Droit civil des personnes et de la famille
- Fabien Marchadier
Professeur de Droit privé et sciences criminelles
Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers (Institut Jean Carbonnier)
Le semestre écoulé confirme les difficultés d’interprétation de l’article 515-14 du Code civil. La jurisprudence se divise sur la portée de la reconnaissance de l’animal en tant qu’être vivant et sensible. Pur symbole, évolution ou révolution ? De nombreuses décisions révèlent un profond attachement à la tradition réificatrice. Elles ne se contentent pas de soumettre l’animal au régime des biens. Elles enferment l’animal dans la catégorie juridique des biens. Tant que la protection de l’animal ne décroit pas, cette perception de l’animal, en droit, pourrait n’avoir aucune importance. Ce serait pourtant négliger les enjeux de la qualification (sur ce thème, v. J.-P. Marguénaud, « Les enjeux de la qualification juridique de l’animal », in Colloque pluridisciplinaire L’animal, un homme comme les autres ?, Faculté de droit de Toulon, 18-19 novembre 2010)
I/ La relation homme/animal
1/ Varia sur la nature juridique de l’animal (Tribunal judiciaire de Tours, 26 février 2025, n° 24/02721 ; Tribunal judiciaire de Paris, 20 janvier 2025, n° 24/02481 ; Cour d’appel de Nîmes 24 avril 2025, n° 25/00520 ; Cour d'appel de Montpellier, 20 février 2025, n° 23/02174 ; Cour d'appel de Douai, 16 janvier 2025, n° 22/02111 ; Cour d'appel de Douai, 13 février 2025, n° 24/00352)
Mots-clés : article 515-14 du Code civil. – article 516 du Code civil. – article 528 du Code civil. – meuble par nature. – être vivant et sensible
Les décisions du semestre écoulé illustrent à quel point l’interprétation et à la portée de l’article 515-14 du Code civil sont indécises. L’animal fait-il toujours partie de la catégorie des biens, meuble par nature ou immeuble par destination ? Si oui, ses qualités d’être vivant et sensible ne le distingue-t-il pas de toutes les autres choses ? S’il demeure un bien, il est, à la lumière de l’article 515-14, un bien singulier, soumis des normes qui lui sont propres ou tout au moins à des normes interprétées de telle façon qu’elles se concilient avec sa singularité. Ou alors, ce texte a-t-il organisé l’extraction de l’animal de la catégorie des biens comme le soutiennent certains auteurs, au premier rang desquels Jean-Pierre Marguénaud (« Une révolution théorique : l'extraction masquée des animaux de la catégorie des biens », JCP G 2015, doctr. 305) ? Un meuble, plus qu’un meuble, un objet juridique inédit, qui ne serait plus un bien sans être pour autant devenu une personne (un centre d’intérêt tel que l’avait imaginé Gérard Farjat. – v. Entre les personnes et les choses, les centres d’intérêts, RTDCiv 2002. 221 – ?) ? La jurisprudence des juges du fond ne fournit aucune ligne claire. Aucune de ces trois interprétations n’est spécialement privilégiée. Chacune d’elle est représentée.
