Une prise en considération effective des êtres vivants « ignorés »(1) de l’Océan
Marine Calmet et François Sarano, Justice pour l’étoile de mer – vers la reconnaissance des droits de l’Océan, Editions Actes Sud, Arles, 2025, 90p., 12 euros.
Si l’ensemble de l’ouvrage faisant ici l’objet d’une présentation est extrêmement instructif il ne fera cependant pas l’objet de cette chronique. Seules les parties consacrées spécifiquement au droit des animaux, en l’espèce aux animaux marins, feront l’objet de ladite présentation.
« Justice pour l’étoile de mer » est un ouvrage qui se prête particulièrement bien à une chronique en ce mois de juin 2025 au cours duquel s’est tenu un évènement dédié à l’avenir de l’Océan : la Conférence de Nations Unies sur l’Océan, 5 jours durant lesquels divers acteurs se sont retrouvés à Nice pour penser l’action future destinée à préserver l’Océan et ses « ressources »2.
L’ouvrage prend essentiellement la forme d’une discussion entre Marine Calmet, juriste spécialisée dans l’étude des « droits de la nature »3, et François Sarano, océanographe, plongeur, explorateur, auteur et participant à différents documentaires relatifs entre autres choses à la protection de cette immense étendue qu’est l’Océan et de ses occupants4.
D’accessibilité certaine, ce livre se décompose en 5 parties en plus d’une annexe contenant une Déclaration des droits de l’Océan. Les diverses parties sont pour leur part dédiées notamment au droit prospectif – droits pour l’Océan, droits pour les vivants animaux vivant dans celui-ci – mais encore à des explications relatives à l’écosystème marin ou bien au lien pouvant unir appréhension juridique des animaux marins et survie de l’espèce humaine.
« Les droits […] doivent protéger et être adaptés à tous les individus conformément à leurs caractéristiques, leurs processus vitaux, leurs cycles de vie […] qui différencient chaque espèce »5.
Fruit d’un travail interdisciplinaire, union du droit et de la science, l’ouvrage en l’espèce présenté s’ouvre sur une explication de l’intérêt qu’il y a, peut-être plus encore aujourd’hui, à se pencher sur l’avenir juridique de l’Océan et de sa population. Les auteurs, expliquant ainsi que les destins de cette immensité et de son peuple d’une part et de l’humanité d’autre part sont entrelacés6, démontrent l’urgence d’agir dans l’optique d’améliorer notablement la protection de ce milieu à l’échelle mondiale.
Marine Calmet expose clairement et rapidement lors de l’échange retranscrit avec François Sarano la particularité du système juridique français – notamment – qui conduit à une appréhension des entités vivantes autres qu’humaines permettant leur utilisation de façon plus ou moins absolue, davantage encore lorsque l’être se retrouve classé dans la catégorie juridique des « res nullius », favorisant leur exploitation et leur protection relative7. Cette appréhension divergente des animaux selon leur considération par l’humain et la place qui leur est octroyée à ses cotés n’a pas lieu d’être sur le plan scientifique tel que le souligne Monsieur Sarano. Chaque être, chaque espèce, est considéré8. Il n’existe pas de hiérarchisation contrairement à ce qui fut mis en place par les normes. Proposer un ouvrage interdisciplinaire mêlant droit et science est ainsi d’autant plus intéressant car cela permet cette mise en exergue de la subjectivité du droit lorsqu’il porte sur l’autre, sur le vivant non humain.
Mettant en avant les particularités qui marquent également le droit de l’environnement9, les deux auteurs permettent aux lecteurs de constater une nouvelle fois les lacunes juridiques en termes de protection des êtres et espèces qui vient dépendre, dans le cadre de cette branche du droit public, de l’intérêt humain et non pas de l’existence même de chaque individu.
Afin de palier ces lacunes du système mais encore, plus globalement, pour mieux préserver les écosystèmes, interdépendances, espèces et individus, il est alors proposé de le repenser. Mettant alors en exergue l’adaptabilité des normes10, Madame Calmet explique de manière claire et illustrée qu’une modification du système juridique en faveur des entités jusque-là non bénéficiaires de droits est alors tout à fait envisageable par analogie à ce qui a déjà pu être intégré à ce système11. Qu’ainsi, l’élaboration d’un nouveau statut et d’un nouveau régime juridique au profit de « l’étoile de mer » devenant alors titulaire de droits semble effectivement possible12.
Et, s’il est alors bien évoqué une possibilité de création de droits au profit de « l’étoile de mer », les auteurs ne manquent pas de procéder à la distinction entre droits octroyés aux animaux et droits octroyés à la nature qui, pour leur part, ont déjà pu être expressément consacrés au sein de quelques Etats13.
Conclusion
La lecture de cette œuvre de l’esprit, ouvrage court et accessible, pourrait presque aujourd’hui être considérée comme nécessaire. Il permet en effet de se familiariser simplement et rapidement avec les questions qui touchent au droit de l’environnement, à la biologie, et plus particulièrement au fonctionnement des écosystèmes marins, à l’adaptabilité des normes, ou bien encore au lien unissant humains et non humains. Il constitue enfin une porte d’entrée, pour tous, à la réflexion portant sur la subjectivisation de l’Autre, du vivant non humains, entité naturelle ou entité animale.
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1=Voir : p.60. Toute mention de numéro de page en note de bas de page sans référence à un ouvrage signifie qu’il s’agit de page(s) contenue(s) dans l’ouvrage ici présenté.
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3ème Conférence des Nations unies sur l’Océan Nice, Juin 2025 - S’engager ensemble pour une gestion durable de l’océan, https://unocnice2025.org/.
Notamment Présidente de l’association Wild Legal.
Voir notamment parmi ses ouvrages : SARANO F., Au nom des requins, Editions Actes Sud, Arles, 2022, 303p. SARANO F. et SCHAUB C., Réconcilier les hommes avec la vie sauvage, Editions Actes Sud, Arles, 2020, 224p.
Voir : p.62, citant un extrait de jurisprudence rendue en 2022 par la Cour Suprême d’Equateur.
Voir : p.14-16.
Voir : p.28-29.
Voir : p.31-32.
Voir : p.40-42.
Voir : p.59.
Voir : p.59, au sein de laquelle la juriste explique que droits et devoirs peuvent être indépendants et qu’il en est notamment ainsi pour la personne « atteinte de démence ». Il semble néanmoins important de souligner que, même dans une moindre mesure, toute personne physique quelle que soit sa condition – mineur, majeur, majeur incapable sur le plan juridique - est bénéficiaire de droits et à la fois soumise à des obligations (la responsabilité civile concerne ainsi depuis une trentaine d’années même le mineur en bas âge).
Voir : p.60.
Voir : p.60-63.