Zoopolis ou comment instaurer un « vivre-ensemble » optimal entre animaux
Sue Donaldson et Will Kymlicka, Zoopolis - Une théorie politique des droits des animaux, Editions Hermann, Paris, 2025, 418p., 27 euros
En ce début d’année 2025 fut réédité ce qu’il serait possible de qualifier de classique de la littérature juridico-philosophico animalière : Zoopolis, Une théorie politique des droits des animaux. Les auteurs, Sue Donaldson et Will Kymlicka, ont grandement œuvré par le biais de cet écrit à faire connaitre au grand public le droit des animaux, appréhendé en l’occurrence davantage sous l’angle de la philosophie politique.
Plus précisément, ce sont la justice et l’organisation optimale des relations qui sont au cœur de la réflexion proposée par les auteurs.
L’ouvrage se décompose en 6 grands thèmes – tels que consacrés à l’élaboration de droits bénéficiant à l’intégralité des animaux ou bien encore à la particularité caractérisant les animaux dits « liminaires » - consacrés à la possibilité d’octroi de droits à l’animal selon la relation l’unissant à l’être humain et la qualification pouvant lui être attribuée en tant qu’individu animal.
A cet ouvrage et ces questionnements se trouve adjointe une préface rédigée par la chercheuse française Corine Pelluchon autrice de nombreux écrits1 relatifs notamment à cette question qu’est l’octroi de droits à d’autres êtres que ceux appartenant au genre humain.
Cet ouvrage - œuvre centrale de la bibliothèque « animaliste » - étant déjà bien connu, il ne s’agira donc pas ici de rentrer dans le détail de la recherche réalisée par Sue Donaldson et Will Kymlicka mais bien davantage de proposer une synthèse, rapide, des grandes idées qui y sont mises en exergue par les auteurs.
I - Des droits pour tous
Le premier thème de réflexion proposé par les auteurs est consacré à la possibilité d’octroi de droits à l’ensemble des animaux non humains2.
Leur vulnérabilité commune de même que les caractéristiques sensorielles – les deux chercheurs basant leur réflexion sur la qualification d’être sentient renvoyant à l’existence d’une vie à la fois physique et mentale - et besoins primaires que chacun possède exigent, selon les auteurs, d’octroyer en effet à l’ensemble des animaux des droits « universels » afin de satisfaire au mieux les dits besoins et de les préserver des diverses atteintes susceptibles de les affecter.
Les droits pensés par Sue Donaldson et Will Kymlicka sont tantôt positifs tantôt négatifs en cela qu’ils accordent soit une possibilité de jouir d’un droit de façon immédiate tel qu’ici celui de bénéficier de la justice destinée à préserver les intérêts des êtres à l’instar de ce dont disposent les Hommes, soit une protection « à l’encontre de », telle la propriété ou bien encore la torture. L’objectif final étant l’instauration d’une communauté d’êtres dont les intérêts sont considérés et protégés par des droits inviolables.
Recourant à un vocabulaire clair, détaillant différents arguments avancés dans la cadre de la TDA – Théorie des Droits des Animaux - par divers chercheurs et ouvrages et illustrés d’exemples multiples3, ce premier chapitre constitue une entrée en matière particulièrement intéressante et adaptée à tout public, profane comme expérimenté.
II – De nouveaux citoyens
Par le prisme privilégié de la notion de citoyenneté, les auteurs proposent en outre une réflexion quant au lien pouvant unir droits octroyés aux animaux et place qu’ils occupent auprès des humains4. L’identification des différents types de relations unissant ces êtres est au cœur de la théorie de la citoyenneté car d’elle dépend alors la pensée d’une nouvelle forme de communauté plus respectueuse des intérêts de chacun de ses membres.
Ils y expliquent ainsi, et notamment, qu’aux droits pouvant être qualifiés d’universels s’adjoignent des droits spécifiques détenus en tant qu’individu citoyen, qu’une remise en question du droit de propriété affectant l’animal peut découler de la mise en place d’une citoyenneté animale, qu’une relation de dépendance unit chaque animal à l’humain de manière plus ou moins directe et qu’alors cela influe sur le degré de vulnérabilité de chacun et de ce fait sur les droits et responsabilités pouvant être instaurés à l’avenir pour une communauté de vivants animaux plus équilibrée.
C’est en outre en se focalisant davantage sur les animaux pouvant être qualifiés de domestiques – les seuls selon les deux chercheurs à pouvoir bénéficier de la citoyenneté du fait de leurs facultés relationnelles, communicatrices vis-à-vis de l’Homme et d’action - que les auteurs démontrent tout l’impact que la théorie de la citoyenneté peut avoir sur la vie quotidienne de l’être animal5 - d’un point de vue de la santé, de l’alimentation de l’animal domestique ou bien encore par exemple du travail de l’animal. Ils y mettent en exergue le fait notamment que l’approche citoyenne peut être à l’origine de l’instauration d’un nouveau type de relation à l’autre, dépourvu ou du moins plus faiblement marqué par des iniquités et de la domination.
