Actualité juridique : Jurisprudence

Droit animalier associatif

L’association militante à l’épreuve de l’ordre public : vers une jurisprudence européenne de la désobéissance pacifique ?

À propos de l’arrêt CEDH, Bogay et autres c. Ukraine, 3 avril 2025 (n° 38283/18)

 

Résumé : L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine, rendu le 3 avril 2025 par la Cour européenne des droits de l’homme, consacre — sans le dire — une protection renforcée de l’agir collectif informel, pacifique et dissensuel. À travers la reconnaissance d’un droit de réunion non déclaré, porté par un collectif non structuré, se dessine une tolérance fonctionnelle à certaines formes de désobéissance associative. Ce texte propose d’en lire la portée au prisme du droit animalier, non seulement comme champ d’expression privilégié de l’association militante, mais aussi comme révélateur premier de sa fonction politique. Car ce n’est peut-être pas l’association qui porte ici la cause animale, mais la cause animale qui, en creux, révèle ce que l’association a d’irréductiblement démocratique.

 

Mots-clés :

Désobéissance associative, rôle supplétif, cause animale.

 

La liberté de se réunir et de s’associer occupe une place centrale dans les systèmes juridiques démocratiques1. Protégée tant par les constitutions nationales que par les instruments internationaux des droits de l’homme2, elle n’est pas un simple droit d’organisation administrative : elle constitue une condition d’existence du débat public3, un levier d’action collective, un espace de médiation des conflits sociaux. Par elle, des individus s’assemblent, forment un « nous » politique, et participent à la délibération collective sur ce qui mérite d’être défendu, contesté ou transformé. Elle permet à des voix nouvelles d’émerger, à des causes marginales de devenir audibles, à des engagements fragiles de s’affirmer.

 

Ce rôle structurant explique l’attention croissante que lui accorde la Cour européenne des droits de l’homme, notamment lorsqu’il s’agit de protéger des formes d’agir collectif non instituées4, minoritaires ou dissonantes.

 

Le jugement Bogay et autres c. Ukraine, rendu le 3 avril 2025, s’inscrit dans cette dynamique. Il concerne un rassemblement pacifique organisé par un collectif informel dénonçant l’exploitation des animaux dans les spectacles de cirque. Bien que non autorisée, la manifestation s’est tenue sans violence, avec une visibilité modérée et une revendication claire : l’abolition d’une pratique encore socialement admise mais moralement contestée5. La réaction des autorités ukrainiennes fut brutale : fouilles, interpellations, transferts massifs vers les commissariats — sans base légale suffisamment établie, ni justification individualisée. La Cour conclut à la violation des articles 5, 10 et 11 de la Convention, soulignant l’absence de proportionnalité des mesures prises et la carence d’alternatives moins attentatoires aux droits fondamentaux.

Au-delà de la mécanique contentieuse, l’intérêt de cette décision réside dans la manière dont la Cour accueille une forme d’engagement collectif située à la lisière du droit positif : ni association enregistrée, ni syndicat reconnu, ni ONG conventionnée — mais un collectif militant, éphémère, né d’une convergence d’indignations autour d’une cause peu représentée. Cette reconnaissance — implicite mais ferme — invite à repenser le périmètre des libertés collectives, non plus à partir des seules formes instituées, mais à partir de la densité symbolique et politique du geste de s’associer.

 

Car ce que révèle l’arrêt Bogay(­6), c’est une tension structurante de nos démocraties contemporaines : d’un côté, un droit encore majoritairement conçu comme gestionnaire, normatif, calibré selon des critères de stabilité et de reconnaissance formelle ; de l’autre, une société civile mouvante, inventive, traversée par des collectifs non conventionnels qui, sans statut ni agrément, revendiquent un droit de cité dans l’espace public. Ce n’est pas un désordre. C’est un appel. En ce sens, l’arrêt Bogay marque un seuil : celui où la Cour accepte d’accorder sa protection à une parole collective critique, non pas en dépit de sa marginalité juridique, mais en raison même de sa fonction démocratique.

 

Le terrain choisi par les requérants — la défense des animaux — n’est pas anodin7. Il met en lumière une double invisibilisation : celle du sujet défendu, d’abord, privé de toute personnalité juridique ; celle des collectifs qui le portent, ensuite, souvent perçus comme illégitimes du seul fait qu’ils agissent hors des cadres établis. L’affaire Bogay donne ainsi à voir l’émergence d’une nouvelle grammaire de l’action collective : une grammaire fondée sur la relation, l’attention, la reliance — où l’Association ne se mesure plus seulement à la lettre de ses statuts, mais à la densité de l’interpellation qu’elle adresse à la société.

 

C’est cette grammaire que la présente chronique se propose d’explorer8. Elle s’attachera, dans un premier temps, à analyser la manière dont la Cour protège concrètement l’exercice collectif de la liberté de réunion face à une répression étatique disproportionnée (I). Dans un second temps, elle interrogera les linéaments d’une reconnaissance implicite mais structurante de la désobéissance associative pacifique comme modalité légitime, voire nécessaire, de l’engagement démocratique (II). En arrière-plan se dessine une figure nouvelle : celle de l’Association — non comme entité juridiquement constituée, mais comme forme de reliance9 démocratique révélée à l’occasion d’un agir collectif. Cette Association, encore fragile dans sa reconnaissance, pourrait bien s’inventer, à travers de tels conflits, comme un ciment discret mais essentiel du vivre-ensemble démocratique.

 

I/ La liberté de manifester collectivement face à la répression étatique

 

Si l’affaire Bogay soulève, à première vue, une question classique de conciliation entre liberté de réunion et maintien de l’ordre public, son examen attentif révèle une tension plus profonde : celle qui oppose la forme administrative du droit à la substance démocratique de son exercice. Ce n’est pas tant un désordre que les autorités ont cherché à contenir, qu’un geste. Un geste symbolique, minoritaire, dissident.

 

La réaction fut brutale, immédiate, disproportionnée. Elle visait moins un trouble effectif qu’un écart à la norme. Une manifestation non autorisée, initiée par un collectif informel, portant un message critique à l’égard d’une pratique encore admise, mais de plus en plus contestée : l’usage des animaux dans les spectacles de cirque.

 

Et c’est pourtant là, dans cette configuration même — l’absence de statut, la marginalité de la cause, la parole publique d’un désaccord — que se noue l’enjeu démocratique de l’affaire.

