Dossier thématique

Propos conclusifs

  • Jacques Leroy
    Professeur émérite
    Université d’Orléans
  • Anne-Claire Gagnon
    Dr Vétérinaire
    Présidente de AMAH
  • Jean-Paul Richier
    Dr Psychiatre
    Praticien hospitalier

Tout au long de cette journée, nous avons voulu mettre en évidence ce que les organisateurs de ce colloque ont dénommé « une seule violence », ce qui associe dans une même expression, violences humaines et violences animales. Cette notion, si nous la retenons, a un contenu philosophique, sociologique, psychiatrique. Mais peut-elle avoir un contenu juridique ? Est-il possible de relier ces deux modes d’expression de la violence dans un seul ensemble, de les globaliser en quelque sorte à partir du moment où l’animal de compagnie est entré dans les foyers et est devenu pour beaucoup un membre à part entière de la famille contre lequel des actes de violences peuvent être commis à l’identique de ceux commis envers les personnes ? Cette vision anthropomorphique des rapports que l’homme est capable d’entretenir à l’égard d’un animal proche de lui que le législateur refuse, avec raison, de prendre en considération, bon nombre de familles y ont cédé depuis longtemps.
Le problème est que la différence irréductible de nature entre l’être humain et l’animal, au-delà de leur caractère commun d’« être vivant doué de sensibilité », fait que leur protection juridique a toujours été envisagée dans des sphères distinctes. Cette réalité a été souvent relevée au début de nos échanges lorsque nous ont été communiqués plusieurs retours d’expériences.
S’agissant des violences intrafamiliales, nous savons que la lutte contre de telles violences est ardente, surtout depuis ces dernières années (L. 24 janvier 2013, L. 30 juillet 2020, L. 7 février 2022). Les dispositions législatives s’accumulent et à cette occasion le législateur n’hésite plus à inscrire une définition de la maltraitance humaine, ce qui n’avait pas été fait encore (art. 119-1 CASF, L. 7 février 2022).
Pour ce qui concerne les violences contre les animaux, nous avons assisté, avec bonheur, à un éveil des consciences à la fois dans la société civile et au Parlement. Savez-vous qu’entre le 21 mars et le 21 septembre 2020, ce ne sont pas moins de quatorze propositions de lois qui furent écrites et déposées ? Une énième proposition donnera naissance à la loi du 30 novembre 2021. Parmi l’ensemble des textes, nationaux, européens et internationaux, deux lois méritent d’être ici signalées. La première est la loi du 16 février 2015 qui, grâce à un amendement déposé par M. Jean Glavany, permet d’inscrire dans le Code civil, à l’article 515-14, que tout animal est un être vivant doué de sensibilité, ce qui n’était pas le cas antérieurement, la qualité d’être sensible ne bénéficiant alors qu’aux animaux d’élevage et appropriables. En outre, l’animal n’est plus un bien en dépit de sa soumission au régime des biens à défaut de pouvoir se réclamer d’un statut propre. L’application du régime des biens est une fiction qui ne remet pas en cause son exclusion, par nature, de la catégorie des biens. Le second texte est la loi du 30 novembre 2021 : elle accroît la protection de l’animal contre les actes de maltraitance et, ce qui est remarquable, situe cette protection dans une relation homme-animal, à considérer l’intitulé du texte faisant état du « lien entre les animaux et les hommes ». En écrivant cela, le législateur tient compte d’une réalité sociologique ayant des prolongements juridiques : le régime juridique applicable aux animaux doit, en effet, se définir selon le type de relation que l’être humain entretient avec les animaux selon leur degré de proximité avec lui (animaux de compagnie ou d’élevage, animaux liminaires, sauvages ou bien susceptibles de causer des dégâts). Mais il invite aussi à associer les violences lorsqu’elles se développent dans un même cercle familial. Or, sur ce point, la loi de 2021 aurait pu aller plus loin. Toutefois, comme nous avons pu l’entendre grâce à la communication de M. le sénateur Arnaud Bazin, il y a des avancées positives avec la levée du secret professionnel du vétérinaire, les mesures qui facilitent le repérage d’actes de maltraitance animale au titre de l’aide sociale à l’enfance ou à celui de la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP), l’inscription des auteurs de violences au fichier des personnes recherchées. On pourrait ajouter la possibilité pour les enquêteurs dans le cadre d’une enquête préliminaire de procéder avec l’autorisation du juge des libertés et de la détention, mais sans le consentement des personnes intéressées, à des visites domiciliaires, du fait du passage de la peine d’emprisonnement de deux à trois ans en cas d’actes de cruauté (v. art. 76 CPP) ainsi que la circonstance aggravante tenant à la présence d’un mineur sur les lieux des violences contre l’animal qui peuvent, du reste, se combiner avec les coups portés sur le conjoint, ce qui autorise à se demander si l’on ne peut pas aller plus loin dans la lutte contre les deux maltraitances. Des tentatives en ce sens ont été initiées par M. Bazin au moment de la discussion parlementaire du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur, devenu depuis la loi du 24 janvier 2023. Par exemple, il a été proposé que soient modifiés les articles 515-9 et 515-11 sur l’ordonnance de protection ordonnée par le juge aux affaires familiales en cas de violences au sein du couple mettant en danger le conjoint ou les enfants. L’amendement consistait à tenir compte également des violences contre l’animal détenu au foyer. Autre proposition : l’assimilation au titre des violences psychologiques sur une personne, des actes prévus aux articles 521-1 et 521-1-1 commis sur un animal de compagnie détenu par le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou bien encore la possibilité de prononcer les peines du harcèlement moral pour des propos ou comportements à l’encontre d’un animal ayant pour objet ou pour effet de créer à l’égard du conjoint, concubin ou partenaire une situation intimidante, hostile ou offensante.
Le rejet en commission des lois de ces amendements est l’illustration d’une minimisation de la délinquance lorsqu’elle vise un animal et la réticence du législateur à franchir une étape supplémentaire dans la protection de la famille de laquelle il n’est pas possible d’extraire l’animal de compagnie. Or l’argument est toujours le même : le risque de confusion entre l’homme et l’animal, le risque de mettre sur le même plan l’être humain et l’animal ; en d’autres termes, le risque de brouiller la hiérarchie des valeurs. Il s’agit là d’arguments que nous retrouvons avec la question de la reconnaissance de la personnalité juridique de l’animal. La sémantique prend le pas sur la réalité juridique et on se laisse aller à identifier l’usage juridique d’une notion à son usage dans le langage commun pour la rejeter.
En l’état du droit peut-on, malgré tout, améliorer la protection de tous ceux qui vivent au foyer contre les violences exercées par l’un d’eux ?
Le procureur près le tribunal de Saint Gaudens, M. Christophe Amunzateguy, a expliqué au début de l’après-midi qu’il fallait utiliser toutes les voies de droit disponibles. C’est une question de volonté. Or, la répression n’est pas la seule voie. Le retrait de l’animal du foyer et le financement du placement de l’animal mériterait d’être encouragés. Le contentieux lié à la maltraitance animale est un contentieux technique qui pourrait être confié à des assistants spécialisés au niveau des parquets. Cette prise de conscience de l’autorité judiciaire trouve son expression avec la mise en place par M. Franck Rastoul, Procureur général près la Cour d’appel de Toulouse, au sein de cette juridiction, d’un pôle « maltraitance animale et environnement ».
De lege ferenda, il serait possible de reprendre les amendements cités précédemment sous une autre forme en distinguant mieux dans des alinéas distincts les violences dans le couple et celles commises contre l’animal vivant au foyer. Dans la suite des propositions de Monsieur le procureur du tribunal judiciaire de Saint Gaudens, il faudrait substituer la mesure de « retrait » à celle de confiscation qui ne vise que les propriétaires. Le retrait pourrait ainsi s’appliquer à ceux qui ont la responsabilité de l’entretien de l’animal. Un effort en ce sens est déjà fait avec le retrait rendu possible dans l’attente de la mesure judiciaire prévue à l’article 99-1 du Code de procédure pénale. Il serait envisageable également d’inscrire au Fichier des personnes recherchées les personnes condamnées à la confiscation d’un animal de compagnie. Pour l’instant cette inscription ne concerne que les personnes interdites de détention d’un animal.
A défaut de lois, la jurisprudence pourrait aussi apporter une solution si, au prix d’une rare audace, la chambre criminelle étendait aux violences intra-familiales, sa jurisprudence rendue à propos de la réparation des dommages causés aux victimes d’attentats terroristes. Elle a jugé, en effet, récemment que le crime de terrorisme est un crime de masse visant indistinctement un nombre important de personnes si bien que le lien de causalité entre l’acte commis et le préjudice invoqué doit être apprécié à cette échelle. En d’autres termes, tous ceux qui sont exposés ou se croient exposés à l’infraction dans un rayon d’action donné peuvent se constituer partie civile même s’ils ne sont pas visés directement par l’auteur de l’acte1. Cette jurisprudence pourrait être étendue aux violences conjugales commises en présence des enfants ou contre l’animal dans le but d’atteindre le conjoint. Le foyer étant un lieu fermé, tous ceux qui se trouverait à l’intérieur pourrait alors se réclamer de la qualité de victime. Il faudrait parler alors de violences domestiques, d’une seule violence pour reprendre l’intitulé de ce colloque.
Toutes les réformes ainsi proposées sont à portée de main. Le législateur saisira-t-il pour autant cette main tendue ?

