Doctrine et débats

Conférence : Le mandat, instrument juridique approprié à l’entretien de l’animal d’autrui ?*

  • Karl Lafaurie
    Agrégé de droit privé et sciences criminelles
    Professeur à l’université de Limoges (CREOP – UR 15561)

Le mandat, au cœur de l’entretien de l’animal-personne juridique. La réponse à la question de savoir si la technique juridique du mandat est appropriée à l’entretien de l’animal d’autrui est fortement dépendante de celle de la nature juridique de l’animal. Il est évident que le mandat serait au cœur de l’entretien de l’animal si ce dernier se voyait reconnaître la personnalité juridique. Comme les mineurs, les majeurs protégés et, plus encore, les personnes morales, les animaux seraient, de facto, frappés d’une incapacité juridique d’exercice, faute pour eux d’avoir les facultés de s’exprimer et de défendre efficacement leurs intérêts. Serait donc mis en place un mécanisme de représentation, par lequel une personne, physique ou morale (association par exemple) se trouverait chargée d’agir au nom de l’animal1. Il faudrait cependant, dans ce cas, moins parler de mandat que de représentation, la source de cette dernière étant ici non pas contractuelle, mais légale, puisque la mission incomberait naturellement au maître2. Il reste que le maître pourrait, à de nombreuses occasions, déléguer sa fonction de représentant, ce pour quoi la technique du mandat serait la plus adaptée. L’animal étant, dans ce paradigme, une personne qui n’est pas objet de propriété, le maître ne pourrait pas envisager le relais, notamment en cas de décès, par un transfert de propriété, mais par un transfert de son pouvoir de représentation, transfert que le mandat pourrait aussi assurer.
Le mandat, à la marge de l’entretien de l’animal-objet de propriété. Peut-être est-ce excessivement pessimiste, mais il ne semble pas que le législateur soit encore prêt à sauter ce pas immense qui consisterait à faire basculer les animaux, notamment les animaux domestiques ou d’élevage, dans la catégorie des personnes. Dans la modeste perspective de s’intéresser à la place du contrat de mandat dans l’entretien de l’animal, il a donc été préféré de s’inscrire ici dans le modèle actuel proposé par le Code civil, c’est-à-dire celui de l’animal « soumis au régime des biens », selon les termes de l’article 515-14. La qualification d’ « êtres vivants doués de sensibilité » donné par le même texte n’en constitue pas moins une avancée importante, puisqu’elle pourra servir de guide pour l’application des règles de droit aux animaux3 et, ce faisant, constituer un repère pour la recherche sur l’utilité du contrat de mandat. Le mandat n’en sera pas moins envisagé comme le contrat portant sur l’animal en tant qu’il est soumis au régime des biens et, sous ce rapport, objet de propriété. D’où l’intitulé de cette étude qui porte sur le mandat consistant à entretenir l’animal d’autrui.
L’analyse qui consiste, non pas à bouleverser le droit positif en changeant la qualification juridique de l’animal, mais à l’améliorer tout en restant sur ses lignes de force, n’en demeure pas moins ambitieuse eu égard au rôle que joue aujourd’hui le mandat dans l’entretien des animaux. Il n’est effectivement jamais fait état d’un tel contrat dans les études générales de droit animalier, l’observation de la jurisprudence démontrant un plus grand succès du contrat de dépôt4. C’est dire que le mandat est assez étranger à la théorie et à la pratique de l’entretien de l’animal d’autrui.
Tentative d’édiction d’un mécanisme central, le mandat de protection animale. Est-ce pour autant une idée saugrenue que de faire du mandat un instrument juridique au service de l’animal et de son maître ? Originale, peut-être, mais sans doute pas insensée, dès lors qu’une proposition assez récente, tout à fait sérieuse, pour ne pas dire prestigieuse, a été formulée en ce sens. C’est en effet dans les terres si fertiles de Corrèze qu’a germé l’idée de créer un mandat de protection animale, sous la plume d’une étudiante du diplôme universitaire de droit animalier de l’université de Limoges, Maître Vic BURGAN, notaire5. Selon cette dernière, « le mandat de protection animale permettrait d’anticiper l’avenir de l’animal de compagnie en cas de décès ou d’incapacité du maître, en confiant sa protection à une ou plusieurs personnes de confiance de son choix exclusif, désignées par le terme “mandataire”, que le mandant aura pris le soin de choisir. Ainsi le mandat devra définir les modalités de garde ou de transfert de propriété de l’animal selon le cas d’incapacité temporaire ou définitive, ou de décès du maître »6. Cette germination a été suivie d’une belle éclosion car non seulement la proposition a permis à son auteur de remporter le prix du concours Jules MICHELET, soutenu par la Fondation 30 Millions d’Amis, mais en plus, comme celles de concurrents de la même promotion7, elle a reçu un écho législatif. À l’occasion des discussions sur la loi de 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, un amendement8, directement inspiré de cette proposition, a été, dans un premier temps, adopté à l’Assemblée nationale9. À la suite du fameux article 515-14 du Code civil était créé un article 515-15 instaurant la possibilité, pour tout propriétaire d’un animal de compagnie, de désigner, par mandat, une ou plusieurs personnes pour le représenter dans le cas où il ne pourrait plus subvenir aux besoins de son animal pour cause de décès ou d’incapacité temporaire10. Cela dit, le texte n’a pas survécu à la suite de la procédure législative et à son passage devant le Sénat. Un amendement en a effectivement proposé la suppression, aux motifs que « les personnes peuvent conclure des contrats de mandats de protection future, qui prévoient qu’une autre personne prenne en charge leur animal – ou toute autre possession – en cas d’incapacité » et que « le droit ordinaire de la succession permet aussi de prévoir en amont qu’il soit pourvu aux besoins de l’animal de compagnie »11. Le ministre de l’Agriculture de l’époque, Monsieur DENORMANDIE, émit un avis favorable à cet amendement de suppression et la commission mixte paritaire tenue le 18 novembre 2021 maintint la loi en l’état, privée de ce mandat. Le mandat fut ainsi condamné à conserver sa place, à la marge des contrats relatifs aux animaux en droit positif.
Recherche d’une juste place du mandat pour l’entretien de l’animal. La présente étude a pour objectif de se demander s’il faut regretter cette occasion manquée d’introduire le mandat dans l’arsenal législatif. Cette question ne se pose pas de la même manière en termes de politique juridique et en termes de technique juridique. Il est des dispositifs juridiques dont il serait possible, techniquement, de se passer. Tel est le cas, par exemple, en droit des obligations, des textes relatifs à la condition potestative12, non indispensables pour sanctionner le débiteur d’une obligation conditionnelle qui, par sa seule volonté, fait s’évanouir le caractère incertain de la condition en impulsant la réalisation de l’événement13. L’assujettissement à l’engagement qui résulte de la force obligatoire du contrat et, son corollaire, le devoir de bonne foi, suffiraient pour déchoir le débiteur ou le créancier qui fausse le jeu du bénéfice de la condition14. Pour autant, l’intelligibilité de la règle, déjà ardue, ne sortirait pas gagnante de l’abandon de la notion de condition potestative. Or l’accès au droit et l’intelligibilité du droit sont aujourd’hui des objectifs primordiaux qu’il ne faut pas perdre de vue. Pour une cause chère à un nombre considérable de personnes, et face à une éventualité de nature à en toucher autant, la proposition d’un mandat de protection animale aurait permis, de manière heureuse, de donner une plus grande visibilité à un outil juridique peu évident à proposer, car complexe, avec les seuls outils du droit commun. Mais il est vrai, pour en revenir à la technique, que l’amendement était, en l’état, assez imparfait et aurait nui à la cohérence du système juridique, cher à l’esprit français. Il est en effet possible d’être réservé sur l’idée de confier l’entretien de l’animal d’une personne, après son décès, par un seul mandat, non translatif de propriété15.
Quoi qu’il en soit, en l’absence de mandat de protection animale spécifique, il convient de rechercher les outils les plus efficaces pour confier la garde d’un animal, du vivant de ce maître qu’est « autrui », et après sa mort. Or la technique juridique du mandat, à laquelle il faut donner sa juste place, ne semble à même de remplir pleinement son office que du vivant du maître de l’animal, ce que la pratique ignore passablement. En revanche, au décès du maître, la meilleure méthode pour assurer de beaux jours à l’animal survivant reste, semble-t-il, de lui trouver un nouveau maître et, partant, un nouveau propriétaire. C’est donc la technique successorale qui semble la plus à même d’organiser l’entretien de l’animal après le décès de son maître, même si des pistes d’amélioration méritent d’être explorées, pistes qui pourront d’ailleurs s’appuyer sur la technique du mandat, mais à titre d’instrument secondaire, de contrôle. En définitive, il sera montré que le mandat constitue un instrument essentiel du vivant du maître de l’animal (I) mais ne peut être regardé que comme un instrument secondaire après le décès du maître de l’animal (II).

I. Le mandat, instrument essentiel du vivant du maître de l’animal

Un contrat de droit commun taillé pour l’animal. Comme il a été annoncé, la technique du mandat n’est guère utilisée en pratique, et pas davantage proposée par les auteurs, pour servir de moule juridique dans lequel pourrait se couler le contrat par lequel une personne propriétaire d’un animal confie à une autre personne le soin d’entretenir ledit animal à sa place, en raison d’une absence (voyage, séjour en prison) ou d’une inaptitude, physique et mentale, de s’en occuper. C’est plutôt le dépôt qui reçoit les faveurs des juristes, contrat qui s’avère pourtant moins adapté que le mandat. Le mandat de droit commun n’ayant cependant, pas plus que le dépôt, été conçu sur mesure pour la garde d’animal, l’avantage de la proposition de Maître BURGAN était de mettre à disposition des propriétaires d’animaux, dans la loi, un contrat adapté à leur objectif. Il faudra, faute d’adoption de ce dispositif, façonner, aves les seuls outils du droit des contrats civils, un mandat de protection animale, ce qui est tout à fait possible. Ainsi, le mandat est un instrument adapté pour l’entretien complet de l’animal (A) mais mérite d’être adapté dans sa rédaction pour assurer un entretien sécurisé de l’animal (B).

A. Un instrument adapté pour l’entretien complet de l’animal

Le dépôt utilisé en droit positif, instrument insuffisant. L’observation de la jurisprudence permet de constater que les contrats de garde d’animaux sont qualifiés, par les parties, mais aussi et surtout par les juges, de contrat de dépôt16, la doctrine n’y portant guère de regard critique17, sauf celle de la Revue semestrielle de droit animalier, Madame Kiteri GARCIA, cotitulaire de la chronique de contrats spéciaux, n’ayant pas hésité à intituler l’un de ses commentaires « L’inadaptation de la qualification de contrat dépôt aux contrats de pension d’animaux »18. Cet auteur a sans doute raison et de nombreux arguments peuvent être exposés pour souligner les inconvénients d’une telle qualification. En premier lieu, la garde d’animal ne se résume pas à la pension, certes très présente en jurisprudence parce qu’il est question de chevaux, avec des enjeux financiers souvent importants. Il est souvent dans l’intérêt de l’animal, notamment du chat, mais aussi des animaux d’élevage, d’être gardés chez leur maître. Cette hypothèse se prête alors assez mal à la qualification de dépôt en ce qu’il n’y a pas, à proprement parler, remise de l’animal, remise qui est pourtant le critère de formation du dépôt, défini par l’article 1915 du Code civil comme « un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à la charge de la garder et de la restituer en nature ». Cette caractéristique est, de manière plus générale, un point faible pour toute garde, y compris en pension, d’un animal, car elle empêche en principe la conclusion d’un avant-contrat de dépôt par lequel le dépositaire s’engagerait, avant de le recevoir, à garder l’animal. Le dépôt étant en effet un contrat réel19, le parallélisme des formes exige normalement que l’avant-contrat obéisse aux mêmes conditions de validité que le contrat définitif, et donc à la remise de la chose20, de sorte que sa valeur juridique sans une telle remise est discutable21.
D’autres faiblesses reposent sur le régime du dépôt. La première concerne l’intensité de l’obligation de conservation à la charge du dépositaire retenue par la jurisprudence, qui n’a pas voulu apporter de nuances en présence d’animaux22. Classiquement, le dépositaire est tenu d’une obligation de moyens renforcée impliquant qu’une faute de sa part est présumée si l’objet du dépôt restitué a subi une détérioration. Cette règle n’est cependant légitime que lorsque l’objet du dépôt est une chose inanimée. Un animal, quant à lui, peut se blesser de son propre fait, sans qu’une faute soit reprochée au dépositaire. Comme l’a très justement relevé le professeur Christine HUGON, l’autre cotitulaire de la chronique de contrats spéciaux, « cette jurisprudence présente un inconvénient majeur en termes de bien-être animal. Elle encourage les dépositaires, autrement dit les pensions à prendre le moins de risque possible, autrement dit à favoriser les pensions réduisant au maximum la liberté des animaux et les contacts entre eux car ce sont, tous les bons professionnels le savent, des sources d’accidents »23. Plus largement, cette sévérité pourrait décourager l’activité de garde d’animaux, pourtant essentielle, ou rendre son coût déraisonnable, terrible tentation pour les maîtres des animaux de les abandonner à leur départ en vacances. Une autre hérésie juridique se trouve dans l’application du droit de rétention à l’animal déposé, sur le fondement d’article 1948 du Code civil, selon lequel « le dépositaire peut retenir le dépôt jusqu'à l'entier payement de ce qui lui est dû à raison du dépôt ». Là aussi, sans se poser aucune question, des juges ont accepté de faire jouer pleinement ce droit de rétention lorsque le dépôt porte sur un animal, empêchant ainsi le propriétaire impécunieux de récupérer sa bête24. Cette situation pourrait pourtant constituer un bon exemple d’hypothèse dans laquelle l’article 515-14 du Code civil devrait jouer un rôle pour exclure l’application d’une règle ignorant la sensibilité de l’animal.
Enfin, il peut être soutenu qu’un dépôt n’est pas, à lui seul, en mesure d’assurer parfaitement l’entretien de l’animal gardé. De manière assez logique, la jurisprudence retient qu’appliqué à l’animal, le dépôt suppose que le dépositaire nourrisse l’animal mais le maintienne aussi en bonne santé25. Or il n’est pas certain que le contrat de dépôt offre au dépositaire les pouvoirs nécessaires pour prendre toutes les décisions relatives à la santé de l’animal, tant celles-ci peuvent être personnelles et graves. Raisonnant par analogie avec le contrat médical appliqué aux personnes, la jurisprudence exige des vétérinaires qu’ils demandent au maître de l’animal malade le consentement aux soins qu’ils vont lui apporter, sauf urgence26. Une telle prérogative ne devrait appartenir qu’au maître, sauf à donner mandat au dépositaire de prendre les décisions, même graves, relatives à la santé de l’animal. C’est dire que le dépôt ne peut fonctionner sans le mandat. Il peut même être démontré que le mandat se suffit à lui seul pour organiser l’entretien de l’animal d’autrui.
Le mandat de droit commun, instrument suffisant. Avant d’entrer dans le vif du sujet et d’exposer les arguments en faveur du choix du mandat, il peut être souligné un paradoxe, qui réside dans le recours, en l’absence de contexte contractuel, à des figures juridiques plus proches du mandat que du dépôt lorsqu’une personne prend en charge l’animal d’autrui. Alors que le dépôt nécessaire27 constitue une qualification envisageable lorsqu’une personne prend en charge l’animal d’autrui sans qu’il y ait eu véritable échange des consentements28, les plaideurs et la jurisprudence se placent plus volontiers sur le terrain de la gestion d’affaires29, qui constitue un quasi-contrat, et plus précisément même un quasi-mandat30, par lequel une personne se charge, sans en avoir reçu l’ordre, de gérer les affaires d’autrui. Aussi, dans les hypothèses d’indivisions, notamment successorales, la jurisprudence reconnaît au coïndivisaire qui s’est occupé de l’animal compris dans l’héritage le droit de demander une rémunération sur le fondement de l’article 815-12 du Code civil31. Cette personne est donc regardée comme un gérant de l’indivision ce qui le rapproche aussi d’un mandataire.
Pour en revenir à la qualification du mandat, il peut être rappelé que l’article 1984 du Code civil dispose que « le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom ». Ce qui est au cœur du mandat, c’est la représentation du mandant par le mandataire, trop souvent résumée néanmoins comme l’accomplissement d’actes juridiques au nom et pour le compte du mandant, alors même qu’au-delà de cela, la représentation doit pouvoir désigner l’accomplissement de devoirs d’autrui, comme l’illustre la charge tutélaire, notamment pour les mineurs. Or le maître d’un animal, même lorsque ce dernier est considéré comme un objet de propriété, voit peser sur lui d’importants devoirs, résumés à l’article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime selon lequel « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce ». Au fond, c’est bien cette charge qu’il s’agit de transmettre lorsqu’un animal est confié. Il y a donc un mandat par lequel le propriétaire de l’animal demande au mandataire d’endosser à sa place cette qualité de maître, avec les devoirs juridiques que cela suppose. Et c’est bien le transfert de cette charge qui est au cœur du contrat puisque ce qu’attend au premier chef le propriétaire de l’animal, c’est que le gardien procure à ce dernier les soins qui incombent à un propriétaire d’animal. La représentation n’est donc pas accessoire, mais l’élément principal32, fondant ainsi la qualification de mandat. C’est ce rôle d’instrument juridique privilégié de la garde de l’animal d’autrui qu’avait envisagé de donner au mandat la proposition de création d’un mandat de protection animale, à raison. Mais le mandat de droit commun comportait déjà des ressources dont la pratique aurait dû se saisir.
La liberté contractuelle est très présente dans le mandat, notamment au regard de la plus ou moins grande importance des pouvoirs qui peuvent être confiés au mandataire. La durée du mandat peut aussi être envisagée de manière précise, mais aussi adaptée, grâce notamment à la technique du terme ou de la condition. La personne partant en voyage peut ainsi prévoir pour terme son retour, de même que la personne en prison peut stipuler que le mandat prendra fin à sa libération. Le mandat portant sur le soin de l’animal peut en outre être englobé dans un mandat de protection future33, par lequel une personne donne la mission à une autre de la représenter pour le cas où elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts34. Le législateur n’a d’ailleurs pas perdu de vue qu’un lien devait être opéré entre le sort du majeur protégé et celui de son animal, puisque le décret du 22 décembre 2008, qui est venu apporter les précisions nécessaires à la grande réforme de 2007 au sujet des actes accomplis par les personnes en charge de la protection des majeurs, a classé parmi les actes d’administration « tout acte relatif à l’animal domestique »35, ce qui est au demeurant discutable. Mais là encore, la liberté contractuelle permet de dépasser ces écueils. En cela, il est possible d’envisager un certain nombre d’éléments permettant d’adapter le mandat afin qu’il assure un entretien sécurisé de l’animal.

B. Un instrument à adapter pour un entretien sécurisé de l’animal

Le choix du mandataire. Si le mandat constitue déjà, classiquement, un contrat intuitu personae, cette nature présente une intensité d’autant plus forte au vu de l’objet sur lequel il porte, un animal. À cet égard, le choix de la personne du mandataire et le contrôle de son action méritent une attention plus grande encore de la part des rédacteurs du contrat. S’agissant de la personne du mandataire, elle doit être précisément identifiée, sachant qu’au regard de l’importance de la mission, la nomination de comandataires ou de mandataires subsidiaires, en cas de défaillance du premier mandataire, sera bienvenue. Si le mandat est préparé pour anticiper la dépendance et l’affaiblissement des capacités du propriétaire de l’animal, il sera possible d’intégrer la mission de garde de l’animal dans le mandat de protection future. Rien n’oblige néanmoins le mandant de confier l’animal à celui qu’il estime peut-être le mieux placé pour gérer ses affaires, mais pas nécessairement pour s’occuper des bêtes. L’article 477 du Code civil permet d’ailleurs au mandant de nommer plusieurs mandataires, pour assigner à chacun des missions différentes.
En outre, un des enjeux importants, au sujet de la personne du mandataire, est celui de son assiduité. Le mandat peut-il anticiper ou empêcher la démission du mandataire, qui risquerait de mettre à mal les intérêts de l’animal ? Même si le mandat a une durée déterminée – celle de la vie de l’animal – il ne semble guère possible d’en exiger l’exécution forcée au mandataire et lui interdire toute démission36. Une clause pénale, prévoyant une lourde indemnité en cas de rupture anticipée, pourra jouer un rôle comminatoire, mais il n’est même pas certain qu’il soit opportun de conseiller de telles stipulations. A-t-on en effet vraiment envie de continuer à confier un animal à une personne qui ne veut plus assumer cette mission ? Il est, pour cette raison, plus utile d’envisager des mandataires subsidiaires, avec comme ultime solution celle de la nomination d’un refuge sur lequel on sait pouvoir toujours compter.
Le contrôle du mandataire. S’agissant du contrôle de l’action du mandataire, elle passe d’abord par un encadrement précis de ses pouvoirs. Comme il a été précisé, le décret du 22 décembre 2008 classe parmi les actes d’administration « tout acte relatif à l’animal domestique ». Est-ce à dire que la vente de l’animal ou son placement par le mandataire constitue un acte d’administration, qui entre donc dans ses pouvoirs ? Ce résultat, très fâcheux, doit être évité par une stipulation interdisant au mandat d’accomplir de tels actes, qui éloignerait l’animal de son milieu habituel, et même dans l’hypothèse du mandat de protection future, de son maître. Plus avant, c’est la qualité des soins qu’il convient de surveiller ce qui, là encore, peut tout à fait être prévu contractuellement. À ce sujet, la proposition de Maître BURGAN prévoyait un contrôle du mandataire de protection animale, son projet d’article 515-15-5 disposant que « Le mandat fixe les modalités de contrôle de son exécution » et qu’ « en prévision du risque (…) d’incapacité du maître, le mandat devra contenir la désignation d'un commissaire à l'exécution du mandat qui aura pouvoir de prendre toute initiative utile en cas de difficulté d'exécution du mandat »37. Malgré l’absence de consécration législative de ce dispositif, rien n’empêche au contrat de mandat de prévoir la nomination d’un commissaire à l’exécution du mandat, un membre de la famille du mandant par exemple qui, s’il ne s’estimait pas en mesure de garder l’animal, peut tenir à s’assurer que la garde organisée par le mandant se déroule correctement. Le législateur n’est pas plus précis d’ailleurs s’agissant des modalités de contrôle dans le mandat de protection future, l’article 479, alinéa 3 du Code civil disposant simplement que « le mandat fixe les modalités de contrôle de son exécution », ce qui montre bien que le contrat est l’instrument tout désigné pour organiser ce contrôle. Il n’est pas certain, en revanche, qu’il puisse en être attendu autant du mandat pour organiser l’entretien de l’animal après le décès de son maître.

II. Le mandat, instrument secondaire après le décès du maître de l’animal

L’incontournable transfert de propriété de l’animal. L’organisation de l’entretien de l’animal, après la mort du maître, présente une très grande différence avec celle envisagée durant sa vie. Si le maître ne met en place, de son vivant, qu’un mandat, c’est qu’il n’envisage pas de se déposséder de son animal, soit qu’il compte le retrouver à son retour, soit qu’il veuille rester avec son animal pour l’entretien duquel il souhaite une aide. Ce faisant, le lien demeure entre le maître et l’animal, lien qui, juridiquement, se traduit par le droit de propriété que conserve le maître sur l’animal. Or ce lien ne peut plus exister une fois le décès du maître intervenu et il ne semble pas possible d’envisager le sort de l’animal sans en organiser le transfert de propriété. C’est en cela que le mandat se révèle un instrument insuffisant, car inadapté à la transmission de l’animal (A). Il peut cependant demeurer utile pour le contrôle de l’entretien de l’animal transmis (B).

