Actualité juridique : Jurisprudence

Contrats spéciaux

  • Kiteri Garcia
    CDRE Bayonne – UPPA

Le poids de la génétique de l’animal dans le sort du contrat de vente ! (Cass. 1er civ., 12 février 2025, n°23-20269)

Mots clefs : Vente, maladie génétique, garantie de conformité, vice caché, obligation d’information

 

Avant de rentrer dans le vif du sujet, la génétique animale et les obligations du vendeur professionnel d’un animal domestique, il convient de préciser que l'arrêt commenté concerne une vente conclue antérieurement au 1er janvier 2022. Or, cette date est une date clé dans ce type de contentieux. Antérieurement à celle-ci, les acheteurs pouvaient se prévaloir d'un éventuellement manquement à l'obligation de conformité du code de la consommation, ce qui, en application de l'ordonnance n°2021-1247 Du 29 septembre 2021, n’est plus possible pour les ventes conclues à compter du 1er janvier 2022. A compter de cette date, les ventes d’animaux domestiques relèvent seulement du régime spécifique prévu aux articles L. 213-1 et s. et R. 213-1 et s. du code rural et de la pêche maritime lequel, en présence d'une convention dérogatoire, peut renvoyer à la garantie légale des vices cachés du code civil. Toutefois, cette question juridique peut se retrouver sur le terrain de la garantie des vices cachés du code civil. Or, elle est essentielle. Il s’agit de savoir si la maladie génétique d'un animal peut permettre la résolution de sa vente. Dans cette affaire, la Cour de cassation a jugé que la maladie génétique constituait un défaut de conformité. Or, ce faisant, elle a, pour l’auteur de ces lignes, ouvert un peu trop rapidement une boîte de Pandore qu'il conviendrait de refermer tant les maladies génétiques susceptibles d'affecter les mammifères dont les chats et les chiens sont nombreuses : plusieurs centaines pour ces deux espèces. Encourager l'acheteur d'un animal à agir en résolution de la vente assortie de dommages et intérêts chaque fois que son animal développe une maladie figurant dans la liste des maladies génétiques fait peser sur le vendeur un risque totalement excessif alors même que notre droit positif offre suffisamment d'outils pour sanctionner les éleveurs d'animaux n’ayant pas fait preuve du sérieux nécessaire dans la sélection de leurs reproducteurs.

Certes, l'arrêt rendu le 12 février 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation est un arrêt de formation restreinte n'ayant pas donné lieu à publication. Il ne devrait donc pas avoir l’écho juridique qu’avait eu en son temps l'arrêt Delgado dont nous reparlerons ultérieurement. Il mérite cependant l’attention du juriste passionné par le droit animalier.

Les faits sont, hélas, extrêmement classiques. Deux personnes, non professionnelles, achètent auprès d'un éleveur professionnel un chiot de race berger allemand, moyennant le prix de 950€. Lors de la vente, la venderesse leur avait remis un certificat vétérinaire attestant que le chiot était en parfait état de santé et que le vétérinaire ayant procédé à son examen n'avait décelé aucune anomalie1. Un peu plus tard, le chien se révèle affecté d'une dysplasie génétique. Moins d'un an après la vente, les époux assignent le vendeur sur le fondement des articles L. 217- 4 et suivants du code de la consommation en réparation de leur préjudice. Les juges du fond avaient rejeté leur demande au motif qu’un vice rédhibitoire2 ne constitue pas de facto un défaut de conformité et que, quand bien même l'animal était affecté d'une dysplasie génétique dès sa naissance, il n'est pas démontré qu'il présente une différence avec sa description lors de sa vente ni avec ce à quoi les acquéreurs pouvaient s'attendre en acquérant un animal domestique de compagnie.

La Cour de cassation casse. Sa motivation est lapidaire. Elle observe qu'au moment de la vente, la garantie légale de conformité du code de la consommation était applicable. Elle en déduit qu'ayant constaté « que l'animal, déclaré comme étant en bonne santé au moment de la délivrance, présentait en réalité une maladie génétique », la cour d'appel avait violé les articles L. 213-1 du code rural et de la pêche maritime et L. 217-4 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1247 du 29 septembre 2021.

