Histoire moderne et contemporaine
Dossier thématique : Points de vue croisés

Manger et tuer : l’ambivalence des porcs (Toulouse, XVIIe-XVIIIe siècles)

  • Lucie Schneller Lorenzoni
    Doctorante en histoire, ATER
    Université de Toulouse-Jean Jaurès, Laboratoire FRAMESPA (UMR CNRS 5136)

1. Les tabous alimentaires de l’Ancien Testament influencent encore fortement les pratiques culinaires de l’époque moderne. Ne peuvent être consommés que les animaux végétariens, notamment les ruminants domestiques (bœufs, veaux, moutons), qui représentent alors les animaux de boucherie par excellence1. Parmi les animaux interdits, on trouve d’abord les carnivores, mais aussi les « abominations » : ces êtres inclassables, qui ne s’intègrent pas à l’ordonnance du vivant, et dont l’ambiguïté est jugée dangereuse2, comme, par exemple, les amphibiens, qui vivent entre la terre et l’eau3. Les porcs sont à la croisée de ces différents tabous : les naturalistes ne manquent pas de souligner leur singularité, en affirmant qu’ils forment une espèce unique, voisine d’aucune autre. Ils ne perdent pas leurs dents, n’ont qu’un seul estomac, ne portent pas de cornes, et surtout semblent être dotés de pieds fourchus, comme les taureaux, les béliers ou les boucs, mais possèdent en réalité quatre doigts4. Ils sont, par ailleurs, omnivores, parfois même anthropophages, et les vétérinaires s’étonnent que « quoiqu’il se nourrisse de choses infectes & dégoûtantes, [le cochon] ne fournit pas moins à l’homme une nourriture succulente5 ». En effet, d’ordinaire, l’incorporation d’animaux mangeurs d’hommes laisse planer une troublante inquiétude6.

2. Les enjeux des choix alimentaires, de ce que les humains considèrent comme comestibles ou non, occupent une place importante en anthropologie et en sociologie7. Des ethnologues, tels que Noëlie Vialles, questionnent l’alimentation carnée en montrant ce que ses rites et interdits disent des sociétés contemporaines8. Claudine Fabre-Vassas, quant à elle, a dressé une ethnographie du cochon, cette « bête singulière » et paradoxale, en prise avec la matrice de l’antijudaïsme9. C’est dans cette lignée que j’aimerais inscrire cet article, mais d’un point de vue historique. En effet, durant l’époque moderne, les mises à mort des animaux suscitent la production d’une réglementation de plus en plus fournie, qui doit encadrer le bon ravitaillement mais aussi la salubrité des chairs10. Les peurs associées aux viandes malsaines suscitent ou répondent à des prescriptions à la fois médicales, religieuses et judiciaires.

3. Dès lors, il semble intéressant de croiser les traités vétérinaires, les ouvrages d’histoire naturelle11 ainsi que les sources administratives et judiciaires. La ville de Toulouse est, à cet égard, un terrain de recherches particulièrement précieux. Elle est dirigée par les capitouls, magistrats municipaux qui disposent d’un droit de justice : ils peuvent connaître en première instance les procès criminels et de simple police sur l’étendue de leur ressort, qui comporte la ville intra-muros, ses faubourgs mais également son gardiage, forme de banlieue rurale étendue12. Les consuls possèdent également un pouvoir réglementaire, notamment dans les domaines de l’ordre, de la sécurité et de l’hygiène publique. À ce titre, ils peuvent promulguer des ordonnances exécutoires sans l’intervention des cours souveraines, qu’ils font respecter par l’entremise des gardes ou commis de police et des soldats de la compagnie du guet13. Les capitouls ont ainsi produit une masse importante d’archives dans l’exercice de leurs fonctions. Dans le cadre de cet article, je mobiliserai principalement les délibérations, les ordonnances, les rapports de police et les procédures criminelles14.

4. Si Toulouse est représentative de pratiques alimentaires communes dans l’ensemble du royaume15, elle se caractérise par une centralisation et une invisibilisation particulièrement précoces des abattoirs, dits « affachoirs ». Les cochons s’y dégagent nettement comme des animaux singuliers : la réglementation les rapproche tantôt des animaux de boucherie (à proprement parler : bœufs, veaux, moutons), tantôt des animaux d’élevage intra-urbain dont la mise à mort est moins contrôlée (volailles, lapins). Entre surveillance étroite et permissivité, les porcs sont au cœur de tensions contradictoires qui ne peuvent être bien appréhendées qu’en les comparant aux autres animaux dédiés à l’alimentation urbaine.

5. Les cochons occupent une position ambiguë dans l’équilibre précaire, entre proximité et distance, qui autorise l’ingestion. Les prescriptions médicales et les tabous alimentaires dessinent des hiérarchies animales claires où les porcs, pourtant, peinent à trouver leur place (partie I). L’acte même de la mise à mort dévoile que ces contradictions s’inscrivent jusqu’à l’intérieur du corps porcin, qui semble être à la fois réifié et recherché pour une vitalité rémanente (partie II). À une échelle plus large, ces divisions contribuent à définir et renforcer le corps urbain, que ce soient sous un aspect spatial, social, ou genré (partie III).

I. Se nourrir d’un « même »

6. Durant l’époque moderne, la médecine s’appuie en grande partie sur des systèmes symboliques qui fonctionnent par analogie ou par complémentarité : ce que les humains inhalent ou avalent les modifie de l’intérieur, de manière positive si les éléments extérieurs renforcent ou rétablissent l’équilibre interne, de manière néfaste s’ils entraînent au contraire un déséquilibre. Dans les traités, une distinction intéressante est établie entre les aliments et les médicaments :

7. « Toutes les substances qui entrent dans le corps humain […], qui se convertissent en sa propre substance, qui le soutiennent, le nourrissent, & réparent les pertes continuelles qu’il fait, se nomment alimens. […] L’aliment diffère du médicament, en ce que ce dernier change lorsqu’il pénètre dans le corps, son état présent, ne le nourrit pas, & chasse au dehors la cause des maladies, sans pouvoir s’identifier avec les différentes parties qui composent le corps humain16 ».

8. D’un côté, les aliments se transforment pour devenir le corps qui les accueille ; de l’autre, les médicaments chassent les éléments malsains mais sans jamais s’identifier au corps. Or, des aliments considérés comme plus dangereux que d’autres et généralement réservés aux pauvres, tels que les abats, deviennent au contraire bénéfiques en tant que médicaments, lorsqu’ils ne peuvent pas devenir la personne qui les ingère. En 1785, par exemple, les membres de la faculté de médecine de Toulouse préconisent l’usage d’un sirop concocté à partir de poumon de veau pour guérir les maladies de poitrine17.

9. Ce contrôle de ce qui peut ou non entrer dans le corps humain interpelle, surtout pour les nourritures d’origine animale, qui sont les plus ambiguës. Les auteurs des traités culinaires de l’époque moderne, fondés sur la médecine hippocratique, considèrent la digestion des aliments comme le principe même de toute nutrition. La digestion est alors pensée comme un processus de fermentation qui transforme les éléments ingérés en une substance qui peut être assimilée par le mangeur, parce qu’elle devient identique à ce dernier. Par-là, les animaux qui sont les plus proches des humains sont les plus aisés à absorber, puisque le travail d’altération est moins important. Ils ne doivent pas, toutefois, leur être semblables, car le changement est nécessaire à l’incorporation : « le même ne peut pas nourrir18 ».

A. Une conception hiérarchique des animaux

10. C’est là l’ambiguïté fondamentale des animaux dédiés à l’alimentation humaine : suffisamment proches des humains pour que leur vitalité puisse leur être transmise, néanmoins maintenus à distance pour conjurer la peur du cannibalisme. Cette tension a fait l’objet des travaux de l’archéozoologue François Poplin. Les tabous alimentaires, hérités de l’Ancien Testament (Lévitique, chapitre XI), touchent les animaux trop proches des humains, soit affectivement (chien, cheval), soit morphologiquement (cochon, singe). Ensuite, dans une suite de cercles concentriques, se trouveraient d’abord les « animaux vrais », mangés par préférence, c’est-à-dire les bovidés, les ruminants à pied fourchu, puis un peu plus distants, la volaille, le gibier, enfin les poissons, et plus loin encore, les reptiles et les insectes, à peine considérés comme des animaux. François Poplin écrit que se dessine ainsi :

11. « une sorte de zonation où l’homme, pour son alimentation, mange surtout des animaux proches […]. Des zones lointaines aux proches, la permission de consommer grandit, puis s’inverse. Au centre, là où le tabou va être le plus fort, se trouve, non nommé mais désigné par l’agencement de tout le reste, l’homme. Cette organisation a comme pôle le tabou de l’anthropophagie19 ».