Jacques LEROY
Agrégé des facultés de droit
Professeur émérite à l’Université d’Orléans

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La question du lien entre les violences sur animaux et les violences sur humains est évoquée de très longue date, depuis l’Antiquité. Elle a fait l'objet d'études et d’un intérêt croissant depuis ces cinq dernières décennies. Cette question est surtout prise en compte aux États-Unis, aussi bien au niveau d’instances fédérales supérieures comme le FBI qu’au niveau d’instances de terrain comme les shérifs dans les comtés. Elle est présente par ailleurs surtout dans les pays anglo-saxons (Canada, Australie, Grande-Bretagne) et elle perce dans un certain nombre d'autres pays, mais pas encore beaucoup en France.
Pour ne prendre qu’un exemple, le Grenelle contre les violences conjugales qui s'est déroulé en 2019 n'a malheureusement pas abordé la question des violences sur les animaux familiers.
Cependant, des colloques comme celui-ci montrent qu'en France, un certain nombre de professionnels de terrain ainsi que d'universitaires ont conscience de cette problématique.
En tant que psychiatre, je soulignerai l’importance du nombre et de la qualité des études sur le sujet du lien entre les violences envers les animaux et les violences envers les humains. C’est un sujet qu’ont donc abordé le Pr Laurent Bègue-Shankland et le Pr Philip Jaffé, le Pr Marie-José Enders-Slegers n'ayant malheureusement pas pu être présente. On a donc à présent, pour donner un ordre d'idée, autour de 150 études publiées dans des revues scientifiques, autour de 130 si on rassemble les études portant sur les mêmes échantillons de population.
Environ la moitié de ces études abordent un point de vue qu’on pourrait dire criminologique, ou socio-psychologique : elles analysent les facteurs liés à la maltraitance animale en termes de comportements associés, d’antécédents, de traits psychologiques. Elles démontrent ainsi le lien entre les actes de violences sur animaux et les infractions en général de toutes gravités, ainsi que le lien avec les conduites agressives et les infractions violentes, et pour quelques études avec les agressions sexuelles. Certaines études abordent aussi la question des tueurs en série ou des tueurs de masse.
Et l’autre moitié de ces études examinent les violences intra-familiales et analysent les tenants et les aboutissants directs ou indirects sur les femmes et les enfants des maltraitances envers les animaux. Elles montrent que, dans le cadre d’un foyer, il y a volontiers des associations entre :
- la maltraitance d’une femme par son partenaire et la maltraitance d’animaux familiers par le partenaire ;
- la maltraitance d’une femme par son partenaire et la maltraitance d’animaux familiers par l’enfant ;
- la maltraitance d’un enfant par un parent et la maltraitance d’animaux familiers par le parent ;
- la maltraitance d’un enfant et la maltraitance d’animaux familiers par l’enfant.
Et une douzaine de ces études, en provenance de pays variés, concernent le harcèlement et les violences scolaires, comme l’étude française de Laurent Bègue-Shankland.
Ceci pour insister sur le fait que le concept d’« une seule violence » n'est pas une simple hypothèse, c'est une réalité étayée.
En France, les personnes en charge de la question des violences envers les femmes ou les enfants, notamment sur le plan politique et institutionnel, semblent réticentes à prendre en compte les violences associées envers les animaux, car ceci risque de paraître accessoire, hors-sujet, peu important, devant relever d’autres instances spécialisées... Pourtant, il est capital qu’au vu des études, ces personnes prennent conscience que l’inclusion des violences animales ne peut que faire progresser la lutte contre les violences envers les personnes vulnérables.

Quelles perspectives pouvons-nous envisager ?

Premier point, l'importance d’introduire dès l'enfance une éducation à l'empathie et au contrôle de la violence, à la fois envers ses semblables et envers les animaux sensibles. Car c’est bien sûr durant l’enfance et l’adolescence que se construisent les êtres humains.
Deuxième point, l'importance de sensibiliser et de former les professionnels, à la fois dans le cadre des études initiales et de la formation continue :
- au lien entre les violences ;
- au repérage des mauvais traitements, qu'il s'agisse des humains, bien entendu, ou des animaux ;
- et aux procédures et aux parcours du signalement, ou de ce qu'on appelle une information préoccupante, en prenant en compte les nombreux facteurs qui peuvent rendre difficile, qui peuvent faire frein à une démarche de signalement, outre le principe du secret professionnel.
Ceci concerne les professionnels de nombreux domaines, comme ceux qui ont donc participé à cette journée, tant ce matin que cet après-midi, que je ne peux pas tous citer, mais que nous remercions pour leurs interventions éclairantes : les professionnels de santé (infirmiers, aide-soignants, médecins, dont les pédiatres et les pédopsychiatres, etc.), les psychologues, les professionnels de l'action sociale (assistantes sociales, éducateurs, auxiliaires de vie, intervenants de l'Aide Sociale à l'Enfance, etc.), les professionnels de l’Éducation nationale (enseignants, directeurs, personnels de santé, psychologues, etc.), les vétérinaires et leurs assistants, et aussi bien sûr les différentes branches de la police et de la gendarmerie, et les différentes branches de la magistrature, ainsi que les membres du barreau.
Ceci concerne aussi les associations, aussi bien les associations de protection animale que les associations de protection des enfants et les associations dédiées aux violences faites aux femmes. À vrai dire, nous sommes en présence d’une question qui concerne tous les citoyens.
Aussi est-il essentiel, en amont, si l’on veut obtenir des avancées sur le plan législatif, de sensibiliser à cette question, outre le ministère de la Justice, le ministère en charge du droit des femmes, ainsi que la MIPROF, la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences, et le secrétariat d’État chargé de l'Enfance, ainsi que le groupement d'intérêt public France enfance protégée, qui associe État et départements (et qui comprend notamment l'ONPE, l’Observatoire national de la protection de l’enfance, et le CNPE, le Conseil national de la protection de l’enfance).
On pourrait citer d'autres instances qui sont aussi concernées, par exemple le Haut Conseil à l'Egalité entre les femmes et les hommes, la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale ou du Sénat, mais aussi le ministère de l'Éducation nationale, ou encore l'Ordre des Médecins ou l’Ordre des Vétérinaires.
Enfin, la présence à l’occasion de ce colloque de M. François-Xavier Bellamy, député européen, est là pour nous rappeler que les instances de l’Union européenne peuvent efficacement orienter les politiques nationales dans le sens d’un accroissement de la lutte contre les violences domestiques de quelque nature qu’elles soient.

Jean-Paul RICHIER
Dr Psychiatre
Praticien hospitalier

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Si le LIEN est une réalité documentée scientifiquement comme l’a montré Marie-José Ender-Slegers et sur le terrain – nous avons entendu les témoignages de nombreux acteurs du terrain côté enfants et côté animaux –, dans les faits, il existe encore des freins nombreux pour coordonner les efforts de toutes et tous et mieux protéger les enfants et les animaux, et d’une façon générale tous les êtres vulnérables d’une violence domestique qui s’exerce en un seul lieu, le foyer, mais de multiples façons.
Jacques Leroy a souligné les améliorations juridiques nécessaires, Jean-Paul Richier celles des professionnels de santé mentale. Reste que dans le cercle de la chaîne de protection, où le rôle des forces de l’Ordre a été récemment renforcé, les vétérinaires et leurs équipes manquent toujours cruellement.
Notre association AMAH a pu mesurer, lors de la gestation de la loi Maltraitance animale et du lien homme animal, les croyances limitantes et surtout les peurs de différents interlocuteurs.
Mes consœurs Dominique Autier-Dérian, Estelle Prietz et Émilie Couquerque l’ont souligné, les praticiens vétérinaires manquent cruellement de formation pour se sentir légitimes à conduire leur consultation en intégrant dans leur diagnostic différentiel la possibilité de la maltraitance animale.
Pourtant, celles et ceux qui l’ont fait – merci Stéphanie pour la qualité de votre témoignage – savent combien cela donne du sens à notre métier et nous conforte dans notre démarche non seulement clinique mais aussi civique. Car le vétérinaire, dès lors qu’un enfant est en danger, est un citoyen qui a le devoir de signaler les faits.
Or, depuis de nombreuses années, les professionnels de santé, vétérinaires inclus, ont protégé la qualité de leur relation avec leurs patients et clients derrière le bouclier du secret professionnel. Au nom du « Cela ne nous regarde pas ».
Or, nous savons toutes et tous combien il faut de courage à une victime pour oser parler.
Je veux ici saluer le Dr Emmanuelle Piet qui fut l’une des premières, en PMI, à encourager ses pairs à systématiser le questionnement – parfois la parole est libérée dès la première consultation, parfois à la deuxième, troisième, parfois jamais.
Ce questionnement systématique, quand un chien a mordu un adulte, un enfant, doit être mis en place : « tout va bien à la maison, votre chien, votre chat ne reçoit pas de coups ? Il a eu peur de quelque chose » ?
C’est souvent plus facile psychologiquement de confier ce que subit le chien, le chat, le poisson rouge, le cobaye, mais aussi les vaches, les chevaux, que de dire ce qu’on subit soi-même. Les animaux sont à la fois de muettes sentinelles de la violence, mais aussi des sésames d’ouverture de dialogue. « Papa a fait mal à mon chat… Il fait pareil à Maman », pourra dire l’enfant, qu’il faut croire et écouter.
Je veux citer ici un témoignage d’une assistante familiale.
Au même titre qu’un enfant, qui est stigmatisé dans une fratrie ou dans une famille, il en est de même pour une bête. Souvent j’ai entendu en parlant d’un chat, « Ah celui-là, il est bon à rien et il nous empoisonne la vie », et c’est cet animal qui cristallise toute la violence du couple. Tout cela sous les yeux de leurs enfants et des services sociaux.
Le pire que j’ai entendu par une enfant accueillie : « Papa a mis le chat dans la machine à laver ». Ma sidération a été telle que j’ai souhaité aviser l’ASE (Aide Sociale à l’Enfance) de cet acte fou mais une fois encore pas de retour de leur part, comme si l’acharnement de violence contre un animal n’est pas le même que celui contre un enfant.
Notons que tout ne se règle pas par des condamnations de justice, souvent longues. Parfois c’est juste de la négligence, de la méconnaissance, de la misère économique, et remettre dans le chemin vertueux de l’éducation bienveillante un propriétaire de chien, de chat, peut rendre des services incommensurables aux enfants du propriétaire, qui va comprendre qu’il n’y a pas de petites claques. Marie-Laure Laprade l’a dit, l’école est un lieu qui permet à la fois le dépistage et l’éducation, la prévention à l’usage de la violence, en y apprenant le respect mutuel. Bien sûr c’est à la maison, dans des activités de loisirs en pleine nature, en s’émerveillant de la beauté des animaux, que les enfants pourront construire un référentiel de respect, de partage, de bienveillance à l’égard de cet autrui plus petit qu’eux qu’est l’animal.

Anne-Claire GAGNON
Dr Vétérinaire
Présidente d’AMAH

  • 1 V. en ce sens, Cass. crim., 15 février 2022, n° 21-80.264, n° 21-80.265, n° 21-80.670 ; comp. avec Cass. crim., 24 janvier 2023, n° 21-85.828.
 