A. Un instrument inadapté à la transmission de l’animal

Entretien sans transfert de propriété : les insuffisances du mandat. La proposition de Maître Burgan, ainsi que l’amendement déposé à l’occasion des discussions sur la loi de 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale, ne consistaient pas à faire du mandat de protection animale qu’un instrument d’anticipation de la dépendance, puisqu’il était prévu qu’il permette aussi de régler le sort de l’animal après le décès de son propriétaire. Il s’agissait somme toute d’une variante du mandat à effet posthume créé par la loi du 23 juin 2006, par lequel le de cujus peut, s’il justifie d’un intérêt légitime, charger une personne de gérer un ou plusieurs biens de la succession, les héritiers étant alors dessaisis38. Cette adaptation s’imposait néanmoins dans la mesure où le mandat à effet posthume doit, aux termes de l’article 812 du Code civil, être mis en place « dans l’intérêt d’un ou de plusieurs héritiers », alors que le mandat de protection animale assure, avant tout, la défense des intérêts de l’animal. Il n’en demeure pas moins que le choix du mandat est discutable, dans l’état actuel du droit en tout cas, qui soumet encore aujourd’hui l’animal au régime des biens et lui attache, de cette manière, un propriétaire39. Le mandat de protection animale implique, pour ainsi dire, d’emprunter un chemin détourné, tout en étant sous-équipé, car il règle une question de pouvoir sans déterminer, a priori, l’identité du nouveau propriétaire, détenteur naturel des pouvoirs sur la chose transmise. Comment fonctionnerait ce mandat ? On n’imagine guère une personne qui, en stipulant un tel mandat, entendrait dans le même temps transférer la propriété de son animal à une autre personne que le mandataire, sauf à ce que soient en cause des animaux d’élevage. Dans cette dernière hypothèse, il est possible que le de cujus considère qu’un héritier n’est pas en mesure de gérer un fonds agricole, tout en voulant qu’il en perçoive les fruits. Le mandat à effet posthume permet, dans cette optique, de distinguer utilement propriété et pouvoirs, l’animal étant cependant envisagé ici, non pas ut singuli, mais comme un élément de l’universalité qu’est le fonds agricole dont la gestion est confiée au mandataire40. En dehors de ce cas particulier, il n’y a donc pas vraiment de raison de ne pas passer directement par le transfert de propriété, lequel offrira tous les pouvoirs nécessaires au nouveau propriétaire pour entretenir l’animal et le conduira sans doute à se sentir plus impliqué en cette qualité de nouveau maître plutôt que de celle de mandataire. Bien sûr, il faudra exiger du nouveau propriétaire qu’il assure à l’animal les meilleurs soins, et dans des conditions conformes à celles envisagées par le de cujus. Le droit successoral est tout à fait en mesure de remplir cet objectif.
Entretien avec transfert de propriété : les ressources du droit successoral. La première force du droit successoral est de permettre à l’animal perdant son maître d’en trouver un nouveau, dont la qualité de propriétaire lui imposera, conformément à l’article L. 214-1 du Code rural et de la pêche maritime, de lui conférer les soins adaptés à son espèce. Le legs de l’animal emporte transfert de propriété au légataire, sur lequel pèsent alors tous les devoirs liés à cette qualité. Il a néanmoins été défendu que le droit successoral présente l’inconvénient de faire planer une incertitude sur la prise en charge de l’animal par le bénéficiaire de la libéralité, l’acceptation ou le refus du legs ne pouvant être exprimé qu’au moment du décès du propriétaire de l’animal41. Cet argument peine pourtant à emporter la conviction au regard d’un élément qui a déjà été évoqué42 : la contrainte ne peut être un bon instrument en matière de soins d’animaux, de sorte qu’il est vain de conférer à un instrument juridique la capacité de forcer une personne à exécuter son engagement de prendre en charge un animal, puisqu’il pèsera toujours un fort doute sur la qualité de ces soins43. Il est préférable d’anticiper plutôt le refus d’une personne de prendre en charge l’animal, ce que la technique successorale permet à travers la « substitution vulgaire ». L’article 898 du Code civil prévoit effectivement la possibilité de désigner un légataire de seconde ligne pour anticiper l’impossibilité ou le refus du légataire de première ligne de recueillir le legs.
Pour être pleinement efficace dans la perspective de réserver les meilleurs soins à l’animal dont il est l’objet, ce legs d’animal doit être combiné avec un autre legs qui, à la fois, donnerait au nouveau maître les moyens financiers de s’en occuper, mais constituerait également le moyen juridique d’obliger ce dernier de se comporter en bon maître. C’est effectivement une pratique courante, admise de longue date en doctrine44 et en jurisprudence45, que de prévoir, au bénéfice du nouveau maître de l’animal, un legs d’une somme d’argent assortie de la charge d’apporter les soins nécessaires à l’animal. La rédaction du legs avec charge suppose une précaution particulière sur trois aspects. Tout d’abord, le de cujus devra être le plus précis possible sur la nature du traitement de l’animal qu’il attend du légataire afin que la vie de l’animal après la mort de son premier maître ressemble le plus possible à celle qui était la sienne avant ou, à tout le moins, corresponde au mieux aux attentes du testateur. Ensuite, pour éviter que le legs avec charge soit disqualifié d’acte à titre onéreux46, il importe que la somme léguée ou la valeur du bien légué soit, de manière certaine, supérieure au coût que représentera la garde de l’animal. Il convient alors de prévoir une estimation plutôt haute de la durée de vie de l’animal ainsi que du coût de ses soins. Enfin, le testament devra mentionner que la charge constitue bien la cause impulsive et déterminante de la libéralité, afin de couper court à tout débat sur les conséquences de l’inexécution – fautive ou non – de la charge, qui devra conduire à la remise en cause du legs. Dans une affaire jugée par la Cour d’appel d’Orléans le 9 octobre 2006, un homme avait légué une somme à une fondation de protection des animaux à charge pour elle de s’occuper de ses chats. Or, le temps que la fondation accomplisse les démarches pour prendre en charge les chats, ceux-ci s’étaient échappé. Les juges ont interprété la stipulation de la charge dans le testament comme constituant une cause impulsive et déterminante de la libéralité, qui a été considérée, en conséquence, comme caduque47. Cette issue malheureuse permet de mesurer les limites de la libéralité avec charge. Le mandat peut, à cet égard, retrouver son utilité pour assurer le contrôle de l’entretien de l’animal transmis.

B. Un instrument utile pour le contrôle de l’entretien de l’animal transmis

Le mandat post mortem, technique d’exécution des dernières volontés. Il est traditionnellement enseigné que les personnes physiques perdent la personnalité juridique une fois leur décès survenu. Pourtant, le défunt a la possibilité, pour assurer l’exécution de ce qu’on appelle ses dernières volontés48, d’être, d’une certaine manière, représenté, post mortem. C’est ainsi, classiquement, que les obsèques s’organisent conformément à la volonté exprimée par le défunt49 qui peut nommer une personne pour veiller à l’exécution de ses dispositions50. Il est d’ailleurs remarquable que les dettes funéraires relèvent encore de l’obligation alimentaire51, comme si le défunt était encore un créancier ou, lorsque la succession comprend suffisamment d’actif, soit regardée comme une dette successorale52, donc née du chef du défunt, après sa mort. C’est véritablement l’intérêt de la personne du défunt qui est défendu puisqu’il s’agit d’organiser le sort de son corps et la manière dont sa mémoire sera saluée. Plus récemment, un outil a été donné aux personnes pour organiser le sort de leurs données numériques après leur mort53, avec la possibilité, également, de désigner une personne pour exécuter ces volontés54. Là aussi, il s’agit bien de représenter l’intérêt du défunt qui peut vouloir voir disparaître tous souvenirs de lui sur la toile ou, au contraire, voir s’organiser des espaces numériques de commémoration. Ces mandats post mortem sont nécessairement spéciaux et trouveront davantage de chances d’être efficaces si la loi les reconnaît, faute d’admission nette d’un maintien de la personnalité juridique du défunt pour le règlement de ses derniers intérêts, à la manière de ce qui, pourtant, existe pour les personnes morales55. De ce point de vue, la démarche consistant à mettre en place un mandat de protection animale a tout son sens pour assurer la représentation de l’intérêt du défunt à ce que soit contrôlé l’entretien de son animal après sa mort. Mais en l’absence de reconnaissance de la personnalité juridique de l’animal et d’une parfaite autonomie juridique de ce dernier, le mandat ne doit pas consister à confier directement la mission d’entretien de l’animal, contrairement à ce qui était envisagé dans le projet précité, mais à confier à une personne la surveillance du respect de la charge d’entretien conférée à celui qui s’est vu transférer la propriété de l’animal. Il convient de préciser que ce montage consistant à associer un legs avec charge et un mandat post mortem ne saurait être regardé comme excessivement lourd, à partir du moment où la nécessité d’un contrôle de l’entretien de l’animal est reconnue. Pour rappel, cette dissociation de la mission de l’entretien de l’animal et de celle du contrôle de cet entretien était bien présente dans la proposition de Maître BURGAN, la première étant assurée par le mandataire de protection animale56 et la seconde par le commissaire à l’exécution du mandat de protection animale57. Quoi qu’il en soit, l’utilité de la reconnaissance légale d’un mandat post mortem en vue d’assurer le contrôle de l’entretien de l’animal du défunt est indéniable. À défaut, pour l’instant, d’un tel outil, il est possible de se reporter sur une autre technique juridique assurant le respect des dernières volontés du défunt, l’exécution testamentaire.
L’exécution testamentaire, technique imparfaite de contrôle du respect des charges. Comme les dispositifs spéciaux qui viennent d’être présentés, l’exécution testamentaire est regardée par les auteurs comme un mandat particulier, dont l’objet est de représenter les intérêts d’une personne décédée58, en assurant la bonne exécution des dispositions patrimoniales ou extrapatrimoniales figurant dans son testament. À cet effet, l’article 1025 du Code civil dispose que « le testateur peut nommer un ou plusieurs exécuteurs testamentaires jouissant de la pleine capacité civile pour veiller ou procéder à l'exécution de ses volontés ». Cette définition large de la mission qui peut être confiée à l’exécuteur testamentaire permet d’y inclure le contrôle de l’exécution des charges affectant les libéralités59.
Avant d’aborder le rôle que peut jouer l’exécution testamentaire dans le contrôle du respect des charges, il est intéressant de constater que cette technique permet de régler une difficulté qui peut empêcher le légataire de l’animal de s’en occuper comme le voulait le de cujus. Cette difficulté est celle de la prise de connaissance la plus rapide possible du décès par le légataire et, s’il ne la connaissait pas (ce qui peut être le cas des fondations), de l’existence du legs et de la volonté du défunt60. La désignation d’un exécuteur testamentaire, personne de confiance, permet au de cujus de compter sur un proche, normalement rapidement informé du décès et en mesure de faire exécuter le plus rapidement possible la volonté de transférer l’animal au légataire.
S’agissant du contrôle de la charge qui s’inscrit dans la mission de l’exécuteur testamentaire, il peut trouver, sans aucune difficulté, une application dans la charge d’entretien de l’animal. L’exécution testamentaire s’avère même tout à fait adaptée en ce qu’elle investit pleinement l’exécuteur testamentaire de la surveillance de l’entretien de l’animal, car tel est l’objet de la charge qui incombe au légataire. Surtout, l’exécution testamentaire règle particulièrement bien ici la difficulté que cause cette charge qui, faute de bénéficier à une personne, peinera à trouver un intéressé pour en contrôler le respect61, d’autant plus que le droit français, contrairement au droit suisse62, ne semble offrir la possibilité de contrôler l’exécution des charges qu’à leurs bénéficiaires ou aux héritiers63. Le de cujus trouvera dans l’exécuteur testamentaire le défenseur de son intérêt à ce que la charge soit exécutée conformément à ses dernières volontés et donc que l’animal termine sa vie dans les meilleures conditions. Mais l’exécution testamentaire présente, sur un aspect qui n’est pas central pourtant, et pourrait être facilement corrigé, une faiblesse non négligeable : la durée de la mission de l’exécuteur testamentaire. Alors qu’au départ, la mission de l’exécuteur testamentaire n’était pas limitée dans le temps, la mission étant maintenue tant qu’il y avait des dispositions testamentaires à exécuter, l’article 1032 du Code civil, issu de la réforme des successions du 23 juin 2006, prévoit que « La mission de l’exécuteur testamentaire prend fin au plus tard deux ans après l'ouverture du testament sauf prorogation par le juge ». La nécessité de demander la prorogation au juge nuit à l’intérêt du dispositif, dont la modification ne semble pas avoir été pensée pour les charges mais uniquement pour les règles portant atteintes aux pouvoirs des héritiers sur les biens successoraux64. Un auteur a pu considérer, pour cette raison, que ce délai de deux années ne s’applique pas à « la surveillance du respect des charges assortissant les legs, si ces charges sont à exécution successive et si elles dépassent le temps du règlement de la succession »65. Il reste que le caractère incertain de la solution invite à plaider pour la mise en place d’un dispositif d’exécution des dernières volontés relatives à l’animal du défunt. La lutte pour la reconnaissance d’un mandat de protection animale mérite donc d’être poursuivie.

  • 1  Cette étude est tirée d’une communication présentée lors de la demi-journée d’étude du D.U. de Droit animalier de l’Université de Limoges, tenu à Brive-la-Gaillarde le 17 juin 2023. L’auteur tient à remercier chaleureusement Madame Séverine Nadaud et Monsieur Matthias Martin, co-directeurs du D.U. de Droit animalier, de l’avoir invité. Que soit également remercié le professeur Jean-Pierre Marguénaud pour avoir suggéré cette publication. V. J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, thèse : PUF, 1992, préf. C. Lombois, p. 414.
  • 2 Ibid., p. 398.
  • 3 En ce sens, v. not. G. Loiseau, L’animal et le droit des biens : RSDA 2015-1, p. 423, spéc. p. ; 427 F. Marchadier, L’animal du point de vue du droit civil des personnes et de la famille après l’article 515-14 du Code civil : RSDA 2015-1, p. 433, spéc. p. 441.
  • 4 La lecture de la chronique « contrats spéciaux » de la RSDA permet de tirer le bilan suivant : aucun arrêt sur le mandat, au moins un arrêt sur le dépôt à chaque numéro.
  • 5 V. Burgan, Proposition de loi visant à la sécurité et à la protection juridique des animaux de compagnie par la création d’un mandat de protection animale : RSDA 2018-1, p. 397.
  • 6 Ibid., p. 400.
  • 7 V. L. Boisseau-Sowinski, Promotion Josette Réjou - Septembre 2018 : RSDA 2018-1, p. 393.
  • 8 Proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale, amendement n° 195 présenté par Monsieur Dombreval, Monsieur Houbron et Madame Romeiro Dias.
  • 9 Art. 5 bis de la loi, adopté à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale (texte n° 558 adopté par l'Assemblée nationale le 29 janvier 2021).
  • 10 « Art. 515-15. – Tout propriétaire d’un animal de compagnie peut désigner, par mandat, une ou plusieurs personnes pour le représenter dans le cas où il ne pourrait plus subvenir aux besoins de son animal pour cause de décès ou d’incapacité temporaire.
  • 11 Le mandat prend effet à compter du jour où le mandant ne peut plus prendre soin de l’animal.Le mandat est conclu par acte notarié ou par acte sous seing privé et est enregistré auprès de la société gestionnaire du fichier national d’identification des carnivores domestiques en France. Il identifie l’animal et désigne le transfert de garde ou de propriété de l’animal auprès du ou des mandataires, avec effet immédiat ou à terme défini.Le mandat peut prévoir une rémunération forfaitaire du mandataire, qui prend la forme d’une créance à faire valoir sur la succession du mandant ou d’une indemnisation durant la vie du mandant, lui permettant d’accomplir sa mission et de subvenir aux besoins de l’animal. Cette somme déterminée est due sous la condition suspensive de la mise en œuvre du mandat. » Amendement n° COM-183, présenté par Madame Chain-Larché.
  • 12 C. civ., art. 1304-2.
  • 13 V. M. Latina, Essai sur la condition en droit des contrats : LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2009, préf. D. Mazeaud, n° 295 et s.
  • 14 C’est ce que prévoit au demeurant l’article 1304-3 du Code civil.
  • 15 Pour une telle critique, v. déjà N. Dissaux. Est-ce que ce monde est sérieux ? D. 2021, p. 345.
  • 16 V., par ex., Cass. civ. 1re, 10 janv. 1990, n° 87-20.231 : RTD civ. 1990, p. 517, obs. P. Rémy ; Cass. civ. 1re, 24 févr. 1993, n° 90-18.289 : Contrats, conc. consom. 1993, comm. 89, obs. L. Leveneur ; Cass. civ. 1re, 5 janv. 1999, n° 97-13.793 : Contrats, conc. consom. 1999, comm. 51, obs. L. Leveneur.
  • 17 V. par ex. R. de Quenaudon, P. Schultz, J.-Cl. Civil code, art. 1915 à 1920 - Fasc. unique : Dépôt. – Principes généraux, 2019, n° 19.
  • 18 K. Garcia, L’inadaptation de la qualification de contrat dépôt aux contrats de pension d’animaux, note sous CA Poitiers, 19 février 2019 n° 55/2019 ; CA Caen, 30 avril 2019, n° 16/03282 ; CA Caen, 25 juin 2019, n° 16/04642 : RSDA 2019-1-2, p. 35.
  • 19 Qualification réaffirmée dans l’avant-projet de réforme des contrats spéciaux (C. civ., art. 1920).
  • 20 Pour une discussion, v. P. Puig, Contrats spéciaux : Dalloz, coll. « Hypercours », 8e éd., 2019, n° 1012.
  • 21 Comp., avant-projet, art. 1921 : « Celui qui a promis de remettre une chose à titre de dépôt n’est tenu qu’à des dommages et intérêts s’il manque à exécuter son engagement ».
  • 22 V., par ex., CA Besançon, 16 janvier 2018, n°16-01848 : RSDA 2017-2, p. 40, note C. Hugon : il incombe au dépositaire, « en l'espèce Madame A, débitrice d'une obligation de moyen renforcée, de rapporter la preuve que la blessure subie par la jument n'est pas imputable à une faute de sa part et qu'elle y a apporté les soins qu'elle aurait apportés à une chose lui appartenant ».
  • 23 C. Hugon, Lorsque la qualification du contrat de pension en dépôt salarié conduit à un renversement aussi pervers que maladroit du risque probatoire ! note sous CA Besançon, 16 janvier 2018, n°16-01848, préc.
  • 24 V. CA Poitiers, 19 février 2019 n° 55/2019 : RSDA 2019-1-2, p. 35, note K. Garcia.
  • 25 V. par ex. CA Riom, 25 janvier 2016, n° 14/02486.
  • 26 V. CA Caen, 26 janv. 1989, RG no 456/87 B, JurisData 040096 – TGI Bernay, 6 juill. 1995, Audijuris 1996/66, 75 ; CA Caen, 28 nov. 1995, Gaz. Pal. 1996. 2. 413, note Bonneau, cités par P. Le Tourneau (dir.), Droit de la responsabilité et des contrats - Régimes d'indemnisation : Dalloz, coll. « Dalloz Action », 13e éd., 2023, n° 3316.13.
  • 27 Qui est davantage un quasi-dépôt qu’un dépôt, faute de véritable accord de volonté (v. J. Huet, G. Decocq, C. Grimaldi, H. Lécuyer, Traité de droit civil. Les principaux contrats spéciaux : LGDJ, 3e éd., 2012, n° 33511 ; . – Contra : P. Malaurie, L. Aynès, P.-Y. Gautier, Droit des contrats spéciaux : LGDJ, coll. « Droit civil », 12e éd., 2022, n° 900).
  • 28 C. civ., art. 1949 : « Le dépôt nécessaire est celui qui a été forcé par quelque accident, tel qu'un incendie, une ruine, un pillage, un naufrage ou autre événement imprévu ». Pour un exemple, rare, de cette qualification appliquée à des chevaux, v. Cass. civ. 1re, 24 mars 2021, n° 19-20.962 : Contrats, conc. consom. juin 2021, comm. 94, obs. L. Leveneur ; RSDA 2021-1, p. 47, note K. Garcia.
  • 29 Pour un exemple, v. CA Agen, 13 avril 2016 : JurisData n° 2016009955 : Cahiers de Jurisprudence d’Aquitaine et Midi-Pyrénées 2016-2, p. 339 et JCP G, note K. Lafaurie. – Sur ce sujet, v. J.-P. Marguénaud, L’animal et le droit privé, thèse préc., p. 466.
  • 30 V. not. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, tome VI : Obligations, première partie, par P. Esmein : LGDJ, 2de éd., 1952, n° 7 ; R. Libchaber, Le malheur des quasi-contrats : Dr. et patr. mai 2016, p. 73, spéc. p. 74.
  • 31 CA Paris, 27 mars 2003, n° 2001/21689 : AJ fam. 2003, p. 235, cité par E. Buat-Ménard, La place de l’animal dans la succession : AJ fam. 2012, p. 80.
  • 32 Sur le rôle de la règle accessorium sequitur principale dans la distinction du mandat, caractérisé par l’accomplissement d’actes juridiques et de l’entreprise, caractérisé par l’accomplissement d’actes matériels v. P. Puig, La qualification du contrat d’entreprise, thèse : éd. Panthéon-Assas, 2002, préf. B. Teyssié, n° 135.
  • 33 Pour un exemple de clause insérée dans le mandate de protection future et organisant les soins de l’animal du mandant, v. J. Combret, Personnes vulnérables - Mandat notarié de protection future « pour soi-même » - Formule : JCP N 2020, 1205 : « Le “mandataire en premier” prend toute mesure pour répondre aux besoins des animaux de compagnie du “mandant” (ajouter éventuellement : Au jour de la signature du présent acte, le “mandant” a la responsabilité des animaux suivants ..., immatriculés suivant tatouage sous les numéros ...). Au besoin, le “mandataire en premier” recourt à un tiers pour préparer et donner la nourriture à ces animaux, changer leurs litières, les promener, les toiletter, les conduire chez le vétérinaire pour des soins, opérations chirurgicales ou rappels de vaccins. En cas d'impossibilité pour le “mandant” de conserver près de lui ces animaux de compagnie, le “mandataire en premier” veille à les placer au sein de la famille ou dans l'entourage du “mandant” dans des conditions lui paraissant acceptables. À défaut, il les place dans un établissement offrant les meilleures garanties de confort et de soins (ajouter éventuellement : Le “mandataire en premier” les visite ou les fait visiter) ».
  • 34 C. civ., art. 477.
  • 35 D. n° 2008-1484, 22 déc. 2008, annexe 1, colonne 1, IX.
  • 36 C. civ., art. 2007.
  • 37 V. Burgan, Proposition de loi visant à la sécurité et à la protection juridique des animaux de compagnie par la création d’un mandat de protection animale, art. préc., p. 403.
  • 38 C. civ., art. 812 et s.
  • 39 Pour les mêmes raisons, la fiducie n’apparaît pas, faute de personnalité juridique reconnue à l’animal, comme un instrument adapté puisqu’elle suppose que le fiduciaire gère l’objet de la fiducie dans l’intérêt d’un tiers, le bénéficiaire (C. civ., art. 2011), qui doit être une personne et qui ne peut donc être l’animal. On ne voit pas qui le constituant que ce serait le de cujus pourrait aujourd’hui désigner comme bénéficiaire dans l’intérêt de qui le fiduciaire devrait agir. Sur la fiducie et le sort de l’animal au décès de son maître, v. V. aussi J.-P. Marguénaud, Choupette et l’héritage de son maître : RSDA 2019-1, p. 15, spéc. p. 17.
  • 40 V. G. Wicker, K. Lafaurie, J.-Cl. Civil code, art. 812 à 812-7 - Fasc. unique : Successions. – Mandats successoraux. – Mandat à effet posthume, 2021, n° 46.
  • 41 L’amendement n° 195 présenté par Monsieur Dombreval, Monsieur Houbron et Madame Romeiro Dias, tout comme Maître Burgan, soulignaient que « si le défunt confiait le soin de son animal de compagnie par testament, ce legs constituerait un legs avec charge, que ce soit une charge morale qui s’inscrit pour la durée de la vie de l’animal, ou une charge pécuniaire. La rédaction d’un testament ne nécessitant pas l’accord préalable du légataire concernant le legs qui lui est fait, le légataire est en droit de refuser le legs au décès du testateur ».
  • 42 V. supra, n° 8.
  • 43 L’argument a aussi été développé par les auteurs de l’amendement supprimant le mandat de protection animale : Amendement sénat n° COM-183 « En réalité, la seule distinction potentielle entre le droit existant et la mesure proposée est que celle-ci semble impliquer qu’une fois un mandat visant un animal signé, la personne chargée de recueillir l’animal ne puisse plus refuser sa prise en charge (alors que le légataire peut aujourd’hui refuser le legs dans le cadre de la succession). Or, la situation de cette personne peut avoir évolué : situation en termes de taille de logement, de capacité physique à prendre soin de l’animal, ou encore situation familiale. Dans un objectif d’amélioration du bien-être de l’animal, il apparaît peu pertinent d’obliger une personne ne souhaitant ou ne pouvant plus accueillir l’animal à l’y contraindre quoi qu’il advienne. Ce type de situations présenterait un plus grand risque de maltraitance ou de négligence pour l’animal de compagnie ».
  • 44 V. R. Nerson, La condition de l'animal au regard du droit : D. 1963, chron. p. 1, spéc. p. 3 ; M.-J. Garnot, Les animaux bénéficiaires de libéralités. Contribution à l’étude de la conciliation de la situation civile et de la protection pénale de l’animal, actuelles et futures, avec les droits et les privilèges de l’homme, thèse : Les Presses Bretonnes, 1934, p. 44 et s. ; J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, thèse préc., p. 447 et s.
  • 45 Une illustration connue est celle de l’affaire du chien nommé Costaud, dans laquelle la Cour d’appel de Lyon a analysé les sommes transmises au nouveau maître de la bête comme une donation avec charge d’en prendre soin (v. Trib. civ. Saint-Etienne, 8 juill. 1957 : D. 1958, p. 124, note R. Nerson, et, sur appel, CA Lyon, 20 oct. 1959, D. 1959, p. 111, note R. Nerson).
  • 46 V. Cass. Req. 25 févr. 1913 : S. 1920.1.220 ; Cass. civ. 28 nov. 1938 : DH 1939, 17, S. 1939.1.55.
  • 47 CA Orléans, 9 oct. 2006, n° 05/02967 : JurisData n° 2006-316566.
  • 48 V. C. Bahurel, Les volontés des morts. Vouloir pour le temps où l’on ne sera plus, thèse : LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2014, préf. M. Grimaldi.
  • 49 L. du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, art. 3, al. 1er : « Tout majeur ou mineur émancipé, en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture ».
  • 50 L. du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, art. 3, al. 2 : « Il peut charger une ou plusieurs personnes de veiller à l'exécution de ses dispositions ».
  • 51 C. civ., art. 806. – Adde Cass. civ. 1re, 14 mai 1992, no 90-18.967 : JCP G 1993. II. 22097, note F.-X. Testu ; RTD civ. 1993. 171, obs. J. Patarin ; Cass. civ. 1re, 31 mars 2021, no 20-14.107 : D. 2022. 528, obs. M. Douchy-Oudot ; RTD civ. 2021. 391, obs. A.-M. Leroyer.
  • 52 V., implicitement, CMF, art. L. 312-1-4. – Adde R. Le Guidec, C. Lesbats, Rép. civ. Dalloz, v° « Succession : liquidation et règlement du passif héréditaire », 2022, n° 18.
  • 53 L. n° 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, I, al. 1er : « Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l'effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès. Ces directives sont générales ou particulières ».
  • 54 L. n° 78-17, 6 janv. 1978, art. 85, I, al. al. 8 : « Les directives mentionnées au premier alinéa du présent I peuvent désigner une personne chargée de leur exécution. Celle-ci a alors qualité, lorsque la personne est décédée, pour prendre connaissance des directives et demander leur mise en œuvre aux responsables de traitement concernés ».
  • 55 La personnalité morale du groupement survit à sa dissolution afin qu’il soit procédé à la liquidation de son patrimoine, conformément à l’article 1844-8, la jurisprudence ajoutant que « la personnalité morale d'une société subsiste aussi longtemps que les droits et obligations à caractère social ne sont pas liquidés », même après la clôture de la liquidation (Com. 26 janv. 1993, n° 91-11.285 : Rev. sociétés 1993, p. 394, note Y. Chartier).
  • 56 C’est l’article 515-15 de la proposition (M. Burgan, Proposition de loi visant à la sécurité et à la protection juridique des animaux de compagnie par la création d’un mandat de protection animale, art. préc., p. 402).
  • 57 C’est l’article 515-15-5 de la proposition (ibid., p. 403).
  • 58 V. not. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil, tome V – Donations et testaments, par A. Trasbot et Y. Loussouarn : LGDJ, 2de éd., 1957, n° 676 ; M. Grimaldi, L’exécuteur testamentaire : Defrénois 15 janv. 2000, p. 7, n° 2.
  • 59 V. F. Terré, Y. Lequette, S. Gaudemet, Les successions. Les libéralités : Dalloz, coll. « Précis », 4e éd., 2014., n° 470 ; F. Letellier, L’exécution testamentaire, thèse : LGDJ, coll. « Doctorat & Notariat », tome 4, 2004, n° 343.
  • 60 Sur ce problème, v. A. Roy, « Je lègue l’universalité de mes biens meubles et immeubles à mon compagnon bien-aimé… Fido ». Les libéralités consenties aux animaux ou l’amorce d’un virage anthropomorphique du droit, in Mélanges offerts au Professeur François Frenette. Études portant sur le droit patrimonial : Presses de l’Université de Laval, 2006, p. 57, spéc. p. 69.
  • 61 V. M. Grimaldi, L’exécuteur testamentaire, art. préc., p. 7, note 5. Les héritiers qui n’auront pas été impliqués par le de cujus dans l’entretien de l’animal ne se soucieront sans doute pas de son sort.
  • 62 Code civil suisse, art. 482 , al. 1er : « Les dispositions peuvent être grevées de charges et de conditions, dont tout intéressé a le droit de requérir l’exécution dès que les dispositions elles-mêmes ont déployé leurs effets ».
  • 63 Sur cette difficulté, v. J.-P. Marguénaud, L’animal en droit privé, thèse préc, p. 410. V. aussi J.-P. Marguénaud, Choupette et l’héritage de son maître : RSDA 2019-1, p. 15, spéc. p. 16.
  • 64 F. Letellier, La réforme de l'exécution testamentaire À propos de la loi du 23 juin 2006 : Droit fam. nov. 2006, étude 47, n° 9.
  • 65 F. Letellier, J.-Cl. Notarial Répertoire, v° « Exécuteur testamentaire » - Fasc. unique : testaments – exécuteur testamentaire, 2016, n° 61.
 

