Droit constitutionnel
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit constitutionnel

  • Olivier Le Bot
    Professeur de droit public
    Université d’Aix-Marseille

Résumé : Le premier semestre 2023 s’est révélé intéressant sur le plan du droit constitutionnel animalier. Le Luxembourg a refondu sa Constitution en y ajoutant une disposition enrichie relative aux animaux. La Cour suprême indienne est revenue sur un précédent de 2014 en en tempérant de façon substantielle la portée. Enfin, la cour constitutionnelle de Belgique a admis la constitutionnalité d’un décret augmentant les sanctions encourues en cas d’atteinte portée aux animaux.


Luxembourg : nouvelle Constitution, nouvelle disposition sur les animaux


En 2007, le Luxembourg avait introduit dans la Constitution un objectif de protection et de bien-être animal. En 2023, à l’occasion d’une vaste révision de la Constitution, la formule a évolué pour s’enrichir d’une référence à la qualité d’être vivant et sensible de l’animal.

I. L’ancienne formulation

En 2007 a été ajouté à l’ancienne Constitution du Luxembourg, un article 11 bis rédigé comme suit : « L’État garantit la protection de l’environnement humain et naturel, en œuvrant à l’établissement d’un équilibre durable entre la conservation de la nature, en particulier sa capacité de renouvellement, et la satisfaction des besoins des générations présentes et futures. Il promeut la protection et le bien-être des animaux ».
La disposition en cause présentait la nature d’un objectif constitutionnel1. La cour constitutionnelle a toutefois accepté de contrôler si une disposition législative est, selon les termes employés, « contraire » à cet article2.
Le texte employait la notion de « bien-être » animal. Cette notion s’entend habituellement d’un certain état de l’animal, résultant de la satisfaction de ses besoins.
La cour constitutionnelle a indiqué « que cette norme constitutionnelle vise à assurer le respect de l’animal, pour soi-même, dans la manière de l’utiliser et de le traiter »3.

II. La nouvelle formulation

La Constitution du Luxembourg a fait l’objet d’une vaste révision en 2023 afin, d’une part, de moderniser la terminologie et, d’autre part, d’adapter les textes à l’exercice réel des pouvoirs et au fonctionnement des institutions. Cette révision clôt un processus qui avait débuté quinze ans plus tôt avec le dépôt de la proposition de révision 6030. En 2018, pour des raisons politiques, cette révision a été scindée en quatre « chapitres » (juridiquement, en quatre propositions de révision). Le chapitre « Droits et libertés » (proposition 7755) comprend une nouvelle disposition relative aux animaux.
Le texte reprend de l’ancienne formule la référence au bien-être, il supprime la notion de protection et y ajoute la qualité d’être vivant et sensible des animaux. Le nouvel énoncé, qui figure à l’article 41, al. 3, se lit comme suit : « [L’État] reconnaît aux animaux la qualité d’êtres vivants non humains dotés de sensibilité et veille à protéger leur bien-être ».
Au sein du chapitre « Droits et libertés », le nouvel alinéa fait partie des sept dispositions ajoutées au projet après la consultation des citoyens et résultant directement de celle-ci4. L’influence de la consultation citoyenne concernant l’alinéa relatif aux animaux a été soulignée par la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle. Celle-ci a noté que « le libellé de l’alinéa 3 vise à renforcer la protection des animaux en tenant compte des nombreuses idées avancées dans le cadre de la participation citoyenne »Rapport de la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle sur la proposition de révision du chapitre II de la Constitution, 8 février 2022, p. 19.">5.
Au niveau de son contenu, la nouvelle disposition contient deux dimensions.
D’une part, elle consacre sous la forme d’un objectif à valeur constitutionnelle que l’État « veille à protéger » le bien-être des animaux. Il s’agit donc d’une invitation faite à l’État de protéger leur bien-être, à travers une formule assez souple (l’État « veille » à protéger, et non pas « protège »). En aucun cas ne se trouve consacré un droit au bien-être au profit des animaux. On note également qu’il n’est plus mentionné que l’État protège les animaux ; il protège leur « bien-être », cette notion étant davantage dans l’air du temps du fait d’un mouvement, qui a débuté dans les années 1970, de remplacement de la notion de protection par celle de bien-être.
D’autre part, la nouvelle disposition « reconnaît aux animaux la qualité d’êtres vivants non humains dotés de sensibilité ». Il s’agit là d’une innovation très importante. C’est en effet la première fois que se trouve élevée au niveau constitutionnel une disposition reconnaissant les animaux comme des êtres vivants et sensibles. De nombreuses législations l’ont fait au niveau ordinaire au cours des dernières années, notamment au sein du code civil, mais aucun ordre juridique n’avait hissé cette qualification au niveau constitutionnel. Le rapport de la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle a souligné que cette qualité « vaut sans distinction pour tous les animaux »6.


Inde : un sérieux tempérament de la jurisprudence de 2014 sur le Jallikattu
Cour suprême de l’Inde, 18 mai 2023, The Animal Welfare Board of India & ors. v. Union of India and anr., writ petition (civil) no. 23 of 2016


En 2014, dans une très importante décision7 ayant reçu une attention de la part des juristes animalistes du monde entier, la Cour suprême indienne avait posé trois principes. Premièrement, le Jallikattu et les courses de chars sont contraires à la loi relative à l’interdiction de la cruauté envers les animaux (Prevention of Cruelty to Animals Act : PCA Act). Deuxièmement, ces pratiques sont contraires à la tradition indienne, qui est une tradition de respect de l’animal et non pas une tradition d’atteinte à celui-ci. Troisièmement, les animaux bénéficient du droit à la vie et plus largement de droits fondamentaux8.
La Cour suprême indienne vient sérieusement de tempérer ces principes – plus exactement les deux derniers – dans une décision rendue le 18 mai 20239.
Dans quel contexte intervient-elle ? À la suite de la décision rendue en 2014, plusieurs États (dont celui du Tamil Nadu) ont entrepris de modifier leur législation afin de soumettre à des règles plus strictes les Jallikattus et courses de chars. Ont en particulier été prévus un examen médical des bœufs ainsi qu’une interdiction de les battre, de jeter du piment dans leurs yeux et, plus généralement, de les soumettre à des actes pouvant leur causer de la douleur. Ces législations ont été contestées devant diverses juridictions, dont la High Court de Bombay, par divers individus et organisations. En 2018, la High Court de Bombay a adressé cinq questions à la Cour suprême indienne. La haute juridiction fédérale s’est prononcée sur celles-ci dans la décision commentée.

I. Le respect du PCA Act

La Cour suprême juge tout d’abord que les législations d’États contestées satisfont désormais aux exigences du PCA Act. Les spectacles qu’elles autorisent n’ont en effet plus rien de comparable avec ceux qui avaient été déclarés illégaux en 2014. Du fait de l’encadrement strict des conditions de leur mise en œuvre, ces pratiques ne sont plus regardées comme constitutives d’actes de cruauté (§§ 27-28).
Il importe de relever que ce premier point ne constitue pas un revirement par rapport à la jurisprudence antérieure. En effet, l’appréciation portée par la Cour ne fait que tirer les conséquences d’une évolution de l’état du droit ayant conduit à retirer à une pratique ce qu’elle avait de contraire au PCA Act.
Il est certes possible, relève la Cour, que le cadre juridique mis en place n’empêche pas totalement que les animaux subissent de la douleur ou de la souffrance (§ 30). Néanmoins, l’objet du PCA Act n’est pas d’abolir toute douleur ou souffrance mais seulement d’interdire les douleurs et souffrances non nécessaires, c’est-à-dire non justifiées par des besoins humains ni proportionnés à ceux-ci (§ 31, § 36).

II. Le droit à la vie et les droits fondamentaux

La deuxième question concerne l’existence d’un droit à la vie et plus largement de droits fondamentaux pour les animaux.
Dans la décision rendue en 2014, la Cour suprême avait indiqué que le droit à la vie reconnu par l’article 21 de la Constitution s’étend aux animaux. Elle avait affirmé que « toute espèce a le droit à la vie et à la sécurité », ce qui inclut celui de ne pas être privé de la vie « hors nécessité humaine ». Précisant la portée du terme, la cour avait indiqué qu’« en ce qui concerne les animaux, nous estimons que le terme "vie" signifie quelque chose de plus que la simple survie, l’existence ou la valeur instrumentale pour les êtres humains, mais qu’il s’agit de mener une vie avec une certaine valeur intrinsèque, de l’honneur et de la dignité » (§ 62). La Cour avait également indiqué que les dispositions législatives applicables doivent être lues et comprises à la lumière de l’article 51A(g) de la Constitution, qui fait de l’obligation d’avoir de la compassion pour les créatures vivantes un devoir fondamental de tout citoyen et que « le Parlement, en incorporant l’article 51A(g), a rappelé et souligné le devoir fondamental de tout être humain à l’égard de toute créature vivante (…). Toute créature vivante a une dignité intrinsèque, un droit de vivre en paix et un droit au respect de son bien-être (…) » (§ 32).
Volte-face dans la décision rendue en 2023 : la Cour affirme qu’elle n’a jamais entendu reconnaître un droit à la vie aux animaux ni leur reconnaître le bénéfice de droits fondamentaux. Sur le premier point, elle indique que la formule employée en 2014 sur le droit à la vie ne peut être interprétée comme signifiant une reconnaissance de celui-ci au profit des animaux. Elle souligne qu’il s’agissait seulement d’un « conseil » ou d’une « suggestion » et que la responsabilité pour opérer une telle consécration relève du seul législateur§ 24 : « Alors même que la protection de l'article 21 a été conférée à la personne plutôt qu'au citoyen, [...], nous ne pensons pas qu'il soit prudent pour nous de nous aventurer dans un aventurisme judiciaire en faisant entrer les taureaux dans le mécanisme de protection susmentionné. Nous doutons que la détention d'un taureau errant dans la rue contre son gré puisse donner lieu à un recours constitutionnel en habeas corpus. Dans l'arrêt A. Nagaraja (supra), la question de l'élévation des droits statutaires des animaux au rang de droits fondamentaux a été laissée au niveau du conseil ou a été formulée comme une suggestion judiciaire. Nous ne voulons pas nous aventurer au-delà et laissons cet exercice à l'appréciation de l'organe législatif approprié ». ">10. Sur le second point, la Cour est on ne peut plus claire : après avoir affirmé que le précédent de 2014 « n’a pas établi que les animaux ont des droits fondamentaux » (§ 24), elle déclare que « la Constitution ne reconnaît aucun droit fondamental aux animaux » (§ 37).

III. L’inscription dans la culture

La troisième question abordée par la Cour suprême a trait au point de savoir si le Jallikattu et les courses de chars sont contraires à la tradition et à la culture. Sur ce point également, la Cour va faire preuve d’un certain self-restraint.
Dans le contentieux de 2014, les organisateurs des Jallikattu et courses de chars en avaient appelé à la tradition pour donner un fondement et une justification à ces spectacles. La Cour suprême avait toutefois opposé à la tradition d’atteinte invoquée par les organisateurs une tradition plus profonde de respect de l’animal. Pour montrer qu’il s’agit d’une tradition très ancienne, la Cour avait cité un extrait de l’« Isha Upanishad » (texte fondateur de l’hindouisme remontant aux années 1500 à 1600 avant JC) : « L’univers et ses créatures appartiennent à la terre. Aucune créature n’est supérieure à une autre. Les êtres humains ne doivent pas être au-dessus de la nature. Ne laisser jamais une espèce empiéter sur les droits et privilèges des autres espèces » (§ 44). « A notre sens, écrit la Cour, telle est la culture et la tradition de notre pays (…) » (§ 45). Si tradition il y a, pour la Cour Suprême, c’est une tradition de respect et non une tradition d’atteinte. En conséquence, les organisateurs ne peuvent se prévaloir d’une tradition circonstancielle, à l’échelle des siècles, pour escompter se soustraire à l’application de la loi.
Le même moyen de défense se retrouvait invoqué dans le contentieux de 2023, mais cette fois la Cour décide d’y faire droit au motif que le caractère traditionnel et culturel de ces spectacles a été inscrit dans la loi et qu’il n’appartient pas au juge de remettre en cause cette qualification. Selon la Cour suprême, « La question de savoir si cela est devenu partie intégrante de la culture tamoule ou non nécessite une analyse religieuse, culturelle et sociale plus détaillée, ce qui, à notre sens, est un exercice qui ne peut être entrepris par le pouvoir judiciaire. La question de savoir si la loi modifiée du Tamil Nadu vise à préserver le patrimoine culturel d'un État particulier est une question qui peut être débattue et qui doit être tranchée par l’Assemblée législative. Cela ne devrait pas faire partie d'une investigation judiciaire et, compte tenu en particulier de l'activité en question et des documents présentés devant nous par les requérants et les défendeurs, cette question ne peut pas être tranchée de manière concluante dans le cadre de la procédure judiciaire. Dans la mesure où un travail législatif a déjà été entrepris et où il a été constaté que le Jallikattu fait partie de l'héritage culturel du Tamil Nadu, nous ne bouleverserons pas le point de vue du législateur. Nous n'acceptons pas le point de vue exprimé dans l'affaire A. Nagaraja selon lequel le Jallikattu ne fait pas partie du patrimoine culturel du peuple de l'État du Tamil Nadu. Nous ne pensons pas que la Cour disposait d'éléments suffisants pour parvenir à cette conclusion » (dispositif, pt. ii).