RSDA 2-2023

Dossier thématique : Doctrine

Mesures et stratégies adoptées pour prévenir et gérer la violence dans sa transversalité

  • Céline Gardel
    Fondatrice
    Les4pattounes
    Chef du Pôle Soutien et Programmation au sein de l’ENSAPN

 

Résumé : En cas de violences ou de maltraitance animale, la répression reste indispensable pour assurer l’application concrète de la loi et protéger les victimes. Pour autant, elle est insuffisante.
En effet, pour prévenir efficacement et durablement ces comportements inadaptés, la sensibilisation du plus grand nombre demeure un levier intéressant pour assurer une prise de conscience collective et changer les mentalités.

Abstract : In cases of violence or animal abuse, repression remains essential to ensure that the law is applied in practice and to protect victims. However, it is not enough.
Indeed, to effectively prevent these unsuitable behaviors in the long term, raising the awareness of as many people as possible remains a valuable lever for raising collective awareness and changing mentalities.

 

I. Présentation de l'association Les4Pattounes

L’Association de protection animale Les4pattounes est jeune et dynamique. Elle est née en mai 2019 et s’applique à lutter efficacement et durablement contre la maltraitance animale sous toutes ses formes. Elle aide aussi les animaux en refuge et en détresse en finançant leurs soins, mais aussi au travers d’opérations « journées mains fortes » au sein de refuges, ou encore en organisant des collectes alimentaires...
Notre slogan est « Ensemble, nous pouvons les aider ! ». Nous souhaitons fédérer et mobiliser autour de cette noble cause un maximum de maillons. Il s’agit notamment de sensibiliser les jeunes générations sur les abandons et la protection animale pour permettre un monde meilleur, plus respectueux et moins violent.
La sensibilisation reste un puissant levier de prise de conscience collective. Dans le même sillon, la formation des forces de l’ordre facilite la gestion opérationnelle de cette délinquance spécifique, qui est très souvent concomitante avec des violences intra-familiales.
Afin de lutter efficacement contre la maltraitance des animaux, la team pro de l’association les4pattounes a créé des modules de formation de qualité, gratuits et accessibles à tous sur YouTube (3 Eformations).
Composée de magistrats, d’avocats spécialisés, de policiers, de gendarmes, de vétérinaires et d’éducateurs canins, la Team pro aborde les axes clés pour faciliter l’intervention face à un chien en stress ou dangereux, mais aussi pour appliquer la réglementation des chiens de catégories, et les peines existantes en cas de maltraitances animales.
Pour accompagner au mieux les policiers et les gendarmes de terrain, confrontés à de telles situations, l’association a assuré jusqu’ici 30 formations en présentiel sur l’hexagone (Paris, Marseille, La Rochelle, Bayonne, Reims…) et dote les forces de l’ordre formées, de lecteurs de puce Icad, dont elle bénéficie généreusement grâce à l’entreprise Ingenium.

II. Illustrations de la transversalité de la violence

D’expérience, nous constatons sur le terrain que la maltraitance animale s’inscrit au carrefour de fragilités : profils violents, marginalité, défaillances psychologiques, freins financiers, addictions, etc., profils parfois connus des services de police pour des faits similaires, ou tout autre.
La violence demeure un mode de communication utilisé au sein de la famille dont l’animal fait partie. Il sera souvent la première victime, ce qui pourrait constituer une alerte, et éviter une dégradation de la situation.
Nous avons choisi de présenter deux situations impliquant des animaux, exemples de transversalité de la violence.

1) Hancok, staff de neuf ans, a été victime de sévices graves, actes de cruauté, et de sous nutrition pendant sept longues années, dans le silence et l’impunité totale.
Alors que son ancien propriétaire était déféré pour les coups et violences à l’encontre de son ex-compagne, des vidéos probantes, portées à la connaissance des gendarmes intervenants, témoignaient des sévices subis aussi par le chien.
En effet, on y voyait le mis en cause porter de puissants coups de poing, plusieurs coups de pied et s’acharner à coups de battes sur le corps dénutri de l’animal. A aucun moment l’animal victime cherche à riposter, il souffrait et subissait les coups en silence.
L'ancien propriétaire, connu des services de police pour des faits de violences a été condamné à quatre mois de prison ferme pour les violences commises sur le chien et trois mois de prison avec sursis pour les violences à l’encontre de son ex-compagne. Une interdiction de 10 ans de détenir des animaux a été prononcée à son encontre, ainsi qu’un dédommagement de 1000 € au bénéfice de l’Association Les4pattounes.
Ce monsieur, coutumier des faits de violences sur ses ex-compagnes, frappait très violemment son chien à chaque fois qu’il rentrait en crise. C’était en quelque sorte son « défouloir ».
Lors des auditions, interpellé sur ces vidéos, il disait ne pas s’en souvenir…
Ici la violence est plus que jamais un mode de communication dysfonctionnant et transversal.
La victime n’a dénoncé les faits qu’une fois séparée : ce n’est qu’une fois après avoir quitté le domicile qu’elle a porté à la connaissance des autorités ces faits qui constituent le délit de sévices graves et actes de cruauté.
Les gendarmes, sensibles à la cause, se sont rapprochés de l’association pour gérer en parallèle cette situation opérationnelle impliquant cet animal en souffrance.

2) Dahlia, bichon de 14 ans, a été victime d'abandon après avoir subi des violences et de la négligence durant des années. Trouvée sur un bord de route en milieu rural, dans un état déplorable et squelettique, cette chienne avait été délaissée, affamée, sans soins, durant des années. Elle souffrait, entre autres, d’otite suppurante et de nombreux problèmes de peau. Compte tenu de son âge avancé et de son état de santé détérioré, le vétérinaire a préconisé son euthanasie pour abréger les souffrances.
L'ancien propriétaire avait déjà perdu la garde de son fils pour des faits de violences. Il sombrait dans l’alcool et la drogue, ce qui favorisait ses comportements déviants.
Cette situation s’inscrit au carrefour de fragilités et illustre la transversalité de la violence comme moyen de communication inadapté.

III. Mesures adoptées pour combattre la violence sous toutes ses formes

Convaincue que la sensibilisation est un puissant levier pour optimiser une prise de conscience collective et combattre durablement la violence sous toutes ses formes, l’association Les4pattounes a choisi d’approcher un maximum de maillons, de tous horizons : élèves et étudiants, bénévoles œuvrant au sein d’associations de protection animale, forces de l’ordre et magistrats, avocats, vétérinaires et huissiers, jusqu’aux auteurs d’infractions en la matière.
Elle a notamment formé près de 4000 policiers et gendarmes pour optimiser la prise en compte de cette délinquance spécifique. Ce maillage participe activement à la prévention et à la répression en matière de maltraitance animale sous toutes ses formes.
Pour ce faire, depuis décembre 2020, l’association a assuré plus de 30 formations en présentiel sur l’hexagone et propose trois e-formations ciblées, complètes et concrètes.
Le contenu de cette formation a fortement inspiré le module de 9 heures désormais intégré en formation initiale des Gardiens de la Paix. Les futurs policiers sauront intervenir dans de telles circonstances, et apporter une réponse pénale attendue par les victimes.
Plus généralement, l’association Les4pattounes a sensibilisé ses partenaires institutionnels confrontés à la détresse sociale et aux violences intra-familiales. Elle les invite à s’interroger sur une potentielle concomitance de violence portée sur des animaux en souffrance ; comme les pompiers lors d’interventions, les huissiers lors d’expulsions ou encore les avocats à l’occasion de confidences, et enfin des hôpitaux psychiatriques lors de prise en charge de patients déments…
Dans le prolongement de ses actions de sensibilisation, l’Association assure des stages destinés aux auteurs d’infractions en matière de maltraitance animale. Pour ce faire, elle a signé des conventions avec les Parquets de Castres, de St-Gaudens et d’Albi. Il s’agit ici de stages pédagogiques, destinés à lutter contre d’éventuelles récidives. Ils s’accompagnent d’une somme de 150 € au bénéfice de l’Association, qui s’engage à reverser l’intégralité des fonds pour financer des soins d’animaux en refuges voisins.
Par ailleurs, l’Association Les4pattounes préconise qu’à l’occasion d’un projet d’adoption, l’exigence d’avoir un casier judiciaire vierge puisse être élargie à l’ensemble des animaux – comme il existe déjà pour les chiens de catégorie (notamment en cas de condamnations pour VIF ou des faits antérieurs de maltraitance animale).
En cas de violence ou de maltraitance animale, la répression reste indispensable pour assurer l’application concrète de la loi et protéger les victimes. Pour autant, elle est insuffisante.
En effet, pour prévenir efficacement et durablement ces comportements inadaptés, la sensibilisation du plus grand nombre demeure un levier intéressant pour assurer une prise de conscience collective et changer les mentalités.

     

    RSDA 2-2023

    Dossier thématique

    Violences sur les animaux et sur les personnes vulnérables : repérage et signalement par les vétérinaires

    • Estelle Prietz
      Docteur Vétérinaire
      En charge de la commission « Protection et bien-être de l’animal »
      Conseil National de l’Ordre des vétérinaires
    • Emilie Couquerque
      Inspectrice en santé et protection animale
      DDPP 59
      BUREAU BEA DGAL
      Personne Ressource

     

    Résumé : Les vétérinaires, garants du bien-être animal, exercent une profession réglementée et sont soumis au secret professionnel. Acteurs de santé publique, ils se doivent de remplir leurs missions en signalant les maltraitances animales qu’ils constatent au cours de leur exercice, en ayant à l’esprit le lien qui existe entre maltraitance animale et maltraitance humaine. Ils disposent d’un parcours de signalement prévu par la loi et, désormais, d’outils facilitant les démarches. Attendus et soutenus par la société dans ce rôle, les vétérinaires ont besoin que les freins humains qui persistent soient levés au vu des enjeux transversaux de lutte contre la violence exercée sur tous les êtres vivants vulnérables, animaux ou humains.

    Abstract : Veterinarians, the guarantors of animal welfare, exercise a regulated profession and are bound by professional secrecy. As agents of public health, they have a duty to fulfill their missions by reporting any animal maltreatment they may observe during their practice, keeping in mind the link between animal and human maltreatment. They have access to a reporting procedure provided by law and have now tools to facilitate the process. Expected and supported by society in this role, the veterinarians need the human brakes that persist to be removed in view of the cross-cutting issues involved in combating violence against all vulnerable living beings, whether animal or human.