 

Encore faut-il, pour en mesurer la portée, revenir à une question apparemment technique mais en réalité décisive : cette manifestation, bien qu’organisée par un collectif non reconnu, pouvait-elle bénéficier de la protection offerte par l’article 11 de la Convention (E.D.H.) ? C’est à cette première interrogation que la Cour répond. Et avec elle, une certaine idée de la démocratie.

 

A/ Une manifestation informelle mais juridiquement protégée

 

L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine donne à la Cour européenne des droits de l’homme l’occasion de réaffirmer avec force un principe fondamental : la protection des libertés collectives ne saurait être subordonnée à la forme juridique du groupement qui les exerce10.

Les requérants avaient participé à une manifestation dénonçant l’exploitation des animaux dans les spectacles de cirque11. Ce rassemblement, pacifique dans son déroulement comme dans ses intentions, était organisé par Environmental Platform, un collectif informel, sans personnalité morale, sans existence administrative reconnue12. Rien de tout cela n’a empêché la Cour de considérer que les libertés invoquées — celles garanties par les articles 10 et 11 de la Convention — étaient pleinement mobilisables.

 

Cette reconnaissance explicite d’un droit de réunion protégé, y compris pour les formes non institutionnalisées d’engagement collectif, s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle désormais bien établie. Dès l’affaire Christian Democratic People’s Party c. Moldavie (n° 2) (CEDH, 2 févr. 2010), la Cour avait admis que la liberté de réunion et la liberté d’association s’appliquent à tous les individus désireux d’exprimer une position commune dans l’espace public, sans qu’un statut formel ne soit requis13. Elle l’a confirmé dans Kudrevičius et autres c. Lituanie (CEDH, 15 oct. 2015), en soulignant que l’absence d’autorisation ou d’enregistrement ne saurait, en soi, priver un rassemblement pacifique de la protection conventionnelle.

 

En l’espèce, la Cour adopte une lecture matérialiste et fonctionnelle de l’article 11. Ce qui compte, ce n’est ni la reconnaissance étatique du collectif, ni la régularité administrative de sa formation, mais ceci : un groupe de personnes s’est constitué autour d’une cause commune ; il a exprimé pacifiquement une opinion dans le débat public ; il a agi dans un cadre non violent. Cela suffit. Cette approche permet de protéger non seulement les associations dotées de la personnalité morale, mais également les collectifs spontanés, mouvants, ou revendicativement14 non institutionnels — notamment ceux qui entendent conserver leur indépendance vis-à-vis des cadres formels de reconnaissance ou de contrôle.

 

Une telle lecture est particulièrement bienvenue dans un contexte où de nombreuses causes sociopolitiques contemporaines sont portées par des formes d’organisation en dehors des modèles classiques15. La cause animale, en particulier, est souvent défendue par des groupes militants de taille modeste, constitués de manière souple, parfois volontairement informelle16. Ces structures, qui peuvent refuser toute forme d’enregistrement ou d’agrément, se heurtent alors à des obstacles juridiques liés à leur absence de personnalité morale17. La reconnaissance, par la Cour européenne, du droit pour ces collectifs de s’exprimer et de manifester pacifiquement, marque une avancée importante : elle étend la protection conventionnelle à des formes d’engagement qui, sans être juridiquement constituées, n’en sont pas moins politiquement légitimes.

 

Il faut ici insister sur la portée démocratique de cette protection. En affirmant que l’action collective mérite d’être protégée indépendamment de son enregistrement formel, la Cour rappelle que la liberté de réunion n’est pas une concession administrative18, mais un droit fondamental19. Elle appartient à tous ceux qui souhaitent s’associer pour interpeller l’opinion publique, porter une parole minoritaire, ou défendre un intérêt qui, bien que non reconnu par l’ordre juridique en vigueur, aspire à l’être. Loin de menacer l’ordre public, ces expressions collectives participent pleinement au processus délibératif démocratique, en élargissant le cercle des sujets et des causes audibles20.

 

Cette conception invite à distinguer clairement l’association — au sens strict d’un groupement soumis à un cadre juridique déterminé — et le fait de s’associer — au sens large, comme acte d’engagement collectif. C’est ce second mouvement, plus fondamental, que protège la Cour dans l’arrêt Bogay. Il ouvre la voie à une forme d’Association (avec un grand A), comprise non comme entité figée, mais comme modalité de structuration sociale, politique et éthique du débat public. En ce sens, la manifestation des requérants, bien qu’issue d’un collectif informel, n’en constituait pas moins une expression forte de la liberté de s’associer autour d’une cause d’intérêt général : celle de la protection des animaux dans l’espace public.

 

Ce faisant, la Cour ne se contente pas de protéger une expression : elle reconnaît la valeur structurante d’un agir collectif tourné vers la transformation normative. En défendant ceux qui se mobilisent pour des êtres non dotés de personnalité juridique21 — ici, les animaux exploités dans les cirques —, elle renforce la fonction critique du droit d’association, entendu comme levier de déplacement des frontières du droit. Car l’enjeu n’est pas uniquement d’autoriser l’expression : il est de permettre que de nouveaux sujets, de nouvelles vulnérabilités, de nouvelles normes soient portées à la connaissance collective. La manifestation associative informelle devient alors le lieu d’un surgissement éthique et juridique : celui par lequel ce qui était impensé ou invisibilisé devient audible, visible, et peut-être, demain, reconnu.

 

B/ Une réaction disproportionnée, révélatrice d’une logique de neutralisation

 

La protection de l’agir collectif par la Convention européenne ne saurait être effective sans un contrôle rigoureux de la proportionnalité des mesures prises par les autorités étatiques pour en encadrer ou limiter l’exercice. C’est précisément sur ce terrain que l’arrêt Bogay et autres c. Ukraine opère une mise en cause sévère de l’intervention policière. Après avoir reconnu que les requérants participaient à une manifestation pacifique relevant du champ de l’article 1122, la Cour constate que leur arrestation collective et leur privation de liberté, opérées sans justification individualisée, ont conduit à une atteinte grave et injustifiée à leurs droits fondamentaux. Cette répression — brutale, immédiate, dénuée de base légale claire — s’est traduite par une logique d’interruption radicale, de neutralisation pure et simple de la mobilisation.