Durcissement des peines en droit pénal flamand : une mesure nécessaire, pertinente et proportionnée à l’objectif de préservation du bien-être animal
Cour constitutionnelle de Belgique, 20 juillet 2023, arrêt n° 114/2023


Le décret de la Région flamande du 4 février 2022 a modifié la loi du 14 août 1986 relative à la protection et au bien-être des animaux en aggravant les sanctions pénales encourues en cas de méconnaissance de ses dispositions (augmentation des amendes et de la durée des peines d’emprisonnement et possibilité d'ordonner la fermeture définitive d’un établissement). Un recours a été formé contre celui-ci, devant la cour constitutionnelle, par des organisations professionnelles représentant les intérêts de l’industrie agro-alimentaire et des animaleries. La cour constitutionnelle a statué sur celui-ci dans un arrêt du 20 juillet 2023arrêt n° 114/2023.">11.

I. Une évolution juridique et sociétale favorable au bien-être animal

La cour rappelle d’abord (pt. B.13.2) l’attention croissante accordée au bien-être animal.
Sur le plan juridique, elle relève que « la protection du bien-être animal est un but légitime d’intérêt général, dont l’importance a déjà été relevée, notamment, dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (…), ainsi que lors de l’établissement, par les États membres européens, du Protocole n° 33 sur la protection et le bien-être des animaux, annexé au Traité instituant la Communauté européenne (…), dont le contenu a été repris en grande partie dans l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ». Elle ajoute que « le législateur décrétal poursuit tout autant un objectif légitime lorsqu’il entend, d’une part, durcir les sanctions pénales pour les infractions en matière de bien-être animal en Région flamande et, d’autre part, rationaliser et simplifier ces sanctions ».
La cour constitutionnelle souligne qu’une évolution similaire s’est produite sur le plan sociétal : « Par sa volonté d’encourager un changement de comportement et de refléter l’importance que la société attache au bien-être animal, le décret attaqué s’inscrit aussi dans une évolution de la société marquée par une sensibilisation accrue aux règles en matière de bien-être animal (…) ». Sur ce point, note la cour, « la manière d’appréhender juridiquement les animaux a subi une évolution : d’abord objets de droit soumis au droit de propriété, les animaux sont devenus des êtres doués de sensibilité et ayant des besoins biologiques (…). Cette prise de conscience sociétale s’opère également au niveau de l’Union européenne. Bien que les animaux soient encore considérés comme des biens dans le droit de l’Union, diverses initiatives ont néanmoins été prises pour inciter les institutions comme les États membres à adopter une législation plus sévère en matière de bien-être animal, assortie de sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives. La Cour de justice de l’Union européenne a elle aussi reconnu que le bien-être animal s’inscrit dans un contexte en évolution sur les plans tant sociétal que normatif, qui se caractérise par une sensibilisation croissante (CJUE, 17 décembre 2020, C-336/19, précité, points 77 et 79) ».
C’est dans ce contexte d’une sensibilité accrue au bien-être animal, sur lequel la cour constitutionnelle prend soin d’insister, qu’elle va apprécier la constitutionnalité des mesures contestées.

II. La proportionnalité des sanctions et le principe de sécurité juridique

Le principal moyen reposait sur le manquement à l’exigence de proportionnalité des sanctions et au principe de sécurité juridique.
Sur ce point, la cour déclare tout d’abord que ces mesures sont pertinentes : « l’augmentation des taux de peine comme composante d’une stratégie plus large de durcissement est de nature à réduire le nombre d’infractions à la législation relative au bien-être animal et d’inciter les individus à ajuster leur comportement à l’égard des animaux. Une peine qui vise à changer les mentalités ne peut être utile que si elle est suffisamment dissuasive » (pt. B.13.3).
Ensuite, la cour constitutionnelle estime que les mesures sont proportionnées. Pour cela, elle prend en compte toute une série d’éléments : « les personnes qui détiennent ou commercialisent un animal connaissent ou doivent connaître la législation relative au bien-être animal (…) » (pt. B.13.4.2) ; dans l’exercice de son pouvoir répressif, « le juge est en tout état de cause tenu de respecter le principe de proportionnalité et, par conséquent, de veiller à ce que la sanction qu’il impose soit proportionnée à la gravité du comportement punissable » (pt. B.13.4.3) ; il « est par ailleurs tenu de motiver la peine qu’il choisit d’infliger » (pt. B.13.4.4) et dispose de la possibilité « de choisir une sanction dans de larges fourchettes de peines (…) » ; « chaque infraction à la loi du 14 août 1986 ne doit pas forcément donner lieu à des poursuites pénales » (pt. B.13.4.5 : le ministre en charge du Bien-être animal peut retirer l’agrément d’un établissement qui ne satisfait plus aux conditions prévues par la loi ; en cas de constat d’une infraction, le contrevenant peut recevoir un avertissement le mettant en demeure de mettre fin à cette infraction ; il est possible d’infliger le paiement d’une amende administrative, dont le paiement volontaire par le contrevenant éteint l’action publique) ; enfin, le juge peut condamner, à titre de peine principale, à une peine de travail ou à une peine de probation autonome et réduire la peine d’emprisonnement et/ou l’amende s’il existe des circonstances atténuantes et aussi accorder une suspension du prononcé ou un sursis de la peine d’emprisonnement ou de l’amende (B.13.4.6).
La cour constitutionnelle en déduit que « même si les dispositions attaquées accordent au juge un large pouvoir d’appréciation, elles ne lui attribuent pas un pouvoir d’appréciation qui excéderait les limites de ce qu’admettent le principe de la sécurité juridique et le principe de proportionnalité » (pt. B.13.5).

III. Les autres moyens

Le raisonnement précédemment exposé est repris pour écarter deux moyens : d’une part le moyen tiré de la violation de la liberté du commerce et de l’industrie (pts. B.28 et s.) ; d’autre part celui reposant sur l’atteinte à la liberté d’expression du fait de l’augmentation des sanctions encourues en cas de méconnaissance des règles – non modifiées par le décret en cause – sur le régime de publicité applicable à la vente d’animaux de compagnie (pts B.35 et s.).
Enfin, se trouve écarté le moyen selon lequel les dispositions contestées auraient la nature d’une mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives interdite par le droit de l’UE. La cour constitutionnelle indique que, sans avoir à se prononcer sur la nature de MEERQ, la mesure contestée est justifiée par la protection du bien-être animal, laquelle constitue un objectif légitime d’intérêt général au sens du droit de l’UE, ce qui rend admissible une éventuelle restriction apportée (pts. B.32 et s.).

  • 1 Pour une présentation détaillée de cette disposition, v. O. LE BOT, Droit constitutionnel de l’animal, Independently published, 2023, § 57 et s.
  • 2 Cour constitutionnelle du Luxembourg, 26 septembre 2008, arrêt n° 46/08 – Cour constitutionnelle du Luxembourg, 16 décembre 2016, arrêt n° 127. Dans aucun de ces arrêts, la cour n’a retenu que la disposition en cause était contraire à l’article 11 bis. Dans le premier arrêt, il s’agissait d’une législation restreignant la possibilité de construire des ouvrages dans certaines zones dignes de protection (la cour souligne qu’en posant une telle législation, « l’État exécute la mission lui conférée par l’article 11bis, paragraphe 1er, de la Constitution »). Dans le second arrêt, était en cause une législation n’autorisant pas les constructions nouvelles d’immeubles destinés à des activités équestres de nature commerciale ou de loisir, dans des zones définies (la cour indique qu’une telle législation ne constitue pas une « mesure qui contrevient à la norme constitutionnelle de promotion de la protection et du bien-être des animaux »).
  • 3 Cour constitutionnelle du Luxembourg, 16 décembre 2016, arrêt n° 127.
  • 4 Les six autres sont les suivantes : les droits de l’enfant ; le dialogue social ; l’accès à la culture et le droit à l’épanouissement culturel, la protection du patrimoine culturel ; la liberté de la recherche scientifique ; l’initiative législative citoyenne ; l’Ombudsman.
  • 5 Rapport de la Commission des institutions et de la révision constitutionnelle sur la proposition de révision du chapitre II de la Constitution, 8 février 2022, p. 19.
  • 6 Rapp. préc., p. 19.
  • 7 Cour suprême de l’Inde, 7 mai 2014, Animal Welfare Board of India vs. A. Nagaraja & Ors, n° 5388 of 2014 & ors.
  • 8 Pour une présentation de cette décision, v. RSDA 2014/1, pp. 127-130, chron. O. LE BOT, « Inde : la Cour Suprême somme les autorités d’agir ».
  • 9 Cour suprême de l’Inde, 18 mai 2023, The Animal Welfare Board of India & ors. v. Union of India and anr., writ petition (civil) no. 23 of 2016.
  • 10  § 24 : « Alors même que la protection de l'article 21 a été conférée à la personne plutôt qu'au citoyen, [...], nous ne pensons pas qu'il soit prudent pour nous de nous aventurer dans un aventurisme judiciaire en faisant entrer les taureaux dans le mécanisme de protection susmentionné. Nous doutons que la détention d'un taureau errant dans la rue contre son gré puisse donner lieu à un recours constitutionnel en habeas corpus. Dans l'arrêt A. Nagaraja (supra), la question de l'élévation des droits statutaires des animaux au rang de droits fondamentaux a été laissée au niveau du conseil ou a été formulée comme une suggestion judiciaire. Nous ne voulons pas nous aventurer au-delà et laissons cet exercice à l'appréciation de l'organe législatif approprié ». 
  • 11 Cour constitutionnelle de Belgique, 20 juillet 2023, arrêt n° 114/2023.
 

RSDA 2-2023

Droit européen
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe

  • Emilie Chevalier
    Maître de conférences en droit public
    Université de Limoges
    OMIJ
  • Christophe Maubernard
    Professeur de droit public
    Université de Montpellier
    IDEDH

Second semestre 2023

Sous la coordination de Christophe Maubernard


A. Législation (Union européenne)

1. Révision de la législation de l’Union européenne sur le bien-être animal

Selon le dernier Eurobaromètre du 19 octobre 20231, « [u]ne grande majorité des Européens (84 %) estiment que le bien-être des animaux d'élevage devrait être mieux protégé dans leur pays qu'il ne l'est actuellement. Ils sont presque autant (83 %) à souhaiter que la durée du transport des animaux soit limitée. Près de trois quarts des répondants (74 %) sont favorables à une meilleure protection du bien-être des animaux de compagnie dans leur pays. Plus de 90 % des Européens estiment que les pratiques d'élevage devraient obéir à des exigences éthiques fondamentales. Il s'agit notamment de veiller à ce que les animaux disposent de suffisamment d'espace, de nourriture et d'eau, vivent dans un environnement adapté à leurs besoins (boue, paille, etc.) et soient manipulés correctement. L'enquête a également montré que les répondants se soucient énormément du bien-être des animaux dans les abattoirs. Trois quarts des personnes interrogées ont jugé qu'il était inacceptable de tuer les poussins mâles à la naissance, tandis qu'une écrasante majorité soutenait l'interdiction de couper certaines parties du corps des animaux (queue, oreilles, bec, etc.), sauf en cas de stricte nécessité et sous anesthésie. En ce qui concerne l'élevage d'animaux à fourrure, plus de la moitié des personnes interrogées (57 %) estiment qu'il devrait être strictement interdit dans l'UE, tandis que près d'un tiers (32 %) pensent qu'il ne devrait être maintenu que si le bien-être est amélioré ».
La Commission européenne a fait savoir le 7 décembre 2023 dans le cadre de la présentation de sa réforme législative (voir ci-dessous) qu’elle avait saisi l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) à la suite de l’initiative citoyenne européenne déclarée recevable le 13 juin dernier « Fur Free Europe » dans le cadre de son approche « one health / une seule santé ». Il s’agira sur la base de cette évaluation et des incidences économiques et sociales d’adopter des mesures appropriées. Par contre aucune mention n’a été faite à cette occasion des suites données à l’initiative « End the cage » pour laquelle la Commission avait pourtant répondu favorablement en juin 2021 en proposant la suppression progressive et définitive des cages par l’adoption d’une législation au plus tard en… décembre 2023.
C’est donc dans ce contexte que la Commission européenne a présenté le 7 décembre 2023 les premiers jalons d’une vaste réforme de la législation sur le bien-être animal. Celle-ci repose à ce jour sur la Directive 98/58/CE du Conseil du 20 juillet 1998 concernant la protection des animaux dans les élevages et sur le règlement (CE) n° 1/2005 du 22 décembre 2004 relatif à la protection des animaux pendant le transport et les opérations annexes et modifiant les directives 64/432/CEE et 93/119/CE et le règlement (CE) n° 1255/97.
Ces initiatives répondent au programme qui avait été défini en mai 2020 dans le cadre de la stratégie européenne « de la ferme à la table » (COM(2020) 381 final), document dans lequel la Commission rappelait que « l’amélioration du bien-être des animaux améliore la santé des animaux et la qualité des denrées alimentaires, réduit le besoin de médicaments et peut contribuer à préserver la biodiversité. Il est évident que cela répond au souhait des citoyens ». La révision de la législation devait avoir pour objectif « de la mettre en concordance avec les dernières données scientifiques, d’élargir son champ d’application, de la rendre plus simple à faire respecter et d’assurer un niveau plus élevé de bien-être animal ».
Lors de la présentation par la Commission européenne des premiers travaux, deux textes ont été mis en avant : le premier concernant la révision du règlement de 2005 sur le transport animal, le second étant un nouveau texte relatif au bien-être et à la traçabilité des chiens et des chats. En outre, elle entend aussi répondre à l’initiative « end the cage ».