     

    De par sa compétence, son engagement pour les animaux, parfois depuis la tendre enfance, et sa déontologie, le vétérinaire est le garant du bien-être animal. En complément de ces qualités, il exerce dans un cadre réglementaire associé historiquement à son rôle majeur en santé publique, mais qui a progressivement évolué en y ajoutant une place d’expert en protection animale. Sentinelle des maltraitances, il est attendu de lui une vigilance et une action proactive de signalement auprès des autorités lorsqu’il les constate. Souvent confident des propriétaires, il est amené à entendre les fonctionnements intimes de leur foyer et se retrouve parfois détenteur d’informations révélant des dysfonctionnements familiaux pouvant présenter des risques pour les personnes vulnérables. Le lien entre le comportement violent envers les animaux et envers les humains est une connaissance instinctive de chaque praticien qui est désormais démontrée scientifiquement au travers de nombreuses études. Cette connaissance partagée par un nombre croissant d’acteurs (forces de l’ordre, magistrats, travailleurs sociaux, enseignants, médecins…), comme l’a démontré le colloque du 17 mars 2023, renforce l’obligation des vétérinaires de partager ce qu’ils découvrent dans le secret de leur consultation.
    Cependant, bien que légitime dans sa démarche, le vétérinaire se doit de respecter le cadre réglementaire de son exercice professionnel sous peine de poursuites. Depuis l’ordonnance n° 2011-863 du 22 juillet 2011 relative à la modernisation des missions des vétérinaires titulaires d'un mandat sanitaire, les vétérinaires, « sans préjudice des autres obligations déclaratives que leur impose le présent livre, [...] informent sans délai l'autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qu'ils constatent dans les lieux au sein desquels ils exercent leurs missions si ces manquements sont susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux » (article L. 203-6 du Code rural). Le signalement des dangers graves pour les animaux ou les Hommes est donc une des missions qui sont confiées au vétérinaire sanitaire. Comme nous le verrons, d’autres textes encadrent la gestion du respect des animaux par ces professionnels.
    Mais le vétérinaire reste une femme (le plus souvent désormais) ou un homme comme les autres, et il est essentiel de prendre en compte les freins humains qui vont le faire hésiter à signaler.
    Les mentalités évoluent avec la prise en compte grandissante de la sensibilité animale dans notre société. Non pas que le vétérinaire percevait moins la souffrance animale il y a quelques années, mais il se sentait probablement moins soutenu et aussi moins attendu dans ce rôle de lanceur d’alerte qu’aujourd’hui. De nombreuses décisions assumées sous leur responsabilité ont permis de soulager la souffrance animale et/ou d’extraire les animaux maltraités de leur foyer, et nombreux sont ceux qui continuent sans en référer aux autorités administratives, craignant le manque d’efficacité et la publicité parfois difficile à gérer. Aujourd’hui, on ne parle plus de dénonciation mais de signalement, et les outils pour accompagner les vétérinaires dans leur démarche se multiplient, d’autant plus que se développe la sensation d’agir pour protéger les animaux mais également les personnes vulnérables. La démarche humaniste est une motivation supplémentaire car elle donne du crédit et du poids aux actions.
    Nous allons nous attacher dans cet article à évoquer les moyens mis en œuvre pour permettre au vétérinaire d’être un des acteurs de signalement des violences commises sur les animaux mais également sur les humains.

    I. Vétérinaire, une profession réglementée

    La profession vétérinaire dispose d’un ordre en charge de garantir la qualité du service rendu aux usagers. C’est une profession réglementée, soumise à un code de déontologie, dont le respect est assuré par un ordre national s’appuyant sur 12 ordres régionaux.
    Depuis l’ordonnance du 31 juillet 2015 portant modification du code de déontologie, l’Ordre des vétérinaires « peut participer à toute action dont l'objet est d'améliorer la santé publique vétérinaire, y compris le bien-être animal ». Une commission Protection et Bien-Être de l’Animal a dès lors été constituée au niveau national, disposant de référents dans chaque région chargés d’être les interlocuteurs privilégiés des vétérinaires et des usagers pour ce qui concerne les questions en relation avec le bien-être animal.
    L’exercice de la profession vétérinaire se fait sous la tutelle du ministère de l’Agriculture pour lequel le vétérinaire exerce des missions de santé publique après délivrance d’une habilitation sanitaire. Il engage sa responsabilité dans la certification et est tenu au secret professionnel.
    Ce secret a été défini pour la première fois dans la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, par l’article L. 241-5 du Code rural : « [...] le secret professionnel du vétérinaire couvre tout ce qui est venu à la connaissance du vétérinaire dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire ce qui lui a été confié mais également ce qu'il a vu, entendu ou compris ».
    La loi du 30 novembre 2021 a également complété les dispositions de l’article 226-14 du Code pénal, permettant maintenant très clairement au vétérinaire de déroger au respect du secret pour porter à la connaissance du procureur de la République des informations sur des sévices graves, des actes de cruauté, atteintes sexuelles ou mauvais traitements infligés à des animaux.
    Les missions du vétérinaire sont décrites dans différents textes mais on peut souligner en particulier que ses interventions doivent respecter les animaux, l’environnement et la santé publique (Code de déontologie : articles R. 242-33 Al VII, VIII et IX du Code rural). Il se doit d’avoir une vision globale à la fois de l’état de santé des animaux et de la qualité des conditions de détention, notamment en alimentation et expression des besoins d’espèce. Il constitue ainsi une « courroie de transmission » indispensable entre le terrain et l’administration sur tous les sujets en lien avec les animaux, leur environnement et les questions de santé publique qui en découlent.
    Le vétérinaire peut donc être sollicité par les institutions au quotidien.
    Les deux principaux moyens utilisés en cas de maltraitance sont le mandatement par le chef de service santé et protection animale de la DDETCSPP requérante (ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire) ou la réquisition par l’intermédiaire de la gendarmerie, de la police, ou du procureur directement (ministère de l’Intérieur ou de la Justice).
    Il peut participer à plusieurs types d’interventions : appui de terrain et rédaction de constat complet (état animal et conditions de détention), constat ponctuel en cabinet de l’état de santé et recherche de signes évocateurs de maltraitance, autopsie, diagnose de race...
    Le vétérinaire pourra également intervenir dans le cadre d’expertises judiciaires.

    II. Acteur de santé publique, les interactions avec l’administration

    Le vétérinaire bénéficie aujourd’hui d’un parcours de signalement des maltraitance réglementairement encadré à la hauteur des enjeux transversaux en santé humaine lors du repérage et du signalement. Comme nous l’avons vu précédemment, il est uniquement autorisé à lever le secret professionnel envers la Direction Départementale de Protection des Populations (DDPP), son autorité administrative, et envers le procureur de la république. En pratique, il a l’obligation de signaler à la DDPP et la possibilité de signaler auprès du procureur.
    Lors du colloque « Une seule Violence », une présentation à double voix a été effectuée pour détailler le parcours de signalement auprès de la DDPP.

    Pourquoi signaler ?
    Pour le vétérinaire, cela fait appel à son éthique professionnelle, le vétérinaire « respecte l'animal » mais répond également à une obligation réglementaire.
    La DDPP est l’organisme de contrôle compétent. Elle connait l’ensemble des vétérinaires sanitaires de son territoire et les considère comme un maillon sentinelle essentiel. Elle fait également le lien avec les autres services de la préfecture, en particulier lorsqu’il y a une suspicion de violence intra-familiale associée à la maltraitance animale signalée.
    Le parcours de signalement met en évidence la nécessaire communication et l’utilité de tous les maillons d’une chaine de dépistage et de lutte contre toutes les formes de violence.

    Comment signaler ?
    Pour le vétérinaire, la levée du secret professionnel est autorisée par la loi, comme nous l’avons vu précédemment. Il doit donc s’adresser aux autorités compétentes et seulement à ces dernières : DDPP et procureur. Il n’est pas autorisé à signaler des maltraitances constatées au cours de son exercice auprès de la police, la gendarmerie ou une association de protection animale. Il n’est pas non plus autorisé à transmettre des informations à la cellule de recueil des informations préoccupantes du département en charge des enfants en situation de risque. Il peut cependant mentionner lors de son signalement qu’il a connaissance de personnes vulnérables au sein du foyer où l’animal a été maltraité. Des modèles de formulaire existent grâce à l’association AMAH nous en reparlerons ensuite.
    Le signalement peut se faire par mail sur l’ adresse institutionnelle de la DDPP, il doit consister en un écrit factuel détaillant les éléments constatés en consultation et éventuellement en rapportant les éléments transmis par le détenteur sous réserve de mentionner spécifiquement que cela correspond à des dires. Le vétérinaire ne peut certifier que ce qu’il a lui-même constaté. Si l’historique du dossier médical contribue à renforcer la suspicion de maltraitance, les éléments peuvent également être transmis.
    De son côté la DDPP doit pouvoir s’appuyer sur un écrit circonstancié dans lequel des éléments factuels et étayés apparaissent clairement. Il lui est indispensable que l’examen clinique réalisé par le vétérinaire soit compréhensible par des non-vétérinaires afin d’être explicite pour amorcer une procédure administrative et/ou judiciaire. Les dires du détenteur lui sont également d’un grand intérêt pour avoir une approche la plus complète possible notamment en matière d’environnement social.

    Et après ?
    Le vétérinaire est le maillon expert dans la caractérisation des maltraitances animales. Il peut être entendu comme témoin sachant si une enquête est diligentée.
    Un mandat d'expertise peut lui être délivré en cours d'enquête, mais en tout état de cause il ne sera pas tenu informé des suites données à son signalement. C’est un facteur limitant qui influe considérablement sur la motivation des praticiens, nous en reparlerons.
    La DDPP, au vu des éléments, peut procéder à l’ouverture d'une enquête et être amenée à transmettre des informations aux services concernés le cas échéant (services sociaux, forces de l’ordre, fisc...).
    La procédure restera confidentielle et les éléments de l’enquête ne sont pas communicables au vétérinaire qui signale.