Pour la Cour de cassation, la maladie génétique non portée à la connaissance de l'acheteur au moment de la vente constitue un défaut de conformité susceptible d'entraîner la résolution de la vente et la réparation du préjudice subi par l'acheteur. En théorie, le raisonnement peut passer pour rigoureux. La vente avait eu lieu en janvier 2018. La garantie de conformité due par les professionnels aux consommateurs était donc bien applicable. Le raisonnement de la Cour de cassation repose implicitement sur un double postulat. D’abord, la Cour considère que l’animal atteint d’une maladie génétique dont l’acheteur n’avait pas été informée au moment de la vente et s’étant développée après celle-ci, n’est pas conforme au sens du droit spécial de la vente du droit de la consommation. Il ne correspond pas à l’attente de l’acheteur. Ensuite, elle approuve implicitement l’idée selon laquelle le caractère générique de la maladie suffit à prouver que le vice existait au moment de la vente. En effet, dans l’état de l'article L. 213-1 du code rural et de la pêche maritime applicable à la date de la cession du chiot, il appartenait au consommateur de prouver que le défaut de conformité existait déjà au moment de la vente (l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016 avait déjà privé le consommateur de la possibilité de se prévaloir de la présomption d'antériorité du vice du droit de la consommation). En conséquence, ce dernier supportait la charge de la preuve de l'existence du défaut de conformité au jour de la transaction. Cet aspect probatoire était pas soulevé dans le pourvoi ; très vraisemblablement parce que les parties en litige avaient implicitement admis que lorsqu'une pathologie a une origine génétique, elle est consubstantielle à l'être vivant, même si elle ne se développe qu’ultérieurement. Ce postulat renverse la charge de preuve au bénéfice de l’acheteur.

Juridiquement, ces deux postulats peuvent se défendre. L'amour des animaux étant, hélas, plus souvent un amour égoïste qu'un amour altruiste, il est tout à fait admissible que l'acheteur n’ait entendu acquérir qu'un animal en bonne santé ou tout au moins ayant une grande chance de le rester. Quand l'existence du gène au moment de la vente, elle est indéniable. Toutefois ces deux postulats nous renvoient vers une problématique classique du droit de l'animal. L'animal est soumis par le code civil au régime des biens3, mais est-il un bien comme les autres ?4 Doit-on tenir compte de la spécificité du vivant ? De sa sensibilité, ou comme, en l'espèce, de la complexité de sa nature.

Lorsque le docteur Knock affirmait que tout bien portant est un malade qui s'ignore, il n'était pas loin de la vérité. Tout bien portant est porteur de gènes susceptibles de le conduire à développer diverses maladies. Certaines maladies génétiques sont bien connues, d’autres le sont moins, mais en l‘état actuel de la médecine vétérinaire une chose est certaine, elles sont nombreuses et très diverses. Chez les chiens et chez les chats, les maladies génétiques dont ils sont susceptibles d'être porteurs se comptent par centaines5. Certaines sont rares, certaines sont fréquentes. Certaines sont plus fréquentes dans certaines races que d'autres6.  Quelques-unes ont une forte probabilité de se développer, d'autres, une faible probabilité. Pour ne rien simplifier, certaines maladies génétiques dont la dysplasie sont des maladies à déterminisme complexe ; ce qui signifie que « les variants génétiques identifiés ne sont pas à eux seuls responsables de la maladie mais qu’ils sont des facteurs de risque pour le développement de la maladie », les conditions de vie (alimentation, exercice, …) jouant aussi un rôle7.  Bref, il s'agit d'un monde complexe dont des pans entiers restent à explorer.