C.M.

Les premiers pas de la législation européenne sur le bien-être animal

La législation européenne sur le bien-être animal était annoncée depuis un certain temps et d’autant plus attendue2. L’action de l’Union européenne en matière de droit animalier a acquis un ancrage certain, approfondi constamment par la dynamique jurisprudentielle de la Cour de justice, comme le montre régulièrement cette chronique. Si le corpus législatif de l’Union est désormais significatif, et largement inédit au niveau supranational et international, cette approche reste ancrée et continue de nourrir une approche sectorielle. L’annonce d’une législation européenne en matière de bien-être animal pouvait laisser penser qu’un pas significatif serait fait dans le sens du dépassement d’une telle approche. Mais, en raison du principe d’attribution des compétences de l’ordre juridique de l’Union européenne3, l’approche de l’Union européenne se fait principalement par type d’animal ou encore selon une approche finaliste. Faut-il le rappeler, l’Union européenne ne dispose pas d’une compétence générale en matière de bien-être animal, l’article 13 TFUE ne formulant l’exigence du respect du bien-être animal qu’au titre d’un objectif devant être intégré dans la mise en œuvre des politiques de l’Union européenne4. C’est pourquoi, de manière non surprenante, la législation sur le bien-être animal ne prend pas la direction d’une grande « Loi européenne sur le bien-être animal », à l’instar de celle adoptée en matière de lutte contre le changement climatique5. Les deux projets de textes présentés le 7 décembre 2023, qui constituent probablement les premiers jalons de ce mouvement législatif, restent ancrés dans l’approche classique, étant fondées sur les articles 43 et 114 TFUE, soit la compétence de l’Union en matière agricole et en matière de marché intérieur et de rapprochement des législations. Dans cadre, la promotion du bien-être animal demeure centrée largement sur les animaux de rente. Le premier règlement porte sur le transport des animaux6 ; le second sur le bien-être des chats et chiens et leur traçabilité7. Même dans l’hypothèse du second règlement présenté, c’est bien l’angle qui est retenu, puisqu’il concerne d’abord leurs conditions d’élevage.
Plus précisément, le premier règlement a pour objectif de poser les normes pour garantir la protection des animaux durant le transport, au sein de l’Union européenne, au départ ou à l’arrivée de l’Union européenne. Le second règlement a pour objet de définir les exigences minimales pour assurer le bien-être des chiens et chats élevés ou gardés dans un établissement, ou placé sur le marché de l’Union européenne, et leur traçabilité.
Ces deux textes ne sont encore que des propositions soumises par la Commission au législateur européen. Dès lors, il n’apparait pas pertinent d’en proposer une analyse textuelle détaillée. Toutefois, il semble d’ores et déjà intéressant d’en relater les grandes lignes. Il faut d’emblée relever une distinction importante entre ces deux règlements : le règlement relatif aux conditions de transport abroge un règlement existant, le règlement 1/2005 ; le second, le règlement relatif au bien-être des chats et chiens constitue un texte inédit8. Pourtant, en dépit de cette différence notable, les deux propositions, présentées le même jour, s’inscrivent dans une approche commune, révélée par un certain nombre d’aspects, tant formels que matériels.

a. Le choix de deux règlements

D’un point de vue formel, les deux textes proposés le sont sous la forme d’un règlement. Ce choix révèle une volonté d’uniformiser les règles juridiques applicables au sein des États membres sur les deux sujets concernés. Une telle option n’apparait pas surprenante dans le cas du règlement relatif au transport, dans la mesure où il vise à abroger le règlement 1/2005. Or, il ne doit exister que peu d’hypothèses dans lesquelles il y aurait eu une régression en termes de lecture du principe de subsidiarité, un processus de révision législatif allant rarement dans le sens de moins d’intervention de l’Union. Mais d’emblée, c’est également l’option retenue pour le règlement relatif au bien-être des chiens et des chats.
La motivation de ce choix est claire, il s’agit de procéder à une uniformisation des législations nationales, le règlement étant d’application immédiate et d’effet direct9. Déjà dans le cadre du règlement 1/2005, il a été souligné les limites tenant aux différences existantes entre les États membres, limites qui affectent son efficacité10. C’est notamment l’existence de ces difficultés qui constitue l’une des motivations d’adoption du nouveau règlement relatif au transport. En effet, l’adoption d’un règlement n’avait pas suffi à supprimer les différences d’approche entre les États membres, le degré d’uniformisation atteint restant conditionné au degré de précisions des exigences formulées par les dispositions du règlement. Ainsi, une marge de manœuvre était laissée aux États membres sur le fondement du règlement 1/2005, et sa révision tend à la limiter.
Comme indiqué précédemment, le second règlement est inédit, en ce qu’il porte sur le bien-être des chats et des chiens. Le traitement de cette question est nouveau du point de vue de l’Union européenne, la question des chats et des chiens, et même des animaux de compagnie au sens plus large, étant peu traitée. Elle a notamment pu être abordée dans le cadre de la prohibition de l’importation de la fourrure de ces animaux au sein de l’Union, sur le fondement alors de la politique commerciale commune11. Mais en effet, l’Union ne dispose pas de compétences réellement appropriées pour régir la situation des animaux de compagnie. Or, l’adoption ici d’un règlement est motivée par le fait qu’il s’inscrit dans la lignée de la législation européenne relative à la santé animale, champ largement uniformisé entre les États membres12. De plus, l’uniformisation jusqu’alors insuffisante entre les États membres peut conduire non seulement à des distorsions de concurrence entre les opérateurs du secteur, mais surtout à encourager un nivellement par le bas des exigences de bien-être et favoriser la tromperie du consommateur13.

b. Un ancrage fort dans les enjeux sociétaux

La proposition des deux règlements tend à répondre aux attentes sociétales. D’une manière générale, depuis les débuts du développement de la législation européenne, l’Union européenne s’est montrée particulièrement à l’écoute des attentes des citoyens à l’égard de la question animale, tant pour l’adoption de normes14 que pour leur évolution17 Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, l’utilisation de primates non humains dans les procédures scientifiques reste nécessaire à la recherche biomédicale. En raison de la proximité génétique avec l’homme et des aptitudes sociales hautement développées qui caractérisent les primates non humains, leur utilisation dans des procédures scientifiques soulève des questions éthiques spécifiques et pose des problèmes pratiques quant à la satisfaction de leurs besoins comportementaux, environnementaux et sociaux dans un environnement de laboratoire. En outre, l’utilisation de primates non humains préoccupe au plus haut point les citoyens ».">15. L’Union européenne est même devenue, ces dernières années, un espace d’expression politique privilégié de la cause animale, preuve en est la multiplication des initiatives citoyennes sur cette thématique16, et même des pétitions portées devant le Parlement européen.
La voix de la société civile sur les thématiques concernées avait d’ailleurs été relayée par le Parlement européen17 qui avait incité à remettre sur le métier le règlement 1/2005. La prise en compte des attentes sociétales ressort des travaux préparatoires18. Et le règlement sur le bien-être des chiens et chats et leur traçabilité constitue une réponse directe à la hausse constante du trafic de chats et surtout de chiens en provenance de Russie et de Biélorussie, qui est largement inacceptable aux yeux des citoyens, et peut engendrer des conséquences graves19.
Toutefois, l’adoption de ces règlementations n’est pas uniquement dictée par les attentes de la société. Elle répond aussi à une évolution du contexte général. Tout d’abord, elles traduisent la prise en compte des effets du changement climatique. Ainsi, ces deux règlements s’inscrivent dans la mise en œuvre du volet agricole du Green Deal (Stratégie de la Fourche à la Fourchette), visant à « verdir » la politique agricole commune. La promotion du bien-être animal, si elle n’est pas nouvelle dans ce cadre, a donc fait l’objet d’un regain d’attention. C’est particulièrement prégnant dans le cas du transport. La hausse des températures, spécialement en été, et souvent pendant des durées plus longues, impacte directement les conditions de bien-être des animaux transportés.
Afin de tenir compte de cette évolution, et à la lumière de l’évolution des connaissances scientifiques20, la proposition de règlement relatif au transport s’attache à plusieurs points. Tout d’abord, le principe posé par le règlement est celui de la limitation des transports de longue durée, il impose de privilégier l’abattage de proximité, ou sinon, le transport de carcasses ou de viande, voire d’embryons et de semences. Le développement technologique actuel ne permet pas d’assurer que le niveau de température à l’intérieur des véhicules de transport soit acceptable pour les animaux transportés. De plus, la proposition de règlement porte une attention particulière aux spécimens vulnérables, spécialement les femelles pleines et les jeunes animaux non sevrés. Enfin, dans la lignée du règlement 1/2005, le règlement propose de limiter les temps de transport, ainsi que les cas de déchargement.
Ensuite, le processus de digitalisation a aussi un impact direct sur l’évolution des normes applicables. La digitalisation a facilité la vente en ligne des chiens et des chats, augmentant les risques de trafic et d’élevage dans des conditions loin d’être compatibles avec les exigences de bien-être21. Mais la digitalisation offre de nouvelles opportunités en termes de contrôle et de suivi, qui permettent de préserver et de faciliter les conditions de circulation des animaux concernés, notamment au-delà des frontières de l’Union européenne. Ainsi, si les chiens et chats doivent déjà être identifiés sur le fondement du règlement 2016/429, par un transpondeur, cette obligation ne s’imposait qu’en cas de mouvements entre les États membres. La proposition de règlement vise à imposer une telle obligation d’identification dès lors qu’un chat ou un chien est sur le territoire d’un État membre, qu’il y soit né ou qu’il y entre, et surtout oblige les États membres à créer des bases de données des chats et chiens qui se trouvent sur le marché européen, et à assurer leur interopérabilité, afin de faciliter la circulation de ces informations au sein de l’Union, et les contrôles opérés par les autorités officielles afin d’assurer le respect des règles de bien-être22. La digitalisation permet ainsi de conforter la réalisation d’un objectif commun aux deux propositions de règlements, qui est le renforcement de la traçabilité.

c. Le renforcement de la traçabilité

L’adoption des deux propositions de règlement s’inscrit dans l’objectif d’accroitre la traçabilité des mouvements des animaux concernés. La traçabilité peut porter, dans le cadre du règlement sur le transport animal, sur le respect des exigences de bien-être tout au long du transport. Elle peut concerner, dans le cadre du règlement sur les chiens et chats, l’origine des animaux. Cette exigence de traçabilité apparait au cœur des préoccupations des institutions de l’Union. Dans le cadre du règlement relatif au transport, la traçabilité constitue une condition d’effectivité des normes imposées. Dans le cadre du règlement relatif au bien-être des chiens et chats et leur traçabilité, l’attention qui y est portée s’inscrit notamment dans le sens des préoccupations des citoyens européens, comme un outil décisif pour lutter contre les trafics et leurs dérives.
La lecture des travaux préparatoires traduit bien l’idée selon laquelle le renforcement de la traçabilité est une condition sine qua non du maintien des mouvements des animaux en dehors des frontières de l’Union européenne. Même si l’option de l’interdiction de mouvements d’animaux hors de l’Union est envisagée, comme l’interdiction de commercialisation de chats et de chiens en provenance d’un État tiers, elle semble peu envisageable en pratique en raison spécialement de son poids économique, de même qu’elle ne peut être considérée comme une solution véritablement appropriée pour limiter le trafic des chiens et chats. Elle n’est donc pas retenue, mais l’accent mis sur la traçabilité en constitue une compensation. Elle est d’autant plus décisive qu’en matière de transport, les exigences de l’Union sont applicables de manière extraterritoriale, pour les phases de transport au-delà de l’Union européenne23. Leur respect est notamment contrôlé par les points de contact officiels et par la confirmation de l’exigence de la tenue d’un document, reprenant les étapes du transport24. S’agissant des mouvements des chiens et chats, l’attention est portée sur l’obligation d’identification des animaux, et sur le renforcement des obligations imposés aux éleveurs et aux vendeurs.