RSDA 2-2023

Doctrine et débats

Présentation du prix Jules Michelet

  • Séverine Nadaud
    Co-responsable du D.U. de Droit animalier
    MCF HDR en droit public
    Université de Limoges

Diplôme universitaire de Droit animalier
12e Promotion - Anne STAMBACH-TERRENOIR (Septembre 2022)


« Si la proposition de loi est un petit pas dans la bonne direction, la protection animale ne se limite évidemment pas aux animaux qui vivent dans nos foyers : nous espérons que la même énergie et la même volonté politique seront déployées pour mettre un terme au calvaire de tous les animaux »
Anne STAMBACH-TERRENOIR, Députée 16ème législature


Il nous paraissait important de débuter notre présentation du Prix Jules Michelet par cette intervention très engagée de la marraine de la 12ème promotion, s’exprimant en hémicycle le 16 janvier 2023 à l’occasion de la discussion d’une proposition de loi relative à l’interdiction de la maltraitance sur les chiens et les chats par colliers étrangleurs.
Anne-Stambach-Terrenoir, actuellement députée élue à l’Assemblée nationale pour la 2ème circonscription de Haute-Garonne, est une ancienne étudiante de notre D.U., diplôme qu’elle avait choisi de suivre en parallèle de son travail d’assistant parlementaire d’un député européen et qu’elle a brillamment obtenu avec la mention Très Bien et les félicitations du jury. Anne Stambach-Terrenoir fait résolument partie de celles et ceux qui ont marqué les enseignants-chercheurs du D.U. par sa très grande curiosité, la pertinence de ses réflexions, son implication et ses grandes qualités humaines. Son engagement politique, qui a commencé bien avant sa victoire aux législatives de juin 2022, a toujours été mis au service de la protection des plus vulnérables et plus particulièrement des animaux. Nul doute qu’elle fait et continuera à faire partie dans les années à venir des personnalités politiques qui comptent et font avancer la cause animale au plan politique, à l’image de Cédric Villani, Loïc Dombreval, Samantha Cazebonne, Corinne Vignon, Aymeric Caron et de bien d’autres encore. Nous ne pouvions donc qu’être particulièrement honorés qu’elle accepte d’être marraine et de participer à la journée d’étude du samedi 17 juin 2023, qui s’est déroulée comme à l’accoutumée sur le campus universitaire de Brive-la-gaillarde.
Cette journée d’étude a été tout d’abord l’occasion d’écouter l’érudite conférence de notre collègue Karl Lafaurie, professeur agrégé de droit privé, qui avait choisi d’aborder la question du mandat en tant qu’instrument juridique approprié pour contribuer à l’entretien de l’animal d’autrui. Pour que les idées avancées par le professeur Karl Lafaurie se diffusent et raisonnent bien au-delà de l’amphithéâtre du campus corrézien, il nous a ainsi fait l’immense plaisir d’accepter de partager cette contribution avec l’ensemble des lecteurs de la RSDA, contribution que vous trouverez à la suite de cette présentation et dont vous apprécierez la rigueur et l’intelligence juridique.
Cette journée d’étude devait également, dans le cadre du concours Jules Michelet, conduire à départager les cinq meilleures propositions de réforme du droit animalier préalablement sélectionnées par les responsables du D.U. parmi les 14 propositions réalisées par les étudiants composant la 12ème promotion. Cette lourde tâche avait été confiée au jury présidé par Jean-Pierre Marguénaud, composé de personnalités particulièrement qualifiées et totalement extérieures au cursus de formation, dont Laura Daydie, représentante de la Fondation 30 millions d’amis partenaire historique du D.U. et présente pour remettre la récompense au nom de Réha Hutin, Présidente de la Fondation 30 millions d’amis.
Etaient ainsi en lice pour l’obtention du prestigieux prix :
- la proposition de réforme visant à limiter l'hypertype chez l'animal de compagnie, présentée par Mathias Elatre,
- la proposition de réforme relative à l'interdiction de dressage et l'utilisation d'animaux d'espèces non domestiques dans le domaine audiovisuel, présentée par Emma Gourmelon,
- la proposition de loi tendant à l'interdiction de la pratique de l'escoussure et du marquage sur les bovins et équidés, présentée par Inès Hélou,
- la proposition de réforme tendant à la mise en place d'un contrat de travail au bénéfice des chiens d'assistance judiciaire, présentée par Lucie Pontès,
- la proposition de réforme tendant à la prohibition de l'attache pour les animaux élevés ou détenus, présentée par Camille Vinai.
C’est ainsi qu’Inès Hélou que le jury a choisi de récompenser du Prix Jules Michelet. Toutefois, Camille Vinai s’est également vue décerner un accessit, plusieurs des membres du jury ayant choisi de la placer en haut du classement. Nous leur renouvelons à toutes les deux toutes nos félicitations et nous invitons ainsi les lecteurs de la RSDA à découvrir leurs travaux reproduits ci-après.
Cette journée d’étude a enfin permis bien évidemment de remettre à tous les étudiants de la 12ème promotion leurs diplômes, précieux sésames reçus des mains de leur marraine Anne Stambach-Terrenoir. Elle les a vivement encouragés tant individuellement que collectivement à œuvrer sans relâche pour l’amélioration de la condition animale, en n’hésitant pas à faire connaitre leurs propositions de réforme, même celles n’ayant pas été primées. Même si ces travaux sont, pour une large part, valorisés par les associations des anciens étudiants du D.U. de droit animalier, il est en effet important que les parlementaires puissent s’en saisir, s’en inspirer dans le cadre de propositions de lois, de dépôts d’amendements, de réalisations d’études, de rapports ou encore de questions posées au gouvernement sur tel ou tel sujet.
La manifestation s’est ainsi clôturée par le traditionnel « Vive le droit animalier », scandé tant par les étudiants, les enseignants que par le public venu assisté à cette journée !

     

    RSDA 2-2023

    Doctrine et débats : Doctrine : Points de vue croisés

    Regards croisés sur la construction d’une personnalité juridique non-humaine : hier la communauté, aujourd’hui l’entreprise, demain l’animal ?

    • Vincent Gobin
      Docteur en droit qualifié MCF
      Institut d'Histoire du droit Jean Gaudemet
      Enseignant contractuel à l'Université d'Orléans
    • Roberta Tiesi
      Doctorante en Droit romain
      Université Paris Panthéon - Assas

    D’un point de vue purement sémantique, le concept de personne représenterait presque l’absence de sujet, en ce qu’il demeure l’antonyme de « quelqu’un ». Si la question de savoir « À qui revient la titularité de tel droit ? » trouve pour réponse « Personne », alors le droit en cause perd toute réalité. Et pourtant, dans la culture juridique, le concept de personne, ce n’est pas rien !
    Ses applications à certains corps civils il y a plusieurs siècles, aux sociétés commerciales de nos jours et possiblement à l’animal dans un avenir proche, alimentent d’inlassables débats notionnels qui sous-tendent des enjeux de civilisation et traduisent surtout une certaine vision du Droit. En l’espèce, si l’idée de personnifier juridiquement les animaux est parfois raillée comme une fantaisie contemporaine, l’approche historique démontre qu’elle n’a rien d’une nouveauté…

    Les amphithéâtres de Deuxième année résonnent de la summa divisio entre les personnes physiques, que sont les individus titulaires de droits subjectifs, et les personnes morales qui endossent la même condition au regard du Droit, alors qu’elles « ne tombent pas sous les sens »1. Suivant cette partition, la personnalité juridique possède deux ramifications : l’une concrète, à destination des seuls êtres humains ; l’autre abstraite, qui débouche sur des entités intangibles (prenant essentiellement la forme de groupements)2.
    Aussi ancrée que soit cette dichotomie, elle demeure la source d’importantes controverses à la frontière entre la technique juridique et les droits fondamentaux. Sur la branche des personnes abstraites, les plus éminents civilistes3 se sont étonnés, au cours des deux derniers siècles, de l’anthropomorphisme qui prétend conférer à un collectif la contexture juridique de l’individu. Bien que la personnalité morale des sociétés soit aujourd’hui au cœur du droit applicable à l’entreprise, l’incontournable Dictionnaire juridique du Doyen Cornu continue d’ailleurs de définir la personne comme un « être »4. Certains commercialistes contemporains rappellent également que « toute construction d’un système de droit […] part de l’homme et revient à l’homme »5.
    Quant à la branche qui s’arrête aux seuls êtres humains, sa délimitation est remise en cause par les interrogations croissantes que le statut de l’animal suscite depuis le début du siècle6. Dix ans après que l’Inde a accordé une « personnalité non-humaine » aux dauphins7, la question se pose de savoir si la condition juridique « d’être vivant doué de sensibilité »8, reconnue à tous les animaux en France depuis 2015, constitue un point d’achèvement ou un simple palier. S’agit-il d’ailleurs d’une véritable « condition juridique », quand ce statut prévoit encore une soumission de principe au régime des biens9 ? En présence d’une telle amorce, la détermination d’une personnalité pleine et entière apparaît comme l’un des horizons possibles de ce mouvement de réforme.
    C’est pourquoi la notion de « personnalité juridique non-humaine »10 pourrait constituer une clé, à l’intersection de la capacité reconnue à certaines entités et de la protection due aux autres créatures du Vivant. Le principal enjeu de la réflexion a trait à la ductilité du concept. En ce sens, chaque application nouvelle à laquelle la personnalité est étendue ne doit surtout pas rompre la cohérence de la notion au regard de ses expressions préexistantes. Sur le plan sociologique, ce mouvement d’extension est souvent perçu comme une transposition de l’enveloppe juridique de l’être humain à d’autres réalités. Dans cette perspective, le fait de chercher à l’étendre jusqu’aux animaux apparaît parfois comme « l’effort de trop », susceptible de provoquer le déchirement du concept11.
    Cette représentation centrée sur la personnalité humaine, qui l’interprète comme l’unité de référence du système, s’avère pourtant discutable d’un point de vue historique. Si, contrairement à une idée répandue, l’être humain n’est pas le maître étalon de la réception de droits subjectifs, la personnalité reconnue à certaines entreprises perd soudain son exotisme, et sa possible attribution à l’animal ne paraît plus si fantasque…
    Aussi convient-il de se demander : dans quelle mesure la conceptualisation des applications non-humaines de la personnalité juridique, de l’Antiquité à nos jours, permet-elle d’envisager son extension à l’animal ?

    Une personnification surajoutée

    Bien que le terme de personne suggère une notion aussi ancienne que l’Homme civilisé, la personnalité juridique ne date jamais « que » des Temps modernes. Les Antiques connaissent bien sûr la chose mais ils ignorent encore l’idée. Le droit Romain établit ainsi des capacités juridiques sans entretenir aucune analogie avec l’individu. Et pour cause : à Rome, le sujet de droit n’est pas la personne. Non seulement certains êtres humains ne sont sujets à aucun droit (les esclaves), mais surtout, l’exercice des droits est toujours subordonné à un statut : celui de citoyen dans la cité ou de pater familias dans la domus.
    En parallèle, la capacité juridique de certaines entités collectives n’attend pas l’émergence de la personnalité juridique. Dès la période républicaine, elle est reconnue aux collegium et aux universitas – ces groupes d’intérêts publics ou privés, qui prennent le plus souvent la forme de communautés de travailleurs12. De telles collectivités se conçoivent donc comme des personnes morales avant la lettre.
    Le même référentiel est conservé dans la France médiévale et jusque sous l’Ancien régime. Les corporations, les ordres et autres compagnies privilégiées agrègent alors des droits en leurs noms pour les transmettre ensuite à leurs membres sur la foi du statut qu’ils leurs confèrent13. L’allégorie organique domine ainsi la monarchie française : les droits appartiennent aux corps sociaux (dont le royaume est le premier de tous) et les individus qui en constituent les cellules ne les recueillent que par leur intermédiaire, d’une façon toujours morcelée. Suivant cette logique, le sujet de droit l’est toujours en tant que membre d’une communauté14 (y compris comme père de famille ou paroissien) ; jamais par la seule raison de son être. Jusqu’à la Révolution : point de droits sans affiliation.
    À partir de la Renaissance et tout au long de l’Ancien régime, les auteurs humanistes s’élèvent toutefois contre cette négation de la valeur sociale intrinsèque de l’être. L’individualisme juridique promeut dès lors l’octroi de droits subjectifs à la personne, sans plus aucun critère d’appartenance. Outre la magnification de l’humain, définir l’individu comme l’unité de base du système juridique permet aussi d’aplanir les inégalités. Les droits du vagabonds et ceux du seigneur tendraient ainsi à s’homogénéiser au motif que l’un et l’autre soient pareillement Hommes.

    L’animal disqualifié par humanisme…

    Dans leur lutte idéologique, les Modernes s’attachent notamment à la notion de droit naturel15 pour légitimer les libertés incompressibles de l’individu : celles qu’il ne devrait pas perdre à son entrée en société et que le contrat social doit toujours lui garantir16. Lors de sa formalisation par les juristes Romains, le droit naturel avait pourtant vocation à s’appliquer autant aux animaux qu’aux êtres humains. D’après les Institutes compilés par le Corpus iuris civilis, ce droit « n’appartient pas en propre à l’homme mais à tous les animaux qui vivent dans l’air, sur la terre et dans les eaux »17. Chez les Antiques, l’animal se conçoit donc comme un véritable sujet de droit !
    Pour autant, il ne s’est jamais agi d’accorder des libertés concrètes aux animaux pour leur préservation. Les seuls traitements privilégiés portent sur les bêtes de somme ou d’élevage18 et renforcent uniquement les conditions d’indemnisation de leurs propriétaires19. Dans cette perspective rigoureusement patrimoniale, l’animal n’est pas le bénéficiaire de la protection. Il constitue seulement le bien à préserver, en vertu de sa valeur toute particulière dans l’économie agraire des premiers siècles de la République. Le meurtre de sang-froid d’un animal relève ainsi de la responsabilité civile, au titre de la destruction d’une chose utile20.
    Dans la pensée juridique romaine, l’idée d’un droit naturel dévolu aux animaux se met donc entièrement au service d’un raisonnement théorique, étroitement dirigé vers l’être humain. L’objectif est en fait de fonder sur un droit immuable certaines institutions comme le mariage, la filiation ou l’éducation des enfants21. Cela permet de magnifier leur caractère sacré au motif qu’elles sont liées à la perpétuation de l’espèce – de n’importe quelle espèce. Malgré ces importantes nuances, l’effacement de l’animal dans ce même domaine, à l’époque moderne, témoigne de l’exclusivité juridique désormais dévolue à l’être humain. La représentation d’un Droit élaboré par l’Homme pour l’Homme s’inscrit alors dans la droite ligne du mythe de Promothée et Epiméthée22
    Poursuivant leurs œuvres, légistes et philosophes parviennent à imposer la personnalité comme « une métaphore populaire »23 dans le renouveau idéologique des XVIIe et XVIIIe siècles. Dans cette perspective, si un quelconque corps social a des droits, c’est parce qu’il est assimilé à un agent humain24 – conçu dorénavant par la doctrine comme l’étalon du référentiel juridique. Chez les tenants de la thèse contractualiste en particulier, l’individu apparaît à la fois comme le ferment et le bénéficiaire du contrat social – dont l’État n’est plus qu’un exécutant25. Cette philosophie est accueillie dans l’ordre légal par la Révolution, qui reconstruit le système normatif sur ce socle à la chute de la monarchie26. Le Code Napoléon parachèvera cette rénovation en 1804, en consacrant l’intégralité de son Livre Ier aux « Personnes », pour énoncer les droits civils individuels (sans que ses articles n’abordent ni les sociétés ni aucun corps intermédiaire).
    Une conséquence impensée de cet anthropomorphisme conceptuel consiste à faire de l’animal une antithèse du sujet de droit27. Le fait de ne pas appartenir au genre humain – soit de ne pas être une personne – paraît dès lors le rendre impropre à tout statut juridique, comme par une forme « d’inéligibilité au droit ». Dans ce référentiel relativement récent à l’échelle de l’Histoire, prétendre accorder des droits à l’animal revient soudain à le personnifier, ce qui suscite la dérision parmi de nombreux détracteurs.
    Pourtant, la personnification tardive de la capacité juridique devrait encore l’autoriser, d’un point de vue purement sémantique, attendu que le terme de personne renvoie primitivement à l’idée de tenir un rôle28. En toute rigueur, il ne s’agit pas de devenir un être humain, mais simplement d’agir comme tel à travers des facultés juridiques similaires. C’est là tout le sens de la personnalité morale. Par là même, le fait d’incarner un personnage sur la scène sociale ne devrait pas se fonder sur l’essence (humaine ou non) des acteurs, mais plutôt se concentrer sur le rôle qu’ils tiennent objectivement dans la société. Or, bien avant l’avènement de cette rhétorique, la propension de l’animal à constituer un objet de Droit est attestée par une histoire juridique foisonnante – tant sur le plan civil que pénal.

    Un objet civil à part dès l’Antiquité

    Sans se voir reconnaître ni capacité ni droits subjectifs, l’animal subit de longue date le Droit comme un acteur à part entière de la Cité.
    Cela provient avant tout de rituels religieux comme celui du bouc émissaire dans l’Ancien Testament. Les saintes Écritures font ainsi de cet herbivore un symbole de justice en le chargeant symboliquement de toutes les « iniquités »29 sociales, avant de l’exiler dans le désert, tandis qu’un de ses congénères doit être offert en sacrifice. Ces deux « méthodes de déplacement de la culpabilité »30 s’inscrivent dans une même recherche d’expiation, qui manifeste à la fois la conscience des Hommes vis-à-vis de leurs péchés et leur intention de les exorciser. Mélange de tradition et de croyance, un tel rite confère en tout cas à l’animal le statut juridique tangible du coupable, au sens de celui qui porte la culpabilité – qui l’incarne physiquement, tel le serpent de la Genèse.
    Dans le Nouveau Testament en revanche, la naissance de Jésus dans une étable, entre l’âne et le bœuf, rappelle aux Chrétiens que Dieu est aussi le créateur des animaux31, et qu’il les a disposés sur la Terre pour y vivre en harmonie avec l’Homme32. La même concorde transparaît dans les écrits de certains philosophes grecs, sensibles à la douleur de l’animal33, et se retrouve aux fondements légendaires de Rome, qui donnent une louve pour nourrice à Romulus et Remus.
    Les romains n’en perpétuent pas moins les sacrifices animaliers au temps du culte polythéiste – davantage pour entretenir une proximité tangible avec les dieux34 que dans l’optique expiatoire suivie par les religions du Livre. Au-delà de ces pratiques spirituelles, le peuple inventeur du Droit accueille explicitement les animaux dans l’ordre juridique. Outre le point d’appui philosophique que l’animalité a pu procurer au droit naturel, le ius civile Quiritum envisage très tôt la réparation du dommage causé par une bête domestique. L’action fondée sur le délit noxia, prévu par la loi des Douze Tables et qui perdure en droit classique35, laisse en l’occurrence deux options au propriétaire : soit indemniser la victime pour le montant du préjudice, soit lui abandonner la bête36. Par là même, l’indemnisation se trouve plafonnée de facto à la valeur de l’animal37.
    Jusqu’ici, la responsabilité du propriétaire pourrait être la même si le dommage était causé par un objet (tel qu’un arbre tombant sur le toit de son voisin par exemple). Cependant, la condition juridique de l’animal prend un tour différent dans le régime de cette action en réparation. En l’espèce, la créance d’indemnisation passe sur la tête du nouveau maître de l’animal s’il fait l’objet d’une cession depuis la commission du délit38. Le bœuf vendu au marché transporte donc avec lui ce passif de responsabilité. Il est encore plus surprenant de remarquer que l’action de la victime s’éteint à la mort de la bête39. Le formalisme romain ne concevant guère de droit sans action, la créance d’indemnité n’existe qu’à travers la vie de l’animal fautif. À ces deux points de vue, les animaux se distinguent foncièrement des simples objets. Res animata, la bête apprivoisée constitue, comme l’esclave40, le support et la condition de certains droits individuels (en plus des droits réels qui s’exercent sur elle). L’animal n’est donc pas entièrement sujet au régime des biens à Rome. Il s’assimilerait plutôt à l’alieni iuris, c’est-à-dire à un être privé de facultés juridiques, placé sous la puissance (la potestas) d’un citoyen doté d’une capacité autonome (sui iuris). En cela, sa condition juridique est y compris voisine de celle d’un fils de famille41.