    Les limites du parcours ?
    Une étude réalisée auprès des vétérinaires belges dans le cadre d’un master en criminologie révèle que les principaux freins rencontrés sont liés au système de contrôle et à ses organismes (42,6 %), en l’occurrence l’absence de directives formelles et de mandat légitime. La frustration face à l’impunité des personnes maltraitantes et la croyance que le système ne peut assurer la sécurité et le bien-être de l’animal qu’ils souhaitent protéger interviennent également.
    La crainte du comportement du propriétaire (24,6 %) est le deuxième frein le plus puissant : crainte des représailles du propriétaire et crainte pour la sécurité et le bien-être futur de l’animal concerné (représailles sur l’animal, absence de soins futurs).
    Pour 15 % des obstacles au signalement relevés, l’étude pointe le manque de connaissances en termes de processus de signalement et les insuffisances de définition de la maltraitance1.
    Du côté des services de l’état (DDPP), le personnel disponible face au nombre de signalements provenant de toutes origines (particuliers, associations, vétérinaires...) n’est pas suffisant pour répondre à toutes les demandes. Cependant, une attention particulière est apportée aux signalements faits par des vétérinaires qui sont considérés comme sachants.
    Par ailleurs, la DDPP effectue de nombreuses autres missions de santé publique et pas uniquement celles concernant la protection animale.
    Progressivement, des outils sont mis à disposition des praticiens pour faciliter la démarche de signalement des maltraitances.
    L’Ordre met à disposition des vétérinaires la liste des « référents BEA ordinaux » pour pouvoir contacter des élus ordinaux en région, formés et informés pour les accompagner lorsqu’ils sont confrontés à des maltraitances animales ou tout simplement à des questionnements éthiques sur leur exercice.
    L’association AMAH partage une carte en ligne avec les coordonnées des procureurs mais également des DDPP.
    L’Ordre des vétérinaires a également travaillé à l’élaboration d’une fiche professionnelle avec l’ensemble des référents BEA régionaux. Cette fiche a été relayée et partagée sur les réseaux sociaux et est accessible librement en ligne.
    Un guide, « Repérer les signes de maltraitance chez les animaux et les humains », à disposition du public et des vétérinaires, est téléchargeable en ligne. Il est issu de la traduction du guide « The Link » par l’association et apporte de très nombreuses informations aux vétérinaires en particulier sur les méthodes d’évaluation de la maltraitance constatée en consultation et de son impact éventuel sur l’environnement familial de l’animal. L’accent est mis sur le risque de la concomitance de violences intra-familiales et permet de sensibiliser les vétérinaires sur leur légitimité et leur utilité dans la lutte contre la violence en général.
    Sur le site d’AMAH, il existe des formulaires de signalement à la DDPP et au procureur, élaborés en partenariat avec l’Ordre des vétérinaires et à disposition des vétérinaires. Ils sont téléchargeables pour faciliter l’accès à ces outils.
    Il existe également des modèles de certificats pour attester des signes cliniques de maltraitance à la demande des détenteurs.

    Fiche professionnelle « Signaler une maltraitance » en ligne sur veterinaire.fr

     

     

    Conclusion

    Il n’est pas attendu des vétérinaires qu’ils soient des enquêteurs ou des juges lors de suspicions de violences ou maltraitances domestiques. C’est le travail des autorités de contrôle et de la justice d’enquêter, d’établir les faits et de faire condamner les auteurs de maltraitances. Mais les vétérinaires ont la possibilité d’agir en signalant pour permettre à la justice d’intervenir.
    L’expertise et la légitimité existent ! Ils sont constitutifs des rôles d’acteurs de santé publique et de sentinelles des maltraitances du vétérinaire.
    La sensibilité et la volonté d’agir sont présentes mais les freins sont encore très nombreux, comme en médecine humaine.
    Le parcours de signalement conforme à la réglementation est encore mal connu mais des outils existent désormais, sans oublier que la collaboration et le travail en réseau sont les clés de l’efficacité pour lutter contre toutes les violences, animales et humaines.

    • 1 ROUFOSSE Wendy « Étude exploratoire sur la maltraitance animale et le signalement chez les vétérinaires belges » Université de Liège 2022 Mémoire de Master en Criminologie.
     

    RSDA 2-2023

    Dossier thématique

    Repérage des situations de violences incluant les animaux par les personnels de l’Éducation nationale

    • Marie-Laure Laprade
      Professeur des écoles
      Education nationale

     

    Le temps quotidien passé par les enfants et adolescents dans leur établissement fait de l’école un lieu privilégié d'observation, de repérage, d'évaluation des difficultés diverses des élèves mais aussi du recueil de la parole de l'enfant.
    Il n’est ainsi pas rare dans le cadre scolaire que des enfants témoins de violences sur un animal dans le cercle familial interpellent leur enseignant. Des paroles qui manifestent une incompréhension, un questionnement sur des événements sans doute ressentis comme inappropriés voire traumatisants.
    Selon les statistiques, les enseignants sont les plus pourvoyeurs, notamment dans le premier degré, des informations préoccupantes et des signalements au sujet d’enfants possiblement en danger. Ceci s’explique par l’observation longue et régulière des enfants par leur enseignant unique et ce dans diverses situations, classe, récréation, sport et sorties scolaires. Les enseignants sont formés à repérer des signes de mal-être et ils sont conscients que l’insécurité psycho-affective n’est pas propice aux apprentissages.
    Nous rappellerons dans cet article le cadre légal du signalement d’enfants en danger dans l’Education nationale et les outils à la disposition des enseignants. Nous aborderons aussi les freins rencontrés par ces enseignants aux différentes étapes du protocole de signalement de situations de possibles mises en danger des enfants et adolescents. Nous préciserons la place des violences sur les animaux dans les signes d’alerte pour l’enseignant. Enfin, nous envisagerons des pistes d’amélioration pour une meilleure prise en compte des actes de maltraitances sur l’animal du foyer comme signal faible d’autres violences intrafamiliales.

    I. Cadre de référence pour le signalement d’enfants en danger ou en risque de danger à l’Education nationale

    A. Rôle de l’Éducation nationale dans la protection de l’enfance

    La protection de l’enfance est encadrée par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007.
    Si la loi oblige chaque citoyen à agir lorsqu’il a connaissance de la situation d’un enfant en danger ou en risque de l’être, elle s’impose avec d’autant plus de force pour les fonctionnaires de l’Education nationale en application de l’article 40 du code de procédure pénale1.
    Tout fonctionnaire qui a la connaissance d’un crime ou d’un délit dans l’exercice de ses fonctions « est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République ».
    L’Éducation nationale contribue à la protection de l’enfance en danger en menant des actions de formation auprès de ses personnels et de prévention auprès des élèves. Elle contribue aussi en signalant les situations des enfants en danger ou susceptibles de l’être aux autorités compétentes.

    B. Définition de l’enfant en danger (ou en risque de danger)

    Selon la définition de la direction de l'information légale et administrative :
    - L'enfant en risque de danger est celui qui connaît des conditions d'existence pouvant mettre en danger sa santé ou son développement physique, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou développement intellectuel, son entretien, son développement affectif ou social mais qui n'est pas pour autant maltraité.
    - L’enfant en danger est celui dont la santé, la sécurité ou la moralité sont en danger, ou dont les conditions d’éducation sont gravement compromises.

    II. Prise en compte des violences faites aux animaux pour dénoncer la situation d'enfants en danger

    Des enfants ou adolescents témoins ou auteurs de faits de violences sur les animaux dans le cadre familial peuvent relever des critères de l’enfant en danger à plusieurs titres : mise en danger de la moralité et du développement affectif notamment.
    Notons que des violences psychologiques (humiliation, chantage affectif fort, manifestation de rejet et/ou de mépris, dévalorisation systématique, exigences éducatives excessives ou disproportionnées par rapport à l’âge et aux capacités de l’enfant, isolement forcé, observation de violences…) sont des maltraitances certes plus difficiles à mettre en évidence que les sévices corporels mais dont le retentissement sur le développement psychoaffectif de l’enfant peut être aussi sévère.
    De nombreuses études démontrent d’une part que la violence envers les animaux du foyer est un prédicteur fort que l'agresseur peut infliger des violences aux personnes, conjoints et enfants, même s’il ne faut pas supposer que c'est toujours le cas.
    Les enfants et les adolescents, en particulier ceux qui sont vulnérables, tirent des avantages significatifs pour leur développement de la présence d'un animal de compagnie à leurs côtés. Des études ont montré que pour les enfants qui subissent fréquemment des traumatismes, leurs animaux de compagnie deviennent leurs confidents, leurs consolateurs. Ils leur procurent réconfort, sentiment de sécurité et les soulagent du stress.
    Mais ces animaux qu’ils chérissent peuvent être utilisés comme moyen d'intimidation, de chantage et de représailles pour maintenir le contrôle et le pouvoir de l'agresseur sur l’enfant.
    L’atteinte à cet animal est d’autant plus dommageable pour l’enfant qui en est témoin sans oublier bien sûr la victime animale.
    De nombreux enfants et adultes peuvent être exposés à des formes directes de maltraitance ou subir les effets de la maltraitance en tant que témoins de violences familiales impliquant un animal de compagnie.
    L’exposition à ces violences lors de l’enfance et la présence de comportements violents à l’âge adulte sont corrélées.
    Ainsi, les enfants qui sont fréquemment exposés à des formes graves de violence familiale sont plus susceptibles de maltraiter souvent les animaux, tout comme les enfants qui sont régulièrement exposés à la maltraitance des animaux.
    Les formes directes et indirectes d'abus ont de profondes répercussions à court et à long terme sur le développement de l'enfant et de l’adolescent.
    Dans notre pratique d’enseignants, nous observons que les enfants évoquent difficilement la violence sur des personnes au sein de la famille. Mais ils sont plus disposés à parler de la maltraitance de leurs animaux de compagnie. Une attention particulière portée à ces paroles permettrait aux professionnels de mieux juger quand les enfants sont en risque.
    Sur un autre plan, la maltraitance extraordinaire d'animaux par des enfants eux-mêmes peut précéder des actes plus violents de la part de ces individus à l'âge adulte envers des animaux ou de leurs pairs.
    Dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM 5) de 2013 la cruauté a d’ailleurs été retenue comme symptôme du trouble des conduites.
    Il est donc important que les personnes qui observent ce genre de conduite chez des enfants puissent alerter les services compétents pour déclencher un suivi particulier de ces enfants.
    Il est établi que la violence envers les animaux et la violence envers les personnes sont souvent des problèmes interconnectés. La plupart des enseignants pressentent ce lien entre les violences mais il y a méconnaissance des études sur ce sujet dans la sphère éducative.
    Pourtant, comme nous l’avons vu, cette intuition est corroborée par de nombreuses études mais les paroles d’enfants et les observations restent dans le registre anecdotique. Elles ne sont pas des éléments déclencheurs d’une vigilance particulière et encore moins d’un protocole de signalement.
    Or les violences perpétrées contre les animaux dans la sphère familiale dont sont témoins ou acteurs les enfants sont des signaux faibles annonciateurs d’une tendance ou d’un risque.
    Si ces éléments précurseurs sont détectés à temps et interprétés justement, ils permettent d’anticiper des événements potentiellement graves et de les prévenir.