Ces législations étaient attendues… elles arrivent à un moment relativement inattendu. On ne les espérait plus, et l’on pouvait penser que la fin de la mandature du Parlement européen et de la Commission ne constituait pas un moment propice pour déclencher un processus législatif, dont on ne verra pas le terme dans l’immédiat, et ce d’autant plus que pour un certain nombre d’obligations énoncées dans les règlements, un délai d’adaptation est prévu. Elles n’en constituent pas moins des premiers jalons intéressants pour guider l’approfondissement de l’action de l’Union en matière de bien-être animal, même si cette approche demeure largement progressive et ne doit pas occulter l’attention qui devra être nécessairement portée aux conditions de mise en œuvre au sein des États membres.

E.C.

2. « Winter is coming » pour le loup en Europe

Tout en initiant une vaste réforme législative relative au bien-être des animaux d’élevage et domestiques, la Commission européenne propose dans le même temps d’abaisser le standard de protection des loups (Canis lupus) tel que défini par la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe entrée en vigueur le 1er juin 198225.
En effet, au sens de cette convention internationale, les loups relèvent de l’annexe II contenant la liste des « espèces de faune strictement protégées ». L’article 6 de la convention prévoit à cet égard que « [s]eront notamment interdits, pour ces espèces : a) toutes formes de capture intentionnelle, de détention et de mise à mort intentionnelle ; b) la détérioration ou la destruction intentionnelles des sites de reproduction ou des aires de repos ; c) la perturbation intentionnelle de la faune sauvage, notamment durant la période de reproduction, de dépendance et d'hibernation, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente Convention ; d) la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature ou leur détention, même vides ; e) la détention et le commerce interne de ces animaux, vivants ou morts, y compris des animaux naturalisés, et de toute partie ou de tout produit, facilement identifiables, obtenus à partir de l'animal, lorsque cette mesure contribue à l'efficacité des dispositions du présent article ». Or la Commission souhaiterait que, désormais, les loups relèvent de l’annexe III sur les « espèces de faune protégées » dont la protection est nettement moins étendue puisque l’article 7, point 2, dispose que « toute exploitation de la faune sauvage énumérée dans l'annexe III est réglementée de manière à maintenir l'existence de ces populations hors de danger, compte tenu des dispositions de l'article 2. 3 Ces mesures comprennent notamment : a) l'institution de périodes de fermeture et/ou d'autres mesures réglementaires d'exploitation ; b) l'interdiction temporaire ou locale de l'exploitation, s'il y a lieu, afin de permettre aux populations existantes de retrouver un niveau satisfaisant ; c) la réglementation, s'il y a lieu, de la vente, de la détention, du transport ou de l'offre aux fins de vente des animaux sauvages, vivants ou morts ».
La Commission européenne justifie cette proposition d’amendement de la convention de Berne, qui devra cependant être acceptée par les 50 États signataires26, par le fait que ladite convention a été adoptée sur la base des connaissances scientifiques sur lesquelles se sont fondées les négociateurs en 1979 et alors que des évolutions majeures sont intervenues depuis lors. Le Parlement européen avait lui aussi adopté le 24 novembre 2022 une résolution sur la protection des élevages de bétail et des grands carnivores en Europe27 dans laquelle il « se félicit[ait] que le point « Proposition d’amendement : déplacer le loup (Canis lupus) de l’annexe II à l’annexe III de la Convention » ait été inscrit à l’ordre du jour de la 42e réunion du Comité permanent de la Convention de Berne ; souligne que l’état de conservation du loup au niveau paneuropéen justifie une atténuation du statut de protection et, par conséquent, l’adoption de l’amendement proposé ». Cette modification de la convention de Berne constitue en effet une condition nécessaire pour faire évoluer le droit de l’Union européenne et notamment les dispositions pertinentes de la directive « Habitats »28.
Le 20 décembre 2023, la Commission européenne a donc publié une analyse approfondie sur la situation du loup dans l’Union européenne29. Il ressort de cette dernière que les loups sont aujourd’hui présents dans la plupart des États membres (24 sur 2730) et que sa population est estimée entre 11.000 et 17.000 membres. Fondée sur 39 rapports régionaux adoptés au titre de l’article 17 de la directive « Habitats », ceux-ci soulignent la tendance à l’amélioration de l’état des populations, même si cette conclusion mérite d’être grandement relativisée par le fait que, sur 37 rapports complets, 19 font état d’une situation encore « défavorable » pour l’espèce. L’analyse approfondie relève aussi que la mort provoquée de manière délibérée ou accidentelle par les humains constitue toujours la première cause de mortalité du loup, alors qu’à l’inverse aucune attaque mortelle de loup sur les humains n’a été reportée au cours des 40 dernières années en Europe.
Mais, bien entendu, c’est la préservation du bétail qui constitue toujours, comme dans les siècles précédents, l’origine de la crainte suscitée par un animal qui contribue pourtant à la biodiversité, notamment en permettant la régulation de certaines espèces invasives. L’analyse approfondie fait état que les loups tuent chaque année environ 73.000 têtes de bétail, pour l’essentiel des moutons et des chèvres (73%), des vaches (19%) et des chevaux et des poneys (6%), dont plus de la moitié dans seulement 3 États membres, l’Espagne, la France et l’Italie. Rappelons dans le même temps que, selon les derniers chiffres d’Eurostat (2022)31, le nombre de têtes de bétail s’élevait dans l’Union européenne à 76 millions pour les bovins et 60 millions pour les moutons, soit rapporté au nombre de bêtes annuellement blessées ou tuées par le loup 0,018 % pour les bovins et 0,08 % pour les ovins.
Sans aller plus loin dans le détail de l’analyse approfondie, qui met aussi en lumière les contours des diverses protections existantes au sein des États membres et de sonder les opinions nationales à propos du maintien du niveau de protection actuel ou au contraire de sa diminution32, une telle décision d’amendement n’est pas de nature à encourager les solutions les plus favorables à la préservation de la vie et de l’habitat du loup, tant un tel signal ne pourra être interprété par les États membres que comme la possibilité de réguler davantage et de manière plus stricte les conditions de cohabitation du loup et des hommes.

C.M.

B. Jurisprudence (Union européenne)

Dans une affaire Commission c/ Irlande, la Cour de justice a été amenée à préciser à nouveau le régime juridique des zones spéciales de conservation33. La Commission reprochait à l’Irlande de n’avoir pas désigné comme zones spéciales de conservation, le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans, 217 des 423 sites d’importance communautaire de la région biogéographique atlantique qui ont été inscrits sur la liste établie par la décision 2004/813/CE de la Commission, du 7 décembre 2004, arrêtant, en application de la directive 92/43/CEE du Conseil (directive « habitats »), la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JOCE 2004, L 387, p. 1). L’État membre invoquait toutefois la complexité de cette procédure de désignation et rappelait que ces sites « étaient déjà protégés par la loi irlandaise en tant que « sites candidats à la désignation de zones spéciales de conservation » » (point 12).
La Cour de justice commence par rappeler que « la procédure de désignation des sites en tant que zones spéciales de conservation, telle que prévue à l’article 4 de la directive “Habitats”, se déroule en quatre étapes. Selon cet article 4, paragraphe 1, chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels et les espèces indigènes qu’ils abritent et cette liste est transmise à la Commission (première étape). Conformément au paragraphe 2 dudit article 4, la Commission établit, en accord avec chacun des États membres, un projet de liste des sites d’importance communautaire, à partir des listes des États membres (deuxième étape). Sur la base de ce projet de liste, la Commission arrête la liste des sites sélectionnés (troisième étape). En application du paragraphe 4 du même article 4, une fois qu’un site d’importance communautaire a été retenu, l’État membre concerné désigne celui-ci comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel ou d’une espèce et pour la cohérence de Natura 2000 (quatrième étape) » (point 45). C’est pourquoi en omettant de procéder à cette désignation l’Irlande avait sans conteste manqué à ses obligations (point 56). En outre, la Commission reprochait aussi à cet État membre de ne pas avoir fixé d’objectifs détaillés de conservation pour l’ensemble des sites d’importance communautaire, ce que ce dernier reconnaissait et amenait la Cour à constater un nouveau manquement (point 69).
Toutefois, c’est à propos des mesures de conservation elles-mêmes que le manquement semblait le plus grave du point de vue de la Commission européenne. Selon elle, en effet, l’Irlande soit n’avait pas encore adopté de telles mesures pour certains sites, soit avait adopté des mesures insuffisantes ou inappropriées. Or la Cour de justice considère que « [l]a circonstance que l’Irlande a manqué à l’obligation découlant de l’article 4, paragraphe 4, de la directive “habitats” de désigner en tant que zones spéciales de conservation les sites d’importance communautaire en cause ne la soustrait pas, en ce qui concerne ces mêmes sites, à l’obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive et à une constatation de manquement en cas de violation de cette dernière obligation » (point 140). Si le manquement est, sans grande surprise, avéré pour les sites n’ayant fait l’objet d’aucune mesure de conservation (point 154), la Cour reconnaît cependant que l’État peut adopter des mesures de conservation avant d’avoir défini les objectifs de conservation (point 162) et précise que, dans cette affaire, la Commission européenne n’a pas rapporté la preuve, sur le fondement de l’article 258 TFUE, que certaines mesures de conservation seraient insuffisantes au motifs qu’elles étaient « d’une qualité insuffisante, parce qu’elles n’étaient pas suffisamment précises et détaillées ou parce qu’elles étaient insuffisantes pour répondre à l’ensemble des pressions et des menaces importantes » (point 175).
La Cour de justice a d’ailleurs précisé, dans une autre affaire concernant l’Allemagne34, que « si les objectifs de conservation fixés par un État membre doivent permettre de vérifier si les mesures de conservation fondées sur ceux-ci sont aptes à atteindre l’état de conservation souhaité du site en cause, il n’en demeure pas moins que la nécessité de formuler ces objectifs de manière quantitative et mesurable doit être examinée dans chaque cas concret et ne saurait être reconnue comme étant une obligation générale pour les États membres » (point 116). C’est pourquoi « l’argument de la Commission pris de ce que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » en adoptant une pratique générale qui consiste à fixer les objectifs de conservation sans spécifier d’éléments quantitatifs et mesurables doit être rejeté » (point 126), tout comme « il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission pris de ce que la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » en adoptant une pratique générale qui consiste à fixer les objectifs de conservation sans faire de distinction entre, d’une part, le rétablissement des objets à protéger et, d’autre part, le maintien de ces objets » (point 131).
Une société exploitant une forêt en Lettonie s’était vue reprochée par le service de protection de l’environnement d’avoir abattu des arbres sur une distance d’environ 17 km au sein d’une zone spéciale de conservation d’importance communautaire (Natura 2000), et d’avoir ainsi porté atteinte aux obligations découlant de l’article 6 de la directive « habitats » (qui porte comme le rappelait l’avocat général Kokott sur l’« évaluation préalable des incidences des plans et des projets susceptibles d’affecter de manière significative des zones naturelles protégées d’importance européenne »)35. Or cette société faisait valoir que cet abattage répondait aux exigences de la règlementation nationale en matière de prévention des incendies de forêts. La Cour de justice apporte à cette occasion d’importantes précisions.
Tout d’abord, « la notion de “projet”, au sens de cette disposition, inclut les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, lorsque ces activités modifient la réalité physique du site concerné » (point 41).
En outre, « les activités exercées dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, afin d’assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans cette zone, conformément aux exigences prévues par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts, ne peuvent être considérées, du seul fait qu’elles ont un tel objet, comme directement liées ou nécessaires à la gestion du site concerné et ne peuvent donc être dispensées à ce titre de l’évaluation de leurs incidences sur ce site, à moins qu’elles ne figurent au nombre des mesures de conservation du site déjà arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de la directive “habitats” » (point 51), ce qui implique que « l’article 6, paragraphe 3, de la directive “habitats” doit être interprété en ce sens qu’il impose de procéder à une évaluation des plans et projets visés par cet article, même lorsque leur réalisation est exigée par la réglementation nationale applicable en matière de prévention des risques d’incendies de forêts » (point 60).
Enfin, « les activités destinées à assurer l’entretien des infrastructures de protection des forêts contre les incendies dans une zone forestière, désignée comme une zone spéciale de conservation, ne peuvent être engagées ni a fortiori poursuivies et achevées avant l’accomplissement de la procédure d’évaluation de leurs incidences prévue à cet article, à moins que ces activités ne figurent au nombre des mesures de conservation du site concerné déjà arrêtées en application de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive ou qu’un risque actuel ou imminent portant préjudice à la préservation de ce site n’en commande la réalisation immédiate » (point 71).
Pour conclure, si l’État membre a l’obligation de remédier aux incidences négatives sur l’environnement de telles actions voire à réparer les dommages causés par ces travaux, la directive « n’oblige pas cet État membre à exiger de particuliers la réparation d’un tel dommage, dans le cas où il leur est imputable » (point 88).
A la suite de la reconduction par la Commission européenne de l’utilisation du glyphosate dans l’Union européenne en l’absence de consensus entre les 27 États membres pour une durée de 10 ans36, et ce malgré les conséquences négatives que ce produit peut avoir sur la santé humaine et animale37, l’on ne pourra que se réjouir que la Cour de justice ait rejeté le pourvoi tendant à l’annulation du règlement d’exécution (UE) 2018/1500 de la Commission, du 9 octobre 2018, concernant le non-renouvellement de l’approbation de la substance active « thirame », et interdisant l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant du thirame, conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques38. A cet égard, « [l]e 27 janvier 2017, l’EFSA a communiqué, à la Commission, ses conclusions, dans lesquelles elle faisait état de plusieurs préoccupations, notamment une préoccupation critique liée à l’identification d’un risque alimentaire élevé pour les oiseaux et les mammifères » (point 19).