12. Le porc fait alors figure d’exception : animal immonde du Pentateuque, il est bien tabou pour les juifs mais les chrétiens, eux, s’en sustentent. Claudine Fabre-Vassas avance même qu’il représente un marqueur de distinction pour ces derniers, pour qui il incarnerait les péchés de luxure et de gourmandise, telle une bête sacrificielle qui serait le pendant de la Cène et de la transsubstantiation20. D’ailleurs, contrairement aux autres animaux, abattus tout au long de l’année, les cochons ne sont tués à Toulouse qu’entre la Saint-Michel (fin septembre21) et le Carnaval (début février à début mars), la veille du carême. Si les chairs salées peuvent être mangées en tout temps, l’accès à la chair fraîche porcine est lié à la fin de l’automne, plus particulièrement à l’hiver, avant le temps de jeûne et de pénitence22.

13. Les autres tabous hérités de l’Ancien Testament, quant à eux, se retrouvent de manière saisissante dans la ville de Toulouse moderne. De forts tabous alimentaires frappent les carnivores23, certains amphibiens24 et les équidés25. Quant aux animaux mangés par les Toulousains, ils suscitent plus ou moins d’inquiétudes selon leur proximité avec les humains. Les capitouls encadrent étroitement les abattoirs et les boucheries des bœufs, des veaux et des moutons, en codifiant précisément les lieux, temps et modalités d’abattage, préparation, découpe et vente des corps animaux. Leur réglementation importante, incessante et de plus en plus contraignante au cours de l’époque moderne, est relayée par leurs gardes et leurs commis de police mais également par des employés nommés expressément à cet effet, comme les inspecteurs des boucheries ou les commis aux affachoirs. Cette réglementation, si prégnante pour les bovins et les ovins, est déjà moins marquée pour les caprins, anecdotique pour la volaille, presque inexistante pour le gibier ou le poisson en-dehors du paiement des droits et du respect des taxes26.

14. Cette conception hiérarchique des animaux se retrouve dans la littérature savante du XVIIIe siècle. Dans l’article « Plaisir » de l’Encyclopédie méthodique de Lacretelle, par exemple, on peut lire : « Les vers, les insectes, les poissons montrent moins d’instinct que les oiseaux, & ceux-ci moins que les quadrupèdes ; la sensibilité est moindre dans les premiers que dans les seconds, & dans ceux-ci que dans ces derniers27 ». Les cochons, quant à eux, ont un statut très singulier : alors que leur morphologie est jugée très proche de l’anatomie humaine, qu’ils sont même à ce titre disséqués par les médecins28, leur sensibilité est toujours niée.

B. Les cochons : des animaux insensibles ?

15. Les cochons, plus que tous les autres animaux dédiés à la consommation urbaine, sont caractérisés par leur brutalité, leur luxure et leur grossièreté29. Le terme même de « cochon » est l’une des insultes animalières qui revient le plus fréquemment dans les procédures criminelles30, juste après « chien31 ». De nombreuses ordonnances capitulaires, par ailleurs, les désignent comme des « animaux immondes », terme alors porteur d’une connotation biblique : « impur, ne se dit que dans le langage de l’Écriture32 », « on appelle le Diable en termes de dévotion, l’Esprit immonde, parce qu’il sollicite aux pechez, aux impuretez : une conscience immonde, qui a des souillures du péché33 ».

16. Contrairement aux chiens ou aux chevaux, il est très rare que des émotions soient explicitement attribuées aux cochons dans les procédures criminelles. Il est probable que les Toulousains ressentent le besoin de maintenir une forme de distance affective, permettant, à terme, de tuer l’animal pour le manger34. D’ailleurs, même si de nombreuses études vétérinaires actuelles prouvent que les cochons ressentent, entre autres, la douleur35, cette dernière est niée par la plupart des naturalistes de l’époque moderne. Buffon affirme même que « la rudesse du poil, la dureté de la peau, l’épaisseur de la graisse, rendent ces animaux peu sensibles aux coups : l’on a vu des souris se loger sur leur dos, & leur manger le lard & la peau sans qu’ils parussent le sentir36 ».

17. Dans les représentations de l’époque, cette insensibilité trouve son paroxysme dans une maladie qui affecte les porcs et inquiète particulièrement les contemporains : la ladrerie. La cysticercose atteint le porc lorsqu’il consomme des excréments humains qui contiennent des œufs de ténia (Taenia solium). La forme larvaire du ver s’enkyste dans les muscles, le cœur et la langue du porc37. S’ils ne sont pas ingérés par un hôte, les cysticerques finissent par mourir. En revanche, lorsque des humains consomment la chair porcine mal cuite ou conservée, ils absorbent les cysticerques encore vivants, qui se développent alors dans leurs intestins, où ils grandissent d’un mètre tous les six mois38. La maladie est courante à l’époque moderne, les cochons étant élevés jusqu’au cœur des villes, où ils se nourrissent des déchets trouvés en chemin39. Toutefois, le lien entre l’infection et la larve du ténia n’étant découvert qu’au XIXe siècle, la ladrerie est assimilée à la lèpre humaine40, dont les cochons seraient victimes à cause de leur « malpropreté naturelle41 ». Durant l’époque médiévale, les médecins croient même que la lèpre humaine est parfois due à l’ingestion de viandes de porc « impures42 ». Frédéric Keck et Vanessa Manceron parlent des « peurs liées aux franchissements de barrières : passage de l’animal à l’homme, de l’homme à l’homme, du sauvage au domestique, de la vie à la mort43 ».

II. Conjurer la mort

18. Les peurs liées aux transgressions des frontières entre espèces interrogent l’acte même de manger, qui revient littéralement à incorporer ce qui est autre pour le faire devenir soi44. La plupart des inquiétudes quant à la consommation des aliments, et particulièrement de la viande, s’expriment au travers des risques sanitaires, qui laissent deviner des troubles moins formulés45. Sont en effet jugées « corrompues46 », « méchantes47 » ou « criminelles48 » les chairs qui rappellent la vie passée de l’animal, celles qui ont été incorrectement réifiées lors des mises à mort, fortement codifiées et ritualisées.

19. Les dictionnaires de l’époque moderne définissent le « rit » comme l’« ordre prescrit des cérémonies, qui se pratiquent dans une religion, et surtout dans la religion chrétienne49 », le rituel comme le « livre qui contient l’ordre & la manière des cérémonies qu’on doit observer dans la célébration du service divin50 ». Ce lien avec la religion, ou du moins avec le sacré et la magie, se retrouve dans les premiers travaux sur les rituels, de manière plus extensive51. Les rites sont ainsi définis par Émile Durkheim comme des « règles de conduite qui prescrivent comment l’homme doit se comporter à l’égard des choses sacrées52 ». Dans ce sens, l’idée de ritualisation, à propos des boucheries, est anachronique, ou du moins incorrecte.

20. Des définitions plus accueillantes du rituel se développent toutefois dans divers champs disciplinaires, notamment en éthologie, en anthropologie et en sociologie : le rituel est une action codifiée, stéréotypée et répétée qui semble échapper, au moins en partie, à une finalité purement utilitaire, même lorsqu’elle conserve un aspect opératoire53. Il doit permettre à ceux qui le perpétuent d’exorciser des angoisses plus ou moins conscientisées, en exprimant leurs inquiétudes devant la transformation des corps et du monde, devant ce qui dépasse les puissances humaines54. Enfin, le rituel est un code, un symbole partagé qui dit quelque chose de l’ordre social et le renforce par le même geste ; une forme de pression normative exercée par la communauté qui permet le maintien à long terme d’une société. Le terme vient d’ailleurs du latin ritus, « ordre prescrit » ou « ce qui a été fixé »55. Le concept de ritualisation conserve ainsi une dimension heuristique s’il est envisagé comme une grille d’analyse pour penser autrement un objet historique, ici la fonction rassurante de la codification des mises à mort.