    Un sujet pénal entier jusqu’aux Temps modernes

    Si ces dispositions civiles s’évanouissent à partir des temps barbares, le Moyen-âge tardif octroi bientôt une place encore plus nette à l’animal au sein de son système pénal. Au sortir de la féodalité, les juridictions royales mettent en effet en scène de véritables procès contre les animaux fauteurs de troubles. Dans le baillage de Falaise en Normandie, une truie comparaît par exemple travestie en homme (avec une veste, des hauts de chausse et des gants) pour répondre de la mutilation d’un jeune enfant42.
    Dans la jurisprudence normande, les jugements animaliers se prêtent particulièrement aux peines réfléchissantes, qui administrent aux bêtes le même mal qu’elles ont infligé à leurs victimes43. Conformément à cette pénologie, le pourceau subit ici l’ablation d’une patte avant d’être pendu par le bourreau, sur le gibet commun aux Hommes. Les archives de l’Aisne ou de la Meuse témoignent de pratiques similaires jusqu’à la Renaissance44.
    Malgré une judiciarisation pittoresque, le schéma de raisonnement demeure très pragmatique : les animaux commettent des interactions sociales que le Droit doit identifier et sanctionner, comme le notait déjà le Livre de l’Exode45. Tout est alors mis en œuvre pour faire de l’animal un justiciable équivalent aux régnicoles46. Une tradition que perpétuera J. de La Fontaine47 dans l’intellectualité du XVIIe siècle…
    Certaines localités vont même plus loin en exerçant leur justice jusque sur des insectes ! Dans ce domaine, le crime est caractérisé lorsqu’une nuée de charançons ou de coléoptères ont déferlé sur un champ dont ils ont ravagé les plants48. Il est évident que de pareils animaux ne peuvent comparaître devant la Cour ni recevoir aucune peine49. Leur condamnation par contumace vise surtout à formaliser l’acte de vol ou de vandalisme qui leur est imputé. Une fois cette puissance extérieure cernée – comme on qualifie de nos jours un cas de force majeure – les paysans et les boulangers se trouvent socialement dédouanés des famines à venir, ce qui évite d’ajouter un climat de tension civile aux difficultés économiques à prévoir.
    L’instance se déroule alors devant les juridictions ecclésiastiques, qui n’hésitent pas à rappeler dans leurs jugements que toute créature de Dieu possède le droit inaliénable de convoiter la nourriture indispensable à sa survie50. Dans cette optique, le fait d’entretenir la vie donnée par le Très-Haut ne saurait relever du péché51. L’essaim d’insectes peut y compris être perçu comme un fléau légitime, envoyé par Dieu lui-même pour châtier une communauté d’Hommes, comme Yavhé avait infligé des criquets à l’Égypte52.
    Nonobstant l’extériorisation de la responsabilité relative aux mauvaises récoltes, de tels procès peuvent dès lors déboucher sur la reconnaissance d’une portion de terres aux insectes mis en jugement. La jurisprudence canonique cherche ainsi à rétablir un équilibre harmonieux entre l’humain et l’animal53. En obligeant les paysans à laisser une partie de leurs champs à l’abandon, les juges épiscopaux prescrivent en fait une « zone tampon » à l’égard des champs cultivés, dans l’espoir que les terres en friches suffisent à satisfaire l’appétit des nuisibles. À nouveau, la mise en scène processuelle renferme une logique pleine de bon sens : si chaque être a sa place sur Terre, respecter celle des autres c’est préserver la sienne…

    Un anthropocentrisme adventice

    Au regard de l’histoire, l’analogie moderne entre personne et sujet de droit ne justifie donc pas la disqualification juridique de l’animal. De surcroît, la doctrine dégage de cette conception deux critères dont l’application aux hypothèses de personnes non-humaines, que sont l’entreprise (en tant que société) et l’animal (comme personnalité à inventer), révèle des résultats troublants.
    Dans la littérature contemporaine, les deux Cerbère de la personnification juridique se nomment en l’occurrence Volonté et Liberté54. Autrement dit, pour être reconnue comme telle, une personne juridique doit vouloir et pouvoir.
    Dans le cas de l’animal, la volonté ne fait guère de doute. Seule la capacité de l’être humain à interpréter ses intentions reste objectivement limitée, mais sa faculté à diriger ses actions ne souffre aucune contradiction. Moins complexe peut-être que celle des Hommes, et forcément plus énigmatique à leurs yeux, la volonté est bien présente chez toutes les créatures animées. Il serait même permis de dire qu’à l’état sauvage, les animaux ne sont que pure volonté, considérant qu’ils y observent très peu de règles ; contrairement à un chien dressé par exemple, auquel l’humain aura appris à dominer ses impulsions. Dans tous les cas, l’animal demeure seul maître de lui-même, notamment dans l’emploi qu’il peut faire de sa puissance physique, et les meilleurs dresseurs préviennent qu’aucune obéissance n’est jamais entièrement acquise…
    Si pour ce premier critère la distinction entre les animaux sauvages et domestiques relève d’une différence de degré, elle tient davantage d’une différence de nature sur la question de la liberté. En l’espèce, l’état sauvage présente de grands périls mais peu de contraintes, alors que la compagnie humaine apporte la sécurité mais impose de nombreuses barrières. Ne serait-ce que dans l’espace, la poule pondeuse, la vache à lait ou la gerbille apprivoisée ne choisissent guère leurs lieux de vie. De fait, la domestication de l’animal ne se conçoit pas sans une certaine forme (plus ou moins lâche) de captivité.
    Dans les formes les plus extrêmes, la liberté est entièrement anéantie, y compris d’un point de vue physique. Ainsi, le lapin pensionnaire d’un clapier à peine supérieur à sa taille n’a guère plus de liberté dans son comportement que les prisonniers des fillettes de Louis XI55. Quant aux formes de captivité les plus douces, même avec les meilleurs traitements, elles imposent immanquablement un certain nombre de dépendances vis-à-vis de l’être humain défini comme le maître. De là découle un jeu permanent de concessions en vue de contre-prestations – revenir à telle heure pour recevoir telle nourriture – qui enraye la liberté originelle de l’animal (sans que ce soit pour autant dommageable). Tout jugement mis à part, et même si la balance entre l’assujettissement et les gains objectifs peut être tout à fait équilibrée, la pleine liberté de comportement demeure l’apanage des animaux sauvages, comme l’illustre fort bien la fable du Loup et du Chien56.
    Sous un angle quantitatif, le « taux de personnification » de l’animal atteindrait donc 1,5/257. Or, l’entreprise configurée sous les traits d’une personne morale obtient un résultat nettement plus faible au même test. Certes, une société commerciale agit selon une volonté distincte de celle de ses membres, mais cela ne signifie pas qu’elle ait par elle-même la faculté psychique de vouloir. La volonté doit en fait être dissociée de la volition58 : à savoir, l’acte qui traduit cette volonté dans les faits. Si cet acte est bien celui de la société, la visée psychologique qu’il poursuit demeure dictée par une catégorie dominante d’associés, s’exprimant selon les procédures prévues par les statuts (Score au test : 0/1).
    Le critère de la liberté est tout aussi trompeur, en ce qu’il semble a priori renvoyer aux agissements autorisés à la personne morale. De ce point de vue cependant, aucun sujet de droit ne serait vraiment libre – la pleine liberté correspondant précisément à l’absence de norme. La liberté dont il s’agit ici est en réalité celle de l’Homme libre, comparativement à l’esclave ; c’est-à-dire la condition juridique d’un être insusceptible d’appropriation (proprietas en droit Romain)59. Dans ce référentiel, une société ne peut jamais être libre : non seulement parce qu’elle est appropriable, mais surtout parce qu’elle sera forcément appropriée ! Il faut bien, en effet, que les titres sociaux soient détenus par des associés. Et si la société peut en racheter elle-même une certaine fraction (dans des conditions très exceptionnelles)60, l’auto-détention de l’intégralité du capital conduirait à son extinction – puisqu’elle n’aurait plus aucun membre (Taux de personnification : 0/2).
    Par conséquent, si l’animal n’est pas toujours susceptible de personnification d’après les critères anthropomorphiques du concept, l’entreprise quant à elle ne le serait tout simplement jamais.

    Le critère objectif de l’intérêt particulier

    C’est pourquoi d’importants auteurs proposent de relativiser l’anthropomorphisme métaphorique du sujet de droit61. Dans cette perspective, la personnification le cède à une forme de patrimoine juridique constitué de droits propres. Cette lecture justifie notamment que l’aliéné ou l’infans demeurent considérés comme des personnes malgré leur carence de volonté. Le titulaire de droits n’est donc plus celui qui se trouve en capacité de les exercer (par l’effet d’une volonté libre), mais celui que ces droits ont vocation à protéger, parce qu’il représente un intérêt distinct et particulier.
    De ce point de vue, la personnalité morale reconnue à l’entreprise ne se justifie plus par une supposée analogie avec l’être humain. Elle se fonde seulement sur le fait que sa recherche du profit représente un intérêt différent de celui de chacun de ses membres. Il s’agit dès lors de protéger, dans la sphère sociale, l’intérêt autonome que les associés font exister par leur réunion. Cette lecture passe ainsi d’un droit magnifiant l’expression de la puissance à un droit orienté vers la préservation de la valeur. Dans cette perspective, personnaliser le Droit – au sens d’attribuer des garanties juridiques à un agent social particulier – ne réclame plus forcément d’en personnifier le sujet, dans un transport d’humanité quasi-mystique…
    Débarrassée des enjeux physiologiques de l’anthropomorphisme, cette « personnification purement technique »62 trace une nouvelle voie d’accès à la personnalité pour l’animal. La question se réduit dès lors au seul point de savoir si l’existence des autres créatures du Vivant mérite ou non une protection63. La reconnaissance d’un patrimoine à l’animal apparaît aussitôt comme le procédé le plus rectiligne pour traduire juridiquement les bienfaits que l’être humain peut vouloir lui prodiguer64, ou pour formaliser une limite aux atteintes qui peuvent lui être portées. Outre la gratification et l’interdit, cette enveloppe pourrait y compris recueillir les honneurs, très ancrés dans la tradition militaire Française65, par lesquels les chiens des unités cynophiles sont fréquemment distingués.
    Le point d’équilibre de cette considération juridique (et à la fois son fondement moral) consisterait dans la disposition de l’animal à éprouver lui aussi du plaisir ou de la souffrance66. Ce double enjeu émotionnel67 suffit en effet à différencier cet « être sensible » de tout objet matériel, pour expliquer que le propriétaire ne puisse impunément briser l’un comme il y serait autorisé pour l’autre…
    Puisque la souffrance n’est guère l’apanage du genre humain, la barbarie s’étend aussi à la douleur infligée aux autres espèces. Par là même, il n’est nul besoin que la victime d’un mauvais traitement soit « faite Homme » pour que sa sensibilité doive être protégée ; non seulement dans son intérêt, mais aussi dans celui de la civilisation humaine. De fait, tout individu est objectivement intéressé à vivre dans une société qui proscrit les sévices et s’emploie à faire preuve d’humanité au sens philosophique du terme.
    Une fois l’intérêt animalier défini, et son reflet dans la communauté des Hommes identifié, la question n’est donc plus de faire de l’animal un « nouveau cas d’être humain fictif » au regard de la législation. Comme dans l’hypothèse des entités plurielles et désincarnées que sont les sociétés de commerce, il s’agit uniquement d’emprunter un procédé éprouvé – assorti d’une image parlante – pour accorder au sujet de droit non-humain les attributs juridiques de l’Homme (voire « les attributs de l’homme juridique »)68.

    Un mode de protection… parmi d’autres

    À la différence de l’entité organisée qu’est l’entreprise – régie par des procédures internes et incarnée par des organes sociaux – il est constant que l’animal ne peut revendiquer lui-même ses droits. Qu’il soit défini ou non comme une personne, le secours d’un tiers défenseur lui restera par conséquent indispensable. Pas davantage qu’à l’infans ou à l’aliéné, répliquera-t-on ; mais ces deux individualités sont réceptrices des droits élaborés pour les autres agents sociaux humains.
    Puisqu’aucun animal ne peut réclamer justice ni revendiquer de nouveaux droits, la question demeure de savoir de quelles garanties serait-il titulaire et dans quelles conditions seraient-elles exercées (nécessairement via des êtres humains). De fait, l’enveloppe que constitue la personnalité juridique ne confère aucune protection effective si elle reste vide. À ce titre, un procédé technique ne saurait se substituer à la politique juridique.
    Sur le plan patrimonial par exemple, les animaux forestiers pourraient être considérés comme partiellement propriétaires des bois qui les abritent. Cette quotité correspondrait alors aux arbres à protéger pour le bien de la faune – à l’instar des jachères dévolues aux insectes au Moyen-âge. Toute déforestation de cette zone entraînerait ainsi une créance de réparation. Son exécution ne serait évidemment pas monétaire, mais pourrait prendre la forme de diverses prestations écologiques, comme la construction d’écoponts, la livraison régulière de nourriture ou la replantation d’arbres de la même variété. Cette autonomie juridique justifierait aussi le caractère inappropriable de certaines espèces – aujourd’hui énoncé par la voie réglementaire sans logique d’ensemble.
    Il importe de préciser que, contrairement aux réactions que l’idée pourrait susciter, ce changement matriciel ne s’accompagnerait pas nécessairement d’une révolution de grande ampleur dictée par l’idéologie animaliste. Une telle réforme pourrait même s’effectuer à droit constant. Pour prendre cette illustration emblématique : au lieu d’autoriser la chasse par principe en l’interdisant par certains aspects, le système serait seulement inversé. Le principe deviendrait alors la préservation de la vie animale, avec les exceptions fixées par le législateur ; lesquelles exceptions pourraient englober l’intégralité du régime actuel si la représentation nationale le décide. Après tout, il n’est pas interdit de se réunir pour causer la mort d’une personne, du moment qu’elle est morale69… !
    La Colombie s’est déjà orientée dans cette voie en 2018, lorsque la Cour suprême de cet État a reconnu la qualité de sujet de droit à la portion de la forêt amazonienne faisant partie de son territoire70.
    Un doute subsiste néanmoins sur le point de savoir si le sanglier qui enfonce le pare-choc d’un automobiliste devrait être symétriquement tenu de le dédommager. Bien que sa responsabilité pénale ne puisse pas plus être engagée que celle d’un enfant ou d’un aliéné – faute d’être conscient du caractère fautif de ses actes – une créance d’indemnité (à solder en arbres à couper) pourrait-elle grever son patrimoine forestier ? Une personnalité juridique animalière ferait alors peser le risque de soumettre la nature tout entière à un vaste régime transactionnel…
    Pour éviter cet écueil, il serait tout aussi plausible d’envisager, à l’autre extrémité du spectre juridique, d’assimiler l’animal à une composante du bien public qu’est l’environnement. Dans cette hypothèse patrimonialisée, tout citoyen avoisinant la forêt se verrait reconnaître l’intérêt à agir pour attraire en justice l’auteur d’une atteinte à l’habitat des sangliers, en arguant d’un préjudice personnel : ces animaux faisant partie d’un bien appartenant à tous. La défense de l’animal au sein de son environnement – qui est bien l’enjeu politique sous la controverse notionnelle – serait ainsi ramenée à la portée de tous les êtres humains, étant entendu que ces derniers demeurent les seules créatures intellectuellement perméables au Droit.
    De ce point de vue, l’animalité serait peut-être plus simple à protéger en tant que bien public que sous les traits d’une personne privée. Sur toute la surface de l’œkoumène se déploierait ainsi un « droit patrimonial de la nature » à portée d’homo sapiens…

    • 1 J. CARBONNIER, Le Droit civil. Les personnes, Paris, P.U.F. (13e éd.), coll. Thémis, 1980, p. 393.
    • 2 Bien qu’il existe un type de société composée d’un seul associé (l’E.U.R.L.).
    • 3 Voir F. LAURENT, Principes de droit civil, t. 1, Bruxelles, Bruylant, 1869, n° 288 : « À la voix du législateur, un être sort du néant, et figure sur un certain pied d’égalité à côté des êtres réels créées par Dieu » ; ainsi que M. PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, t. 1, Paris, L.G.D.J. (actualisé par G. Ripert, J. Boulanger), 1950, p. 273 : « Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que les véritables sujets de droit restent les Hommes et qu’il n’y a d’autres personnes que les personnes humaines ».
    • 4 Vis Personne, dans G. CORNU (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, P.U.F. (12e éd.), Association Henri Capitant, 2016.
    • 5 I. TCHOTOURIAN, Vers une définition de l’affectio societatis lors de la constitution d’une société, Nancy, L.G.D.J. – Lextenso, coll. Bib. de Droit privé (t. 522), 2011, p. 605.
    • 6 Voir C. REGARD, S. SCHMITT, C. RIOT, La personnalité juridique de l’animal, Paris, LexisNexis, 2018, spéc. Chap. 2 : « Une convergence pluridisciplinaire en faveur de la personnalité juridique de l’animal ».
    • 7 Cette décision répondait à l’appel du « groupe d’Helsinki », un comité scientifique auteur d’une pétition pour les droits de certaines espèces de cétacés, sur le fondement des actes d’intelligence et de sociabilité dont leurs individus sont capables. (Cf. « The Declaration », dans Cetaceans Rights by the Helsinki Group, consultée en ligne le 25 juillet 2023, sur le site cetaceanrights.org).
    • 8 Cf. Loi n° 2015-177, 16 février 2015, art. 2.
    • 9 Cf. C. civ., art. 515-14 : « […] Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ».
    • 10 Voir G. DELAVAQUERIE, « Les personnes juridiques », dans Les indispensables du droit des personnes, Paris, Ellipses, coll. Plein Droit, 2017, pp. 13-18.
    • 11 Voir R. DEMOGUE, « La notion de sujet de droit, caractères et conséquences », dans R.T.D. Civ., t. 8, 1909, pp. 611-655, p. 637 : « Tout le monde, sauf de rares exceptions, se récrie : faire de l’animal un sujet de droit, quelle horreur ! Quelle abomination ! À entendre ces cris, ne semblerait-il pas qu’il s’agit de leur donner quelque décoration et d’imiter Héliogabale faisant son cheval consul ? ».
    • 12 Voir J. VALÉRY, « Comment fut formée la théorie de la personnalité morale des sociétés commerciales », dans Mélanges Gény, t. 1, Paris, 1934, pp. 100-104.
    • 13 Voir A. BIHR, Le premier âge du capitalisme (1415 – 1763), t. 2, Paris, Syllepse, 2019, p. 473.
    • 14 Sous la plume des premiers professeurs de droit Français, la notion de « personne civile » se rapporte invariablement à une entité collective (notamment les municipalités). Cf. POTHIER, Traité des personnes et des choses, Paris, M. Dupin (éd. posth.) 1825, n° 201.
    • 15 Cf., à titre d’exemple, H. F. D’AGUESSEAU, Œuvres complètes du Chancelier D’Aguesseau, t. 14, Paris, Fantin et Cie (éd. posth.), 1819, p. 598, définissant le droit naturel (qu’il distingue du droit des gens), comme « ce que la raison naturelle établit entre les hommes, ce qui s’observe de la même manière chez tous les peuples de la Terre ».
    • 16 Cf., pour une illustration particulière, T. HOBBES, Léviathan, Paris, Sirey (rééd. 1971, trad. F. Tricaud), 1651, p. 285, présentant « le droit de nature » comme « la liberté naturelle de l’homme ». Voir également, pour analyse, J. NESTOR, « Pierre Crétois, Le renversement de l’individualisme possessif, De Hobbes à l’État social », dans Lectures, Les comptes rendus, 20 avril 2015, p. 3 : « Le libéralisme des physiocrates s’appuie sur une conception normative du droit naturel ».
    • 17 Cf. « Institutes », dans C.I.C., liv. I, tit. II, §1.
    • 18 Cf. GAIUS, « Au livre 7 sur l’Édit provincial », in C.I.C., Dig., liv. IX, tit. II, 1, §2 : « La loi met au rang des esclaves les animaux qui forment un troupeau, comme les brebis, les chèvres, les bœufs, les chevaux, les mulets et les ânes » ; l’auteur ajoutant à cette énumération les éléphants et les chameaux domestiques, considérant qu’« ils rendent les mêmes services que les bêtes de somme ».
    • 19 Cf. ULPIEN, « Au livre 18 sur l’Édit », in Ibid., 27, §5 : « À l’égard des autres choses, exception faite des hommes et des animaux, celui qui aura causé quelque dommage en brûlant, rompant, brisant, sera condamné à condamner au maître de la chose le prix le plus haut que la chose aura valu » ; et Ibid., §6 : « Celui qui, sans avoir tué un homme ou un animal, l’avoir brûlé ou estropié, sera soumis à la peine portée par ce troisième chef ». Il se déduit de cette exception que l’indemnité exigible pour la destruction d’une chose lambda est de rigueur pour la simple altération d’un animal ou d’un esclave, pour prendre en considération le manque à gagner qui peut en résulter pour le propriétaire.
    • 20 Cf. Ibid., 7, associant le fait de tuer un animal à la responsabilité acquilienne (ancêtre de notre responsabilité délictuelle).
    • 21 Cf. « Institutes », op. cit., §1 : « De là descend l’union du mâle et de la femelle, que nous appelons mariage, la procréation des enfants et leur éducation. En effet, nous voyons que les autres animaux semblent reconnaître ce droit ».
    • 22 Dans la mythologie grecque, ces deux titans chargés de répartir les ressources entre les différentes espèces volèrent le Feu pour le donner à l’humanité qui, à défaut de griffes ou de venin, devint alors la seule espèce dotée du génie – tout politique – d’administrer les cités.
    • 23 L. MICHOUD, L. TROTOBAS, La théorie de la personnalité morale et son application au droit Français, t. 1, Paris, L.G.D.J. (3e éd.), 1932, p. 39.
    • 24 Cf. notamment Vis Corps et communauté, dans C. FERRIÈRES, Dictionnaire de droit et de pratiques, t. 1, Paris, Bauche (nouv. éd.), 1771, observant que « les villes, les universités, les collèges, les hôpitaux, les chapitres [assemblée d’une confrérie], les maisons religieuses […] tiennent lieu de personnes », au motif que ces entités « peuvent posséder des biens et sont capables de donations, de legs et de successions testamentaires ».
    • 25 Voir M. PARMENTIER, « Hobbes et le libéralisme », dans Cahiers philosophiques 2008/4, n° 116, pp. 87-104, p. 95 ; ou L. STRAUSS, « Commentaire de La Notion de politique de Carl Schmitt », dans H. MEIER, Carl Schmitt, Leo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, Paris, Julliard (trad. F. Manent), 1990, p. 140, insistant sur la créance dont l’État est débiteur envers l’agent social dans la pensée contractualiste.
    • 26 Cf. « Décret du 21 septembre 1792 » (consultable sur le site conseil-constitutionnel.fr) : « La Convention déclare : […] 2° Que les personnes et les propriétés sont sous la sauvegarde de la nation » ; ainsi que « Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen », 24 juin 1793 (consultable sur le site conseil-constitutionnel.fr), art. 8 : « La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la protection de sa personne, de ses droits et de ses propriétés ».
    • 27 Voir M. PLANIOL, op. cit., p. 273 : « Ce n’est pas à raison de leur corps vivant que les Hommes ont la personnalité, puisque les animaux ne l’ont pas ; c’est à raison de leur esprit ».
    • 28 Étymologiquement : Per sonare, « ce par quoi passe le son », pour désigner un masque dans le théâtre antique. (Voir Vis Personne, dans F. GAFFIOT, Dictionnaire Latin – Français : Le Grand Gaffiot, Paris, Hachette (rééd.), 2018).
    • 29 La Sainte Bible (T.O.B.), Lévitique, ch. 16, vers. 22.
    • 30 H. MACCOBY, « Le bouc émissaire : le double rite », dans Pardès, 2002/1, n° 32, pp. 135-145.
    • 31 D’après la Genèse, Dieu crée les animaux du ciel et de la mer le cinquième jour, puis les espèces terrestres le sixième jour, au même moment que l’homme et la femme (Cf. La Sainte Bible (T.O.B.), Genèse, ch. 1, vers. 20-25).
    • 32 Cf. dans le même sens, PAUL (St), « Épître aux Romains », dans Ibid., Nouv. Test., Livre des épîtres, ch. 8, vers. 21 : « La créature elle-même sera libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu ».
    • 33 Voir X. TCHAMALATDINOV, C. LIEUTET, « L’évolution du discours juridique sur l’animal depuis l’Antiquité », dans Village de la Justice, parution en ligne, mai 2022, I/A, revenant notamment sur le végétarisme prêché par Pythagore ou Plutarque, qui « s’indignaient du régime carnivore […] en déplorant la violence infligée à l’animal, le sang versé inutilement ».
    • 34 Voir X. PERROT, « Le geste, parole et le partage : Abattage rituel à Rome », dans R.S.D.A., 2010/2, pp. 275-289 : « Dans le monde romain, sacrifier revient à faire acte de commensalité avec les Dieux » ; ainsi que N. BOËL-JANSSEN, « Le rôle de l’animal dans la religion romaine : la spécificité des rites et mythes féminins », dans M. BESSEYRE, P. Y. LE POGAM, F. MEUNIER (dir.), L’animal symbole, Aubervilliers, C.T.H.S., 2019, n° 3 : « L’animal sacrificiel est un simple moyen de communication entre l’humain et le divin ».
    • 35 Cf. ULPIEN, « Au livre 18 sur l’Édit », op. cit., 1 : « Si un animal a causé quelque dommage, il y a à ce sujet une action qui descend de la Loi des Douze tables ».
    • 36 Cf. Ibid. : « Cette loi a voulu que la maître en ce cas fut obligé d’abandonner l’animal si mieux il n’aime offrir d’en payer l’estimation ».
    • 37 Cf. Ibid., « Au livre 53 sur l’Édit », in C.I.C., Dig., liv. XXXIX, tit. II, 7, §1 : « Les animaux qui ont fait quelques dégâts ne nous obligent pas au-delà de leur valeur, puisque nous pouvons les abandonner pour servir de réparation ».
    • 38 Cf. Ibid., « Au livre 18 sur l’Édit », op. cit., §12 : « L’action suit son auteur dans toutes les mains où il passe ».
    • 39 Cf. Ibid., §13 : « Si l’animal est mort avant la demande, l’action s’est éteinte ».
    • 40 Cf. Ibid., §12 : « Il en est à l’égard des animaux comme à l’égard des esclaves ».
    • 41 Voir A. MIGNOT, « La place de l’esclave dans le ius obligationum romain », dans Dialogues d’histoire ancienne, 2007/1, n° 33, pp. 85-98, p. 89 : « Il convient de se remémorer que les enfants, fils de famille, dans la Rome archaïque, ne disposent guère plus de droits que les esclaves ».
    • 42 Voir F. GANELON, Histoire de la ville de Falaise, Falaise, Brée l’Aîné, 1830, p. 83.
    • 43 Voir, pour divers exemples médiévaux, M. DESNOIRETERRES, Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie, t. 4, 1830, pp. 309 s.
    • 44 Cf. Arch. Dptales de l’Aisne, collection numérisée : ABBAYE SAINT-MARTIN DE LAON, « Minutes du Procès Lenffant », Laon, reproduction dactylographiée, 4 juin 1494 : « Ung jeune porciau eust estranglé et deffait ung jeune enfant estant au berseau, filz de Jehan Lenffant, vachier, […] Nous, en detestation et horreur du dit cas, adfin de exemplaire et garder justice, avons dit, jugé, sentencié, […] le dit porciau estant detenus prisonnier ou enfermé en la dicte abbaye, sera par le maistre des haultes œuvres, pendu et estranglé en une fourche de bois » ; ainsi que Ibid., série H. 1508, n° 652, rapportant un cas équivalent, résolu par l’immolation de la bête en 1612 dans la commune de Molinchart ; ou encore Arch. Dptales de la Meuse, série H. 1862, liasse n° 21.
    • 45 Cf. La Sainte Bible (T.O.B.), op. cit., Livre de l’Exode, ch. 21, vers. 28 : « Si un bœuf encorne un homme ou une femme et cause sa mort, le bœuf sera lapidé et l’on n’en mangera pas la viande, mais le propriétaire du bœuf sera quitte ».
    • 46 Voir, à titre de synthèse, D. CHAUVET, La personnalité juridique des animaux jugés au Moyen Âge, Paris, L’Harmattan, 2012.
    • 47 Cf. J. LA FONTAINE (DE), « Les animaux malades de la peste », dans Ibid., Second recueil dédié à Madame de Montespan, Paris, liv. II, Fable n° 1, 1679 : « Le Lion tint conseil, et dit : Mes chers amis ; Je crois que le Ciel a permis ; Pour nos péchés cette infortune ; Que le plus coupable de nous ; Se sacrifie aux traits du céleste courroux ; Peut-être il obtiendra la guérison commune » ; où l’on voit les animaux organiser une instance pénale entre eux à l’état sauvage.
    • 48 Voir É. AGNEL, Curiosités judiciaires et historiques du moyen-âge : Procès contre les animaux, Paris, Dumoulins, 1858, pp. 21 s.
    • 49 Voir É. F. LANTIER (DE), Œuvres complètes d’Étienne-François de Lantier : Chevalier de Saint-Louis, membre des académies de Marseille, de Florence et de Rome, Paris, Arthus Bertrand, 1836, p. 455 ; l’auteur précisant que la condamnation judiciaire s’accompagne souvent d’une excommunication.
    • 50 Voir L. MANABRÉA, De l’Origine, de la forme et de l’esprit des jugements rendus au Moyen âge contre les animaux, Chambéry, Puthod, 1846, p. 71.
    • 51 Cf. F. MALLEOLUS, dit HEMMERLIN, Traité des exorcismes, Bologne, 1497, p. 92 : « [Le tribunal réaffirma] que lesdites larves étaient des créatures de Dieu, qu’elles avaient donc le droit de vivre ; qu’il serait injuste de les priver de subsistance ».
    • 52 Cf. La Sainte Bible (T.O.B.), op. cit., Livre de l’Exode, ch. 10, vers. 1-2, (8e plaie).
    • 53 Cf. F. MALLEOLUS, dit HEMMERLIN, op. cit., p. 92 : « [Le tribunal] les relégua en une région forestière et sauvage, afin qu’elles n’eussent désormais plus prétexte de dévaster les fonds cultifs [sic]. Et ainsi fut fait ».
    • 54 Voir A. MANCINI, La personnalité juridique dans l’œuvre de Raymond Saleilles, Synthèse de l’ouvrage De la personnalité juridique, Paris, Buenos Books international, 2007, p. 45.
    • 55 L’appellation de « fillettes » désigne a posteriori les cages de fer, souvent suspendues au-dessus du sol, dans les prisons royales, dont la taille était étudiée pour que les détenus ne puissent tenir ni debout ni coucher.
    • 56 Cf. J. LA FONTAINE (DE), « le Chien et le Loup », dans Ibid., Fables de La Fontaine, Livre I, 1668, fable n° 5 : « […] Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas ; Où vous voulez ? – Pas toujours, mais qu’importe ? ; Il importe si bien, que de tous vos repas ; Je ne veux en aucune sorte ».
    • 57 Volonté : Oui dans toutes les hypothèses (1) ; Liberté : Oui à l’état sauvage (0,5) – Non à l’état domestique (0).
    • 58 Voir A. MANCINI, op. cit., p. 37.
    • 59 Soit la faculté dévolue à une chose d’intégrer le patrimoine d’un sujet de droit (qui s’apparente à une modalité réelle, alors que la propriété moderne se conçoit plutôt comme un droit personnel ou subjectif).
    • 60 Cf. C. com., art. L. 225-206, I, posant un interdit de principe ; et Ibid., II, renvoyant aux dispositions réglementaires pour certaines hypothèses dérogatoires.
    • 61 Voir notamment J. CARBONNIER, op. cit., p. 397 :« Qu’est-ce qui fait la personnalité ? Ce n’est pas le corps, ce n’est même pas la volonté […]. C’est l’aptitude à être sujet de droits, à acquérir des droits ».
    • 62 J. P. MARGUÉNAUD, « Actualité et actualisation des propositions de René Demogue sur la personnalité juridique des animaux », dans Revue juridique de l’environnement, 2015/1, vol. 40, pp. 73-83.
    • 63 Voir, dans le prolongement de cette idée, D. CHAUVET, « Quelle personnalité juridique est digne des animaux ? », dans Droits, 2015/2, n° 62, pp. 217-234 : « Qui dirait sérieusement que les animaux, lorsqu’ils sont protégés, ne le sont pas pour eux-mêmes ? […] Il est incontestable que l’éthique présidant à la protection des animaux en tant qu’individus est celle d’un devoir direct envers les animaux ».
    • 64 Voir R. DEMOGUE, op. cit., p. 637 : « Si une personne veut laisser une rente pour entretenir un animal, n’est-il pas plus simple, plus près de la réalité, de dire que cet animal a une rente, au lieu d’admettre ces procédés alambiqués consistant à dire : on pourra léguer une rente à n’importe quelle personne à charge pour elle d’entretenir l’animal ? ».
    • 65 Dès la bataille d’Austerlitz, le Maréchal Lannes n’avait pas manqué de décorer le chien-soldat Moustache, pour être parvenu (au prix d’une fracture à la patte) à récupérer l’étendard du 40e régiment de ligne, tombé aux mains des Autrichiens. La plaque d’argent montée sur son collier intimait alors « qu’il soit respecté partout comme un brave ».
    • 66 Voir en ce sens J. P. MARGUÉNAUD, op. cit., p. 78.
    • 67 Voir R. DEMOGUE, op. cit., p. 620, soulignant qu’« envisagé de cette façon, le droit apparaît comme une chose infiniment belle, comme étant en quelque sorte la communion, le terrain de rapprochement de ceux qui peuvent souffrir » ; après avoir rappelé que « le but du droit est la satisfaction, le plaisir », pour en déduire que « tout être vivant qui a des facultés émotionnelles, et lui seul, est apte à être sujet de droit ».
    • 68 P. J. DELAGE, La Condition juridique de l’animal, Essai juridique sur les justes places de l’Homme et de l’animal, Limoges, thèse de doctorat (version dactylographiée), 2013, p. 250.
    • 69 Cf. C. civ., art. 1844-8, 4°, permettant aux associés de mettre fin à tout moment à la vie de leur société.
    • 70 Voir M. PRIEUR, « Que faut-il faire pour l’Amazonie ? », dans Revue de l’Environnement, 2019/4, vol. 44, pp. 665-669, p. 666.
     