C.M.

  • 1 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_23_4951
  • 2 V. par exemple « Bien-être animal : la Commission européenne entretient le flou sur ses projets de réforme », Le Monde, 13 septembre 2023 ; « L'UE sacrifie-t-elle le bien-être animal pour lutter contre l'inflation ? », Euronews, 12 octobre 2023.
  • 3 Art. 5 TUE.
  • 4 Trib. UE, 5 avril 2017, HB e.a. / Commission, T-361/14, note E. Chevalier, « Rappels sur la place du bien-être animal en droit de l’Union européenne, note sous Trib. UE, 5 avril 2017, HB c. Commission européenne, T-361/14 », RSDA 2/2016, p. 91.
  • 5 Règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et modifiant le règlement (UE) n° 525/2013 (JOUE L 156, 19 juin 2018, p. 26-42).
  • 6 Regulation of the European Parliament and of the Council on the protection of animals during transport and related operations, amending Council Regulation (EC) n° 1255/97 and repealing Council Regulation (EC) n° 1/2005, 2023/0448 (COD).
  • 7 Regulation of the European Parliament and of the Council on the welfare of dogs and cats and their traceability, 2023/0447 (COD).
  • 8 L’Union européenne s’était déjà intéressée aux chiens et aux chats, plus largement aux animaux de compagnie, de manière ponctuelle : v. notamment règlement (UE) n° 576/2013 du Parlement européen et du Conseil du 12 juin 2013 relatif aux mouvements non commerciaux d’animaux de compagnie et abrogeant le règlement (CE) n° 998/2003 (JOUE L 178, 28 juin 2013, p. 1-26).
  • 9 Article 288 TFUE.
  • 10 Cour des comptes de l’Union européenne, Rapport spécial n° 31/2018 : Bien-être animal dans l’UE: réduire la fracture entre des objectifs ambitieux et la réalité de la mise en œuvre.
  • 11 Règlement (CE) n° 1523/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 interdisant la mise sur le marché, l'importation dans la Communauté ou l'exportation depuis cette dernière de fourrure de chat et de chien et de produits en contenant (JOUE L 343, 27 décembre 2007, p. 1-4).
  • 12 Règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et modifiant et abrogeant certains actes dans le domaine de la santé animale (« législation sur la santé animale ») (JOUE L 84, 31 mars 2016, p. 1-208).
  • 13 V. Préambule de la proposition de règlement relatif au bien-être des chiens et des chats et leur traçabilité, recital (3) : “Also, consumers are insufficiently protected as they are often confronted, when acquiring a dog or a cat, with the negative consequences of the poor welfare conditions in which the animals have been bred and kept in the establishments, such as health problems, behavioral problems or genetic defects of the dog or cat purchased or acquired”.
  • 14 Règlement (CE) n° 1007/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 sur le commerce des produits dérivés du phoque (JOUE L 286, 31 octobre 2009, p. 36-39), considérant 4 du préambule : « (4) La chasse aux phoques a soulevé de vives inquiétudes auprès du public et des gouvernements sensibles au bien-être des animaux, en raison de la douleur, de la détresse, de la peur et des autres formes de souffrance infligées à ces animaux lors de la mise à mort et de l’écorchage tels qu’ils sont la plupart du temps pratiqués ».
  • 15 Directive 2010/63 du 22 septembre 2010 relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques (JOUE L 276, 20 octobre 2010, p. 33-79), considérant 17 du préambule : « (17) Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, l’utilisation de primates non humains dans les procédures scientifiques reste nécessaire à la recherche biomédicale. En raison de la proximité génétique avec l’homme et des aptitudes sociales hautement développées qui caractérisent les primates non humains, leur utilisation dans des procédures scientifiques soulève des questions éthiques spécifiques et pose des problèmes pratiques quant à la satisfaction de leurs besoins comportementaux, environnementaux et sociaux dans un environnement de laboratoire. En outre, l’utilisation de primates non humains préoccupe au plus haut point les citoyens ».
  • 16 V. https://citizens-initiative.europa.eu/_fr
  • 17 Résolution du Parlement européen du 16 février 2022 sur le rapport d’exécution relatif au bien-être des animaux sur les exploitations (2020/2085(INI)).
  • 18 Explanatory Memorandum of the Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the welfare of dogs and cats and their traceability, p. 1: “According to a Eurobarometer conducted in 2023, 44% of Union citizens own companion animals and 74% of Union citizens consider that the welfare of companion animals should be better protected than it is now. 6 out of the 10 European Citizens’ Initiatives which have been successful so far relate to animal welfare, reflecting the importance that citizens attach to better protect animals in general” ; Explanatory Memorandum of the Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the protection of animals during transport and related operations, amending Council Regulation (EC) n° 1255/97 and repealing Council Regulation (EC) n° 1/2005, p. 6 : “Citizens support limiting journey times and banning exports to third countries, especially if animals are intended for slaughter. With regards to vulnerable animals, particularly the unweaned ones, citizens prefer to ban their transport. Citizens also support specific species requirements”. V. Résultats de l’Eurobaromètre sur l’attitude des Européens vis-à-vis du bien-être animal, https://europa.eu/eurobarometer/surveys/detail/2996
  • 19 Explanatory Memorandum of the Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the welfare of dogs and cats and their traceability, p. 1: “The trade in dogs and cats is very lucrative, with the estimated annual value of dogs and cats’ sales in the EU amounting to EUR 1.3 billion19 , and therefore attractive to operators willing to engage in unfair or even unlawful business practices. Some establishments are keeping dogs or cats under poor welfare conditions, exhausting females to have many litters per year, neglecting animals on their food, housing, health and hygiene conditions and selling them too young (because it is easier to sell and cheaper to produce). Consequently, many animals present physical defects or are sick, and not treated against parasites. These animals also often present behavioral disorders due to early weaning or mistreatments. They may also be falsely identified in order to prevent tracing back their origin. (…) Some Member States that are points of entry of dogs and cats into the Union, such as Latvia, have observed repetitive non-compliances and suspected cases of fraud with consignments and the misuse of the non-commercial movement documents for trade purposes, and an increase in the volume of dogs and cats entering from Russia and Belarus. As a result, some of those Member States are considering national measures – for example Latvia has introduced additional control measures at import. However, if no action is taken at EU level, this would likely lead to diverting such movements to entering the Union via other Member States”.
  • 20 Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the protection of animals during transport and related operations, amending Council Regulation (EC) n° 1255/97 and repealing Council Regulation (EC) n° 1/2005, recital 7 du préambule : “The EFSA opinions broadly conclude that providing more space, lowering maximum temperatures and keeping journey times to a minimum, are all required to improve the protection of animals during transport. Therefore, Regulation (EC) n° 1/2005 should be replaced by a new Regulation that is in line with the latest developments in scientific and technical knowledge in this field and with consumers’ demands, while avoiding barriers to the functioning of the internal market and trade in live animals and ensuring the enforceability of the new rules”.
  • 21 Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques) (JOUE L 277, 27 octobre 2022, p. 1-102) (“the Digital Service Act”).
  • 22 Considérant 10 de la proposition de règlement, v. art. 19 de la proposition de règlement.
  • 23 CJUE, 23 avril 2015, Zuchtvieh-Export GmbH c. Stadt Kempten, C-424/13, note E. Chevalier, « Le bien-être animal ne connaît pas de frontières !, note sous CJUE, 23 avril 2015, Zuchtvieh-Export GmbH c. Stadt Kempten, C-424/13 », RSDA n° 1/2015, p. 101.
  • 24 CJUE, 19 octobre 2017, Vion Livestock BV contre Staatssecretaris van Economische Zaken, C-383/16, note E. Chevalier, « Quand la copie vaut plus que l’original : précisions sur les moyens de preuve du respect des conditions de bien-être animal en matière de transport, note sous CJUE, 19 octobre 2017, Vion Livestock BV contre Staatssecretaris van Economische Zaken, C-383/16 », RSDA n° 1/2017, p. 91.
  • 25 Proposal for a Council Decision on the position to be taken on behalf of the European Union on submitting proposals for amendment of Appendices II and III of the Convention on the Conservation of European wildlife and natural habitats with a view to the meeting of the Standing Committee of the Convention, COM/2023/799 final, 20 décembre 2023.
  • 26 En 2022, la Suisse a déposé une proposition identique qui a été rejetée par les parties signataires de la Convention de Berne ; voir analyse approfondie de la Commission européenne (ci-dessous), p. 15.
  • 27 https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0423_FR.html
  • 28 Directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, JOCE L 206, 22 juillet 1992, pp. 7-50 ; l’annexe II de la directive prévoit la désignation de zones spéciales de conservation pour le loup.
  • 29 https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/5d017e4e-9efc-11ee-b164-01aa75ed71a1/language-en
  • 30 A l’exception de l’Irlande, Malte et Chypre.
  • 31 https://ec.europa.eu/eurostat/web/products-eurostat-news/-/DDN-20220517-2
  • 32 Voir Annexe de l’analyse approfondie, p. 4.
  • 33 CJUE, 29 juin 2023, aff. C-444/21.
  • 34 CJUE, 21 septembre 2023, aff. C-116/22.
  • 35 CJUE, 7 décembre 2023, « Latvijas valsts meži » AS et autres, aff. C-434/22.
  • 36 Règlement d’exécution (UE) 2023/2660 de la Commission du 28 novembre 2023 renouvelant l’approbation de la substance active glyphosate conformément au règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, et modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 de la Commission, JOUE n° L, 2023/2660, 29 novembre 2023.
  • 37 https://www.inrae.fr/actualites/glyphosate-perturbe-fonctions-reproduction-animale-humaine ; l’OMS a classé le glyphosate comme « cancérogène probable » en 2015.
  • 38 CJUE, 22 juin 2023, Arysta LifeScience Great Britain Ltd et autres, aff. C-259/22 P.
 

RSDA 2-2023

Droit administratif
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit administratif

  • Pascal Combeau
    Professeur de droit public
    Université de Bordeaux
    Institut Léon Duguit
  • Maryse Deguergue
    Professeure émérite de droit public
    Université Paris
    ISJPS (CERAP)

Quand le Conseil d’Etat s’invite au… cirque « moderne »
CE, 20 oct. 2023, Le collectif des cirques, n° 470965


Décidément, l’imagination contentieuse des thuriféraires des spectacles itinérants exploitant des animaux sauvages est pour le moins prolixe, à défaut d’être efficace, comme l’illustre cet arrêt rendu par le Conseil d’Etat.
L’usage des animaux sauvages dans ces établissements n’est pourtant pas une évidence du point de vue historique. Si le cirque apparait, dans sa période contemporaine, dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, il est alors et avant tout équestre, conformément aux traditions de cavalerie anglaise1 ; ce n’est que par mimétisme colonial qu’il deviendra, par la suite, « exotique » par l’exploitation d’espèces sauvages, comme le souligne très bien Pascal Jacob : « à partir de la fin du XIXème siècle, le cirque s’impose comme une forme populaire, délaisse chevaux et écuyères – les oublie sur l’étagère de la nostalgie et du romantisme – pour s’épanouir dans un exotisme facile fondé sur l’omniprésence des animaux sauvages »2. Anachronique au regard du cirque traditionnel, cette pratique « moderne » apparait aujourd’hui surtout décalée tant elle heurte directement le bien-être animal3. Ce constat largement partagé4 a conduit le législateur à planifier sa disparition. C’est l’un des apports de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes5, issue d’une proposition de loi et adoptée avec une rare « concorde politique »6. Si ce texte n’est pas dénué d’ambiguïtés, il contient de réelles avancées quant à la protection de l’animal sauvage7. L’une des plus emblématiques concerne justement les cirques et figure désormais dans un nouvel article L. 413-10, II du Code de l’environnement qui pose un principe d’interdiction dans ces établissements, de la détention, du transport et des spectacles incluant des espèces d'animaux non domestiques. Il était temps : la Fédération des vétérinaires européens (FVE) s’était prononcée dès 2015 contre l’utilisation de mammifères sauvages dans des cirques itinérants, « recommandant à toutes les autorités compétentes européennes et nationales d’interdire l’utilisation des mammifères sauvages dans les cirques itinérants dans toute d’Europe, compte tenu de l’impossibilité absolue de répondre de façon adéquate à leurs besoins physiologiques, mentaux et sociaux »8. Toutefois – et c’est l’une des limites de ce texte –, le législateur a souhaité aménager, au profit des établissements concernés, une période de transition puisque l’interdiction n’entre en vigueur qu’à l'expiration d'un délai de sept ans à compter de la promulgation de la loi, soit le 30 novembre 2028.
Cette interdiction différée a engendré un contentieux qui était inévitablement destiné à prospérer. D’un côté, des communes qui ont décidé d’agir, soit avant la promulgation de la loi de 2021, en l’absence de toute interdiction nationale, soit même depuis, afin d’anticiper d’ici 2028 une interdiction qu’elles estiment trop tardive. Ces initiatives locales ont pris la forme de délibérations adoptées par des conseils municipaux, entendant renoncer à recevoir des cirques mettant en scène des animaux sauvages ou, plus fondamentalement, d’arrêtés pris par des maires, fondés sur leur pouvoir de police administrative générale et interdisant de tels spectacles9. De l’autre côté, certaines associations de défense du cirque qui ont systématiquement attaqué ces initiatives locales devant le juge, obtenant, du reste, la plupart du temps gain de cause. Les délibérations, lorsqu’elles ne sont pas considérées comme de simples vœux10, mais comme de véritables décisions susceptibles de recours, ont été suspendues11 ou annulées pour vice d’incompétence12. Quant aux arrêtés municipaux, les juridictions administratives territoriales ont majoritairement conclu à leur illégalité, considérant que les maires ne pouvaient user de leur police générale dès lors qu’il existe une police spéciale réglementant les animaux sauvages dans les cirques aux mains des préfets de département13.
En dépit de ces solutions qui semblent plutôt favorables aux intérêts des associations concernées, Le collectif des cirques a décidé d’aller plus loin, constatant la multiplication des actions communales encouragées par le nouveau contexte législatif, sans que les préfets de département ne s’y opposent toujours. Ce nouvel angle d’attaque centré sur l’action potentielle des préfets fait précisément l’objet de cet arrêt du Conseil d’Etat qui se prononce pour la première fois dans ce type de contentieux lié à loi de 2021. Par un courrier du 15 novembre 2022, le collectif a en effet saisi la Première ministre d’une demande ayant un double objet : d’une part, doter les préfets d’un pouvoir de substitution aux maires et d’autre part, leur adresser une instruction afin qu’ils fassent usage, dans cette hypothèse, de leur pouvoir de déféré préfectoral. C’est le refus implicite de rejet née du silence de la Première ministre que le collectif conteste devant la Haute juridiction administrative. L’intérêt de cet arrêt qui vient nourrir un contentieux déjà fourni est de mettre en lumière la fragilité de la stratégie des défenseurs des cirques animaliers : non seulement la requête est logiquement écartée (I) mais elle apparaît, à bien des égards, inutile (II).