Le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Tours illustre la première approche. En écho aux explications fournies par Jean Glavany lors des débats qui ont précédé l’adoption du texte qui deviendra l’article 515-14 du Code civil (il estimait que son amendement se situait dans la seule perspective d’une modernisation et d’une simplification du droit ; sa seule ambition consistait « à harmoniser le code civil avec le code pénal et le code rural, c’est-à-dire à reconnaître un statut qui existe déjà, en traduisant dans le code civil ce qui existe déjà dans le code pénal et le code rural », AN, 15 avril 2014), les magistrats ont fait le choix de la continuité. Ce texte consacre l’existant, ni plus ni moins. Il ne modifie pas la nature juridique de l’animal. L’animal était juridiquement un bien et le demeure. Pour parvenir à cette conclusion, les magistrats s'appuient sur l'article 528 du Code civil qui dispose, depuis 2015, que « sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre ». Ils considèrent assez abruptement qu’il « en résulte que les animaux domestiques sont des biens meubles ». La référence aux animaux domestiques, qui limite le domaine du texte, qui vise plus largement « les animaux », sans distinction, peut s’expliquer par les circonstances de l’affaire. Le litige portait notamment sur la propriété d’un chien dans un contexte de séparation d’un couple de concubins. En précisant que les animaux domestiques sont des biens meubles, au sens de l’article 528 Code civil, les magistrats ont nécessairement considéré qu’ils pouvaient se transporter d’un lieu à un autre et, en conséquence, qu’ils répondaient au critère déterminant du bien meuble par nature (pour une approche similaire, v. Cour d'appel de Chambéry, 24 juin 2025, n° 24/01006 considérant que, « en application des dispositions des article 515-14 et 528 du code civil, un chien est soumis au régime juridique des biens meubles »). A la lettre, cette interprétation est difficilement contestable. L’animal est en effet l’archétype du bien meuble par nature. Non seulement il peut se transporter d’un lieu à un autre, mais il le fait seul. Cette interprétation présente cependant l’inconvénient de nier purement et simplement toutes les modifications que le législateur a apportées à cet article 528, et plus généralement à l’ensemble du Livre 2 relatifs aux biens et aux différentes modifications de la propriété, ainsi que toutes les évolutions sociales qui les ont accompagnées. C’est un retour au texte d’origine, dans sa version de 1804, qui distinguait, parmi « les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre », ceux qui avaient besoin d’une force étrangère, comme les choses inanimées, et ceux qui se meuvent par eux-mêmes, comme les animaux. Or, par une loi du 6 janvier 1999 (Loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, sur laquelle, T. Revet, RTDciv. 1999. 479 ; égal. S. Antoine, D. 1999. chron.167), le législateur avait pris soin de distinguer les animaux des autres corps qui se meuvent par eux-mêmes, amorçant la reconnaissance de leur spécificité au sein de la catégorie des biens meubles corporels (bien que de façon assez peu convaincante). Puis, en 2015, il a veillé à gommer, méthodiquement et systématiquement, l’ensemble des formules qui identifient les animaux à des biens meubles ou immeubles. Une interprétation aussi rétrograde se comprendrait si elle était l’unique moyen de conjurer une solution aux conséquences inopportunes voire néfastes, tant redoutées par les opposants à l’inscription de la sensibilité animale dans le Code civil (v. en particulier les réactions de Philippe Gosselin et Daniel Gibbes, critiques féroces de l’amendement Glavany. – v. débats AN, 15 avril 2014). Pourtant, l’affaire dont était saisi le tribunal judiciaire de Tours ne risquait pas de stigmatiser les professionnels et de les mettre en difficulté, ni de bloquer les agriculteurs et l’agriculture française. L’enjeu était bien plus modeste. Elle avait simplement pour objet de déterminer qui des ex-concubins était le propriétaire de l’animal. À cette fin, le tribunal a appliqué les règles par lesquelles s’acquiert et se prouve la propriété mobilière. Le détour par l’article 528 du Code civil et son interprétation hasardeuse ne s’imposait pas (de la même façon, la Cour d'appel de Chambéry – arrêt préc. – pouvait justifier la soumission du chien au régime des biens sans se référer à l’article 528 du Code civil, l’article 515-14 du Code civil l’indiquant expressément. V. égal. au titre des curiosités, la référence à l’article 516 du Code civil dans un arrêt du 13 fév. 2025 rendu par la Cour d’appel de Douai (n° 24/00352) qui, après avoir rappelé les termes de l’article 515-14 du Code civil, ajoute que « l’article 516 du même code disposant que les biens sont meubles ou immeubles, il s'ensuit que les animaux sont nécessairement soumis au régime des meubles »). Les animaux, même s’ils ne sont plus des biens, restent soumis au régime des biens, à moins qu’une norme ne règle, de façon particulière, leur situation. La loi de 2015 n’a pas remis en question l’appropriation des animaux et il n’existe pas de dispositions relatives à