    RSDA 2-2023

    Doctrine et débats : Doctrine

    L’attribution de la qualité de « sujet de droits » aux espèces des tortues et requins dans la province des îles Loyauté

    • Juliette Tissot
      ATER en droit privé
      Université Paris I Panthéon Sorbonne

    La délibération n° 2023-28/API du 29 juin 2023 relative au code de l’environnement de la province des îles Loyauté1 constitue-t-elle une révolution juridique ?
    Si l’on retient l’acception du mot « révolution » dans son sens initial, c’est-à-dire le retour au point de départ après un mouvement circulaire, l’interrogation appelle une réponse positive : la délibération précitée marque bien le retour de la communauté kanak aux fondamentaux de sa culture. Dans le droit fil du statut de la Nouvelle-Calédonie issu des accords de Matignon qui a vu la reconnaissance des institutions, des langues et du droit kanak, tels le statut civil des personnes et la propriété coutumière, cette délibération a pour objet de renouer le lien ancestral entre le peuple des îles et sa terre2.
    Si l’on privilégie l’acception plus commune de changement brusque et violent, la réponse est sans doute plus nuancée.
    En érigeant comme « entités naturelles sujets de droits » deux espèces d’animaux totémiques de la culture kanak, une brèche dans l’ordonnancement juridique classique a-t-elle été ouverte ? Les rumeurs d’éclatement du Livre Ier du Code civil renaissent.
    Le débat ontologique est ancien ; la querelle – philosophique d’abord, juridique ensuite – paraît byzantine. Après l’implacable dualisme cartésien selon lequel l’animal ne serait rien d’autre qu’un automate incapable de souffrir, les philosophes semblent converger. La Fontaine, Condillac, Montesquieu : tous développent l’idée de l’animal sensible, « titulaire » de devoirs de la part de l’homme – « je vois un sentiment exquis dans mon chien, mais je n’en aperçois aucun dans un chou » écrivait déjà, en son temps, Rousseau. La question ne se cantonne pas à l’animal et s’étend rapidement aux relations qu’entretient l’homme avec la nature. Bien après Montaigne pour qui la nature est une Mère, les professeurs Ferry et Serres s’opposent sur les théories du droit : le premier prône un droit humaniste anthropocentré3, le second, un contrat naturel forgé par l’idéologie de l’écocentrisme4. L’article de Monsieur Christopher Stone – « Should Trees Have Standing ? »5 – propulse le débat dans la sphère juridique. Alors que la Walt Disney Company ambitionne de dégrader une forêt de séquoias pour ses projets, le juriste américain s’interroge sur la possibilité de conférer aux entités non humaines un droit à être représentées en justice.
    Depuis, l’influence de ce dernier article avant-coureur ne se tarit pas et influence quantité de législations portées par la philosophie écocentrique. Certaines offrent la qualité de sujet de droit à la nature en général : c’est le cas de la Pacha Mama6 en Équateur et en Bolivie, tous deux précurseurs en la matière. D’autres, ensuite, la destinent à certains éléments de la nature : c’est le cas, en 2017, du parlement de la Nouvelle-Zélande lorsqu’il qualifie de sujet de droit le fleuve Whanganui, « objet » de vieilles querelles entre les chefs Maori et le gouvernement du pays. La décision est historique : même si elle visait, pour partie, à résoudre la problématique de l’exploitation intensive du fleuve7, la consécration permet surtout au droit néo-zélandais de reconnaître l’existence de la cosmologie ancestrale des Maoris8 et la croyance selon laquelle existerait, entre les tribus et le fleuve, une confusion quasi biologique – « je suis le fleuve et le fleuve est moi »9. Depuis, la décision ne cesse d’inspirer : le pays lui-même d’abord lorsqu’il accorde la personnalité juridique au parc national, Te Urewera10 ; d’autres états ensuite, comme l’Uttarakhand avec le Gange et le Yamuna11 ou la Colombie avec le fleuve Atrato12.
    Cette impulsion, venue d’ailleurs, rencontre un certain écho en France13. Les déclarations régionales visant à attribuer des droits aux éléments naturels (le fleuve Tavignanu corse14 ou plus généralement la Loire15) se propagent. La loi n° 95-101 du 2 février 1995 rappelle le besoin de développement des générations futures16 quand, de son côté, la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 consacre la reconnaissance de l’animal comme être vivant doué de sensibilité17. Dans cette nouvelle philosophie, l’homme n’aurait aucun « privilège particulier à faire valoir »18, ce qui entraînerait la fin du « dualisme entre les hommes et le reste de la nature »19. L’abandon de l’« homocentrisme »20 annoncerait le début du « monisme » et permettrait de forger les philosophies de la deep ecology et de l’antispécisme. La première, directement inspirée des peuples primitifs21, viserait à établir une logique de réciprocité avec la nature ; la seconde projetterait l’abolition de toute discrimination forgée sur le critère de l’espèce22. En tout état de cause, ces deux mouvements signent la fin de la « tendance à la magnification de l’homme »23 : celui-ci cesse d’être la mesure de toute chose. La rupture avec la conception anthropocentrique des rapports entre la nature et l’homme est entamée : la nature est autrement plus qu’une étendue de matière utile aux hommes24. Elle est « bonne en soi indépendamment de toute cause (parce que Dieu l’a créée) et de toute conséquence (parce qu’ainsi les gens seront plus heureux ou plus vertueux) »25 et mérite, de ce fait, une protection intrinsèque.
    La culture kanak est particulièrement sensible à cette philosophie écocentrique26. Son histoire précoloniale démontre un rapport très particulier (qualifié de rapport « enchanté »27 par Monsieur Victor David) de l’homme à la nature. En ce sens, les kanak seraient depuis toujours plongés dans une forme « d’indifférenciation » avec elle, notamment démontrée par l’utilisation, en langue kanak, des mêmes termes pour qualifier les organes du corps humain et certaines plantes. Complémentaires, il y aurait « entre l’homme et l’arbre une identité de structure et une identité de substances »28 ; la nature ferait ainsi corps avec l’homme. Véritable « décalque » inverse de l’affirmation jadis posée par Monsieur David Bollier (« demandez à des peuples indigènes s’ils “possèdent” leur terre, ils vous répondront que c’est leur terre qui les possède »29), l’article 110-3 du code de l’environnement de la Province des îles Loyauté30 avait indiqué que « l’homme appartient à l’environnement naturel qui l’entoure et conçoit son identité dans les éléments de cet environnement [qui] constitue le principe fondateur de la société kanak ». Le terrain était ainsi préparé à la reconnaissance plus spécifique de certaines entités juridiques naturelles (I). Les conséquences qu’elle entraîne sur l’architecture du droit français doivent être interrogées (II).

    I. La reconnaissance de la qualité de sujet de droits aux espèces des requins et tortues marines : implications concrètes

    La délibération du 29 juin 2023 constitue un système original présentant des innovations qui ne peuvent manquer d’intéresser le juriste. Elle n’est pas une proclamation symbolique, prétexte à injonctions non impératives. Elle reconnaît des droits fondamentaux aux entités naturelles (A), institue un mode de représentation spécifique et leur octroie une pleine capacité à agir en justice (B).

    A. Des droits fondamentaux pour les entités naturelles impliquant des obligations pour la communauté

    À l’égard des espèces animales et végétales, l’article 241-2 du code de l’environnement de la province des îles Loyauté édifie trois niveaux de protections distincts : un régime de protection ordinaire, spéciale ou renforcée. Les deux premiers relèvent des catégories classiques. Le troisième introduit une innovation juridique majeure puisqu’il prévoit la création des « entités naturelles sujets de droits »31. La construction de cette nouvelle catégorie repose sur le principe unitaire de vie, consacré depuis plusieurs années par le législateur de la province des îles loyauté. Reflétant l’idée d’une parfaite homogénéité entre la culture kanak et son environnement biologique, le principe justifie la désignation de deux espèces d’animaux comme sujets de droits fondamentaux : celles des requins et des tortues marines, tous deux considérés comme des animaux totémiques32.
    Deux constats s’imposent ici. Le premier invite à relever que la catégorisation proposée par la délibération offre une différence forte avec celle du droit commun stricto sensu. Alors que le second opère une classification des animaux plus ou moins fondée sur la fonction qu’ils exercent à l’égard de l’homme33 (il y aurait ceux qui se trouvent « happés » par la protection du droit34 – les animaux captifs, d’élevage, de compagnie, d’expérimentation35 – et les autres, plongés dans l’abîme des « res nullius »36), la première privilégie un ordonnancement forgé sur le besoin de protection de l’animal en lui-même37. L’inspiration écocentrique de cette nouvelle proposition est symboliquement palpable : les animaux apparaissent désormais sur la scène du droit indépendamment du lien qu’ils peuvent (ou pouvaient) entretenir avec l’homme. Ce positionnement inédit justifie l’octroi de droits fondamentaux. C’est le second constat : l’inspiration écocentrique emporte l’utilisation des « armes » homocentriques dès lors que se trouve légitimée l’extension de droits purement humains à des êtres non humains. Le propos, ainsi abordé, n’est pas nouveau : les débats ayant accompagné l’émergence de la personnalité morale rappellent que cette « déculturation des droits humains »38 a déjà gagné le droit positif. Liberté d’expression39, liberté religieuse40, droit au respect de la vie privée41 : tous ont été accordés à une personne juridique dite « technique » dont on disait pourtant il y a peu qu’elle n’était pas le genre de « personne » à tenir compagnie au restaurant… La « déculturation » se poursuit ici : les espèces des requins et tortues se voient accorder des droits fondamentaux spécifiques que l’on pourrait ici distinguer en deux ordres. Les premiers assurent aux entités une protection immédiate, directe : l’on ne peut pas garder les individus requins et tortues en captivité, les priver de la liberté de circulation, en faire l’objet de brevet ou les muer en objet de propriété. Les seconds leur garantissent, à l’instar des dispositions similaires existant à l’égard des personnes juridiques humaines, un environnement sain, non contaminé par les activités humaines, dans lequel s’épanouir. À ces dispositions générales, s’ajoutent des dispositions plus spécifiques selon les espèces désignées42.
    Ces droits fondamentaux ne sont pas sans effets : ils impliquent de véritables devoirs de la part des personnes juridiques. Dans l’hypothèse de leur violation, deux types de sanctions s’imposent. La sanction administrative, prévue à l’article 243-2 du code de l’environnement, contraint l’auteur des dégradations de l’habitat naturel (et, si son identification est impossible, la collectivité provinciale) à financer le retour de l’habitat à l’état d’origine. Les sanctions pénales, ensuite, punissent divers comportements : citons ainsi notamment le fait de dégrader de manière délibérée l’habitat des entités naturelles juridiques de nature à entraîner des effets nuisibles sur leur santé, passible de cinq ans d’emprisonnement et de 119 330 000 francs pacifiques d’amende43 ou le fait de harceler ou de perturber de manière intentionnelle ces espèces par une contravention de la quatrième classe44.

    B. La constitution de « porte-paroles », garants des entités naturelles, et la capacité d’agir en justice

    Manifestement inspiré du dispositif néo-zélandais45 dans lequel des personnes physiques œuvrent directement à la protection du fleuve46, le respect de la qualité de sujet de droits des espèces des requins et tortues implique également la désignation de personnes « à face humaine »47. En plus de rappeler la liste classique des agents habilités à constater les atteintes (directes ou indirectes) portées aux entités ainsi reconnues48, l’article 242-20 du code précité forge une catégorie inédite de personnes physiques destinées à assurer leur protection : les porte-paroles. Les mots ont leur importance : la notion de « mandataire » est récusée, sans doute par impossibilité d’appliquer ici le régime classique du mandat, lequel suppose un contrat entre deux personnes également en capacité de contracter. De même, le terme « tuteur » est évacué comme pour ancrer encore davantage l’idée que l’entité n’est pas un sujet de droit « protégé » – autrefois « incapable ». Le symbole est puissant : la parole, divine ou humaine, constitue bien un marqueur fort de la différence homme/animal. Cette altérité se dissipe peu à peu tandis que leur parole est désormais « portée » par des personnes désignées par l’assemblée de province pour chaque espèce49. Leur rôle est multiple : ils doivent être informés et consultés à propos de toutes les décisions impactant l’entité naturelle sujet de droits50, participent à l’élaboration d’éventuels plans de gestion de l’entité naturelle, peuvent s’autosaisir de toute question relative à l’espèce concernée51 et sont, en cas d’atteinte effective, chargés de solliciter le président de l’assemblée de province afin qu’il puisse saisir la justice52. En réalité, le porte-parole, selon la délibération précitée du 29 juin 2023, est plus qu’un interprète ou un communicant, au sens classique du vocable « porte-parole ». Il est un véritable nouveau régime de représentation : il ne se contente pas de se faire l’interprète car il agit au nom et pour le compte de l’entité. Auprès de qui les porte-paroles rendent-ils compte de leur mission ? La délibération précitée ne le spécifie pas mais cela s’explique par le fait que les décisions prises par les porte-paroles sont adoptées à l’unanimité des membres, garantie de légitimité et mode tout à fait approprié à la culture kanak où les décisions se prennent toujours par consensus.
    L’autre grande innovation de la délibération réside dans la capacité, pour ces entités naturelles, à agir en justice. L’alinéa 3 de l’article 242-16 du code de l’environnement précité dispose ainsi que « chaque entité naturelle sujet de droit dispose d’un intérêt à agir, exercé en son nom par le Président de la province des îles Loyauté, par un ou plusieurs porte-paroles […], par les associations agréées pour la protection de l’environnement et les groupements particuliers de droit local à vocation environnementale […] »53. La reconnaissance de cette nouvelle capacité transforme substantiellement la condition des entités naturelles par rapport aux animaux du Code civil, notoirement privés d’un tel avantage et, de ce fait, dépendants des associations de protection. Le changement de paradigme est important : l’action contentieuse n’est plus exercée indirectement par rapport à l’animal mais, directement, au nom de l’entité naturelle sujet de droit. Il semble donc bien qu’il soit ici question plus précisément de la qualité à agir et non de l’intérêt à agir. En tout état de cause, l’octroi unilatéral d’un intérêt à agir, sans autres précisions, interrogerait à tout le moins. L’intérêt à agir est en général admis pour faire valoir la protection de ses propres intérêts : pour une personne physique, il s’agit de son intérêt personnel et, pour une personne morale, il s’agit de l’intérêt propre de la personne morale elle-même, mais aussi de l’intérêt de ses membres, voire des intérêts collectifs dès lors que ceux-ci rentrent dans son objet social. En ce cas, il appartient à chaque fois au juge de veiller que l’auteur de l’action en justice agit bien dans le cadre de cet intérêt à agir. Or, en l’espèce, la rédaction de l’article 242-16 du code précité pose le principe que chaque entité naturelle dispose d’un intérêt à agir mais ne vient pas limiter le périmètre de cet intérêt. Le risque d’un détournement de procédure par lesdites entités naturelles demeure toutefois faible dès lors qu’il ne fait aucun doute qu’à l’occasion d’un procès, le seul principe posé par l’article 242-16 du code précité ne résisterait pas à la preuve d’un défaut d’intérêt personnel ou direct, nécessairement vérifié par le juge.
    La portée de ce dernier article revêt néanmoins les habits du symbole : même personnifié, l’animal nécessite toujours l’intervention d’une autre personne juridique pour le représenter en justice. La variété et la diversité des personnes investies de la « qualité » de représentation permet ici de présager une utilisation plus récurrente de l’action contentieuse. En ce cas, il s’agirait d’une réussite car le degré de protection de l’entité naturelle sujet de droit serait plus élevé que celui de l’animal du Code civil. Cette pluralité n’est pourtant pas toujours favorable : n’existe-t-il pas un risque de confusion, voire plus grave, de conflit d’intérêts entre les diverses autorités citées ? Si les porte-paroles agissent sur instruction du président de l’assemblée de province, lui-même à l’origine de leur nomination, leur capacité à s’opposer à l’une de ces décisions pourrait être amoindrie.

    II. Surmonter la summa divisio des personnes et des choses : obstacles paradigmatiques

    La nouvelle qualification d’« entité naturelle sujet de droits » interroge. Transcende-t-elle la traditionnelle54 distinction établie entre les personnes et les choses ? Ontologique, l’opposition entre les sujets et les objets de droit forge la finalité anthropologique55 du droit des personnes. Sa cohérence juridique justifie la pérennité de sa dualité (A) et pourrait amoindrir l’impact juridique de la qualification proposée par la délibération du 29 juin 2023 précitée (B).

