Dossier thématique

Politique pénale doit rimer avec maltraitance animale

  • Franck Rastoul
    Procureur général près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence
    Précédemment procureur général près la Cour d’appel de Toulouse

 

La place de la lutte contre la maltraitance animale dans la politique pénale et l’action des parquets sont croissantes. Il reste à donner à cette politique pénale une pleine stabilité et un point d’équilibre partagé et unifié. De la sphère associative et administrative, la maltraitance animale se déplace progressivement dans le champ judiciaire. Nombre de parquets diversifient et musclent leur action en répression d’actes de cruauté et de maltraitance envers les animaux. Le ministère public est le reflet de l’évolution des mentalités et des attentes de la société. L’indifférence à la souffrance animale recule en écho avec la prise de conscience de la nécessité de respecter ce l’on appelle le « vivant » qui n’est, ni plus ni moins, que la vie. Le traitement de la maltraitance animale ne peut plus être un contentieux de seconde zone, voire marginal, comme cela a pu être le cas dans le passé, dilué dans un bloc règlementaire au sein des parquets mêlant urbanisme, environnement, chasse et pêche ainsi que d’autres contentieux dits techniques. Le temps n’est plus où le traitement judiciaire de la maltraitance animale se faisait à bas bruit de crainte d’un regard critique porté sur le traitement d’une question considérée de peu d’importance par rapport à d’autres sujets judiciaires. L’autorité judiciaire, les parquets, doivent apporter à la maltraitance animale la réponse pénale qu’elle appelle, à l’instar de celle due à d’autres pans de la délinquance. La maltraitance animale est un volet de la délinquance parmi d’autres. Son traitement ne se fait pas au détriment d’autres contentieux. Les affaires de maltraitance animale ont désormais l’oreille des médias et connaissent un écho significatif. Il faut s’en féliciter même si beaucoup reste à faire dans les esprits et dans les faits. La priorisation des réponses pénales imposée par la masse des flux pesant sur les parquets et sur les juridictions doit être effectuée au cas par cas en fonction de l’urgence et de la gravité des faits et non pas selon une distinction en amont fondée sur la nature des contentieux.
Le cloisonnement des contentieux occulte, en outre, la racine souvent unique des comportements à l’origine de la commission d’infractions diverses. La violence à l’égard des animaux doit être reconnue comme le signe d’une seule violence, inacceptable quelles que soient les victimes, souvent des êtres sans défense (enfants, personnes fragiles, animaux…). Un enfant en bas âge ne se présente pas au commissariat pour déposer plainte contre ses parents, pas plus que ne le fait à l’encontre de son propriétaire un chien battu ou un cheval abandonné dans un pré. Outre l’application de la loi pénale qui fonde l’intervention de la justice, la vulnérabilité de la victime, quelle qu’elle soit, et son incapacité à solliciter de l’aide sont un impérieux motif d’action. Le colloque organisé à Paris le 17 mars 2023 à l’initiative du sénateur du Val d’Oise Arnaud BAZIN a mis en lumière une violence unique ne variant que dans la multiplicité de ses expressions et de ses victimes. L’association contre la maltraitance animale et humaine (AMAH) développe ce même constat. Il ne peut y avoir deux poids deux mesures dans la répression des violences extrêmes, des actes de barbarie. La situation d’un animal torturé, mis dans le tambour d’une machine à laver en action, pour prendre un exemple parmi bien d’autres, filmé jusqu’à l’agonie aux fins de diffusion sur les réseaux sociaux, appelle une réponse judiciaire exemplaire dans le temps et sur le fond. Cette réponse incombe aux parquets au stade de la poursuite et aux juridictions de premier degré et d’appel au stade de la condamnation. Du chemin a été parcouru. Du chemin reste à faire.
La lutte contre la maltraitance animale ne doit pas être limitée, en outre, à la répression exemplaire des actes de barbarie à l’encontre des animaux. Son champ est bien plus large : abandon, défaut de nourriture, conditions de vie adaptées, destruction, trafics, détention d’espèces protégées avec les « nouveaux animaux de compagnie » (NAC), conditions de vie, d’élevage, de transport et d’abattage des animaux de rente, fonctionnement des abattoirs, situation des animaux en captivité (zoo, delphinariums), organisation de combats illicites d’animaux, exploitation et destruction de la faune sauvage, dopage dans le milieu équestre… Cette liste, non exhaustive, illustre la multiplicité des sujets et des enjeux de la lutte contre la maltraitance animale dont certains, de dimension internationale, relèvent de la criminalité organisée. Le trafic des espèces protégés arrive en tête des trafics les plus lucratifs aux côtés des trafics de stupéfiants, d’armes et d’êtres humains générant des profits annuels de l’ordre de plusieurs milliards d’euros. La réponse judiciaire passe par la mobilisation au plan international, national et interrégional des services spécialisés de la police, de la gendarmerie et de la justice (notamment offices et services centraux, juridictions à compétence nationale et interrégionale). Au plan local, les parquets doivent s’attaquer aux derniers maillons de cette chaîne que sont les acquéreurs des animaux ou des produits dérivés prohibés (crânes et mains de primates, viande de brousse…). La remise fin septembre 2023 par les douanes au muséum d’histoire naturelle d’Aix-en-Provence de 392 crânes de divers singes saisis en à peine sept mois reflète l’importance de ces trafics ainsi que leur effet dévastateur sur la faune. Tout est dit par Sabrina Krief, spécialiste des grands singes, dénonçant « l’hécatombe de primates dans ces forêts pillées pour satisfaire des collectionneurs alors que ces primates sont menacés d’extinction ». Ici comme ailleurs, la réponse ne peut être exclusivement judiciaire et doit venir en complément d’autres mobilisations (coopération internationale, règlementations nationale et internationale, allocation de moyens suffisants aux services spécialisés, information du public…). La justice a, pour sa part, l’obligation de prendre toute la mesure d’un phénomène générant des profits considérables destructeur de la diversité de la vie à l’échelle planétaire. Cette obligation passe par le prononcé de peines exemplaires à l’égard de tous ses responsables, du trafiquant au passeur jusqu’à l’acheteur. La marchandisation de la faune sauvage, moins brutale en apparence, est aussi source de perturbation et de destruction. Cette marchandisation est mise en lumière par Fabienne Delfour, chercheuse spécialiste des mammifères marins, dans son livre « Dans la peau d’un dauphin ». A bord des bateaux faisant des navettes incessantes, combien de touristes ont-ils conscience qu’ils perturbent les dauphins qu’ils contemplent les pensant en pleine action alors qu’ils dorment en nageant ? La maltraitance animale est aussi le fruit de l’exploitation à des fins mercantiles de l’ignorance. A la différence des dauphins au repos, les parquets doivent ouvrir les deux yeux afin de préserver la richesse de nos côtes en métropole et en outre-mer. La maltraitance animale prospère sur différents terreaux : violence et sadisme parfois en lien avec des troubles psychologiques ou psychiatriques, effet amplificateur des réseaux sociaux miroir de toutes les dérives, entre narcissisme et voyeurisme, misère économique frappant les particuliers, les agriculteurs, les éleveurs, ignorance, appât du gain…
Face à tous ces comportements, le parquet dispose en réponse d’un panel d’une centaine de qualifications pénales, l’inflation normative frappant y compris le domaine de la maltraitance animale. Ces infractions recoupent de multiples situations : sévices graves et actes de cruauté impliquant de rapporter la preuve de la souffrance ou de la mort (à l’exception des corridas et combats de coqs fondés sur une tradition locale ininterrompue) ; mauvais traitements ; abandon d’un animal domestique, apprivoisé ou captif ; détention d’animaux dans un habitat inadapté ; utilisation d’attaches ou de clôtures inadaptés ; atteintes sexuelles sur un animal (l’incrimination spécifique de ces faits depuis 2021 venant révéler un phénomène loin d’être anecdotique) ; diffusion de l’enregistrement d’images relatives à des actes de cruauté, des sévices graves ou des atteintes sexuelles sur les animaux ; détention, dressage et vente d’animaux de compagnie sans disposer d’installations conformes ; abattage d’un animal en dehors d’un établissement agréé ; transport d’animaux effectué sans autorisation ; expériences ou recherches illicites sur des animaux… Ces nombreuses infractions, délictuelles ou contraventionnelles, sont sanctionnées par des peines pouvant être substantielles (trois ans d’emprisonnement, 45 000 euros d’amende), la question de leur application étant un autre sujet. Elles constituent un kaléidoscope pénal éclaté dans différents codes. Le Code pénal traite des animaux domestiques, apprivoisés et captifs. Le Code de l’environnement traite des espèces protégées. Le Code rural et de la pêche maritime traite des animaux de rente. Le Code général des collectivités territoriales traite des animaux errants ou en divagation. Le Code du sport traite du dopage animal, équin et canin. Le Code civil traite de l’animal, être vivant doué de sensibilité, sous l’angle patrimonial. Le Code de la santé publique traite des espèces nuisibles pour la santé humaine. Ce corpus juridique résulte de touches législatives successives constituant un clavier à la tonalité évolutive au fil des siècles.
En France, la protection de l’animal prend forme et force de loi en 1791 avec un texte qualifiant de crime « l’empoisonnement par malice ou vengeance, ou dessein de nuire, de certains animaux appartenant à autrui ». L’animal est protégé en tant que bien d’autrui et non comme être vivant. Une peine de prison d’un mois à un an est également encourue par toute personne convaincue d’avoir « de dessein prémédité blessé des bestiaux ou chiens de garde ». Par ailleurs, la loi Grammont du 2 juillet 1850 vient réprimer « ceux qui auront exercé publiquement et abusivement des mauvais traitements envers les animaux domestiques ». Il s’agit plus de protéger la sensibilité humaine que l’intégrité de l’animal. Le 7 septembre 1959, un décret supprime la condition de publicité et réprime les mauvais traitements infligés à des animaux apprivoisés ou tenus en captivité. Ces faits, constitutifs d’une contravention de quatrième classe, permettent au tribunal de prononcer la remise de l’animal à une œuvre de protection animale. La loi du 19 novembre 1963 crée le délit d’actes de cruauté envers les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Pour la première fois, elle permet aux associations de protection animale reconnues d’utilité publique « d’exercer les droits reconnus à la partie civile ». La loi du 10 juillet 1976, en son article 9 devenu l’article L. 214-1 du Code rural, marque un tournant symbolique. Elle reconnait en l’animal « un être sensible qui doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Cette loi, qui confère à l’animal le statut d’être doué de sensibilité, crée l’incrimination d’abandon volontaire. Jusqu’au Code pénal de 1994, les atteintes contre les animaux figuraient parmi les infractions contre les biens. Elles intègrent désormais le livre V du Code pénal consacré aux « autres crimes et délits ». La loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants règlemente la détention et le commerce des animaux de compagnie (activités de fourrière, de refuge, d’élevage, de vente, de pension, d’éducation et de dressage). Elle interdit la vente des chiots et chatons de moins de huit semaines. Les peines encourues par les auteurs de sévices ou actes de cruauté sont aggravées et portées à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende. Sur le plan civil, la loi du 16 février 2015 institue l’article 515-14 du Code civil qui affirme que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». La portée de ces dispositions est discutée, notamment sur le point de savoir si elles concernent seulement les animaux domestiques ou également la faune sauvage. La loi du 30 novembre 2021 « visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes » renforce les sanctions encourues pour les principales infractions réprimant la maltraitance animale. Elle améliore les conditions de détention des animaux de compagnie et des équidés et met un terme à l’exploitation des animaux sauvages tenus en captivité. Elle porte les peines prévues pour les sévices et actes de cruauté de deux à trois ans d’emprisonnement et de 30 000 à 45 000 euros d’amende. Les infractions de nature sexuelle sont incriminées spécifiquement et non plus au titre des sévices. Le fait de donner volontairement la mort à un animal domestique ne constitue plus une contravention mais un délit puni de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.
Le droit pénal opère une distinction entre les animaux domestiques et les animaux sauvages qui ne bénéficient pas de la même protection juridique. Depuis les ordonnances des 15 juin et 18 septembre 2000, les dispositions concernant les animaux domestiques figurent dans le Code pénal ainsi que dans le Code rural et de la pêche maritime tandis que la protection des animaux sauvages est organisée par le Code de l’environnement. La réglementation la plus protectrice concerne les animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité. Il s’agit de protéger l’animal mais également son propriétaire en l’indemnisant de la perte de ce dernier. L’animal domestique appartient à « des populations animales sélectionnées ou dont les deux parents appartiennent à des populations animales sélectionnées ». L’appartenance de l’animal à une espèce non domestique n’exclut pas l’application des textes du Code pénal dès lors qu’il se trouve approprié, apprivoisé ou captif. L’animal apprivoisé est « celui qui ayant perdu ses réflexes de fuite à l’égard de l’homme vit en sa compagnie sans y être contraint ». L’animal captif est retenu par la force dans l’entourage de l’homme et englobe tous les animaux sauvages privés de liberté. La jurisprudence varie selon les situations. Détenir des renards à des fins d’entraînement de chiens est constitutif de sévices graves ou actes de cruauté envers un animal captif. En revanche, des faisans élevés en enclos avant d’être relâchés pour être chassés ne relèvent pas de l’article 521-1 du Code pénal. La même analyse est faite pour le cerf qui n’est pas considéré comme tenu en captivité à l’instant où il est cerné par des chiens lors d’une chasse à courre sans possibilité de s’échapper. A la différence de l’animal domestique ou captif, l’animal sauvage ne bénéficie d’aucune protection individuelle. Le droit de l’environnement ne le protège que dans l’hypothèse où il fait partie d’une espèce protégée considérée comme un élément du patrimoine naturel. Sont considérées comme des espèces animales non domestiques et sauvages celles qui n’ont pas subi de modification du fait de la sélection de l’homme qu’elles soient nées dans le milieu naturel ou issues de l’élevage. Dès lors qu’il n’est ni apprivoisé, ni captif et ne fait pas partie d’une espèce protégée, l’animal sauvage ne fait l’objet d’aucune protection particulière. Res nullius, sans maître appropriable, il s’agit d’un angle mort de la protection animale unanimement dénoncé par les associations de protection animale. Le droit de l’environnement n’intègre pas la notion de souffrance et de protection individuelle de l’animal. La protection des espèces protégées porte sur l’espèce elle-même et non sur le spécimen de cette espèce. La magistrate Suzanne Antoine dans son rapport consacré en 2005 au statut juridique de l’animal pointe cette « incohérence consistant à ne pas reconnaître à l’animal sauvage vivant à l’état de liberté sa nature d’être sensible, ségrégation scientifiquement injustifiable et éthiquement choquante ». Le député Roland Povinelli, dans une proposition de loi de 2001, souhaite mettre fin à la soumission des animaux sauvages au régime des res nullius du Code civil et affirmer leur nature sensible. Il souligne que « leur protection est mise à mal et qu’ils peuvent être blessés, capturés, maltraités ou mis à mort en toute impunité ». Une proposition de loi du 29 avril 2014, non adoptée, propose la modification de l’article 521-1 du Code pénal afin d’y intégrer les animaux sauvages. La question de la protection de l’animal sauvage se pose depuis plusieurs décennies en écho avec le cadre juridique régissant la chasse. Les catégories juridiques d’espèces protégées et de gibier ne sont pas exclusives. Le gibier désigne les animaux sans maître vivant à l’état sauvage, y compris appartenant à une espèce protégée, faisant l’objet d’un acte de chasse. Le gibier est traité par la réglementation de la chasse qui fixe la liste des espèces chassables (de l’ordre d’une centaine), les périodes et modalités de chasse. Chasser une espèce de gibier dont la chasse n’est pas autorisée est punie par le Code de l’environnement par une contravention de 5ème classe. Un régime spécifique est prévu pour les espèces nuisibles qualifiées d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (ESOD) par la loi Biodiversité de 2016. Différentes listes définissent les ESOD qui ne peuvent concerner les espèces protégées. Le piégeage est autorisé sous certaines conditions. L’utilisation de substances toxiques est, en revanche, interdite.
La situation des animaux de rente ou élevés à des fins expérimentales ou scientifiques est également régie par un régime spécifique. Le Code rural et de la pêche maritime interdit les mauvais traitements envers les animaux domestiques, apprivoisés ou captifs. Il définit leurs conditions de détention, d’élevage et d’abattage. Ici également, le réveil des consciences s’opère. Les procédures judiciaires se multiplient. Le sujet demeure massif, plus de trois millions d’animaux d’élevage étant abattus chaque jour en France afin de satisfaire la consommation humaine. Le Code rural et de la pêche maritime régit encore la situation des animaux utilisés à des fins expérimentales qui doivent avoir été élevés à cette fin par des professionnels agréés. Des dérogations existent toutefois.
A la mosaïque des situations de maltraitance animale fait donc écho une mosaïque de textes disséminés dans de nombreux codes fixant une protection fluctuante de l’animal. Les évolutions législatives, en particulier la reconnaissance de l’animal en tant qu’être sensible, reflètent une sensibilité judiciaire accrue face à la souffrance animale en écho avec l’éveil des consciences sur ce point. Il faut poursuivre dans cette voie selon plusieurs axes. Tout d’abord, il faut envisager une meilleure codification des textes impliquant leur centralisation, leur simplification et, si nécessaire, leur évolution. Sur la centaine de qualifications réprimant la maltraitance animale, combien sont réellement utilisées ? Une analyse et un suivi statistique peuvent permettre de répondre à cette interrogation. Cette démarche a été engagée par le parquet général de la cour d’appel de Toulouse. L’éparpillement des textes en différents codes crée un arsenal juridique et répressif complexe, parfois peu opérationnel, à la logique discutable et discutée sur certains points. Pourquoi ne pas envisager un regroupement au travers de la création d’un « code de la protection animale » afin de renforcer la visibilité juridique de la lutte contre la maltraitance animale et de répondre aux besoins des praticiens ?
Au-delà des textes, les pratiques doivent continuer d’évoluer. Outre les peines d’emprisonnement et d’amende, le recours aux peines spécifiques de confiscation de l’animal et d’interdiction de détenir un animal doit s’accroître. Différents textes régissent la matière des saisies et confiscations (article R. 148 et 99-1du Code de procédure pénale, article L. 214-23 du Code rural et de la pêche maritime, article L. 172-12 du Code de l’environnement ainsi que différentes procédures administratives). L’animal saisi peut être confié à une fondation ou à une association de protection animale reconnue d’utilité publique dans l’attente d’un jugement. L’animal peut également être confié à titre de peine complémentaire à une œuvre de protection animale. La prise en charge effective des frais de garde de l’animal conditionne le développement des saisies qui sont l’antichambre de la confiscation. Mettre les frais de garde à la charge de l’auteur de la maltraitance comme le prévoit l’article 99-1 du Code de procédure pénale est logique et louable mais souvent illusoire dans les faits. Nombre de condamnés ne s’acquittant pas des sommes dues, les associations ayant supporté la charge financière de la garde en sont alors pour leurs frais. Certaines intègrent cet aléa, d’autres s’y refusent, ce qui s’entend d’un point de vue économique. Assurer le paiement de ces sommes au titre des frais de justice en prévoyant une action récursoire de l’Etat contre le condamné serait une solution. Faute d’évolution, la recherche d’associations pour accueillir les animaux saisis demeurera difficile. Des voies de contournement comme l’incitation du propriétaire de l’animal à sa cession volontaire continueront d’être utilisées. Développer les saisies et confiscations en favorisant le recueil des animaux, accroître le prononcé des peines d’interdiction temporaire ou définitive de détenir un animal, développer les réponses pénales pour les faits de moindre gravité au moyen de stages spécifiques mêlant sanction et pédagogie sont autant de leviers judiciaires dans la lutte contre la maltraitance animale.
Sous l’impulsion des parquets, la réponse judiciaire se renforce. Les mesures de garde à vue, de perquisitions, de défèrements deviennent le lot du contentieux de la maltraitance animale à l’instar d’autres contentieux. Le recours aux circuits courts (présentation au parquet avec délivrance d’une convocation par procès-verbal assortie d’un placement sous contrôle judiciaire, comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, comparution immédiate pour les cas les plus graves…) donne du sens dans le temps et sur le fond aux suites pénales décidées.
A la mobilisation des parquets doit répondre la mobilisation des services d’enquête. Tel est parfois le cas. Des marges de progression demeurent au plan de la formation et de la spécialisation des enquêteurs. La gendarmerie s’y emploie dans sa logique hiérarchique sur la base de son maillage territorial. L’OCLAESP forme différents personnels qui, à leur tour, en forment d’autres. Pour la police nationale, le constat est plus variable en fonction des initiatives locales. Contentieux spécifique, soulevant des questions techniques et pratiques, la lutte contre la maltraitance animale ne peut demeurer tributaire de volontés variables et d’initiatives individuelles. L’émergence d’unités spécialisées au niveau de la gendarmerie et de la police nationales ainsi que des polices municipales est une nécessité. A défaut, le vide laissé par l’Etat continuera d’être comblé par le secteur associatif, souvent avec un dévouement exemplaire, parfois avec bonheur, parfois maladroitement, parfois avec excès. Les associations, l’autorité administrative (DDPP, OFB notamment), l’autorité judiciaire doivent converger dans la complémentarité et le respect des rôles de chacun.
Au plan judiciaire, une réponse pénale renforcée implique une organisation dédiée à la lutte contre la maltraitance animale reposant sur un minimum de moyens. Cette organisation peut s’adosser utilement à une autre structure en cohérence, même partielle, avec la lutte contre la maltraitance animale. C’est le choix fait au parquet général de Toulouse avec la création d’un « pôle environnement maltraitance animale » (PEMA) associant le procureur général, la cheffe de cabinet et un juriste assistant, ce dernier étant exclusivement affecté au traitement de ces contentieux. En 2024, un juriste assistant spécialisé sera par ailleurs affecté au parquet de Toulouse. Regrouper les violences aux animaux avec les violences aux personnes, violences intra-familiales en particulier, a également du sens. Aucun rattachement (environnement ou violences aux personnes) ne peut être en totale cohérence avec la multiplicité des champs de la lutte contre la maltraitance animale. Le rattachement au secteur de l’environnement permet d’embrasser les problématiques de protection de la faune sauvage et des espèces protégées. Le rattachement au secteur des violences aux personnes permet de traiter l’origine unique de la violence en renforçant la détection de ses victimes potentielles. Ce rattachement n’est toutefois plus en cohérence avec des sujets comme, par exemple, le dopage dans le milieu hippique et des courses ou la destruction d’espèces protégées. En l’état des moyens alloués, l’adossement à une autre structure, quelle qu’elle soit, a le mérite de permettre une mutualisation des moyens et l’affectation spécifique de juristes assistants (demain d’attachés de justice). L’affectation systématique d’un juriste assistant spécialisé dans ces structures (qu’elles luttent contre les atteintes à l’environnement et aux animaux ou contre les atteintes aux personnes et aux animaux) dans chaque parquet général serait une avancée significative au coût relatif (soit moins de quarante postes pour l’ensemble du territoire national outre-mer compris). Les procureurs généraux, chargés de fixer les orientations de politique pénale dans leur ressort, pourraient s’appuyer ainsi sur des juristes assistants mobilisés au soutien des parquets ainsi que pour assurer le suivi et l’expertise des procédures. Ce renfort est indispensable, certains parquets généraux et parquets comptant des effectifs très limités (parfois de l’ordre de trois ou quatre magistrats seulement). En cet état, faute d’un minimum de moyens, la lutte contre la maltraitance animale ne peut que souffrir elle-même d’un mauvais traitement. Il convient de développer encore des liens renforcés, d’une part, entre les magistrats chargés de ce contentieux et, d’autre part, avec les différents services de l’Etat (DDPP, OFB, douanes…) ainsi qu’avec les associations. La création d’une boîte aux lettres électronique dédiée, en place au parquet général de Toulouse (Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.), y participe utilement. Une liste de discussion réunissant l’ensemble des membres du pôle environnement maltraitance animale du parquet général et les magistrats des parquets référents, permet par ailleurs de créer une émulation interne (diffusion de la jurisprudence, veille juridique et médiatique, échanges concrets sur les bonnes pratiques, sur les difficultés rencontrées, sur les adresses utiles afin d’assurer le placement des animaux, diffusion de fiches réflexe à destination des services de permanence des parquets…). Le développement des relations avec l’Ordre des vétérinaires et les écoles vétérinaires s’impose aussi. A l’instar de la médecine légale pour les humains, il faut disposer de vétérinaires experts connaissant les attentes et exigences de la justice en termes de constatations et de preuve. Mettre en place des trames répondant à ces exigences, définir un maillage territorial de professionnels capables d’intervenir rapidement à la demande de la justice, expliciter les cadres juridiques (en particulier les règles relatives au secret professionnel opportunément assouplies par la loi du 30 novembre 2021) sont autant d’avancées à réaliser et à systématiser.
La désignation de délégués du procureur spécialisés dans la lutte contre la maltraitance animale est encore un levier d’action précieux pour les parquets. Le recours aux délégués du procureur permet de traiter par des alternatives aux poursuites des procédures de moindre gravité antérieurement cantonnées au seul champ administratif ou classées sans suite. Cette judiciarisation, qui ne débouche pas sur une poursuite et une inscription au casier judiciaire, a néanmoins le mérite de faire entrer dans le radar de la justice les auteurs de maltraitance animale. En cas de réitération des faits, ces derniers, déjà connus par les parquets, seront poursuivis plus fermement. Incarnation du risque pénal, agissant au nom du procureur de la République, les délégués du procureur délient souvent des situations bloquées obtenant régularisation ou cession volontaire des animaux. Ces nouvelles organisations, ces nouvelles pratiques sont en marche. Elles demeurent éclatées, variables, fragiles car tributaires des magistrats qui, au gré de leurs affectations, les portent, les transmettent, les abandonnent, à leurs successeurs.
Un mouvement profond est enclenché. Il doit être prolongé et soutenu par des structures et des pratiques unifiées et pérennes sous la responsabilité des procureurs généraux en charge de la déclinaison de la politique pénale et des procureurs de la République en charge de l’exercice de l’action publique. La lutte contre la maltraitance animale doit trouver toute sa place aux côtés de la lutte contre les autres volets de la délinquance. La légitimité de l’action du ministère public est l’application de la loi pénale et la répression de la délinquance. L’auteur de maltraitance animale est un délinquant. Il convient de le traiter comme tel. La vague de fond qui roule n’a pas encore atteint tous les rivages, nombreux, de la souffrance animale. Pour autant, l’opposition entre humanité et animalité, aux racines historiques, culturelles et religieuses, se fissure de plus en plus. L’homme comprend qu’il doit, qu’il n'a d’autre choix, que de faire cause commune avec l’animal. Louis Schweitzer, président du conseil d’administration de la fondation « droit animal éthique et sciences » déclarait lors d’un colloque en 2022 intitulé « homme et animal : faire cause commune » : « l’histoire est avec nous. La cause des animaux est irrésistible ». Formons le vœu que l’action de la justice en la matière le soit tout autant, permettant de passer du mot de Victor Hugo, pour qui « l’enfer n’existe pas pour les animaux, ils y sont déjà », à celui de Mohandas K. Ghandi, pour qui « la grandeur d’une nation et son progrès moral peuvent être jugés à la manière dont les animaux sont traités ».

