structure, non formée, s’occuper du nourrissage des animaux. Celle-ci a été grièvement blessée par un tigre.

À la suite de cet accident, l’exploitante a été déclarée coupable des faits de blessures involontaires avec incapacité supérieure à 3 mois par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence, ainsi que d'exploitation irrégulière d'établissement détenant des animaux non domestiques. Son assureur a refusé sa garantie en s’appuyant sur la faute dolosive de l’assurée, ce que les juges du fond ont admis. Cependant, tel ne sera pas l’avis de la Cour de cassation. En effet, ne peut être retenue la faute dolosive dès lors que l’assuré n’a pas conscience du caractère inéluctable des conséquences dommageables de son acte. Or, ce point n’a pas été caractérisé par la cour d’appel. La simple conscience des risques par un manquement délibéré à une obligation de sécurité n’est pas suffisante pour établir une faute dolosive.

D. T.

 

b. Dégâts causés par les animaux

 

TA Toulouse ord., 7 mai 2024, n° 2402509, 2402510

Meutes canines – Régulation administrative – Motivation insuffisante

 

À l’instar de la décision du tribunal administratif de Mayotte du 15 novembre 2023, n° 2203167, annulant l’arrêté du préfet du 20 avril 2022 portant régulation administrative des meutes canines posant des problèmes de sécurité, qui autorisait la mise en œuvre d’opérations administratives de destruction des meutes de chiens par armes à feu, le tribunal administratif de Toulouse (Occitanie), ordonne la suspension de l’exécution de l’arrêté du 10 avril 2024 pris par le Préfet de l'Aveyron autorisant la destruction des chiens errants, divagants ou malfaisants sur le territoire des communes La Couvertoirade, L’Hospitalet du Larzac, Nant, Sainte Eulalie de Cernon et Saint Jean Saint Pau dans l’Aveyron entre 20 heures et 8 heures. Saisi par l’association Société Nationale pour la Défense des Animaux (SNDA) et l’association Stéphane LAMART « Pour la défense des droits des animaux », le tribunal administratif a considéré que l’urgence résultant de l’atteinte suffisamment grave portée aux intérêts défendus par les associations et de la période pendant laquelle l’abattage de tous les animaux était autorisée, justifiait que l’exécution de cet arrêté soit suspendue en présence d’un doute sérieux quant à la légalité de cette décision, ressortant de l’insuffisance de sa motivation et d’une inexacte application des textes en vigueur.

B. des B.

 

E. Les animaux nuisibles

 

Aucune jurisprudence pour ce numéro.

     

    RSDA 1-2024

    Actualité juridique : Jurisprudence

    Propriétés intellectuelles

    • Alexandre Zollinger
      Maître de conférences HDR
      Université de Poitiers
      CECOJI

    I. Contrefaçon de la marque « Le cri du lynx » : le tribunal ne recule pas (obs. sous TJ Paris, 17 Novembre 2022, n° 20/09782)

    1 - M. X. développe un système permettant de moduler le volume sonore des signaux de recul de véhicules (notamment d’engins de chantier) en fonction du bruit ambiant. Il dépose en 2002 une marque semi-figurative « Le cri du lynx », complétée en 2018 par une marque verbale éponyme, en lien avec les produits suivants : appareils de signalisation, alarmes, avertisseurs sonores pour véhicules… M. X. exploite ce système de signal de recul à faible acoustique via la société LCP dont il est le gérant. Une société concurrente, la SAS SC Invest, commercialise des produits et pièces détachées pour véhicules, et offre notamment à la vente des avertisseurs « représentant le cri d’un lynx » ou décrits en incluant la mention « bruit d’un lynx ». A défaut de règlement amiable du litige, M. X. et la SARL LCP intentent une action en contrefaçon de marque à l’encontre de la SAS SC Invest ; à titre reconventionnel, celle-ci se prévaut de la nullité des marques en cause, qui seraient dépourvues de distinctivité.

    2 – La SAS SC Invest prétend que « la marque litigieuse ne serait pas distinctive mais purement descriptive, dans la mesure où elle ne ferait que décrire le bruit émis par les appareils de recul qui s'apparente au cri du félin ». Le titulaire des marques prétend au contraire que la dénomination serait purement arbitraire et non descriptive ; il fournit, aux fins de cette démonstration, un dossier technique détaillant son système de modulation des signaux de recul, ainsi que des enregistrements audio de l’avertisseur sonore et du véritable cri du lynx. Suivant ce dossier, « le signal sonore discontinu délivré par l'avertisseur n'est pas aléatoire mais constant, il est parfaitement régulier puisque généré électroniquement. La seule variable est sa puissance sonore. On ne peut pas en dire autant d'un cri d'animal, qui est sujet à de nombreuses variations et vocalises. Son bruit/son cri sera différent s'il chasse, cherche à se reproduire, à intimider ». Le tribunal, convaincu, estime qu’il « ne résulte [des extraits audio] pas la moindre similarité » entre le bruit de cet avertisseur et le cri d’un lynx, « au demeurant peu connu ». La dénomination étant arbitraire, non dépourvue de distinctivité, les marques en cause sont considérées comme valides. Voici une nouvelle illustration de la prise en compte, par le juge, de la réalité biologique d’un animal (ici de son cri) pour déterminer la protégeabilité en propriété intellectuelle de sa représentation ou de la référence qui y est faite1.

    3 – Le tribunal apprécie ensuite l’existence d’une contrefaçon, en application de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle (ceci conduisant à comparer les signes en présence, les produits ou service auxquels ils sont associés, et à apprécier – en cas de similarité et non d’identité sur au moins l’un de ces deux critères – l’existence d’un risque de confusion pour le public pertinent). Sans surprise, le tribunal retient le caractère « sinon identique, du moins parfaitement similaire, aux plans tant visuel, qu'auditif et surtout conceptuel, des dénominations » litigieuses, employées pour un produit « parfaitement identique » à celui proposé par le demandeur. Le risque d’association des produits du défendeur aux marques détenues par le demandeur est alors considéré comme « réel », et la contrefaçon est ainsi retenue. Le tribunal procède à une analyse spécifique de la mention « cri du lynx » insérée dans le « chemin d’accès » aux produits litigieux de la société défenderesse (c’est-à-dire dans le lien hypertexte profond) : cette utilisation « lui permet d'être référencée dans les résultats des moteurs de recherche lorsque le consommateur recherche le produit de la demanderesse ». Pour le tribunal, « La société SC Invest fait ainsi connaître ses propres produits à l'internaute qui rechercherait des informations ou des offres sur les produits du titulaire de la marque. Cela porte atteinte à la fonction essentielle de la marque dans le domaine du commerce électronique ».

    4 – On se souvient toutefois que la Cour de justice a été moins affirmative quant au caractère contrefaisant de l’utilisation, comme mot-clé employé à des fins de référencement sur les moteurs de recherche, du signe verbal « Interflora » par un concurrent. Elle semblait en effet soumettre l’atteinte aux fonctions de la marque à des conditions particulières en posant qu’un tel usage « - porte atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque la publicité affichée à partir dudit mot clé ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers ; – ne porte pas atteinte, dans le cadre d’un service de référencement ayant les caractéristiques de celui en cause au principal, à la fonction de publicité de la marque, et – porte atteinte à la fonction d’investissement de la marque s’il gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs »2.

    5 – La motivation de la décision commentée aurait pu être plus précise quant à l’atteinte à la « fonction essentielle de la marque », sans toutefois que cela nous semble remettre en cause l’issue du litige. L’atteinte à la fonction de garantie d’origine de la marque ne se déduit pas du seul référencement résultant de l’emploi du signe comme mot-clé ; elle exige la caractérisation d’une difficulté légitime, pour le public pertinent, à percevoir si les produits auxquels renvoie le référencement proviennent ou non du titulaire de la marque. En l’occurrence, cette difficulté d’identification de l’origine semble assez évidente, car au-delà de la seule conséquence technique (le référencement) vraisemblablement recherchée, l’emploi explicite des éléments verbaux de la marque sur la page du site du défendeur, dans la description des produits litigieux et dans le lien hypertexte même permettant de les acheter crée une confusion quant au point de savoir si les produits proviennent ou non du titulaire des marques.

     

    II. Accès aux documents administratifs relatifs à l’expérimentation animale vs. vie privée et secret des affaires : une transparence opaque3 (obs. sous TA Paris, 5e section, 3e ch., 24 Janvier 2024, n° 2300100)

    6 – L’expérimentation animale est l’objet d’un contentieux administratif d’une importance particulière, qu’il convient ici d’évoquer même s’il n’implique qu’indirectement ou à la marge les droits de propriété intellectuelle. Lesdites expérimentations peuvent intervenir en amont d’innovations (recherche fondamentale, susceptible de conduire ultérieurement à des produits ou procédés protégeables par la propriété industrielle ou le secret), ou en aval, notamment pour identifier la toxicité de médicaments déjà élaborés (tests précliniques, généralement réalisés entre le dépôt d’une demande de brevet et l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché desdits médicaments). Lorsque les expérimentations sont réalisées par un établissement public, les documents élaborés par l’administration en lien avec ces activités se voient appliquer le régime des données publiques, et notamment le droit d’accès posé à l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), suivant lequel « Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». Parmi les exceptions à ce droit d’accès, l’article L. 311-6 du CRPA dispose notamment que ne sont communicables qu’aux intéressés (sauf à occulter les passages concernés, en application de l’article L. 311-7) les documents administratifs « [d]ont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence (…) ». Le sujet est ainsi au cœur, si ce n’est de la propriété intellectuelle au sens strict, du droit de la recherche et du droit des données, qui lui sont connexes.

    A. Contextualisation

    7 – Comme le souligne la Professeure Türk, « les documents administratifs relatifs à l’expérimentation animale sont rarement rendus publics de manière spontanée, ou le sont de façon très sélective. Leur communication, sur demande, reste particulièrement difficile à obtenir : listes des établissements pratiquant l’expérimentation animale ; autorisations de projets d’expérimentation ; agréments des comités d’éthique qui évaluent les projets ; rapport d’activité annuel du Comité national de réflexion éthique sur l’expérimentation animale ; bilans d’activité des comités d’éthique qu’il revient au CNREEA de produire chaque année ; calendrier et listes des inspections des établissements qui utilisent les animaux à des fins scientifiques ; rapports d’inspection eux-mêmes, produits par les services vétérinaires »4. Cette opacité, se manifestant par des refus (en général implicites) de communiquer les documents administratifs sollicités, est aujourd’hui contestée, par des associations ou des personnes physiques, devant la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs) puis les tribunaux administratifs.

    8 – C’est ainsi notamment que M. A. a saisi une trentaine de tribunaux administratifs pour contester les refus implicites des DDPP (direction départementale de la protection des populations) ou préfectures de communiquer leurs rapports d’inspection des établissements d’expérimentation animale relevant de leur département. Les tribunaux administratifs font, de manière quasiment systématique, droit à ces requêtes, annulent les décisions administratives contestées et enjoignent aux préfets en cause de communiquer les rapports sollicités « avec occultation des mentions permettant l'identification des personnes physiques qui exercent une activité professionnelle dans des établissements accueillant des expérimentations sur les animaux et des rédacteurs des rapports de contrôle dont la communication est sollicitée, ainsi que, le cas échéant, des mentions protégées par le secret des affaires »5. De même, le tribunal administratif de Paris a annulé, par un jugement du 9 février 2023, la décision implicite du ministre de l'agriculture et de l'alimentation refusant de communiquer à M. A les documents relatifs aux procédures administratives engagées suite aux inspections diligentées depuis 2017 dans les établissements d'expérimentation animale6.