21. L’appareil normatif qui encadre l’abattage des animaux et le débit de leurs chairs peut se diviser en deux pôles : la surveillance des fraudes (non-respect de la taxe56, non-paiement des droits de la ville57, faux poids58, surpoids59) et le contrôle de la bonne qualité des viandes. C’est ce dernier pôle qui m’intéresse ici. En priorité, les animaux doivent être en bonne santé (pour les porcs, il s’agit principalement de vérifier qu’ils ne sont pas ladres60). Toutefois, même au sein des espèces autorisées, dont les individus sont bien portants, tous les animaux ne sont pas jugés également propres à la consommation. 

A. Des animaux réifiés

22. Pour les bœufs, les veaux, les moutons et les chèvres, il est interdit de vendre des femelles ou des mâles reproducteurs, dont la viande est estimée mauvaise61 : seuls les mâles castrés et les petits non encore aptes à procréer peuvent être proposés sur les étaux62. La réglementation est, curieusement, un peu plus souple pour les cochons : si ces derniers doivent être castrés63, les charcutières ont le droit de débiter des truies, tant qu’elles n’ont jamais porté de petits et sont vendues à moitié prix. Leur chair est considérée comme moins goûteuse et moins saine que celle des cochons castrés64. Certaines charcutières font couper les mamelles de leurs truies pour les faire passer pour des cochons ; les capitouls ne manquent alors pas de les faire traduire en justice, surtout lorsque les femelles sont vieilles et ont déjà mis bas65. Une inquiétude particulière semble ainsi peser sur l’activité génésique, dont les animaux doivent être exclus le plus possible pour être jugés comestibles66.

23. Par ailleurs, tous les animaux doivent être égorgés, écorchés et découpés par des professionnels dédiés à cet effet : ceux qui meurent de maladie ou de blessure sont considérés comme impurs. Ainsi, au début du mois de décembre 1757, Étienne Negret, capitoul, apprend qu’une grande quantité de cochons sont morts étouffés dans une grange du faubourg Saint-Michel, cette dernière étant trop exiguë. Il s’y rend et découvre en effet « cent-seize cochons morts, dont une partie venoint d’être égorgés et on travailloit à égorger les autres qui étoint encore chauds ». Les cochons sont triés par des experts pâtissiers67, qui examinent la qualité de leur chair. À la suite de leur rapport, les capitouls ordonnent au capitaine au fait de la santé, Vital Ramond, d’organiser l’enterrement de la plupart des cadavres « gâtés », ainsi que des têtes, pieds et fressures (cœur, foie, rate, poumons) du quart de porcs jugés sains. La moitié de ce qui reste du corps de ces derniers, pourtant décrétés comestibles, est plus tard jetée dans la Garonne68.

24. C’est la mise à mort de main d’homme qui distingue la viande d’une charogne, soit « le corps d’un animal mort & corrompu qu’on a jetté à la voirie69 ». Alors que les égorgeurs de cochons se sont empressés auprès des bêtes agonisantes pour les abattre de la manière réglementaire, un doute plane, trop important pour les capitouls. Malgré le déficit financier considérable que représente la perte d’une centaine de porcs, ils ne peuvent se résoudre à faire vendre leur chair au public. En effet, la viande la plus dangereuse est peut-être celle qui est alors appelée la « viande étouffée », celle qui n’est pas complètement vidée de son sang, et pour que ce dernier s’écoule bien, les animaux doivent être saignés vivants. Que la mise à mort des animaux dédiés à l’alimentation urbaine soit avant tout du fait des humains permet de s’assurer que le rituel soit effectué correctement, c’est-à-dire que les animaux soient départis de tout qui rappelle leur vie passée. À mesure du travail, les corps perdent leur peau, leurs membres, leurs organes, en somme tout ce qui les animait ; enfin découpés en « pièces », ils sont bel et bien transformés en objets et peuvent, dès lors, être absorbés par des humains. C’est d’ailleurs ce qui participe à définir l’humanité : contrairement aux « prédateurs sanguinaires » vilipendés dans les dictionnaires de l’époque moderne70, les humains n’incorporent pas des êtres sentients mais des objets dénués de vitalité.

 

 Figure 1 : Caspar LUYKEN [graveur], Slacht van een varken onder toeziend oog van een welgesteld echtpaar en een arme vrouw met kind [impression topographique]
In Hiob HERTZEN [éditeur], Abraham a Sancta Clara. Heilsames Gemisch Gemasch, das ist: Allerley seltsame und verwunderliche Geschichten […],
Nuremberg, Christoph Weigel, 1704, p. 404,
disponible sur : https://id.rijksmuseum.nl/200225828 (Amsterdam, Rijksmuseum).
© Domaine public

25. Comme pour les animaux de boucherie, l’abattage des porcs respecte une ritualisation rigoureuse qui permet leur réification. C’est un travail collectif : les cochons sont des animaux forts, difficilement contrôlables, surtout lorsqu’ils ont peur ou souffrent. Alors qu’un homme noue un bridon à la hure du cochon, qu’il fait passer au travers de sa gueule, un autre le pousse vers le lieu de mise à mort ; un troisième se tient prêt à l’assommer à coups de maillet avant de l’égorger au couteau71. Pour ce, le cochon est maintenu au sol (chacun tenant une jambe), sur le flanc, la gorge au-dessus d’un récipient72 utilisé pour recueillir le sang, brassé à la main pour éviter qu’il ne coagule. Le corps du cochon est ensuite plongé dans une bassine d’eau très chaude (dite « chaudière73 »), où ses soies sont raclées et ses onglons arrachés : contrairement aux autres mammifères, il n’est pas dépecé. Enfin, il est suspendu à des crochets par les tendons de ses pattes arrière et éventré ; les viscères (intestins, foie, estomac, poumons, cœur) sont récupérés dans des torchons ou des seaux74. La carcasse est ensuite laissée refroidir à l’air libre pour être découpée plus tard ; les pieds et la tête sont vendus à part des autres morceaux75.

B. La division du corps porcin : des pratiques contradictoires

26. On touche peut-être là l’aspect le plus singulier des cochons : non seulement leur peau est conservée76 mais leurs pieds, leur tête, leurs organes et, surtout, leur sang, sont consommés. Les Toulousains se nourrissent bien des « bas-morceaux » des bœufs, veaux et moutons mais ces derniers, vendus à part, dans des triperies, sont dédiés aux plus pauvres77, voire aux chiens78. Ils ne mangent jamais leur graisse (utilisée pour faire des chandelles), leurs peaux (récupérées par les tanneurs), moins encore leur sang. On pourrait pourtant s’attendre à des interdits plus forts pour les porcs, ces bêtes si semblables aux humains, que ce soit par leur morphologie ou leur alimentation79.

27. À partir de l’extrême fin de l’époque moderne, leur chair est d’ailleurs la seule pour laquelle un terme spécifique est utilisé. Là où le bœuf est bœuf, le mouton est mouton, etc., vivant comme mort, on peut lire dans un dictionnaire de 1787 que le terme « cochon » est dédié aux animaux vivants, quand « en parlant de la chair de cet animal, en général, on dit plus ordinairement, du porc » – ce n’était pas le cas dans les dictionnaires précédents. Le mot « cochon » n’est conservé, pour parler du corps mort, que pour certaines parties bien précises : « groin de cochon, langues, oreilles de cochon80 ». Ce n’est pas anodin : si la carcasse est réifiée par un terme qui la distingue de l’animal en vie, la tête ne l’est pas. Lorsqu’en 1757, les capitouls ont ordonné l’élimination des corps des cochons étouffés, les têtes, pieds et organes des animaux pourtant jugés sains par les pâtissiers ont également été enterrés avec le reste. Comme si ces parties hautement symboliques du corps concentraient, plus que la carcasse vidée, les inquiétudes liées à l’incorporation des animaux. D’ailleurs, en 1660, un égorgeur accusé par les capitouls d’avoir tué une truie « corrompue et morte de abbnimal pestillentiel » affirme, pour se défendre, qu’elle se portait très bien, et qu’il a même mangé son foie81. Comment aurait-il osé ingérer cet organe, porteur de tant d’humeurs selon la médecine hippocratique, et si semblable au foie humain, si la truie était « corrompue » ?