III – La place de l’animal « liminaire » dans la TDA : la Cité « occupée » par l’animal sauvage
Tel que l’expliquent Sue Donaldson et Will Kymlicka, aux cotés des animaux domestiques et des humains vivent des animaux appartenant à la catégorie des animaux sauvages, au sein même de la communauté mais néanmoins distants dans leurs facultés relationnelles et de communication – les rats, les moineaux, les écureuils parfois. Ce sont les « animaux liminaires »6.
Ce groupe d’animaux fait l’objet d’une réflexion particulière par les auteurs. Ainsi, au travers de leur sixième chapitre les chercheurs ont pu considérer que ces individus devaient être appréhendés non comme des citoyens mais des résidents.
Cette qualification caractériserait alors une relation d’interdépendance moins marquée que celle unissant animaux domestiques et humains, dont découle alors un nombre de droits – ainsi que des responsabilités à leur égard – moins élevé. Il s’agirait davantage d’une relation d’adaptation à sens unique : des animaux liminaires envers les humains et leur environnement mouvant si rapidement.
Afin de garantir à ces individus liminaires une meilleure protection, davantage de justice dans leur relation à l’autre, les auteurs ont alors pensé un statut d’animal résident. Selon les auteurs cela permettrait de s’adapter au mieux aux spécificités du lien unissant les êtres concernés et de leur octroyer quelques droits protecteurs spécifiques : celui de pouvoir vivre de façon sereine dans la communauté, celui de pouvoir satisfaire leurs besoins primaires – exemple pris en l’occurrence notamment de la relation prédateur/proie – et enfin celui de ne pas subir d’atteintes non strictement juridiquement contrôlées de par la modification de l’environnement par l’humain.
IV – Des animaux sauvages « souverains » : réduire l’emprise humaine directe et indirecte pour garantir une coexistence paisible
Enfin, les animaux sauvages qui n’évoluent pas au sein même de la communauté des citoyens ne sont pas oubliés. Un statut spécifique est créé pour eux au sein de l’ouvrage ici présenté : celui d’animal sauvage souverain7.
Il en résulte un affranchissement de la prise en considération des facultés de chaque être, un droit pour chacun de ces animaux sauvages d’évoluer librement sur le territoire qu’ils occupent et dont ils ont besoin pour satisfaire leurs différents besoins – faisant ainsi référence à la notion de souveraineté, et, enfin, une unique intervention de l’humain vis-à-vis des ces êtres dans le dessein d’assurer une réduction des risques auxquels ils peuvent être exposés au cours de leur existence (pollution, changement climatique, réduction de l’espace de vie du fait du développement humain avec l’artificialisation des zones naturels, etc.). L’assistance directe à l’animal sauvage souverain n’étant pour sa part envisagée que dans des cas particuliers tels que le réensauvagement ou bien le soin dans des centres de sauvegarde de la faune sauvage et autres structures adaptées.
Conclusion
La recherche réalisée est tout particulièrement intéressante en cela qu’elle propose une nouvelle TDA allant au-delà de celle consistant généralement à penser des droits pouvant être octroyés aux animaux non humains sans nécessairement aller plus loin en termes de conséquences et de réflexion quant aux implications relationnelles avec l’humain et les autres individus animaux. Rééquilibrer ces relations par le biais de l’insertion du concept de justice dans la TDA présentée et prendre en compte l’interdépendance relationnelle entre espèces sont au cœur de cette thèse particulièrement novatrice pour la fin des années 2000.
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Voir par exemple : Pelluchon C., Manifeste animaliste – Politiser la cause animale, Éditions Payot rivages, Paris, 2021. Pelluchon C., Éléments pour une éthique de la vulnérabilité – les hommes, les animaux, la nature, Éditions du Cerf, Paris, 2011.
« Des droits universels de bas pour les animaux », Première partie, chapitre 1 de l’ouvrage Zoopolis.
Il importe toutefois de souligner que des analogies avec des situations humaines sont régulièrement réalisées tout au long de l’ouvrage afin de construire l’argumentation présentée en l’espèce au sein de la recherche.
Voir pour une explication de la théorie de la citoyenneté : chapitre 2 de l’ouvrage Zoopolis.
Voir sur ce point : chapitre 4 « Les animaux domestiques citoyens » de l’ouvrage Zoopolis.
Voir : chapitre 6 « Les animaux liminaires résidents » de l’ouvrage Zoopolis.
Voir : chapitre 5 « La souveraineté des animaux sauvages » de l’ouvrage en l’espèce étudié.