    9 – L’espèce commentée porte sur un autre volet de l’activité d’expérimentation animale : les dossiers de demande d’autorisation. L’expérimentation animale est encadrée par la directive européenne n°2010/63/UE, transposée en France par l’adoption du décret n° 2013-118 du 1er février 2013 relatif à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, et de 4 arrêtés du même jour. Suivant l’article R. 214-122 du Code rural et de la pêche maritime, résultant dudit décret, « la réalisation d'un projet comportant l'exécution d'une ou de plusieurs procédures expérimentales est soumise à l'obtention d'une autorisation accordée par le ministre chargé de la recherche ». Cette autorisation doit être précédée d’une évaluation (favorable au projet) par un comité d’éthique en expérimentation animale agréé (articles R. 214-117 et R. 214-123 du même code). Les porteurs de projets scientifiques impliquant « de causer [à un animal] une douleur, une souffrance, une angoisse ou des dommages durables équivalents ou supérieurs à ceux causés par l’introduction d’une aiguille conformément aux bonnes pratiques vétérinaires »7 doivent ainsi constituer un dossier de demande d’autorisation, examiné en premier lieu par un comité d’éthique avant que le ministre ne rende sa décision d’autoriser, ou non, le projet en cause.

    B. Faits

    10 – L’association Transcience a pour objet d’encourager la transition vers une recherche scientifique ne recourant pas à l’expérimentation animale. Elle sollicite la communication, par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, de « dix-huit dossiers de demande d'autorisation de projets utilisant des animaux vivants à des fins scientifiques et ayant donné lieu à l'octroi d'agréments ministériels à trente comités d'éthique en expérimentation animale »8. Face au refus implicite du ministère, l’association saisit la CADA ; celle-ci rend, le 15 novembre 2022, un avis favorable à la communication, avec réserves (avis non accessible sur le site de la Commission, ce que l’on peut regretter). L’association saisit alors le tribunal administratif de Paris d’une requête visant à annuler la décision implicite de refus de communication et à enjoindre au ministère de communiquer les documents demandés.

    11 – Le tribunal rappelle à titre liminaire le contenu du dossier de demande d’autorisation (devant notamment justifier l’intérêt du projet et la nécessité d’utiliser les animaux en cause dans le respect de la règle des « 3R » – remplacement, réduction, raffinement –, mais aussi proposer un classement des procédures d’expérimentation envisagées par degré de sévérité et contenir un « résumé non technique » destiné à être rendu public) ainsi que les dispositions applicables du CRPA. Si les documents préparatoires sont en principe exclus du droit d’accès aux documents administratifs (V. art. L. 311-2 du CRPA), les dossiers de demande d’autorisation n’appartiennent plus à cette catégorie dès lors que lesdites autorisations ont été délivrées par le ministère. Le tribunal écarte également l’objection tirée de la présence, dans les dossiers, de mentions relatives à la vie privée ou au secret des affaires, en soulignant que ces dernières peuvent faire l’objet d’une occultation ou d’une disjonction ; à défaut d’être suffisamment justifié, le juge administratif ne donne aucun effet à l’argument du ministère suivant lequel « l'ampleur des occultations conduirait à vider de leur intérêt les documents demandés ». La décision implicite de refus, considérée ainsi comme non motivée, est annulée, le tribunal enjoignant au ministre de communiquer à l’association les documents demandés dans un délai d’un mois.

    C. Interrogations

    12 – La décision appelle sur ce point diverses remarques, quant à l’étendue et au poids des occultations à apporter à des dossiers de demande d’autorisation en vue de leur communication à un tiers. Au titre de la « vie privée » tout d’abord, la jurisprudence semble s’orienter vers une « anonymisation » assez minimale concernant les documents relatifs à l’expérimentation animale. Ainsi les juridictions administratives affirment-elles que les occultations doivent se limiter aux « seules mentions permettant l'identification de toute personne physique citée »9. En théorie, la formule est à l’abri de tout reproche ; en pratique, elle ne saurait conduire à la seule suppression des noms des personnes en cause, mais à envisager toutes les « données indirectement identifiantes » au sens du droit des données à caractère personnel. Le tribunal administratif de Nice semble pourtant avoir invalidé l’occultation du nom des établissements procédant à des expérimentations animales10, donnée que l’on pourrait considérer comme indirectement identifiante… Connaître l’établissement, le domaine de recherche, l’équipe de recherche peut permettre de déterminer, par recoupement avec d’autres données (notamment accessibles en ligne), la ou les personnes vraisemblablement impliquées. Un dilemme semble alors se présenter : soit il est requis de procéder à une véritable anonymisation des données, au sens du droit des données à caractère personnel, ce qui requiert alors un travail complexe et chronophage de « disjonction », soit il n’est procédé qu’à des occultations plus restreintes, plus aisées à réaliser mais sans doute insuffisantes pour que l’on considère le document comme expurgé de toutes données à caractère personnel. On trouve ici une nouvelle et belle illustration de la difficulté à concilier les régimes des données à caractère personnel et des données publiques (en particulier la logique d’ouverture qui sous-tend ce dernier)11. La seule référence à la « vie privée » dans le Code des relations entre le public et l’administration est un peu légère pour organiser cette articulation et prendre en considération la législation existant en matière de données à caractère personnel (dont le règlement général sur la protection des données, du 27 avril 2016).

    13 – Une ambiguïté semble également exister quant à l’ampleur des occultations requises par la protection du secret des affaires12. A défaut de contentieux antérieur – du moins à notre connaissance – quant à la communicabilité des dossiers de demande d’autorisation, la jurisprudence relative aux rapports d’inspection fournit quelques indications sur ce point. Dans une décision du 17 mars 2023, le tribunal de Caen a ainsi estimé que « les termes très généraux utilisés par le préfet » dans un rapport d’inspection ne pouvaient justifier un refus de communication au titre du secret commercial et industriel (d’autant qu’il n’était pas démontré que ces éléments ne pouvaient pas être occultés)13. Le tribunal de Limoges a quant à lui refusé de considérer que « les éléments d'identification du laboratoire, le niveau de respect des normes imposées en vue de garantir le bien-être animal, aurai[en]t pour conséquence la divulgation de techniques industrielles protégées par le secret des affaires »14. Les tribunaux ont par contre précisé dans d’autres espèces que « sont protégées par le secret des affaires […] et en conséquence doivent être occultées, les mentions des rapports d'inspection qui comporteraient une description, même sommaire, de procédés ou techniques scientifiques ou industrielles, une telle description ne résultant en revanche pas de la seule mention du titre ou de la référence d'un projet scientifique ou industriel, dès lors que cette mention n'est pas assortie d'une explicitation, même sommaire, du contenu technique de ces projets »15.

    14 – Dans la situation de l’espèce commentée, les dossiers de demande d’autorisation contiennent, par hypothèse et par essence, une description substantielle des projets de recherche envisagés16, dans leur dimension technique. Supprimer ces informations, ou en réduire le degré de détail, est-il alors requis avant communication ? Dans l’affirmative, ceci ne reviendrait-il pas, dans une certaine mesure, à reconstituer la partie du dossier nommée « résumé non technique », qui existe déjà, est « anonyme »17, garantit « le respect de la propriété intellectuelle et de la confidentialité des informations »18 et est systématiquement rendue publiquehttps://webgate.ec.europa.eu/envdataportal/web/resources/alures/submission/nts/list">19 ? Sommes-nous, pour l’exprimer plus trivialement, en train de réinventer l’eau tiède ? Les mesures spéciales de publicité résultant de la directive 2010/63 ne privent-elles pas d’objet les demandes d’accès aux dossiers au titre du régime général des documents administratifs (du moins lorsque les résumés non techniques ont bien été rendus publics)20 ? L’article L. 311-2 al. 4 du Code des relations entre le public et l’administration dispose d’ailleurs que « Le droit à communication ne s'exerce plus lorsque les documents font l'objet d'une diffusion publique »… La question mérite sans doute d’être approfondie et l’on peut regretter que la décision commentée, peu diserte sur la question du secret des affaires, n’ait pas été l’occasion d’apporter ces précisions (susceptibles d’être utiles à la fois au public intéressé par la communication de ces documents et aux services chargés de procéder – dans un délai contraint et sans consigne précise21 – à ces occultations).

    D. Suites

    15 – Parallèlement à ce jugement, l’association Transcience a déposé différentes requêtes en vue de faire annuler les décisions implicites de refus du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, auquel il était demandé d’annuler 18 autorisations de projets fondées sur des avis éthiques de comités ne bénéficiant pas d’agréments. Il peut être postulé que les projets en cause étaient les mêmes que ceux visés dans la décision commentée. Le Tribunal administratif22 puis la Cour administrative d’appel de Paris font droit à l’essentiel23 des requêtes, au motif que « l'agrément non seulement vise à garantir la compétence des membres du comité d'éthique mais également à garantir leur indépendance et impartialité »24 ; le défaut d’agrément des comités en cause à la date de leur avis, privant les administrés de ces garanties, empêche de considérer que les autorisations des projets ont été prises suite à une « évaluation éthique favorable » tel que le requiert l’article R. 214-123 du Code rural et de la pêche maritime. Celles-ci sont de ce fait entachées d’irrégularité manifeste. Il peut être relevé que l’annulation des autorisations de projets est ici demandée, et obtenue, sur la base des informations fournies par les résumés non techniques ; la communication des dossiers de demandes d’autorisation dans leur « fausse » intégralité (car après que ces derniers ont fait l’objet des occultations requises) ne semble pas (ou plus) être ici d’une nécessité première… 