     

    RSDA 2-2023

    Dossier thématique

    Corrélation entre les violences sur les personnes vulnérables et les violences sur les animaux : d’une timide reconnaissance législative vers des évolutions nécessaires afin d’améliorer la lutte contre les violences domestiques

    • Agnès Borie
      Docteur Vétérinaire
      Collaborateur parlementaire

     Résumé : En l’état actuel du droit, plusieurs codes établissent un rapprochement indirect entre les violences s’exerçant à l’encontre des êtres humains et celles à l’encontre des animaux, principalement eu égard aux effets délétères induits par l’exposition à ces violences, notamment pour des mineurs. Cependant la reconnaissance d’une possible corrélation entre ces violences multi-spécistes passe par une traduction législative plus franche afin de mieux lutter contre la violence domestique et de mieux prévenir les violences à l’encontre de tous les êtres vulnérables du foyer. Une approche globale de la violence s’appuyant sur une politique civile, pénale et éducative ad hoc est nécessaire à cette fin.

    Abstract : As the law currently stands, several codes establish an indirect link between violence against human beings and violence against animals, mainly with regard to the deleterious effects induced by exposure to such violence, particularly for minors. However, the recognition of a possible correlation between this multi-speciesist violence requires a more frank legislative translation in order to better combat domestic violence and better prevent violence against all vulnerable beings in the household. To this end, a global approach to violence based on an ad hoc civil, criminal and educational policy is needed.

     

    Prolégomènes


    Observant ce petit groupe qui pénétrait dans ma salle de consultation, je m’étonnais de constater que l’attitude de l’enfant avait quelque chose de comparable à celle du chien, ces deux emboîtant le pas de leur père et maître. La tête baissée dans une démarche concentrée sur celui qu’ils suivaient, attentifs tout en cherchant à s’extraire de l’attention de l’autre, c’était là les marques d’une soumission craintive.
    Le malaise de ce constat se confirma lors de la consultation : le chien s’appuyait doucement dans mes mains qui l’examinaient, comme s’il cherchait à s’y cacher, tandis que je remarquais l’enfant, n’ayant pas osé s’assoir, debout le long du mur sans pour autant s’y adosser, sans un mouvement, sans un son.
    Quel était donc ce joug presque palpable qui maintenait ces deux dans une attitude bridée, l’éveil de leurs sens aiguisés révélé par de réguliers coups d’œil furtifs vers leur maitre ?
    C’était cela. Mon cerveau m’avait guidé vers cette reconnaissance. Ce que mon expérience de vétérinaire m’avait appris à discerner sur les chiens, cette attitude d’animal battu à mauvais escient par son maître, je venais de la lire sur cet enfant. Convergence d’attitudes traduisant une convergence de sorts : l’évidence s’écrivait sous mes yeux alors que je peinais à en réaliser la portée.
    Progressivement ce malaise passéiste du simple observateur, maintenant avisé, s’est mué en un dégoût émotionnel me poussant à agir.
    Il fallait fédérer pour parvenir.
    La reconnaissance d’une corrélation entre les violences exercées à l’encontre des êtres vulnérables, qu’ils soient humains ou animaux, peine à s’imposer. Que celui qui frappe cruellement son animal puisse être aussi celui qui frappe son enfant ou son conjoint (conjointe le plus souvent) n’est pas encore établi pour tous.
    La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes a acté une volonté législative de préserver les mineurs de l’exposition à la violence perpétrée sur les animaux, une telle exposition chez le jeune pouvant engendrer une confusion des valeurs à l’origine d’un état violent. Si les violences sur les animaux ne sont pas encore reconnues en France comme des actes porteurs d’une information potentiellement prédictive ou identificatrice d’une violence plus générale, ce constat d’une exposition à la violence sur les animaux potentiellement génératrice d’un comportement violent, est toutefois important dans la démarche conduisant à une prise de conscience plus globale.
    Ce temps accompli, celui de la traduction législative de cette corrélation, ne saurait être trop longtemps dilayé.