I. Une requête logiquement rejetée

Le Conseil d’Etat considère en l’espèce que les refus implicites nés des demandes dont le collectif a saisi la Première ministre « ne constituent pas des décisions susceptibles d’être déférées au juge de l’excès de pouvoir » ; partant, les conclusions à fin d’annulation étant irrecevables, elles ne peuvent qu’être rejetées. Il faut dire que les demandes en question étaient particulièrement mal fondées.
La première demande était relative à l’attribution aux préfets de département d’un pouvoir de substitution « aux fins de leur permettre d’annuler directement les décisions prises par les maires »14, lorsqu’ils réglementent la tenue, sur leur commune, des spectacles itinérant incluant des animaux sauvages. Le Conseil d’Etat avance deux motifs pour écarter la requête. D’abord, contrairement à ce qui est soutenu, un tel pouvoir d’annulation ne peut se fonder sur l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) qui permet au préfet de suppléer à la carence du maire pour prendre des mesures relatives au maintien de l’ordre public. Cette disposition définit, comme on sait, l’étendue du pouvoir de substitution préfectorale en matière de police administrative générale : le représentant de l’Etat peut ainsi prendre des mesures aux lieux et places des maires, après mise en demeure de ces derniers d’agir ; en aucun cas, la substitution ne lui permet « d’annuler » un arrêté municipal. Ce rappel est cohérent et met en exergue les ambiguïtés de la demande du collectif au regard du mécanisme même de la substitution d’action qui, de manière générale, est destinée à lutter contre l’inertie et l’inaction administrative15. Du reste, conférer au préfet de département un pouvoir d’annulation des actes pris par un maire apparait bien iconoclaste depuis que la réforme de la tutelle administrative opérée en 198216, a remplacé le pouvoir d’annulation des actes communaux détenu par le préfet par un contrôle de légalité, certes déclenché par le préfet, mais aux mains du juge administratif. Ensuite, à supposer que ce type de substitution préfectorale puisse être mis en œuvre, il ne revient pas au pouvoir réglementaire d’aménager une telle prérogative. Le principe de libre administration des collectivités territoriales, tel que défini par les articles 34 et 72 de la Constitution, impose nécessairement la compétence législative17. Le Conseil d’Etat se situe dans le cadre posé par la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui, à propos de l’attribution d’un nouveau pouvoir de substitution aux préfets, déduit de l’article 72 « qu'il appartient au législateur de prévoir l'intervention du représentant de l'État pour remédier, sous le contrôle du juge, aux difficultés résultant de l'absence de décision de la part des autorités décentralisées compétentes en se substituant à ces dernières lorsque cette absence de décision risque de compromettre le fonctionnement des services publics et l'application des lois »18. Le refus de la Première ministre est donc légitime, tout comme son refus de déposer un projet au Parlement, en application de l’article 39 de la Constitution, qui constitue « un acte insusceptible de tout contrôle juridictionnel » car il « touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels». Sur ce point, la Haute juridiction administrative ne fait que rappeler la jurisprudence relative aux actes de gouvernement dans les rapports du pouvoir exécutif avec les autres pouvoirs publics constitués, en reprenant le considérant développé par l’arrêt Krikorian de 1992 à propos des refus de déposer un projet de loi19 ; ce qui confirme, au passage, la vitalité de cette notion introuvable20, rétive à toute systématisation21.
L’autre demande adressée à la Première ministre n’est pas plus fondée. Le collectif souhaitait en effet que cette dernière adresse aux préfets une instruction qui rappelle le cadre juridique de la tenue des spectacles itinérants et qui les incite à exercer leur déféré à l’encontre de tous les actes pris par les autorités municipales contraires à ce cadre. La motivation des requérants pouvait se comprendre dès lors qu’ils estiment que les préfets, face au développement des règlementations communales restrictives, ne remplissent pas leur rôle de gardien de la légalité ; ce, d’autant qu’ils ne sont pas astreints à déférer les actes locaux22. Par ailleurs, le vecteur des instructions et des circulaires rappelant le droit applicable fait sens : actes d’interprétation par excellence, destinés au cercle interne de l’administration, ces supports « spontanés », n’ont pas besoin d’être fondés sur une compétence explicite23. De surcroît, de nombreuses circulaires ont été prises par le ministre de l’Intérieur à l’adresse des préfets, définissant une stratégie du contrôle de légalité à l’égard de certains actes locaux qui, parce que considérés comme prioritaires, doivent faire l’objet d’une vigilance particulière24. Mais comme le rappelle le Conseil d’Etat dans notre arrêt, « s’il est loisible à une autorité publique d’adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaitre l’interprétation qu’elle retient de l’état du droit, elle n’est jamais tenue de le faire ». Cette affirmation est de jurisprudence constante25 et elle a été réitérée26, même après l’arrêt GISTI qui a ouvert la recevabilité du recours pour excès de pouvoir à l’égard des circulaires et plus globalement tous les documents à portée interne27 ; ce qui confirme bien que « l’élaboration, la rédaction, l’émission et la diffusion d’une circulaire administrative interprétative demeurent à la libre et entière appréciation de l’administration »28. Dans un arrêt de 2022, la Haute juridiction administrative avait complété cette absence d’obligation par une autre : « Saisie par un tiers, elle n'est pas davantage tenue de répondre à la demande dont l'objet est de faire donner instruction aux autorités subordonnées d'appliquer les règles de droit à une situation déterminée, obligation à laquelle ces autorités sont en tout état de cause tenues »29. C’est cette solution que le Conseil d’Etat transpose en l’espèce puisque les requérants ne se contentaient pas de demander une instruction rappelant l’état du droit mais bien, par cette instruction, d’obliger les préfets à agir. La requête est donc logiquement rejetée mais elle pose néanmoins question.

II. Une requête vraiment utile ?

La question de la stratégie contentieuse du collectif se pose à la lecture de cet arrêt qui doit être replacé dans le contentieux actuel des mesures locales visant à limiter, voire interdire les spectacles itinérants exploitant les animaux sauvages. L’objectif des requérants est, rappelons-le, de faire en sorte, dans l’attente de l’interdiction générale prévue pour 2028, d’empêcher toute action locale à velléité « anticipatrice ». Les arrêtés de police générale du maire fondés sur l’article L. 2212-1 du CGCT sont ici particulièrement visés. D’ailleurs, le Conseil d’Etat, dans notre arrêt, leur donne, d’une certaine manière, raison : rappelant que l’interdiction prévue par la loi de 2021 n’entre en vigueur qu’à l’expiration d’un délai de sept ans à compter de la date de sa promulgation, il confirme que « jusqu'à l'expiration de ce délai, il appartient le cas échéant au maire, si les circonstances locales le justifient et sous le contrôle du juge, de réglementer, par les pouvoirs de police dont il dispose, conformément aux articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, la tenue de ces spectacles sur le territoire de la commune afin d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».
Mais ce que ne dit pas le Conseil d’Etat – astreint à demeurer dans le strict cadre des moyens invoqués par les requérants – est que ce fondement de la police administrative générale des maires pour interdire ce type de spectacles n’est pas, en l’état actuel du droit, opérationnel. C’est ce que confirme la jurisprudence des juridictions administratives territoriales, en attendant que le Conseil d’Etat prenne position sur ce point30. Ces dernières appliquent l'adage specialia generalibus derogant issu de la théorie des « concours de police » : puisqu’il existe une police spéciale réglementant les animaux sauvages dans les cirques aux mains des préfets de département, les maires ne peuvent sur un même objet et une même finalité – la protection du bien-être animal – se fonder sur leur police générale pour interdire, sur leur commune, de tels spectacles, sans porter atteinte aux prérogatives préfectorales31. Cette police spéciale est précisée par le Code de l’environnement qui prévoit un régime d’autorisation régissant tant la détention ou l’utilisation d'animaux d'espèces non domestiques, que, surtout, les établissements élevant ou exploitant de tels animaux32. L’autorisation préalable délivrée par le préfet de département doit satisfaire à des conditions afin que ces animaux soient détenus dans des conditions de nature « à satisfaire leurs besoins biologiques et comportementaux » ainsi que « leur bien-être et leur santé »33. La police spéciale prime donc ici sur la police générale. Mais les juges territoriaux ne s’arrêtent pas à ce constat, ils examinent aussi la possibilité d’une articulation selon les termes posées par la jurisprudence qui précise que, dans le cas de polices administratives portant sur un même objet, l’intervention de la police générale n’est pas exclue, à condition toutefois de démontrer l’existence de circonstances locales ou l’existence d’un péril éminent34. Or, en matière de réglementation des animaux sauvages dans les cirques, c’est bien l’absence démontrée de ces deux paramètres qui justifie l’incompétence des maires35. En faisant mention de l’existence de « circonstances locales » qui pourraient justifier que le maire, au nom de sa police générale, puisse prendre des mesures plus rigoureuses36, le Conseil d’Etat ne fait que rappeler l’état du droit, même s’il ne dit mot sur la police spéciale détenue par le préfet en la matière. Il faudra qu’il se prononce de manière plus explicite pour savoir si le raisonnement suivi par les juges du fond est bien celui qu’il faut retenir.
En attendant, c’est bien au regard de cet état du droit que l’action du collectif peut apparaitre assez vaine – pourquoi vouloir instituer une procédure spécifique de substitution ou obliger les préfets à user de leur déféré préfectoral lorsque les arrêtés municipaux de police sont in fine annulés par le juge administratif ? –, voire surprenante – pourquoi demander au préfet de se substituer au maire quand il est à même de ne pas autoriser de tels spectacles ? –. Mais on ne peut reprocher à des requérants d’utiliser toutes les voies contentieuses mises à leur disposition. C’est plutôt le législateur qui est ici en cause : en reportant la date d’interdiction d’exploiter des animaux sauvages dans les cirques, il a incontestablement ouvert les vannes d’une saga dont il ignorait sans doute tous les rebondissements à venir.