28. Ces différences symboliques, qui se jouent au cœur même du corps porcin, rappellent des oppositions plus larges que Noëlie Vialles expose dans son ouvrage sur les abattoirs contemporains. L’anthropologue distingue deux types de carnivores : les « zoophages », qui cherchent à manger du vivant, en privilégiant la consommation des organes ou du sang, et les « sarcophages », qui préfèrent des substances désincarnées, où rien ne laisse deviner la vie passée de l’animal82. Si les deux types sont opposés, ils peuvent coexister dans une même société : lors de la chasse, le gibier est volontiers reconnu dans son altérité, et c’est une part de la vitalité du sanglier qui est ingérée symboliquement lorsque, par exemple, ses testicules sont prélevés comme des trophées83. Au contraire, les animaux de boucherie (bœufs, veaux, moutons) sont réifiés, leurs abats destinés aux plus pauvres ou aux chiens. Le cochon se situe alors dans un trouble entre-deux : il n’est pas sauvage, mais connaît, comme les autres animaux de boucherie, la domestication ; il n’est pas chassé mais conduit, sous contrainte, à l’abattoir. Pourtant, les Toulousains de l’époque moderne se nourrissent de son sang, de sa peau et de ses organes. Cette dichotomie se réverbère, analogiquement, à l’échelle des lieux de mises à mort porcins et des professions impliquées.

III. Purifier et construire le corps urbain

29. Contrairement aux animaux de boucherie, relégués aux faubourgs ou au gardiage (banlieue rurale de Toulouse), où se trouvent la plupart des pâturages, les cochons sont également nourris jusqu’au cœur de la ville, dans l’enceinte des remparts. Ils vivent parfois dans la même maison que leurs propriétaires, et sont laissés libres de déambuler dans les rues en quête de nourriture – de même que la volaille84. Ils occupent ainsi une place importante dans les espaces de vie toulousains, d’autant plus que leurs lieux d’abattage sont dispersés dans divers endroits de la ville, notamment à Arnaud-Bernard, Saint-Cyprien et à l’île de Tounis. 

A. Mettre la mort à distance

30. En cela, ils s’apparentent à ce qui est pratiqué dans la majorité des grandes villes du royaume, où les animaux sont tués près des étaux, dans de multiples « tueries » installées jusqu’au cœur des villes85. À Toulouse, pourtant, ils font figures d’exception. En effet, dès le XVe siècle, les bouchers sont tenus d’égorger les bœufs et les moutons dans des lieux dédiés et étroitement contrôlés par les capitouls ; au début du XVIIIe siècle, la pratique est étendue aux chevreaux et aux agneaux, dont l’affachoir est attenant à celui des veaux et des moutons86. Toutefois, ce n’est qu’à l’extrême fin du XVIIIe siècle que des affachoirs centralisés pour l’ensemble des cochons sont installés dans le faubourg Saint-Cyprien87. Les égorgeurs de cochons conservent le droit, par ailleurs, de tuer des cochons chez des particuliers pour leur consommation personnelle88.

31. C’est sans doute parce que contrairement aux bouchers toulousains, qui ne forment pas une jurande et ne peuvent donc pas agir en justice au nom de la communauté pour défendre leurs prérogatives, les égorgeurs de cochons89 forment une corporation puissante. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à faire appel au Parlement de Toulouse à chaque fois que les capitouls tentent d’exercer un contrôle plus étroit sur les mises à mort porcines, et obtiennent généralement gain de cause90. De plus, l’élevage intra-urbain oblige les capitouls à tolérer des mises à mort à domicile, dès lors qu’elles sont effectuées par des maîtres du corps des égorgeurs de cochon et que la chair n’est pas vendue sur les marchés publics, mais réservée à l’alimentation individuelle91. Les propriétaires sont censés payer un droit de réserve (autour de 10 sols) pour chaque cochon égorgé92. Les tueries privées sont de moins en moins fréquentes au cours de l’époque moderne, alors que l’élevage intra-urbain est proscrit de plus en plus sévèrement et que les capitouls parviennent à imposer des affachoirs centralisés pour les cochons93. À l’extrême fin du XVIIIe siècle, les consuls prévoient même l’édification de tueries collectives, qui rassembleront tous les animaux abattus pour la consommation urbaine, et devront être érigées en-dehors des faubourgs, dans un terrain isolé situé dans la banlieue rurale de la ville94.

32. Ces tueries collectives répondent à un enjeu de salubrité publique, ainsi qu’à une sensibilité accrue à la proximité des lieux de mises à mort. Les voisins des affachoirs, notamment, s’en plaignent à répétition95. Par exemple, en 1678, de nombreux habitants du quartier Arnaud-Bernard refusent que l’affachoir des cochons, qui avait été déplacé dans un lieu excentré, soit rétabli sur la place Arnaud-Bernard, à cause des mauvaises odeurs : « le sang et corruption de fiante desdits couchons sortant de la rue, le long du ruisseau jusques audit acaduc, croupissoit et portoit une sy grande puanteur que tous lesdits voisins et tous ceux qui passoint ne pouvoint habiter dans leurs maisons ny passer par ladite rue96 ».

33. En effet, selon les croyances médicales de l’époque, les maladies, qu’elles soient physiques ou mentales – distinction qui n’est alors guère d’usage –, proviennent d’un extérieur impur : air vicié, eaux stagnantes, aliments corrompus, autant de « forces pénétrantes97 » et dangereuses qui agissent sur les corps et les humeurs de tous les êtres vivants. Les corps échangent ainsi en permanence avec le reste des existants, de manière positive ou néfaste selon les substances partagées. On comprend donc l’obsession des odeurs, qui trahissent la dangerosité de l’air, ce fluide intériorisé à l’insu des habitants. Les odeurs de mort animale, particulièrement, concentrent un grand nombre des préoccupations sanitaires98

B. Tuer : un acte fondateur du corps social

34. En cherchant à délocaliser les affachoirs et à invisibiliser les mises à mort, les capitouls participent ainsi à la délimitation de l’espace urbain lui-même, entre le centre-ville, qui doit conserver un caractère pur, et les espaces périphériques, qui peuvent être profanés, et qui sont définis de plus en plus loin des murs d’enceinte : d’abord les faubourgs, puis le gardiage. La différence de traitement des animaux contribue également à distinguer les espaces collectifs et individuels, publics et intimes, avec d’un côté, des mises à mort d’animaux destinés à l’alimentation collective dans des abattoirs publics ; de l’autre, des mises à mort d’animaux dédiés à l’alimentation individuelle dans l’intimité des maisons. Outre la détermination et la consolidation des frontières spatio-temporelles, le contrôle des mises à mort manifeste plus généralement le pouvoir public. Les capitouls, en régulant les abattoirs, se constituent en nourrisseurs du corps social, qu’ils définissent par le même geste.

35. Différents animaux sont dédiés à différents corps de métier : bœufs, veaux et moutons pour les bouchers ; agneaux et chevreaux pour les chevrotiers ; cochons pour les tueurs de cochons et les charcutiers ; volaille et gibier pour les pourvoyeurs et les volaillers ; poissons pour les chasse-marées et les poissonniers. Au sein d’un même secteur professionnel, l’action collective de la mise à mort et du traitement du corps animal implique une répartition des tâches et, par-là, un partage de la responsabilité. Ceux qui élèvent les cochons ne sont pas toujours les mêmes que ceux qui les mènent dans les foires et marchés pour les vendre, encore différentes personnes les achètent, d’autres les mettent à mort et répartissent les différentes parties du corps, d’autres encore les acheminent jusqu’aux étaux par moitiés ou quartiers, enfin d’autres les découpent et les vendent.