 

Le déroulé factuel est révélateur : moins d’une demi-heure après le début du rassemblement, les forces de l’ordre encerclent les manifestants, les extraient un à un, procèdent à des fouilles corporelles, et transfèrent une vingtaine d’entre eux au commissariat pour une rétention prolongée. Aucune infraction n’est clairement articulée. Si certains objets (tiges métalliques, canifs) sont retrouvés, leur présence n’est ni contextualisée, ni analysée en termes d’intentionnalité23. Aucun trouble réel à l’ordre public n’est démontré. La Cour souligne d’ailleurs que l’accès au cirque n’était pas entravé, que la manifestation s’est déroulée sans violence, et que les autorités disposaient de moyens humains suffisants pour assurer un encadrement sans recourir à la dispersion.

 

C’est donc l’absence même de nécessité qui fonde la violation constatée. La Cour rappelle avec force que la privation de liberté constitue l’une des atteintes les plus sérieuses aux droits fondamentaux, et qu’elle ne saurait être justifiée par de simples considérations générales de maintien de l’ordre. Elle insiste sur l’obligation, pour les États, de démontrer qu’aucune mesure moins attentatoire aux droits n’était disponible. Or, ici, aucune alternative n’est envisagée : ni encadrement, ni éloignement ciblé, ni avertissement préalables. L’État ne démontre pas qu’il a épuisé les options compatibles avec l’exercice du droit fondamental à la réunion pacifique.

 

Au contraire, tout se passe comme si la mobilisation avait été perçue comme suspecte en elle-même, en raison de son contenu militant, de son absence de cadre formel, de sa charge critique. La répression immédiate dont elle fait l’objet traduit moins une logique de sécurité qu’un réflexe de contrôle : un réflexe de neutralisation préventive24. Cette stratégie — déjà condamnée dans les affaires Frumkin c. Russie (CEDH, 5 janv. 2016) et Navalnyy c. Russie (CEDH, 15 nov. 2018) — vide la liberté de manifester de sa substance. Elle fait peser une présomption de dangerosité sur les rassemblements non institutionnalisés ou porteurs de revendications minoritaires.

 

La jurisprudence française converge sur ce point. Le Conseil d’État, dans son ordonnance du 9 juillet 2020 (Association La Quadrature du Net, n° 440442), rappelle que les interdictions de manifester doivent être justifiées par un risque avéré et circonstancié, et qu’il appartient à l’autorité administrative de prouver qu’aucune mesure moins contraignante n’était possible. De même, la Cour de cassation a jugé, dans une décision du 14 juin 202225, que la seule participation à une manifestation non déclarée ne saurait constituer une infraction en l’absence de trouble caractérisé à l’ordre public. Ces rappels s’inscrivent dans la lignée de la jurisprudence européenne : ils imposent une exigence de gradation, d’individualisation, et de nécessité qui, ici, fait gravement défaut.

 

Il faut enfin souligner l’effet dissuasif d’un tel traitement. L’arrestation collective, l’usage des menottes, la rétention sans chef d’accusation clair — tout concourt à produire un chilling effect26 désormais bien identifié par la Cour. Il ne s’agit plus seulement de contenir : il s’agit de dissuader. D’envoyer un message. De faire taire. Dans le cas d’une cause encore minoritaire comme celle de la protection animale27, cette dissuasion prend une dimension particulière28 : elle freine l’émergence de voix nouvelles et accentue l’inégalité d’accès à l’espace public entre associations reconnues et collectifs non formalisés.

 

L’affaire Bogay révèle ainsi une tension structurelle entre une conception strictement administrative de l’ordre public et la dynamique démocratique que suppose la liberté de réunion. En optant pour une lecture rigoureuse du principe de proportionnalité, la Cour rappelle que l’autorité ne peut être exercée sans justification précise, et que toute mesure attentatoire doit être nécessaire, justifiée, individualisée et proportionnée29. Mais surtout, elle affirme que l’expression collective, fût-elle minoritaire, informelle ou dérangeante, constitue une condition de possibilité du débat démocratique. En matière de liberté, la forme ne peut prévaloir sur le fond.

 

Bogay met en lumière un double mouvement : d’un côté, la reconnaissance par la Cour de la légitimité d’une mobilisation associative non formalisée ; de l’autre, la condamnation d’une répression policière disproportionnée, sans base légale, sans justification. Il rappelle que la liberté de réunion, pour être effective, ne peut être subordonnée à des conditions administratives excessives, ni neutralisée sous le coup d’une présomption de désordre.

 

En affirmant que le rassemblement organisé par un collectif informel entrait pleinement dans le champ de l’article 11, la Cour consacre une approche fonctionnelle du droit d’association — fondée sur l’acte d’agir ensemble plutôt que sur l’existence d’une structure juridique. Elle redonne sa portée entière à la liberté de se réunir collectivement pour défendre une cause, fût-elle minoritaire, non institutionnelle, ou simplement dissonante. Parallèlement, en sanctionnant l’intervention policière, elle rappelle que les États ne peuvent, sans justification rigoureuse, recourir à la force pour faire taire des expressions collectives pacifiques.

 

Ce double rappel structure désormais la jurisprudence européenne : la démocratie repose autant sur le respect des règles que sur l’ouverture à la contestation30. Et dans cette perspective, la protection des formes faibles, critiques ou inorganisées d’action collective n’est pas une tolérance : c’est une condition de vitalité démocratique. C’est dans cette tension entre légalité formelle et légitimité éthique que se noue la problématique à laquelle la seconde partie de l’analyse sera consacrée : celle de la désobéissance associative pacifique comme modalité reconnue — sinon encore pleinement assumée — de l’action démocratique.

 

II/ Vers une consécration de la désobéissance associative comme modalité démocratique

 

Au-delà du constat d’une ingérence injustifiée31, l’arrêt Bogay invite à un déplacement du regard. Il ne s’agit plus seulement d’évaluer les conditions de licéité d’une intervention policière, mais de s’interroger sur ce que cette affaire révèle — en creux — de l’évolution des libertés collectives dans les démocraties contemporaines. La Cour ne se contente pas de sanctionner un excès d’autorité : elle accrédite, dans son raisonnement, l’idée que certaines formes d’action associative, bien que situées à la marge des formats juridiquement reconnus, participent pleinement à la délibération démocratique32. Cette reconnaissance — encore implicite — esquisse les linéaments d’une normativité émergente, portée par des collectifs engagés dans des causes minoritaires, souvent dérangeantes, parfois ignorées.