P. Combeau



Les tirs d'effarouchement contre les ours : suite et fin ?
CE, 6ème – 5ème chambres réunies, 10 juillet 2023, Association One Voice et Association Sea Shepherd, n° 465654


Le long arrêt de dix pages rendu par les 6ème et 5ème chambres réunies le 10 juillet 2023 mérite le détour, car il est apparemment en contradiction avec un arrêt précédemment commenté dans ces colonnes, rendu le 4 février 202137, qui avait annulé, à la demande de plusieurs associations, un arrêté du 27 juin 2019 du ministre de la Transition écologique et solidaire et du ministre de l'Agriculture et de l'alimentation, relatif à la mise en place à titre expérimental de tirs d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux. Le motif d'annulation retenu avait été l'insuffisance de l'encadrement des conditions de mise en œuvre de l'effarouchement renforcé à l'encontre des ours par des tirs non létaux avec une arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc. Le juge administratif avait estimé alors que les possibilités de recourir à l'effarouchement renforcé ne permettaient pas de s'assurer qu'elles ne portaient pas atteinte au maintien des populations d'ours dans leur aire de répartition naturelle et qu'elles ne compromettaient pas l'amélioration de l'état de l'espèce. Les ministres concernés devaient donc revoir leur copie : ils ont pris un nouvel arrêté le 20 juin 202238, attaqué, lui aussi, par la voie du recours pour excès de pouvoir, cette fois par les associations One Voice et Sea Shepherd, et qui donne lieu à l'espèce commentée.
Les requêtes des deux associations sont distinctes, car l'association Sea Shepherd demandait au juge, outre l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté attaqué, qu'il enjoigne aux ministres concernés de mettre en œuvre des mesures permettant de garantir la préservation de l'ours brun dans un état de conservation favorable. Le Conseil d'Etat procède à la jonction des deux requêtes puisqu'elles sont dirigées contre le même arrêté, mais il examine tous les moyens développés par les deux requérantes – ce qui explique la longueur de l'arrêt – avant de rejeter les requêtes en raison de changements dans les circonstances de fait qui seront développés ci-après. Mais un changement dans les circonstances de droit est aussi intervenu durant l'instance, puisque les ministres de la Transition écologique et de l'Agriculture ont pris le 4 mai 2023 un nouvel arrêté39 abrogeant et remplaçant le précédent, ce qui pouvait laisser penser que le juge aurait pu décider d'un non-lieu à statuer, ou, à tout le moins, que le contenu du nouvel arrêté pouvait donner raison aux associations requérantes et influer sur l'appréciation de la légalité de l'arrêté attaqué. Le Conseil d'Etat, compétent en premier et dernier ressort pour connaître d'un arrêté interministériel, rejette d'un revers de plume cette éventualité et considère que désormais les modalités de l'effarouchement renforcé, telles qu'elles sont encadrées par l'arrêté attaqué, « n'apparaissent pas susceptibles » de porter atteinte au maintien des populations d'ours dans leur aire de répartition naturelle et de nature à compromettre l'amélioration de l'état de l'espèce.
Il convient de rappeler que l'arrêté du 27 juin 201940, annulé en 2021, mettait en place deux types de mesures d'effarouchement de l'ours à titre expérimental : l'effarouchement simple à l'aide de moyens sonores, olfactifs et lumineux et l'effarouchement renforcé au moyen de tirs non létaux par armes à feu. Il faut croire que l'expérimentation a été concluante (I), puisque l'arrêté attaqué dans la présente espèce instaurait de manière définitive ces deux types de mesures. L'arrêté du 4 mai 2023 qui l'a remplacé fait de même et précise, dans les motifs de son édiction, que les mesures d'effarouchement renforcé mises en œuvre depuis 2019 ont permis, « lors de contacts », la mise en fuite des ours et l'échec de leur tentative d'approche du troupeau. Pour faire court, les tirs d'effarouchement contre les ours sont donc efficaces et méritent d'être pérennisés, dans un contexte, faut-il le rappeler, d'opposition des éleveurs à la réintroduction de l'ours et particulièrement de deux femelles slovènes gestantes en octobre 2018. Encore convient-il, pour que l'objectif de conservation de l'espèce dans un état favorable soit atteint, que les conditions de mise en œuvre de l'effarouchement renforcé soient précises et que les tirs effectués soient nécessaires et proportionnés au but de prévention des dommages aux troupeaux. L'arrêté attaqué avait le mérite de détailler ces conditions, ce qui a convaincu le juge de le considérer comme légal, d'autant que la population des ours a augmenté depuis 2021. Toutefois, cette légalité apparaît bien contingente (II), car le nouvel arrêté du 4 mai 2023 renforce encore les conditions de recours aux tirs en limitant le nombre de personnes habilitées à y procéder.

I. Une expérimentation concluante

L'expérimentation mise en place en 2019, bien qu'annulée pour partie par le Conseil d'Etat en 2021, a été concluante sur le terrain et a justifié la pérennisation des deux méthodes d'effarouchement des ours, malgré l'invocation du principe de précaution réitérée par les associations requérantes dans la présente espèce. Tenant compte du motif d'annulation de leur précédent arrêté du 27 juin 2019, les auteurs de l'arrêté attaqué en date du 20 juin 2022, ont prévu un encadrement minutieux de l'effarouchement renforcé des ours, dont le principe même reste sujet à questionnements.

A. Le maintien de deux modalités d'effarouchement ou la neutralisation du principe de précaution

Le cadre juridique des deux affaires – celle jugée en 2021 et celle présentement commentée – est rigoureusement le même. A cet égard, le Conseil d'Etat rappelle les textes applicables, à savoir la directive « Habitats » du 21 mai 199241 instaurant une protection stricte des espèces menacées d'extinction avec toutefois la possibilité de dérogations pour prévenir des dommages importants à l'élevage, les lois françaises de transposition de cette directive codifiées à l'article L. 411-1 et 2 du Code de l'environnement42 et leurs décrets d'application. Ces textes conditionnent la délivrance de dérogations à l'interdiction de perturber les espèces protégées à l'absence d'autre solution satisfaisante et à l'absence de nuisance au maintien, « dans un état de conservation favorable », des populations dans leur aire de répartition naturelle. Les associations requérantes invoquaient, comme dans le précédent de 2021, la violation du principe de précaution, en ce que l'état des connaissances actuelles ne permet pas d'affirmer que les tirs d'effarouchement renforcé ne nuisent pas au maintien de l'ours dans un état de conservation favorable dans son aire de répartition naturelle, puisqu'ils peuvent présenter notamment des risques de perturbation pour les femelles « suitées » par leurs oursons. Cependant, en 2021, les associations requérantes s'étaient fondées sur le principe de précaution tel qu'il est défini par l'article 5 de la Charte de l'environnement française43. On rappellera pour mémoire que l'arrêt du 4 février 2021 avait rapidement et en préliminaire éludé la question, en affirmant que les risques pour la viabilité de l'espèce n'étaient pas au nombre de ceux qui présentent des incertitudes « en l'état des connaissances scientifiques », et en considérant dès lors que le moyen tiré de la violation du principe de précaution ne pouvait « en tout état de cause » qu'être écarté.
En conséquence, les associations requérantes dans la présente espèce ont invoqué en outre le moyen tiré de la violation du principe de précaution européen, résultant de l'article 191 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne44, tel qu'il est interprété par la Cour de justice45, pensant qu'il pouvait davantage prospérer. En effet, la Cour de justice de l'Union européenne a décidé que « si l'examen des meilleures données scientifiques disponibles laisse subsister une incertitude sur le point de savoir si une dérogation […] nuira ou non au maintien ou au rétablissement des populations d'une espèce menacée d'extinction dans un état de conservation favorable, l'Etat membre doit s'abstenir de l'adopter ou de la mettre en œuvre ». Toute la question était donc de savoir si une incertitude subsistait quant aux effets de la méthode d'effarouchement renforcé par des tirs, certes non létaux, mais qui peuvent perturber les femelles et réduire leur fertilité. Or, le Conseil d'Etat affirme qu'il n'y a pas d'incertitude et assure que la réglementation en cause ne contrevient pas à la condition du maintien ou du rétablissement, dans un état de conservation favorable, des populations d'ours dans leur aire de répartition naturelle46. Il en veut pour preuve l'évolution favorable de la population des ours dans les Pyrénées qu'il avait auparavant exposée lorsqu'il a examiné le moyen tiré de la méconnaissance de cette condition47. Ainsi, se fondant sur le bilan de l'expérimentation menée sur trois années de 2019 à 2021, il relève que l'aire de répartition de l'espèce a continué à augmenter au cours de cette période d'expérimentation et qu'aucun effet négatif n'a été mis en évidence (ni dommages auditifs, ni perturbation des femelles suitées ou en gestation, ni séparation des mères et de leurs oursons). Par ailleurs, l'effectif des ours a crû régulièrement depuis 2019 avec un taux d'accroissement moyen annuel de 11,4 % entre 2006 et 202048.
Néanmoins, malgré l'accroissement de la population d'ours et l'extension de son aire de répartition, le Conseil d'Etat reconnaît que les effectifs demeurent encore inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l'espèce, et qui est évaluée à plus de cent individus49. Il ne peut dès lors que reconnaître que l'état de conservation de l'espèce n'a pas encore retrouvé « un caractère favorable ». Aussi, n'est-il pas interdit de se demander si le maintien de l'effarouchement renforcé n'entrave pas, d'une manière ou d'une autre, – et c'est tout l'intérêt d'invoquer le principe de précaution – la fécondité des ours. Car l'encadrement minutieux de cette méthode ne la rend pas totalement inoffensive.

B. L'encadrement minutieux de l'effarouchement renforcé en réponse à la précédente annulation

En 2021, les seules conditions, relatives aux personnes autorisées à demander une dérogation permettant le recours à l'effarouchement renforcé et aux personnes habilitées à tirer sur les ours, avaient paru insuffisantes au Conseil d'Etat pour assurer le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations dans leur aire de répartition naturelle et pour permettre l'amélioration de l'état de l'espèce. D'ailleurs, le juge administratif n'était pas loin de penser que ces personnes étaient trop nombreuses, puisqu'il avait relevé que les possibilités de recourir à l'effarouchement renforcé étaient ouvertes et déploré que les auteurs de l'arrêté n'aient pas davantage encadré ses conditions. Ces lacunes ont été comblées par l'arrêté attaqué dans la présente espèce, lequel fixe, à titre désormais permanent, les conditions et les limites dans lesquelles les préfets peuvent accorder des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours. En effet, et pour résumer, cinq conditions sont maintenant précisées : premièrement, le recours à la dérogation est conditionné à « la mise en œuvre effective et proportionnée de moyens de protection du troupeau », sauf s'il est reconnu que ce dernier ne peut pas être protégé ; deuxièmement, la mise en œuvre de l'effarouchement simple est un préalable obligatoire au recours à l'effarouchement renforcé et il doit ne pas avoir été suffisant pour éloigner l'ours ; troisièmement, la dérogation ne peut être délivrée que pour une durée maximale de huit mois pour une saison d'estive, au lieu de six précédemment, mais elle peut être suspendue si le compte-rendu d'une opération d'effarouchement n'a pas été adressé au préfet ; en quatrième lieu, les opérations d'effarouchement renforcé ne peuvent être réalisées que de nuit autour d'un troupeau regroupé et exposé à la prédation d'un ours repéré à proximité immédiate de celui-ci ; enfin, les tirs ne peuvent être réalisés qu'à un endroit et sous un certain angle50 et « tant que le prédateur persiste dans un comportement intentionnel de prédation ».
En outre, une différence marquante singularise l'arrêté de 2022 par rapport au précédent : toute mesure d'effarouchement renforcé est interdite dans le cœur du Parc national des Pyrénées, alors qu'auparavant elle était possible avec l'autorisation du directeur du Parc51. Nonobstant ces dispositions très détaillées, les associations requérantes tentaient de les faire annuler, en avançant de nombreux arguments d'illégalité externe et interne. Au titre des premiers, le juge confirme sans surprise la sincérité de la consultation du public, réalisée par voie électronique entre le 27 avril et le 19 mai 2022, étant donné que la note de présentation du projet d'arrêté était bien accompagnée de l'avis défavorable du Conseil national de protection de la nature (CNPN) et du bilan des expérimentations menées de 2019 à 2021 ainsi que du bilan de l'effarouchement pour l'année 2021. De plus, le juge rappelle que l'avis du CNPN est un avis simple et non conforme, qui ne lie donc pas l'autorité administrative. Enfin, l'argument tiré du défaut de motivation de l'arrêté attaqué ne pouvait prospérer, les actes réglementaires n'étant pas soumis à une obligation de motivation52. Quant aux moyens de légalité interne, et indépendamment de la violation du principe de précaution déjà examinée, les associations en avançaient principalement trois, tous relatifs à la violation des conditions d'obtention des dérogations posées par l'article L. 411-2 du Code de l'environnement53. Les deux premiers moyens ne posaient pas de difficultés particulières et ne pouvaient qu'être rejetés par le juge. La condition tenant à l'objectif de prévenir des dommages importants à l'élevage était bien remplie, dès lors que les mesures d'effarouchement ne peuvent être mises en œuvre que dans les cas où les troupeaux ont déjà subi des prédations, en nombre et en intensité prévus par l'arrêté dans des termes sensiblement identiques à ceux de l'arrêté de 201954. Par ailleurs, était aussi remplie la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante que le Conseil d'Etat avait déjà vérifiée dans son arrêt du 4 février 2021. A cet égard, il rappelle que « la mise en œuvre de mesures d'effarouchement revêt un caractère subsidiaire et est subordonnée à l'existence de mesures effectives et proportionnées de protection du troupeau » ou de mesures effectives et reconnues équivalentes. En tout état de cause, les autres solutions préconisées par les associations requérantes à la suite du CNPN – combinaison du gardiennage par les bergers, du regroupement nocturne des troupeaux et présence de chiens de protection – ne sont pas considérées par le juge, au vu du dossier, comme donnant des résultats équivalents à ceux de l'effarouchement.
La condition relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations d'ours dans leur aire de répartition naturelle, posait davantage de difficultés, d'une part parce qu'elle avait conduit à l'annulation de l'arrêté de 2019, d'autre part parce qu'elle dépend étroitement des constatations de fait sur le terrain qui peuvent évoluer dans le temps.