Dans ce contexte médical complexe, est-il opportun d’admettre, comme l'a fait en l'espèce, la Cour de cassation, que les éleveurs soient quasi automatiquement responsables de l'apparition d'une maladie génétique dès lors que l’animal ne présentait pas de signes cliniques lors de la vente ? Faut-il faire supporter au vendeur, fut-il professionnel, les conséquences de toutes les maladies génétiques, y compris les maladies rares ou ayant peu de chances de se développer sachant que le préjudice peut se monter à des sommes parfois très élevées et ceci d'autant plus que la médecine vétérinaire a fait des progrès extraordinaires permettant de soigner les animaux dans des conditions totalement exceptionnelles mais extrêmement onéreuses. N’oublions pas que dans le très remarqué, arrêt Delgado, en raison de l’unicité de l’animal et de l’affection que son maître peut lui porter, la Cour de cassation avait paralysé la possibilité pour le professionnel d’échapper au coût d’une « réparation » trop onéreuse de l’animal en proposant son remplacement8.

Certains répondront par l'affirmative évoquant la nécessaire protection du consommateur vis-à-vis du professionnel. L’argument peut être critiqué. Un animal n’est pas un canapé. Le législateur européen et le législateur français en ont fini par en tenir compte en écartant à compter du 1er janvier 2022 l’application de la garantie de conformité du code de la consommation aux animaux domestique.

D’autres défendront la solution retenue dans l’arrêt commenté au motif que cela constitue une voie intéressante pour responsabiliser les éleveurs dans le choix de leurs reproducteurs. L'argument peut être entendu. Les différentes sociétés câlines et félines sont d'ailleurs totalement conscientes de la nécessité de sélectionner intelligemment les reproducteurs pour éviter le développement des maladies génétiques les plus fréquentes dans telle ou telle race. Il existe dans les différents studbooks des systèmes de classement des maladies génétiques les plus fréquentes et les mieux connues, donc justement la dysplasie, dans l’objectif d’éviter leur transmission. Des tests génétiques concernant les maladies les plus courantes sont disponibles. Beaucoup d’éleveurs les utilisent. Pour la dysplasie, ces résultats apparaissent dans les livres généalogiques. De manière générale, les bons professionnels sont favorables à la mise en place de bonnes pratiques, mais celles-ci ne peuvent en aucun cas aboutir à éradiquer les maladies génétiques.

Plutôt que de faire porter à l’ensemble des éleveurs le poids de tous les risques génétiques, ne vaudrait-il pas mieux encourager les bonnes pratiques en employant des outils juridiques plus ajustés permettant de distinguer le bon gré, de l’ivraie, autrement dit les éleveurs qui font les efforts nécessaires et ceux qui ne prennent de la peine de les faire.

De tels outils existent, l'on songe au dol ou à l'obligation précontractuelle de renseignement. Pour s’en tenir à cette dernière, observons que tel qu’il résulte de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, l’article 1112-1 du code civil al. 1 dispose que : « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Les parties ne peuvent ni exclure, ni limiter ce devoir9. Le manquement à ce devoir peut outre, la responsabilité de la partie défaillante, peut constituer une réticence dolosive et entrainer l’annulation du contrat. Cela permettrait de sanctionner l’éleveur ayant vendu un chien sans porter à la connaissance de l’acheteur que certains de ses ascendants étaient atteint de dysplasie.

Lorsque le contrat est conclu entre un professionnel et un consommateur, ce dernier peut se placer sur le terrain de l'article L. 111-1 du code de la consommation lequel met à la charge du vendeur professionnel une obligation plus détaillée d’information sur les caractéristiques essentielles du bien10. Compte tenu des efforts des sociétés canines, de l’existence d’éleveurs consciencieux que d’autres, de la multiplication des tests de dépistage, il peut être raisonnablement soutenu que les maladies génétiques les plus connues et raisonnablement détectables peuvent faire partie des caractéristiques du bien. Il est tout à fait possible d’admettre que l’obligation d’information s’étende au risque élevé de développement d’une maladie d’origine génétique. Il peut s'agir d'un risque lié à une race ou lié aux origines des reproducteurs ou résulter de la conjonction des deux.

Dans les deux cas, la charge de la preuve de la délivrance des informations repose sur le vendeur11.