    A. Le délicat dépassement de la summa divisio des personnes et des choses ?

    La summa divisio des personnes et des choses fonde l’architecture même du Code civil de 1804 : au Livre Ier consacré à l’étude « Des personnes », répond le Livre II destiné à l’analyse « Des biens et des différentes modifications de la propriété ». Originellement didactique, la division a progressivement pris les allures d’une assertion normative56 : il est, depuis, « sacrilège de traiter la personne comme une chose et irrationnel de traiter les choses comme des personnes »57. Protectrice, la qualification de « personne » devient « objet » de convoitise. Animaux, embryons, robots, défunts, chimères et même, désormais, l’humanité : les candidatures à l’accession de la personnalité abondent.
    L’animal constitue sans nul doute l’une des propositions les plus sérieuses. Sa sensibilité a été invoquée comme critère suffisant à justifier l’attribution d’une telle qualité58. Entre temps, les études sur la proximité génétique de l’homme et l’animal ainsi que l’ensemble des capacités qu’il partage avec l’animal59 ont confirmé cette intuition d’extension. La personnalité juridique, après tout, n’est qu’une abstraction60 ; elle est le masque61 que revêt, sur la scène juridique, la personne arbitrairement désignée par le droit. Ce choix n’est pas figé dans le marbre, il dépend des époques car « chaque ordre juridique détermine quelles personnes entreront dans son cadre, en fonction de critères qu’il est libre de choisir »62 : l’homme libre et l’esclave, l’homme et la femme, le majeur et le mineur, la personne humaine et, désormais, la personne animale63...
    Quelles perspectives en droit français ? Le législateur français institue l’animal comme « être vivant doué de sensibilité » ; l’autorité délibérante de la province des îles Loyauté fait des espèces des requins et des tortues des « entités naturelles sujets de droits ». La summa divisio est-elle toujours d’actualité depuis ces deux nouvelles qualifications ? La première prenait toutes les allures d’une révolution : l’architecture du droit civil était promise à une véritable reconfiguration structurelle64 dès lors que « l’être [de l’animal] prenait le pas sur l’avoir dans l’organigramme du droit »65. En principe, cela devait signifier, selon le professeur Loiseau, que « sa matérialité et ses utilités [étaient] secondarisées par rapport à sa sensibilité »66. La révolution, en réalité, n’a pas été totale. Le symbole, bien sûr, est très puissant. Récent, le droit animalier67 part de peu et sa maturation doit être lente pour qu’elle soit accueillie favorablement. Elle n’est donc pas, comme certains ont pu le penser, une « fausse bonne idée »68 : chaque avancée constitue assurément une pierre supplémentaire à la construction d’un édifice de protection solide69. Sans complètement métamorphoser la place de l’animal en droit, elle constitue le préalable nécessaire à la mise en place d’une évolution protectrice plus conséquente. Son aspect révolutionnaire, en revanche, doit être relativisé : l’article est plus descriptif qu’il n’est véritablement normatif70. Il ne fait que poser une définition de l’animal, ce qui a pu faire écrire au professeur Malinvaud que « sa place naturelle [se trouve] dans un dictionnaire »71. Sa spécificité est bien reconnue mais son statut juridique demeure, dans les grandes lignes, inchangé. Son basculement dans la catégorie des personnes est une chimère : l’animal reste, même en étant à la lisière du Livre Ier, ancré dans le Livre II. Quelques exemples de ce rattachement le démontrent : l’animal peut faire l’objet d’un contrat de location72 et, en cas de perte, sa « valeur » peut être remboursé... Rien ne permet de le confondre avec la personne73 : il ne peut guère être donataire ou légataire, sa destruction est autorisée sous certaines conditions et la responsabilité civile qui incombe au « propriétaire » de l’animal est analogue à celle de la responsabilité du fait des choses. Mais si la spécificité de l’animal a été reconnue et que son régime juridique n’a pas changé d’un « poil », est-ce à dire qu’il pourrait exister une troisième catégorie d’intervenants sur la place du droit civil ? La nature juridique de l’animal a-t-elle, autrement dit, changé, emportant la métamorphose future de son régime juridique ? Certains auteurs se sont déjà aventurés sur ce terrain. Le professeur Farjat constatait ainsi, dès 2002, l’existence des « centres d’intérêts », permettant de répondre à la « complexité et à la diversité de certaines situations, aux volontés diverses et parfois opposées des hommes »74. Sous cette troisième « figure », trois catégories émergeraient : « les succédanés de la personne morale », « les ombres des personnes physiques » et – c’est tout l’intérêt de sa proposition – « les choses et objets personnalisés »75. L’idée était moins de remettre en cause la summa divisio que de démontrer que l’absence de personnification d’un groupement de personnes (l’auteur cite les exemples de la famille et de l’entreprise) n’impliquait pas nécessairement leur requalification systématique en chose.
    L’analyse peine pourtant à convaincre la doctrine majoritaire. Le professeur Libchaber rappelle ainsi qu’ « en droit civil, il n’y a pas de place pour trois catégories d’intervenants car la distinction des personnes et des choses structure tout l’espace »76. Du reste, rien de tel ne s’est produit avec la loi n° 2015-177 du 16 février 2015. Ce n’est pas le silence du législateur qui est ici interprété mais bien sa volonté qu’il est aisé de déchiffrer au vu de la place qu’il a fait occuper à l’actuel article 515-14 du Code civil. S’il avait véritablement voulu proposer une nouvelle catégorie d’intervenant, il n’aurait pas intégré ce dernier article dans le chapeau du Livre général réservé à l’ensemble des biens77 et aurait pris le soin de lui réserver son propre Titre préliminaire. Et, même s’il n’avait pas voulu modifier la structure du Code civil, il aurait au moins, à défaut, modifié l’intitulé du Livre II (comme, d’ailleurs, le préconisait le « Rapport sur le régime juridique de l’animal » de Madame Suzanne Antoine remis au garde des Sceaux le 10 mai 2005) comme suit : « Des animaux, des biens et des différentes modifications de la propriété ». Ces « occasions manquées » n’en sont donc pas : le législateur n'a pas institué une troisième catégorie d’intervenants dans le Code civil.
    Deux principales raisons expliquent l’hégémonie (et, de fait, la permanence) d’une distinction aussi radicale : la perception du droit de propriété en droit civil et la vision encore fortement anthropocentrée du droit des personnes. La première découle du caractère absolu du droit de propriété, nécessairement pensé « comme un rapport de soumission totale entre une chose et son maître »78. Ainsi forgé, le droit de propriété entraîne l’existence d’une relation d’inégalité et de subordination entre le titulaire du droit et la chose sur laquelle celui-ci s’exerce : « l’une d’entre elle – la personne – a une substantialité majeure vis-à-vis de l’autre […] un véritable abîme existentiel sépare ces deux entités »79. Le droit de propriété ne peut ainsi se déployer dans la demi-mesure : sa nature commande l’exclusivité et rejette la possibilité d’un « milieu » ou d’un « entre-deux ». Impossible de songer à l’exercice d’un droit de propriété sur une « demi-personne »80 ; irréaliste d’imaginer une « demi-chose » gouverner une personne… « On peut parler d’une moitié de maison ; on ne saurait parler d’une “moitié de personne” »81. La seconde, ensuite, constitue la raison d’être de cette architecture personne/chose : les lois sont édifiées pour les hommes en société. Le droit est « cultivé » par et pour l’humain ; la « notion de personne est indissolublement liée à la condition d’être humain […] lui seul peut être en même temps sujet et destinataire du droit »82.
    L’apparition de la personnalité morale a quelque peu démenti, fragilisé cette dernière vision des « droits humains »83. Elle confirme, en tout cas, l’hypothèse selon laquelle la personnalité juridique constituerait toujours une affaire d’idéologie. Elle est le produit « commandé » de l’ordre juridique et explique que, désignés par la loi ou par la jurisprudence, les acteurs de la scène juridique ne sont pas toujours les mêmes selon les époques. Pourquoi pas, donc, apposer le précieux masque sur le visage de l’animal ? En ce sens, il y a plus d’un siècle, ainsi inspiré par l’existence de cette personnalité particulière conférée à des êtres dépourvus d’existence physique, Demogue entreprend la construction d’une « théorie technique » de la personnalité juridique. Chassant « l’esprit un peu terre à terre qui a tant dominé le droit »84 depuis des décennies en instituant l’homme vivant comme seul sujet de la scène juridique, l’auteur rappelle que le droit est avant tout un outil utile : il existe « pour donner une satisfaction, procurer un plaisir, épargner une douleur »85, il est cette « chose infiniment belle, […] le terrain de rapprochement […] de ceux qui peuvent souffrir, […] le syndicat de luttes contre les souffrances »86. Sa proposition, lumineusement moderne, est claire : cohabiteraient, dans la même catégorie, le sujet de jouissance et le « sujet de disposition jouissance »87. Or si le second reste limité aux « personnes appartenant à l’humanité raisonnable, [excluant donc] le fou, l’idiot, l’enfant en bas âge et, à plus forte raison, l’animal »88, le premier pourrait recueillir ces derniers individus et « s’étendre au-delà de l’humanité », c’est-à-dire « à tout être capable de souffrir »89. À cet égard, l’auteur subordonne la reconnaissance de ces sujets de jouissance à la réunion de deux conditions : un intérêt distinct (« la qualité de sujet de droit appartient aux intérêts que les hommes vivant en société reconnaissent suffisamment importants pour les protéger »90) et l’existence d’organes en mesure de mettre ce dernier intérêt en œuvre. La première condition pourrait être remplie depuis que l’interdiction des mauvais traitements infligés à l’animal n’exige plus que ceux-ci aient été réalisés en public91, preuve que l’intérêt de l’animal est désormais distinct de celui de son propriétaire92. La seconde condition se trouve ensuite satisfaite par l’article 2-13 du Code de procédure pénale qui prévoit que « toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à l’époque des faits et dont l’objet statuaire est la défense des animaux peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions réprimant les sévices graves ou actes de cruauté et les mauvais traitement envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal prévues par le code pénal ». Aussitôt, bien conscient des enjeux, l’auteur anticipe la polémique : « ici tout le monde, sauf de rares exceptions, se récrie : faire de l’animal un sujet de droit, quelle horreur! quelle abomination! A entendre ces cris, ne semblerait-il pas qu’il s’agit de leur donner quelque décoration et d’imiter Héliogabale faisant son cheval consul? »93. Efficace, sa défense tient en une ligne : « il s’agit simplement de poser une règle technique »94. « Est-il commode », ajoute-t-il, « pour centraliser des résultats souhaitables, de considérer même des animaux comme sujets de droit? Si une personne veut laisser une rente pour entretenir un animal, n’est-il pas plus simple, plus près de la réalité, de dire que cet animal a une rente, au lieu d’admettre ces procédés alambiqués consistant à dire : on pourra léguer une rente à n’importe quelle personne en charge par elle d’entretenir l’animal? »95.
    La personnalité juridique, selon Demogue, est donc une personnalité purement technique. Elle ne contredit pas le principe selon lequel il ne peut exister un troisième intervenant sur la scène du droit puisqu’elle forme une nouvelle personne juridique, toujours opposée à la catégorie des choses. Mais, pour cela, elle doit évidemment, à un moment ou à un autre, être spécialement reconnue à l’entité d’intérêt. Ce n’est, à nouveau, pas ce qui s’est produit à l’égard de l’animal, resté enchâssé dans la catégorie bien connue pour former l’antithèse même de la personne. La rigueur et l’exclusivité de la summa divisio des personnes et des choses s’opposent encore formellement à son exérèse complète de la catégorie des choses. Plus habile dans les termes qu’elle mobilise, la qualification « d’entité naturelle sujet de droits » permet d’éviter la confrontation directe avec la traditionnelle distinction ontologique. Mais, si la rencontre n’est pas tout à fait frontale, elle n’en reste pas moins fatale pour la qualification nouvelle proposée s’il s’agit d’intégrer, telle qu’elle est actuellement envisagée, l’entité au sein de la catégorie des personnes.

    B. Les difficultés d’une personnalité juridique sans devoirs

    La délibération ne fait aucunement mention de la « personnalité » des espèces des tortues ou des requins. Seule la qualification de « sujet de droits » est utilisée. Ce choix interroge. Il rappelle la proposition de Demogue. Audacieuse, la délibération chercherait-elle à contourner les obstacles entourant les tentatives de dépassement de la summa divisio ? Employer « sujet de droits » en lieu et place de « personne juridique » pourrait constituer une manière détournée de s’affranchir de la rigoureuse division normative. La notion s’y prête : son origine est doctrinale96 et sa faible utilisation dans la jurisprudence de la Cour de cassation97 jette une certaine confusion sur sa proximité avec le terme de « personne juridique ». Les deux formules sont pourtant jugées synonymes : le sujet comme la personne renvoient à la même réalité juridique. Tous deux sont des acteurs du droit : « tout être personnifié est un sujet de droit »98, tout sujet de droit est un être personnifié. Partant, la distinction personne/chose, faussement chassée du débat par l’utilisation du terme « sujet de droits », se saisit à nouveau de la qualification. Le bât est sur le point de blesser à deux reprises.
    Au regard de l’étendue des droits fondamentaux conférés aux entités naturelles, la délibération outrepasse la protection accordée aux animaux en droit français. Aucun droit de propriété ne peut être exercé sur un individu requin ou tortue, le brevet est exclu, la liberté d’aller et venir du « sujet », garantie : c’est autrement plus que le régime juridique de l’animal comme être sensible issu du Code civil et infiniment mieux que celui de l’animal sauvage « res nullius » vivant à l’état de liberté… Envisagée sous cet angle, la nouvelle délibération ne s’opposerait pas à la distinction personne/chose mais chercherait au contraire à la confirmer en intégrant les entités naturelles dans la catégorie des personnes par le biais de la notion de « sujet de droits ». C’est ici que la qualification peut interroger. Inspirée de la personnalité dénuée de devoirs accordée à la Mar menor99 espagnole et dans la droite lignée de « l’intérêt juridique protégé » défendu par Rudolf Von Jhering100, l’article 242-16 du code précité dispose de façon lapidaire que les entités naturelles « n’ont pas de devoirs ». L’alinéa suivant précise qu’elles ne sont pas responsables ; pas plus que les personnes investies de la qualité de représentation de celles-ci. La délibération prend ici son indépendance par rapport aux précédents doctrinaux et étrangers qui l’inspiraient manifestement. Les recommandations émises par Monsieur Christopher Stone dans son article quant à l’importance, pour le sujet de droit, de prendre en charge les dommages causés par sa « personne »101 semblent avoir été ignorées tandis que, contrairement au fleuve Whanganui, responsable juridiquement et titulaire de devoirs, les espèces des requins et tortues kanak évoluent sans assujettissement aucun. En ce sens, la délibération se rapprocherait nettement de la conception du « sujet de droit » proposée par Demogue102 qui désigne simplement ceux qui ont « la capacité d’avoir des besoins qui peuvent être protégés par la loi » et non ceux qui auraient nécessairement des devoirs103. Cette approche se retrouve également sous la plume de Carbonnier pour qui le sujet de droit renvoie – tout simplement – aux « êtres capables de jouir de droits »104. Cette définition, comme le relève Madame Marie-Angèle Hermitte, clarifie le propre du sujet de droit : « lorsque Jean Carbonnier affirme que le seul point commun entre les personnes physiques et morales est leur aptitude à jouir de droits, il attire notre attention sur leur qualité d’êtres de jouissance, sans invoquer quelque obligation que ce soit »105. Ainsi, « en mettant l’accent sur la seule jouissance comme caractéristique du sujet de droit »106, l’auteur rappelle la possibilité théorique de former un sujet de droit dénué de toute obligation107.
    Cette possibilité théorique est-elle, pour autant, idéale ? Cette conception du sujet de droit épouse difficilement la conception encore très anthropocentrée de notre droit. Il suffit de s’en rapporter à l’étymologie latine du terme de « sujet de droit » (« subjectus », « assujetti ») pour comprendre que le sujet est classiquement compris comme devant être soumis à son Prince. Ses deux visages apparaissent complémentaires : le sujet de droit est à la fois un « sujet-acteur ou sujet-débiteur au gré des situations »108. Droits et devoirs sont traditionnellement liés ; leur réunion permet la formation d’un sujet de droit parfaitement cohérent. L’exemple du requin est particulièrement évocateur en ces périodes où les attaques, dans la province voisine, se multiplient : un individu pourra être condamné pour avoir attiré le poisson afin de l’observer mais il ne pourra pas se retourner contre ce dernier en cas de morsure… Loin de plaider ici en faveur du retour des procès d’animaux médiévaux, il faut toutefois reconnaître le caractère asymétrique de la délibération : une entité naturelle sujet de droit peut être la victime d’une personne physique mais non l’inverse. Cette asymétrie apparaît évidemment volontaire : il aurait semblé relativement aisé de puiser dans les « réserves » du patrimoine de l’entité naturelle (patrimoine « garni » des dommages et intérêts reçus en cas d’atteinte à son environnement par exemple) pour indemniser la personne physique mutilée. Mais, en ce cas, le poisson se mordrait la queue puisque la création d’un patrimoine servirait à en indemniser un autre… Or l’ambition, ici, n’est pas de créer un sujet de droit comme équivalent de la personne humaine mais d’évacuer l’homme des centres des préoccupations. Dans la mesure où seule l’entité naturelle peut être considérée comme une victime, la hiérarchie s’inverse et confronterait ainsi directement, selon nous, le principe de primauté de la personne humaine, posé à l’article 16 du Code civil109.
    L’exigence classique de ces deux conditions (des droits et des devoirs) pourrait être surmontée : le droit, happé par la philosophie écocentrique, pourrait progressivement délaisser ses revendications anthropocentrées pour accueillir de nouvelles formes de personnalités. L’hypothèse n’est pas impossible. Une difficulté demeure néanmoins. Elle puise sa source dans les racines du droit : édicté par l’homme, il ne peut qu’être anthropocentré. D’ailleurs, Demogue, lui-même, inscrivait sa personnalité technique dans une conception plus ou moins anthropocentrée du droit puisqu’il écrivait que « la qualité de sujet de droit appartient aux intérêts que les hommes vivant en société reconnaissent suffisamment importants pour les protéger par le procédé technique de la personnalité »110. Cette conception anthropocentrique guide ainsi paradoxalement (mais nécessairement111 !) la catégorisation des espèces animales que l’on voudrait pourtant voir définitivement détachée de l’homme : c’est bel et bien toujours l’homme qui « distribue » des droits. Ici, aux espèces des requins et tortues mais pourquoi pas à celles des dauphins et des baleines, également en danger et d’importance certaine dans la culture kanak ? Au même moment, dans la province Sud, une délibération déclasse les requins-tigres et bouledogues de la liste des espèces protégées112… L’on sent bien ici l’influence homocentrique de cette dernière déchéance. Si l’homme et la nature étaient sur une même échelle, le droit ne ferait que constater ce que la nature exprime.
    La qualité de « sujet de droits » peut ainsi soulever quelques difficultés si l’entité en question n’est pas titulaire de devoirs. Cette dernière absence est notamment particulièrement problématique s’agissant du requin dont on sait bien que sa rencontre avec l’homme peut être (bien que rarement) la source d’un dommage corporel pour ce dernier… En revanche, la présente délibération pourrait offrir un terrain de réflexion fertile quant à la possibilité de rebâtir la catégorie des biens en y incluant les entités se trouvant, pour reprendre la célèbre formule du professeur Marguénaud, « en état de lévitation juridique »113. Elle va en effet plus loin que la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 : plus que poser une définition, elle institue un véritable statut juridique de l’entité naturelle. Elle lui octroie une place à part et la singularise réellement de la catégorie des choses. Elle désolidarise véritablement – d’un point de vue théorique au moins – l’intérêt de l’animal de celui de l’homme.

    La summa divisio des personnes et des choses demeure sauve : le sujet de droit est le synonyme de la personne et la personne manque quelque peu de cohérence si elle n’est pas assujettie directement ou indirectement à des devoirs. Sauvé, l’« axiome »114 romain n’en sort pas tout à fait indemne : la délibération précitée instaure une réflexion sur l’influence croissante, au XXIe siècle, d’une conception écocentrique éloignée de l’anthropomorphisme et de l’ethnocentrisme des rédacteurs du Code civil. Devant les défis écologiques, les débats s’intensifient : faut-il abolir la distinction ontologique entre les personnes et les biens, accueillir de nouvelles entités au sein de la première catégorie ou consentir à rebâtir la seconde ? La première possibilité ne convainc pas : quelle que soit la définition de la personne retenue, notre ordre juridique tout entier ne peut que graviter autour de deux pôles antinomiques. La deuxième possibilité n’est évidemment pas exclue : les travaux de Demogue ainsi que l’existence des personnes morales témoignent de sa faisabilité. Il reste que, pour cela, il faudrait, en considération de la nature encore très anthropocentrée de notre droit et notamment en raison du principe de primauté de la personne humaine, que l’entité naturelle devienne également un « sujet-débiteur »115. La troisième possibilité, quant à elle, pourrait très largement s’inspirer de la création juridique des « entités naturelles sujets de droits », ainsi élaborée par la délibération exposée. Le coup de boutoir ou la pichenette, l’avenir le dira, vient d’un peuple premier. Tout un symbole.