    • 1 V., en matière de droit d’auteur et droit des dessins et modèles, CA Paris, pôle 5, 1re ch., 28 juin 2016, RG 2014/17051, PIBD 1er août 2016, n° 1055, III, p. 678, RSDA 2/2016, p. 125 (apparence d’un requin et d’un poisson-clown) ; également, en matière de droit d’auteur, TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 16 mars 2017, RG 2013/17244, D20170033, PIBD n° 1074, III, p. 496 ; RSDA 2/2017, p. 154 (apparence d’un papillon).
    • 2 CJUE, 22 sept. 2011, aff. C-323/09, Interflora Inc. c/ Marks & Spencer plc : Comm. com. électr. 2011, comm. 112, Ch. Caron ; RTD com. 2012, p. 103, obs. J. Azéma.
    • 3 L’auteur de ces lignes précise, à des fins de transparence, avoir été membre du Comité d’éthique en expérimentation animale Val de Loire de septembre 2020 à mars 2024.
    • 4 P. Türk, « Transparence v/ opacité : les pratiques administratives en matière d’expérimentation animale devant le juge administratif », comm. de TA Nice, 22 février 2022, M. A, n°2100379, Revue Lexsociété, 2024, ‌10.61953/lex.5396‌, ‌hal-04428174.
    • 5 TA Caen, 17 mars 2023, n° 2002558 ; également en ce sens, sans vocation à l’exhaustivité, TA Dijon, 3e chambre, 17 Novembre 2022, n° 2003490TA ; TA Grenoble, 17 juillet 2023, n° 2007804 ; TA Limoges, 9 mars 2023, n° 2001886 (ne visant pas, toutefois, dans son dispositif l’occultation des informations relevant du secret des affaires)…
    • 6 TA Paris, 5e section, 2e ch., 9 février 2023, n° 2201251.
    • 7 Dir. n°2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, art. 1er, 5. f).
    • 8 La formulation surprend, les dossiers de demande d’autorisation de projets scientifiques nous semblant distincts des formalités d’agrément des comités d’éthique en expérimentation animale. Sans doute y a-t-il là un souci de syntaxe, d’autant que l’on perçoit mal comment 18 dossiers de demande d’autorisation de projets pourraient « donner lieu » à l’octroi d’agréments de 30 comités d’éthique… V. toutefois, permettant de mieux saisir en quoi l’examen des demandes d’autorisation était en l’espèce liée au contexte d’absence d’agrément des comités évaluateurs, infra §15.
    • 9 V. par exemple, concernant de demandes de communication de rapports d’inspection, TA Nantes, 14 février 2023, n° 2013046 ; TA Grenoble, 17 juillet 2023, n° 2007804.
    • 10 TA Nice, 22 février 2022, n°2100379, commenté par P. Türk, op. cit..
    • 11 Cf. G-D. S. Keke, La démocratie numérique et la protection des données personnelles, thèse Tours, soutenue le 5 avril 2024, p. 261 et s..
    • 12 V. plus généralement sur le sujet V. Beaujard et V. Vince, « Doctrine de la Commission d’accès aux documents administratifs – L’exemple du champ de communication des documents et des réserves formulées au titre du secret des affaires et du droit au respect de la vie privée », JCP A 2023, 2377.
    • 13 TA Caen, 17 mars 2023, n° 2002558 ; également en ce sens, TA Dijon, 3e chambre, 17 novembre 2022, n° 2003490TA.
    • 14 TA Limoges, 9 mars 2023, n° 2001886 ; V. également TA Nantes, 14 février 2023, n° 2013046 : « les mentions relatives à la dénomination et aux coordonnées des établissements, aux dates des rapports, aux conformités ou éventuelles non conformités relevées par les inspecteurs ou aux commentaires relatifs à chaque point de contrôle inspecté, ne portent pas atteinte au secret des affaires […]. Il en va de même de la simple mention des titres ou des références de projets scientifiques, y compris dans le cas où ces projets sont soumis à l'avis favorable d'un comité d'éthique ».
    • 15 TA Grenoble, 17 juillet 2023, n° 2007804 ; TA Nantes, 14 février 2023, n° 2013046.
    • 16 Dans l’hypothèse d’expérimentations animales menées à des fins pédagogiques (expérimentations également soumises à l’exigence d’une autorisation préalable), on pourrait toutefois considérer que les enjeux relatifs au secret des affaires sont moindres, voire inexistants.
    • 17 Dir. n°2010/63/UE du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, art. 43.
    • 18 Ibidem.
    • 19 https://webgate.ec.europa.eu/envdataportal/web/resources/alures/submission/nts/list
    • 20 Sauf éventuellement à permettre au public de vérifier que le résumé non technique est bien fidèle au contenu du dossier de demande d’autorisation dans son ensemble.
    • 21 On ne sait pas même qui doit procéder à ces occultations : ceci relèvera-t-il des porteurs de projets auteurs des demandes d’autorisation, des comités ayant émis l’avis éthique sur celles-ci ou encore du ministère ? Celles relatives au secret des affaires nous semble essentiellement pouvoir être réalisées par les équipes de recherche en cause (davantage à même de distinguer les informations comprises dans l’état de la technique de celles, plus innovantes, nécessitant une protection par le secret), éventuellement assistées des services de valorisation de la recherche de leur établissement.  
    • 22 TA Paris, 4e section, 1ère ch., 8 février 2024, n° 2219559, 2219560, 2219561, 2219564, 2219565, 2219568, 2219571, 2219572, 2219573, 2219575.
    • 23 Sauf dans les hypothèses dans lesquelles l’association s’est désistée des conclusions de ses requêtes.
    • 24 CAA Paris, 23 mai 2024, n° 24PA01721, 24PA01723, 24PA01724, 24PA01725, 24PA01726, 24PA01727, 24PA01728, 24PA01729, 24PA01730, 24PA01731.
     

    RSDA 1-2024

    Actualité juridique : Législation

    Initiatives parlementaires d'intérêt animalier

    • Jean-Pierre Marguénaud
      Agrégé de Droit privé et de Sciences criminelles
      Université de Montpellier
      Membre de l'Institut de Droit Européen des Droits de l'Homme (IDEDH)

    Dans le n° 2 /2020 de la RSDA (p.15), une article avait été consacré au phénomène qui commençait à se remarquer d’ « inflation des propositions de lois d'intérêt animalier ». Depuis, certaines de ces PPL, pour reprendre le jargon parlementaire qui a mis en exergue le P au cœur du mot proposition pour forger un superbe acronyme permettant une éclatante distinction avec les PJL, projets de lois avec un J de toute beauté au milieu du premier mot, ont eu l'honneur d'un débat devant le Parlement.

    Bien sûr, certains ont tristement avorté comme celui consacré le 8 octobre 2020 à la proposition n° 3293 « relatives à de premières mesures d'interdiction de certaines pratiques génératrices de souffrance chez les animaux et d'amélioration des conditions de vie de ces derniers » portée par le député Cédric Villani et celui qui s'est brièvement amorcé le 24 novembre 2022 sur la proposition n° 635 visant à abolir la corrida que le député Aymeric Caron avait dû retirer face à la multiplication des obstructions. Il est vrai que le choix de les inscrire dans la niche parlementaire aménagée depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 en faveur des groupes minoritaires ne laissait pas beaucoup d'espoir de les faire aboutir en une seule journée strictement chronométrée.

    En revanche, la proposition n° 3661 modifié visant à lutter contre la maltraitance animale puis à conforter les liens entre les hommes et les animaux, a eu le bonheur de franchir tous les écueils et de devenir la loi du 30 novembre 2021 parce les députés Laetitia Romero-Diaz, Loïc Dombreval et Dimitri Houbron qui l'ont initiée, ont pu adopter une autre stratégie parlementaire en s'attachant le soutien de la majorité à laquelle ils appartenaient. Encore qu'elle ait soigneusement évité les sujets les plus passionnels et que ses décrets d'application laissent plus qu'à désirer, cette loi marquera une étape importante du droit animalier français. Il est d'ailleurs à prévoir que le Parlement ne débattra pas d'une loi d'intérêt animalier d'une telle ampleur avant longtemps. Comme les propositions portant sur des questions plus précises ont toujours aussi peu de chances d'aboutir même par le moyen d'une niche parlementaire, on aurait pu s'attendre à ce que l'engouement pour les PPL animalières retombe. Or tel n'a pas été le cas. Venant de tous les bords politiques, elles sont toujours aussi nombreuses. C'est pourquoi l'idée s'est peu à peu imposée de leur consacrer une chronique régulière.

    D'une manière générale, les propositions de lois ne pouvant guère aboutir que dans des conditions politiques très improbables telles que celles qui ont permis à la proposition n° 2211 de la précédente législature déposée le 11 septembre 2019 par le député de la Lozère Pierre Morel-À-L'Huissier dans le prolongement de la célébrissime affaire du coq Maurice de devenir la loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 sur la protection du patrimoine sensoriel des campagnes françaises, elles sont laissées dans l'ombre. Souvent les événements qui les ont inspirées ont été fortement médiatisés mais, généralement, la manière dont elles préconisent d'en tirer les leçons quelques jours ou quelques semaines plus tard, n'intéresse personne : ni les journalistes qui sont déjà passés à autre chose, ni les chercheurs qui préfèrent réserver leur temps et leurs forces pour commenter l'actualité de la jurisprudence dont l'influence sur le cours des événements est, il est vrai, plus concrète et plus effective. Pourtant, même si elles peuvent souvent céder à la démagogie ambiante, les PPL disent beaucoup et en tout cas quelque chose des évolutions qui travaillent et des contradictions qui tenaillent la société civile. Pour comprendre et éclairer les réformes juridiques de l'année prochaine ou de dans 10 ans, ou pour s'organiser à temps de manière à mieux les étouffer dans l'œuf, il n'est pas certain, que nourrie de sociologie et d'anthropologie juridiques, l'étude des PPL soit d'un intérêt moindre que celui du droit comparé ou de l'histoire du droit. Bien observées, elles peuvent servir d'anémomètre pour comprendre de quel côté et avec quelle force le vent souffle, de thermomètre pour saisir à quel point des sujets deviennent brûlants et de baromètre pour aider à anticiper les évolutions. Dès lors, on en viendrait presque à souhaiter l'émergence, sous une dénomination à préciser, d'un nouveau champ disciplinaire qui aurait aussi le mérite de mettre en évidence l'importance du travail inlassable des assistants parlementaires qui ne peuvent pas tous vivre de l'espoir de devenir un jour député ou sénateur à leur tour. Comme l'ambition n'a pas d'âge, on peut, en attendant des renforts et des relais, se fixer pour objectif de commencer à faire apparaître l'intérêt de cette nouvelle discipline, en étudiant, régulièrement s'il y a toujours matière, les PPL d'intérêt animalier, en assumant résolument le risque d'être accusé de regarder les choses par le petit bout de la lorgnette et en se promettant d'affiner progressivement la grille de lecture où l'exposé des motifs devrait retenir plus particulièrement l'attention.

    Pour la période semestrielle expérimentale courant du 15 novembre 2023 au 15 mai 2024, ont été répertoriées dix propositions de lois déposées par des députés et des députées, quatre par des sénateurs et une sénatrice. Elles confirment que le droit animalier a vocation à embrasser tout à la fois les règles destinées à améliorer la protection des animaux (I)) et celles qui visent à renforcer la protection contre les animaux (II). Signe des temps inquiétants, on perçoit de plus en plus nettement des PPL qui tendent à pérenniser les activités productrices de souffrance pour les animaux (III).

     

    I. Les propositions visant à renforcer la protection des animaux

     

    Certaines visent à prolonger la loi du 30 novembre 2021 pour mieux lutter contre la maltraitance des animaux domestiques et assimilés ; d'autres s'efforcent de compenser l'échec de la proposition d'abolition de la corrida ; d'autres enfin s'intéressent à la protection des animaux sauvages ou liminaires.

