Actualité juridique : Jurisprudence

Droit sanitaire

Responsabilité de l’État du fait de l’absence totale de contrôle des services vétérinaires d’un élevage intensif de 8000 porcs pendant 34 ans, note sous TA de Clermont-Ferrand, 23 janvier 2025, n° 2202707, Association L214

Mots clés : responsabilité administrative – carence des services vétérinaires – mission de contrôle et de surveillance des exploitations agricoles – bien-être animal

 

1 - Le juge administratif de Clermont-Ferrand, par un jugement du 23 janvier 2025, a jugé l’État responsable d’une carence fautive des services vétérinaires dans ses missions de contrôle et de surveillance d’une exploitation agricole. L’élevage de porcs qui comprend près de 8000 individus n’a jamais été contrôlée en 34 ans, alors que ses pratiques constituent des manquements à la réglementation en matière de protection animale. Le juge administratif a condamné l’État à verser une indemnité de 4000 euros à l’association L214 pour préjudice moral.

2 - La diffusion d’une vidéo réalisée dans les locaux d’un élevage de porcs par l’association L214 visait à alerter le public et les services de l’État sur les différents manquements commis par l’exploitant en matière de bien-être animal. L’association ne s’en est pas tenue à cette diffusion et a saisi le juge administratif d’un recours en plein contentieux pour obtenir réparation du préjudice subi. Il était bien question, devant le tribunal administratif, d’interroger la responsabilité des services de l’État, et plus particulièrement des services vétérinaires placés sous l’autorité du préfet de département (Allier), et non celle de l’exploitant.

3 - Il faut remarquer que l’exploitation a, par jugement du tribunal judiciaire de Moulins du 6 avril 2022, a été reconnue coupable de :

- privation de nourriture ou d’abreuvement d’animal domestique ou d’animal sauvage, apprivoisé ou captif ;

- mauvais traitement envers un animal placé sous sa garde par personne morale exploitant un établissement détenant des animaux ;

- placement ou maintien d’animal domestique ou d’animal sauvage apprivoisé ou captif dans un habitat, environnement ou installation pouvant être cause de souffrance.

Toutefois, la Cour d’appel de Riom, dans un arrêt du 26 avril 2023, a relaxé l’exploitation du délit de mauvais traitement envers un animal placé sous sa garde par personne morale exploitant un établissement détenant des animaux pour les faits de caudectomie systématique des porcelets.

4 - À la suite de l’instruction, le juge administratif a constaté que l’exploitation avait commis cinq manquements à la réglementation sur la protection animale. D’abord, il constate la réalisation de caudectomies systématiques des porcelets leur première semaine de vie sans anesthésie. En effet, en l’absence de matériaux manipulables autres que des chaînes suspendues en quantité suffisante, alors que leur présence est pourtant imposée par un arrêté de 20031, les porcs ont tendance à s’adonner à la caudophagie, c’est-à-dire à manger la queue des uns et des autres. Pour faire face à cette déviance de leur comportement, qui est propre à la conduite d’un élevage intensif2, la queue des porcelets est coupée. L’instauration systématique de cette pratique est pourtant interdite3. Bien que l’exploitant ait été relaxé à ce titre par la cour d’appel de l’infraction pénale de mauvais traitement, le juge administratif constate que ces faits sont établis et qu’il s’agit bien d’un manquement à la réglementation en vigueur. Il parvient à cette solution bien qu’un protocole d’arrêt de la caudectomie systématique et le suivi des actes de caudophagie aient été constatés par les services vétérinaires quelques mois plus tard.

5 - Ensuite vient le claquage des porcelets, qui consiste à percuter leur boîte crânienne sur une surface dure pour les tuer. Cette pratique peut entraîner une douleur extrême, particulièrement en cas de d’échec du geste. Or, la pratique d’un abattage hors d’un abattoir ne peut intervenir que dans des cas limités, notamment « pour les animaux blessés ou atteints d’une maladie entraînant des douleurs ou souffrances intenses, lorsqu’il n’existe pas d’autre possibilité pratique d’atténuer ces douleurs ou souffrances »4. En pratiquant l’abattage de façon systématique pour des porcelets « estimés non viables », l’exploitant méconnaît les règles de protection animale. Il est possible d’ajouter qu’il existe une liste limitative des procédés d’abattage autorisés5 et que le claquage des porcelets n’en fait pas partie. En outre, la contention et l’étourdissement préalable à l’abattage sont obligatoires6 et une liste limitative est là aussi édictée7. Le juge administratif a donc constaté, à ce titre, le manquement à la réglementation relative à la protection des animaux.

6 - Le manquement suivant consiste en un défaut d’abreuvement puisque les animaux ne disposaient pas d’un accès permanent à de l’eau fraîche. La rectification est intervenue dès le 11 mai 2021, à la suite de la visite des inspecteurs vétérinaires. 