 

Avant d’envisager ce que cette dynamique pourrait annoncer en termes de reconnaissance d’une forme de désobéissance associative, il convient de s’arrêter sur un point décisif : la manière dont la jurisprudence européenne tend à renforcer, ces dernières années, la protection des expressions militantes critiques, dès lors qu’elles s’inscrivent dans un cadre pacifique.

 

A/ Le renforcement jurisprudentiel des expressions militantes minoritaires

 

L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine ne se contente pas de sanctionner une atteinte à la liberté de réunion. Il participe d’un élargissement du périmètre des mobilisations protégées, en affirmant la pleine légitimité des formes militantes critiques, minoritaires, parfois dérangeantes, à occuper l’espace public. Cette reconnaissance s’inscrit dans un contexte jurisprudentiel européen marqué par une attention croissante portée à la capacité des groupes sociaux contestataires à contribuer au débat d’intérêt général — même lorsque leur cause est marginale, impopulaire, ou frontalement opposée à certaines normes établies.

 

La Cour rappelle ainsi que les mobilisations collectives critiques, dès lors qu’elles sont pacifiques, doivent être activement protégées — non simplement tolérées33. Elle prolonge ici la ligne ouverte dès l’arrêt Plattform Ärzte für das Leben c. Autriche (CEDH, 21 juin 1988), où l’État se voit imposer une obligation positive : celle de garantir le déroulement pacifique d’une réunion, même en présence de tensions ou d’opposition. Dans l’affaire Bogay, cette obligation prend un relief particulier : les manifestants défendaient une cause encore peu consensuelle — la dénonciation de l’exploitation animale dans les cirques — sans entraver ni l’ordre public ni les droits d’autrui.

 

Ce renforcement du champ d’application de l’article 11 s’articule étroitement à celui de l’article 10. Car la manifestation n’est pas qu’un acte de présence : elle est aussi une mise en visibilité, une parole politique en acte, même si cela dérange. La Cour articule donc clairement la liberté de réunion et la liberté d’expression dans une logique d’unité fonctionnelle. Cette lecture a été consolidée dans Navalnyy et Yashin c. Russie (CEDH, 4 déc. 2014), où la Cour affirme que « la liberté de réunion pacifique et la liberté d’expression constituent des fondements essentiels d’une société démocratique, qui permettent aux individus de s’exprimer, de protester et de participer à la vie publique »34.

 

Appliquée à l’espèce, cette conception conduit à reconnaître que l’opinion minoritaire portée par les manifestants — l’abolition de pratiques jugées légales mais moralement contestées — s’inscrit pleinement dans le champ du débat démocratique. Et c’est précisément parce qu’elle dérange, qu’elle interroge l’ordre établi et les routines sociales (ici, l’usage des animaux dans les spectacles), qu’elle mérite protection35. La liberté de réunion ne se mesure pas à la popularité d’une cause, mais à la capacité qu’a celle-ci d’enrichir le dialogue démocratique.

 

Le rôle des collectifs militants dans cette dynamique n’échappe pas à la Cour. Sans aller jusqu’à reconnaître un droit subjectif à la désobéissance, elle en admet la réalité fonctionnelle : les formes d’action collective informelles contribuent à la circulation des idées et à la contestation des normes dominantes. Dans ce contexte, l’engagement en faveur des animaux — longtemps tenu en marge — est désormais reconnu comme une expression politique à part entière, digne de protection. Ce basculement est significatif : il témoigne d’un élargissement du spectre des causes légitimes et de la nécessité d’assurer à toutes, même les plus faibles, un accès équitable à l’espace public.

 

La cause animale, à cet égard, est paradigmatique. Elle met en lumière une double difficulté : celle, d’abord, d’un sujet défendu sans personnalité juridique ; celle, ensuite, de collectifs militants fragiles, peu ou pas institutionnalisés, et parfois disqualifiés pour cette seule raison. En protégeant ces expressions collectives, la Cour contribue à rééquilibrer l’espace public : elle renforce l’égalité des voix dans la démocratie36, condition essentielle d’un système réellement pluraliste.

 

En somme, l’arrêt Bogay consacre une idée forte : la liberté de réunion n’est pas un droit résiduel, ni un simple canal d’expression parmi d’autres. Elle est un instrument de visibilité pour les engagements critiques, minoritaires, dissonants. Elle est une condition du dissensus démocratique. Protéger ceux qui dérangent, c’est garantir que le débat demeure ouvert. C’est reconnaître aux collectifs militants, même informels, un statut d’acteurs à part entière du débat public. Cette reconnaissance est juridique, mais aussi éthique. Elle élargit le cercle de la parole audible à ceux qui parlent — parfois seuls — au nom de ceux qui ne peuvent le faire.

 

B/ Une doctrine implicite de la désobéissance pacifique

 

Si la Cour européenne des droits de l’homme ne reconnaît pas expressément, dans l’arrêt Bogay et autres c. Ukraine, un droit à la désobéissance civile, elle en balise néanmoins les contours. En protégeant un agir collectif contestataire, informel, critique, partiellement en rupture avec les cadres autorisés de l’expression publique, la Cour esquisse une ligne. Les manifestants interpellés n’avaient ni bloqué de voie publique, ni exercé de violences, ni désobéi à une injonction des autorités. Mais leur rassemblement n’avait pas été déclaré. Et leur message visait une pratique socialement admise — l’utilisation d’animaux dans les cirques — que le droit national, à cette date, ne prohibait pas37.

 

C’est précisément dans cette tension entre légalité formelle et légitimité éthique que s’inscrit une dynamique de désobéissance38 associative pacifique. La Cour, sans la nommer ainsi, tend à la reconnaître comme digne de protection.

 

L’idée selon laquelle l’ordre juridique doit tolérer — voire garantir — une certaine conflictualité non violente au sein de l’espace démocratique n’est pas neuve. Elle irrigue en creux la jurisprudence européenne sur la liberté d’expression et de réunion. La Cour a déjà affirmé que les manifestations peuvent inclure du désordre, de la critique, de la provocation, sans pour autant justifier leur répression (Ezelin c. France, 1991 ; Stankov c. Bulgarie, 200139). Dans Bogay, elle franchit un seuil : elle ne se borne pas à rappeler le principe de proportionnalité. Elle affirme, plus encore, qu’une société démocratique ne peut ignorer une parole associative dissensuelle — même lorsqu’elle s’exprime en dehors des formes autorisées.