la preuve de la propriété des animaux (hormis le cas de la saisie à l’initiative du ministère public fondée sur l’article 99-1 du Code de procédure pénale si l’on adhère au raisonnement suivi par la Cour d'appel de Nancy dans un arrêt du 6 octobre 2022, n° 22/01656. – sur lequel, RSDA 2022/2 p. 30 obs. F. M.). Le litige relevait donc bien de l’article 2276 du Code civil (pour une application plus orthodoxe de l’article 515-14 du Code civil dans cette hypothèse, v., par exemple, Cour d'appel de Caen, 3ème ch. civ., 13 avril 2023, n° 22/00819, RSDA 2023/1 p. 31 obs. F. M. – égal., dans un autre domaine que la preuve de la propriété, Cour d’appel de Nîmes, 26 juin 2025, n° 24/00803 : constatant que « les animaux sont soumis au régime des biens selon l'article 515-14 du code civil », elle confirme l’application de la loi Badinter à l’action tendant à « la réparation du préjudice subi par le propriétaire d'un animal blessé lors d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ». En effet, ce texte ne se limite pas à l’indemnisation des dommages résultant des atteintes aux personnes, mais visent également cette des dommages aux biens. – rappr. Tribunal judiciaire, Le Mans, 1re chambre, 26 Septembre 2024, n° 23/01592 ou encore Cour d'appel de Bourges, 1re Chambre, 7 juillet 2022, n° 21/00895, RSDA 2022/1 p. 30 obs. F. M. – refusant d’appliquer à l’animal le régime très favorable des atteintes à la personne ; en conséquence, toute faute de la victime aboutit à un partage de responsabilité).
La deuxième interprétation, selon laquelle l’animal est un bien particulier, apparaît dans un jugement du tribunal judiciaire de Paris relatif à l’action en dommages-intérêts intentée par l’acquéreur d’un chien à l’encontre d’un vendeur professionnel (20 janvier 2025, n° 24/02481). L’animal souffrait d’une malformation des hanches occasionnant une boiterie. Juridiquement, le demandeur soutenait que celle-ci s’analysait en un vice caché engageant la responsabilité du vendeur. Pour l’essentiel, il sollicitait le remboursement des frais vétérinaires liés au traitement de la malformation dont l’animal était porteur. Les magistrats parisiens soulignent que « la jurisprudence et l’évolution de la société confèrent une dimension affective à l’achat d’un animal de compagnie qui ne peut plus être pris pour une chose ou un bien comme les autres ». Au demeurant, ils observent que « certaines dispositions du droit de la consommation ne lui sont pas applicables » (cependant, depuis l’ordonnance n° 2021-1247 du 29 sept. 2021 – art. 19, la garantie de conformité du droit de la consommation ne s’applique plus aux ventes d’animaux domestiques conclues après le 1er janvier 2022 ; sauf convention contraire, les défauts s’apprécient à la lumière de la garantie des vices rédhibitoires du Code rural et de la pêche maritime – art. L213-1 et s.). L’évolution sociale est certaine. L’apport de la jurisprudence est incontestable comme l’atteste la jurisprudence Delgado en matière de garantie de conformité (Cass. civ. 1ère, 9 déc. 2015, n° 14-25910, RSDA 2015/1. 55 note K. Garcia ; ibid. 2015/2. 35 obs. F. M. ; Dalloz 2016. 360 note S. Desmoulin-Canselier ; CCC 2016/2 comm. 53 obs. S. Berhneim-Desvaux, JCP G 2016 doctr. 173 ét. G. Paisant). Au motif que l’animal est un être vivant, unique donc irremplaçable, la Cour de cassation a redéfini l’équilibre entre le vendeur et l’acheteur lorsque l’animal souffre d’une maladie ou d’un handicap assimilé à un défaut de conformité. Alors même que le montant des soins apportés à l’animal se révélait nettement supérieur à sa valeur d’achat, elle privait le vendeur professionnel de son pouvoir d’imposer à l’acheteur le remplacement de l’animal. Il devait alors assumer le coût de la réparation et garantir le maintien du lien affectif qui s’était constitué entre l’acheteur et l’animal. Il est toutefois surprenant que les magistrats parisiens omettent les mutations législatives et l’article 515-14 du Code civil. Cet oubli n’est pas le plus gênant, contrairement au décalage entre les principes affirmés et leur mise en œuvre concrète. En déboutant l’acheteur de sa demande, les magistrats parisiens ôtent à l’animal sa singularité et neutralise les conséquences juridiques découlant de la dimension affective de l’acte d’achat qu’avait audacieusement mises en évidence la Cour de cassation dans son arrêt Delgado. Ils ont au contraire donner un plein effet aux conditions générales du vendeur stipulant que, « en cas de litige et afin de conserver au vendeur la possibilité du choix entre la réparation ou le remplacement de l’animal, l’acheteur s’engage à n’effectuer aucun acte de réparation sans l’accord préalable du vendeur, sauf urgences vitales pour stabiliser l’animal ». Or, l’acheteur n’avait pas averti le vendeur de ses intentions et ne lui avait donc pas donné l’occasion d’évaluer la proportionnalité du coût des soins (de la réparation) au regard du prix d’achat du chien. En d’autres termes, l’animal est un bien comme un autre. Le vendeur peut refuser la réparation et se contenter de proposer le remplacement, une offre que, vraisemblablement, l’acheteur déclinera compte tenu de son attachement à l’animal.