Les sanctions du manquement du professionnel à son devoir d’information dans la phase précontractuelle sont tout aussi satisfaisantes que celles fondées sur une mauvaise exécution du contrat (dommages et intérêts et résolution) . Sa responsabilité civile délictuelle pourra être engagée, ce qui le conduira à devoir réparer le préjudice subi par l’acheteur. Dans le silence du code de la consommation, la question était discutée de savoir si la méconnaissance de cette obligation pouvait aussi entrainer l’annulation du contrat. La première chambre civile l’a confirmé par une décision publiée : « Il résulte de la combinaison de l'article L. 111-1 du code de la consommation, qui n'assortit pas expressément de la nullité du contrat le manquement aux obligations d'information précontractuelles qu'il énonce, et de l'article 1112-1 du code civil, qu'un tel manquement du professionnel à l'égard du consommateur entraîne néanmoins l'annulation du contrat, dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants du code civil, si le défaut d'information porte sur des éléments essentiels du contrat »12.

Se placer sur ce terrain de l’obligation d’information constitue une solution moralisatrice. Elle permet d’éviter d’engager systématiquement la responsabilité de l’éleveur dont l’animal, présenté en bonne santé au moment de la vente, révèlera ultérieurement une maladie génétique alors même que celle-ci n’avait qu’une faible probabilité de se développer tout en sanctionnant les professionnels peu scrupuleux. Ces derniers peuvent être des éleveurs n’ayant pas pratiquer les tests génétiques facilement accessibles ou ayant laissé se reproduire des animaux avec une forte probabilité de transmission d’une maladie à leur descendance. Cela permettrait aussi de sanctionner ceux qui n’ont pas suffisamment attiré l’attention des acheteurs sur la présence dans certaines races d’une maladie génétique récurrente et dont l’apparition est très probable ainsi que sur les conséquences qu’elle pourrait avoir sur la vie de l’animal.

C.H.

 

Le critère du cheval « raisonnable » ou la transposition à l’animal d’un standard humain (Cour d'appel de Riom, 18 mars 2025, n° 23/00791)

Mots clefs :  Contrat d’entraînement ; obligation de moyens ; appréciation in abstracto de la faute contractuelle

 

Peut-on prêter à un animal un caractère raisonnable ? C’est à cette vaste question que la Cour d’appel de Riom, dans un arrêt confirmatif du 18 mars 2025 a choisi de répondre positivement, sans doute sans mesurer pleinement les conséquences de ses motifs.   

L’affaire démarre assez classiquement pour qui s’intéresse au droit équin : monsieur S. achète un cheval de race trotteur, nommé Irish Whisky en novembre 2020 pour la somme de 1.200€. Au moment de l’achat, le cheval n’avait que deux ans. Un an plus tard, le 14 septembre 2021, le cheval ayant atteint l’âge de 3 ans, son propriétaire le confie à un entraîneur, monsieur B., en vue de son et de son éducation et de son débourrage, c’est-à-dire afin de l’habituer à porter selle et cavalier.

Trois semaines après sa mise au travail, soit le 8 octobre 2021, le cheval se blesse lors d’une sortie montée en forêt ; malgré les soins vétérinaires prodigués, une expertise amiable ultérieure constate des séquelles sur le cheval et se prononce négativement sur la suite de la carrière sportive d’Irish Whisky.

Monsieur S. assigne alors l’entraîneur en paiement, afin de voir son préjudice réparé mais le tribunal judicaire de Moulins ne perçoit aucune faute dans le comportement du professionnel. En appel, le propriétaire lésé maintient l’idée selon laquelle l’entraîneur a bel et bien commis une faute en emmenant Irish Whisky dans la forêt, soit dans un cadre non sécurisé, alors que le cheval n’était pas encore débourré et que le dressage du cheval n’avait commencé que depuis trois semaines.  

De son côté, l’entraîneur nie toute faute lui incombant : la race Trotteur français d’Irish Whisky est réputée pour sa précocité et il n’était ni prématuré, ni imprudent de l’emmener est en forêt le jour de la survenance de cet accident.