    I. Un début de reconnaissance : la législation existante

    A. Le droit et la procédure pénale

    La loi du 30 novembre 2021, citée précédemment, entérine une réceptivité particulière des mineurs à la violence, que celle-ci s’exprime à l’encontre des humains ou des animaux, et considère que cette sensibilité peut également être heurtée par des représentations à caractère sexuel mettant en scène des humains tout autant que des animaux.
    Ainsi, les articles 26 et 43 de cette loi, modifiant l’article 521-1 et créant l’article 521-1-1 du Code pénal respectivement, majorent les peines associées à des sévices graves ou actes de cruauté envers un animal et celles associées à des atteintes sexuelles sur un animal lorsque les faits sont commis en présence d’un mineur (précisons ici qu’il s’agit des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité). Les peines de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende sont portées à 4 ans et 60 000 euros d’amende.
    L’article 40 de la loi du 30 novembre quant à lui, vient modifier l’article 227-24 du Code pénal en précisant que les messages pornographiques comprennent les « images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux ». De fait, l’exploitation de tels messages pornographiques et zoo-pornographiques (fabrication, diffusion, commerce), lorsqu’ils sont susceptibles d’être vus par un mineur, entrainent les mêmes peines que les messages à caractère violent, incitant au terrorisme ou de nature à porter atteinte à la dignité humaine.
    Ici, le législateur acte qu’une atteinte délictuelle à l’encontre des animaux, en l’occurrence de nature sexuelle, emporte la même conséquence pour des mineurs « spectateurs » que d’autres faits violents impliquant des humains. Ce faisant, il est important de noter que cela n’implique aucunement que la gravité des faits, supports du message exploité pouvant être vu par un mineur, est similaire ni même comparable. Il ne s’agit là que des conséquences pour le mineur exposé.
    Sur le sujet de la zoophilie et dans le même esprit, l’article 45 de la loi rajoute les délits d’atteinte sexuelle sur animaux à la liste des infractions de l’article 706-47 du Code de procédure pénale. Concrètement, les actes de zoophilie relèvent désormais « de la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes »1 au même titre que des infractions de crimes et tortures sur mineurs, de proxénétisme sur mineurs, de viol…
    À ce titre, ces infractions sont inscrites au FIJAIS2 . Afin de prévenir le renouvellement des infractions mentionnées à l'article 706-47 et de faciliter l'identification de leurs auteurs, ce traitement reçoit, conserve et communique aux personnes habilitées les informations prévues à l'article 706-53-2 « selon les modalités prévues par le présent chapitre »3 .
    Par ailleurs, le 11° de l’article 706-47 intègre également dans la liste des infractions dont la procédure relève de celle applicable aux infractions de nature sexuelle et de la protection des mineurs victimes, « les délits de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, prévus à l'article 227-24 même code ». Or, comme nous l’avons vu précédemment, la loi du 30 novembre 2021 a élargi le domaine de l’article 227-24 du Code pénal ajoutant après « pornographique » : « y compris des images pornographiques impliquant un ou plusieurs animaux ».
    Selon le professeur Jacques Leroy4, aux termes de l’article 111-4 du Code pénal, la loi pénale est d’interprétation stricte. Or, l’interprétation stricte n’est pas une interprétation restrictive qui pourrait être une lecture littérale du texte. L’interprétation stricte signifie qu’il ne faut appliquer le texte interprété qu’aux seuls cas qu’il prévoit (rejet de tout raisonnement par analogie) mais qu’il faut l’appliquer à toutes les hypothèses qu’il prévoit, ce qui suppose que l’on aille au-delà de la lettre du texte pour saisir la volonté du législateur. Le 11° de l’article 706-47 du Code de procédure pénale, en renvoyant à l’article 227-24, renvoie au texte dans sa plénitude pour ce qui concerne le type de message pornographique pris en considération. En se référant au message pornographique sans plus de précision, ce 11° se réfère au message pornographique tel qu’il est dorénavant compris par l’article 227-24 modifié.
    Dès lors, on comprend que sont également concernés par cette procédure, et donc inscrits au FIJAIS, ceux qui diffusent des images pornographiques impliquant des animaux, dans la mesure où ces images sont susceptibles d’être vues par un mineur.
    Divers articles du Code pénal et du Code de procédure pénale actent donc l’existence de similitudes entre les infractions de violences sexuelles à l’encontre des êtres humains et celles à l’encontre des animaux, eu égard au préjudice qu’elles peuvent induire, notamment pour les mineurs qui y sont exposés, et aux conséquences pénales.
    Ce faisant, néanmoins, l’existence d’une corrélation entre ces violences n’est pas entérinée par le droit pénal.

    B. Le Code de l’action sociale et des familles

    Deux modifications du Code de l’action sociale et des familles, induites par la loi du 30 novembre 2021, inscrivent dans la loi la nécessité de suivre les mineurs ayant maltraité un animal ou ayant été témoins de maltraitance animale au sein du foyer.
    L’article 221-1 rajoute dans les missions de l’aide sociale à l’enfance le repérage et l'orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale.
    L’article L. 226-3 prévoit dorénavant que les mises en cause pour sévices graves ou acte de cruauté ou atteinte sexuelle sur un animal détenu, lorsqu’elles sont notifiées à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) par une fondation ou association de protection animale (APA) reconnue d’intérêt général, donnent lieu à l’évaluation de la situation du mineur.
    On croit comprendre ici que lorsqu’une association de protection animale intervient lors d’actes délictuels sur un animal et qu’elle constate la présence de mineurs, elle en avertit la CRIP qui procède à l’évaluation des dits mineurs. Cependant la syntaxe légistique de cet article manque un peu de clarté et son interprétation n’est pas totalement univoque. Si l’APA notifie à la CRIP les « mises en cause », alors cette notification ne peut avoir lieu que si une procédure est en cours et que les actes ont été caractérisés comme relevant des articles 521-1 et 521-1-1 du Code pénal. Faut-il alors que l'APA soit partie prenante de la procédure en cours, sachant que pour qu'une APA puisse se porter partie civile il faut qu'elle soit régulièrement déclarée depuis au moins 5 ans (article 2-13 du CPP) ? En l’absence d’APA ou si celle-ci n'est pas d'intérêt général, doit-on comprendre que la CRIP n'est pas avertie et le mineur non évalué ?
    Au sein du Code de l’action sociale et des familles, l’existence d’une possible corrélation chez un mineur entre la maltraitance animale à laquelle il se livre ou dont il est témoin et son équilibre psychique est établie.

    C. Signalements par les vétérinaires

    En autorisant la levée du secret professionnel « au vétérinaire qui porte à la connaissance du procureur de la République toute information relative à des sévices graves, à un acte de cruauté ou à une atteinte sexuelle sur un animal mentionnés aux articles 521-1 et 521-1-1 et toute information relative à des mauvais traitements sur un animal, constatés dans le cadre de son exercice professionnel »5, la loi du 30 novembre 2021 permet au vétérinaire d’associer, s’il y a lieu, au sein d’un même signalement à destination du procureur, un signalement de mauvais traitements à l’encontre d’animaux et de mauvais traitements infligés à un mineur ou à une personne, qui n'est pas en mesure de se protéger, de l’entourage6.
    Avant la loi du 30 novembre 2021, la révélation du secret par le vétérinaire n’était possible que pour informer les autorités judiciaires ou administratives de faits de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse dont il a eu connaissance. C’est d’ailleurs une obligation comme pour tout citoyen7. Depuis cette loi, la révélation du secret pour le vétérinaire étant également possible afin d’informer le procureur de mauvais traitements à l’encontre d’animaux, constatés dans le cadre de son exercice, il est donc possible pour ce praticien de transmettre sur le même signalement les deux types de violence, s’il suspecte qu’elles coexistent au sein du foyer, et ainsi mettre en exergue une éventuelle corrélation.
    Cette corrélation trouvait déjà une traduction dans le Code rural, au sein de l’article L. 203-6, pour le vétérinaire sanitaire qui a obligation d’informer l'autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux.
    Elle s’est concrétisée par la mise en place en 2018 des CDO (cellules départementales opérationnelles) dont l’objectif est de mieux prévenir et lutter contre la maltraitance animale, au sein des élevages d’animaux de rente principalement, en se fondant sur le constat que ces actes sont souvent associés à une grande détresse humaine (difficultés financières, burn-out…).
    Ainsi, différents codes opèrent un rapprochement indirect entre les violences perpétrées sur les humains et celles à l’encontre des animaux. Cependant l’acceptation d’une possible corrélation directe entre ces violences n’a pas encore de traduction législative.

    II. Des évolutions législatives nécessaires

    Une approche globale des violences, basée sur la reconnaissance de cette corrélation, associée à une politique civile, pénale et éducative appropriée, doit permettre la mise en place de mesures préventives et curatives adaptées au profit des victimes, êtres humains ou animaux.

    A. Code civil : les ordonnances de protection

    Il s’agirait d’une part d’élargir les conditions de déclenchement des ordonnances de protection des victimes de violences intrafamiliales en incluant un indicateur supplémentaire révélateur d’un contexte de violence au sein du foyer et d’autre part de permettre au juge aux affaires familiales de statuer sur le sort de l’animal de compagnie du foyer.
    Les mesures de protection en cas de violences intrafamiliales peuvent être prises par le juge pénal et le juge civil. La délivrance d’une ordonnance de protection du juge civil n’est pas conditionnée à l’existence d’une plainte pénale préalable. Elle est rapide avec une prise en charge automatique et provisoire des frais de justice de la victime. Les violences permettant de déclencher ce dispositif sont énumérées à l’article 515-9 du Code civil. Il s’agit de violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettant en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants. Il serait donc souhaitable d’étendre les possibilités de déclenchement de ces ordonnances de protection en y incluant les violences mettant en danger les animaux de compagnie vivant au sein du foyer.
    L’article 515-11 du Code civil liste les mesures pouvant être prononcées par le juge dans le cadre de ces ordonnances afin de protéger la victime. Il conviendrait ici d’étendre la compétence du juge au sort de l’animal de compagnie du foyer afin que les victimes ne se sentent pas contraintes de rester en raison de menaces ou de violences pouvant s’exercer à l’encontre de leur animal, instrument de manipulation et de chantage. Le juge se prononcera alors sur l’attribution de la garde de l’animal indépendamment de la propriété. L’objectif est de renforcer la protection des victimes de violence intra familiale, d’une part en leur permettant de se mettre à l’abri sans craindre que l’animal de compagnie resté au foyer subisse des violences et, d’autre part en les libérant d’un chantage affectif sur l’animal qui pourrait les retenir de solliciter une ordonnance de protection.
    Les animaux de compagnie du foyer sont un moyen de pression et de chantage pour l’auteur des violences qui peut menacer de représailles sur l’animal et renforcer ainsi son emprise et son harcèlement sur la victime. Des études américaines8 estiment que 89 % des femmes ayant un animal de compagnie ont rapporté que celui-ci avait été menacé, blessé ou tué par leur partenaire violent et que 48 % des victimes de violences domestiques retardent leur départ en raison de l’animal.
    En France, en 2020, les forces de sécurité ont enregistré 159 400 victimes de violences conjugales commises par leur partenaire, hors homicides (dont 139 200 femmes)9. Près d’un foyer sur deux possède un animal de compagnie10 et près de 70 % des sondés affirment considérer leur animal domestique comme un membre de la famille à part entière11. Cette situation n’est donc aucunement anecdotique.

    B. Code pénal : statut de victimes psychologiques exposées aux violences sur l’animal et l’animal comme arme psychologique

    Les violences exercées au sein du foyer sur les animaux ont un retentissement psychologique important tant sur les conjoints victimes que sur les enfants. Ils sont exposés à une violence illégale qu’ils subissent et qui s’exerce en toute liberté et impunité dans un lieu sanctuarisé : le foyer. Ils sont de fait également des victimes de ces violences.
    Comme cela a été rappelé dans la première partie, les articles 521-1 et 521-1-1 du Code pénal reconnaissent déjà cette violence psychologique puisqu’ils prévoient comme circonstance aggravante de ces délits le fait de les commettre en présence d’un mineur. L’article 227-24 du même code l’acte également puisqu’il réprime la diffusion de message à caractère violent lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur.
    De surcroit, une récente méta-analyse12 révèle que les objectifs principaux de ces mauvais traitements envers les animaux dans les foyers où il existe de la violence conjugale sont de « contrarier les femmes et les enfants », «reprendre le contrôle de la situation ou de la dispute » et « d’exercer un contrôle sur la situation » en blessant, intimidant et terrorisant le partenaire.
    Il s’agit donc de confirmer que les enfants et les conjoints exposés à des actes illégaux que sont les sévices graves, actes de cruauté et atteintes sexuelles exercés sur l’animal de compagnie au sein du foyer sont des victimes, actant ainsi la possibilité d’une prise en charge psychologique et leur conférant le statut juridique de victime. Il conviendrait à cette fin de compléter l’article 222 14 3 du Code pénal afin que les actes de violence, tels que définis aux articles 521 1 et 521 1 1 du Code pénal, commis sur un animal de compagnie détenu au sein du foyer par le conjoint ou le concubin de la victime ou son partenaire avec qui elle est liée par un pacte civil de solidarité ou, si la victime est mineure, par un ascendant ou par toute autre personne ayant autorité sur elle, soient assimilés à des violences psychologiques.
    Il conviendrait également de réprimer l’utilisation de l’animal de compagnie du foyer comme moyen de coercition, de chantage, de harcèlement sur le conjoint victime.
    La méta-analyse précitée indique que 12 à 75 % des femmes victimes de violence conjugale déclarent que leur partenaire menaçait de nuire à l’animal et 23 à 77 % signalent une violence réelle (préjudice physique, négligence ou meurtre). Les études incluant l’animal à la fois comme outil de menaces et objet de maltraitances rapportent jusqu’à 89 % de cas. Les objectifs principaux de ces menaces et mauvais traitements rapportés sont de « contrarier les femmes et les enfants », « reprendre le contrôle de la situation ou de la dispute » et « d’exercer un contrôle sur la situation » en blessant, intimidant et terrorisant le partenaire.
    A l’instar de l’article 132-75 du Code pénal qui édicte dans son 3ème alinéa que « l’utilisation d’un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l’usage d’une arme », il est temps d’acter que les animaux de compagnie du foyer peuvent être utilisés à l’encontre du conjoint comme « arme psychologique », moyen de pression afin d’augmenter une emprise et de contrôler la situation en traumatisant les victimes et en affectant leur décision de demander de l’aide, de planifier leur sécurité et de mettre fin à la relation abusive.
    L’article 222 33 2 1 du Code pénal pourrait être modifié afin que l’infraction de harcèlement moral soit également constituée par des propos ou comportements à l’encontre d’un animal de compagnie détenu au sein du foyer ayant pour objet ou pour effet de créer à l’encontre du conjoint, du partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou du concubin une situation intimidante, hostile ou offensante.
    Ces préconisations, quant aux évolutions législatives énoncées ci-dessus, ont fait l’objet d’amendements défendus par le sénateur Bazin en octobre 2022 lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur. Ces amendements n’ont pas été adoptés, le ministre et le rapporteur ayant tous deux émis un avis défavorable aux motifs principaux que ces amendements relèvent davantage du ministère de la Justice que de celui de l’Intérieur et qu’« en termes de symbolique et de présentation, il me paraît délicat de faire figurer, dans les mêmes articles, des mentions relatives aux animaux et des mentions relatives aux victimes, que nous sommes censés protéger et qui sont des personnes humaines » (M. Loïc Hervé, rapporteur) et qu’« il ne faut pas mentionner de manière parallèle les victimes, singulièrement les femmes, et les animaux, qui, s’ils sont parfois victimes eux aussi, ne bénéficient pas dans le droit français des mêmes protections que les personnes » (M. Gérald Darmanin, ministre)13.