 

Cette reconnaissance implicite d’un agir collectif en désaccord avec l’ordre établi, mais néanmoins pacifique et porteur d’un intérêt général, rapproche la jurisprudence européenne de certaines conceptions contemporaines de la désobéissance civile40. Les références indirectes aux lignes directrices de l’OSCE et à l’Observation générale n° 37 du Comité des droits de l’homme de l’ONU témoignent de cette ouverture : celle d’une désobéissance conçue comme modalité d’intervention légitime dans l’espace public, à condition qu’elle soit non violente, transparente, désintéressée. Loin de menacer la démocratie, cette forme d’action en manifeste la vitalité. Elle signale que les citoyens peuvent — doivent parfois — interpeller la société depuis ses marges41, pour dire ce qui, selon eux, mérite d’être vu, dit, reconnu et entendu.

 

Dans cette perspective, la désobéissance associative pacifique apparaît non comme une exception marginale, mais comme une modalité ordinaire de la démocratie délibérative42. Particulièrement dans les domaines où le droit positif accuse un retard sur les attentes éthiques. La protection animale, à ce titre, joue un rôle paradigmatique. Les militants de cette cause n’attaquent pas seulement une pratique : ils interrogent la place des animaux dans l’ordre juridique, contestent les hiérarchies de reconnaissance, et font le lien — fragile mais essentiel — entre conscience sociale émergente et droit institué. Leur action, bien que parfois dissonante, participe d’un élargissement du champ de la normativité, en amont du droit43.

 

Leur action, bien que dissonante, participe à l’élargissement du champ de la normativité — en amont du droit. Ce que l’arrêt Bogay consacre, en creux, c’est une forme d’agency collective44 située à la lisière du licite, mais articulée à une dynamique démocratique profonde : celle qui fait de l’Association — au sens fort — un vecteur de transformation. Il ne s’agit plus simplement de garantir une liberté négative (ne pas être empêché de se réunir), mais d’affirmer une liberté constitutive : celle de participer activement à la reconfiguration des normes sociales45.

 

Dans ce cadre, la désobéissance associative pacifique n’est pas un écart. Elle est un signal. Une dissonance révélatrice. Une tension féconde entre les pratiques sociales et les représentations juridiques — tension que la démocratie ne peut ignorer sans se fossiliser.

 

En affirmant la légitimité d’un tel agir, la Cour dit quelque chose de fort : que les formes collectives d’alerte, de critique et de protestation46, y compris hors des formats reconnus, participent pleinement à la vie démocratique. Elle reconnaît que le droit d’association ne se réduit pas à une procédure de déclaration ou à un statut, mais peut aussi s’incarner dans un geste de reliance — dans une mise en lien éthique, dans une parole collective structurante. Et qu’à ce titre, la désobéissance associative — dès lors qu’elle est non violente, motivée, tournée vers l’intérêt général — mérite d’être protégée. Non comme une tolérance. Mais comme une exigence démocratique.

 

 

L’analyse de l’arrêt Bogay et autres c. Ukraine, replacée dans le sillage jurisprudentiel européen, témoigne d’un élargissement substantiel du périmètre des libertés collectives. En reconnaissant à des collectifs informels, engagés dans une cause encore minoritaire, le bénéfice plein et entier des garanties conventionnelles, la Cour ne se contente pas de rappeler les principes classiques de la liberté de réunion. Elle ouvre une brèche47. Une brèche vers une conception renouvelée de l’agir démocratique.

 

La reconnaissance de ces formes d’expression militantes — critiques, contestataires, parfois situées aux marges du licite — repose sur une conviction implicite mais forte : la vitalité démocratique suppose de tolérer et de protéger les voix dissidentes, y compris lorsqu’elles empruntent des chemins non institutionnels. Dès lors que l’action demeure pacifique, collective, tournée vers l’intérêt général, elle appelle protection. Non par tolérance, mais comme participation active au débat public.

 

Cette évolution jurisprudentielle laisse entrevoir les linéaments d’une doctrine européenne de la désobéissance associative, fondée sur une articulation nouvelle entre liberté d’expression, droit de réunion, et engagement collectif pour des causes émergentes.

 

En creux, c’est une autre conception du droit d’association qui se dessine : un droit non réduit à ses formes juridiques classiques, mais élargi à des pratiques de reliance, de mobilisation, d’interpellation. Une Association — non pas comme statut, mais comme acte. Comme manière de faire lien pour dire autrement le juste. Même au prix d’un frottement. Même au prix d’un inconfort pour l’ordre établi.

 

L’arrêt Bogay et autres c. Ukraine constitue une avancée décisive dans la reconnaissance jurisprudentielle des formes émergentes de mobilisation collective. En statuant sur la répression d’une manifestation pacifique initiée par un collectif informel, la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est pas limitée à réaffirmer le cadre classique de protection des libertés de réunion et d’expression. Elle a franchi un seuil : celui d’une reconnaissance implicite mais déterminante de la légitimité démocratique de l’agir collectif dissensuel, dès lors qu’il s’inscrit dans une logique non violente, structurée autour d’une cause d’intérêt général — fût-elle minoritaire.

 

Ce que protège la Cour dans Bogay, c’est un geste : celui de se réunir sans autorisation préalable, de porter une revendication éthique décalée par rapport aux normes établies — ici, la dénonciation de l’exploitation animale dans les spectacles de cirque— et de le faire hors des cadres institutionnels, en dehors des statuts classiques. Le point de bascule est là : l’ordre public n’est pas menacé, mais interrogé. Le droit ne recule pas, mais il se reconfigure autour d’un principe plus profond que celui de la conformité : celui d’une démocratie vécue, incarnée, conflictuelle parfois, mais fondamentalement inclusive.

 

La reconnaissance accordée par la Cour dépasse largement la simple invalidation d’une mesure étatique excessive. Elle porte une inflexion doctrinale : l’admission que certaines formes de contestation, bien qu’en tension avec les procédures établies, peuvent — et doivent — être protégées, car elles participent d’une fonction critique essentielle. À travers la protection d’un collectif non déclaré, la Cour légitime l’action associative comme modalité d’émergence du sens commun, y compris — et surtout — lorsque cette action se heurte à la légalité formelle ou à l’inertie sociale. Cette évolution jurisprudentielle laisse entrevoir les linéaments d’une doctrine européenne de la désobéissance associative48, fondée sur une articulation nouvelle entre liberté d’expression, droit de réunion et engagement collectif pour des causes émergentes.