     

    A. Prolonger la loi du 30 novembre 2021

     

    Le prolongement le plus ambitieux est envisagé par la proposition n° 2565 déposée le 2 mai 2024 par la députée membre du groupe Les Républicains Alexandra Martin. En effet, il vise à son tour de manière générale à « mieux protéger les animaux, améliorer leurs conditions de vie et lutter contre la maltraitance' ». Il ne faut pas décourager les bonnes volontés, mais il est difficile de passer sous silence le caractère particulièrement décousu de cette proposition de loi dont l'exposé des motifs d'une vingtaine de lignes n’a pas dû demander beaucoup plus de 5 minutes de réflexion et qui débouche sur un catalogue de « mesures simples pour lutter contre le fléau des abandons et des actes de cruauté envers les animaux ». Parmi ces mesures simples, il en est une que l'on pourrait qualifier de simpliste puisqu'elle consiste pratiquement à doubler les sanctions pénales prévues par les articles 521-1, 521-1-1 et 521-1-2 du Code pénal pour lutter contre les formes les plus graves de maltraitance animale. On sait bien, pourtant, que l'incessante augmentation depuis 1976 des peines encourues par les auteurs d'abandons volontaires d'animaux domestiques n’a en rien contribué à endiguer le fléau estival. Peut-être quelques mots d'explication sur le choix de cette stratégie ultra répressive vouée à l'échec n'auraient-ils pas été de trop. Il est vrai que la proposition Martin explore une autre voie qui mériterait d'être approfondie : la voie fiscale qui se traduirait par un crédit d'impôts pour frais de stérilisation engagés par le propriétaire d'un chien ou d'un chat domestique et une exonération des actes de stérilisation et de castration des chiens et des chats errants de la taxe sur la valeur ajoutée. On relèvera aussi avec intérêt l'accent mis par cette proposition sur la nécessité d'empêcher la surstimulation ovarienne sur les chiennes et les chattes et l’électrostimulation sur les chiens et les chats visant à obtenir des paillettes de reproduction. Il est, somme toute, regrettable que ces idées stimulantes et quelques autres ne soient pas présentées avec plus de méthode. Il est légitime de chercher à faire valoir devant ses électeurs que l'on a travaillé à améliorer le sort des animaux en déposant une proposition de loi, mais tout le monde gagnerait à ce que le fond des questions soit approfondi car, en droit, « les mesures simples », sont souvent les plus difficiles à faire tenir debout.

    Un autre député du groupe Les Républicains, M. Jean-Louis Thieriot, a fait enregistrer le 21 décembre 2023 une proposition n° 2039 qui aurait pu servir de modèle à sa collègue Mme Alexandra Martin. Visant uniquement à empêcher les achats irraisonnés de chats et de chiens dans les foires et salons, elle est en effet précédée d'un exposé des motifs exemplaire à plus d'un titre. Il indique en effet, très précisément pourquoi l'interdiction par l'article L 241-7 du Code rural et de la pêche maritime des ventes des chiens et des chats dans les seuls foires, salons et autres manifestations non spécifiquement consacrés aux animaux créait un angle mort laissant se développer les achats irraisonnés qui contribueraient à maintenir le triste record de 100 000 chiens et chats abandonnés par an. Surtout l'exposé des motifs appuie sur un solide socle juridique l'unique proposition de modification de l'article du rural de manière à ce qu'il interdise les ventes de chiens et de chats même dans les foires et salons spécifiquement consacrés aux animaux. Ce socle qui devrait désormais servir à étayer et à renforcer la cohérence de toute nouvelle proposition d'amélioration de la situation des animaux est constitué d'abord par la loi de 2015 reconnaissant dans le Code civil la qualité d'êtres vivants et sensibles des animaux ; ensuite par la loi du 30 novembre 2021 qui n'a ni tout dit ni tout vu mais qui a au moins montré une direction à peu près satisfaisante. La référence aux éléments de ce socle est encore plus précise dans la proposition n° 2496 du 11 avril 2024 tendant également interdire la vente des chiens et des chats dans les foires et salons, déposée par un autre député du Groupe Les Républicains, M. Ian Boucard. Son exposé des motifs invoque en effet à plusieurs reprises « la célèbre loi n° 2015-177 du 16 février 2015 qui intègre la notion d’être vivant doué de sensibilité à l’animal et se place résolument dans le sillage de la très récente loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 contre la maltraitance animale [qui] est heureusement venue renforcer notre arsenal législatif... ». De l'extérieur, il est difficile de supputer les raisons pour lesquelles un député a cru devoir reprendre la proposition déjà solidement étayée de l'un de ses collègues membre du même groupe parlementaire. Quoi qu'il en soit la proposition Boucard présente un intérêt : renouant avec l'esprit qui avait permis l'adoption de la loi de 2021 : elle est transpartisane. Ainsi a-t-elle été co-signée par de nombreux autres membres du groupe Les Républicains comme M. Aurélien Pradié et Mme Emmanuelle Anthoine, mais aussi par des élues et des élus des groupes Renaissance (Mme Corinne Vignon), apparentés LFI (M. Aymeric Caron), RN (Mme Béatrice Roullaud), LIOT (M. Pierre Morel -À- L'Huissier) ou non-inscrits (Mme Véronique Besse).

     

    B. Surmonter l'échec de la proposition d'abolition de la corrida

     

    « Tout ce qui ne tue pas rend plus fort ». C'est par cet adage nietzschéen que les aficionados pourraient saluer l'échec successif de la QPC du 21 septembre 2012 et de la proposition Aymeric Caron du 24 novembre 2022 qui visaient à abolir purement et simplement la corrida. Il est en effet probable que, une fois saluées ces courageuses tentatives, il faudra s'armer de patience avant de prendre à nouveau le risque de tenter de lui porter frontalement le coup de grâce. En attendant, il est de bonne guerre d'essayer de l'affaiblir par des banderilles si l'on peut se permettre ces métaphores de plateaux de chaînes d'information en continu ... C'est ce qu'ont parfaitement compris deux récentes propositions de lois sénatoriales. La première, déposée le 22 novembre 2023 sous le n° 141 par la sénatrice EEVL Raymonde Poncet Monge la priverait en effet de la ressource du prosélytisme juvénile puisqu'elle vise à « interdire les corridas et les écoles taurines aux mineurs de moins de seize ans ». Il faut souligner l'exceptionnelle densité scientifique de l'exposé des motifs de cette proposition qui recense les travaux universitaires confirmant tous depuis l'étude pionnière du sociologue américain Clinton Flynn publiée en 2000 qu'assister de manière récurrente à des actes de cruauté envers les animaux compromettrait dangereusement les capacités d'empathie de ces enfants, les poussant à se montrer cruels envers les animaux et même les humains plus tard. Sur le plan juridique, l'argumentaire de Mme Poncet Monge, qui insiste sur la gravité particulière de l'entraînement à la pratique de la corrida dans des écoles taurines, ne manque pas de mettre en évidence l'essentielle recommandation adressée à la France en 2016 par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU de « redoubler d'efforts pour faire évoluer les traditions et les pratiques violentes qui ont un effet préjudiciable sur le bien-être des enfants, et notamment d'interdire l'accès des enfants aux spectacles de tauromachie ou à des spectacles apparentés ». Dans l' exposé des motifs plus succinct de sa proposition n° 475 déposée le 27 mars 2024, la sénatrice du groupe Renaissance Samantha Cazebonne accorde un rôle central aux positions exprimées par le Comité des droits de l'enfant et plus particulièrement à sa récente observation générale du 22 août 2023 selon laquelle « les enfants doivent être protégés contre toutes les formes de violence physique et psychologique et contre l'exposition à la violence, comme la violence domestique ou la violence infligée aux animaux ». Comme souvent, l'observateur extérieur s'interroge sur les raisons stratégiques qui poussent les parlementaires à déposer une proposition très proche de celle dont un collègue a pris l'initiative quelques semaines plus tôt. Il est vrai que la proposition de Mme Cazebonne présente l'intérêt d'interdire non seulement les corridas mais également les combats de coqs en présence d'enfants de moins de 16 ans, ce qui n'est pas tout à fait la même chose qu'interdire à ces enfants d'assister à ces spectacles. Quoi qu'il en soit, il est un argument qu'il est étonnant de ne retrouver ni dans l'un ni dans l'autre de ces exposés des motifs : Simone Veil et Robert Badinter, qui figurent au nombre des très rares personnalités dont la mémoire soit unanimement respectée, s'étaient tous les deux fermement prononcés pour l'interdiction des corridas aux mineurs (Cf. RSDA n°1/2011 p. 36). Adopter de toute urgence les propositions des sénatrices Poncet Monge et Cazebonne serait une belle manière de les associer dans le même hommage.

     

    C. Protéger les animaux sauvages et liminaires

     

    Le droit animalier peut revendiquer une certaine autonomie par rapport au droit de l'environnement qui s'intéresse aussi aux animaux et plus particulièrement aux plus sauvages d'entre eux. Le critère distinctif des deux disciplines est à n'en pas douter la sensibilité des individus dont le droit animalier se préoccupe systématiquement et travaille inlassablement à la faire davantage prendre en compte alors que le droit de l'environnement, légitimement obnubilé par la protection des espèces et des grands équilibres, met presque un point d'honneur à l'ignorer. Le droit animalier ne dédaigne pas lui la protection des espèces animales. Aussi doit -il accorder une grande attention à la proposition n° 2603 déposé le 7 mai 2024 par le député PS David Habib, qui pour lutter contre la diminution alarmante des poissons migrateurs dans les cours d'eau français et notamment dans les gaves pyrénéens où ils font toujours l'objet d'une pêche massive, vise à interdire la commercialisation du saumon de l'Atlantique, de la grande alose, de l'alose feinte, de la lamproie maritime et fluviatile et de la truite de mer.

    Entre les animaux sauvages vivant à l'état de liberté naturelle comme les poissons migrateurs et les animaux domestiques, il existe, suivant la terminologie qui a fait florès depuis la diffusion planétaire du Zoopolis de Sue Donaldson et Will Kymlicka, des animaux liminaires qui vivent libres mais à proximité des humains plus particulièrement en milieu urbain. Les pigeons sont les représentants les plus connus de cette catégorie scientifiquement intermédiaire mais qui peine à devenir une catégorie distincte pour le droit continuant à distinguer les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité et les animaux sauvages vivant librement. Or une proposition n° 2034 du 21 décembre 2023 portée par la députée Gisèle Lelouis flanquée de deux douzaines d'autres députées et députés du Rassemblement national a attiré l'attention sur les souffrances inhérentes aux campagnes de gazage organisées par de nombreuses municipalités pour en contenir la prolifération. L'exposé des motifs qui ne s'embarrasse pas de référence à la reconnaissance par le Code civil de la qualité d'êtres vivants doués de sensibilité à tous les animaux sans distinction, n'y va pas par quatre chemins : il déclare « aberrant que des mairies utilisent aujourd’hui des techniques qui font souffrir et tue des animaux avec l’argent des Français alors qu’il existe des méthodes éthiques et efficaces afin de réguler [les] populations [ de pigeons] ». Aussi la proposition vise-t-elle à « interdire les pratiques biocides létales de limitation des populations de pigeons en zone urbaine et à promouvoir des méthodes plus éthiques ». Cette proposition est particulièrement intéressante. Elle l'est tout d'abord parce qu'elle tend à prendre concrètement en considération la sensibilité d'animaux qui ne sont pas des animaux domestiques apprivoisés ou tenus en captivité et qui par conséquent n'ont pas vocation à bénéficier des dispositions répressives destinées à lutter contre les différentes formes de maltraitance. Elle l'est aussi parce que ses auteurs ont eu le bon sens de ne pas céder au réflexe de s'engager sur la voie répressive qui était difficilement praticable pour la raison déjà évoquée et pour d'autres tenant aux conditions d'engagement de la responsabilité pénale des collectivités territoriales. Ils ont eu au contraire la sagesse d'en appeler à des méthodes de régulation alternatives tels que le pigeonnier contraceptif et le maïs contraceptif qui n'exposent pas les pigeons à souffrir de la pluie, du vent, du gel, de la faim et de la soif dans des cages de reprises où ils attendent parfois plusieurs jours avant d'être gazés. La proposition est plus exemplaire que ne l'avait peut-être imaginé ses promoteurs car elle permet de caresser l'idée de plus en plus réaliste selon laquelle des méthodes alternatives contraceptives non létales et indolores pourraient être tout aussi bien indiquées pour procéder à la régulation des espèces de gibier ...