    III. Protocoles de signalement

    A. Les outils

    La protection de l’enfance distingue deux « outils » : l’information préoccupante (IP) et le signalement.
    Comme le dispose l’article L. 226-42 du Code de l’action sociale et des familles, toute personne travaillant dans un service public susceptible de connaître des situations de danger doit se saisir de ces outils s’il a connaissance d’une telle situation.
    L’information préoccupante est définie comme étant « une information transmise à la cellule départementale mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-33 pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d’un mineur en danger ou en risque de l’être ».
    Depuis 2007, les CRIP (cellules de recueil des informations préoccupantes) recueillent les informations préoccupantes (art. 221-14 et 226-3 du Code de l’action sociale et des familles).
    Le terme de signalement est réservé à la saisine de l’autorité judiciaire dans les cas où la gravité de la situation le justifie. Quand un enfant est gravement atteint dans son intégrité physique et psychique, qu’il est victime ou menacé de faits susceptibles de revêtir une qualification pénale et qu’il nécessite une protection immédiate, alors tout personnel de l’Éducation nationale peut aviser directement le procureur de la République. Dans ce cas, une copie de cette transmission est adressée au président du conseil départemental et à la DSDEN (Direction des services départementaux de l’Education nationale).
    Le signalement et l’information préoccupante sont des écrits objectifs qui décrivent la situation d’un mineur en danger ou en risque de danger ou de suspicion de maltraitance nécessitant une mesure de protection administrative ou judiciaire.
    S’il estime que des éléments sont préoccupants, l’enseignant, par exemple, en fait une description la plus précise possible.
    Il doit aussi préciser le type d’information rapportée.
    Il peut s’agir de faits directement observés tels que des traces, des comportements de l’enfant/adolescent et/ou de son entourage qui l’interpellent.
    Il peut aussi s’agir de propos de l’enfant ou de ses parents entendus par l’enseignant ou rapportés par d’autres personnes (autres enfants, autres adultes de la famille ou de l’établissement où est scolarisé l’enfant) dont l’identité doit alors être indiquée.
    L’enseignant renseigne le contexte et les circonstances dans lesquelles l’enfant a fait ses révélations.
    La transmission d’information(s) préoccupante(s) ou le signalement doivent être sans censure, sans jugement, sans commentaire personnel, sans vérification, l’information préoccupante (IP) n’ayant « pas pour objet de déterminer la véracité des faits allégués » (art. 1er du décret n° 2016-1476 du 28 octobre 2016).
    La transmission de l’information préoccupante doit être une réflexion partagée entre différents acteurs : enseignants, directeur d’école, chef d’établissement, assistant social, médecin scolaire, infirmier, psychologue scolaire, conseiller principal d’éducation (CPE), inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) et inspecteur d’académie adjoint des services de l’Éducation nationale (IA-DASEN).
    Dans chaque département, une conseillère technique du service social élèves est responsable du recueil de tous les signalements émanant de l’Éducation Nationale.
    Sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant, notamment dans les situations de maltraitance, les titulaires de l’autorité parentale sont avisés par le président du conseil départemental de la réception d’une information préoccupante et de la mise en place d’une évaluation (art. D. 226-2-6 du Code de l’action sociale et des familles).
    À partir d’une information « préoccupante », une rencontre est proposée aux parents et à leurs enfants partageant le même domicile.
    Une évaluation de la situation familiale est alors engagée.
    Cette évaluation est réalisée par une équipe pluridisciplinaire relevant des services départementaux de l’ASE, de la PMI, et de la cellule de recueil des informations préoccupantes ainsi que par les assistants du service social de l’Éducation nationale lorsque l’IP émane de l’école.
    L’évaluation peut conclure à un classement sans suite, une mesure de protection ou une saisine de l’autorité judiciaire.
    Dans les cas de signalement direct au Procureur de la République, l’information donnée aux familles revient au Parquet afin d’éviter que l’enfant subisse des pressions.

     

    B. Le recueil de la parole de l’enfant ou de l’adolescent

    Lorsqu’un enfant se confie à l’adulte, celui-ci recueille la parole de manière bienveillante et rassurante sans questions suggestives ni jugement. Néanmoins, il est judicieux de demander à l’enfant s’il a des frères et sœurs et comment cela se passe avec eux à la maison. Les paroles de l’enfant sont retranscrites mot à mot. C’est l’adulte dépositaire qui évalue dans un premier temps si les propos sont des signes d’alerte qu’il convient de rapporter.
    Si de nombreuses études mettent en évidence les facteurs de risque de maltraitance, les violences faites aux animaux du foyer ne figurent pas sur les documents d’accompagnement pour la rédaction d’une information préoccupante. Leur évocation par l’enfant ne donne donc généralement pas lieu à une attention particulière alors que les études scientifiques montrent qu’elles sont réellement un signal faible d’autres violences au sein du foyer et qu’elles impactent les enfants qui en sont témoins et/ou qui s’interposent pour protéger l’animal auquel ils sont attachés. L’exposition à la violence régulière sur l’animal du foyer peut engendrer chez l’enfant une habituation à la violence. Il sera plus enclin à devenir violent à son tour sur les animaux voire sur ses pairs. L’exposition à la violence peut aussi créer un traumatisme chez l’enfant et perturber son développement psychoaffectif.
    Les études montrent une corrélation entre l'exposition à la maltraitance animale dans un foyer violent et des actes de maltraitance animale commis par les enfants7, p. 469-480.">5 ainsi que des troubles affectifs et du comportement6.
    Dans l’entretien préalable à l’IP, il n’est pas non plus envisagé de questionner l’enfant qui alerte de par sa propre situation ou son comportement sur la présence d’animaux dans son foyer ni sur les relations que l’enfant et les autres membres de la famille entretiennent avec eux. Les animaux sont totalement invisibilisés dans ces démarches de signalement.
    Des violences sur les animaux révélées par un enfant doivent pourtant nous inciter à interroger la présence d’autres signes d’alerte afin qu’une démarche telle qu’une IP permette d’enclencher une analyse du contexte de vie de l’enfant.
    L’évaluation globale réalisée par une équipe pluridisciplinaire à la suite d’une IP prend en compte de nombreux signes d’alerte dont l’exposition à une maltraitance. Cette maltraitance peut revêtir différentes formes de violences dont les violences psychologiques et l’exposition à la violence. Les violences faites aux animaux relèvent de ces deux catégories.


    Cadre national de référence : Évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de danger (has-sante.fr)

    IV. Freins à se saisir de ces outils

    A. Des difficultés d’ordre général

    Les personnes de l’Education nationale en contact avec les enfants disposent donc d’outils pour alerter sur les possibles situations de violences intrafamiliales, information préoccupante et signalement.
    Même si la situation a évolué du fait d’une sensibilisation régulière, quelques enseignants hésitent à rédiger ces documents. Le sentiment de manque de compétences pour recueillir la parole des enfants et la pertinence de la démarche au vu des éléments factuels les empêchent d’aller plus loin. C'est pourtant la personne choisie en confiance par l'enfant qui doit rédiger l’IP afin d’éviter toute transformation des propos de l’enfant et du contexte de leur recueil.
    Dans le premier degré, les transmissions d'informations par les personnels enseignants peuvent être sources de difficultés pour les enseignants et contre-productifs au regard de la technicité à mobiliser dans le relationnel avec les parents car il faut veiller à maintenir la relation école-parents. Informer les responsables légaux d’un enfant que l’enseignant ou le directeur rédige une IP peut s’avérer compliqué. L’obligation légale de le faire est un argument à avancer mais qui ne convainc pas toujours les familles.
    D’autres difficultés comme l’absence de suites et la minimisation des faits et de leur gravité sont rapportées par les enseignants. Ces expériences négatives n’incitent pas à déclarer les maltraitances sur les animaux aux autorités compétentes.
    Des particularités locales sont également dénoncées lorsqu'un recteur, un DASEN, la conseillère technique du service social de l’académie, un chef d'établissement ou un inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) ne se saisissent pas pleinement de l'enjeu.
    Dans le document de recommandation de bonne pratique de la HAS sur l’évaluation globale de la situation des enfants en danger ou risque de danger qui s’adresse à tous les professionnels et institutions qui contribuent au recueil et au traitement des informations préoccupantes, il est constaté :
    - une absence d’outils partagés au niveau national, une diversité des organisations et des pratiques en fonction des conseils départementaux et parfois au sein d’un même territoire (processus de traitement, professionnels mobilisés, modalités d’évaluation, etc.) ;
    - un manque d’échanges sur les pratiques du côté des professionnels de terrain ;
    - des difficultés à respecter les délais de traitement prévus par la loi.

    B. Des difficultés propres aux maltraitances animales intrafamiliales

    Le 17 mars 2023, s’est tenu à Paris un colloque sur le thème de la corrélation entre les violences sur les personnes vulnérables et les violences sur les animaux. Cet événement, organisé par une équipe scientifique pluridisciplinaire avait pour objectif de sensibiliser le grand public mais aussi les différents acteurs de la protection de l’enfance et des personnes vulnérables au sein d’un foyer.
    Des témoignages de terrain, forces de l’ordre, associations de protection animale, vétérinaires, services sociaux, enseignants, associations de protection des femmes et des synthèses scientifiques, vétérinaires, psychologiques et juridiques ont alterné. Une trentaine d’intervenants ont apporté un éclairage global sur des situations souvent ignorées ou négligées.
    Enseignants et psychologues scolaires ont manifesté leur impuissance à agir et leur frustration face à la non prise en compte par leur hiérarchie et les CRIP des maltraitances animales pourtant souvent concomitantes d’autres violences. Leurs témoignages montrent la nécessité de dénoncer ces violences pour les animaux eux-mêmes et afin de prévenir d’autres violences.
    Certaines CRIP sont plus engagées dans la prise en compte des violences sur les animaux du foyer dans l’intérêt des personnes qui y vivent dont les enfants. Elles déclenchent plus volontiers une enquête complémentaire sur la famille par les services sociaux. Ces responsables de CRIP pointent néanmoins la complexité de la mise en œuvre de la nouvelle disposition prévue par la loi Maltraitance n° 1539-2021. L’article L. 221-17 du Code de l’action sociale, notamment, demande aux CRIP de mieux repérer les mineurs auteurs de violences sur les animaux et les mineurs exposés à des violences sur les animaux.
    Confrontés à des paroles d’enfants rapportant des violences sur leurs animaux de compagnie, les enseignants doivent pouvoir faire remonter cette information. Mais la méconnaissance, d’une part, des études prouvant la corrélation entre les violences et, d’autre part, des textes de loi par les nombreux acteurs impliqués participe à l’immobilité sur ce sujet. Une information préoccupante lancée par un enseignant sur la base d’éléments de maltraitances animales est rejetée, taxée de confusion de situations incomparables, de parallèles déplacés, excessifs, et considéré comme non pertinente.
    Pourtant les enfants parlent plus facilement des violences faites aux animaux de la famille que des violences sur les personnes. Il convient de ne pas négliger ces paroles, notamment à l’école.
    Inclure les violences sur les animaux de la famille comme signaux d’alerte de violences intrafamiliales dans la liste des éléments déclencheurs d’une IP, s’avère nécessaire pour une prévention efficace.