    C. Politique éducative : inclure les vétérinaires dans les formations sur les violences intrafamiliales

    Les textes de loi en vigueur relatifs à la formation des professionnels confrontés aux violences intrafamiliales n’incluent pas les vétérinaires dans la liste des professionnels concernés, excluant de facto leur implication dans le repérage de ces violences.
    Ainsi, aux termes de l’article 51 de la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, modifiant l’article 21 de la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants (puis modifiée par la loi du 5 novembre 2015) : « la formation initiale et continue des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des magistrats, des fonctionnaires et personnels de justice, des avocats, des personnels enseignants et d'éducation, des agents de l'état civil, des personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs, des personnels de la police nationale, des polices municipales et de la gendarmerie nationale, des personnels de préfecture chargés de la délivrance des titres de séjour, des personnels de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et des agents des services pénitentiaires comporte une formation sur les violences intrafamiliales, les violences faites aux femmes, sur les mécanismes d'emprise psychologique, ainsi que sur les modalités de leurs signalements aux autorités administratives et judiciaires ».
    De même, dans la récente loi n° 2023-140 du 28 février 2023 créant une aide universelle d'urgence pour les victimes de violences conjugales, il est prévu avant le 1er juillet 2023 une loi de programmation pluriannuelle de lutte contre les violences faites aux femmes permettant de financer entre autres : « 4° Les moyens destinés à la formation des médecins, des personnels médicaux et paramédicaux, des travailleurs sociaux, des agents des services de l'état civil, des agents des services pénitentiaires, des magistrats, des personnels de l'éducation nationale, des personnels d'animation sportive, culturelle et de loisirs ainsi que des personnels de police et de gendarmerie ».
    Il conviendrait donc d’étendre ces formations aux vétérinaires, ce qui permettrait de les sensibiliser aux violences intra familiales et aux mécanismes d'emprise psychologique ainsi que de les former aux modalités de signalement aux autorités administratives et judiciaires. De plus, cette formation commune permettrait aux vétérinaires de sensibiliser les autres professionnels concernés à la violence à l’encontre des animaux comme signal faible d’une violence plus globale.
    La notion d’une seule violence s’inscrit totalement dans la notion d’une seule santé (One Health).
    De nombreuses évolutions législatives et réglementaires sont envisageables. Cependant, afin qu’elles soient efficaces et pérennes, il est nécessaire qu’elles emportent l’adhésion de tous les acteurs concernés. Quelles que soient les mesures, elles ne sauraient s’appliquer sans heurt si elles forcent la prise de conscience. D’autres moyens existent pour y parvenir à l’instar du colloque « Une Seule Violence » organisé par l’équipe éponyme en mars 2023. Il est grand temps que nos décideurs prennent ce temps de la sensibilisation dont la majorité des professionnels concernés témoigne.
    A plus forte raison, le Parlement européen s’est positionné dans le cadre de la directive européenne sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Le texte adopté en commission début juillet acte la corrélation entre les violences à l’égard des êtres vulnérables du foyer et à l’égard des animaux dans les considérants 29 et 31 et dans l'article 1814.
    Il serait dommage que la France ne légifère que sous l’impulsion de l’Europe alors qu’elle prône une volonté d’améliorer la lutte contre les violences domestiques et d’augmenter la protection des mineurs de l’exposition à la violence. La crainte affichée d’une confusion entre l’animal et l’enfant nuit à la protection que chacun peut apporter à l’autre et alimente cet amalgame redouté qui nait au contraire d’une incapacité à reconnaitre les similitudes à la frontière desquelles s’établissent les différences.

    • 1 Titre XIX du livre IV du Code de procédure pénale.
    • 2 Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes : application automatisée d'informations nominatives tenue par le service du casier judiciaire sous l'autorité du ministre de la justice et le contrôle d'un magistrat.
    • 3 Article 706-53-1 du CPP.
    • 4 Droit pénal général, LGDJ, 9ème éd., n° 197 s.
    • 5 Art. 226-14, 1° CP.
    • 6 Art. 226-14, 5° CP
    • 7 Art. 434-3 CP.
    • 8 https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2752/089279304786991864
    • 9 Interstats 2020 : ministère de l’intérieur /statistiques publiques sur l’insécurité et la délinquance.
    • 10 https://www.facco.fr/chiffres-cles/les-chiffres-de-la-population-animale/
    • 11 https://fr.statista.com/a-propos/notre-engagement-pour-la-recherche
    • 12 Cleary, M. et al. (2021) Animal abuse in the context of adult intimate partner violence: A systematic review. Aggression and Violent Behavior, 61, 101676.
    • 13 Séance du 13 octobre 2022 (senat.fr)
    • 14 Considérant 29 : When assessing the victim’s protection and support needs, the primary concern should lie in safeguarding the victim’s safety, including dependants’ safety, (AM 426) rights and needs, (AM 25, AM 424, AM 425, AM 429) and providing tailored protection and (AM 25, AM 424, AM 425, AM 429) support, taking into account, among other matters, the individual circumstances and vulnerability (AM 427, AM 430, EMPL 28) of the victim. (AM 1067) Such circumstances requiring special attention could include the victim’s pregnancy, (AM 1066) the victim’s physical and mental health or disabilities, (AM 427) substance abuse issues, the presence of children, the presence of companion animals, (AM 25, AM 424, AM 425, AM 426, AM 428, EMPL 28) or the victim’s dependence on or relationship to the offender, including economic dependence or dependence for the reason of residence status. (AM 25, AM 425, EMPL 28) or the victim having a common child with the offender (AM 424). Considérant 31 : Animals are also often used as leverage in the execution of power by the perpetrator. Article 18 : Circumstances requiring special attention shall include the victim´s pregnancy, the victim´s dependence on or relationship to the offender ,the risk of the victim returning to the offender or suspect, recent separation from an offender or suspect, the possible risk that children and companion animals are used to exercise control over the victim (AM 1066) and the risks for victims with disabilities.
     

    RSDA 2-2023

    Dossier thématique

    Le lien : violences sur les vulnérables

    • Anne-Claire Gagnon
      Dr Vétérinaire
      Présidente de AMAH
    • Marie-Jose Enders-Slegers
      Professeur émérite
      Open University Pays-Bas
      Présidente de IAHAIO

     

    Résumé : Dans de nombreux pays occidentaux comme les Pays-Bas et la France, les animaux de compagnie sont présents dans plus d’un foyer sur deux. D’animaux de compagnie hier, ils sont devenus aujourd’hui des « membre de la famille ». La violence familiale, de même que les maltraitances animales, surviennent souvent sans que l’entourage ne s’en rende compte. Lorsque les animaux sont maltraités, les membres de la famille peuvent être en danger ; et lorsque les membres de la famille sont maltraités, les animaux de compagnie sont en danger. La prise de conscience du lien entre la violence à l'égard des êtres humains et des animaux est utile pour reconnaître les risques encourus par les personnes et les animaux vulnérables. La recherche sur les expériences des victimes, des témoins et des vétérinaires est discutée, ainsi que la décision des victimes de renoncer à partir lors de violences domestiques par crainte de représailles sur leur animal qu'elles doivent laisser derrière elles. Des recommandations sont formulées pour sensibiliser davantage la société, intensifier la recherche et adopter une approche interdisciplinaire de ce sujet.


    Introduction

    Plus de 50 % des familles du monde occidental ont des animaux de compagnie. Le rôle des animaux de compagnie évolue : ils sont considérés comme faisant partie de la « famille » et, dans notre société qui s'individualise, leur rôle de « soutien social » devient de plus en plus important. Les animaux de compagnie peuvent combler des lacunes dans la vie des personnes vivant seules. Ils peuvent être une source de proximité émotionnelle et de sécurité, offrir la possibilité de s'occuper de quelqu'un, de prendre soin de lui, d'être responsable et de donner un sens à sa vie. Ils contribuent à la qualité de vie en incitant à l'exercice physique (excellent pour la santé) et à la relaxation. Ils facilitent la communication et aident à l'intégration sociale des personnes (Enders & Hediger, 2019). L’importance émotionnelle des animaux de compagnie pour les personnes se matérialise par des dépenses annuelles pour leurs soins (alimentation et santé) d’environ 1100 euros.
    Faire partie de la famille a aussi un côté sombre pour l’animal de compagnie. La violence à l'égard des animaux et la violence à l'égard des personnes sont souvent liées et ont été appelées « le lien » : « lorsque les animaux sont maltraités, les membres de la famille peuvent être en danger ; et lorsque les membres de la famille sont maltraités, les animaux de compagnie sont en danger », (Lockwood & Arkow, 2016).
    Dans les familles où la violence est utilisée, la sécurité de l'animal de compagnie en tant que membre aimé de la famille peut être compromise : l'animal peut être maltraité en guise de punition ou d'avertissement pour les autres membres de la famille (Roguski, 2012 ; Volant, 2008) ; il peut être tué en guise de menace pour les victimes (si vous en parlez à quelqu'un ...), etc. Les membres de la famille, même s'ils ne sont pas eux-mêmes maltraités, souffriront émotionnellement de ces expériences (violence psychologique). De nombreuses victimes déclarent que les animaux leur apportant un soutien émotionnel ont été victimes de violences (Flynn, 2000).

    Qu'est-ce que la maltraitance animale ?

    Plusieurs définitions sont utilisées :
    - Au niveau sociologique : c’est un comportement socialement inacceptable et non accidentel (intentionnel) qui provoque la douleur, la souffrance, la détresse ou la mort (Ascione, 1998).
    - Au niveau juridique : sont des délits le fait de harceler, martyriser, priver d’eau, de nourriture, de soins de santé ou d’abri, de mutiler inutilement ou de tuer un animal.
    Commettre intentionnellement sur un animal un acte qui entraîne une mort cruelle ou inflige de la douleur ou des souffrances inutiles est un crime (Animals & Society Institute, 2012).
    Les violences faites aux animaux et aux humains ont les mêmes caractéristiques et des similarités dans les lésions infligées. Dans tous les cas, il s’agit de dépendance, de pouvoir, d'agressions psychologiques, physiques, sexuelles et de domination.

    Familles dysfonctionnelles

    Il convient de préciser que la maltraitance des animaux de compagnie s'inscrit généralement dans une dynamique familiale dysphorique (Jegatheesan et al., 2020). Un nombre considérable de recherches universitaires sur la violence inter-espèces montre que ces abus sont souvent liés à la maltraitance des enfants et des conjoints, ainsi qu'à d'autres formes de violence familiale (Boat, 1995 ; Ascione, 1998, 1999 ; Ascione & Arkow, 1999 ; Faver & Strand, 2003). En outre, la maltraitance des animaux par les enfants eux-mêmes est fortement liée à leurs propres expériences de maltraitance (Felthous & Kellert, 1987; Ascione, Thompson & Black, 1997). Bien que l'hypothèse dite de graduation – la situation dans laquelle la maltraitance des animaux pendant l'enfance et l'adolescence conduit à la maltraitance des humains à l'âge adulte – n'ait pas été prouvée (voir par exemple Arluke, Levin, Luke & Ascione, 1999 ; Wright & Hensley, 2003 ; Hensley et al., 2009), il est toujours important de noter que la maltraitance des animaux est un marqueur d'autres expériences pénibles dans la vie des enfants (Gullone, 2011), notamment des violences pédocriminelles (Nurse & Harding, 2024). La plupart des études récentes sur la relation entre les abus directs envers les animaux de compagnie et les abus envers les enfants et la violence familiale soulignent la nécessité d'une approche systémique et multidisciplinaire du problème (Jegatheesan et al., 2020).

    Corrélation entre les violences domestiques

    Le lien entre la maltraitance animale et la maltraitance humaine est reconnue depuis plusieurs dizaines d’années (Ascione, 1999). Aux Pays-Bas, la première étude qualitative et quantitative a été réalisée en 2008 (Enders & Janssen, 2009). Trente-cinq professionnels des violences domestiques (forces de police, juges) ont été interrogés sur le lien entre la maltraitance des animaux et la violence domestique. Il n'y avait pas de connaissances explicites sur ce sujet, mais lorsque celles-ci ont été fournies, des connaissances implicites étaient présentes et des exemples de cas où ce sujet aurait pu être négligé ont été mentionnés par les personnes clés.
    Un officier de police a décrit le cas suivant :
    « Les policiers en charge de la protection animale ont reçu une vidéo d'une fillette (âgée d'environ 4-5 ans) sautant sur un trampoline. C'est la fin de l'après-midi, la fillette est vêtue d'une chemise de nuit et tient un chiot dans chaque main. Quatre autres petits chiots sont sur le trampoline, assis, couchés, et sont lancés de haut en bas sur le trampoline pendant que la fillette saute.
    Les chiots qu'elle tient dans ses mains sont lancés en l'air, tombent sur le trampoline et à côté, sur le sol en pierre de la cour. La fillette prend un autre chiot et continue son jeu sans fin. Les pleurs des chiots sont déchirants.
    La vidéo a été réalisée par un voisin, qui a filmé cette scène avec son téléphone et l’a jugée préoccupante, d’où son envoi à la police.
    La police en charge de la protection animale décide de se rendre sur place. En entrant dans la maison de la petite fille, ils découvrent une situation chaotique : les parents de la petite fille en train de fumer et de boire avec des amis, des bouteilles vides partout, des cartons de pizza et beaucoup de saleté sur le sol, et une chienne allaitante attachée au radiateur. Une situation claire de négligence (qui est une forme de maltraitance des enfants) de la petite fille et de négligence (et de maltraitance) des animaux. La police a placé la fillette et les animaux en lieu sûr ».
    En signalant les faits qui l’inquiétaient – la fillette laissée sans surveillance maltraitait (peut-être involontairement) les chiots – le voisin a mis en lumière le « lien », permettant la protection de l'enfant et des animaux.
    Dans ce même projet de recherche, des questionnaires ont été envoyés à 108 vétérinaires : 60 % des vétérinaires ont remarqué ou soupçonné des cas de maltraitance animale dans leur pratique et, dans 30 % de ces cas, des cas de violence domestique ont également été remarqués ou soupçonnés. Au total, 365 cas de maltraitance animale ont été constatés par les vétérinaires dont seulement 40 ont été signalés à la police. De nombreuses raisons ont été évoquées pour expliquer l'absence de signalement : anxiété de mettre en péril la relation avec le client, raisons financières, ce n'est pas notre spécialité, ce n'est pas notre rôle, anxiété d'être victimes de violences à notre tour, nous ne sommes pas formés pour cela, nous ne savons pas à qui nous adresser, etc. Une récente enquête réalisée en 2020 aux États-Unis a confirmé ces mêmes freins (Patterson-Kane, 2022).