36. Le partage des tâches met bien en évidence le statut social de chacun. Ce sont les plus riches, les plus aisés et les plus reconnus, ceux qui ont tissé des réseaux professionnels qui s’étendent jusqu’aux provinces environnantes, qui acquièrent les animaux mais les plus pauvres, souvent des domestiques ou des portefaix embauchés pour l’occasion, qui les acheminent jusqu’aux abattoirs ou des abattoirs aux lieux de vente99. Les marchands de cochons sont ainsi rarement en contact avec les corps des animaux morts, passant le plus clair de leur temps à arpenter foires et marchés, tandis que les égorgeurs tuent les animaux et veillent à la répartition des différentes parties de leurs corps. Les chairs peuvent être salées ou vendues fraîches par des charcutières ou des revendeuses100.

Figure 2 : Jacob LOUYS [graveur], Willem KALF [dessin], Boereninterieur met geslacht varken [gravure], 1630-1673
disponible sur : https://id.rijksmuseum.nl/200221788 (Amsterdam, Rijksmuseum).
© Domaine public

37. De manière générale, les femmes occupent une place importante dans l’élevage des animaux tenus au plus près du foyer, voire au sein même de ce dernier. Elles nourrissent les cochons et la volaille, tuent les secondes et mènent les premiers à l’abattoir101. Elles sont ensuite majoritaires dans la vente ou la revente des chairs ainsi que leur salaison et autres préparations culinaires (andouilles, saucisses, boudins). Elles sont pourtant bien moins présentes dans le commerce et l’abattage des animaux de boucherie : les bouchers qui arpentent foires et marchés pour acquérir des animaux sont des hommes, souvent adultes, les tueurs plutôt de jeunes hommes, leurs femmes et leurs filles se contentent de tenir les boutiques102. En fait, le seul secteur où elles sont aussi nombreuses que les hommes, voire plus nombreuses, est celui des triperies103.

38. Les femmes, en somme, sont liées à l’intime : elles se chargent des animaux intégrés à la maison, et des ventrailles en général. Toutefois, si elles tuent les poules, ce n’est guère le cas des cochons : les femmes les élèvent, les vendent, préparent et distribuent leur chair mais font toujours intervenir un homme pour les égorger104. Ces différences genrées rappellent la division du corps porcin : la carcasse est faite par un homme, mais c’est une femme qui entretient l’animal vivant puis récupère son sang et ses organes, avant de les cuisiner et de les vendre. Cette forme de « cuisine commune », comme l’appelle Claudine Fabre-Vassas, montre comment le traitement des bêtes fait apparaître la place et le rôle de chacun : hommes et femmes, adultes et jeunes, plus généralement l’ordre local des pouvoirs105.

Conclusion

39. Si les modernes considèrent qu’ingérer des aliments qui s’identifieront à leur corps est nécessaire à leur survie, cette incorporation délicate suscite de nombreuses inquiétudes, particulièrement pour les chairs. Les consommateurs respectent, dans une large mesure, les tabous hérités de l’Ancien Testament, en privilégiant les herbivores domestiques qu’ils connaissent bien, mais avec lesquels ils n’entretiennent pas de lien interpersonnel trop fort. Quant aux animaux comestibles, plus ils sont proches des humains, que ce soit par le partage du quotidien ou la morphologie, plus leur mise à mort et la distribution de leur chair sont étroitement contrôlées. Au fil de l’époque moderne, à Toulouse, les abattages des bovins et des ovins, centralisés et invisibilisés, sont relégués aux faubourgs et jusqu’au gardiage, dans un geste purificateur de l’espace urbain. Les bœufs, veaux et moutons, animaux qui dominent largement sur les tables, connaissent par ailleurs une réification rigoureuse : tout ce qui rappelle leur vitalité est proscrit, ou bien réservé aux plus pauvres et aux chiens. Les membres des parties liminaires du corps social sont ainsi contraints, par manque de ressources, à encourir plus fortement que les autres les risques liés à l’ingestion d’êtres sensibles.

40. Une certaine cohérence unifie ainsi les pratiques alimentaires des sociétés modernes, cohérence bientôt bouleversée dès que l’on cherche à y faire une place pour les cochons. Les singes ne sont pas mangés parce qu’ils sont trop proches, morphologiquement, des humains, les carnivores par crainte d’une anthropophagie indirecte, mais les cochons, dont l’intériorité est si souvent comparée à l’anatomie humaine, et qui se nourrissent parfois d’elle, occupent une bonne place dans l’alimentation urbaine. Ils semblent pourtant bien porter une certaine impureté, au nom de laquelle les capitouls tentent de les exclure de la ville intra-muros, tels des lépreux auxquels la ladrerie les apparente alors.

41. Les dangers inhérents à la chair porcine devraient, en toute logique, aller de pair avec un contrôle accru de leurs mises à mort, ou au moins que ces dernières respectent les mêmes règles que celles des bovins et des ovins. À Toulouse, toutefois, les cochons occupent un curieux entre-deux. Leurs corps ne sont pas totalement départis de toute trace de vitalité : les truies peuvent plus communément être mangées, de même que les abats (langue, pieds, organes, etc.) et le sang. Aux morceaux de la carcasse, pensés comme des objets et créés par un homme, par un geste masculin qui égorge, éventre et vide, s’oppose l’intériorité porcine, apanage souvent féminin. La répartition spatiale des porcs et de leurs mises à morts elle-même tolère une forme d’intimité, entre des affachoirs collectifs répartis en plusieurs endroits au sein des murs d’enceinte, et des tueries privées pour ces animaux parfois accueillis jusqu’au cœur des maisons.

42. Ces « bêtes singulières106 » participent ainsi à la construction temporelle, spatiale et sociale des corps urbains, tout en rappelant les ambiguïtés inhérentes aux pratiques alimentaires. En ce qu’elles semblent à la fois permettre zoophagie et sarcophagie, les chairs porcines soulignent, peut-être mieux que tout autre aliment, un nœud brûlant de tensions pour les sociétés modernes : le besoin dangereux de se nourrir d’autres que soi, et le risque latent d’une altérité à la fois irréductible, et peut-être moins importante qu’on l’escomptait. En somme, un trouble qui ne peut être que supposé, tant il reste informulé, une question qui reste sans réponse : que mange-t-on, et que veut-on manger, lorsque l’on prend la chair de l’autre ?

 