    • 1 Délibération n° 2023-28/API du 29 juin 2023 relative au code de l’environnement de la province des îles Loyauté.
    • 2 Sur ce point, J.-P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux en France. Une lueur calédonienne », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2/2017, pp. 15-20, spéc. p. 16.
    • 3 L. Ferry, « Le nouvel ordre écologique. L'arbre, l'animal et l'homme », Grasset, 1992, pp. 15-19.
    • 4 M. Serres, « Le contrat naturel », François Bourin, 1990.
    • 5 C. Stone, “Should Trees have Standing? Toward legal Rights for Natural Objects”, Southern California Law Review, n° 45, 1972, pp. 450-501.
    • 6 La Pacha Mama signifie la Terre mère.
    • 7 L’élaboration de ce dispositif répondait à deux objectifs distincts. Il fallait, d’abord, résoudre la problématique de l’exploitation du fleuve exercée par certains en dépit de la possession des terres accordée aux quatorze chefs Maori, depuis le traité de Waitangi signé en1840. L’attribution d’une personnalité juridique permettait ainsi à la fois d’honorer ce dernier traité sans toutefois léser les propriétaires des constructions édifiées entre temps sur le fleuve.
    • 8 P. Brunet, « L’écologie des juges. La personnalité juridique des entités naturelles (Nouvelle-Zélande, Inde et Colombie) », in M.-A. Cohendet, Droit constitutionnel de l’environnement ; regards croisés, Mare & Martin, pp. 303-325.
    • 9 « Ko au te awa, ko te aa ko au », proverbe cité par P. Brunet, ibid., spéc. p. 306.
    • 10 Te Urewera Act, n° 51, 27 juillet 2014, spéc. §4.
    • 11 High Court of Uttarakhand, Mohd Salim v. State of Uttarakhand & others, Writ Petition (PIL), n° 116 of 2015, 20 mars 2017, §19, cité par P. Brunet, ibid., p. 303.
    • 12 E. Macpherson, F. Clavijo Ospina, “The pluralism of river rights in Aotearoa, New Zealand and Colombia”, The Journal of Water Law, 2018, vol. 25, p. 283-293.
    • 13 V. ainsi M.-A. Hermitte, « Le concept de diversité biologique et la création d’un statut de la nature », in B. Edelman, M.-A. Hermitte, L’Homme, la nature et le droit, Paris, Christian Bourgois, 1988, pp. 238-372.
    • 14 « En Corse, le combat du fleuve qui parle », Le Monde, 11 juillet 2022.
    • 15 V. notamment C. de Toledo, « Le fleuve qui voulait écrire », Manuella éd., 2021.
    • 16 Loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, JORF n° 29 du 3 février 1995.
    • 17 Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, JORF n° 40 du 17 février 2015.
    • 18 F. Ost, « La nature hors la loi, L’écologie à l’épreuve du droit », La Découverte, 2003, p. 13.
    • 19 B. Devall et G. Sessions, op. cit., p. 245.
    • 20 P.-J. Delage, « La condition animale. Essai sur les justes places de l’Homme et de l’animal », Mare & Martin, 2014, p. 268, n° 87.
    • 21 F. Ost, op. cit., p. 153 : cette philosophie « a ses peuples élus (les natives Américains et, de manière générale, tous les peuples “primitifs” qui ont su vivre en osmose avec la nature ».
    • 22 J.-B. Jeangène Vilmer, « L’éthique animale », PUF, 2008 p. 20.
    • 23 P.-J. Delage, op. cit., p. 286, n° 92.
    • 24 J.-P. Pierron, « Qu’est-ce que les relations entre droit et environnement disent de nous ? », Les cahiers de la justice, 2019, p. 417.
    • 25 C. Stone, “Should Trees have Standing ? Toward legal Rights for Natural Objects”, op. cit., spéc. p. 52.
    • 26 J.-P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux en France. Une lueur calédonienne », op. cit., spéc. p. 20 : « la personnalité technique pourrait tout aussi bien servir à reconnaître et traduire une identité culturelle marquée par un lien mythique des ancêtres fondateurs ayant des totems pris dans la nature particulièrement parmi les animaux comme les requins et les tortues ».
    • 27 V. David, « Pour une meilleure protection juridique de l’environnement en Nouvelle-Calédonie. Innover par la construction participative du droit », thèse, Paris, 2018, spéc. p. 27.
    • 28 M. Leenhardt, Do Kamo, cité par V. David, op. cit., p. 53.
    • 29 D. Bollier, « La reconnaissance de communs. Pour une société de coopération et de partage », trad. fr. O. Petitjean, Paris, Charles Léopold Mayer ed., 2014, spéc. p. 110.
    • 30 Rappelons ici que trois provinces constituent la Nouvelle-Calédonie : la Province Sud, la Province Nord et la Province des îles Loyauté.
    • 31 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-16.
    • 32 Soulignons néanmoins que l’ambition de la délibération n’est pas de s’arrêter à ces deux espèces d’animaux ni même à une espèce animale en particulier puisque la délibération prévoit d’ores et déjà l’octroi, en vertu de la seconde partie de l’article 242-18 du code précité, de droits fondamentaux aux écosystèmes et sites naturels.
    • 33 Sur ce point, v. C. Vial, « Au soutien de la protection de l’animal, le classement de l’animal transcatégoriel », in Ranger l’animal. L’impact environnemental de la norme en milieu contraint II. Exemples de droit colonial et analogies contemporaines, E. De Mari et D. Taurisson-Mouret (dir.), Victoires éditions, pp. 21-33, spéc. pp. 25-27.
    • 34 Cette protection est notamment organisée par le Code pénal à l’article 521-1 (« le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ») et par la reconnaissance de la sensibilité de l’animal dans le Code rural et de la pêche maritime (article L. 214-1) ainsi que dans le Code civil (article 515-14).
    • 35 Et, même dans ce cas, la reconnaissance de leur sensibilité cesse là où commence l’intérêt de l’homme. Sur ce point, S. Desmoulin, « Les frontières de l’animalité : changer de perspective ? », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2/2022, p. 259 : « On observera […] que les limites de la protection juridique imposée au regard de la sensibilité restent, elles, déterminées en fonction des utilités de l’animal, l’animal de compagnie étant protégé jusqu’à la fin de sa vie naturelle, la protection de l’animal de rente s’arrêtant lorsqu’est venu le moment de son abattage, celle du taureau n’allant pas au-delà du début du spectacle de corrida » (nous soulignons).
    • 36 La reconnaissance de la sensibilité de l’animal sauvage vivant à l’état de liberté fait débat depuis longtemps. La formule de l’article 515-14 du Code civil est suffisamment large pour l’inclure mais la position de l’article dans le Livre II « Des biens et des différentes modifications de la propriété » laisse entendre qu’il n’est ici question que de la sensibilité de l’animal approprié par l’homme. Sur ce point, M. Desvallon, « Sensibilité et animaux non domestiques détenus en captivité », in La sensibilité animale. Approches juridiques et enjeux transdisciplinaires, A. Quesne (dir.), Mare & Martin, 2023, pp. 166-167 : « Les deux textes majeurs sur la sensibilité de l’animal ont en commun la référence au caractère approprié de l’animal sauvage […]. La considération de la ou des sensibilités de l’animal non domestique ne résulterait pas de sa nature biologique mais serait inhérente à son appropriation par l’homme. C’est donc le rattachement à la propriété de l’homme qui conférerait un caractère sensible. Ainsi la domestication par l’homme rendrait les animaux sauvages doux comme des agneaux tandis qu’un gibier d’élevage deviendrait une bête féroce une fois libéré de la main de l’homme ». V. également J.-M. Neumann, « La sensibilité de l’animal sauvage libre saisie par le droit », in La sensibilité animale. Approches juridiques et enjeux transdisciplinaires, A. Quesne (dir.), Mare & Martin, 2023, pp. 150-151 : la sensibilité des animaux sauvages vivant à l’état de liberté « est ignorée par le droit français ; ce dernier va même jusqu’à nier leur individualité (ils ne sont reconnus qu’à raison de leur appartenance à une espèce ; ils constituent un élément de la nature) ». L’auteur concède néanmoins, quelques lignes plus loin, qu’en dépit de cette occasion manquée dans le Code civil, il existe « un début de prise en compte » de la sensibilité de l’animal sauvage dans le Code de l’environnement. Deux articles sont concernés. Le premier, l’article L. 412-2 prévoit que si la réalisation d’expériences biologiques, médicales ou scientifiques effectuées sur des animaux d’espèces non domestiques non tenus en captivité est susceptible de leur causer des douleurs, elle est soumise à autorisation. Le second, l’article R. 427-17, dispose que « le ministre chargé de la chasse fixe les conditions d’utilisation des pièces, notamment de ceux qui sont de nature à provoquer des traumatismes, afin d’assurer la sécurité publique et la sélectivité du piégeage et de limiter la souffrance des animaux ». Sur une position contraire défendant l’idée que la sensibilité de l’animal sauvage est également reconnue par l’article 515-14 du Code civil et que celui-ci est donc, désormais, en avance sur le Code pénal : J.-P. Marguénaud, « Les animaux êtres vivants doués de sensibilité », JCl. Civil Code, Art. 515-14, Fasc. unique, 2023, p. 3, §12.
    • 37 Une précision, ici, s’impose. Le législateur français, bien sûr, a beaucoup progressé sur la question de la protection de l’animal en lui-même. La loi Grammont, qui soumettait l’interdiction de la souffrance des animaux au fait qu’elle soit publique (il importait, autrement dit, qu’elle choque la sensibilité humaine), a depuis été remplacée et la condition de publicité des mauvais traitements, supprimée. Néanmoins, ainsi qu’exposé précédemment, l’animal approprié par l’homme demeure plus protégé que l’animal sauvage vivant à l’état de liberté. Ainsi, en droit commun, l’animal est effectivement protégé pour lui-même (qu’importe que l’acte de cruauté réalisé à son égard ait été réalisé publiquement ou non, ce qui démontre que c’est bien sa sensibilité qui est protégée et non plus celle des hommes) mais cette protection semble tenir à sa condition d’animal approprié. Il existe donc toujours un rapport de protection de l’animal lié à l’homme. La délibération apparaît, de ce fait, sur ce point, particulièrement innovatrice.
    • 38 G. Loiseau, « Des droits humains pour personnes non humaines ? », D. 2011, p. 2558.
    • 39 CEDH, 22 mai 1990, Autronic AGC c/ Suisse, req. n° 12726/87.
    • 40 CEDH, 30 juin 2011, Assoc. Les Témoins de Jéhovah c/ France, req. n° 8916/05.
    • 41 CE, 7 octobre 2022, no 443826. V. sur ce point N. Matey, « Les droits et libertés fondamentaux des personnes morales de droit privé », RTD civ. 2008, p. 205.
    • 42 Pour les requins, l’activité dite de « shark feeding » notamment est interdite (art. 242-24 du code précité) ; pour les tortues, il devient interdit, en particulier, d’approcher à une distance de moins de 10 mètres ou d’introduire des chiens sur les sites de pontes en période propices à celles-ci (art. 242-25 du code précité).
    • 43 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-3.
    • 44 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-6.
    • 45 Déjà, en 2015, le professeur Marguénaud imaginait que le dispositif de la Province des îles Loyauté pouvait se calquer sur le modèle néo-zélandais : J.-P. Marguénaud, « Actualité et actualisation des propositions de René Demogue sur la personnalité juridique des animaux », Rev. jur. env., 2015, n° 1, pp. 73-83.
    • 46 Le dispositif de protection du fleuve mêle également des personnes physiques : le bien-être du fleuve est ainsi confiée à l’entité « Te Kōpuka », composée de personnes présentant un intérêt pour le fleuve et visant, même dans le cadre de son utilisation commerciale, à prévenir son aliénation tandis que ses droits, devoirs et responsabilité juridiques sont gérés par une entité « gardienne » à « face humaine », appelée « Te Pou Tupua », comprenant les tribus du Whanganui et le Minister for Treaty of Waitangi Negotiations. Te Awa Tupua, 2017, Part 2. S. 14.
    • 47 Pour reprendre les termes utilisés dans le dispositif néo-zélandais.
    • 48 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-1 : il s’agit des officiers et agents de police judiciaire, agents des douanes, fonctionnaires ou agents assermentés et commissionnés à cet effet.
    • 49 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-21 : ils sont 6 au maximum et 3 sont proposés par chacun des conseils d’aire coutumiers.
    • 50 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-22.
    • 51 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-21.
    • 52 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 242-22.
    • 53 C. env. de la Province des îles Loyauté, art. 243-3.
    • 54 L’on fait remonter son existence aux Institutes de Gaïus : Inst. Gaïus : I, 8 : « Omne autem jus quo utimur vel ad personas pertinet, vel ad res, vel ad actiones ».
    • 55 R. Libchaber, « La recodification du droit des biens », in Le Code civil, 1804-2004, Livre du bicentenaire, J. Carbonnier, J.-L. Halpérin et al. (dir.), LexisNexis, Dalloz, 2004, spéc. p. 324.
    • 56 N. Anciaux, « Essai sur l’être en droit privé », préf. B. Teyssié, LexisNexis, p. 26, n° 30.
    • 57 A. Supiot, « Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du Droit », éd. du Seuil, 2005, p. 59.
    • 58 J.-P. Marguénaud, « L’animal en droit privé », Limoges, PUF, 1992.
    • 59 V. notamment Y. Christen, « L’animal est-il une personne ? », Flammarion, 2011.
    • 60 N. Anciaux, op. cit., p. 35, n° 42.
    • 61 Y. Thomas, « Le sujet de droit, la personne et la nature », in Sur la critique contemporaine du sujet de droit, Le Débat 1998/3, p. 98.
    • 62 R. Libchaber, « L’ordre juridique et le discours du Droit. Essai sur les limites de la connaissance du droit », LGDJ, 2013, p. 219, n° 162.
    • 63 V. notamment J.-P. Marguénaud, « La femelle chimpanzé Cécilia, premier animal reconnu comme personne juridique non humaine », Revue semestrielle de droit animalier, n° 2/2016, p. 15-26 ; J.-P. Marguénaud, F. Burgat, J. Leroy, « La personnalité animale », D. 2020, p. 28. V. également X. Perrot, « L’agentivité juridique des choses-personnes. La summa divisio transgressée ? », in Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial (dir.), Mare & Martin, 2021, pp. 175-201.
    • 64 J.-P. Marguénaud, « Une révolution théorique : l’extraction masquée des animaux de la catégorie des biens », JCP G 2015, 305 ; J.-P. Marguénaud et X. Perrot, « Le droit animalier, de l’anecdotique au fondamental », D. 2017, p. 996 et s.
    • 65 G. Loiseau, « L’animal et le droit des biens », Revue semestrielle de droit animalier, n° 1/2015, pp. 425-426.
    • 66 G. Loiseau, ibid., p. 427.
    • 67 Sur la notion de droit animalier : v. notamment R. Nerson, « La condition de l'animal au regard du droit », D. 1963, chron. p. 1 ; J.-P. Marguénaud, F. Burgat, J. Leroy, « Le droit animalier », PUF, 2016 ; F. Burgat, « Les animaux ont-ils des droits ? », La documentation française, 2022, spéc. pp. 64-98.
    • 68 P. Malinvaud, « L'animal va-t-il s'égarer dans le code civil ? », D. 2015, p. 87.
    • 69 J. Leroy, « Le renouvellement des rapports entre les êtres humains et les animaux », in Quel type de personnalité juridique pour les entités naturelles ?, Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial (dir.), Mare & Martin, 2021, pp. 271-276, spéc. p. 271.
    • 70 P.-J. Delage, « Regard critique sur les propositions doctrinales tendant à modifier le statut juridique des animaux », in La sensibilité animale. Approches juridiques et enjeux transdisciplinaires, A. Quesne (dir.), Mare & Martin, 2023, pp. 219-228.
    • 71 P. Malinvaud, op. cit., p. 87.
    • 72 Volontairement, le droit de propriété n’est pas ici cité ; il a été largement démontré que le droit de propriété exercé par un propriétaire sur son animal n’est plus aussi absolu qu’il l’était auparavant. V. J.-P. Marguénaud, « Les animaux sont-ils encore des biens ? Prendre au sérieux la sage réponse du droit suisse », in Les animaux et les droits européens. Au-delà de la distinction entre les hommes et les choses, J.-P. Marguénaud et O. Dubos (dir.), Pedone, 2009, p. 51 : « Comment ces animaux peuvent-ils continuer à être qualifiés de meubles ou d’immeubles, c’est-à-dire de biens soumis au droit de propriété, si les prérogatives absolutistes de celui qui en est officiellement le propriétaire sont limitées dans le propre intérêt ? En effet, si le droit de propriété, qui est le plus énergique des droits réels, se caractérise toujours par un pouvoir direct et immédiat sur une chose, il est logiquement impossible d’admettre des limitations aux prérogatives du propriétaire dans l’intérêt de la chose appropriée elle-même car alors on créé un écran excluant immanquablement le caractère direct et immédiat participant de l’essence même des droits réels. Or, ceux que l’on dit encore propriétaires des animaux domestiques, apprivoisés ou tenus en captivité, sont les seuls dont les prérogatives ne soient pas limitées, comme celles de tant d’autres, dans l’intérêt général ou dans l’intérêt des tiers mais dans l’intérêt propre des êtres vivants sur lesquels portent leurs droits. C’est peut-être qu’ils n’en sont plus véritablement propriétaire au sens habituel du terme ». V. également L. Boisseau-Sowinski, « La désappropriation de l’animal », PULIM, 2013.
    • 73 Contra : M.-A. Hermitte, « Les droits de l’homme pour les humains, les droits du singe pour les grands singes ! », Le Débat, 2000/168, p. 168, spéc. p. 173 : « Il me semble que, chaque fois que l’on octroie à un animal un droit destiné à lui permettre d’exprimer sa nature propre et non les besoins de l’homme à son égard, on l’envisage comme sujet et non comme objet de droit ».
    • 74 G. Farjat, « Entre les personnes et les choses, les centres d’intérêts. Prolégomènes pour une recherche », RTD civ. 2002, p. 221 et s., spéc. p. 230.
    • 75 G. Farjat, ibid., p. 221 et s., spéc. pp. 224, 228 et 232.
    • 76 R. Libchaber, « Perspectives sur la situation juridique de l’animal », RTD civ. 2001, p. 239 et s., spéc. p. 241.
    • 77 Bien que, relevons-le toutefois, il a été intégré dans le chapeau et non directement dans le Livre.
    • 78 R. Libchaber, « La recodification du droit des biens », in Le Code civil, 1804-2004, Livre du bicentenaire, J. Carbonnier, J.-L. Halpérin et al. (dir.), LexisNexis, Dalloz, 2004, p. 297 et s., spéc. p. 305.
    • 79 R. Anderno, « La distinction juridique entre les personnes et les choses à l’épreuve des procréations artificielles », préf. F. Chabas, LGDJ, 1996, spéc. p.6.
    • 80 N. Anciaux, op. cit., p. 28, n°32.
    • 81 R. Anderno, op. cit., spéc. p. 134.
    • 82 R. Anderno, ibid., p. 32.
    • 83 G. Loiseau, « Des droits humains pour personnes non humaines », D. 2011, p. 2558.
    • 84 R. Demogue, « La notion de sujet de droit, caractères et conséquences », Hachette Bnf, Sciences sociales, 2017, p. 4.
    • 85 Ibid., p. 8-9.
    • 86 Ibid., p. 10.
    • 87 Ibid., p.11.
    • 88 Ibid., p.10.
    • 89 Ibid., p.11.
    • 90 R. Demogue, op. cit., p. 20.
    • 91 En ce sens, J.-P. Marguénaud, « L’animal en droit privé », op. cit., pp. 387 et s. ; du même auteur, v° Animal dans le « Dictionnaire de la culture juridique », PUF/Lamy, 2003.
    • 92 À nouveau, le propos doit être nuancé. D’abord, cet intérêt distinct existe surtout si l’animal est approprié par l’homme : l’on a déjà montré que la reconnaissance de la sensibilité de l’animal sauvage vivant à l’état de liberté était sujette à débat. Ensuite, même s’agissant de l’animal approprié, la reconnaissance de sa sensibilité n’est pas absolue. Elle cesse plus ou moins de compter lorsque l’intérêt de l’homme se manifeste (ainsi en est-il de l’animal consommé pour sa chair, de l’animal de divertissement, de l’animal de compagnie…). Son intérêt n’est donc pas nécessairement toujours distinct de celui de l’homme.
    • 93 R. Demogue, op. cit., p. 27.
    • 94 Ibid.
    • 95 Ibid.
    • 96 Y. Thomas, « Le sujet de droit, la personne et la nature », in « Sur la critique contemporaine du sujet de droit », Le Débat 1998/3, p. 95.
    • 97 V. notamment Cass. 1ère civ., 22 juillet 1987, n° 85-13.907 et 85-14.507, Fondation de France c/ Nagy et a. : Bull. civ. 1987, I, n° 258 ; Gaz. Pal. 1988, n° 55-56, p. 137 et s., note E.S. de la Marnière.
    • 98 N. Anciaux, op. cit., p. 35, n° 41.
    • 99 Il s’agit d’une lagune située dans la région de Murcie.
    • 100 R. Jhering, « De l'esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement », trad. O. de Meulenaere, t. 4, Paris, A. Marescq Aîné, 2ème éd., 1880, p. 349.
    • 101 Devenir un sujet de droit suppose, selon lui, la réunion de trois critères : une action en justice doit pouvoir être engagée en son nom ; les dommages subis ou causés par lui doivent être pris en compte pour eux même ; il doit être le bénéficiaire direct des réparations qu’il obtient (C. Stone, op. cit., p. 98).
    • 102 J.-P. Marguénaud, « La personnalité juridique des animaux en France. Une lueur calédonienne », op. cit., spéc. p. 19.
    • 103 En ce sens v. notamment M.-A. Hermitte, « L’animal à l’épreuve du droit des brevets », Natures, Sciences, Sociétés, n° 1, 1993, p. 54.
    • 104 J. Carbonnier, « Les personnes », Précis Dalloz, p. 11.
    • 105 M.-A. Hermitte, « Quel type de personnalité juridique pour les entités naturelles ? », in Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial. (dir.), Mare & Martin, 2021, p. 86. Nous soulignons.
    • 106 Ibid.
    • 107 Sur ce point, v. également C. Vial, « Propos introductif », in Droits des êtres humains et droits des autres entités : une nouvelle frontière ?, J.-P. Marguénaud et C. Vial (dir.), Mare & Martin, 2021, p. 19 : « Accorder des droits et des obligations, ou des droits sans les obligations, voire des obligations sans les droits, peut se faire de manière différenciée, en fonction de l’intérêt à protéger. Le fondement de l’attribution des droits peut être différent, le régime de ces droits peut être différent : après tout, le droit connaît la nuance ».
    • 108 N. Anciaux, op. cit., pp. 34-35, n° 41.
    • 109 Cet article instaure une hiérarchie : la personne est nécessairement tenue comme une « réalité première, une valeur éminente » : G. Cornu, « Droit civil. Les personnes », Montchrestien, 13e éd., 2007, n° 2, p. 8.
    • 110 R. Demogue, op. cit., p. 20. Nous soulignons.
    • 111 En ce sens, S. Desmoulin, « L’animal, entre science et droit », préf. C. Labrusse-Riou, PUAM, 2006, t. II, p. 625-626, n° 1010 : « Sur le terrain de la réflexion juridique, il n’est pas possible d’oublier la référence humaine. […] [L]e droit est un instrument de régulation sociale. La loi est faite pour l’homme et n’a de sens que pour lui. Cette affirmation n’est pas synonyme de reconnaissance de la toute puissance humaine. Elle n’implique pas que la loi doive permettre l’exploitation, éventuellement abusive, de tout ce dont l’homme peut s’emparer. Elle proclame seulement l’irrémédiable anthropocentrisme juridique. L’interrogation philosophique permet de se démarquer des exigences de la vie sociale pour adopter un point de vue décentré. La grandeur du droit est de s’atteler à une tâche difficile : organiser la vie des hommes en conformité avec leurs besoins et leurs valeurs. Cette tâche ardue a heureusement ses limites, faute de quoi elle serait impossible. Le droit n’a pas pour fonction de régenter la vie sur terre. Il créé des obligations et impose des devoirs à l’intention des sujets de droits […] ». (Nous soulignons).
    • 112 Délibération n° 787-2021/BAPS/DDDT du 26 octobre 2021 portant diverses modifications du code de l'environnement de la province Sud.
    • 113 J.-P. Marguénaud, « Une révolution théorique… », op. cit., n° 18.
    • 114 J.-C. Galloux, « Essai de définition d’un statut juridique pour le matériel génétique », thèse dactyl., Bordeaux I, 1988, p. 6.
    • 115 N. Anciaux, op. cit., pp. 34-35, n° 41.
     

    RSDA 2-2023

    Doctrine et débats : Doctrine

    L’implication d’animaux dans des dommages de travaux publics

    • Frédéric Colin
      Maître de conférences HDR en droit public
      Aix Marseille Université
      Centre de Recherches Administratives (CRA)

    Non loin du Nord il est un monde
    Où l’on sait que les habitants
    Vivent, ainsi qu’au premier temps,
    Dans une ignorance profonde :
    Je parle des humains ; car, quant aux animaux,
    Ils y construisent des travaux
    Qui des torrents grossis arrêtent le ravage,
    Et font communiquer l’un et l’autre rivage.

    Jean de La Fontaine, Fables, Les deux rats, le renard et l’œuf


    L’administration engendre inéluctablement, par son action, de multiples dommages. Ceux-ci peuvent résulter soit d’une faute, produite par une action positive, soit d’une carence. Mais ils peuvent aussi résulter d’un fait non fautif, la collectivité assumant une prise en charge de certains dommages dans l’intérêt général. Cette dichotomie se concrétise dans des litiges fréquents liés aux travaux publics, qui vont relativement fréquemment conduire à des contentieux. La juridiction administrative a donc eu l’occasion de fonder une responsabilité bien particulière relative aux dommages de travaux publics, et a particularisé ses conditions d’engagement comme certaines règles purement contentieuses qui y sont liées.
    Or, des animaux sont épisodiquement mis en cause dans des litiges relatifs à ces dommages de travaux publics. Deux hypothèses symétriques sont envisageables : celle d’animaux blessés à l’occasion d’opérations de travaux publics, et celle d’accidents de travaux publics résultant du fait d’animaux.
    Si l’implication d’animaux dans le cadre de dommages de travaux publics ne modifie pas particulièrement les règles relative à cette responsabilité administrative, il n’est pas inutile de réexaminer cette responsabilité sous ce prisme particulier, afin de tenter de comprendre comment la juridiction administrative « comprend » les animaux dans sa jurisprudence. Il apparaît qu’elle ne confère pas encore de droits ou d’obligations aux animaux, quels qu’ils soient (domestiques, sauvages), mais qu’elle fait une analyse économique précise de leur valeur afin d’indemniser leur propriétaire : la question de la « victime » est donc posée, comme celle du bien-être animal qui n’est pas encore bien présent dans la jurisprudence. On centrera donc le propos le plus exclusivement possible sur la question précise de la responsabilité pour dommages de travaux publics en lien avec les animaux, qu’ils soient à l’origine de la production du dommage, ou qu’ils en soient victime.
    La diminution des espaces de vie de la faune sauvage mais aussi la densification de l’habitat humain et la proximité des exploitations agricoles des zones habitées entraîne ainsi des accidents relativement fréquents, qui peuvent mettre en cause les collectivités publiques. En effet, l’animal impliqué peut provenir d’une propriété publique, et plus précisément du domaine, privé ou public, d’une personne publique : on pense notamment aux accidents de la route causés sur une route par des animaux tels que sangliers, cervidés… surgissant de façon inopinée d’une forêt domaniale. Mais il existe bien d’autres cas de responsabilité administrative pour dommages de travaux publics impliquant des animaux.
    D’autres problématiques peuvent paraître proches, mais s’en distinguent néanmoins, et ne seront donc pas envisagées : il s’agit essentiellement de la responsabilité des autorités de police administrative, générale ou spéciale, qui peut être envisagée du fait des animaux (p. ex. de leur divagation sur la voirie publique en raison d’une carence de l’autorité de police) ; et de la responsabilité du service public (p. ex. la responsabilité administrative du fait d’une collaboration occasionnelle au service public de la mise en fourrière d’animaux). Mais la frontière peut s’avérer ténue entre ces différentes sources de responsabilité ; certains exemples jurisprudentiels s’en font l’écho, nous le verrons.
    On rappellera simplement en quelques mots les grandes lignes communes aux différentes hypothèses de responsabilité pour dommage de travaux publics. La victime doit formuler une demande indemnitaire préalable auprès de l’autorité administrative1. L’absence de réponse vaut décision implicite de rejet. Une décision de rejet, explicite ou implicite, doit être attaquée dans le délai de deux mois. Le ministère d’avocat est obligatoire. La prescription quadriennale s’applique.
    Enfin, on adoptera des développements symétriques concernant l’implication d’animaux dans le cadre de dommages de travaux publics : on s’intéressera tout d’abord aux animaux ayant contribué à la production du dommage, puis dans un second temps aux animaux victimes de dommages de travaux publics.

    I. L’animal, contributeur à la réalisation du dommage de travaux publics

    Dans certains cas, la conception ou le fonctionnement d’un travail public ou d’un ouvrage public permet à un animal d’intervenir dans la production d’un dommage. La qualité de la victime (sachant que l’animal en question est lui aussi victime dans bien des cas) doit être distinguée en responsabilité administrative : l’usager est soumis à un régime de responsabilité pour faute, le tiers à une responsabilité sans faute.

    A. Le bénéfice d’une responsabilité pour faute présumée pour l’usager

    L’usager d’un ouvrage public bénéficie en cas de dommage, dans le cadre d’une responsabilité qui reste pour faute, d’un régime favorable. Plus précisément, on lui applique une présomption de faute. Ainsi, il appartient au maître d’ouvrage (l’administration au sens large : on y inclut les délégataires de service public ; p. ex. les concessionnaires d’autoroute) de s’exonérer en apportant la preuve contraire. Pour autant, les règles ne sont pas toujours évidentes, et la jurisprudence a établi deux fondements pour ce cas de responsabilité : le vice de construction de l’ouvrage public (qui ne serait pas en adéquation avec sa destination : p. ex. ayant un défaut de solidité), ou le défaut d’entretien normal de l’ouvrage. C’est ce second cas qui est généralement invoqué au contentieux, et qui se déploie surtout en matière de voirie terrestre. La personne publique voit néanmoins peser sur elle non pas une obligation de résultat, mais une obligation d’entretien normal de l’ouvrage public, c’est-à-dire qu’elle doit anticiper de façon raisonnable un dommage potentiel en fonction de l’état de l’ouvrage et de son action « normale » quant à son entretien. Comme il n’est pas possible de remédier immédiatement à tout défaut, l’administration peut s’exonérer de sa responsabilité si elle informe l’usager potentiel d’un danger lié à l’utilisation de l’ouvrage (p. ex. panneau de signalisation d’un danger lié au passage d’animaux).

    1. Les animaux sauvages

    L’usager bénéficie de cette jurisprudence (présomption de défaut d’entretien normal) au cas du passage habituel d’animaux sauvages sur la voirie terrestre (cervidés, sangliers, essentiellement) ou si cette voirie est à proximité de leur zone d’abri, de résidence (ex. massif forestier)2.
    L’administration ou son délégataire doit dans ce cas au moins procéder à la signalisation de la zone de passage éventuel de ces animaux ou, si cela n’est pas suffisant, « organiser » leur passage : le réorienter, le dévier, voire le bloquer à certains endroits, par exemple par la pose de barrières3, clôtures, passages aériens ou souterrains4… C’est une obligation stricte : la mise en place d’installations destinées à empêcher la présence de tels animaux sur la voirie, en tout cas autoroutière, n’exonère pas le concessionnaire, au titre de son obligation d’entretien normal, de signaler spécifiquement la présence de grands animaux sur la voie5.
    L’administration ou son délégataire (autoroutes) doit donc prendre toute mesure adéquate à proximité de massifs forestiers abritant du gros gibier6.
    Cette obligation concerne aussi tout lieu de passage habituel7, ce qui peut s’avérer une zone extrêmement longue, de plusieurs kilomètres8. La responsabilité ne sera pas envisageable si le cas de passage est isolé9. Le contrôle de ce caractère habituel par la juridiction administrative s’effectue in concreto et peut paraître parfois contre intuitif, certaine jurisprudence relevant plusieurs accidents sur une portion de route somme toute assez rapprochée (2 à 3 kilomètres de part et d’autre du lieu de l’accident objet du contentieux) sans retenir le caractère habituel du passage des animaux10. Le caractère habituel ne sera pas non plus retenu si l’animal ayant causé l’accident est heurté en dehors d’un itinéraire cynégétique11.
    L’obligation d’aménagement particulier s’applique aux routes en général, qu’il s’agisse de routes départementales12, nationales13 ou autoroutes14. Cette obligation concerne le gros gibier ou les grands animaux sauvages15.
    D’autres ouvrages publics sont concernés, par exemple les digues : il appartient à leur gestionnaire de les entretenir et notamment de parer à des infiltrations qui seraient causées par des terriers creusés par des animaux nuisibles16. L’installation d’une décharge publique peut aussi attirer des oiseaux engendrant des dommages de nature à ouvrir réparation au titre des dommages permanents de travaux publics17.
    Il n’y a pas que les animaux « terrestres » qui soient impliqués et l’État a été jugé responsable pour défaut d’entretien normal de l’ouvrage que constitue une piste de décollage du fait d’oiseaux entrés en collision avec un avion18.
    Cela reste une jurisprudence de cas d’espèce, dans laquelle on trouve aussi bien des cas dans lesquels l’entretien a été jugé normal19, que défaillant20. À titre d’illustration, en ce qui concerne l’étendue de l’obligation pesant sur les sociétés d’autoroute, il a été jugé que la responsabilité était encourue du fait d’une clôture insuffisante pour empêcher le passage de chevreuils, malgré le passage d’une patrouille habituelle quelques heures avant un accident21.

    2. Les animaux domestiques

    L’obligation d’aménagement particulier concerne les animaux sauvages. Concernant les autres animaux, la présence d’un animal domestique sur la chaussée publique peut aussi engendrer une responsabilité pour dommage accidentel de travaux publics envers un usager22. Mais cela ne conduit pas pour ces animaux à devoir mettre en place des aménagements lourds : il n’est pas besoin d’installer des grillages infranchissables pour tout animal errant23, comme un chien (par exemple un chien de chasse24), voire pour un animal domestique de grande taille comme un cheval25.
    Le contentieux peut aussi se développer, en ce qui concerne les animaux domestiques, au niveau des communes, via la carence du maire dans l’utilisation de ses pouvoirs de police administrative, puisqu’il lui appartient d’obvier à la divagation des animaux « malfaisants ou féroces » ; l’hypothèse a été envisagée au cas d’un accident de la circulation causé, sur la voie publique, en Corse, par une vache26.
    En conclusion, qu’il s’agisse d’animaux sauvages ou domestiques, l’administration peut s’exonérer de sa responsabilité pour faute présumée en établissant la faute de la victime ou la force majeure. Le juge a refusé que des animaux puissent être les « boucs émissaires » d’un entretien de voirie dont la périodicité régulière n’avait pas pu être établie, et donc la force majeure, implicitement invoquée, été écartée27.
    Enfin, on évoquera très brièvement la question de l’intervention du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO), chargé d’indemniser les victimes d’accidents de la circulation, simplement pour préciser qu’il ne prend pas en charge les dommages matériels causés par un accident avec un animal sauvage (on pense aux accidents de la route, susvisés).