C’est une toute autre perspective qu’offre un arrêt de la Cour d’appel de Nîmes dans un arrêt du 24 avril 2025 (n° 25/00520) rendu en matière d’expulsion d’un locataire commercial exploitant deux écuries. Le litige portait notamment sur le calcul de l’astreinte liquidée et plus particulièrement la détermination du temps d’inexécution. Le bailleur considérait que l’expulsion n’avait toujours pas été réalisée puisque le locataire pouvait accéder au terrain où se trouvaient encore quelques animaux. Du point de vue des magistrats nîmois, cette situation n’empêche pas la réalisation de la mesure d’expulsion. L’accès au domaine se justifiait uniquement pour prendre soin des animaux laissés sur place. Leur sort, observent-ils, doit s’analyser conformément à l’article 515-14 du Code civil. S’ils sont des « biens meubles », ils « doivent néanmoins, en leurs qualités d'êtres vivants, être nourris et entretenus ainsi que l'a mentionné le commissaire de justice ».
Ce souci d’appliquer le régime des biens en considération de la sensibilité de l’animal imprègne également un arrêt rendu par la Cour d'appel de Montpellier le 20 février 2025 (n° 23/02174). La Cour d’appel était invitée à se prononcer sur les conséquences de la résolution d’un contrat de vente d’un chien, plus précisément sur les restitutions réciproques. Le vendeur devait évidemment restituer le prix. Le problème concernait l’acheteur. Devait-il restituer l’animal en nature ou seulement son équivalent monétaire ? La restitution en nature s’impose en principe. Ce n’est qu’exceptionnellement que la restitution a lieu en valeur, lorsque la restitution en nature est « impossible », précise l’article 1352 du Code civil. Traditionnellement, l’impossibilité est interprétée étroitement. Elle « décrit un obstacle insurmontable à la restitution en nature » (v. E. Savaux, Les obligations. L’acte juridique, Sirey U, 18ème éd., 2024, p. 887, n° 673), par exemple lorsque la chose est détruite, gravement endommagée ou qu’elle a été cédée à un tiers. En l’occurrence, l’animal était toujours vivant et il était encore en la possession de l’acheteur. Matériellement, rien n’entravait la restitution de l’animal. Cependant, il n’est pas une chose comme les autres. Le chien « est un animal de compagnie destiné à recevoir l’affection de son maître », relèvent les magistrats montpellierains. En outre, il se trouve auprès de l'acquéreur depuis plusieurs années (un peu moins de 4 ans au moment où la cour rend son arrêt). Ils en déduisent que « la restitution en nature est impossible » et confirme le jugement « qu’il l’a ordonnée en valeur ». La nature de l’animal conduit donc à une interprétation originale de la notion d’impossibilité dans le contexte des restitutions consécutives à l’anéantissement du contrat. Elle inclut les liens d’affection (rappr. Paris, pôle 4, ch. 9, 24 novembre 2011, n° 10/03426, RSDA 2001/2. 45 obs. F. M., qui avait ordonné la restitution en nature après s’être assuré qu’elle ne compromettait pas la santé tant physique que psychique de l’animal).