Mots-clés : cochons, manger, tuer, Toulouse, époque moderne

  • 1 Dans la réglementation comme dans les dictionnaires et encyclopédies de l’époque moderne, les auteurs renvoient explicitement aux bœufs, moutons et veaux lorsqu’ils parlent des viandes de boucherie : « On appelle viande de boucherie, la grosse viande, bœuf, veau & mouton ». Antoine FURETIÈRE, « Boucherie », Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts. Tome 1, La Haye, A. et R. Leers, 1690.
  • 2 Mary DOUGLAS, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, La Découverte, 2001, p. 112.
  • 3 François POPLIN, « Essai sur l’anthropocentrisme des tabous alimentaires dans l’héritage de l’Ancien Testament », Anthropozoologica, 2d n° spécial, 1988, p. 163.
  • 4 Pierre‑Joseph BUC’HOZ, Traité économique et physique du gros et du menu bétail. Tome 2, Paris, Lacombe, 1778, p. 400‑403.
  • 5 François ROZIER, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire. Tome 3, Paris, Rue et Hôtel Serpente, 1783, p. 414.
  • 6 Claude FISCHLER, L’Homnivore. Le goût, la cuisine et le corps, Paris, Odile Jacob, 2001, p. 137.
  • 7 Voir notamment Liliane BODSON [dir.], « L’Animal dans l’alimentation humaine : les critères du choix », Anthropozoologica, vol. NS (2), arts 1‑35, 1988 ; Claude FISCHLER, L’Homnivore… op. cit.
  • 8 Voir notamment Noëlie VIALLES, Le Sang et la Chair. Les abattoirs du pays de l’Adour, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1987.
  • 9 Claudine FABRE‑VASSAS, La Bête singulière. Les juifs, les chrétiens et le cochon, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 1994.
  • 10 À ce sujet, voir notamment l’ouvrage‑phare de l’historienne Madeleine Ferrières sur les peurs alimentaires : Madeleine FERRIÈRES, Histoire des peurs alimentaires, du Moyen Âge à l’aube du XXe siècle, Paris, Seuil, « L’Univers historique », 2009.
  • 11 Notamment Pierre‑Joseph BUC’HOZ, Traité économique et physique du gros et du menu bétail : contenant la description du cheval, de l’âne, du mulet, du bœuf, de la chèvre, de la brebis & du cochon ; la manière d’élever ces animaux, de les multiplier, de les nourrir, de les traiter dans leurs maladies, & d’en tirer profit pour l’économie domestique & champêtre, 2 vol., Paris, Lacombe, 1778 ; Georges‑Louis Leclerc, comte de BUFFON, Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roy, 36 vol., Paris, Imprimerie royale, 1749‑1789 ; Jean‑Jacques PAULET, Recherches historiques et physiques sur les maladies épizootiques, avec les moyens d’y remédier dans tous les cas. Parties 1 et 2, Paris, Ruault, 1775 ; François ROZIER, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire, suivi d’une Méthode pour étudier l’agriculture par principes, ou Dictionnaire universel d’agriculture, 10 vol., Paris, Rue et Hôtel Serpente, Moutardier, Delalain fils, 1781‑1801.
  • 12 Jean‑Marie AUGUSTIN, « Les Capitouls, juges des causes criminelles et de police à la fin de l’Ancien Régime (1780‑1790) », Annales du Midi, tome 84, n° 107, 1972, p. 183‑211.
  • 13 Jean‑Luc LAFFONT, Policer la ville. Toulouse, capitale provinciale au siècle des Lumières, thèse de doctorat, Université de Toulouse‑II‑Le Mirail, 1997, p. 42.
  • 14 Voir notamment les sous‑séries BB (Administration communale) et FF (Justice et police) des Archives municipales de Toulouse.
  • 15 À titre de comparaison, voir notamment Jean-Louis FLANDRIN, Massimo MONTANARI [dir.], Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996 ; Florent QUELLIER [dir.], Histoire de l’alimentation, de la Préhistoire à nos jours, Paris, Belin, 2021.
  • 16 François ROZIER, Cours complet d’agriculture théorique, pratique, économique, et de médecine rurale et vétérinaire. Tome 1, Paris, Rue et Hôtel Serpente, 1781, p. 398.
  • 17 Bibliothèque nationale de France, « Certificat de la Faculté de Médecine de Toulouse », Affiches et annonces de Toulouse, n° 14, du 6 avril 1785.
  • 18 Carl HAVELANGE, « Manger au XVIIIe siècle. Quelques éléments d’interprétation d’un discours médical », Anthropozoologica, 1988, 2d n° spécial, p. 155‑161.
  • 19 François POPLIN, « Essai sur l’anthropocentrisme… », art. cité, p. 164‑166.
  • 20 Claudine FABRE‑VASSAS, La Bête singulière… op. cit., p. 363‑364. Voir aussi Olivier BAUER, « La consommation de viande comme marqueur de l’identité chrétienne ad intra et ad extra », in Marie-Pierre HORARD, Bruno LAURIOUX [dir.], Pour une histoire de la viande. Fabrique et représentations, de l’Antiquité à nos jours, Rennes/Tours, Presses universitaires de Rennes/Presses universitaires François-Rabelais, « Tables des hommes », 2017, p. 213‑235.
  • 21 D’autres villes françaises ne l’autorisent qu’à partir de la Saint‑Martin (mi‑novembre), voire le permettent toute l’année. Pierre‑Joseph BUC’HOZ, Traité économique et physique du gros et du menu bétail… op. cit., p. 474.
  • 22 En mars 1761, deux revendeuses de cochons sont ainsi appréhendées par des commis de police parce qu’elles font tuer des cochons à l’affachoir alors qu’ils ne doivent plus être abattus depuis le 3 février. Arch. mun. (Toulouse), FF 548, procès‑verbal du 20 mars 1761, pièce 29. Voir aussi Arch. mun. (Toulouse), FF 511/1, procès‑verbal du 21 septembre 1664 ; FF 544, requête en plainte du 7 février 1747, pièce 13.
  • 23 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 749/1, procédures 013 et 014, des 24 et 25 février 1705, où la dépouille d’un renard est utilisée pour signifier l’impureté de l’étal d’un chevrotier.
  • 24 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 820/6, procédure 162, du 2 octobre 1776, où un enfant est violemment puni pour avoir exhibé le cadavre d’un crapaud lors du repas de vendangeurs, qui ne peuvent pas supporter la vue de l’animal pendant qu’ils mangent.
  • 25 BnF, « Économie », Affiches et annonces de Toulouse, n° 12, du 23 mars 1785, où l’on devine le fort tabou de l’hippophagie au travers de l’histoire d’un baron suédois qui cherche à le lever pour remédier à la famine.
  • 26 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Les animaux de boucherie et les bouchers à Toulouse aux XVIIe et XVIIIe siècles : une communauté hybride ? », in Clément BIROUSTE, Thomas BRIGNON, Margot CONSTANS, Thomas GALOPPIN, Lucie SCHNELLER LORENZONI [dir.], Coexister avec les animaux. Historiciser les communautés hybrides, de la Préhistoire au XXIe siècle, Valenciennes, Presses universitaires de Valenciennes, « Animalités », 2025, p. 119‑142.
  • 27 Pierre‑Louis LACRETELLE [dir.], « Plaisir », Encyclopédie méthodique. Logique et métaphysique. Tome 4, Paris, Panckoucke, 1791, p. 39.
  • 28 Michel PASTOUREAU, Les Animaux célèbres, Paris, Bonneton, 2002, p. 137.
  • 29 Georges‑Louis Leclerc BUFFON, Histoire naturelle générale et particulière : avec la description du Cabinet du Roy. Tome 5, Paris, Imprimerie royale, 1755, p. 111‑112.
  • 30 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 754/3, procédures 049 et 050, du 9 octobre 1710 ; FF 800/1, procédure 007, du 11 janvier 1756 ; FF 829/3, procédure 040, du 22 mars 1785.
  • 31 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Les cochons dans la ville : le partage difficile d’un espace restreint, entre errance et proximité (Toulouse, XVIIe‑XVIIIe siècles) », in Emmanuelle CHARPENTIER, Guilhem FERRAND [dir.], Le Porc dans tous ses états dans l’Europe médiévale et moderne [titre temporaire], Toulouse, Presses universitaires du Midi, « Flaran », [à paraître].
  • 32 Jean‑François FÉRAUD, « Immonde », Dictionnaire critique de la langue française, vol. 2, Marseille, Jean Mossy Père et Fils, 1787, p. 426.
  • 33 Antoine FURETIÈRE, « Immonde », Dictionnaire universel… op. cit.
  • 34 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Les cochons dans la ville… », in Emmanuelle CHARPENTIER, Guilhem FERRAND [dir.], Le Porc dans tous ses états… op. cit.