7 - Certaines conditions d’hébergement étaient source de souffrances et de blessures. En effet, il est apparu que certaines zones de l’exploitation étaient recouvertes de caillebotis dont les trous étaient trop larges, les porcelets se coinçant alors les pattes dedans. Les sols qui n’étaient pas conformes à l’arrêté de 20038 ont été remplacés courant 2021.

8 - Enfin, le juge administratif a constaté un défaut de soin et d’isolement apporté aux animaux blessés ou malades. Il apparaît que lors du contrôle par les services vétérinaires, certains animaux étaient atteints de hernies et d’autres étaient apathiques. L’exploitant indique ne fournir aucun traitement individuel aux animaux, et les locaux ne sont pas aménagés afin de permettre l’isolement des animaux malades, ce qui constitue des manquements à l’obligation de soins et d’isolement des animaux blessés ou malades9.

9 - La requête de l’association L214 visait à démontrer que ces manquements traduisent l’existence d’une faute de la part des services vétérinaires qui ne les as pas décelés. Ainsi, le contrôle du respect de la réglementation visant à assurer le bien-être des animaux relève de la compétence des services vétérinaires. Cette obligation est imposée aux États par le règlement européen de 2017 sur les contrôles officiels10. Il est, à ce titre, requis des services vétérinaires, non seulement qu’ils effectuent des contrôles régulièrement et à une fréquence adaptée au risque de manquement à la réglementation, mais également qu’ils imposent des mesures de nature à faire cesser les manquements.

10 - En ce qui concerne les manquements des services vétérinaires antérieurement à la diffusion des vidéos par l’association L214, l’exploitant affirme que l’exploitation, créée en 1986, était contrôlée tous les trois ans environ. Les faits identifiés comme des manquements à la réglementation constituent selon l’exploitant des pratiques habituelles et n’ont jamais été identifiés comme tels par les précédents contrôles. Pourtant, la préfète de l’Allier a affirmé qu’aucun contrôle n’a jamais été réalisé dans cette exploitation et que cela est conforme à l’objectif annuel de la direction générale de l’alimentation qui impose la vérification de 1% des élevages par an. Pourtant, cela signifie que cette exploitation n’a jamais été contrôlée en 34 ans d’existence alors qu’elle pratique l’élevage intensif avec la présence d’environ 8000 porcs, ce qui crée un risque particulier de manquement aux règles de protection animale. Les caractères ancien et habituel des pratiques témoignent d’une faute des services vétérinaires dans la réalisation de leur mission de contrôle.

11 - À la suite de la diffusion de la vidéo, les services vétérinaires ont diligenté une inspection en décembre 2020, qui a donné lieu à une mise en demeure de l’exploitation de prendre les mesures correctives dans un délai d’un mois. Deux mois après le premier contrôle, un second contrôle intervient et permet de constater la résolution de certains manquements, comme l’installation d’un caillebotis et d’un système d’alimentation en eau fraîche. Sept mois plus tard, seules deux non-conformités mineures subsistent d’après les services vétérinaires qui ont réalisé un contrôle inopiné. La réactivité et la diligence des services vétérinaires sont soulignés par le juge administratif. Néanmoins, ce dernier constate également que la tolérance dont ont fait preuve les services vétérinaires pour la pratique du claquage des porcelets constitue une faute de nature à engager la responsabilité des services vétérinaires.

En raison de la carence fautive des services de l’État dans ses missions de contrôle et de surveillance des exploitations agricoles, le juge administratif le condamne à indemniser le préjudice moral subi par l’association L214.

  • 1 
  • Arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs, modifié.

  • 2 
  • H. VANDENBERGHE, « Caudophagie : influence des facteurs biologiques, génétiques et nutritionnels », La Semaine Vétérinaire n° 1548, 12 juill. 2013.

  • 3 
  • Chapitre 1 de l’annexe de l’arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs précité.

  • 4 
  • Article R. 214-78 du code rural et de la pêche maritime.

  • 5 
  • Article 4 de l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs, modifié.

  • 6 
  • Article R. 214-69 du code rural et de la pêche maritime.

  • 7 
  • Article 3 de l’arrêté du 12 décembre 1997 relatif aux procédés d’immobilisation, d’étourdissement et de mise à mort des animaux et aux conditions de protection animale dans les abattoirs, modifié.

  • 8 
  • Arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs, précité.

  • 9 
  • Arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux, modifié.

  • 10 
  • Article 9 §1 du règlement (UE) 2017/625 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2017 concernant les contrôles officiels et les autres activités officielles servant à assurer le respect de la législation alimentaire et de la législation relative aux aliments pour animaux ainsi que des règles relatives à la santé et au bien-être des animaux, à la santé des végétaux et aux produits phytopharmaceutiques, modifié.

 

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