La cour d’appel de Riom se voyait donc confier la mission d’analyser le contrat liant les parties et d’indiquer si, dans le cadre de son contrat, une faute contractuelle avait été commise par le professionnel. Elle répond donc en deux temps, confirmant sur ces deux points le jugement du tribunal judiciaire ; d’une part elle qualifie la convention de contrat d’entraînement ; d’autre part elle décide qu’au regard de ses obligations, l’entraîneur n’a commis aucun manquement « dans la mesure où le cheval (…) était déjà âgé de plus de trois ans et

sept mois, ce qui équivaut à un âge où il était censé être déjà débourré » et que par ailleurs, reprenant l’argumentaire de l’intimé, « cette race de cheval Trotteur français est réputée pour sa précocité ». Au regard donc du cheval moyen qu’aurait dû être Irish Whisky selon son âge et sa race, aucune imprudence ne peut être relevée dans le comportement de l’entraîneur.

Les deux temps du raisonnement de la juridiction d’appel méritent quelques observations, même si le premier, relatif à la qualification du contrat d’entraînement, est beaucoup moins original que le second.

1/ Quant à la nature du contrat liant les parties, les juges déduisent de la convention orale des parties, mêlant pension et travail du cheval, qu’il s’agit d’un contrat d’entraînement.

La cour rappelle que ce contrat combine les dispositions législatives relevant du contrat de dépôt rémunéré et du contrat d'entreprise, point qui doit être approuvé.

En revanche, la Cour poursuit en indiquant que « le dépositaire et opérateur d'entreprise n'est tenu que d'une obligation de moyens quant à la sécurité de l'animal en cas de perte ou d'amoindrissement de celui-ci pendant le dépôt pensionné ou à l'occasion des phases d'éducation et d'entraînement équins ». La cour n’envisage donc qu’une simple obligation de moyens globale, sans prendre en compte la mixité du contrat d’entrainement. De jurisprudence constante pourtant, l’obligation de moyens n’est pas la même suivant que l’on examine les obligations découlant du dépôt ou celles résultant du contrat d’entreprise13. Le dépôt appelle la mise en œuvre d’une obligation de moyens renforcée du professionnel alors que le contrat d’entreprise n'est soumis qu’à une obligation de moyens simple. Cette nuance modifie la charge pesant sur le propriétaire qui a confié son animal : si le dommage causé survient dans le cadre du contrat de dépôt, c’est au dépositaire de prouver son absence de faute alors que si le dommage intervient en cours d’exécution du contrat d’entreprise, c’est au déposant de démontrer la faute du professionnel.

Certes, l’application de ces règles distributives n’est pas toujours aisée et peut conduire à tracer des frontières artificielles pour distinguer ce qui relève du dépôt - et donc de l’entretien de l’animal - de ce qui fait partie au contraire de son éducation. Cette distinction est cependant utile puisqu’elle renforce les obligations des professionnels s’agissant des soins à apporter à l’animal dans le cadre de son hébergement, son alimentation et ses soins quotidiens, essentiels à son bien-être.

Il est vrai que les parties ne contestaient pas que l’accident était survenu lors d’une séance d’entraînement, rendant peut être inutile le fait de s’attarder sur l’exécution du contrat de dépôt et l’existence d’une obligation de moyens renforcée. Mais en indiquant que le professionnel n’est débiteur « que » d’une obligation de moyens tant dans le cadre du dépôt que dans celui de l’entreprise, la Cour d’appel jette le trouble sur la dualité de l’obligation de moyens dans le contrat d’entraînement, pourtant acquise et opportune.

Une fois posée l’obligations de moyens simple résultant du contrat d’entreprise, la Cour d’appel estime que la charge de la preuve d’une faute de l’entraîneur incombe au propriétaire d’Irish Whisky.