    Frein à quitter le foyer violent par loyauté à l’animal de compagnie

    Solidarité avec l’animal. En 2012, des femmes propriétaires d'animaux de compagnie et victimes de violence ont été interrogées (Garnier & Enders, 2012) dans des centres d'hébergement. Dans cette étude, 55 % des femmes en centres d’hébergement déclarent que leur partenaire a brutalisé l’animal de compagnie, que ce dernier a été tué pour 15 %. Pour 33 % d’entre elles, leur partenaire a menacé de s’en prendre à l’animal (en faisant du chantage). Certaines femmes (11 %) déclarent que leur partenaire poussait l’animal à les agresser pour que le chien les morde (ce que tous les animaux, dans cette enquête, ont refusé !).
    De nombreuses femmes (41 %) ont reporté leur départ, anxieuses à l'idée que l'animal soit tué ou brutalisé en leur absence. La réalité de cette hypothèse a été constatée lors d'un entretien : un appel intimidant en visio d'un auteur qui menaçait de tuer son chien, qui était encore avec lui. Il a placé le couteau contre la gorge de l'animal : elle devait rentrer à la maison, sinon il…
    À l'époque, les animaux de compagnie n'étaient pas admis dans les centres d’hébergement. Aujourd'hui, il existe une association aux Pays-Bas, Mendoo, qui place ces animaux de compagnie dans des familles d'accueil, et qui promeut également le fait que les centres d’hébergement acceptent les animaux de compagnie des victimes. C'est ce qui se passe dans des centres d’hébergement de plus en plus nombreux, ce qui est une très bonne chose : les animaux de compagnie sont une grande source de soutien pour les femmes et les enfants.
    Il est recommandé de créer des associations interdisciplinaires qui travaillent dans le domaine de la violence domestique, de la maltraitance des enfants, de la maltraitance des animaux, de la protection des enfants, de la protection des animaux, comme des policiers, gendarmes, des spécialistes de la protection de l’enfance, des pédiatres et médecins généralistes, des vétérinaires, des psychologues, les représentants de la justice et autres professionnels concernés (Enders-Slegers, Verheggen & Eshuis, 2016). L'objectif de ces associations serait de sensibiliser et de collaborer à la prévention et à l'aide aux victimes. En outre, le soutien politique et sociétal doit être acquis par des campagnes, des recherches, des mesures, l'éducation, des procédures de signalement, etc. Des centres d’hébergement pour les victimes humaines et animales doivent être créés. Des conférences, des fiches d'information et des brochures devraient être disponibles pour éduquer l’ensemble des professionnels dans toutes les disciplines ainsi que le grand public.
    Des programmes de recherche doivent être mis en place pour établir la prévalence et pour mieux comprendre les situations familiales de maltraitance. Il convient également de développer la recherche sur les caractéristiques de la personnalité des auteurs de violence domestique, animale et humaine. En outre, des protocoles de communication (par exemple National Institute of Child Health and Human Development, NICHD, Cyr, 2019), des procédures de signalement et les bases juridiques de signalement devraient être élaborés et enseignés. Les signalements croisés entre les différentes disciplines doivent être encouragés. Dans toutes les disciplines concernées, l'éducation au lien devrait être intégrée dans les formations. Dans les outils de gestion des risques, l'information sur une éventuelle maltraitance animale devrait faire partie des questions posées.

    Bibliographie

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      RSDA 2-2023

      Dossier thématique

      Actes de cruauté envers les animaux et déviance*

      • Laurent Bègue-Shankland
        Professeur de psychologie sociale à l’Université Grenoble Alpes, LIP/PC2S

      La brutalité envers les animaux était chose courante au milieu du XVIIIe siècle à Londres. La dureté des mœurs de son temps a sans doute inspiré l’artiste William Hogarth le jour où il a imaginé sa fameuse fable picturale intitulée Les quatre étapes de la cruauté (1751). Dans cette série de gravures, Hogarth a voulu faire une chronologie de la déchéance d’un jeune homme londonien, Tom Nero. Vendues un shilling, largement diffusées, ces images ont acquis une grande popularité : le philosophe Kant lui-même les aurait mentionnées dans ses enseignements1.
      Sur la première gravure, on peut apercevoir Tom Nero portant au bras un chien qu’il est en train de martyriser en lui enfonçant une flèche dans le derrière. Autour de lui, des jeunes gens rivalisent de perversité, se livrant aux pires turpitudes sur leurs malheureuses victimes que sont un oiseau, des chats, un chien, un coq…
      En imaginant une telle continuité entre la maltraitance infantile commise sur les animaux et le féminicide qui jalonne son lugubre quadriptyque, William Hogarth voulait condamner les sévices subis par les bêtes dont il était trop souvent le témoin dans sa propre ville. Dans un ouvrage consacré à son œuvre, il écrivait à propos de cette série : « Les gravures ont été réalisées dans l’espoir de corriger, dans une certaine mesure, ce traitement barbare des animaux, dont la seule vue rend les rues de notre métropole si pénibles pour tout esprit sensible ».
      Ce réquisitoire qui blâme la cruauté envers les animaux et qui en fait un symptôme, voire le prodrome de crimes de sang, n’a rien perdu de son actualité. L’histoire très médiatisée de tueurs en série comme Ted Bundy, auteur d’au moins 37 homicides, et de nombreux autres criminels2 dont les meurtres d’animaux auraient précédé les crimes, fait régulièrement surface. « Il y a des tueurs en série qui ont commencé par des animaux », s’inquiétait en 2019 l’habitante d’un village de l’Est de la France confrontée à une disparition de plusieurs chats dans son agglomération3, après que le principal suspect eut reconnu un quadruple félinicide avec actes de cruauté. La même panique s’est propagée l’année suivante lors d’une vague inédite de mutilations équines en France et en Allemagne.

      Y a-t-il un lien entre les maltraitances animales et les violences humaines ?

      Les faits liant les violences envers les animaux et envers les humains semblent pourtant tempérés par des témoignages contradictoires qui laissent parfois penser que tel tueur de masse était au contraire un grand ami des animaux4. Sous certaines modalités, l’attachement aux bêtes n’éloigne certainement pas toujours du pire, comme l’illustrent les relations complexes qu’entretenaient les nazis avec le monde animal. Durant le IIIe Reich, des lois protectrices sans précédent sont apparues. Promulguées dès 1933 et étendues cinq ans plus tard, elles étaient les plus strictes de l’époque dans le monde5. Par exemple, le gouvernement allemand a demandé à ce que les poissons soient anesthésiés avant l’abattage6. L’un des dignitaires les plus influents du Reich, Hermann Göring, s’indignait de l’intolérable torture représentée par l’expérimentation animale (qui ne s’est pourtant pas arrêtée durant la période nazie7, tandis que se développaient les infâmes expérimentations humaines que l’on sait)8 et envisageait même d’« envoyer en camps de concentration ceux qui continuaient à penser qu’ils pouvaient continuer à traiter des animaux comme des possessions inanimées »9.
      Pour aller au-delà des faits épars et anecdotiques, il importe de se tourner vers la synthèse très ample qui a été consacrée aux corrélations entre les cruautés envers des victimes animales et humaines15, p. 1213-1218), criminologie (Agnew, R. (1998). « The Causes of Animal Abuse : A Social-Psychological Analysis. », Theoretical Criminology, 2(2), p. 177-209), travail social et médecine légale (Ascione, F. R., McDonald, S. E., Tedeschi, P., & Williams, J. H. (2018). « The relations among animal abuse, psychological disorders, and crime: Implications for forensic assessment. », Behavioral Sciences & the Law, 36(6), p. 717-729), et science vétérinaire (Monsalve, S., Ferreira, F., & Garcia, R. (2017). « The connection between animal abuse and interpersonal violence: A review from the veterinary perspective. », Research in Veterinary Science, 114, p. 18-26 ; Gullone, E. (2014). « An Evaluative Review of Theories Related to Animal Cruelty. », Journal of Animal Ethics, 4(1), p. 37-57).">10. La revue scientifique Research in Veterinary Science11 a recensé 96 publications consacrées à cette question depuis 1960. Dans 98 % des articles, les violences envers les humains et les animaux étaient liées.
      La permanence de ce lien statistique a conduit plusieurs autorités publiques à s’intéresser à la manière dont les gens traitaient les animaux afin de déceler ou de prédire les violences envers les personnes humaines. Depuis 2015, la police américaine collecte des données sur les actes de cruauté envers les animaux domestiques, qui sont ensuite mises en relation avec les violences familiales ou les homicides12. En psychiatrie, le manuel de référence utilisé pour catégoriser les troubles mentaux prend en compte depuis 1987 les violences commises envers les animaux pour diagnostiquer un problème de comportement. Récemment, Simon Baron Cohen, professeur à l’Université de Cambridge, a introduit une mesure de cruauté envers les animaux dans le calcul de son coefficient d’empathie13. Dans plusieurs pays, les travailleurs sociaux sont sensibilisés au sujet et comptabilisent les signes de maltraitance animale dans leurs indicateurs de problèmes familiaux. Enfin, les liens entre les troubles psychiatriques et la maltraitance animale font l’objet d’innombrables études14, dont une partie est consacrée aux tueurs en série. Que nous disent-elles ?

      Paysan normand et tueurs en série

      En 1838, Pierre Rivière, un jeune homme de 20 ans aux cheveux et sourcils noirs, le front étroit et le regard oblique, était jugé pour le triple assassinat de sa mère, sa sœur et son frère puis condamné à mort. Dans les archives du procès rassemblées par le philosophe Michel Foucault, on découvre qu’il maltraitait rudement et sans motifs ses chevaux, et martyrisait toutes sortes d’autres d’animaux. Voici ce qu’écrivait le délinquant : « Je crucifiais des grenouilles et des oiseaux, j’avais aussi imaginé un autre supplice pour les faire périr. C’était de les attacher avec trois pointes de clou dans le ventre contre un arbre. J’appelais cela les enuepharer, je menais des enfants avec moi pour faire cela et quelques fois je le faisais seul »15.
      Aujourd’hui, lorsque des tragédies aussi spectaculaires et rares que des meurtres en série ou des meurtres de masse16 se produisent, les antécédents des auteurs sont passés au peigne fin, notamment s’il s’agit de jeunes criminels. Y avait-il des signes précurseurs ? Des violences domestiques ? Des armes à la maison ? Comment la famille fonctionnait-elle ? Les responsables politiques, parfois des journalistes, évoquent volontiers les faits qui leur semblent pertinents : adversité sociale, jeux vidéo ultraviolents, familles monoparentales, culture nihiliste figurent généralement au banc des accusés. On risque alors de passer à côté de signaux plus discrets ou jugés négligeables susceptibles pourtant d’alerter.
      La cruauté envers les animaux fait partie des indices qui auraient certainement dû inquiéter l’entourage d’Eric Harris et Dylan Klebold, qui ont froidement abattu 12 élèves et un enseignant le 20 avril 1999 dans le lycée de Columbine aux États-Unis avant de se donner la mort. L’analyse de leur histoire personnelle a montré que ces deux adolescents de 17 et 18 ans s’étaient vantés d’avoir mutilé des animaux. S’agit-il d’un fait isolé ? L’étude minutieuse des dossiers de 23 auteurs de fusillades en milieu scolaire ayant eu lieu entre 1998 et 2012 a confirmé que 43 % d’entre eux avaient été violents envers des animaux avant le massacre17. Cependant, toutes les études ne vont pas dans le même sens18.
      Les conduites cruelles que commettent les enfants sur les animaux ont été considérées par de nombreux penseurs depuis l’Antiquité comme un vice alarmant que les autorités éducatives et la société dans son ensemble devaient résolument combattre. Après Pythagore, le théologien Thomas d’Aquin, et les philosophes Montaigne, Kant et Locke19 y ont suspecté la trace d’une inquiétante insensibilité présageant de crimes futurs, idée reprise plus tard par la psychologue Anna Freud et l’anthropologue Margaret Mead.
      L’une des premières tentatives d’inscrire ce phénomène dans un cadre psychiatrique est due au psychiatre John Mac Donald durant la seconde moitié du XXe siècle20. Celui-ci a défini une configuration de signes, communément désignée comme la « triade de Mc Donald », qui permettent de présager des violences futures. Pour cela, il s’est fondé sur l’analyse d’une centaine de patients d’un hôpital du Colorado aux États-Unis qui avaient pour point commun d’avoir proféré des menaces de mort. Il est apparu que les patients qui avaient un diagnostic d’énurésie après 5 ans, ceux qui avaient commis des actes de pyromanie et ceux qui avaient été cruels envers les animaux durant l’enfance présentaient, selon Mac Donald, un risque majoré de commettre des violences graves une fois adultes.
      Bien que la psychiatrie ne s’appuie plus aujourd’hui sur cette conceptualisation pour l’analyse des conduites à problèmes des enfants et des adolescents (car les trois facettes de la triade ne sont finalement pas aussi clairement liées que cela avait été initialement suggéré)21, elle a permis de sensibiliser de nombreux psychiatres et travailleurs sociaux à ce que les violences envers les animaux22 peuvent révéler.

      Les violences et l’échelle socio-zoologique

      Lorsque l’on sonde les dossiers judiciaires des personnes incarcérées pour des faits de violence, il ressort que chaque prisonnier a généralement causé le malheur de plusieurs victimes durant sa vie. Dans la succession des méfaits ayant jalonné une « carrière délinquante », on déplore bien souvent plus d’une victime par agresseur. Ce sombre ratio serait encore plus déséquilibré si l’on incluait les victimes animales ayant eu le malheur de croiser la trajectoire des délinquants. On pourrait même affirmer que la violence de ces criminels n’est pas spéciste puisqu’elle ne discrimine pas les individus selon leur espèce : humains et non-humains sont également brutalisés.
      Par exemple, Linda Merz-Perez et ses collègues ont questionné un échantillon de 45 délinquants violents d’une prison à sécurité renforcée en Floride qu’elles ont comparé à un groupe de délinquants n’ayant pas commis de violences. Les chercheurs ont constaté que 56 % des délinquants violents rapportaient avoir commis des actes de cruauté envers les animaux durant leur enfance, contre 20 % seulement des délinquants n’ayant pas commis de violence.
      Dans ce genre d’études, on sonde rétrospectivement les traces de maltraitance envers les animaux dans l’histoire personnelle des auteurs. Parfois, ces méfaits sont aussi utilisés pour prédire ce qui va se passer dans le futur. Dans une recherche qui s’appuyait sur des données du FBI et qui portait sur un échantillon de 150 hommes inculpés pour violence envers des animaux de manière active (agression physique ou sexuelle) ou passive (négligence caractérisée), pas moins de 96 % des hommes avaient été inculpés antérieurement ou commettaient de nouveaux délits durant les six années qui suivaient23. Des analyses comparables ont été menées auprès d’échantillons de tueurs de masse ou en série, et ont confirmé que chez certains criminels, la cruauté envers des animaux avait entaché leur enfance.
      Ces études témoignent également de la grande polymorphie des violences commises sur les animaux et de la diversité des espèces qui les subissent. Ce dernier point a de l’importance. Du point de vue psychologique, arracher les pattes à une araignée n’a aucune commune mesure avec le fait de rouer de coups un chat que l’on a emprisonné dans un sac en plastique. En effet, indépendamment de la proximité biologique des autres espèces avec la sienne, l’espèce humaine catégorise les animaux selon des critères anthropocentriques, c’est-à-dire influencés par des intérêts humains, matériels ou affectifs, et que la culture contribue à transmettre. Par exemple, comme on l’a vu, si dans toutes les parties du monde, les poissons jouissent d’une reconnaissance bien inférieure à celle des grands anthropoïdes24, la valeur d’animaux comme le chien ou le cochon fluctue selon les contextes. Adoré pour sa sociabilité affectueuse dans nos contrées, le chien l’est pour sa viande dans au moins 42 cultures dans le monde25. Suite à une campagne occidentale menée dans l’espoir d’obtenir plus de clémence pour ce quadrupède, la soupe au chien s’appelle désormais une « Bardot » en Corée26.
      Dans notre pays, les maltraitances commises sur un animal comme le chien qui jouit d’un rang élevé dans l’échelle socio-zoologique (reflétant la valeur que la culture attribue aux différentes espèces d’animaux) apparaissent moins anodines que celles exercées à l’encontre d’une espèce d’un rang inférieur. Pour cette raison, si l’on veut prédire les violences graves envers des humains, les sévices envers des animaux socio-zoologiquement proches comme les chats ou les chiens sont des indices plus appropriés. On a également constaté que la proximité dans un sens encore plus littéral pouvait elle aussi s’avérer pertinente : les adolescents qui faisaient subir des sévices aux animaux qu’ils avaient sous la main à leur domicile étaient jugés moins à risque de commettre des conduites antisociales graves que ceux cherchant activement des animaux à l’extérieur de leur foyer, ces derniers étant manifestement plus motivés dans leur quête de cibles pour satisfaire leur violence27.