La tradition réificatrice de l’animal est encore solidement ancrée, mais certaines décisions s’en éloignent, à défaut de créer une véritable rupture. Ainsi, dans un arrêt du 16 janvier 2025, la Cour d’appel de Douai (n° 22/02111) affirme qu’il « n'apparaît pas concevable d'assimiler un chaton à un effet mobilier dès lors que l'article 515-14 du code civil dispose que les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». Ils excluent en conséquence le jeu de l’article 1657 du Code civil qui vise spécifiquement les ventes de denrées et effets mobiliers. Ce raisonnement est d’autant plus significatif qu’il est surabondant. Il existait une autre raison d’écarter ce texte qui prévoit une résolution de plein droit de la vente sans sommation, au profit du vendeur, dès lors que l’acheteur n’a pas retiré la chose avant l’expiration du terme convenu. Or, en l’espèce, aucun terme n’avait été convenu entre les parties pour l’enlèvement du chaton. Pour autant, du point de vue de la structure de l’article 515-14 du Code civil, la perspective adoptée par la Cour d’appel de Douai n’est pas à l’abri de la critique. Même s’il n’est plus un bien, l’animal reste soumis au régime des biens, sous réserve des lois qui le protège. La Cour d’appel ne mentionne aucune règle protectrice qui concurrencerait l’article 1657 du Code civil. Celui-ci conserverait donc toute sa pertinence pour apprécier les conditions de la résolution d’une vente ayant pour objet un animal. Une lecture aussi mécanique de la seconde phrase de l’article 515-14 du Code civil risque de soumettre les animaux à des règles qui ont été pensées pour des matières mortes, pour des choses inanimées et insensibles. Le régime des biens n’est pas toujours adapté. En l’appliquant, les magistrats ne devraient-ils pas toujours gardé à l’esprit la singularité de l’animal, sa sensibilité, pour construire la solution la plus adaptée (v., par exemple, en matière de partage de l’indivision Aix-en-Provence, ch. 11 A, 13 janvier 2012, n° 2012/31, époux Claudot c/ Josiane Le Gales, RSDA 2012/1. 55 note F. M.) ?
N’est-ce pas là l’essentiel ? Peu importe la nature juridique exacte de l’animal. Tant qu’il n’est pas l’objet d’un corps de règles suffisamment denses, il faut déterminer celles qui vont s’appliquer par défaut. Le droit des personnes, pris globalement, est manifestement inadéquat. Le rapprochement avec le droit des biens est la voie tracée par l’article 515-14 du Code civil. Il manque peut-être une précision. L’application du régime des biens ne vaut qu’en tant que de raison, qu’en tant que ce régime se concilie avec la sensibilité de l’animal. Cette démarche va au-delà de l’idée selon laquelle l’animal est un bien singulier. Dans ce cas, la singularité de l’animal ne conduit pas seulement à guider l’interprétation des textes. Elle est encore susceptible d’aboutir à leur neutralisation et à la formulation, le cas échéant, d’une règle spécifique (à l’image de l’arrêt Delgado, préc.).
2/ Le sort de l’animal saisi : les limites de l’art. 99-1 du Code de procédure pénale révélées (Cour d'appel de Riom, 10 avril 2025, n° 25/00005)
Mots-clés : art. 99-1 du Code de procédure pénale. – placement de l’animal. – cession à un tiers. – restitution au propriétaire (non)
L’article 99-1 du Code de procédure pénale, révisé par la loi visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes (L. n° 2021-1539 du 30 nov. 2021), détermine le sort de l’animal saisi ou retiré à l’occasion d’une procédure judiciaire ou d’un contrôle effectué en exécution d’une mesure de protection des animaux (sur le fondement de l’article L214-23 du Code rural et de la pêche maritime). L’animal fait en premier lieu l’objet d’un placement. Lorsque le placement dégrade son bien-être, parce qu’il s’effectue dans des conditions stimulant la dangerosité de l’animal, mettant sa santé en péril ou ne répondant plus à ses besoins physiologiques, d’autres options s’offrent au juge, saisi sur réquisition du ministère public étayée, selon les cas, par un avis d’un vétérinaire ou d’un expert agricole. Il peut décider de confier l’animal à un tiers, d’autoriser sa cession à titre onéreux ou d’ordonner son euthanasie. Ce texte s’efforce ainsi de tirer « toutes les conséquences du caractère vivant et sensible de l'animal concerné dont l'existence se prolonge indéfiniment dans des conditions pourtant précaires » (J.-P. Marguénaud, « Lutte contre la maltraitance animale : qui peu embrasse bien étreint ? - Partie 2 : Le renforcement de la lutte contre la maltraitance animale par la voie répressive », Dalloz actualité, 4 janv. 2022). Le résultat est loin d’être parfait. L’euthanasie est une curieuse réponse, d’un rationalisme froid, à l’altération du bien-être de l’animal, d’autant plus qu’elle peut également se fonder sur de simples motifs économiques (lorsque le coût du placement excède la valeur de l’animal). De ce point de vue, l’article 99-1 du Code de procédure pénale ne renforce pas vraiment la lutte contre la maltraitance animale.