    V. Pour une prévention et une action plus efficaces

    A. La formation (des personnels de l’EN)

    Dans l'Education nationale, les formations initiale et continue des personnels, dans le domaine de la protection de l'enfance, sont mises en œuvre aux niveaux national, académique et départemental. Ces formations sont réglementées.
    L'article L. 542-1 du Code de l'éducation8 prévoit notamment une formation partiellement commune aux différentes professions et l'article D. 542-1 du Code de l'éducation9 en prévoit les contenus.
    La formation initiale est organisée par les INSPE, Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation. Le rôle des INSPE est fondamental pour donner aux personnels de l'Éducation nationale une culture commune et des notions juridiques et institutionnelles pertinentes sur le thème de la protection de l'enfance.
    Au niveau académique, les recteurs impulsent les orientations nationales et définissent les plans académiques de formation continue. La formation continue a plus particulièrement pour objectifs la sensibilisation au repérage de signaux d'alerte, la connaissance du fonctionnement des dispositifs départementaux ainsi que l'acquisition de compétences pour protéger les enfants en danger ou susceptibles de l'être. Les conseillers techniques de service social de la DSDEN (Direction des services départementaux de l’Education nationale) apportent leur expertise dans ces formations.
    C’est à cette formation qu’il convient d’intégrer une sensibilisation au lien entre les violences pour les personnels de l’Education nationale.
    Le Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation10 établi par l'arrêté du 1er juillet 2013 relatif à la formation des enseignants (JO du 18-7-2013, BOEN n° 30 du 25-7-2013) engage les professeurs, documentalistes et conseillers principaux d'éducation à « identifier toute forme d'exclusion ou de discrimination, ainsi que tout signe pouvant traduire des situations de grande difficulté sociale ou de maltraitance ».
    La sensibilisation et la formation des enseignants du second degré, des personnels d'éducation et d'orientation sont prévues dans les plans académiques de formation. Concernant les enseignants du premier degré et des personnels des réseaux d'aide aux élèves en difficultés (RASED), les modules sont mis en place dans le cadre du plan de formation départemental.
    Considérant le temps que l’élève passe en classe, les professeurs sont les premières personnes-ressources du repérage des situations à risque ou des situations de mal-être. Leur formation est donc essentielle.
    Comme nous l’avons vu, des professionnels de nombreux domaines sont amenés à gérer des situations de violence sur les personnes vulnérables et sur les animaux du foyer. Qu’ils soient professionnels de santé (infirmier, aides-soignants, médecins, dont les pédiatres et les pédopsychiatres, etc.), psychologues, professionnels de l'action sociale (assistantes sociales, éducateurs, auxiliaires de vie, intervenants de l'Aide Sociale à l'Enfance, etc.), professionnels de l’éducation nationale (enseignants, directeurs, personnels de santé, psychologues, etc.), vétérinaires, membres des forces de l’ordre, magistrats et avocats mais aussi membres des associations de protection animale et des associations de protection des enfants et des femmes, il est crucial de les sensibiliser et de les former à la fois dans le cadre des études initiales et de la formation continue.
    Un socle commun de connaissances et de compétences est envisageable. Ce socle permettrait de former :
    - au lien entre les violences, en présentant des synthèses d’études sur cette corrélation et en expliquant les mécanismes communs sous-jacents aux différentes formes de violences ainsi qu’aux enjeux de la prise en compte de toutes ;
    - au repérage des maltraitances humaines ou animales ;
    - au recueil bienveillant et facilitant de la parole de l’enfant et à sa transcription fidèle et objective ;
    - à la connaissances des outils, des procédures et des parcours de signalement ou d’information préoccupante, en prenant en compte les freins à ces démarches.
    La mise en œuvre de formations interinstitutionnelles regroupant les différents professionnels intervenant notamment sur un même territoire favoriserait leur coordination pour intervenir rapidement et efficacement.
    Plus généralement, la connaissance et la détection de violences sur un animal doivent inciter à alerter pour protéger l’animal lui-même et pour prévenir de potentielles violences humaines en évaluant systématiquement le risque pour les personnes vulnérables du foyer.
    Les CRIP chargées du recueil, du traitement et de l’évaluation des informations préoccupantes doivent se saisir des articles L. 221-1 et L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles afin d’intégrer la maltraitance animale comme un signe précoce de détection et d'alerte des risques de violence que peut encourir une personne. Il convient aussi d’harmoniser les pratiques sur l’ensemble du territoire pour permettre une équité de traitement pour les enfants/adolescents et les animaux au sein des familles.

    B. La collaboration (transdisciplinaire)

    La protection de l'enfance est multiforme et implique des compétences particulières dans des domaines complémentaires. La synergie des différents acteurs est indispensable.
    Pourtant, la politique publique en matière de prévention et de protection de l'enfance se traduit par des actions très inégales selon les départements auxquels incombe la compétence de l’Aide Sociale à l’Enfance.
    Les articles L. 221-1 et L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles intégrant la question de la violence faite aux animaux sont passés sous les radars et les CRIP en sont mal informées.
    De plus, la communication et la coordination entre conseils départementaux, Éducation nationale et autres acteurs de la protection des personnes et des animaux doivent progresser pour répondre de manière cohérente à des situations urgentes et pour mener des actions de prévention efficaces.
    Dans les cas de violence familiale où les victimes animales et humaines sont évidentes, des efforts de collaboration transdisciplinaire doivent être menés.
    En cas de suspicion, les agents de protection des animaux et des humains peuvent comparer leurs conclusions, car il est connu que là où les animaux sont à risque, les personnes sont souvent à risque et vice versa.
    Les professionnels de l’Education nationale, les psychologues, les travailleurs sociaux, les vétérinaires, les éducateurs et des professionnels de la santé mais aussi les associations de protection animale sont régulièrement confrontés à la violence intrafamiliale.
    Des notifications croisées des situations de violences rapportées par ces professionnels dont les expertises sont complémentaires et interdépendantes, permettraient, par des mesures préventives, une meilleure protection des enfants, des femmes, des personnes âgées vulnérables du foyer, sans oublier les animaux eux-mêmes.

    Conclusion

    L’Education nationale et en particulier les enseignants jouent un rôle important dans la protection de l’enfance du fait de l’accompagnement durable des élèves pendant leur scolarité. Des outils tels que l’information préoccupante et le signalement dans les cas les plus graves permettent aux enseignants de révéler aux autorités compétentes les situations susceptibles de mise en danger d’un enfant/adolescent. Ces protocoles ne mentionnent cependant pas explicitement la violence sur les animaux du foyer comme des éléments déclencheurs d’une vigilance particulière. Pourtant, les études montrent que cette atteinte à la moralité et au développement psycho-affectif de l’enfant a d’importantes répercussions. L’habituation de l’enfant exposé à la violence sur l’animal peut entrainer une reproduction d’actes violents à l’encontre des animaux ou des pairs. Un environnement violent engendre aussi chez l’enfant des traumatismes impactant ses comportements. Prendre la parole de l’enfant au sérieux lorsqu’il rapporte des actes violents sur les animaux du foyer est donc crucial.
    L’école est aussi le lieu privilégié d’une éducation au respect de l’altérité et à l'empathie envers ses semblables et envers les animaux. Cette sensibilisation au respect des animaux rejoint le programme de sensibilisation contre la violence et le harcèlement prévu par l’Education nationale.
    Dans ce contexte de lutte contre la violence et le harcèlement, il convient de penser de façon systématique à la violence perpétrée sur les animaux et de l’intégrer pleinement dans la liste des éléments déclencheurs d’un signalement pour une analyse globale du foyer par les services autorisés.
    Les protocoles de signalement sont souvent perçus comme complexes et peu opérants. Le manque de formation partagée avec les nombreux acteurs de la lutte contre les violences humaines et animales ainsi que les méandres administratifs et l’inégalité de traitement des signalements sont des freins récurrents à ces démarches.
    Une simplification est nécessaire et des pistes d’amélioration existent. Ainsi, la loi n° 2021-153911 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale permet par deux articles inscrits dans le Code de l’action sociale et des familles d’attirer l’attention des CRIP sur les auteurs de violences sur les animaux. Ces articles souvent méconnus ou mal interprétés doivent être clairement explicités pour une application efficace.
    La formation des différents acteurs amenés à repérer des violences humaines ou animales doit contenir des connaissances communes sur le lien avéré entre ces types de violence ainsi que sur les protocoles de signalement. Une communication entre ces différents acteurs et la possibilité de signalements croisés auprès d’une même instance permettrait le recoupement des éléments pertinents.
    Considérer les violences animales, d’une part, pour ce qu’elles ont de moralement et légalement répréhensibles et, d’autre part, comme des signaux d’alerte de potentielles violences intra-familiales améliorerait l’efficacité d’action et de prévention pour sauver les animaux victimes et anticiper ou empêcher les violences sur des personnes, enfants et adultes vulnérables.