    B. Le bénéfice d’une responsabilité sans faute pour le tiers

    Il est « normal » que le tiers, non concerné par l’action de l’administration, ne subisse de dommage du fait de celle-ci. Le tiers bénéficie donc d’un régime jurisprudentiel de responsabilité a priori encore plus favorable, puisqu’il n’a pas de faute à prouver, dans le cas de dommages permanents de travaux publics ou pour dommage accidentel. Il doit dans ce cas, néanmoins, établir qu’il a subi un dommage anormal (qui excède par sa durée, sa nature et/ou son ampleur un dommage « normal » : la preuve reste difficile à remplir28) et spécial (qui ne doit concerner que la victime elle-même, ou un petit nombre de victimes). Les préjudices qui n’excèdent pas les sujétions susceptibles d’être normalement imposées dans l’intérêt général aux riverains des ouvrages publics, n’ouvrent pas droit à indemnité.
    La responsabilité pour dommage permanent de travaux publics est d’application régulière, compte tenu du nombre et de l’ampleur des travaux publics. Elle a été consacrée dans des cas variés et d’interprétation large par la jurisprudence ; par exemple celui d’une lenteur à intervenir du fait de nuisances liées à l’installation irrégulière d’une porcherie29, ou du fait de l’obstacle que constitue une autoroute pour la circulation d’animaux sauvages malgré la présence de plusieurs passages à faune30.
    Mais le législateur a pu substituer à cette jurisprudence un régime légal de responsabilité plus favorable encore, dans lequel la simple preuve d’un préjudice suffit pour bénéficier d’une indemnisation. C’est le cas pour les dommages résultant de l’action de l’État en faveur de l’environnement, et plus spécifiquement pour protéger la faune sauvage. Celle-ci peut entraîner des dommages aux récoltes. La loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature (codifiée dans le code de l’environnement sur ce point) institue un régime légal d’indemnisation de fait de l’action des sangliers et des gros gibiers31. Mais, par ailleurs, la loi exclut l’indemnisation du fait de dommages résultant d’animaux protégés ; le juge administratif, dans un premier temps, en a déduit l’exclusion de toute indemnisation du fait de l’égalité devant la loi32. Mais à la suite d’un revirement de jurisprudence, une indemnisation est désormais envisageable en cas de préjudice anormal33, notamment dans le cas de dommages résultant de sangliers. Néanmoins, il appartient à la victime d’établir qu’elle s’est, elle aussi, organisée pour parer aux dégâts (p. ex. clôture en cas d’exploitation en bordure de massif forestier abritant des sangliers).
    Rappelons par ailleurs qu’en matière de détermination de la personne responsable, le délégataire d’un ouvrage public est seul responsable des dommages causés aux tiers par l’existence ou le fonctionnement des ouvrages concédés. La responsabilité de la collectivité concédante n’est susceptible d’être engagée qu’à titre subsidiaire, en cas d’insolvabilité du concessionnaire.

    II. L’animal, victime d’un dommage de travaux publics

    On l’a évoqué, l’animal, lorsqu’il contribue à la production d’un accident de travaux publics, est en réalité souvent la première victime. Mais, ne disposant pas de la personnalité juridique, les dommages qu’il subit ne seront a priori réparés que par l’intermédiaire d’une indemnité, versée à son propriétaire, s’il y en a un et s’il est identifiable. Le législateur a néanmoins prévu quelques mesures de prévention ; ainsi l’article L. 332-3 du code de l’environnement prévoit que l’exécution de travaux publics peut faire l’objet d’un régime particulier, restrictif, dans une réserve naturelle, dans l’idée de protéger les animaux à ce stade bien particulier de l’action administrative. Par ailleurs et surtout, on peut sans doute envisager de nouvelles pistes de réflexion, diverses, permettant la prise en compte de l’animal en tant que bénéficiaire direct d’une réparation.

    A. La transparence juridique de l’animal : la victime est le propriétaire de l’animal

    Le propriétaire tiers par rapport à l’ouvrage public pourra obtenir une indemnisation pour les dommages subis par les animaux dont il est propriétaire, sur les deux fondements susvisés : soit la responsabilité pour faute présumée pour défaut d’entretien de l’ouvrage public s’il est considéré comme ayant la qualité d’usager34 ; soit la responsabilité sans faute s’il a la qualité de tiers. Dans ce second cas, on l’a vu, s’il n’a pas de preuve de faute à apporter, encore faut-il qu’il établisse le caractère anormal et spécial de son préjudice.
    Les dommages subis par des animaux, concernés par cette jurisprudence, sont concrètement très divers : blessures, contamination35, augmentation de la surmortalité dans un élevage36, nécessité de soigner des animaux et/ou décès direct d’un ou plusieurs animaux37, prédation par d’autres animaux38.
    Le propriétaire doit en tout état de cause établir le caractère direct du préjudice39 en prouvant un lien de causalité entre le dommage subi et le fonctionnement de l’ouvrage public40, ce qui n’a pas forcément un caractère d’évidence41, notamment en cas de pollution causée par un ouvrage ou des travaux publics42. Mais quelques demandes d’indemnisation ont pu aboutir dans le cas de dommage accidentels de travaux publics : notamment du fait de dommages subis par des animaux d’un zoo en raison de déflagrations (tirs de mine) dans le cadre de la construction d’une autoroute43 ; ou dans le cas d’une surmortalité d’abeilles à la suite d’une opération de démoustication44.
    De plus, une responsabilité pour dommage permanent de travaux publics est envisageable : dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que l’administration fait supporter dans l’intérêt général une charge particulière sur certains membres du public : les riverains (p. ex. un exploitant agricole subissant une charge anormale des conditions d’exploitation de son élevage du fait d’une opération de remembrement45) ; et les tiers dans un sens plus large. Ces « charges » peuvent être subies par des animaux : décès « direct » de certains animaux d’un élevage46, ou surmortalité dans un cheptel47, ou perte d’un habitat naturel (p. ex. en raison d’un éclairage nocturne, de nuisances sonores48 et/ou olfactives liées à des animaux y compris de compagnie49, de l’arrivée d’animaux nuisibles).
    Le propriétaire a droit à une indemnisation intégrale de « son » préjudice, ce qui inclut des bénéfices attendus, en plus de la perte de la valeur vénale d’un animal : par exemple la perte liée à des saillies d’une jument décédée accidentellement dans un haras50.
    Le propriétaire doit en tout état de cause établir le lien de causalité entre son préjudice et l’opération de travaux publics incriminée, condition exigeante en jurisprudence administrative51.
    Précisons que le propriétaire d’un animal peut être privé, mais cela peut très bien aussi être une personne publique ; dans ce cas, l’animal appartient à son domaine privé mobilier (corporel)52. L’animal peut aussi faire l’objet d’une assurance, aussi bien pour les dommages subis que pour ceux causés.
    Par ailleurs, par dérogation à la loi du 31 décembre 1957 et à la loi des 16 et 24 août 1790, alors que les tribunaux de l’ordre judiciaire sont en principe seuls compétents pour statuer sur toute action en responsabilité tendant à la réparation des dommages de toute nature causés par un véhicule quelconque, la juridiction administrative retrouve sa compétence lorsque les dommages invoqués ont été causés par un véhicule participant à l’exécution d’un travail public. Dès lors, c’est cette juridiction qu’il faut saisir pour obtenir une indemnisation liée au dommage causé à un cheptel par les poussières provenant de la circulation des véhicules sur le chantier de construction d’une autoroute53.
    Enfin, l’administration peut s’exonérer de sa responsabilité en établissant la faute de la victime (le propriétaire54) ou la force majeure55.

    B. L’élargissement de la notion de victime : l’animal, « tiers » bénéficiaire d’une réparation

    La jurisprudence s’est intéressée pour l’instant à l’indemnisation de propriétaires d’animaux blessés ou tués par des opérations de travaux publics ou par le fonctionnement d’ouvrages publics. On peut, au-delà, envisager un élargissement de certaines règles ou de certains raisonnements pour étendre la « réparation », cette fois au bénéfice des animaux eux-mêmes. L’évolution de la socialisation des risques permet d’envisager l’hypothèse, et différentes problématiques proches et/ou qui lui sont liées.
    Ainsi, la question de la recevabilité du recours contentieux interroge la qualité de la victime, qui peut englober des personnes non propriétaires d’animaux : par exemple des associations de défense de l’environnement ou de la cause animale (p. ex. dans le cadre du débordement d’un cours d’eau à la suite de l’intervention de l’administration, conduisant à la mort d’animaux), des fédérations de chasse ou de pêche éventuellement.
    On pourrait peut-être aussi envisager une réparation au titre de la souffrance animale.
    Par ailleurs, on pourrait concevoir l’élargissement d’une responsabilité basée sur un préjudice écologique56 qui engloberait les dommages causés à des animaux, consécutifs à des travaux publics (on pense à un dommage permanent de travaux publics) ou au fonctionnement d’un ouvrage public. Les articles 1246 s. du code civil prévoient une réparation du préjudice écologique ; elle s’effectue « par priorité en nature ». Le juge administratif pourrait donc à ce titre être amené à condamner l’administration ou son délégataire par exemple à effectuer des travaux de restauration d’une situation initiale (notamment en construisant des points de passage supplémentaires pour les animaux sauvages), ou à remettre en état un site afin de garantir la survie d’animaux voire d’une espèce. Il s’agirait d’éviter qu’un dommage « irréversible » ne soit causé à un habitat naturel ou à une espèce animale protégée ou dont l’intérêt a été reconnu57.
    On peut aussi considérer l’animal comme un « tiers » victime directe de l’action administrative de travaux publics. Dans cette hypothèse, il serait envisageable d’appliquer la responsabilité sans faute de l’administration, avec l’exigence d’un dommage anormal et spécial. Cette responsabilité pourrait être mise en œuvre par des associations de défense des animaux, et pourrait donner lieu à une indemnisation leur bénéficiant, comme à d’autres structures publiques dédiées à l’amélioration de la condition animale. Ce serait ici une extension de mécanismes déjà mis en œuvre en matière environnementale, par exemple dans le cadre de la jurisprudence « Commune de Grande-Synthe »58 ou de l’« affaire du siècle »59.
    Dans une logique d’extension similaire, le principe de précaution, consacré par l’article 5 de la Charte de l’environnement de 2004 et intégré au bloc de constitutionnalité, serait susceptible d’être invoqué. Les conditions multiples de son application sont néanmoins d’application stricte, et ne paraissent pas de nature à permettre une solution bien favorable aux animaux, en tout cas dans le cadre de dommages de travaux publics. Ainsi, il a été jugé que la présence de lignes à très haute tension présentait un risque justifiant l’application du principe de précaution à l’égard d’enfants, mais pas d’animaux d’élevage60.
    En ce qui concerne la procédure administrative contentieuse, on peut sans doute aussi envisager le développement du référé, afin d’espérer une meilleure protection des animaux dans le cadre d’opérations de travaux publics. Même s’ils ont un caractère provisoire, ils sont exécutoires61 et permettraient à titre conservatoire de garantir le devenir d’animaux. Les référés-suspension62 et liberté présentent sans doute un potentiel intéressant. Le référé-liberté63 présente l’avantage de ne pas exiger de décision administrative préalable, et se prête donc a priori bien aux opérations de travaux publics, pour en obtenir l’arrêt au moins momentané, afin d’expertiser le risque présenté pour des animaux. Il est conditionné par l’urgence et l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le droit de propriété constitue l’une de ces libertés64, or l’animal, dans de nombreux contentieux susvisés, est approprié ; il serait donc possible d’envisager un référé-liberté dans l’hypothèse où la vie d’un animal serait menacée par une opération de travaux publics.
    Un référé-provision65 est aussi envisageable, mais il nécessite d’établir l’existence d’une obligation non sérieusement contestable avec un degré suffisant de certitude. Un contentieux a été consacré notamment à la question, et l’installation d’une clôture aux abords d’une nouvelle route pour empêcher l’intrusion d’animaux s’est révélée, en raison du caractère « peu pratique et peu fiable des ouvertures » aménagées pour les piétons, de nature à ouvrir droit à provision, sur le fondement de dommages de travaux publics66.

    Conclusion

    Comme divers domaines de la responsabilité administrative liée au droit animalier, les dommages de travaux publics ne sont sans doute pas encore envisagés à hauteur des enjeux qu’ils présentent. Cela étant, la jurisprudence y est cohérente. Elle reste tournée vers la relation classique entre l’administration publique et une victime qui est soit une personne morale soit une personne physique. L’animal n’a pas dans ce contentieux du dommage de travaux publics une existence juridique propre, et sa place de victime est donc minime. Le développement du préjudice écologique peut être une opportunité de réflexion et d’élargissement de nouvelles formes de réparation bénéficiant à des animaux qui seraient victimes de dommages de travaux publics : la réparation ne serait pas seulement pécuniaire, et versée seulement à un propriétaire d’animal. Le respect dû aux animaux appelle à améliorer la situation, en envisageant notamment, lorsque c’est possible, la consécration d’une obligation de soins, ou la remise en état d’un habitat animalier. Une application plus large de la responsabilité administrative sans faute, et des modalités de réparation renouvelées, pourraient constituer un mouvement favorable.

    • 1 Article R.421-1 du Code de justice administrative (CJA).
    • 2 CE, 12 mai 2003, n° 209440, Caisse Régionale des assurances mutuelles agricoles d’Île-de-France (CRAMAIF).
    • 3 CAA Nantes, 17 mai 2017, n° 15NT01960, Société « L’Assurance mutuelle des motards ». A contrario (lieu non habituel de passage) : « passes américaines » ou « passes herbagères », destinées au passage des personnels et aux engins de travaux, jugées comme pour la plupart endommagées à l’endroit mis en cause.
    • 4 CAA Douai, 1er février 2005, n° 03DA00932 : le détour imposé au propriétaire pour utiliser un tunnel sous une route très passante ne constitue pas, en l’espèce, une charge anormale et spéciale.
    • 5 TA Orléans, 25 novembre 2003, n° 0200791, Société Axa Courtage.
    • 6 CE, sect., 20 juillet 1971, Cts Bollusset : Lebon, p. 54 ; CE, 12 nov. 1997, CRAMA Île-de-France : Gaz. Pal. 1997, 1, p. 31.
    • 7 CE, 2 avr. 1971, n° 78884, Société des autoroutes du Nord de la France : Lebon, p. 282 ; Dr. adm. 1971, comm. 132 ; CE, 20 nov. 1987, Sté autoroute Estérel-Côte d’Azur : Gaz. Pal. 1989, 1, p. 72 , note H.-V. Amouroux ; CAA Lyon, 26 mars 1999, n° 89LY00224, Département de l’Ain ; CAA Nantes, 28 octobre 2004, n° 01NT01856 ; CAA Marseille, 22 décembre 2008, n° 06MA03147.
    • 8 CAA Lyon, 16 mars 1989, n° 89LY00224, Département de l’Ain : environ 10 km.
    • 9 CAA Marseille, 6 octobre 2011, n° 09MA00650.
    • 10 CAA Nantes, 8 mars 2000, n° 97NT01834, M. X. et Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF).
    • 11 CAA Lyon, 24 novembre 1993, n° 93LY00563, Société des Autoroutes Rhône Alpes (AREA) : accident ayant eu lieu à 3 km d’un lieu de passage identifié de sangliers.
    • 12 CAA Nancy, 24 juin 1993, n° 92NC00775 (accident causé par un sanglier ; l’absence de signalisation n’est pas fautive, en l’espèce) ; CE, 11 avril 1986, n° 32263 (accident causé par une biche, sur une route départementale).
    • 13 CAA Nancy, 10 décembre 1992, n° 91NC00352 (responsabilité de l’État).
    • 14 CE, sect., 19 mars 1976, n° 93774, Société des autoroutes Paris-Lyon. On rappellera qu’il est interdit aux animaux de circuler sur les autoroutes… : cf. art. R 421-2-1° Code de la route.
    • 15 Quant aux animaux domestiques, la jurisprudence peut sembler parfois contradictoire, certains arrêts leur appliquant cette jurisprudence (CAA Nancy, 11 mai 1994, n° 92NC00972, SANEF ; CAA Nancy, 22 avril 1999, n° 97NC02559, SANEF : bovin d’élevage), d’autres non (CAA Bordeaux, 24 octobre 1991, n° 88BX00008, Société des Autoroutes du Sud de la France : chevaux d’une exploitation agricole).
    • 16 CAA Nantes, 26 mai 1983, n° 91NT00043, Association syndicale pour l’entretien des travaux d’assainissement de la Vallée de la Dives.
    • 17 TA de Montpellier, 16 décembre 1969, Sieurs X. et A. c/ Ville de Montpellier (sur site Légifrance).
    • 18 CE, 28 juin 1989, Société Uni-Air et Compagnie d’assurances L’Europe, Rec., p. 976. La preuve de l’entretien normal parait difficile à apporter : CAA Paris, 7 mai 2008, n° 06PA03237, Ministre des Transports, de l’Équipement, du Tourisme et de la Mer ; CAA Marseille, 23 juin 2008, n° 05MA00761, Ministre de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire.
    • 19 CE, 4 novembre 1987, n° 80150, Société des Autoroutes du Sud de la France : Lebon, p. 102 : mise en place de plus de 10 km de barrières, excédant de 1,5 km les limites de la zone de passage telles qu’indiquées par les services techniques. V. aussi CE, 15 avril 1983, n° 28229, Société de l’autoroute Paris-Lyon.
    • 20 CE, 20 novembre 1987, n° 70761, Société Esterel-Côte d’Azur : simples glissières alors que la forêt à proximité abritait du gros gibier.
    • 21 TA Lyon, 27 octobre 1998, n° 9702115.
    • 22 CAA Nancy, 18 juin 1992, n° 90NC00677, Société d’assurances « L’Orléanaise ».
    • 23 CAA Nantes, 24 février 1994, n° 93NT00198.
    • 24 CAA Nancy, 18 juin 1992, n° 90NC00677, Société d’assurances « L’Orléanaise » : le chien est à la fois contributeur dans la production du dommage et victime.
    • 25 CAA Bordeaux, 24 octobre 1991, n° 88BX00008, Société des Autoroutes du Sud de la France, préc.
    • 26 Art. L. 2212-2-7° CGCT ; CE, 10 novembre 2021, n° 439350 (le bovin n’avait pas de propriétaire identifiable). C’est le code rural et de la pêche maritime (art. L. 211-20 s.) qui définit la divagation des animaux. Il semble que les notions de malfaisant et de nuisible soient confondues : cf. Rép. à question écrite, Sénat, du 19 avril 1990, JO, p. 871. Ce qui interroge sur la qualification retenue par le CE ; mais la rédaction du CGCT ne parait pas assez précise : difficile de considérer une vache comme étant un animal « malfaisant ou féroce ».
    • 27 CAA Marseille, 8 octobre 2012, n° 10MA02067, Département du Var : le département « ne peut s’exonérer de sa responsabilité en faisant valoir que les passages de grands animaux peuvent causer la chute de petits cailloux sur la chaussée ».
    • 28 CE, 6 juin 1980, n° 06830, Syndicat mixte pour l’aménagement hydraulique de la région du Perthois.
    • 29 CAA Paris, 99PA03747, Mme Élisabeth X., cité in H. Pauliat, « Les animaux et le droit administratif », Pouvoirs, vol. 131, n° 4, 2009, pp. 57-72.
    • 30 CAA Nantes, 21 mai 2021, n° 19NT03599, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône.
    • 31 Art. L. 426-1 à L. 426-8 du Code de l’environnement. Le contentieux appartient à la juridiction judiciaire, sauf exception.
    • 32 P. ex., CE, 29 juill. 1994, n° 115727, Le Beuf : Lebon, p. 602, concl. Kessler : dommages causés par des grues cendrées, mais lien de causalité non établi ; CAA Lyon, 16 février 1989, n° 89LY00152 : castors (et lien de causalité non établi avec des travaux de nettoyage de berges).
    • 33 CE, sect., 30 juillet 2003, n° 215957, Assoc. développement aquaculture région Centre : Lebon, p. 367 ; JCP A 2003, 1896 , note C. Broyelle ; AJDA 2003, p. 1815, chron. F. Donnat et D. Casas ; RD publ. 2004, p. 400, chron. C. Guettier ; RFD adm. 2004, p. 144, concl. P. Lamy, notes P. Bon et D. Pouyaud.
    • 34 Le fait de promener un chien dans un parc communal aménagé fait de son propriétaire un usager d’ouvrage public : CAA de Marseille, 20 octobre 2023, n° 22MA02411.
    • 35 CAA Lyon, 26 mars 2002, n° 96LY06618, Commune de Cluny : contamination de chevaux à la suite du débordement d’un réseau public d’assainissement ; CAA Marseille, 16 septembre 2019, n° 18MA00744 : contamination d’un élevage d’un mytiliculteur à la suite de travaux de terrassement d’une commune.
    • 36 CAA Paris, 24 septembre 2016, n° 15PA04170, n° 16PA00122, SARL l’Huîtrière de la Dumbéa.
    • 37 CE, 10 juin 1977, n° 97969, Commune de Tantonville ; CAA Bordeaux, 3 décembre 2019, n° 17BX00848, SAS Mobil Park.
    • 38 CE, sect., 30 juillet 2003, Assoc. développement aquaculture en région centre, préc.
    • 39 CAA Nancy, 5 juin 1990, n° 89NC00767.
    • 40 CAA Nancy, 16 avril 1998, n° 94NC01387.
    • 41 CAA Nantes, 23 décembre 2014, n° 13NT03164.
    • 42 CAA Douai, 5 février 2013, n° 12DA00229. Pour un exemple dans lequel la pollution d’un cours d’eau en raison d’un nombre important d’animaux fréquentant un marché aux bestiaux a été reconnue : CE, 6 mars 1992, n° 80470, Ministre de l’Agriculture. V. aussi CE, 7 mars 1986, n° 60428 ; TA de Nantes, 18 décembre 1986 (sur le site Legifrance) ; CE, 24 mars 1978, n° 01445, Commune de Saint-Brévin-les-Pins.
    • 43 CE, 13 janvier 1992, n° 84256, Société de l’Autoroute Estérel-Côte d’Azur [ESCOTA].
    • 44 CAA Marseille, 11 janvier 2011, n° 09MA00606, Entente internationale pour la démoustication du littoral méditerranéen.
    • 45 CE, 5 octobre 2005, n° 259808, EARL Ledoux et autre.
    • 46 CAA Bordeaux, 11 juin 2001, n° 98BX00553 (décès d’animaux d’élevage à la suite d’une inondation causée par la déviation d’un cours d’eau).
    • 47 CAA Nantes, 26 mars 1992, n° 90NT00035.
    • 48 Dont la limitation au regard de la tranquillité du voisinage est prévue à l’article R. 1334-31 du Code de la santé publique. Mais l’article R. 1336-6 prévoit des exceptions tenant notamment à des infrastructures de transport, qui peuvent donc concerner des ouvrages publics. V. aussi « La pollution sonore générée par le trafic routier affecte l’état sanitaire des animaux », Écho bruit, 2e trim. 2017, p. 55-56, cité in JurisClasseur Administratif, Fasc. 380 par M. Moliner-Dubost. Pour un exemple d’indemnisation en raison des cris des animaux hébergés dans un chenil d’école vétérinaire : CE, 17 mai 1974, n° 84391 et CE, 2 mai 1990, n° 82456 (chenil d’une brigade cynophile de la police nationale produisant du bruit atteignant à certains moments une intensité de 80 décibels).
    • 49 CAA de Douai, 15 novembre 2016, n° 15DA00379 : un « caniparc » urbain est bien un ouvrage public.
    • 50 CE, 27 octobre 2010, n° 318709.
    • 51 CE, 19 octobre 1983, n° 19532 (mort d’une douzaine d’animaux par intoxication par de l’eau salée dans un canal) ; CAA Nancy, 10 avril 2014, n° 13NC01133 : mort de deux chevaux à leur retour de pâture, alors que la commune avait épandu de la chaux en bordure de terrain des propriétaires ; la Cour relève bien, pourtant, de la « poudre blanche » chez l’un des deux chevaux ; pour un autre rejet lié à de l’épandage de chaux : CAA Douai, 17 janvier 2006, n° 04DA00479, Compagnie Groupama Normandie et autre. V. aussi CAA Nancy, 27 mai 1992, n° 90NC00472, n° 91NC00609, Commune de La Cheppe (mort de poissons d’élevage) ; TA de Dijon, 14 novembre 1969, X. c/ Commune de Chevigny-Saint-Sauveur (perte d’animaux résultant d’intoxications par des fumées nocives de combustion d’une décharge publique).
    • 52 CA Nîmes, 4 décembre 1944, État Français c/ Brun : D. 1946, jurisp. p. 28, note M. Waline : cheval de l’armée.
    • 53 CAA Nantes, 1er août 2002, n° 01NT00499.
    • 54 CAA Nantes, 8 avril 2004, n° 03NT00960 ; CAA Nancy, 24 octobre 1989, n° 89NC00288.
    • 55 CAA Bordeaux, 3 décembre 2019, n° 17BX00848, SAS Mobil Park, préc. : bovins électrocutés à la suite de la chute d’une ligne à haute tension causée par des vents à 130 km/h qui n’ont pas été jugés comme un cas de force majeure.
    • 56 Art. 1248 du code civil qui dispose : « L’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l’État, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement ». Un arrêt de CAA, implicite sur ce point, laisse entrevoir la recevabilité d’un tel recours : CAA Nantes, 21 mai 2021, n° 19NT03599, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône, préc.
    • 57 CAA Bordeaux, 26 novembre 2002, n° 00BX02392, Office national des forêts : Environnement 2003, chron. 19.
    • 58 CE, 19 novembre 2020, n° 427301 ; JCP G 2020, 1334, n° 49, note B. Parance et J. Rochfeld ; JCP A 2020, 2337, n° 51-52, note R. Radiguet.
    • 59 CE, 10 juillet 2020, n° 428409, Association Les amis de la Terre – France et autres ; Lebon, p. 289, concl. S. Hoynck ; AJDA 2020, p. 1776, chron. C. Malverti et C. Beaufils.
    • 60 CAA Nantes, 14 mars 2014, n° 12NT03053, Commune du Chefresne.
    • 61 CE, sect., 5 novembre 2003, n° 259339, n° 253706, n° 259751, Assoc. Convention Vie et Nature pour une écologie radicale ; Assoc. protection animaux sauvages : Lebon, p. 444, concl. F. Lamy ; AJDA 2003, p. 2253, chron. F. Donnat et D. Casas.
    • 62 Art. L 521-1 du code de justice administrative.
    • 63 Art. L. 521-2 du code de justice administrative.
    • 64 CE, 23 janvier 2013, n° 366252, Commune de Chirongui, Lebon, p. 6 : le référé-liberté est même envisageable dans l’hypothèse d’une voie de fait. CE, ord., 1er juin 2001, n° 234321, Ploquin, Lebon T, p. 1126 : une décision préfectorale prescrivant l'abattage de l'ensemble du cheptel bovin d'un éleveur « supprime la libre disposition par un propriétaire de certains de ses biens et affecte par là même l'exercice d'une "liberté fondamentale" au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». V. aussi CE, 1er décembre 2020, n° 446808, qui mentionne le fait qu’en l’espèce, le « droit à la vie » du chien concerné n’est pas menacé.
    • 65 Art. 541-1 du code de justice administrative.
    • 66 CAA Nantes, 24 mai 2019, n° 19NT00514.
     

    RSDA 2-2023

    Dernières revues

    Titre / Dossier thématique
    Le cochon
    L'animal voyageur
    Le chat
    Une seule violence
    Le soin