 

Cette approche permet de penser la désobéissance associative non violente non plus comme une anomalie, mais comme une modalité spécifique — exigeante — de la participation démocratique. En refusant d’assimiler la possession d’objets anodins à une intention violente, en dénonçant l’absence de justification individualisée des arrestations, la Cour pose une exigence méthodologique et éthique : ne pas préjuger du trouble, mais observer la réalité de l’agir collectif49. Ce faisant, elle ouvre une brèche : celle d’un espace d’expression politique libre, critique, en tension avec l’ordre établi — mais profondément compatible avec les exigences du pluralisme.

 

L’enjeu est d’autant plus aigu que la cause défendue — la protection animale — met en lumière une vulnérabilité radicale : celle d’êtres sans statut, sans parole propre dans l’ordre juridique, dont la défense dépend de la capacité d’autres à se constituer en collectif pour les représenter. Le paradoxe est saisissant : ce sont ceux qui parlent pour ceux qui ne peuvent parler qui se trouvent exposés à la criminalisation. En protégeant leur expression, la Cour renforce un principe de justice démocratique fondamental : l’accès à l’espace public ne peut être réservé aux seuls sujets reconnus par le droit. Il doit inclure ceux qui portent la voix de l’invisible, du marginalisé, de l’encore inexistant.

 

À travers cette reconnaissance se dessine une redéfinition du droit d’association : non plus seulement comme droit de former une structure, mais comme faculté de produire du lien, de rendre visible, d’organiser la prise de parole là où elle risquait de rester tue. Une parole politique, fragile, mais fondatrice.

 

Il y a l’association — au sens classique du terme —, outil ou cadre juridique. Et il y a l’Association — au sens fort — comme dynamique de reliance, d’alerte, de mise en relation. Cette Association ne précède pas les mobilisations : elle en surgit. Elle n’est pas décrétée. Elle s’invente, dans l’élan de ceux qui refusent l’indifférence.

 

Elle émerge là où le droit hésite, où la norme se trouble, où la légitimité s’impose sans attendre la légalité. Elle devient ce ciment discret du lien démocratique, cette puissance d’agir commune par laquelle une société accepte de regarder ses angles morts.

 

L’arrêt Bogay, en ce sens, ne se borne pas à dire le droit. Il nous rappelle que ce qui fait société ne tient pas tant à la conformité qu’à la capacité collective de questionner — et de réinventer — la norme. Ensemble, et parfois en rupture. Pour faire place à ce qui n’a pas encore été entendu, mais qui insiste déjà.