    • 1 Article 40 relatif à l'obligation pour tout officier public ou fonctionnaire d'aviser sans délai le procureur de la République de tout crime ou délit.
    • 2 Article L. 226-4 relatif à la possibilité pour toute personne exerçant dans un service ou un établissement public ou privé susceptible de connaître des situations de mineurs en danger d'aviser directement le procureur de la République, du fait de la gravité de la situation.
    • 3 Article L. 226-3.
    • 4 Article L. 221-1.
    • 6 5= McDONALD, S.E., CODY, A.M., BOOTH, L.J. et al. (2018). Animal Cruelty among Children in Violent Households: Children’s Explanations of their Behavior. J Fam Viol, 33(7), p. 469-480. McDONALD, S.E., DMITRIEVA, J., SHIN, S., et al. (2017). The role of callous/unemotional traits in mediating the association between animal abuse exposure and behavior problems among children exposed to intimate partner violence. Child Abuse Negl, 72, p. 421-432.
    • 7 Article L. 221-1.
    • 8 Article L. 542-1 du Code de l'éducation.
    • 9 Article D. 542-1 du Code de l'éducation.
    • 10 Référentiel des compétences professionnelles des métiers du professorat et de l'éducation.
    • 11 Loi visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes.
     

    RSDA 2-2023

    Dossier thématique

    Les auxiliaires de justice : mission des avocats et perspectives

    • Arielle Moreau
      Avocate au Barreau de Saint-Pierre de la Réunion

    Qui violente son chien, violente sa famille

    La loi du 2 juillet 1850 dite Grammont sur les mauvais traitements exercés publiquement envers les animaux avait pour vocation, outre la protection des animaux, à éduquer les hommes et les femmes au travers de leur rapport aux animaux placés sous leur garde.
    Les brutalités inutiles pouvant s’exercer sur l’animal étaient alors perçues comme des opportunités d’évolution des Hommes, vers une société sans violence et apaisée.
    La loi avait donc cette ambition de s’attaquer à la racine même du comportement violent.
    Cette approche s’est cependant vite heurtée à la Summa divisio qui oppose en droit français les choses aux personnes et qui empêche de considérer de façon égale le traitement dévolu aux humains et aux animaux, y percevant des velléités d’abolir les différences inter espèces.

    La violence ne connaît pas la barrière des espèces, le droit oui

    Ainsi, alors que la nature d’être sensible des animaux est reconnue depuis la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature et que selon une enquête Ipsos de 2020, 68 % des français estiment que leur animal de compagnie fait partie de la famille, l’État n’en tire aucune conséquence au regard du sort qui doit leur être dévolu, tant au niveau civil lors des procédures de divorce ou de séparation, qu’au niveau pénal en cas de violences domestiques.
    Cet oubli est regrettable car outre qu’il fait fi de l’intérêt de l’animal et du lien affectif qui unit le maître à son compagnon, reconnu comme droit fondamental par une décision du Conseil d’État du 20 novembre 2023, il prive également l’État d’un outil efficace dans la lutte contre les violences domestiques.
    C’est la raison pour laquelle un changement d’approche voire de réglementation s’impose tant dans le dépistage que dans le traitement des violences intra-familiales.
    Les avocats en droit de la famille, acteurs incontournables dans les dossiers traitant de violences conjugales, doivent opter pour une approche transversale des violences.

    Contexte de ma participation au groupe de travail « une seule violence » du sénateur Arnaud Bazin

    Pour ma part le lien entre toutes formes de violence, s’est très vite imposé comme une évidence alors que j’exerçais comme avocate à Saint Pierre de la Réunion et m’impliquais dans les permanences victimes des femmes et des enfants violentés, tout en me consacrant bénévolement à la protection animale au sein d’associations locales et notamment l’association SOS Animaux, de feu madame Sarah De Lavergne.
    Au gré des dossiers, la pertinence de ce lien s’est renforcée, tant au niveau des auteurs de violences, dont les parcours mettaient souvent en évidence des violences exercées sur des animaux dès leur plus jeune âge, qu’au niveau des victimes de violences familiales, les animaux du foyer étant souvent des victimes collatérales.
    C’est dans ce contexte qu’en juillet 1994, l’association Galiendo de Frank Hohlstamm et moi-même avons mis en place en partenariat avec le procureur de la République de Saint-Pierre alors en place, monsieur Laurent Zuchowicz, le premier stage de sensibilisation au respect de l’animal, à l’instar des stages existant alors pour les violences faites aux femmes.
    De retour en métropole j’ai pu continuer à œuvrer pour cette thématique au sein d’une ONG française, dont l’approche globale dans la lutte contre les violences aux animaux, aux humains et à la planète, était portée par son ex-vice-présidente, madame Marité Moralès, qui rebaptisera d’ailleurs l’association Thalis d’un nouveau nom plus conforme à cette vision œcuménique : « One Voice ».
    En 2020, Agnès Borie, l’assistante du sénateur Bazin, sur les recommandations d’Hélène Brissaud, m’a proposé d’intégrer un groupe de travail dédié à cette thématique.

    Pour un traitement unique des violences dans le foyer

    En droit français, la réponse pénale donnée aux violences commises au sein du foyer va être différente selon l’identité des victimes concernées.
    Le procureur de la République décide du sort des poursuites et des plaintes.
    Les parquets des différents tribunaux judicaires sont divisés en pôles de compétence. Les violences commises sur les animaux ressortent du pôle environnement, là où les violences intra-familiales relèvent des atteintes aux personnes.
    Les violences sont donc instruites et jugées de façon distincte aboutissant parfois même à des décisions différentes : un classement sans suite pour les violences faites aux animaux du foyer et un renvoi devant le tribunal pour les violences conjugales.
    Cette division par matière est totalement abstraite et décorrélée de la réalité du cercle familial.
    Ce clivage ne permet ni de restituer fidèlement la gravité des violences exercées par l’auteur, ni de mettre en place un dépistage précoce.
    En effet, ce qui est en cause ce n’est pas tant l’espèce à laquelle la victime appartient mais bien la nature de l’acte commis : c’est-à-dire la violence envers un être sensible vulnérable, faisant partie intégrante du foyer.
    Les auteurs des violences n’effectuent pas de discrimination, victime animale ou humaine. Dans les deux situations, le sujet devient l’objet sur lequel ils peuvent exercer leur violence.
    Dans le cas précis des violences domestiques, les faits sont commis à l’encontre non de l’animal en tant que tel mais de ce qu’il représente, c’est-à-dire un compagnon de vie ou un membre de la famille. L’intention est donc aussi grave que l’acte.
    En outre, les agressions sur les animaux du foyer créent un environnement délétère qui intimide et terrorise leurs victimes, avec parfois l’objectif d’empêcher la victime de partir ou la forcer à revenir en menaçant la vie de l’animal.

    https://actu.fr/normandie/rouen_76540/rouen-il-tyrannise-sa-femme-en-tapant-son-chien-et-plaide-l-education_60177906.html

    Les avancées de la loi du 30 novembre 2021

    La loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, portée par le député Loïc Dombreval, a renoué avec la tradition humaniste de la loi Grammont :
    - En considérant comme circonstance aggravante le fait de commettre des actes de cruauté sur animaux en présence d'un mineur ;
    - En créant un stage de sensibilisation à la prévention et à la lutte contre la maltraitance animale ;
    - En modifiant le Code de l'action sociale et des familles avec la création d’une veille au repérage et à l'orientation des mineurs condamnés pour maltraitance animale ou dont les responsables ont été condamnés pour maltraitance animale ;
    - Et en instaurant une obligation d’évaluation de la situation d'un mineur à la suite de mises en cause pour sévices graves ou acte de cruauté ou atteinte sexuelle sur un animal mentionnées aux articles 521-1 et 521-1-1 du Code pénal, lorsqu’elles sont notifiées par une fondation ou une association de protection animale reconnue d'intérêt général.
    Cependant ces mesures ne vont pas assez loin, et la France gagnerait à suivre l’exemple de nombreux pays anglo-saxons en incluant les animaux du foyer dans les dispositifs de prévention et de répression des violences domestiques.
    C’était l’objet des amendements malheureusement rejetés, proposés par le sénateur Bazin dans le cadre de La loi d’orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur, dite « LOPMI » publiée au Journal officiel le 25 janvier 2023, sur lesquels notre groupe avait travaillé.

    L’intérêt de de cet élargissement du cercle de la violence : précocité du dépistage et du traitement, application de la récidive légale

    Le foyer doit être protégé en tant que tel car c’est un lieu sanctuarisé dont la fonction première est de veiller à l’épanouissement et à la protection de ses membres.
    Cette appréhension globale des violences domestiques permettrait donc de mobiliser des outils efficaces dans cette lutte contre les violences domestiques :
    - Un dépistage plus précoce des violences domestiques : Selon un sondage IFOP de juillet 2020, 52 % des français déclarent posséder au moins un animal de compagnie dans leur foyer. À la lueur de ces statistiques l’approche « une seule violence » apparaît comme une formidable opportunité de déceler des comportements violents.
    - La récidive pourrait également être retenue dès que des violences sont exercées successivement sur des membres du foyer (animaux ou humains) et des prises en charge adaptées pourraient alors être déployées.

    Une seule violence une seule défense

    Les avocats peuvent d’ores et déjà opter pour une démarche globale :
    - En intervenant auprès des procureurs pour plaider pour une poursuite commune, si des faits de violences sur animaux et humain existent ;
    - En veillant à l’application des nouveaux textes : circonstance aggravante tiré de la présence du mineur témoin des violences, signalement effectué par les associations de protection animale ;
    - En questionnant leurs clients victimes sur l’existence d’animaux au sein du foyer et les éventuelles violences subies, il convient alors de les orienter vers un vétérinaire pouvant établir un certificat ;
    - En les orientant vers des associations de protection animale susceptibles d’héberger provisoirement leurs animaux sans frais.
    Une attestation médicale peut établir les violences psychologiques subies par les enfants ayant assisté à des violences sur leurs animaux, mais également les conjoints ou conjointes.
    Certes la recevabilité de ces éléments comme preuves des violences est laissée à l’appréciation du juge statuant sur la demande de protection. Au niveau pénal, la reconnaissance de ces violences indirectes risque de se heurter au principe de légalité.

    Conclusion

    Notre législation doit donc se doter d’une loi sur les violences domestiques qui intègre les animaux de compagnie afin de mettre en place une politique pénale cohérente des violences sans considération des espèces victimes de ces agressions, et d’encadrer, dans des situations conflictuelles, dès l’ordonnance de protection judiciaire, la garde de l’animal de compagnie.
    Il conviendra alors que l’État se dote de moyens supplémentaires pour faire face notamment aux demandes d’hébergement temporaire et souvent en urgence de ces animaux.

       

      RSDA 2-2023

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