L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Riom le 10 avril 2025 (n° 25/00005) révèle une autre imperfection. En l’espèce, le procureur avait ordonné la saisie d’un chat et son placement auprès de la SPA. Sur la foi d’un certificat vétérinaire, établissant l’incompatibilité d’une détention prolongée en module avec le développement normal d’un chat, le président du tribunal judiciaire avait permis la cession de l’animal à titre onéreux à la SPA. Le propriétaire de l’animal, tout au moins celui qui se présentait comme tel (cette qualité n’a pas été discutée, alors même que le chat n’était pas pucé), a formé un recours contre cette décision et demandé la restitution de son animal.
Pour débouter l’appelante, propriétaire supposé de l’animal, la cour d’appel développe deux arguments, l’un concernant la régularité de la mesure alternative au placement, l’autre concernant les options ouvertes par l’article 99-1 du Code procédure pénale. Elle considère en premier lieu que la régularité de la décision de céder l’animal s’apprécie au regard du seul article 99-1 du Code de procédure pénale. Il suffit que les conditions de forme et de fond qu’il énonce soient respectées. En l’espère, la SPA, auprès de qui l’animal avait été placé, avait produit le certificat vétérinaire établissant, de façon circonstanciée, l’inadéquation d’une détention prolongée pour l’animal. La décision était en conséquence pleinement justifiée. Elle observe en second lieu que l’article 99-1 du Code de procédure pénale ne donne pas au juge le pouvoir de restituer l’animal à l’appelante qui n’est autre que son propriétaire. En d’autres termes, le recours de l’appelante était, en toute hypothèse, voué, à l’échec. L’annulation de la décision du premier juge aurait conduit à reconsidérer le sort de l’animal, mais uniquement à la lumière des options ouvertes par l’article 99-1 du Code de procédure pénale. La conclusion est discutable. Dans ce cas, en effet, la demande de restitution se fonde non pas sur l’article 99-1 du Code de procédure pénale, qui ne la prévoit pas, mais sur l’article 99 du même Code (Cons. const. 7 juin 2019, décis. n° 2019-788 QPC, pt 10. – sur cette décision, v. M. Recotillet, « Recours juridictionnel à l'encontre de la décision de placement d'animaux vivants », Dalloz act. 18 juin 2019).
Le législateur a raisonné sur l’hypothèse d’une protection de l’animal contre son propriétaire (par exemple, une saisie après une inspection dans un élevage révélant des faits de maltraitance). Il a totalement occulté la protection du lien affectif entre l’animal et son propriétaire lorsque l’animal a fait l’objet d’une saisie hors cas de maltraitance, comme en l’espèce (selon l’appelante, sa voisine lui avait volé son chat et refusait de le rendre). Lors de la discussion de ce texte au Sénat, la rapporteure, Madame Anne Chain-Larché avait émis des doutes sur sa constitutionnalité à la lumière de la décision QPC n° 2011-203 (M. Wathik M. [Vente des biens saisis par l'administration douanière]) définissant le cadre des ventes forcées avant jugement. « Il n'est pas absolument certain », observait-elle, « que dans les cas prévus (…) « la nécessité publique, légalement constatée, exige évidemment » (article 17 de la Déclaration des droits) de vendre ou de mettre à l'adoption les animaux sans le consentement de leur propriétaire » (v. Rapport n° 844 (2020-2021), déposé le 22 septembre 2021). Surtout, la décision est prise sans que le propriétaire soit entendu ou appelé, et cette décision (cession à un tiers ou euthanasie) est définitive (seule la décision de confier l’animal à un tiers présente un caractère conservatoire et réversible). Ce sont ces éléments qui ont conduit le Conseil constitutionnel à censurer l’article 389 du Code des douanes. Alors même que le texte modifiant l’article 99-1 du Code de procédure pénale présente des défauts similaires, la rapporteure, convaincue de l’utilité du dispositif, n’a suggéré aucune reformulation (!).