     

    II. Les propositions visant à renforcer la protection contre les animaux

     

    Le droit animalier auquel cette revue est consacrée depuis déjà quatre olympiades n'a jamais été réservée aux règles qui protègent les animaux. Elle a toujours considéré au contraire qu'il fallait s'intéresser de très près aux règles qui protègent contre les animaux dangereux par leur prolifération, leur agressivité ou leur aptitude à transmettre les maladies les plus terribles. La nécessité de protéger par des règles spécifiques les êtres humains, d'autres animaux ou des secteurs importants de l'activité économique contre des animaux dont la présence est unanimement dénoncée comme intempestive est souligné avec éclat depuis une dizaine d'années par le frelon asiatique. Arrivé dans le Lot et Garonne en 2014 en profitant de l'importation de poteries chinoises où il avait élu domicile, le frelon asiatique, comme on le sait, s'est vite propagé depuis Marmande et Agen pour gagner la France entière où il a provoqué plusieurs dizaines de décès de personnes humaines victimes de ses venimeuses injections, dévasté des colonies d'abeilles qui constituent les deux tiers de son alimentation et mis par conséquent en péril la filière apicole. Députés et sénatrices, sénateurs et députées ne sont évidemment pas restés les bras ballants face au déferlement du monstre. Ils ont au contraire déployé une batterie de PPL si nombreuses et si impressionnantes que tout destinataire un tant soit peu raisonnable eût déjà spontanément battu en retraite. Rien que pour la période allant du 15 novembre 2023 au 15 mai 2024, il a été visé par quatre propositions. On a pu en effet relever par ordre chronologique la proposition n° 359, à l'exposé des motifs particulièrement dense, déposée le 26 février 2024 par le sénateur centriste du Lot et Garonne Michel Masset, la proposition n° 2260 déposée le 5 mars 2024 par le député PS David Habib et le député LIOT Pierre Morel-À-L'Huissier, la proposition n° 2371 du 19 mars 2024 portée par le député de l'Alliance centriste Jean-Charles Larsonneur.

    La lutte contre le frelon asiatique est si intense qu'elle soulève une question de méthode. Elle peut en effet provoquer le basculement fulgurant d'une proposition de la chronique d'actualité des PPL d'intérêt animalier dans la chronique d'actualité législative. Ainsi la proposition du sénateur Michel Masset visant à endiguer la prolifération frelon asiatique et à préserver la filière apicole déposée le 26 février 2024 a été presque aussitôt adoptée à l'unanimité par le Sénat le 11 avril et transmise le 15 avril par le Président du Sénat à la Présidente de l'Assemblée nationale. Nul ne sait encore le sort que l'Assemblée nationale réservera à cette proposition prévoyant tout un attirail de mesures destinées à éradiquer le frelon asiatique à pattes jaunes, mais il ne faudrait pas être étonné si d'aventure venait prochainement à se vérifier l'idée suivant laquelle les PPL sont beaucoup plus efficaces pour lutter contre les animaux que pour les protéger.

     

    III. Les propositions visant à préserver les activités productrices de souffrance animale

     

    Le droit animalier est constamment confronté au défi de développer son volet protecteur des animaux tout en respectant la ruralité. Il faut cependant constater qu'il n'y a pas de réciprocité et que la protection de la ruralité ne se fait pas scrupule de s'appuyer sur des arguments mettant en avant une prétendue nécessité de chasser et d'élever des animaux pour s'en nourrir de préférence sous forme de viande. Pour ce semestre, c'est l'alimentation carnée qui a eu les honneurs de plusieurs propositions. La plus surprenante est sans doute celle portant le n° 2315 déposée le 12 mars 2024 par la députée Hélène Laporte et plus d'une soixantaine de ses collègues du Rassemblement national. Elle vise, en effet, à garantir la parfaite information des consommateurs quant à la présence d'insectes dans les denrées alimentaires. Il s'agit là d'une réaction à un règlement d’exécution UE 2023/5 du 3 janvier 2023 par lequel la Commission européenne a autorisé, sur le territoire de l’Union, la mise sur le marché de la poudre de grillons domestiques partiellement dégraissés. L'exposé des motifs met certes en avant des intérêts de santé publique tenant aux problèmes de digestibilité que pourrait poser la farine d'insectes partie à la conquête du pain, des biscuits et de la pâte à pizza. Néanmoins, il se réfère aussi à « la nécessaire loyauté envers le consommateur risquant d’acheter un produit qui n’est pas ce qu’il croit ». Sans doute s'agit-il de prévenir tout un chacun que les forces de l'industrie alimentaire sont en train de remplacer discrètement un produit d'origine végétale par un produit d'origine animale et la démarche mérite donc d'être saluée. Il y a quand même un risque qu'elle soit un peu faussée par l'idée que l'Europe est perverse au point de nous pousser à manger des insectes plutôt que de la bonne viande. Manger de la bonne viande, mais française, telle semble bien être le mobile de la proposition n° 2186 du 13 février 2024 déposé par le groupe LFI derrière le député de la Haute-Vienne Damien Maudet visant à protéger et à garantir une alimentation saine et à protéger les éleveurs bovins français. Cinglant réquisitoire contre le traité de libre-échange entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, cette proposition qui cherche à généraliser l’achat de viande d’origine France dans les services de restaurations collectives ne va quand même pas jusqu'à empêcher de remplacer la viande produite dans les élevages français par une alimentation qui éviterait la mort des bêtes. Une proposition n° 2172 déposée le 13 février 2024 par la députée Caroline Colombier et près de 70 autres députés du Rassemblement national n'a pas hésité, en revanche, à s'engager sur cette voie fortement discutable. Elle vise en effet à interdire la production de la viande de synthèse. Les arguments développés dans l'exposé des motifs pour justifier cette attaque frontale contre la viande in vitro ne sont pas à négliger. Ils attirent en effet l'attention sur les risques sanitaires encore mal connus que pourrait entraîner la consommation d'un produit alimentaire fabriqué à partir de cellules souches prélevées sur un animal vivant pour « être cultivées » en laboratoire ; sur les conséquences désastreuses pour le climat que provoquerait à terme la fabrication de viande de synthèse et sur la pérennisation de la souffrance animale qui résulterait de la nécessité pour produire de la viande in vitro de se procurer des hormones par l'abattage des vaches gestantes et de leurs fœtus. Un argument laisse cependant perplexe : c'est celui selon lequel la viande synthétique symbolise une nouvelle rupture avec la nature et avec nos traditions agro-alimentaires. Ce qui revient à dire qu'il faudra toujours continuer à manger de la viande puisque des animaux sont élevés pour nous la fournir depuis le Néolithique ; ce qui revient à passer sous silence que la viande in vitro est d'abord une alternative à l'élevage industriel qui ne contribue pas vraiment la défense de la ruralité et de la nature.

    Cette ballade semestrielle aux pays des PPL d'intérêt animalier est, à l'évidence, un peu déroutante tant les questions qu'elle a permis de rencontrer, allant des chiens et des chats des foires et salons à la viande de synthèse en passant par les taureaux et les coqs de combat, le frelon asiatique, les pigeons gazés et les insectes enfarinés sont hétéroclites. Elle est un indice supplémentaire de la richesse et la complexité du droit animalier.

       

      RSDA 1-2024

      Actualité juridique : Jurisprudence

      Droits religieux

      • Mustapha Afroukh
        Maître de conférences Droit public
        Montpellier - Faculté de droit
        Directeur des études du magistère droit public appliqué

      1 - La présente chronique se focalisera sur l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique rendu le 13 février 2024 par la Cour européenne des droits de l’homme à propos des décrets des régions flamande et wallonne interdisant l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel1, en particulier ses développements sur la liberté religieuse. On se souvient que saisie d’un recours en annulation à l’encontre de ces décrets, la Cour constitutionnelle belge avait posé à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle pour interpréter l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, sous c) du règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, permettant conformément au principe de subsidiarité aux États de conserver « toute règle nationale applicable à la date d’entrée en vigueur dudit règlement, visant à assurer une plus grande protection des animaux au moment de leur mise à mort » et apprécier sa validité au regard de l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux qui protège la liberté de religion2. Dans cet arrêt, la Cour de justice s’est servie habilement de concepts familiers du juge authentique de la Convention européenne des droits de l’homme (subsidiarité, marge d’appréciation…) pour faire chuter la liberté de religion de son piédestal. Apparaît significatif et pour tout dire décisif le fait que dans son contrôle de la conciliation entre la liberté religieuse et le bien-être animal, elle s’est appropriée les méthodes de raisonnement et le vocabulaire de la Cour européenne des droits de l’homme. Aussi, avait-elle fait référence à une ingérence un droit protégé par la Charte, puis de façon stratégique à l’interprétation consensuelle et la théorie de la marge nationale d’appréciation pour juger qu’une législation nationale imposant l’étourdissement réversible de l’animal, dans le cadre de l’abattage rituel ne méconnaît pas la liberté religieuse protégée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Nous avions alors écrit que « si d’aventure, la Cour européenne était saisie de la même question, on voit mal comment celle-ci pourrait ne pas être sensible à la perspective d’acculturation juridique et de dialogue dans laquelle s’est résolument inscrite la Cour de justice »3. De fait, l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique illustre bien cet enlacement des contrôles, puisque la Cour de Strasbourg prête une attention considérable à ce contrôle préalable de la Cour de justice. Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande chambre de la Cour européenne, écrit ainsi sur son blog qu’il « est bénéfique pour la cohérence intersystème de la jurisprudence en matière de droits fondamentaux que la jurisprudence de la Cour EDH soit prise en compte dès le début du parcours d’une affaire dans les instances juridictionnelles. En effet, la dernière étape d’une telle affaire se trouve à Strasbourg et son critère ultime est la Convention, étant entendu que ce critère ne représente qu’un niveau de protection minimum qui peut être relevé (art. 53 de la Convention) »4.