      Qui par le feu, qui par la noyade

      Toutes les cruautés ne se valent pas. Certaines méthodes violentes exigent en effet une plus grande proximité avec la victime que d’autres, parfois même un contact physique rapproché. Dans une étude américaine menée auprès de 314 personnes incarcérées, la modalité la plus fréquemment employée (comme cela est d’ailleurs souvent le cas dans les études américaines) était l’utilisation d’une arme à feu (77 cas), laquelle permet une certaine distance physique entre l’auteur et l’animal et peut avoir un effet facilitant. Les autres méthodes étaient les coups (43 cas), le recours à du poison (17 cas), le jet d’un animal sur un mur ou un objet (9 cas), l’étranglement ou l’étouffement (6 cas), les coups de couteau (6 cas), la noyade (5 cas) et les brûlures (5 cas)28. Selon une autre étude, les délinquants violents avaient été plus enclins que les autres à commettre des actes impliquant une plus forte proximité physique comme frapper, donner un coup de pied, piétiner, poignarder, verser des produits irritants, brûler, démembrer29. Une autre étude rétrospective menée auprès de 257 prisonniers incarcérés aux États-Unis indiquait que deux indicateurs ressortaient particulièrement pour prédire statistiquement les violences envers les humains. Le premier était purement quantitatif : avoir été à plusieurs reprises auteurs de cruauté envers des animaux. Le second était de nature qualitative : avoir poignardé un animal (ce qui implique un contact physique) s’avérait particulièrement prédictif de violences envers des humains.
      L’une des limites de nombreuses études existantes réside dans la taille trop restreinte des échantillons qui les composent (rarement plus d’une centaine de personnes) et l’absence de groupes permettant une comparaison stricte. En effet, quand on apprend que 21 % des 354 tueurs en série d’une étude de référence avaient commis des cruautés envers des animaux30, ou que 46 % des auteurs d’homicides sexuels avaient maltraité des animaux durant leur adolescence31, une information décisive nous manque : quelle est la fréquence de ces actes dans la population générale ?
      Une deuxième difficulté tient au fait que très souvent les actes de cruauté envers les animaux ne sont pas dénoncés (ou le sont moins dans certains contextes culturels) ou ne sont tout simplement pas enregistrés par les autorités. Dans l’étude la plus importante menée sur les tueurs de masse ayant sévi aux États-Unis entre 1982 et 2018, des traces de cruauté envers les animaux n’ont été retrouvées que pour 10 % d’entre eux. Cependant, dans le cas d’autres types d’homicides comme les meurtres en série, les données semblent très différentes, peut-être parce que les actes sont répartis dans le temps tandis que dans le cas des tueurs de masse, tous les décès se produisent au cours du même événement. Ainsi, dans une étude sur des tueurs en série ayant commis des actes de sadisme, on avait retrouvé dans près de 90 % des cas la preuve que les auteurs avaient aussi commis des actes de cruauté envers les animaux32.

      L’apport des enquêtes en population générale

      Les enquêtes de délinquance auto-reportées, qui interrogent directement des personnes sur leurs propres transgressions, permettent de surmonter plusieurs limites qui caractérisent les études fondées sur des statistiques publiques. Elles partent du principe que si l’anonymat et la confidentialité sont garantis, les répondants avoueront les conduites problématiques qu’ils ont commises dans le passé. On dispose d’études de validation de cette méthodologie qui lui donnent un certain crédit. Par exemple, si l’on amène des répondants à participer une deuxième fois à l’enquête en les reliant à des capteurs physiologiques censés mesurer le léger stress que produirait une réponse falsifiée, le taux de recouvrement des réponses est satisfaisant33.
      Les meilleures enquêtes s’appuient sur des échantillons représentatifs dont les participants répondent au moyen de dispositifs de recueil de réponses sécurisés. Dans une étude de Michael Vaughn de l’Université de Saint Louis aux États-Unis menée auprès d’un échantillon de 43 000 participants, ceux-ci ont notamment répondu à 31 questions concernant des conduites délinquantes, comme frapper quelqu’un, mettre le feu, utiliser une arme lors d’une bagarre, etc. Lorsque le chercheur a comparé les personnes ayant commis des actes de cruauté envers les animaux à celles qui n’en avaient jamais commis, il a constaté que les premières avaient un taux de délinquance plus élevé à toutes les questions, sans exception !

      Des adolescents cruels

      Les études sur les populations d’adolescents ou d’enfants sont plus éparses. Sonia Lucia, de l’Université de Genève, et Martin Killias, de l’Université de Zürich, ont interrogé plus de 3600 enfants et adolescents suisses de 13 à 16 ans34. Les résultats ont montré que 12 % d’entre eux (17 % des garçons et 8 % des filles) avaient admis avoir volontairement maltraité un animal35. 5 % des garçons et 1,5 % des filles l’avaient fait à plusieurs reprises. Les animaux maltraités étaient des chats ou chiens (29 %), des poissons, lézards ou grenouilles (18 %), des oiseaux (11 %) et d’autres animaux (insectes, gastéropodes, 41 %). Dans environ un cas sur deux, l’acte avait été commis en présence d’une ou de plusieurs autres personnes. Lorsque les auteurs ont mis en relation les mauvais traitements d’animaux avec les conduites délinquantes et violentes des participants, un lien significatif est ressorti pour tous les types de conduites. Par exemple, les enfants qui avouaient avoir maltraité des animaux avaient commis trois fois plus d’actes de délinquance grave comme par exemple un cambriolage ou une agression conduisant à une blessure.
      La première étude française sur les violences commises par les adolescents envers les animaux que j’ai réalisée en 2019 a porté sur près de 12 300 élèves âgés de 13 à 18 ans. Il est ressorti que 7,3 % d’entre eux avaient été auteurs, à une seule reprise pour 44 % d’entre eux, deux reprises pour 15 %, et plus de deux fois pour les 41 % restants. La majorité des cruautés avait été perpétrées de manière solitaire (55 %), et le quart d’entre elles impliquait une autre personne. Les animaux maltraités étaient principalement des chats (22,5 %), des chiens (13,9 %) ou des oiseaux (11,6 %), mais aussi des rongeurs (8,2 %) et des poissons (6,4 %). Concernant les auteurs des faits, ils se caractérisaient par des difficultés scolaires et avaient été mêlés dans le passé à des bagarres ou des actes de harcèlement36. Il s’agissait majoritairement de garçons, ce qui est cohérent avec des résultats obtenus par l’Observatoire national de la Délinquance et des Réponses pénales auprès des individus mis en cause en 2016-2018 pour maltraitance animale : 80 % étaient des hommes37.

      Déficits psychologiques et traumatismes

      Au-delà d’une simple description des faits de cruauté infligés aux animaux, les enquêtes permettent d’examiner une multitude de traits psychologiques et psychiatriques reliés à ces violences. On a vu que la distance physique entre l’animal et l’humain caractérisant l’acte de cruauté était une donnée pertinente pour comprendre la logique des violences. La distance psychologique l’est également. Ainsi, les personnes ayant un bas niveau d’empathie38 ou une sensibilité émotionnelle émoussée39 se montrent plus enclines à la cruauté sur les animaux. C’est aussi le cas de celles qui ont une tendance au sadisme40, à la psychopathie, au narcissisme ou au machiavélisme41. Dans l’étude de Michael Vaughn déjà évoquée plus tôt, ceux qui avaient commis des violences envers les animaux étaient affligés d’une myriade de problèmes psychiatriques comme des troubles obsessionnels compulsifs, une personnalité histrionique, ainsi qu’une tendance à l’addiction (alcool, jeu pathologique). En France, les élèves qui avaient commis des violences envers les animaux étaient davantage en proie à des troubles anxieux et dépressifs, étaient plus faiblement attachés à leurs parents et avaient des relations plus compliquées avec l’école. Par ailleurs, il n’est pas rare que les auteurs de cruauté aient été témoins de violences familiales42, ou aient eux-mêmes été physiquement ou sexuellement abusés au cours de leur enfance43. Selon une étude de Franck Ascione à l’Université de Denver, la probabilité que des enfants victimes de violences sexuelles commettent des actes de cruautés envers les animaux était multipliée par 6.
      On peut conclure que dans de nombreux cas, les violences commises envers les animaux ne sont donc que l’une des facettes d’un tableau psychiatrique problématique. Les personnes ayant des troubles psychiques sont particulièrement enclines à blesser les animaux. La réciproque est d’ailleurs vraie si l’on se réfère à une étude consacrée aux morsures de chiens : les chiens mordent plus fréquemment les individus ayant des troubles psychiatriques, selon une vaste enquête menée auprès de plus de 20 000 personnes44.
      Cependant, croire que la maladie mentale serait la cause principale des violences envers les animaux serait une erreur aussi grossière que de penser que la majorité des violences entre humains s’expliqueraient par une pathologie psychique. Les troubles mentaux pèsent en réalité bien peu par rapport aux autres facteurs explicatifs dans toutes les statistiques de la violence, quelles qu’en soient les victimes45. Tournons-nous à présent vers les causes de violence qui sont les plus fréquentes, mais aussi les plus ordinaires.