  • 35 Voir par exemple Sarah H. ISON, Eddie R. CLUTTON, Pierpaolo DI GIMINIANI, Kenneth M. D. RUTHERFORD, « A Review of Pain Assessment in Pigs », Frontiers in Veterinary Science, 2016, 3:108, disponible sur : 10.3389/fvets.2016.00108 ; Kristie MOZZACHIO, Valarie V. TYNES, « Recognition and Treatment of Pain in Pet Pigs », in Christine M. EGGER, Lydia LOVE, Tom DOHERTY [dir.], Pain Management in Veterinary Practice, Chichester, John Wiley & Sons Ltd, 2013, p. 383‑389 ; John Godfrey OLDHAM, « Clinical Measurement of Pain, Distress and Discomfort in Pigs », in Tom E. GIBSON [dir.], The Detection and Relief of Pain in Animals, Londres, BVA Animal Welfare Foundation, 1985, p. 88‑90.
  • 36 Georges‑Louis Leclerc BUFFON, Histoire naturelle… op. cit., p. 112.
  • 37 C’est pourquoi, durant les marchés aux porcs de l’époque moderne, les clients mais aussi des professionnels, les langueyeurs, inspectent les cochons en les renversant puis en leur ouvrant la gueule à l’aide d’un bâton, afin d’observer leur langue. La présence des cysticerques s’y devine à des sortes de pustules. Reynald ABAD, Le Grand Marché. L’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Fayard, 2002, p. 325‑326.
  • 38 Anne‑Lise BINOIS‑ROMAN, « Pathologie du porc et problématique sanitaire en milieu urbain du XIIe au XVIe siècle en France », in Emmanuelle CHARPENTIER, Guilhem FERRAND [dir.], Le Porc dans tous ses états… op. cit.
  • 39 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Les cochons dans la ville… », in Emmanuelle CHARPENTIER, Guilhem FERRAND [dir.], Ibid.
  • 40 Jean‑Jacques PAULET, Recherches historiques et physiques… op. cit., p. 333. Dans son Dictionnaire universel, Antoine Furetière définit même « ladre » comme « malade atteint, infecté de lèpre », « ladrerie » comme « lèpre ». Antoine FURETIÈRE, Dictionnaire universel… op. cit.
  • 41 Georges‑Louis Leclerc BUFFON, Histoire naturelle… op. cit., p. 112.
  • 42 Madeleine FERRIÈRES, Histoire des peurs alimentaires… op. cit., p. 36.
  • 43 Frédéric KECK, Vanessa MANCERON, « En suivant le virus de la grippe aviaire, de Hong Kong à la Dombes », in Sophie HOUDART, Olivier THIERRY [dir.], Humains, non humains. Comment repeupler les sciences sociales, Paris, La Découverte, 2011, p. 66.
  • 44 Claude FISCHLER, L’Homnivore… op. cit., p. 9.
  • 45 Renan LARUE, Le Végétarisme des Lumières. L’abstinence de viande dans la France du XVIIIe siècle, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 72‑73.
  • 46 Arch. mun. (Toulouse), FF 511/1, procès‑verbal du 4 juillet 1660.
  • 47 Arch. mun. (Toulouse), FF 749/1, procédure 014, du 25 février 1705.
  • 48 Arch. mun. (Toulouse), FF 532, procès‑verbal du 10 novembre 1727.
  • 49 Jean‑François FÉRAUD, « Rit », Dictionnaire critique de la langue française, vol. 3, Marseille, Jean Mossy Père et Fils, 1788, p. 487.
  • 50 Antoine FURETIÈRE, « Rituel », Dictionnaire universel… op. cit.
  • 51 Nicolas OFFENSTADT, « Le rite et l’histoire. Remarques introductives », Hypothèses, 1, 1998, p. 7‑14.
  • 52 Émile DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Paris, Presses universitaires de France, 1912, p. 56.
  • 53 Voir par exemple Jean CAZENEUVE, Sociologie du rite, Paris, Presses universitaires de France, 1971 ; Claude RIVIÈRE, Les Rites profanes, Paris, Presses universitaires de France, 1995 ; Dominique PICARD, « Rites, rituels », in Jacqueline BARUS-MICHEL, Eugène ENRIQUEZ, André LÉVY [dir.], Vocabulaire de psychosociologie. Références et positions, Toulouse, Érès, « Questions de société », 2016, p. 260‑266.
  • 54 Jean MAISONNEUVE, « Qu’est-ce qu’un rituel ? Sens et problématique », Les Conduites rituelles, Paris, Presses universitaires de France, « Que sais-je ? », 1999, p. 6‑23.
  • 55 Voir par exemple Edmund LEACH, « Ritual », in David L. SILLS [dir.], International Encyclopædia of Social Sciences, vol. 13, Londres, Macmillan, 1968, p. 520‑536 ; Konrad LORENZ, L’Agression, une histoire naturelle du mal, Paris, Flammarion, 1969, p. 87 ; Dominique PICARD, art. cité., p. 260‑266.
  • 56 Chaque année, les capitouls choisissent le prix des viandes, évalué selon le coût d’achat du bétail ; ils contrôlent par la suite le respect de cette taxe, de nombreux bouchers survendant la viande. Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 461, ordonnance capitulaire du 6 avril 1669, p. 81‑83 ; FF 543, procès‑verbal du 30 juillet 1765.
  • 57 Un droit est perçu aux portes de Toulouse pour chaque animal vivant qui y entre afin d’être abattu pour la consommation urbaine. Plusieurs bouchers tentent de les faire entrer sans payer de droits, notamment en les faisant passer, de nuit, par les brèches des remparts ou par‑delà ces derniers, à l’aide de cordes. Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 532/2, procédure du 11 octobre 1726 ; FF 535, procès‑verbal du 25 novembre 1737.
  • 58 Des commis de police vérifient régulièrement les balances des bouchers et autres vendeurs, que ces derniers faussent parfois pour vendre une moindre quantité que celle qui est payée. Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 547, procès‑verbal du 31 octobre 1758, pièce 81 ; FF 551, procès‑verbal du 17 juin 1766, pièce 50.
  • 59 Le surpoids est la quantité de viande ajoutée à celle qui est pesée dans la balance pour faire le poids ; son espèce et sa proportion par rapport au poids global sont décidées par les capitouls. Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 470, ordonnance capitulaire du 28 avril 1683, p. 475‑477 ; BB 160, ordonnance capitulaire du 8 mai 1740, p. 34‑36.
  • 60 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), BB 166, ordonnance capitulaire du 26 mars 1749 qui fait défenses à tous marchands de faire conduire en ladite ville des cochons ladres, à tous revendeurs & revendeuses d’en acheter ni vendre […], le tout à peine de confiscation & de vingt‑cinq livres d’amende, pièce 73.
  • 61 Les femelles de réforme sont ponctuellement abattues et consommées mais leur chair, considérée comme moins saine, est réservée aux pauvres. Voir la liste des viandes interdites à l’adjudicataire pour l’approvisionnement des boucheries (vaches, taureaux, brebis, boucs et chèvres) : Arch. mun. (Toulouse), FF 606/1, Clauses et conditions du bail de la vente exclusive de la viande pour l’approvisionnement de la ville et gardiage de Toulouse, 1783‑1786, art. IX. Voir aussi Arch. mun. (Toulouse), BB 161, ordonnance capitulaire du 19 février 1767 qui défend aux bouchers de débiter des vaches et enjoint au garde de l’échaudoir de les dénoncer, p. 69‑72. Voir enfin Georges‑Louis Leclerc BUFFON, Histoire naturelle… op. cit., p. 13 : « La chair du bélier, quoique bistourné & engraissé, a toujours un mauvais goût ; celle de la brebis est molasse & insipide, au lieu que celle du mouton est la plus succulente & la meilleure de toutes les viandes communes ».
  • 62 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Les animaux de boucherie et les bouchers… », in Clément BIROUSTE, Thomas BRIGNON, Margot CONSTANS, Thomas GALOPPIN, Lucie SCHNELLER LORENZONI [dir.], Coexister avec les animaux… op. cit., p. 119‑142.
  • 63 Les cochons sont généralement castrés à l’âge de six mois et tués, au plus tard, à leurs deux ans. Pierre‑Joseph BUC’HOZ, Traité économique et physique du gros et du menu bétail… op. cit., p. 448.
  • 64 Voir ibid., p. 472‑473 : « La Truie ni le Verrat ne sont pas si recherchés en aliment que le Porc châtré, d’autant que leur chair est d’un goût moins agréable ».
  • 65 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 555, procès‑verbal du 11 février 1774 ; FF 819/10, procédures 207 et 208, du 22 décembre 1775 ; procédure 213, du 30 décembre 1775.
  • 66 C’est encore le cas dans les abattoirs contemporains. Noëlie VIALLES, Le Sang et la Chair… op. cit.
  • 67 Les bayles et syndics de la corporation des pâtissiers (soit ceux qui ont le droit de vendre de la viande préparée, notamment sous forme de pâtés, au contraire des bouchers qui vendent la viande fraîche) sont, à Toulouse, ceux qui vérifient la qualité des animaux abattus en cas de litige. Pour un article dédié à la question, voir : Frédéric CANDELON‑BOUDET, « L’expertise alimentaire sous l’Ancien Régime. La contribution des maîtres pâtissiers toulousains », Annales du Midi, tome 125, n° 283, 2013, p. 391‑409.