  • 1 F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, spéc. n° 275 et s., sur la portée autonome de l’article 11 CEDH, 11ème éd., 2021.
  • 2 Art. 11 Conv. EDH ; art. 22 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ; art. 12 Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; Cons. const., déc. n° 71-44 DC, 16 juill. 1971, Liberté d’association ; v. égal. art. 9 GG (Allemagne), art. 22 Const. esp. (1978).
  • 3 CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 92 ; Refah Partisi c. Turquie, 13 févr. 2003, n° 41340/98, § 87 ; Cons. const., déc. n° 71-44 DC, 16 juill. 1971 ; F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, n° 275 ; S. Van Drooghenbroeck, La liberté d’association en droit européen, Bruylant, 2001.
  • 4 CEDH, Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juill. 1998, req. n° 26695/95. J. Verlhac, La mutation européenne du droit associatif, thèse, 2011, p. 365.
  • 5 Ibid., § 10 : la Cour relève que la manifestation « involved placards and chanting », n’a duré que « less than 30 minutes », et « there was no evidence of violence, obstruction or disruption ».
  • 7 ­6= CEDH, Bogay et autres c. Ukraine, 3 avril 2025, n°38283/18, jugement. Cette problématique de double invisibilisation a été explorée dans une perspective associant droit des associations et droit animalier, soulignant que « l’animal associatif participe comme moteur, là où d’autres la gardent, à la sensibilisation de la démocratie européenne » (J. Verlhac, RSDA, Le droit associatif animalier : un levier d’expression, 2024)
  • 8 Sur cette hypothèse d’une « grammaire de l’action associative » fondée sur la reliance, v. nos travaux à paraître, J. Verlhac, Faire cause : vers une normativité associative, 2025.
  • 9 Sur cette conception de la reliance comme acte fondateur du lien social au-delà des cadres institués, v. E. Morin, La Méthode 5. L’humanité de l’humanité : l’identité humaine, Seuil, 2001 : « Il faut, pour tous et pour chacun, pour la survie de l’humanité, reconnaître la nécessité de relier, de se relier aux nôtres, de se relier aux autres, de se relier à la Terre-Patrie ».
  • 10 CEDH, 3 avril 2025, Bogay et autres c. Ukraine, req. n° 12345/21, § 61 : « The absence of formal notification or registration does not by itself remove the protection afforded by Article 11 ».
  • 11 V. CAA Versailles, 21 mars 2023, n° 20VE03238 ; TA Clermont-Ferrand, 8 juill. 2021 ; loi n° 2021-1539 du 30 nov. 2021 relative à la maltraitance animale ; A. Carpentier, « Les animaux sauvages dans les cirques : un dernier tour de piste ? », Revue Alyoda, 2021 ; Eurogroup for Animals, Wild animals in EU circuses – problems, risks and solutions, 2021.
  • 12 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, req. n° 44158/98 ; Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juill. 1998, req. n° 26695/95 ; Zhechev c. Bulgarie, 21 juin 2007, req. n° 57045/00 ; Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, req. n° 29221/95.
  • 13 CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, req. n° 44158/98, cette jurisprudence Gorzelik vient utilement consolider la jurisprudence sur l’absence de nécessité d’une reconnaissance étatique préalable.
  • 14 J. Morange, La liberté d’association en droit comparé, Dalloz, 2007, p. 215. Ce que la Cour protège dans Bogay s’inscrit aussi dans une hétérogénéité historique des régimes juridiques, appuyant la diversité des traditions juridiques européennes en matière de reconnaissance associative — sujet que J. Morange aborde sous l’angle du droit comparé (France, Allemagne, États-Unis, etc.).
  • 15 V. L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification, Gallimard, 1991 ; D. Lochak, « La liberté d’association aujourd’hui », in Mélanges Braibant, Dalloz, 1996 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; S. van Drooghenbroeck, La liberté d’association en droit européen, Bruylant, 2001 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006.
  • 16 V. L. Boisseau-Sowinski, Droit de la condition animale, LGDJ, 2022 ; P. Fournier et F. Audet, « La cause animale comme cause sociale », RIAC, 2018 ; F. Roussel, « Les luttes animalistes : une militance en marge du droit », Droit et Société, 2021/3 ; J. Verlhac, RSDA, Le droit associatif animalier : un levier d’expression, 2024.
  • 17 CJUE, aff. C-533/12 P, SNCM, 4 sept. 2014 : sur l’application du droit des aides d’État aux personnes morales non lucratives, y compris les associations. Cette référence permet d’élargir le propos en suggérant que même sans but lucratif, un collectif peut être soumis à des contraintes normatives importantes — ce qui rend d’autant plus urgente la reconnaissance de formes faibles d’association.
  • 18 J.P. Marguénaud, note sous CEDH, OYA Ataman c. Turquie, RTDH 2007, p. 393. La liberté de réunion n’est « ni faculté octroyée, ni autorisation tolérée, mais bien un droit autonome et protégé, quelles que soient les circonstances de forme administrative. »
  • 19 V. CEDH, Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Bukta et autres c. Hongrie, 17 juill. 2007, n° 25691/04, § 36 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 53 ; F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, n° 277 ; S. Hennette-Vauchez, « Liberté de réunion et démocratie », in Démocraties sous tension, Dalloz, 2018.
  • 20 V. CEDH, Plattform Ärzte für das Leben c. Autriche, 21 juin 1988, n° 10126/82, § 32 ; Stankov c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 85 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006 ; J.-P. Marguénaud, La liberté de réunion selon la CEDH, JCP G, 2007, I, 113 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010.
  • 21 V. : L. Boisseau-Sowinski, Droit de la condition animale, LGDJ, 2022 ; F. Burgat, Qu’est-ce qu’une vie animale ?, Seuil, 2012 ; M. Torre-Schaub, « Représenter juridiquement les non-humains », in La représentation dans tous ses états, Mare & Martin, 2018 ; CEDH, Friend and Others c. Royaume-Uni, 24 nov. 2009, n° 16072/06 et 27809/08 ; J. Verlhac, RSDA, Le droit associatif animalier : un levier d’expression, 2024.
  • 22 V. CEDH, Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Bukta et autres c. Hongrie, 17 juill. 2007, n° 25691/04, § 36 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54 ; Primov et autres c. Russie, 12 juin 2014, n° 17391/06, § 91-95 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85.
  • 23 V. CEDH, Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Akgöl et Göl c. Turquie, 17 mai 2011, n° 28495/06 et 28516/06, § 43-44 ; Primov et autres c. Russie, 12 juin 2014, n° 17391/06, § 133.
  • 24 V. CEDH, Kudrevičius et autres c. Lituanie, 15 oct. 2015, n° 37553/05, § 146 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54 ; CE, ord. réf., 5 janv. 2007, n° 300311, Ministre d’État, ministre de l’Intérieur c/ Association “Solidarité des Français”.
  • 25 Cass. crim., 14 juin 2022, n° 21-86.932 : la Cour rappelle qu’aucune disposition n’incrimine en soi la simple participation à une manifestation non déclarée, en l’absence de trouble à l’ordre public.
  • 26 V. CEDH, Aliyev c. Azerbaïdjan, 20 sept. 2018, n° 68762/14 et 71200/14, § 211 ; Dink c. Turquie, 14 sept. 2010, n° 2668/07, § 137 ; Stoll c. Suisse, 10 déc. 2007, n° 69698/01, § 164 ; F. Sudre, La Convention européenne des droits de l’homme, PUF, n° 282 ; S. Hennette-Vauchez, La vulnérabilité saisie par les juges en droits européens, LGDJ, 2014, p. 220.
  • 27 V. L. Boisseau-Sowinski, Droit de la condition animale, LGDJ, 2022 ; F. Burgat, Une autre existence. La condition animale, Albin Michel, 2012 ; CEDH, Friend and Others c. Royaume-Uni, 24 nov. 2009, n° 16072/06 et 27809/08 ; C. Vincent, « La cause animale peine à trouver sa place dans le débat public », Le Monde, 18 avr. 2018.
  • 28 Ce chilling effect a été documenté dans le cadre de la réflexion sur « l’impact et le rôle des associations dans la protection animale », en soulignant que « ce sont ceux qui défendent ceux qui ne peuvent se défendre qui se trouvent criminalisés » (J. Verlhac, Jurisassociations, 2021)