2/ La faute contractuelle résultait pour ce dernier d’un manque de progressivité dans l’entraînement de son cheval, au travail depuis trois semaines seulement lors de l’accident survenu en forêt, lors d’une séance en terrain moins sécurisé que peuvent l’être une carrière ou un manège. Avec un cheval encore non débourré, peut-être n’était-il en effet pas judicieux de s’éloigner des écuries, sur un parcours inconnu du jeune cheval.  La cour d’appel n’adhère pas à ce raisonnement et décide qu’aucune faute de l’entraîneur n’est établie au regard des circonstances de l’accident. Elle relève notamment que le cheval étant âgé de 3 ans et 7 mois au moment de son débourrage, cela « équivaut à un âge où il était censé être déjà débourré ».

On peine à comprendre : puisque le contrat de dressage avait été conclu en vue du débourrage du cheval, cela signifie qu’il était justement dans une phase d’apprentissage et que précisément, son débourrage n’était pas acquis. L’âge du cheval importe alors bien peu ; pourrait- il avoir 18 ans que, si un cheval ne connaît ni la selle ni le cavalier, ce n’est le nombre des années qui les lui fera apprendre. On ne peut pas déduire d’un âge une compétence qui n’a rien de naturelle ni d’instinctive. Si personne n’apprend à un enfant à lire, le fait d’avancer en âge ne lui fera pas acquérir cette compétence.  Ainsi, la cour d’appel cale son raisonnement sur les capacités d’un cheval moyen, qui, de manière générale, est débourré à l’âge de 3 ans.

Elle en déduit qu’Irish Whisky ayant 3 ans et 7 mois, il aurait dû être débourré et donc implicitement savoir se comporter en extérieur en conservant calme et sérénité. Elle ajoute, poursuivant sa logique, qu’il s’agit en plus d’un cheval de race Trotteur français, réputée pour sa « précocité » ! En somme, tout trotteur moyen de trois ans est prêt à partir en promenade avec un cavalier sur le dos sans même être débourré : l’âge et la race le disent. Partant, il n’était pas imprudent de la part de l’entraîneur d’avoir procédé ainsi et aucune faute ne peut lui être reprochée.  

En se référant à un standard abstrait, la Cour procède à une analyse in abstracto de la situation. Certes, la faute s’apprécie souvent par référence au comportement d’une personne raisonnable ; ce n’est donc pas en elle-même l’appréciation in abstracto qui surprend, c’est à qui elle est appliquée. On aurait pu comprendre que le comportement de l’entraîneur s’analyse par rapport à tout autre entraîneur équin moyen mais ce n’est pas ce que fait la Cour : elle applique le critère du raisonnable au cheval.  En fonction de son âge et de sa race, on ne pouvait s’attendre légitimement à un accident. Voilà le standard du cheval raisonnable qui apparaît ! et qui prive le propriétaire d’un cheval déraisonnable de toute indemnité puisqu’aucune faute ne peut être mise à la charge du professionnel.

Cette décision de la Cour d’appel de Riom appelle plusieurs niveaux de réflexion.

Juridiquement d’abord, aucun texte n’imposait au juge d’opter pour une interprétation in abstracto ou in concreto, comme ce peut parfois être le cas. Prenons pour exemple l’article 1188 du Code civil selon lequel « Le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ». Ce texte prévoit expressément une interprétation in abstracto.  En l’espèce, sans texte particulier pour le guider en termes d’interprétation, le juge disposait d’un choix entre approche objective et subjective du contrat. Il aurait pu en effet s’intéresser subjectivement aux caractéristiques spécifiques de l’entraînement mis en place, aux connaissances et à l’expérience de l’entraîneur, aux séances de travail déjà réalisées dans le cadre du contrat, aux méthodes employées. Ce qui est déroutant, c’est que le juge crée un deuxième niveau d’analyse. Ce n’est plus le contrat qui bénéficie d’une interprétation objective ou subjective mais son objet c’est-à-dire l’animal. C’est lui dont le comportement va pouvoir faire l’objet d’une appréciation in concreto ou in abstracto. Soit le juge s’intéresse spécifiquement au tempérament du cheval, à ses signes éventuels d’anxiété durant l’exécution du contrat, ses difficultés physiques ou physiologiques, soit il se contente d’appliquer un standard, ce que fait ici la Cour d’appel de Riom.