      2 - Qu’il nous soit permis d’apporter une nuance. Depuis quelques années, il a beaucoup été question du suivisme de la Cour de justice à l’endroit de la jurisprudence européenne par le jeu de la clause de correspondance de l’article 52§3 de la Charte. À bien y regarder, on peut se demander si cette séquence jurisprudentielle sur l’interdiction de l’abattage rituel en Belgique n’a pas inversé les rôles. Le confort de l’alignement a bénéficié cette fois ci à la Cour européenne qui s’est contentée pour l’essentiel de reprendre la motivation de la Cour de justice, laquelle s’était largement appuyée sur la Convention européenne des droits de l’homme. Il n'en demeure pas moins que l’arrêt de la juridiction strasbourgeoise était attendu. Pour la première fois, elle était saisie par des requérants qui faisaient valoir que l’interdiction de l’abattage rituel des animaux sans étourdissement préalable était contraire à l’article 9 de la Convention qui protège la liberté de religion. Aussi, l’adaptation de l’interprétation de la Convention mérite de retenir l’attention, notamment s’agissant de la promotion du bien-être animal comme but légitime susceptible de restreindre l’exercice de la liberté religieuse (I.). Relativement au fond et au contrôle de nécessité dans une société démocratique, la solution à laquelle parvient la Cour - un constat de non-violation de l’article 9 - n'est nullement surprenante au vu de sa jurisprudence antérieure reconnaissant une large marge nationale d’appréciation lorsque sont en cause les rapports entre les Etats et les religions (II.).

      I/ L’adaptation de l’interprétation conventionnelle

      3 - La Cour a été saisie par plusieurs associations représentant la communauté musulmane ainsi que des ressortissants belges de confession musulmane et des ressortissants belges de confession juive qui résident en Belgique. La difficulté concernait surtout ces derniers qui n’avaient pas fait l’objet de sanctions au titre des décrets litigieux adoptés par les Régions flamande et wallonne. Aux fins d’admettre la qualité de victime aux requérants résidant dans ces régions qui avaient montré les répercussions concrètes des décrets sur l’accomplissement de leurs rites, l’arrêt applique la théorie de la victime potentielle qui permet « à un individu d’agir contre une règle de droit qui ne lui a pas été appliquée »5 et dont il risque de subir les effets. Les décrets litigieux plaçaient ces requérants devant un dilemme : soit ils respectaient l’interdiction, renonçant ainsi à l’accomplissement d’un rite religieux ; soit ils ne s’y pliaient pas et s’exposaient à des poursuites pénales6.

      La question de droit posée est inédite : en effet, la Cour n’a jamais eu à contrôler une réglementation nationale interdisant l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel. Le débat contentieux est donc bien différent de celui qui était au cœur de l’affaire Cha’re Shalom Ve Tsedek c. France concernant le refus d'agrément opposé à une association représentative d'une tendance minoritaire au sein de la communauté israélite7, Faisant preuve d’une extrême prudence, la Cour, tout en reconnaissant que l’abattage rituel des animaux relève du droit de manifester sa religion (art. 9), avait ici « (éliminé) en amont tout débat de conventionnalité en jouant de la notion d'ingérence »8 : il a été jugé que le refus d'agrément litigieux ne constituait pas une ingérence dans le droit de l’association requérante à la liberté de manifester sa religion dès lors qu'il ne conduisait pas à l'impossibilité pour les fidèles de l'association de manger de la viande conforme à leurs prescriptions religieuses. Si l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique reprend l’apport de la décision Cha’re Shalom Ve Tsedek c. France sur l’applicabilité de l’article 9, il s’en distingue sur le reste. En l’espèce, en effet, la Cour ne joue plus sur la notion d’ingérence pour éviter le débat de conventionnalité. Il faut lui savoir gré de ne puis avoir succombé à l’art de l’esquive.

      A/ L’insistance sur l’exigence de neutralité

      4 - Il résulte d'une jurisprudence initiée par l'arrêt Hassan et Tchaouch c/ Bulgarie que le droit à la liberté de religion exclut toute appréciation de la part de l'Etat sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d'expression de celles-ci9. Le rôle de la Cour n’est pas de vérifier si la pratique invoquée est bien dictée par une religion ou si elle est radicale. A défaut, comme l’a fait observer R. Schwartz à propos de la juridiction administrative, cela conduirait le juge « à se lancer dans le périlleux exercice qu’est l’interprétation du sens des religions et de leur contenu »10.

      5 - Une illustration est fournie par les différentes affaires examinées par le juge européen sur la question de l’interdiction du voile intégral. Alors qu’il est admis que le voile intégral n’est pas considéré par l’islam comme une tenue vestimentaire religieuse dictée par les principes coraniques, la Cour a considéré que son interdiction soulevait un problème au regard de la liberté de manifester ses convictions religieuses, « la circonstance que cette pratique est minoritaire et apparaît contestée est sans pertinence à cet égard »11. Elle se contente d’évaluer avec largesse le degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance des convictions invoquées.

      6 - Cette exigence de neutralité a été au cœur de l’arrêt Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a de la Cour de justice de l’Union européenne sur les conditions techniques dans lesquelles l’abattage rituel doit être pratiqué. Suivant les conclusions de l’avocat général Wahl Nils qui soulignait qu’il n’appartient pas au juge d’apprécier si le recours à l’étourdissement des animaux « est effectivement proscrit par la religion musulmane ou si, au contraire (…), il n’est retenu que par certains courants religieux », la Cour de justice a refusé d’entrer dans le « débat théologique qui existerait au sein des différents courants religieux de la communauté musulmane sur la nature absolue ou non de cette obligation »12. L’arrêt Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. (préc.) était assurément moins clair à propos de cette exigence. En considérant qu’un décret imposant en cas d’abattage rituel un étourdissement réversible insusceptible d’entrainer la mort de l’animal ne se rapportait qu’à un aspect technique de l’abattage rituel, le juge de l’Union ne s’est guère s’embarrassé de nuances. Il a fait fi de ce que pour de nombreux croyants, l’étourdissement réversible préalable n’est pas compatible avec les préceptes des religions juive et musulmane. En ce sens, le Professeur Laurent Coutron avait souligné que « les détracteurs de l’arrêt pourront soutenir que la Cour s’est, ici, quelque peu érigée en théologienne en présentant un étourdissement réversible et insusceptible d’engendrer la mort de l’animal comme un aspect, finalement purement technique, de l’acte rituel spécifique que constitue l’abattage rituel. (…). Des esprits chagrins pourraient même soutenir que la Cour s’immisce là dans un débat théologique, à l’abri desquels elle avait pourtant semblé vouloir se placer dans son arrêt Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a. »13. Aussi, en l’espèce, l’affirmation de la Cour européenne selon laquelle « (elle) n’est guère équipée pour se livrer à un débat sur la nature et l’importance de convictions individuelles. En effet, ce qu’une personne peut tenir pour sacré paraîtra peut-être absurde ou hérétique aux yeux d’une autre, et aucun argument d’ordre juridique ou logique ne peut être opposé à l’assertion du croyant faisant de telle ou telle conviction ou pratique un élément important de ses prescriptions religieuses (…). Il n’appartient donc pas à la Cour de trancher la question de savoir si l’étourdissement préalable à l’abattage est conforme avec les préceptes alimentaires des croyants musulmans et juifs. Le fait qu’il existerait, tel que l’allègue le Gouvernement (…), une discussion interne ou des avis divergents au sein des communautés religieuses musulmane et juive à cet égard, ne pourrait avoir pour effet de priver les requérants de la jouissance des droits garantis par l’article 9 de la Convention »14 est-elle la bienvenue. La juridiction européenne des droits de l’homme ne s’était jamais montrée aussi disserte sur ce qu’il faut entendre par devoir de neutralité. À cet égard, on pourrait affirmer que le juge se fait ici philosophe. Kant ne disait-il pas que la liberté de conscience ne peut, en aucun cas, « nous être ôté par une puissance supérieure ». Au croyant qui est intimement convaincu que l’exigence de procéder à une mise à mort de l’animal sans étourdissement préalable est dictée par sa religion, aucun argument, aussi important soit-il, ne pourra remettra en cause ce qu’il estime être la vérité absolue. En revanche, lorsque cette croyance s’extériorise, le rôle régulateur de l’Etat s’exprime par des mesures limitatives de la liberté religieuse.

      B/ L’interprétation évolutive au secours du bien-être animal

      7 - L’arrêt Executief van de Moslims van België apporte des éléments de réponse tout à fait intéressants sur les frontières de la liberté de manifester ses convictions religieuses garantie par l’article 9 de la Convention. Car c’est bien de cela dont il s’agit et non de la liberté d'avoir une conviction, qui est absolue par essence.

      8 - Le droit à la liberté de religion garanti par l'article 9 est un droit conditionnel dont l'exercice peut être soumis à des restrictions si elles sont prévues par la loi, poursuivent un certain nombre d'objectifs légitimes énumérés par le § 2 de l'article 9 et si elles sont nécessaires dans une société démocratique. Il est très rare que la Cour européenne opte, lorsqu'elle est amenée à se prononcer en application du paragraphe 2 des articles 9 sur la conventionnalité d'une ingérence, pour un constat de violation fondé sur le défaut de base légale et l'illégitimité du but poursuivi par l'Etat défendeur.

      Cependant, en l’espèce, la difficulté tient au fait que le bien-être animal n’est pas mentionné comme un but légitime à l’article 9 § 2, lequel précise que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». Il en allait autrement devant la Cour de justice, le bien-être animal constituant un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union (art. 13TFUE). L’absence du bien-être animal de la liste des buts légitimes au sens de l’article 9§2 ne constituait cependant pas un obstacle insurmontable. Certes, la liste des exceptions énumérées par les clauses d'ordre public est exhaustive. La définition de ces exceptions appelle une définition étroite. Mais, la Cour a pu aller au-delà de ces buts comme l’illustre la célèbre affaire S.A.S. c. France (préc.) relative à l'interdiction de la dissimulation du voile intégral dans l'espace public. La Cour y avait rattaché l’objectif du vivre-ensemble à la protection des droits d’autrui. Le bien-être animal peut-il être rattaché à l’un des buts légitimes énumérés à l’article 9 §2 ? La Cour avait déjà donné un élément de réponse dans une décision d’irrecevabilité Friend et Countryside Alliance c. Royaume-Uni relative à l’abolition de la chasse à courre, en considérant que la prévention de la souffrance animale qu’elle constitue une « nécessité pour la défense de la morale dans la mesure où l'on peut adresser des objections éthiques et morales à une activité sportive visant à chasser et à tuer des animaux d'une manière qui les fait souffrir »15. À la faveur d’une interprétation vivante de la Convention, elle juge que la protection du bien-être animal, composante de la morale publique, peut justifier une ingérence à l’exercice de la liberté religieuse. Ainsi, à ses yeux, il ne saurait être question d’interpréter la Convention en faisant abstraction de l’environnement dans lequel elle évolue. On ne compte plus les formules fortes, pour ne pas dire les formules choc, destinées à établir la nécessité d’une lecture globale et contextualisée de la Convention : « la protection de la morale publique, à laquelle se réfère l’article 9 § 2 de la Convention, ne peut être comprise comme visant uniquement la protection de la dignité humaine dans les relations entre personnes » ; « la Convention ne se désintéresse pas de l’environnement dans lequel vivent les personnes qu’elle vise à protéger (…), et en particulier des animaux dont la protection a déjà retenu l’attention de la Cour ( …). Aussi la Convention ne pourrait-elle être interprétée comme promouvant l’assouvissement absolu des droits et libertés qu’elle consacre sans égard à la souffrance animale, au motif que la Convention reconnaît, aux termes de son article 1er, des droits et des libertés au profit des seules personne »16.