II/ L’animal dans la famille
3/ Dans la tourmente de la séparation (Cour d'appel de Douai, 13 février 2025, n° 24/00352 ; Tribunal judiciaire de Tours, 26 février 2025, n° 24/02721)
Mots-clés : Concubinage. – séparation. – propriété. – preuve
Depuis le célèbre arrêt Jojo (Cass., civ. 1ère, 8 oct. 1980, JCP G 1981.II.19536 concl. av. gén. Gulphe, Dalloz 1981 J. p. 361 note A. Couret), la propriété triomphante scelle le sort de l’animal du couple qui se sépare. Les liens affectifs, faibles ou forts, réels ou supposés, sont de peu de poids. L’animal doit revenir à son propriétaire. Encore faut-il établir cette propriété. Une jurisprudence constante applique l’article 2276 du Code civil, considérant que l'animal est un meuble (Cour d'appel de Douai, 13 février 2025, n° 24/00352 ; Tribunal judiciaire de Tours, 26 février 2025, n° 24/02721) ou que, faute de disposition particulière à la preuve de la propriété de l’animal, la question relève du régime des biens, conformément à l’article 515-14 du Code civil (v. la jurisprudence citée supra, n° 1).
Le possesseur actuel de l’animal jouit d’une position favorable. De la possession découle une présomption de propriété. Il appartient alors à celui qui revendique l’animal de la combattre, en particulier en établissant que la possession est viciée, faute d’être paisible, publique et non-équivoque. Le Tribunal judiciaire de Tours rappelle à cet égard que le paiement du prix, en tout ou en partie, ne suffit pas à démontrer la précarité de la possession ou un vice l’affectant. Il ne suffit pas davantage d’établir les soins, ponctuels, apportés à l’animal. Il estime que l’ex-concubine exerce sa possession en qualité de propriétaire, en insistant tout particulièrement sur son caractère public. L’acte de cession de l’animal, le fichier I-Cad (identification des carnivores domestiques), les factures de soin présentent tous l’ex-concubine comme la détentrice de l’animal. Certes, la détention n’a pas toujours été continue, puisque l’animal suivait l’enfant commun dans la résidence alternée convenues entre les parties. Cependant, relève le tribunal, cette organisation ne révélait pas une propriété partagée de l’animal. Elle n’était pas dictée par l’intérêt des parties ou même de l’animal, mais par le seul intérêt de l’enfant. Le tribunal accueille donc la demande reconventionnelle de l’ex-concubine et confirme sa propriété sur l’animal.
Dans l’affaire soumise à la cour d’appel de Douai, relative à la restitution du chat Tygrou, tout semblait indiquer que la possession de l’animal par l’ex-concubine réunissait l’ensemble des conditions légales pour être efficace. Dans un écrit, non contesté, l’ex-concubin exprimait sa volonté de laisser le chat aux soins de sa compagne, à charge pour elle de procéder aux formalités pour que le chat soit reconnu à son nom. Ce qu’elle a fait en modifiant le nom du détenteur dans les documents issus du fichier I-Cad. Cependant, constatant que l’ex-concubin n’était pas le signataire de cette modification, la cour d’appel en déduit que la question de la propriété soulève une contestation sérieuse et échappe en conséquence à la procédure de référé. Si elle est encore d’actualité, elle sera tranchée par le juge du fond.