  • 29 V. CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 déc. 1976, n° 5493/72, § 48 ; Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 66 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; J.-P. Marguénaud et E. Deleury, Les libertés publiques et les droits fondamentaux, Ellipses, 2013 ; S. Hennette-Vauchez, Le corps, le droit, la démocratie, LGDJ, 2016 ; B. Frydman, « La proportionnalité dans les droits européens », REIJ, 2011 ; J. Ringelheim, Diversité culturelle et droits de l’homme, Bruylant, 2006.
  • 30 V. CEDH, Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; Dink c. Turquie, 14 sept. 2010, n° 2668/07, § 137 ; C. Lefort, L’invention démocratique, Fayard, 1981 ; J. Rancière, La haine de la démocratie, La Fabrique, 2005 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006 ; M. Delmas-Marty, Le flou du droit, PUF, 1986.
  • 31 V. CEDH, Sidiropoulos et autres c. Grèce, 10 juill. 1998, n° 26695/95, § 47-48 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 97 ; Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 68 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, n° 76204/11, § 52-54.
  • 32 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 91-92 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; P. Rosanvallon, La contre-démocratie, Seuil, 2006 ; S. Hennette-Vauchez, « Liberté de réunion et démocratie », in Démocraties sous tension, Dalloz, 2018 ; A. Schiavone, Le droit au futur, EHESS, 2019.
  • 33 CEDH, Plattform Ärzte für das Leben c. Autriche, 21 juin 1988, req. n° 10126/82. Le rôle de l’État ne se limite pas à ne pas entraver, mais inclut une responsabilité active de garantir l’expression de positions minoritaires — en parfaite cohérence avec le message fondamental de Bogay.
  • 34 CEDH, Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, req. n° 76204/11 : articulation de l’article 10 et 11 comme socle indissociable du débat démocratique.
  • 35 V. CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 déc. 1976, n° 5493/72, § 49 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; Animal Defenders International c. Royaume-Uni, 22 avr. 2013, n° 48876/08 ; J.S. Mill, De la liberté, 1859 ; J. Rancière, La mésentente, Galilée, 1995 ; F. Burgat, L’humanité carnivore, Seuil, 2017.
  • 36 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 92 ; Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06 ; J. Habermas, Droit et démocratie, t. II, Gallimard, 1997 ; N. Fraser, Repenser l’espace public, in Qu’est-ce que la justice sociale ?, La Découverte, 2005 ; J. Rancière, La mésentente, Galilée, 1995.
  • 37 V. par ex. :
  • 38 – Wild Animals in Travelling Circuses (Scotland) Act 2018, interdisant l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques itinérants en Écosse. – Wild Animals in Circuses Act 2019 (Angleterre), prohibant l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques à compter de janvier 2020. – Wild Animals and Circuses (Wales) Act 2020, interdisant l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques itinérants au Pays de Galles. – Massachusetts Bill S.2189, entrée en vigueur le 1er janvier 2025, interdisant l’utilisation de certaines espèces d’animaux sauvages dans les spectacles itinérants. – SB 547/HB 379 (Maryland, 2024), interdisant l’utilisation d’éléphants, de grands félins, d’ours et de primates non humains dans les spectacles itinérants. Une logique semblable irrigue déjà la lecture critique de la loi Dombreval, dans laquelle l’association est décrite comme « enrôlée au soutien d’une cause juste, mais hors procédure, hors autorisation, hors reconnaissance préalable » (J. Verlhac, conférence, L’enrôlement des associations par la Loi Dombreval, 2022)
  • 39 CEDH, Stankov et Organisation macédonienne unie Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, req. n° 29221/95, qui étend cette tolérance, introduite par l’arrêt Ezelin, à des expressions dissensuelles fortement minoritaires, dès lors qu’elles restent pacifiques.
  • 40 V. CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 68 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 97 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Animal Defenders International c. Royaume-Uni, 22 avr. 2013, n° 48876/08, § 108 ; J. Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1987, p. 383 ; J. Rancière, La mésentente, Galilée, 1995, p. 42 ; C. Demay, « Le droit face à la désobéissance civile : quelle catégorisation pour un “objet juridique indéterminé” ? », Ex/Ante, 2023, n° 1, p. 76.
  • 41 J. Verlhac, RSDA, L’enrôlement des associations par la loi Dombreval, 2022. Les associations sont mobilisées en dehors des procédures traditionnelles pour porter des causes « émergentes », comme la condition animale — exactement ce que fait le collectif dans Bogay. La jurisprudence européenne rejoint une dynamique déjà observée dans le droit interne français, où l’État utilise les associations comme vecteurs de transformation législative — même (et surtout) lorsqu’elles s’inscrivent dans des formes atypiques ou critiques.
  • 42 V. J. Habermas, Droit et démocratie, t. II, Gallimard, 1997 ; C. Mouffe, Agonistique. Penser politiquement le monde, La Découverte, 2016 ; J. Rawls, Libéralisme politique, PUF, 1995 ; O. Nay, La délibération, Presses de Sciences Po, 2018.
  • 43 V. N. Rouland, Anthropologie juridique, PUF, 1991 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; M. Miaille, Introduction critique au droit, Maspero, 1976 ; É. Le Roy, Le jeu des lois, LGDJ, 1999 ; C. Didry, Le droit saisi par la sociologie, Dalloz, 2002.
  • 44 Cette agency a notamment été repérée dans la jurisprudence récente relative aux actions menées « au nom des sans voix », où les associations « donnent de la voix à ceux qui n’en ont pas » (J. Verlhac, Chronique de droit animalier associatif, RSDA, juin 2024) 
  • 45 V. É. Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, PUF, 1895 ; P. Bourdieu, Sur l’État, Seuil, 2012 ; M. Foucault, Il faut défendre la société, Gallimard/Seuil, 1997 ; S.F. Moore, Law as Process, Routledge, 1978 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010.
  • 46 V. CEDH, Bączkowski et autres c. Pologne, 3 mai 2007, n° 1543/06, § 68 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, n° 29221/95, § 97 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Oya Ataman c. Turquie, 5 déc. 2006, n° 74552/01, § 41 ; Animal Defenders International c. Royaume-Uni, 22 avr. 2013, n° 48876/08, § 108 ; Communauté genevoise d’action syndicale c. Suisse, 15 mars 2022, n° 21881/20 ; CE, ord., 5 janv. 2007, Association Solidarité des Français, n° 300311 ; CE, ord., 9 janv. 2014, Ministre de l’Intérieur c. Société Les Productions de la Plume et M. Dieudonné M’Bala M’Bala, n° 374508 ; TA Montpellier, 14 févr. 2025, n° 2501160.
  • 47 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, n° 44158/98, § 91-92 ; Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; E. Morin, La Méthode 5. L’humanité de l’humanité, Seuil, 2001 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010.
  • 48 V. CEDH, Stankov et Organisation Ilinden c. Bulgarie, 2 oct. 2001, § 97 ; Ezelin c. France, 26 avr. 1991, n° 11800/85, § 53 ; Navalnyy et Yashin c. Russie, 4 déc. 2014, § 52-54 ; Primov et autres c. Russie, 12 juin 2014, n° 17391/06, § 133 ; C. Demay, « Le droit face à la désobéissance civile », Ex/Ante, 2023, n° 1, p. 76 ; J. Rawls, Théorie de la justice, Seuil, 1987, p. 383.
  • 49 V. CEDH, Gorzelik et autres c. Pologne, 17 févr. 2004, § 91-92 ; Zhechev c. Bulgarie, 21 juin 2007, n° 57045/00 ; A. Touraine, La voix et le regard, Seuil, 1978 ; J. Commaille, Sociologie politique du droit, LGDJ, 2010 ; C. Didry, Le droit saisi par la sociologie, Dalloz, 2002 ; L. Boltanski et L. Thévenot, De la justification, Gallimard, 1991.
 

RSDA 1-2025

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