        *Ce texte est extrait de l’ouvrage de l’auteur « Face aux animaux. Nos émotions, nos préjugés, nos ambivalences » (Odile jacob, 2022). Nous remercions l’éditeur pour son autorisation.
      • 1 Rupke, N. (1987). Vivisection in historical perspective. Londres, Routledge, p. 37.
      • 2 Wright J, & Hensley C. (2003). « From Animal Cruelty to Serial Murder: Applying the Graduation Hypothesis. », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 47(1), p. 71-88.
      • 3 https://www.vosgesmatin.fr/faits-divers-justice/2019/08/03/il-y-a-des-tueurs-en-serie-qui-ont-commence-par-des-animaux, consulté le 13 avril 2020.
      • 4 Voir notamment Arluke, A., & Madfis, E. (2014). « Animal abuse as a warning sign of school massacres: A critique and refinement. », Homicide studies, 18(1), p. 7-22.
      • 5 Sax, B. (2007). « Culture , religion and belief system ? Animals in nazi Germany », (p. 442-443). In M. Bekoff (Ed.). Encyclopedia of Human-Animal relationships. Westport, Greenwood Press.
      • 6 Herzog, H. (2011). Some we love, some we hate, some we eat. New York, Harper, p. 58
      • 7 Sax, B. (2007). « Culture , religion and belief system ? Animals in nazi Germany », (p. 442-443). In M. Bekoff (Ed.). Encyclopedia of Human-Animal relationships. Westport, Greenwood Press.
      • 8 Klee, E. (1998). La Médecine nazie et ses victimes. Arles : Actes Sud ; Lifton, R.J. (2000). The nazi doctors. Medical killing and the psychology of genocide. New York, Basic Books.
      • 9 Arluke, A. & Sanders, C. (1996). Regarding animals. Philadelphie : Temple University Press p. 133.
      • 10 Notamment en psychiatrie et psychologie (Bègue, L. (2018). « Pour une criminologie animalière. » Revue Semestrielle de Droit Animalier, 2, p. 211-218. ; Gullone, E. (2012). « Animal cruelty, antisocial behavior and aggression. », Londres, Palgrave ; Vaughn, M. G., Fu, Q., DeLisi, M., Beaver, K. M., Perron, B. E., Terrell, K., & Howard, M. O. (2009). « Correlates of cruelty to animals in the United States: results from the National Epidemiologic Survey on Alcohol and Related Conditions. », Journal of Psychiatric Research, 43(15), p. 1213-1218), criminologie (Agnew, R. (1998). « The Causes of Animal Abuse : A Social-Psychological Analysis. », Theoretical Criminology, 2(2), p. 177-209), travail social et médecine légale (Ascione, F. R., McDonald, S. E., Tedeschi, P., & Williams, J. H. (2018). « The relations among animal abuse, psychological disorders, and crime: Implications for forensic assessment. », Behavioral Sciences & the Law, 36(6), p. 717-729), et science vétérinaire (Monsalve, S., Ferreira, F., & Garcia, R. (2017). « The connection between animal abuse and interpersonal violence: A review from the veterinary perspective. », Research in Veterinary Science, 114, p. 18-26 ; Gullone, E. (2014). « An Evaluative Review of Theories Related to Animal Cruelty. », Journal of Animal Ethics, 4(1), p. 37-57).
      • 11 Monsalve, S., Ferreira, F., & Garcia, R. (2017). « The connection between animal abuse and interpersonal violence: A review from the veterinary perspective. », Research in Veterinary Science, 114, p. 18-26.
      • 12 Ascione, F. R., McDonald, S. E., Tedeschi, P., & Williams, J. H. (2018). « The relations among animal abuse, psychological disorders, and crime: Implications for forensic assessment. », Behavioral Sciences & the Law, 36(6), p. 717-729.
      • 13 Baron-Cohen, S. (2011). The science of evil. New York, Basic Books.
      • 14 Gleyzer, R., Felthous, A. R., & Holzer, C. E. (2002). « Animal cruelty and psychiatric disorders. », The Journal of the American Academy of Psychiatry and the Law, 30(2), p. 257-265. Stupperich, A., & Strack, M. (2016). « Among a German Sample of Forensic Patients, Previous Animal Abuse Mediates Between Psychopathy and Sadistic Actions. », Journal of Forensic Sciences, 61(3), p. 699-705.
      • 15 Foucault, M (1973). Moi, Pierre Rivière. Paris, Gallimard, p. 158.
      • 16 On considère que les tueurs de masse ont commis au moins trois homicides le même jour, tandis que les tueurs en série sont les auteurs d’homicides planifiés faisant trois victimes ou plus sur un intervalle de temps plus long et dans des circonstances différentes.
      • 17 Leary, M. R., Kowalski, R. M., Smith, L., & Phillips, S. (2003). « Teasing, rejection, and violence: Case studies of the school shootings. », Aggressive Behavior, 29(3), p. 202-214.
      • 18 Voir Arluke, A., & Madfis, E. (2014). « Animal abuse as a warning sign of school massacres: A critique and refinement. », Homicide studies, 18(1), p. 7-22 ; Henry, B. C., & Sanders, C. E. (2007). « Bullying and animal abuse: Is there a connection ? », Society & Animals 15, 2, p. 107-126 ; Verlinden, S., Hersen, M. & Thomas, J., 2000. Risk factors in school shootings. Clinical Psychology Review, 20(1), p. 3-56.
      • 19 Voir Gullone, E. (2012). Animal cruelty, antisocial behavior and aggression. Londres, Palgrave, p. 5
      • 20 MacDonald, J. (1963). The threat to kill. American Journal of Psychiatry, 120, 2, p. 125-130 ; Hellman, D. S. & Blackman, N. (1966). « Enuresis, firesetting, and cruelty to animals: A triad predictive of adult crime. », American Journal of Psychiatry, 122, p. 1431-1435.
      • 21 Parfitt, C. H., & Alleyne, E. (2020). « Not the Sum of Its Parts: A Critical Review of the MacDonald Triad. », Trauma, Violence & Abuse, 21(2), p. 300-310.
      • 22 Parfitt, C. H., & Alleyne, E. (2020). « Not the Sum of Its Parts: A Critical Review of the MacDonald Triad. », Trauma, Violence & Abuse, 21(2), p. 300-310.
      • 23 Levitt, L., Hoffer, T. & Loper, A.B. (2016). « Criminal histories of a subsample of animal cruelty offenders. », Aggression and Violent Behavior, 30, p. 48-58.
      • 24 Allen, M. W., Hunstone, M., Waerstad, J., Foy, E., Hobbins, T., Wikner, B., & Wirrel, J. (2002). « Human-to-animal similarity and participant mood influence punishment recommendations for animal abusers. », Society & Animals: Journal of Human-Animal Studies, 10(3), p. 267-284 ; Rajecki, D. W., Rasmussen, J. L., & Craft, H. D. (1993). « Labels and the treatment of animals: Archival and experimental cases. », Society & Animals, 1(1), p. 45-60.
      • 25 Fischler, C. (1998). « Le comestible et l’animalité. », In B. Cyrulnik (Ed.). Si les lions pouvaient parler. Essais sur la condition animale (p. 951-959). Paris, Seuil.
      • 26 Zaraska, M. (2016). Meathooked. The history and science of our 2.5 million-year obsession with meat. New York, Basic Books, p. 158.
      • 27 Tallichet S.E., Hensley C. (2005). « Rural and Urban Differences in the Commission of Animal Cruelty. », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 49(6):711-726.
      • 28 Miller, K. S., & Knutson, J. F. (1997). « Reports of severe physical punishment and exposure to animal cruelty by inmates convicted of felonies and by university students. », Child Abuse & Neglect, 21(1), p. 59-82.
      • 29 Merz-Perez, L, Heide, K.M., Silverman, I.J. (2001). « Childhood Cruelty to Animals and Subsequent Violence against Humans. », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 45(5): p. 556-573.
      • 30 Wright, J, & Hensley C. (2003). « From Animal Cruelty to Serial Murder: Applying the Graduation Hypothesis. », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 47(1), p. 71-88.
      • 31 Ressler, R. K., Burgess, A. W., & Douglas, J. E. (1988). Sexual homicide: Patterns and motives, Lexington Books/D. C. Heath and Com.
      • 32 Levin, J. & Arluke, A. (2009). The Link Between Animal Abuse and Human Violence: Reducing the Link’s False Positive Problem. Sussex Academic Press.
      • 33 Clark J. P. et Tift L. L. (1966). « Polygraph and interview validation of self-reported deviant behavior. », American Sociological Review, 31, p. 513-523.
      • 34 Lucia, S. & Killias, M. (2011). « Is animal cruelty a marker of interpersonal violence and delinquency ? Results of a swiss national self-report study. », Psychology of Violence, 1, p. 93-105.
      • 35 Selon les études menées chez les adolescents, le pourcentage oscille entre 11 et 50 %, avec une moyenne de 25,3 % (voir Arluke, A. & Irvine, L. (2017). Physical cruelty and companion animal. In Maher, J., Perpoint, H. & Beirne, P. (Eds.). The Palgave International handbook of Animal Abuse Studies (p. 39-57). Londres, Palgrave).
      • 36 Bègue L. (2020). « Explaining Animal Abuse Among Adolescents: The Role of Speciesism. », Journal of Interpersonal Violence, 886260520959643.
      • 37 Frattini, F. (2020). « Les personnes mises en cause pour maltraitance et abandon d’un animal domestique. », La Note, 48, ONDRP.
      • 38 McPhedran, S. (2009). « A review of the evidence for associations between empathy, violence, and animal cruelty. », Aggression and Violent Behavior, 14(1), p. 1-4 ; Hartman, C., Hageman, T., Williams, J. H., Mary, J. S., & Ascione, F. R. (2019). « Exploring Empathy and Callous-Unemotional Traits as Predictors of Animal Abuse Perpetrated by Children Exposed to Intimate Partner Violence. », Journal of Interpersonal Violence, 34(12), p. 2419-2437 ; Kotler, J. S., & McMahon, R. J. (2005). « Child psychopathy: theories, measurement, and relations with the development and persistence of conduct problems. », Clinical Child and Family Psychology Review, 8(4), p. 291-325.
      • 39 Walter, G.S (2017) « Animal cruelty and firesetting as behavioral markers of fearlessness and disinhibition: putting two-thirds of Macdonald’s triad to work. », The Journal of Forensic Psychiatry & Psychology, 28:1, p. 10-23 ; Dadds, M.R., Whiting, C., & Hawes, D.J. (2006). « Associations Among Cruelty to Animals, Family Conflict, and Psychopathic Traits in Childhood. », Journal of Interpersonal Violence, 21(3), p. 411-429 ; Hartman, C., Hageman, T., Williams, J. H., Mary, J. S., & Ascione, F. R. (2019). « Exploring Empathy and Callous-Unemotional Traits as Predictors of Animal Abuse Perpetrated by Children Exposed to Intimate Partner Violence. », Journal of Interpersonal Violence, 34(12), p. 2419-2437 ; Stupperich, A., & Strack, M. (2016). « Among a German Sample of Forensic Patients, Previous Animal Abuse Mediates Between Psychopathy and Sadistic Actions. », Journal of Forensic Sciences, 61(3), p. 699-705.
      • 40 Stupperich, A., & Strack, M. (2016). « Among a German Sample of Forensic Patients, Previous Animal Abuse Mediates Between Psychopathy and Sadistic Actions. », Journal of Forensic Sciences, 61(3), p. 699-705.
      • 41 Kavanagh, P. S., Signal, T. D., & Taylor, N. (2013). « The Dark Triad and animal cruelty: Dark personalities, dark attitudes, and dark behaviors. », Personality and Individual Differences, 55(6), p. 666-670.
      • 42 Baldry A. C. (2005). « Animal abuse among preadolescents directly and indirectly victimized at school and at home. », Criminal Behaviour and Mental h-Health, 15(2), p. 97-110 ; Degue, S., & Dilillo, D. (2009). « Is animal cruelty a “red flag” for family violence ? Investigating co-occurring violence toward children, partners, and pets. », Journal of Interpersonal Violence, 24(6), p. 1036-1056.
      • 43 Degue, S., & Dilillo, D. (2009). « Is animal cruelty a “red flag” for family violence? Investigating co-occurring violence toward children, partners, and pets. », Journal of Interpersonal Violence, 24(6), p. 1036-1056 ; McEwen, F. S., Moffitt, T. E., & Arseneault, L. (2014). « Is childhood cruelty to animals a marker for physical maltreatment in a prospective cohort study of children ? », Child Abuse & Neglect, 38(3), p. 533-543.
      • 44 Yeh, C.C. et al. (2012). « Mental disorder as a risk factor for dog bites and post-bite cellulitis.», Injury, 43(11), p. 1903-1907.
      • 45 Stuart, H. (2003). « Violence and mental illness: an overview. », World Psychiatry, 2(2), p. 121-124.
       

      RSDA 2-2023

      Dossier thématique

      « Une seule violence ». Analyse d’une notion

      • Florence Burgat
        Directeur de recherche en philosophie
        ENS/INRAE

       

      Sous le titre « Une seule violence », une équipe pluridisciplinaire, en collaboration avec Nantes Université et sous le parrainage de deux hommes politiques, donnait vie, le 17 mars 20231, à un colloque mêlant réflexions théoriques, témoignages et pistes d’action. Semblablement à « l’approche “One Health“ » (« Une seule santé »), selon laquelle celle des humains ne saurait être garantie sans que le fussent également celle des animaux et celle des végétaux en raison des connexions qui les unissent, l’approche « Une seule violence » pose l’existence d’une « corrélation entre violences sur les personnes vulnérables et violences sur les animaux ». Le fait est là : aux violences interhumaines commises dans l’ombre des maisons s’ajoutent fréquemment des violences envers les animaux qui y vivent.
      Pour tenter de comprendre en quoi tient l’unité de la violence nonobstant la diversité des victimes, que réunit toutefois une commune vulnérabilité, nous examinerons deux problèmes. Le premier est double. Il tient dans une objection à la thèse de l’unité de la violence, selon laquelle celle qui est dirigée envers les animaux fait barrage à celle qui l’est envers les humains en déchargeant l’agresseur de son énergie destructrice sur une victime axiologiquement neutre. Nous examinerons dans la foulée une réponse possible à une telle objection qui prend appui sur une neutralité axiologique discutable à divers titres (1. La violence envers les animaux fait-elle barrage à la violence envers les humains ou, au contraire, la nourrit-elle ?). Cette discussion débouche sur l’origine de la violence, d’une part, et sur la diversité de ses destins, d’autre part. A ce dernier égard, nous rencontrerons plusieurs cas de figure, selon que la violence atteint directement son but initial ou dévie de cette trajectoire, soit pour renoncer à la violence, soit pour redoubler de violence (2. L’unité de la violence : une même origine et une diversité de destins, qui requalifient la violence en retour).

      1. La violence envers les animaux fait-elle barrage à la violence envers les humains ou, au contraire, la nourrit-elle ?

      Que vaut l’affirmation selon laquelle mieux vaut s’en prendre aux animaux qu’aux humains ? Ces êtres vulnérables entre tous que sont les animaux en raison du pouvoir physique, cognitif, technique, juridique que nous avons sur eux, seraient-ils avant tout bons à être martyrisés et tués ? Les actes de cruauté perpétrés dans le but de jouir de la souffrance infligée2, comme les massacres massifs socialement institués3 et/ou parfaitement rationalisés4 seraient-ils le prix de la paix sociale ? Le « vivre-ensemble » a-t-il pour coût la souffrance animale ? Il semble difficile de soutenir une telle opinion, qui ne résiste guère à un examen, qui plaide au contraire pour « une corrélation entre les violences ».
      Qu’est-ce donc qui sous-tend cette opinion ? De deux choses l’une : soit les animaux sont indifférents à leur sort, ne vivent pas leur vie en première personne, tout leur est égal car ils ignorent le vécu de l’expérience – partageables sont alors les vues du théologien cartésien Nicolas Malebranche qui, ayant frappé sa chienne à coups de pied pour faire entendre la similitude entre ses cris et le son émis par une cloche, aurait ajouté en forme de démonstration : « cela crie, mais cela ne sent pas » ; soit ils vivent leur vie en première personne, sont attachés à leur existence comme nous le sommes à la nôtre, ne veulent être ni blessés, ni enfermés, ni tués, ont une vie affective – bref, tout ce que les observateurs des animaux ont, de tout temps, décrit.
      La première conception rend douteux que frapper un animal puisse jamais soulager l’agresseur, et épargner ainsi l’humain en réalité visé par les coups ; car faire résonner un objet en le frappant n’assouvit que peu la pulsion violente : la destruction de ce qui est vu comme un objet inerte ne rassasie pas ; au mieux calme-t-elle momentanément les nerfs de l’agresseur. (Nous nous attacherons à ce cas de figure dans la deuxième partie de cet article). L’on objectera que violenter un animal n’a précisément rien à voir avec la destruction d’un objet : d’un côté, les cris, le regard fou, la résistance, le sang, de l’autre : du bruit, une matière qui perd sa forme au point de disparaître dans ses miettes. On le sait, la thèse dite de « l’animal-machine » fut d’emblée jugée « incroyable », tant elle est contraire à l’expérience5.
      La seconde conception place sur un plan d’égalité d’essence la violence envers l’animal et l’humain parce qu’il est porté atteinte au même type d’existence sensible. Que l’on décide ensuite de conférer à ces violences des valeurs morales diverses est une autre affaire. Les manifestations de la douleur, la peur, les dommages causés sont de même ordre, toutes choses étant égales d’ailleurs. Être à la merci de l’agresseur constitue une situation qui induit le même type de terreur, chaque expérience vécue portant son idiosyncrasie.
      En somme, si les animaux criaient sans douleur, s’en prendre à eux pourrait constituer une violence moralement acceptable ; ce serait un peu comme s’en prendre à un robot, qui mime la douleur mais ne la sent pas, en ignore l’expérience vécue. Toutefois, se laisser aller à la violence envers des choses peut être vu comme une attitude devant être contrôlée et retenue en conscience, dans la mesure où elle flatte un penchant mauvais, quel que soit l’objet de sa hargne.
      L’idée d’une porosité entre victimes animales et victimes humaines dans l’esprit de l’agresseur semblait acquise depuis au moins deux siècles. A l’évidence, il faut y revenir, comme le suggère la tenue de ce colloque. Mentionnons pour mémoire le passage dans lequel Kant défend cette perspective. Thèse remarquable : tout en niant que les animaux pussent avoir des droits ou être l’objet d’une considération morale directe, Kant voit dans leurs souffrances le canal de la porosité des violences, posant en quelque sorte une unité formelle (mais non morale, selon lui) entre êtres humains et êtres animaux. L’homme a le devoir de ne pas émousser en lui, par les mauvais traitements et les sévices envers les animaux auxquels il pourrait se livrer, la disposition la plus utile à la moralité que les hommes se doivent les uns les autres, c’est-à-dire la sympathie, cette capacité à « souffrir avec ».

      « […] un traitement violent et en même temps cruel des animaux est […] intimement opposé au devoir de l’homme envers lui-même, parce qu’ainsi la sympathie à l’égard de leurs souffrances se trouve émoussée en l’homme et que cela affaiblit et peu à peu anéantit une disposition naturelle très profitable à la moralité dans la relation avec les autres hommes – quand bien même, dans ce qui est permis à l’homme, s’inscrit le fait de tuer rapidement (d’une manière qui évite de les torturer) les animaux, ou encore de les astreindre à un travail […], à condition simplement qu’il n’excède pas leurs forces ; à l’inverse, il faut avoir en horreur les expériences physiques qui les martyrisent pour le simple bénéfice de la spéculation, alors que, même sans elles, le but pourrait être atteint. Même la reconnaissance pour les services longtemps rendus par un vieux cheval ou un vieux chien (comme s’ils étaient des personnes de la maison) appartient indirectement aux devoirs de l’homme, à savoir au devoir conçu en considération de ces animaux, mais cette reconnaissance, envisagée directement, n’est jamais qu’un devoir de l’homme envers lui-même »6.