      9 - Réceptacle des valeurs auxquelles une société adhère à une époque donnée, la morale publique est ainsi mobilisée. Et c’est une utilisation de l’interprétation évolutive à front renversé qui est ici perceptible : alors que d’ordinaire, celle-ci est mise au service d’une approche progressiste du droit invoqué par les requérants17, en l’espèce elle permet d’adopter une lecture extensive des motifs de limitation des droits garantis « compte tenu des évolutions sociétales et normatives intervenues depuis l’adoption de la Convention en 1950 »18. L’idée est que la promotion du bien-être animal est suffisamment affirmé pour venir justifier une entrave à la liberté de religion. Tout se passe comme si l’importance axiologique du bien-être animal vient compenser sa faiblesse normative. Le constat de l’importance croissante de la prise en compte du bien-être animal au sein de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe n’est finalement que la reprise de la motivation de l’arrêt Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. qui avait souligné une montée en puissance des exigences relatives au bien-être animal dans les sociétés démocratiques contemporaines. Dans l’affaire CE – Produits dérivés du phoque, l’organe de règlement des différends de l’OMC avait déjà estimé en 2014 que le bien-être animal constituait une préoccupation de moralité publique. Était en cause la question de savoir si le règlement européen interdisant l’importation de produits dérivés du phoque sur le territoire européen était contraire aux accords du GATT, et le cas échéant, si elle entre dans l’une des exceptions à ces accords, permettant à un État de prendre des mesures restrictives au commerce19.

      10 - L’innovation est grande : c’est à partir d’une interprétation évolutive des motifs de limitation des droits que le bien-être animal se voit ainsi valorisé. Le fait que les textes parlent de droits de l’individu, de la personne humaine… n’empêche plus désormais d’interroger l’exercice de ces droits au regard du bien-être animal. En Belgique d’ailleurs, le bien-être animal vient d’être inscrit dans la Constitution20.

      11 - L’interprétation extensive des motifs de limitation a-t-elle vocation à concerner exclusivement la liberté religieuse ? La question peut se poser au regard du précédent S.A.S. Si l'on pouvait, il y a quelques temps encore, résumer l'importance de liberté religieuse par le passage de l’arrêt Kokkinakis, entré au Panthéon des plus belles formules de la Cour de Strasbourg, selon lequel elle « représente l’une des assises d’une société démocratique »21, cela ne suffit plus désormais. Le constat part d’une observation empirique d’une fragilisation de la liberté religieuse du fait de l’opposabilité renforcée d’autres droits ou d’autres intérêts généraux. La redéfinition de l’intérêt général (« vivre-ensemble »…), à l’œuvre depuis quelques années, n’est pas sans effets sur le régime de la liberté religieuse qui apparaît ces dernières années fragilisé.

      II/ Le constat attendu de non-violation de la liberté religieuse 

      12 - L’arrêt Executief van de Moslims van België et autres est clair : la Cour européenne ne procède pas à une conciliation entre deux droits fondamentaux. Il est important de rappeler que la Cour ne raisonne pas ici en termes de conflits de droits, puisqu'on ne peut pas parler de droits des animaux. L’enjeu est plutôt de savoir si l’ingérence dans l’exercice de la liberté religieuse est proportionnée au regard de l’objectif légitime du bien-être animal. Sans surprise, le contrôle de nécessité de l’ingérence est placé sous les auspices du principe de subsidiarité, ce qui conforte considérablement la marge d’appréciation de l’Etat défendeur et explique le constat de non-violation de l’article 9. Cependant, la motivation retenue pourra paraître décevante sur deux points.

      A/ Une méthodologie placée sous les auspices du principe de subsidiarité

      13 - La marge d’appréciation de l’Etat défendeur ne pouvait être que large. En effet, on sait depuis l’arrêt Leyla Sahin c. Turquie que « lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’Etat et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national »22. La formule est reprise à l’identique en l’espèce. Le rôle des autorités nationales est d’autant plus accru qu’est en cause « un choix de société »23 qui a été discuté démocratiquement par les législateurs fédérés. A cela s’ajoute l’absence de consensus entre les Etats membres sur la conciliation entre la liberté religieuse et le bien-être animal en matière d’abattage rituel, même si la Cour relève une promotion du bien-être animal au-delà du contexte belge.

      14 - Dès lors que les décrets en cause interdisant l’abattage des animaux sans étourdissement préalable, tout en prévoyant un étourdissement réversible pour l’abattage rituel, sont bien des mesures générales qui s’appliquent à des situations prédéfinies, la Cour retient une méthodologie très classique tirée de l’arrêt grande chambre Animal defenders24. Ayant eu à se prononcer dans cet arrêt sur la conventionnalité de l’interdiction générale posée par la législation britannique, de toute publicité politique payante à la télévision et à la radio, le juge européen a relèvé ainsi qu’à « tous les stades ultérieurs de l’examen pré-législatif, l’impact de [cette interdiction] sur la compatibilité de l’interdiction avec la Convention a été examiné de manière approfondie » et que cette interdiction est « l’aboutissement d’un examen exceptionnel, effectué par les organes parlementaires, de tous les aspects culturels, politiques et juridiques de cette mesure ». Lorsqu'est en cause une mesure générale opérant un équilibre entre des droits ou intérêts, le juge européen focalise plus son contrôle sur le processus parlementaire qui a conduit à la cette mesure que sur ses effets concrets sur les requérants. Révélatrice d’un enrichissement du contrôle qui porte sur les modalités d’élaboration de la loi, cette jurisprudence s’inscrit dans une tendance très forte de valorisation de la marge nationale d’appréciation des Etats sur des questions sensibles. L’idée étant que si la Cour juge aux termes de ce contrôle que la loi a pris en compte les différents intérêts en présence, elle ne s’engagera pas ou peu sur le terrain de la proportionnalité concrète. La logique de procéduralisation déploie ici tous ses effets. En contrôlant « la qualité de l’examen parlementaire », la Cour s’inscrit clairement dans le sillage de ce précédent jurisprudentiel. Aussi, est-il souligné que « les décrets litigieux ont été adoptés à la suite d’une vaste consultation de représentants de différents groupes religieux, de vétérinaires ainsi que d’associations de protection des animaux (…) et que des efforts considérables ont été déployés sur une longue période par les législateurs tour-à-tour fédéral, flamand et wallon afin de concilier au mieux les objectifs de promotion du bien-être animal et le respect de la liberté de religion (…). Les législateurs régionaux ont cherché à peser les droits et intérêts en présence au terme d’un processus législatif dûment réfléchi »25. En amont, le travail a été bien fait au niveau politique. En aval, les décrets ont fait l’objet d’un double contrôle : d’abord, saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour constitutionnelle belge, la Cour de justice a eu l’occasion de se prononcer sur la validité de l’article 26, paragraphe 2, premier alinéa, sous c) du règlement n° 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort, permettant conformément au principe de subsidiarité aux États de conserver « toute règle nationale applicable à la date d’entrée en vigueur dudit règlement, visant à assurer une plus grande protection des animaux au moment de leur mise à mort » au regard de l’article 10 de la Charte des droits fondamentaux qui protège la liberté de religion ; ensuite, la Cour constitutionnelle belge a contrôlé la constitutionnalité desdits décrets en contrôlant notamment s’ils méconnaissaient la liberté de religion et le principe d’égalité et de non-discrimination garantis par la Constitution belge. Aux yeux de la Cour, « ce double contrôle s’inscrit dans l’esprit de la subsidiarité qui irrigue la Convention et dont l’importance a été rappelée par le Protocole no 15 qui a ajouté une référence explicite à ce principe dans le Préambule de la Convention »26. En réalité, ces deux contrôles préalables sont intimement liés. C’est bien dans le cadre d’un recours en annulation contre les décrets litigieux que la Cour constitutionnelle a saisi la Cour de justice d’un renvoi préjudiciel.

      15 - La référence au consensus scientifique « établi autour du constat selon lequel l’étourdissement préalable à la mise à mort de l’animal constitue le moyen optimal pour réduire la souffrance de l’animal au moment de sa mise à mort »27 démontre à quel point le juge peut indexer son contrôle sur les avancées du savoir scientifique28. Semblable consensus avait déjà été pris en considération par la Cour de justice lorsque celle-ci s’était appuyée sur les travaux de l’Agence européenne de sécurité des aliments pour s’assurer que la Belgique, avait préservé « un juste équilibre entre l’importance attachée au bien-être animal et la liberté de manifester leur religion des croyants juifs et musulmans ».

      16 - Mais alors que la Cour aurait très pu s’en tenir à cet un examen de la qualité des contrôles parlementaire et judiciaire, elle fait le choix de vérifier si la mesure qui a été retenue par les décrets litigieux est la moins préjudiciable au droit à la liberté religieuse. Comme l’ont noté les juges Koskelo et Küris dans leur opinion concordante, ce choix peut surprendre dès lors que la Cour a concédé à l’Etat une large marge nationale d’appréciation. Il n’en demeure pas moins que ce contrôle de proportionnalité au sens strict est un surtout un moyen pour la Cour de souligner les vertus de la solution de compromis retenu par les autorités belges, à savoir une voie intermédiaire, entre l’étourdissement exigé dans le cadre d’un abattage conventionnel et l’absence d’étourdissement qui était tolérée dans le cadre de l’abattage rituel. Les décrets litigieux prévoient un étourdissement réversible pour l’abattage rituel29 : concrètement, il est prévu d’utiliser l'électronarcose sur les ovins et les caprins et non sur les bovins. S’agissant de l’islam, plusieurs autorités religieuses ont déjà affirmé que ce type d’étourdissement était « toléré » à la condition qu’il n’entraîne pas la mort de l’animal avant la saignée30. Par ailleurs, l’arrêt relève que les croyants peuvent toujours avoir accès à de la viande provenant d’animaux abattus selon les prescriptions religieuses. C’est suffisant. Car la Convention européenne « ne saurait aller jusqu'à englober le droit de procéder personnellement à l'abattage rituel »31. Enfin, la disparité des réglementations en Belgique (la Région de Bruxelles autorise encore l’abattage rituel) n’est pas de nature à remettre en cause l’appréciation de la Cour qui a toujours été sensible aux particularités du fédéralisme. On sait que la commission de l’Environnement du Parlement bruxellois a rejeté le 17 juin 2022 une proposition d’ordonnance déposée par Défi, Groen et l’Open VLD d’interdiction de l’abattage sans étourdissement. Les débats furent très houleux au sein du Parlement bruxellois, d’autant que le parti d’extrême droite Vlams Block a porté une proposition identique. Le rejet du texte s’explique en partie par la pression des organisations musulmanes et juives qui ont invoqué le respect de la liberté des cultes32.