Il n’y a bien que l’animal pour faire bouger ainsi l’interprétation des manquements contractuels. Aucun autre objet de convention n’est en effet en mesure de se voir appliquer un raisonnement in concreto ou in abstracto.

Philosophiquement ensuite, cette transposition d’un raisonnement conçu pour l’humain à l’animal est particulièrement déconcertante. C’est en effet à la personne que l’on prête un comportement moyen, une attitude dite standard. Cet élan d’anthropomorphisme démontre que le chemin est encore long pour que l’on s’intéresse véritablement à l’être animal. Dans un autre sens, cela peut également signifier que l’animal est si près de l’humain que l’on réfléchit automatiquement pour lui comme pour nous.

Équestrement enfin, si l’on vous propose de monter en forêt un cheval de race trotteur de 3 ans et 7 mois en vous expliquant qu’en raison de son âge, il devrait en principe être débourré, et que de toutes façons vous pouvez vous fier à la précocité de la race, ne montez pas…fuyez !

K.G.

  • 1 Ce certificat est désormais imposé par l’article L. 214- 8 du code rural et de la pêche maritime en cas de vente de chiens et de chats.
  • 2 La dysplasie coxo-fémorale fait partie de la liste des vices rédhibitoires du chien de l’article R. 213-2 du code rural et de la pêche maritime.
  • 3 Art. 515-14 du code civil.
  • 4 Ch. Hugon, L’animal et les contrats spéciaux ou le Droit dérangé par l’animal in Ranger l’animal ou l’impact de la norme en milieu contraint II, éd. Victoires, 2015.
  • 5 Dans sa thèse soutenue en 2004 à Mason Alfort, Principales maladies héréditaires ou présumées héréditaires dans l’espèce canine, Karen Charlet évoque le chiffre de 300 maladies. En 2025, la rédaction scientifique du site Monvet donne des chiffres encore plus élevés soit 600 troubles génétiques chez le chien et plus de 300 chez le chat. En 2023, la thèse de Margaux Nespola. Les panels de tests génétiques canins et félins commercialisés évoque en moyenne 250 des caractères d’intérêts et maladies génétiques chez le chien et 75 chez le chat (p.139).
  • 6 Drs Alex Gough et Alison Thomas, Prédispositions raciales et maladies héréditaires du chien et du chat, éd. Medcom.
  • 7 Margaux Nespola. Les panels de tests génétiques canins et félins. Sciences du Vivant [q-bio]. 2023.
  • 8 Dumas-04410517, p.69. Civ. 1re, 9 déc. 2015, n° 14-25.910, F-P+B, RSDA 2015, n°1, note K. Garcia, p.48, D. 2016. 360, note S. Desmoulin-Canselier, 566, obs. M. Mekki, 617, obs. E. Poillot, et 1779, obs. L. Neyret ; RTD civ. 2016. 356, obs. H. Barbier, RTD com. 2016. 179, obs. B. Bouloc.
  • 9 Art. 1112-1 al. 5 du code civil.
  • 10 N. et Y. Picot, Droit de la consommation, Sirey, collection Université, 2023, n°251, p. 224.
  • 11 L. 111- du code de la consommation et de manière plus nuancé, l’art 1112-1 du code civil « Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. »
  • 12 Civ. 1re, 20 déc. 2023, n° 22-18928, D. 2024. 404, note J.-D. Pellier, et 650, obs. N. Sauphanor-Brouillaud ; RTD civ. 2024. 92, obs. H. Barbier.
  • 13 En ce sens Civ. 1re, 3 juill. 2001, n° 99-12.859, Bull. jur. IDE n° 24, déc. 2001 et plus généralement sur cette question : L. BESSETTE, C. BOBIN et B. DE GRANVILLIERS, “Le contrat d'entraînement du cheval athlète : qualification juridique et responsabilité”, AJ Contrat 2017, p. 323
 

RSDA 1-2025

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