      Ici, la thèse de l’unité de la violence n’a pas pour corrélat la volonté de défendre les animaux pour eux-mêmes, mais elle reconnaît un point de passage évident (celui de l’unité de la souffrance) entre les formes de violence et donc entre les victimes animales et humaines.
      Cette thèse était bien établie quelque cinquante ans après la publication de cette page, comme l’indique la condition de publicité qui s’attachait à la répression des mauvais traitements envers des animaux domestiques dans la loi Grammont : cacher la violence pour ne pas en donner l’idée. Maurice Agulhon, dans un article fondateur sur les motivations de la protection des animaux au XIXe siècle et la réalité de leur condition, a parfaitement explicité et documenté la thèse selon laquelle l’on ne saurait moraliser les rapports des hommes entre eux tout en laissant leurs mauvais penchants s’exercer aux dépens des animaux ; durant ce siècle, « on avait en vue quasi exclusivement, en tous cas principalement, les animaux domestiques, menacés par la violence de leurs maîtres, et l’on espérait qu’en réfrénant cette violence mineure on aiderait à réfréner la violence majeure des humains entre eux ? La protection des animaux voulait être une pédagogie, et la zoophilie l’école de la philanthropie7 ». L’habitude du spectacle de cette violence, la souffrance, l’agonie, le sang des animaux étaient jugés incompatibles avec la volonté morale et politique d’abaisser le niveau de la violence sociale.
      Un autre fait de société attire l’attention ; c’est le sujet mis au concours par l’Académie des sciences morales en 1802. Le 6 juillet, la séance publique de l’Institut National s’ouvrit par l’annonce des sujets récompensés par des prix. Celui proposé par la classe des Sciences morale et politique pour le prix de morale est le suivant : « Jusqu’à quel point les traitements barbares exercés sur les animaux intéressent-ils la morale publique ? et conviendrait-il de faire des lois à cet égard ? ». Nous renvoyons le lecteur aux éclairages de Valentin Pelosse, tant sur le contexte philosophico-social de cet énoncé que sur la teneur de la trentaine de mémoires remis par les auteurs ayant concouru à ce prix8.
      Pourtant, à lire certaines récentes décisions de justice, l’on en vient à douter de l’histoire des idées et de l’effectivité du savoir sur nos façons de penser et d’agir. Tout récemment, des juges ont en effet conclu à « la faible gravité des faits » s’agissant d’actes de cruauté commis envers des animaux domestiques, infligeant aux coupables de minimes et simples amendes, éventuellement avec sursis9. Si l’abattage illicite de dizaines d’animaux, le maintien en cage sans nourriture ni eau jusqu’à ce que l’animal ne puisse plus marcher, la mutilation entraînant dans un cas l’agonie dans l’autre la mort se voient qualifier de « faible gravité », il est loisible de se demander ce que sont, dans l’esprit de ces magistrats, des « faits graves ». Force est de constater que la gravité tombe, quelle que soit la cruauté des actes (en l’occurrence reconnus comme tels dans les cas évoqués), dès lors que c’est un animal qui se trouve être la victime.

      2. L’unité de la violence : une même origine et une diversité de destins, qui requalifient la violence en retour

      La « corrélation », évoquée dans l’argument du colloque, est plus qu’un voisinage fortuit ; elle suggère une articulation naturelle, un lien causal entre les violences envers les personnes vulnérables et envers les animaux. Remarquons que sont exclues de ce champ les violences entre personnes non vulnérables, qui appelleraient une autre analyse. De part et d’autre, la disposition d’esprit de l’agresseur n’est pas la même ; on le conçoit aisément. Dans le face à face entre deux hommes vigoureux, chacun risque sa vie ; dans un face à face entre un homme vigoureux et une personne vulnérable ou bien un animal, le premier sait la partie gagnée d’avance. Ce qu’il recherche en fait de jouissance, c’est la souffrance singulière d’un être vulnérable.
      Lors de ce colloque, il ne s’agissait pas de constituer les violences envers les animaux en simple indicateur des seuls agissements dignes d’être réprouvés et condamnés – ceux qui se perpètrent entre humains, mais, au-delà de leur voisinage, de penser leur unité. Si celle-ci mérite discussion (voir supra), elle se laisse factuellement découvrir dans la co-présence des violences entre victimes humaines vulnérables et victimes animales. Ces victimes, qu’une même vulnérabilité rapproche, ont une essence commune qui explique cette co-présence ; l’homme violent passe des unes aux autres car il tire chaque fois le même type d’assouvissement. Dans tous les cas, il jouit tranquillement (sans encourir de riposte) et la plupart du temps impunément du mal qu’il fait et de la terreur qu’il impose. Cela est proprement sa jouissance.
      Ainsi la thèse de l’unité des violences (« Une seule violence ») implique-t-elle en quelque manière l’identité des victimes sur le plan formel ; celle-ci tiendrait dans une communauté d’expression, par le regard, les cris, la résistance (l’attachement à sa propre vie), par l’effusion du sang, par le passage de vie à trépas. Dans l’évaluation morale des actes violents, la ligne de partage ne passerait pas fondamentalement entre les humains et les animaux, mais entre les êtres sensibles, d’une part, et les choses inertes ou insensibles, d’autre part. Au sein de ces ensembles, divers éléments entrent bien sûr en compte pour préciser l’évaluation morale et apporter le cas échéant quelques pierres à l’évaluation judiciaire.
      Que vise à contrer « l’approche “Une seule violence“ » ? S’agit-il d’affirmer que la pulsion destructrice est une et toujours la même quel que soit l’objet auquel elle s’applique ? L’unité de la violence tiendrait alors dans son origine. Une même pulsion serait à l’œuvre lors du bris volontaire d’un objet, d’une insulte dégradante, d’un coup de pied ou d’actes de cruauté, que ceux-ci soient infligés à un humain ou à un animal ; les victimes, en revanche, différeraient, et parfois radicalement. Ainsi, nul ne qualifiera de « victime », ni au sens juridique ni au sens moral du terme, la chaise ou le tableau, dont on pourra au mieux dire qu’« ils ont été victimes de la violence d’un tel » (comme nous pouvons dire que nous avons été victimes de la pluie alors que nous étions sortis sans parapluie). Si cette façon de parler peut aussi s’appliquer à une personne victime de la furie d’un tel, celle-ci est aussi bel et bien « une victime ». Lorsque la violence est redirigée vers des objets inertes, ceux-ci sont détruits, brisés ; ils n’ont pas été blessés, ils n’ont pas souffert, ils ne sont pas dans le coma, ils ne sont pas morts car ils n’ont jamais été vivants.
      Cette première voie de compréhension permet donc de penser conjointement l’unité de la pulsion de destruction et la diversité de ses destins. Ceux-ci indiquent que l’objet de cette pulsion peut se déplacer (la psychanalyse l’a montré10). Au lieu de s’en prendre, sous l’effet d’une puissante colère, à la personne qui en est (à tort ou à raison) la cause, un tel se déchargera en détruisant un objet, parfois en s’en prenant à lui-même, par exemple en frappant son poing contre un mur au lieu de l’écraser sur un visage. La douleur ainsi auto-infligée permet d’abaisser le niveau de tension.
      Aussi la pulsion destructrice peut-elle dévier de sa trajectoire (son objet naturel) pour aller vers un objet aléatoire et moralement neutre – une chose matérielle, pouvant par ailleurs être dotée d’une valeur patrimoniale, sentimentale, etc. En ce cas, la personne violente se montre capable de renoncer à faire le plus grand mal, c’est-à-dire blesser physiquement, et donc aussi psychiquement, un individu (humain ou animal), au profit d’un acte substitutif. Encore faut-il qu’il n’inflige aucune douleur, sans quoi cette substitution n’atteint point son but : éviter de faire mal. Jeter un objet au sol en vue de le détruire – celui-ci peut appartenir à la victime potentielle ou, dans un esprit différent, à l’agresseur lui-même –, ou encore retourner le geste contre soi constituent (chaque fois à sa façon) une violence volontairement déviée de sa trajectoire initiale ; c’est une violence qui a renoncé à elle-même.
      Peut-on dire que la violence qui s’abat sur un animal accomplit une pareille déviation ? Peut-on y voir un renoncement à la violence ? Rien n’est moins sûr. S’il apparaît que les violences envers les humains vulnérables et envers les animaux cohabitent, il est des cas où, pour faire mal à une personne, l’agresseur s’en prend à son animal. Si celle-ci n’a pas été atteinte physiquement et que son chien est, de facto, seul victime des actes de cruauté, nous avons en réalité affaire, non à une déviation de la violence vers un objet neutre (tout le monde ne s’accorde pas sur ce point, nous l’avons vu dans les affaires rapportées en note) mais à son redoublement. L’agresseur fait deux victimes : l’animal lui-même auquel les sévices sont infligés, et son propriétaire lorsqu’un lien d’affection les unit ; c’est précisément ce lien qui motive l’acte violent. Il s’agit de faire mal deux fois. C’est parce que le chien, le chat, le cheval ou tout autre animal doué de sensibilité fait l’expérience de la souffrance, qu’il subit la terreur et la douleur dans une mesure que nous nous représentons parfaitement ; et c’est parce que cet animal est aimé par la personne visée par l’auteur des faits, qu’il est choisi par ce dernier. On peut ajouter, enfin, que l’animal est choisi parce que l’auteur des faits n’ignore rien de la mansuétude de la justice en pareils cas.
      Nous parvenons au cœur de la question posée par l’unité de la violence. Frapper un chien, le mutiler, le torturer en lieu et place de celui ou de celle à qui sont, en vérité, destinés ces coups et ces blessures, est-ce une violence substitutive ? A première vue, il pourrait sembler que oui. Mais tel n’est pas le cas, car le chien n’est pas une chose. Une pleine violence (non substitutive) a ceci de particulier qu’elle vise à faire directement souffrir et/ou à faire savoir à la personne qui aimait la victime combien celle-ci a souffert. Ces agissements ne peuvent en aucun cas passer pour des violences substitutives à la « vraie » violence. D’abord parce que la victime animale a pâti dans tout son être de l’acte violent ; l’acte de cruauté envers elle engendre une souffrance de même ordre que celle que subirait un humain (terreur, douleur, résistance) en raison de leur commune structure psychobiologique. Ensuite parce que son propriétaire aimant se trouve psychiquement affecté par cet acte, et ce doublement : il vit en pensée la terreur et la douleur endurées par son animal, peut parfaitement se mettre à sa place (se faire crever un œil, taillader le corps, …) ; et il sait désormais que ces mutilations lui étaient fantasmatiquement destinées – un savoir qui le plongera durablement dans la peur et l’empêchera de vivre normalement.

      Conclusion

      Aux yeux de certains, les animaux seraient bons à être violentés, la paix sociale étant à ce prix ; nous les destinerions secrètement à cette fonction. Cette thèse s’accompagne d’une conception pour le moins paradoxale de l’animal. Il doit ressembler suffisamment à l’humain pour que soient assouvis à ses dépens des actes de violence destinés à un homme, une femme ou un enfant ; en effet, pour que l’agresseur y trouve son compte – sa jouissance – une similarité profonde entre cet animal et cet humain sur lequel les coups ne se sont finalement pas abattus est requise. Mais il faut dans le même temps que cet animal ne valle moralement rien, absolument rien, pour que la violence à son endroit soit, sinon encouragée, du moins quasi impunie. La double question est alors la suivante : que lui manque-t-il donc de si essentiel pour ne rien valoir moralement ? que possède-t-il de si essentiel pour être un analogon de l’humain ? En vérité, nul n’ignore l’ampleur du tort fait aux animaux et la parenté des souffrances, de sorte que l’on peut voir dans leur déni la face la plus hideuse de l’anthropocentrisme.

      • 1 Paris, Maison du barreau.
      • 2 Actes perpétrés par des individus isolés envers des animaux domestiques, captifs ou sauvages, jeux cruels (corrida, combats d’animaux…), piégeage et chasses dites « traditionnelles » dont les méthodes de mise à mort sont particulièrement cruelles.
      • 3 Pêche, chasse, boucherie.
      • 4 Expérimentation animale.
      • 5 Mentionnons, parmi d’autres, les critiques d’Arnauld et de Leibniz : « Il y a lieu de craindre que cette opinion ne puisse pas trouver de créance dans les esprits des hommes » tant elle est à première vue « incroyable. » (Antoine Arnauld, « Quatrièmes objections », in René Descartes, Méditations métaphysiques [1647], Paris, Garnier Flammarion, 1979, p. 298). Cette thèse va « contre toutes les apparences et contre le jugement du genre humain. » (Gottfried Wilhelm Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain [1765], présentation par Jacques Brunschwig, Paris, Garnier Flammarion, 1990, p. 51).
      • 6 Emmanuel Kant, Métaphysique des mœurs II. Doctrine de la vertu [1797], traduit de l’allemand par Alain Renaut, Paris, Garnier Flammarion, 1994, Doctrine de la vertu, § 17, p. 302. Pour une analyse de l’opposition entre devoirs de l’homme et droits des animaux, nous nous permettons de renvoyer à notre article, « Des droits pour les animaux ou des devoir à leur égard ? Des devoirs parce que des droits », Cahiers français, N° 391, p. 67-72.
      • 7 Maurice Agulhon, « Le sang des bêtes, le problème de la protection des animaux en France au XIXe siècle », Romantisme, n° 31, 1981, p. 81-109.
      • 8 Valentin Pelosse, « Imaginaire social et protection de l’animal. Des amis des bêtes de l’an X au législateur de 1850 » (Ière partie), L’Homme, XXI (4), 1981, p. 5-33 et « Imaginaire social et protection de l’animal. Des amis des bêtes de l’an X au législateur de 1850 » (2e partie), L’Homme, XXII (4), 1982, p. 33-51.
      • 9 Nous remercions Maître Caroline Lanty de nous avoir communiqué les quatre ordonnances pénales suivantes. 1) affaire MEYAPIN, tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne, ordonnance du 26 mai 2023 : chien dénommé Cooky « privé [par son propriétaire] de nourriture au point d’atteindre un état de maigreur avancé et de le garder en captivité dans une cage au point qu’il ne sache plus marcher » ; « étant donné la faible gravité des faits », l’homme est condamné à une simple amende de quelques centaines d’euros ; 2) affaire BONSANG, tribunal judiciaire de Fontainebleau, ordonnance pénale du 26 mai 2023 : son propriétaire a martyrisé un chien dont le certificat vétérinaire décrit le « poids physiologique très inférieur à la normale, des plaies cicatricielles d’origine traumatique, des ongles longs (signe que l’animal ne sortait / marchait pas ou trop peu), un chien urinant de crainte » ; « compte tenu de la faible gravité des faits », l’homme est condamné à une simple amende de quelques centaines d’euros assortie d’une interdiction de détenir un animal pendant seulement 5 ans ; 3) affaire LETAILLEUR, tribunal judiciaire d’Evreux, ordonnance pénale du 23 juin 2023 : l’homme s’est rendu chez ses voisins pour massacrer leurs deux chiens, dont l’un est décédé des suites des coups et l’autre, laissé agonisant, a dû être euthanasié ; il se voit condamné à verser une amende de 500 euros assortie d’une interdiction de détenir un animal pendant seulement 5 ans ; 4) affaire CHERY, tribunal judiciaire du Bourges, ordonnance du 22 février 2023 : ce boucher-charcutier s'est rendu complice de l'abattage illicite et hors d’un abattoir de dizaines de moutons ; le jugement reconnaît que « les faits sont d'une gravité certaine », mais le prévenu est étonnamment condamné à une amende de 500 euros avec sursis (il ne verse donc rien) et le tribunal ordonne la restitution des animaux survivants, soit 94 moutons, placés provisoirement au cours de l'enquête auprès de l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA).
      • 10 Nous renvoyons principalement aux textes suivants de Freud : Pulsion et destins des pulsions (1915), Au-delà du principe de plaisir (1920), Le moi et le ça (1922).
       

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