      17 - En définitive, il ne faut pas exagérer la portée de l'arrêt. Celui-ci ne saurait être analysé comme encourageant nullement les Etats parties à la Convention à interdire l’abattage rituel. La Cour se contente de juger que l’équilibre des intérêts décidé par les législateurs régionaux belges ne viole pas la liberté religieuse. Ni plus, ni moins.

      B/ Une motivation perfectible  

      18 - L’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique ressemble par moment à un colosse aux pieds d'argile. Sur deux points en particulier, la motivation est pauvre ou ambiguë, ce qui ne permet pas par conséquent d’avoir une justification solide à cette nouvelle fragilisation de la liberté religieuse.

      19 - En premier lieu, on a connu le juge européen plus inspiré dans le maniement de l’interprétation consensuelle. Le lecteur de l’arrêt est bien en peine de trouver une explication détaillée de l’assertion selon laquelle « dans des circonstances telles que celles de l’espèce qui, d’une part, concernent les rapports entre l’État et les religions et, d’autre part, ne font pas apparaître de consensus net au sein des États membre »33. Le renvoi aux éléments de droit comparé n’est pas d’une grande utilité puisqu’ils portent sur la réglementation de l’abattage rituel dans onze Etats parties au Conseil de l’Europe : d’une part, ceux qui ont interdit l’abattage rituel et, d’autre part, ceux dans lesquels s’applique « la pratique dite du post-cut stunning, par laquelle l’animal est étourdi au moment de l’égorgement ou juste après, est rendue obligatoire pour les abattages rituels ». N’était-il pas possible de fournir des éléments plus précis sur la situation de l’abattage rituel dans l’ensemble des Etats parties ? Cette approche sélective n’est pas admissible compte tenu de l’importance de la question de droit posée à la Cour, susceptible d’intéresser l’ensemble des Etats parties. N’affirme-t-elle pas constamment que son rôle est de « trancher dans l’intérêt général des questions qui relèvent de l’ordre public européen » et de « clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention ». Surtout, les requérants avançaient clairement « qu’il ne saurait être question d’une ample marge d’appréciation des États, dès lors qu’il y aurait un large consensus au sein des États parties à la Convention pour autoriser l’abattage rituel sans étourdissement préalable ». L’arrêt n’y répond pas vraiment.

      20 - En second lieu, aux paragraphes 85, 119 et 121, la Cour souligne que son rôle n’est pas de se prononcer sur la compatibilité de l’étourdissement réversible avec les préceptes de la religion dont les requérants se revendiquent. Mais elle reproduit ensuite les mêmes erreurs que la Cour de justice. En effet en considérant que l’étourdissement réversible est la moins intrusive à la liberté religieuse, elle « s’aventure à déterminer quels aspects de l’abattage rituel sont indispensables et lesquels ne le sont pas »34. En d’autres termes, elle ne fait rien d’autre en l’espèce que prendre position, en suggérant que la possibilité de l’étourdissement prévisible est compatible avec les préceptes religieux. C'est l’autre point faible de l'arrêt puisqu'en raisonnant ainsi, la Cour ne reste pas fidèle à sa doctrine de la neutralité. Avait-elle besoin de dire que l'étourdissement réversible constitue la mesure la moins intrusive ? La motivation est ici plus abondante que nécessaire. Plusieurs arrêts récents portant sur des mesures générales limitatives des droits et libertés montrent que ce contrôle de la mesure la moins attentatoire n’est pas exercé. Si elle est saisie, il suffira à la Grande chambre de corriger ces deux faiblesses pour rendre un bel arrêt35.

      21 - S’il est légitime dans une société démocratique que les interprétations de la Cour soient discutées, on avoue être choqué par la méthode de plus en plus mobilisée : beaucoup de pétitions de principe pour peu de démonstration. La tribune du grand rabbin Pinchas Goldschmidt publiée dans le journal Le Monde est topique de ce point de vue. A l’instar de cette marionnette à laquelle le ventriloque peut faire dire ce qu’il souhaite, P. Goldschmidt, fait dire à la Cour ce qu’elle n’a absolument pas dit. On lit par exemple que « non seulement la Cour met des droits en concurrence, mais, pour la première fois, les droits des animaux sont considérés comme supérieurs à un droit humain fondamental : la liberté religieuse »36. À l’évidence, l’arrêt n’a pas été lu. Il n’y a ni conflit de droits, ni hiérarchisation des droits. Surtout, le parallèle dressé entre les conséquences de l’arrêt de la Cour et les premières lois antijuives adoptées par le 3ème Reich est totalement déplacé et dessert totalement la critique formulée à l’endroit de l’arrêt de la Cour. Que l’arrêt puisse être instrumentalisé politiquement et détourné par l'extrémisme et le racisme, nous ne l’ignorons pas37. Aurait-il fallu que la Cour adopte une solution opposée pour cette seule raison ? Ce malentendu vient sans doute de la portée qui est prêtée à l’arrêt : en aucun cas le juge européen n’encourage les Etats à interdire l’abattage rituel. Enfin, les réactions des autorités religieuses sont d’autant plus surprenantes qu’elles laissent entendre que la question de la souffrance animale est ignorée par les religions, alors que c’est loin d’être le cas.

      • 1 

        CEDH, 13 février 2024, Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique, n°16760/22, note J.-P. Marguénaud, D. 2024., p. 711 ; C. Vial et M. Afroukh, « La décision de la Cour européenne présente l’intérêt de protéger l’animal sans oublier le respect que l’on doit aux convictions religieuses », Le Monde, 29 février 2024.

      • 2 

        CJUE, 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a., C-336/19, obs. L. Coutron, RDP, 2022, p. 337 ; note G. Gonzalez et F. Curtit, « La Cour de justice, l’animal assommé et les hommes pieux, acte 2 », RTDH, 2021/3, n° 127, p. 693.

      • 3 

        M. Afroukh, RSDA, 2020/2, p. 245.

      • 4 

        https://johan-callewaert.eu/fr/successive-scrutiny-of-the-same-legislation-in-luxembourg-and-strasbourg-judgment-of-the-ecthr-in-the-case-of-executief-van-de-moslims-van-belgie-and-others-v-belgium/

      • 5 

        H. Raspail, Le conflit entre droit interne et obligations internationales de l’Etat, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », 2013, vol. 129, p. 498.

      • 6 

        § 57 de l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique.

      • 7 

        CEDH, 27 juin 2000, n° 27417/95, note J.-F. Flauss, RTDH, 2001, p. 195.

      • 8 

        J.-F. Flauss, « Actualité de la CEDH », AJDA, 2000, p. 1006

      • 9 

        CEDH, Gde Ch., 26 octobre 2000, Hassan et Tchaouch c. Bulgarie, § 78, Rec., 2000-XI.

      • 10 

        R. Schwartz, Concl. sur CE, 10 juillet 1995, Association « Un sysiphe », n° 162718.

      • 11 

        CEDH, Gde Ch., 1er juillet 2014, S.A.S. c./ France, § 108, n° 43835/11.

      • 12 

        CJUE, Gde Ch., 29 mai 2018, Liga van Moskeeën en Islamitische Organisaties Provincie Antwerpen e.a., pt. 50, C-426/16, note C. Vial et G. Gonzalez, « La Cour de justice, l’animal assommé et l’homme pieux », RTDH, 2019, p. 179.

      • 13 

        L. Coutron, RDP, 2022, p. 337.

      • 14 

        § 85 de l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique.

      • 15 

        Décision du 24 novembre 2009, n° 16072/06

      • 16 

        § 95 et 97 de l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique.

      • 17 

        F. Sudre, « À propos du dynamisme interprétatif de la Cour EDH » : JCP G 2001, 335.

      • 18 

        § 97 de l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique.

      • 19 

        CE —Produits dérivés du phoque Communautés européennes. Mesures prohibant l’importation et la commercialisation de produits dérivés du phoque, WT/DS400, 18 juin 2014.

      • 20 

        L’article 7bis prévoit ainsi : « « Dans l’exercice de leurs compétences respectives, l’État fédéral, les Communautés et les Régions veillent à la protection et au bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles » (3 mai 2024).

      • 21 

        CEDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, § 31, n°14307/88.

      • 22 

        CEDH, Gde ch., 10 novembre 2005, Leyla Şahin c. Turquie, § 109, n° 44774/98.

      • 23 

        § 105 de l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique.

      • 24 

        CEDH, Gde ch., 22 avril 2013, Animal Defenders International c. Royaume-Uni, n°48876/08.

      • 25 

        § 109 de l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique.

      • 26 

        § 115.

      • 27 

        § 116.

      • 28 

        Voir le dossier publié à la RDP sur l’argument scientifique en droit publié (2023, p. 291 et s.).

      • 29 

        Celle-ci n’ayant « pas d’effet létal, [rendant] l’animal inconscient et insensible à son environnement, n’interrompt pas les battements du cœur et l’évacuation du sang » (C. Kamianecki, « L’obligation d’étourdissement préalable réversible en cas d’abattage rituel », RSDA, 2016, p. 299).

      • 30 

        Par exemple, l’avis exprimé par l’ancien Recteur de la mosquée de Paris D. Boubakeur, « Rapport de l’Institut musulman de la Mosquée de Paris à propos du sacrifice islamique des animaux destinés à la consommation halal et sur les méthodes internationales récemment admises par les pays musulmans », RSDA, 2010/2, p. 169 et s. Toute autre est la question de savoir si cette ouverture se retrouve dans « la volonté du peuple majoritaire des croyants » pour reprendre l’expression de Y. Ben Achour (Aux fondements de l'orthodoxie sunnite, PUF, 2008).

      • 31 

        CEDH, Cha’re Shalom Ve Tsedek c. France, § 82.

      • 32 

        Nos obs. RSDA, 2023/1, p. 180.

      • 33 

        § 106 de l’arrêt Executief van de Moslims van België et autres c. Belgique.

      • 34 

        Opinion concordante de la juge Yüksel.

      • 35 

        L’arrêt n’est pas définitif. Une demande de renvoi a été formulée par les requérants au titre de l’article 43 de la CEDH.

      • 36 

        Pinchas Goldschmidt, « Interdire l’abattage rituel, c’est très directement menacer la possibilité d’une vie juive en Europe », Le Monde, 29 février 2024.

      • 37 

        L’argument est également souligné par Aude-Solveig Epstein et Alice Di Concetto dans un texte publié sur le site du Club des juristes (https://www.leclubdesjuristes.com/opinion/les-juges-ne-devraient-pas-laisser-la-promotion-du-bien-etre-animal-servir-de-cheval-de-troie-a-lintolerance-religieuse-4962/) : « En tant que juristes très attachées à la cause animale, nous sommes préoccupées : la décision de la CEDH risque d’être interprétée comme un blanc-seing donné aux partisans de l’intolérance religieuse pour instrumentaliser la cause animale à des fins discriminatoires, sans plus-value avérée en termes de bien-être animal ».

       

      RSDA 1-2024

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