  • 68 Arch. mun. (Toulouse), FF 801/8, procédure 218, du 1er décembre 1757.
  • 69 Antoine FURETIÈRE, « Charogne », Dictionnaire universel… op. cit. Le terme de « cadavre » est réservé aux êtres humains.
  • 70 Voir par exemple Jean‑François FÉRAUD, « Chair », Dictionnaire critique de la langue française, vol. 1, Marseille, Jean Mossy Père et Fils, 1787, p. 399‑400 : « Je crois qu’on dit plutôt manger de la viande, que manger de la chair », sauf dans un cas bien précis : « En parlant des animaux carnassiers, chair vaut mieux : ‘‘Le tigre, quoique rassasié de chair, semble toujours altéré de sang.’’ ».
  • 71 Arch. mun. (Toulouse), FF 800/1, procédure 016, du 20 janvier 1756.
  • 72 Ce récipient est appelé « grézale » en occitan. Arch. dép. (Haute‑Garonne), 2 B 10011, procédure du 8 décembre 1781.
  • 73 BB 40, délibérations municipales du 22 juin 1677, f° 198‑199.
  • 74 Arch. mun. (Toulouse), FF 800/8, procédures 296 et 297, des 7 et 10 décembre 1756.
  • 75 Pierre‑Joseph BUC’HOZ, Traité économique et physique du gros et du menu bétail… op. cit., p. 474‑475.
  • 76 Elle est même gardée lors de la cuisson, et souvent consommée. François POPLIN, « Essai sur l’anthropocentrisme… », art. cité, p. 167.
  • 77 Voir par exemple Tolosana, Res 5708/1, Tableau de l’administration de la ville de Toulouse, pour fixer sa situation économique au 1er janvier 1782, & ce qui a été exécuté depuis cette époque, Toulouse, Imprimerie de la veuve Me. J. H. Guillemette, 1784. Les capitouls décident de libéraliser le commerce des triperies, ce qui permettrait de faire baisser le prix de la viande de boucherie : « le public en général y gagnerait, & plus encore le bas peuple qui fait la consommation des abattis & entrailles ».
  • 78 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 801/7, procédure 159, du 25 septembre 1757.
  • 79 Pour tenter de purifier leur chair, toutefois, les éleveurs tâchent d’enfermer les cochons et de les nourrir exclusivement de grains, glands, plantes potagères, etc., durant les semaines qui précèdent l’abattage. Georges‑Louis Leclerc BUFFON, Histoire naturelle… op. cit., p. 113.
  • 80 Jean‑François FÉRAUD, « Cochon », Dictionnaire critique de la langue française, vol. 1, Marseille, Jean Mossy Père et Fils, 1787, p. 465‑466.
  • 81 Arch. mun. (Toulouse), FF 511/1, procédure du 7 juillet 1660.
  • 82 Noëlie VIALLES, Le Sang et la Chair… op. cit.
  • 83 Charles STÉPANOFF, L’Animal et la Mort. Chasses, modernité et crise du sauvage, Paris, La Découverte, « Sciences sociales du vivant », 2021, p. 13‑14 ; Xavier PERROT, « Passions cynégétiques. Anthropologie historique du droit de la chasse au grand gibier en France », Revue Semestrielle de Droit Animalier, 1, 2015, p. 332‑334.
  • 84 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Les cochons dans la ville… », in Emmanuelle CHARPENTIER, Guilhem FERRAND [dir.], Le Porc dans tous ses états… op. cit.
  • 85 À Paris, Lyon ou Marseille, notamment, des abattoirs centralisés ne sont imposés qu’au XIXe siècle (voire au XXe siècle). Reynald ABAD, « Les tueries à Paris sous l’Ancien-Régime ou pourquoi la capitale n’a pas été dotée d’abattoirs aux XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire, économie et société, 1998, n° 4, p. 649‑676 ; Maurice GARDEN, « Bouchers et boucheries de Lyon au XVIIIe siècle », in René FAVIER, Laurence FONTAINE [dir.], Un historien dans la ville, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2008, p. 121‑153 ; Maxime BERNARD, De la Tuerie publique à l’abattoir municipal. Santé et ordre public dans le premier XIXe siècle (Marseille, 1791‑1851), mémoire de master, Université d’Aix‑Marseille, 2024.
  • 86 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Abattoirs (Ancien Régime) », in Pierre SERNA, Véronique LE RU, Malik MELLAH, Benedetta PIAZZESI [dir.], Dictionnaire historique et critique des animaux, Ceyzérieu, Champ Vallon, « L’Environnement a une histoire », 2024, p. 19‑23.
  • 87 Arch. mun. (Toulouse), DD 285, requêtes en plainte des 6 mars, 18 septembre, 9 octobre 1780 ; procès‑verbal du 22 septembre 1780 ; requête en plainte du 21 février 1785.
  • 88 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 800/1, procédure 016, du 20 janvier 1756 ; FF 831/4, procédure 074, du 7 mai 1787.
  • 89 Au XVIIe siècle, ils sont plutôt appelés « affacheurs de pourceaux », soit littéralement : « faiseurs de pourceaux ».
  • 90 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), BB 41, délibérations municipales du 6 août 1686, f° 182‑183 ; Charles DUPONT, « Un important procès à propos des Affachoirs (ou Abattoirs) à pourceaux », L’Auta que bufo un cop cado més, n° 132, février 1942, p. 21‑28.
  • 91 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), BB 40, délibérations municipales du 22 juin 1677, f° 198‑199 ; FF 466, ordonnance capitulaire du 27 septembre 1677, p. 111‑113.
  • 92 Arch. mun. (Toulouse), FF 511/1, procès‑verbal du 25 novembre 1664.
  • 93 Lucie SCHNELLER LORENZONI, « Les cochons dans la ville… », in Emmanuelle CHARPENTIER, Guilhem FERRAND [dir.], Le Porc dans tous ses états… op. cit.
  • 94 Arch. mun. (Toulouse), BB 59, délibérations du conseil politique du 5 août 1783, f° 71‑81 ; BB 284, chronique 450 : histoire de la ville de Toulouse pour l’année 1785, p. 305‑306.
  • 95 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), BB 40, délibérations municipales du 22 juin 1677, f° 198‑199 ; DD 233, procès‑verbal du 22 septembre 1780.
  • 96 Arch. mun. (Toulouse), HH 29, requête en plainte du 2 mars 1678.
  • 97 Je reprends ici les termes de Michel Foucault, dans son Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, « Tel », 1972, p. 457.
  • 98 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), BB 45, délibérations du conseil de bourgeoisie du 30 juillet 1706, f° 31‑35 : « [Les habitants de la rue de la Colombe] se trouvent si incommodés par l’infection que causent le sang et les entrailles des agneaux qu’on égorge dans l’affachoir qui est dans cette rue que la plus part en sont tombés malades ».
  • 99 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 761/2, procédures 058 et 059, des 3 et 4 décembre 1717.
  • 100 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 554, procès‑verbal du 12 avril 1770, pièce 138 ; FF 558, procès‑verbal du 2 février 1775, pièces 94‑96.
  • 101 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 546, procès‑verbal du 16 mars 1757 ; FF 559, procès‑verbal du 11 décembre 1783 ; Arch. dép. (Haute‑Garonne), 2 B 10011, procédure du 8 décembre 1781.
  • 102 Ce tableau doit, bien sûr, être relativisé : les fils des bouchers aident également à tenir les boutiques (voir par exemple Arch. mun. [Toulouse], HH 29, procédure du 18 avril 1706), et il arrive que les femmes participent aux mises à mort. Je n’en ai toutefois qu’un seul exemple, où une domestique est frappée et menacée par un boucher qui estime qu’elle a très mal égorgé un mouton : Arch. mun. (Toulouse), FF794/4, procédure 132, du 1er août 1750.
  • 103 D’ailleurs, dans les dictionnaires, le terme « tripière » n’existe qu’au féminin : « Tripier ne se dit que des oiseaux de proie, qui ne peuvent être dressés. Tripière, femme qui vend les tripes et les issues des animaux qu’on tue à la boucherie ». Jean‑François FÉRAUD, « Tripière », Dictionnaire critique de la langue française, vol. 2, Marseille, Jean Mossy Père et Fils, 1787, p. 742‑743.
  • 104 Voir par exemple Arch. mun. (Toulouse), FF 800/1, procédure 016, du 20 janvier 1756 ; FF 800/8, procédures 296 et 297, des 7 et 10 décembre 1756.
  • 105 Claudine FABRE‑VASSAS, La Bête singulière… op. cit., p. 362‑363.
  • 106 Termes empruntés au titre de l’ouvrage de Claudine Fabre‑Vassas cité ibid.
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RSDA 1-2025

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