II. Une légalité contingente

Le Conseil d'Etat se fonde sur un changement des circonstances de fait pour considérer l'arrêté attaqué comme légal, mais estime que son abrogation et son remplacement par un arrêté du 4 mai 2023 n'ont aucune incidence sur sa légalité, déniant ainsi au changement de circonstances de droit tout effet sur l'instance en cours.

A. Un changement des circonstances de fait décisif

En réalité, deux séries de considérations de fait viennent justifier le changement d'appréciation du juge administratif sur la légalité de la méthode d'effarouchement renforcé, étant observé que les mesures d'effarouchement simple, comme en 2021, sont considérées comme n'étant pas de nature à porter atteinte au maintien des populations d'ours ou à compromettre l'amélioration de l'état de conservation de l'espèce55. Tout d'abord, et contrairement à la situation qui prévalait durant les expérimentations menées de 2019 à 2021, l'arrêté attaqué comporte un certain nombre de précisions importantes relatives aux types de fusils qui peuvent être utilisés pour effaroucher les ours et pour protéger les personnes réalisant les opérations, à la durée de la dérogation accordée et aux conditions dans lesquelles l'effarouchement renforcé peut être mis en place à la suite de l'échec des mesures d'effarouchement simple, conditions rappelées ci-dessus. Le cumul de toutes ces conditions conduit le Conseil d'Etat à juger, contrairement à l'appréciation qu'il avait portée en 2021, qu'elles encadrent « strictement » la mise en œuvre pratique des opérations d'effarouchement renforcé « afin qu'elles se déroulent dans les meilleures conditions de sécurité et d'éviter toute atteinte, même accidentelle, à un spécimen d'ours ». Le raisonnement du Conseil d'Etat dans son arrêt de 2021 laissait du reste supposer qu'un meilleur encadrement de cette méthode pourrait à l'avenir rendre légaux les tirs d'effarouchement56.
Ensuite, et au surplus, le Conseil d'Etat se réfère au dossier d'instruction comportant le bilan des expérimentations réalisées de 2019 à 2021 et l'état de l'évolution de l'espèce qui s'avère favorable. Effectivement, non seulement l'aire de sa répartition naturelle a augmenté57 mais le nombre d'individus est aussi plus important, comme on l'a mentionné plus haut, et enfin le nombre de femelles suitées a « sensiblement » augmenté et aucune séparation entre une femelle et ses oursons n'a été constatée. Finalement, s'appuyant sur les éléments versés au dossier, le juge relève qu’« aucun effet négatif particulier n'a été mis en évidence » à la suite des mesures d'effarouchement renforcé prises contre les ours durant trois ans. Même si l'arrêt commenté ne signale pas expressément, et dans ces termes, ce changement dans les circonstances de fait entre 2021 et 2023, c'est bien celui-ci qui explique la légalité de l'arrêté du 20 juin 2022 par rapport à l'illégalité de l'arrêté portant expérimentation du 27 juin 2019. Juridiquement, il est intéressant de constater que si, traditionnellement, un changement de circonstances de fait ou de droit, peut justifier l'illégalité d'un acte réglementaire, parfaitement légal au moment de son édiction58, à l'inverse, un tel changement de circonstances peut justifier la légalité d'un acte réglementaire dont l'objet est identique à un précédent acte illégal.
La conclusion que l'arrêt commenté tire de ce changement dans les circonstances de fait paraît logique : « en l'état des données les plus récentes », les dispositions de l'arrêté attaqué concernant l'effarouchement renforcé « n'apparaissent pas susceptibles de porter atteinte au maintien des populations de l'espèce dans leur aire de répartition naturelle, ni de nature à compromettre l'amélioration de l'état de l'espèce ». Cependant, le doute peut subsister sur ce dernier point. En effet, le Conseil d'Etat a reconnu lui-même en 2021 et une fois encore dans l'arrêt commenté que, malgré l'accroissement de la population d'ours et l'extension de son aire de répartition, « les effectifs demeurent encore inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l'espèce, estimée à un peu plus d'une centaine d'individus matures... de sorte que l'état de conservation de l'espèce ne peut, à la date de l'arrêté attaqué, être regardé comme ayant retrouvé un caractère favorable »59. On peut en effet se demander comment l'état de conservation de l'espèce peut retrouver un caractère favorable avec des coups de fusil qui ne nuiraient pas à l'amélioration de l'état de l'espèce. L'avis défavorable du CNPN remarque en ce sens, en conclusion, que « la pérennisation de cet arrêté, dont l'efficacité en termes de réduction de la prédation dans le temps n'est pas prouvée, relève d'une approche dangereuse à terme pour la conservation de l'ours brun et plus généralement de la faune sauvage »60.
En outre, dans cet avis, le CNPN déplore la disparition en 2020 de trois ours par destruction illégale et d'une femelle suitée en 2021, sans qu'un dispositif de remplacement de ces individus ne soit prévu. Ce constat pose directement la question des personnes habilitées à tirer sur les ours, question qui a motivé, en cours d'instance, l'abrogation et le remplacement de l'arrêté attaqué par un autre arrêté en date du 4 mai 2023, qui n'a toutefois eu aucun effet sur la légalité de l'arrêté attaqué.

B. Un changement des circonstances de droit indifférent

Les associations requérantes invoquaient l'intervention en cours d'instance de ce nouvel arrêté interministériel abrogeant et remplaçant l'arrêté attaqué pour argumenter sur son illégalité. L'idée sous-jacente étant que les ministres ont voulu échapper à une annulation prononcée par le juge en rectifiant des dispositions supposées entachées d'illégalité. Le Conseil d'Etat, dans une incise qui aurait mérité davantage d'explications, rejette cet argument de façon péremptoire dans les termes suivants : « sans que les associations requérantes puissent utilement invoquer la circonstance que les ministres ont adopté un nouvel arrêté en date du 4 mai 2023 ». En réalité, dans la différence de rédaction des deux arrêtés réside toute la nuance entre la légalité et l'opportunité de l'appréciation du contenu d'un acte réglementaire. Les ministres compétents ont en effet tiré les conséquences de la motivation du précédent arrêt du 4 février 2021, lequel déplorait, à mots couverts61, le trop grand nombre de personnes compétentes pour mettre en œuvre les tirs d'effarouchement renforcé, à savoir l'éleveur ou le berger titulaires du permis de chasser, les lieutenants de louveterie, les chasseurs, les agents de l'office national de la chasse et de la faune sauvage, après une formation préalable par les agents de cet office. L'arrêté attaqué du 20 juin 2022 n'avait pas modifié cette énumération et avait simplement remplacé les agents de l'office de la chasse par ceux de l'office français de la biodiversité (OFB), qui lui a succédé.
Le changement apporté par l'arrêté du 4 mai 2023 a consisté au contraire à prévoir l'exclusivité de la compétence des agents de l'OFB pour effectuer des tirs non létaux sur les ours62. Mais cette appréciation nouvelle de la part des autorités administratives ne démontrait pas pour autant l'illégalité intrinsèque de l'arrêté attaqué. Les auteurs de ce dernier avaient simplement eu une appréciation différente et considéré que la multiplicité des personnes habilitées à tirer sur l'ours protègerait mieux les troupeaux. Au contraire, les auteurs de l'arrêté du 4 mai 2023 ont voulu protéger au mieux les ours, comme en atteste l'exposé des motifs de l'arrêté : « considérant que la réalisation des opérations d'effarouchement renforcé par les seuls agents de l'OFB garantit que ces mesures seront mises en œuvre par des professionnels spécialistes de la biodiversité, de la réglementation applicable aux ours, et formés à l'exercice, qu'elle permettra ainsi de s'assurer que les tirs à effet sonore dirigés contre les ours, notamment contre les femelles suitées identifiées, seront exclusivement mis en œuvre dans les cas où ils s'avèrent strictement nécessaires et dans des conditions minimisant la perturbation de ceux-ci ».
De fait, l'époque n'est plus celle où l'homme cherche à rivaliser avec l'animal. Si Plutarque a pu jadis écrire que « l'homme qui, le premier, tua un loup ou un ours en retira de la gloire »63, cette force s'est transmutée en faiblesse, puisque l'homme est considéré alors, lui aussi, comme un prédateur contre lequel les défenseurs de l'écologie s'insurgent. Sans même poser la question de savoir s'il faut tuer l'ours prédateur au motif qu'il tue ses proies et, par voie de conséquence, l'homme aussi, puisqu'il est un mangeur de viande prédateur64, l'essentiel ici est de considérer que seuls des professionnels aguerris et formés pourront à l'avenir tirer sur les ours pour les effaroucher.
Reste une dernière question juridique que le bon sens conduit à se poser. Dès lors que l'arrêté attaqué a été abrogé et remplacé par un arrêté postérieur du 4 mai 2023, y avait-il lieu à statuer sur le recours présenté par les associations, lesquelles ont finalement obtenu, au moins partiellement, ce qu'elles recherchaient ? La question n'est pas traitée par l'arrêt commenté, car le nouvel arrêté étant intervenu en cours d'instance, les parties ne l'ont pas posée et le juge ne l'a pas relevée d'office, étant donné qu'il ne s'agit pas d'un moyen d'ordre public. D'ailleurs, le non-lieu ne pouvait pas, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat, stabilisée depuis 2000, être prononcé par le juge65. En effet, il ne peut l'être qu'en cas de retrait de l'acte attaqué (avec effet rétroactif) et non pas en cas d'abrogation (seulement pour l'avenir). Cependant, le non-lieu à statuer peut exceptionnellement être prononcé en cas d'abrogation de l'acte attaqué en cours d'instance si deux conditions se trouvent réunies cumulativement : d'une part, l'acte attaqué ne doit pas avoir reçu un commencement d'exécution, d'autre part l'acte d'abrogation doit être définitif66. Or, dans notre cas d'espèce, l'acte attaqué a bien fait l'objet d'une exécution entre son entrée en vigueur le 22 juin 2022 exactement, soit un jour après sa publication au JO, et la date de son abrogation le 4 mai 2023. Le non-lieu à statuer ne pouvait donc pas être prononcé, quand bien même il aurait été demandé par une partie à l'instance et alors même que, intuitivement, il peut paraître inutile que le juge se prononce sur la légalité d'un acte qui n'existe plus. Toutefois, il était important que le juge statue sur sa légalité dans le laps de temps où il a reçu application et qu'il vide sur le fond la querelle autour de la légitimité de la méthode d'effarouchement renforcé mise en œuvre contre les ours.
En validant cette méthode, on peut penser que le juge administratif a voulu mettre un point final aux lancinantes questions de l'efficacité des tirs d'effarouchement pour la protection des troupeaux et du délicat équilibre à trouver avec la protection des ours, au moins jusqu'à ce que de nouvelles études viennent démontrer éventuellement que ces tirs perturbent bel et bien les ours et ne permettent pas à l'espèce de retrouver un état de conservation favorable. Peut-on en outre espérer que la méthode des tirs d'effarouchement soit étendue aux loups, en lieu et place des tirs réels létaux et forcément perturbateurs de cette espèce ?

M. Deguergue

  • 1 V. X. PERROT, « La fabrique du divertissement animalier – Cirques et combats, entre dénaturation pour le rire et effusion de sang pour le plaisir », RSDA 2/2016. 209 et s. ; J. GARCIA et Ph. HENWOOD, « Le cirque commence à cheval : les archives de Paul Adrian au département des Arts du spectacle de la Bibliothèque nationale de France », In Situ, Revue des patrimoines [En ligne], 27/2015 ; R. AUGUET, Histoire et légende du cirque, Flammarion, 1992 ; pour la période romaine, v. not., N. MAILLARD, « L’animal au cirque - Communion civique et divertissement collectif autour de l’asservissement et de la mort animale », RSDA 2/2016. 191 et s.
  • 2 P. JACOB, Une histoire du cirque, Seuil, BNF, 2016, p. 124.
  • 3 F. SCHRAFSTETTER, « Pourquoi les animaux sauvages n’ont rien à faire dans les cirques », RSDA 2/2016. 169 et s.
  • 4 Un récent sondage (3ème vague du baromètre annuel « Les Français et le bien-être des animaux » mené par la Fondation 30 millions d’amis et l’IFOP, janvier 2020) montrait que 72 % des Français étaient favorables à l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques.
  • 5 Pour des commentaires, v. not., M. MARTIN, « Animal joli, joli, joli, tu plais à mon père, tu plais à ma mère..., éléments de réflexion à propos de la loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 », RSDA 2/2021. 247 et s. ; O. BUISINE, « Loi contre la maltraitance animale : quelles avancées ? », Rev. dr. rur. 2022, n° 499, p. 21 et s.
  • 6 J.-P. MARGUENAUD, « Radiographie de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les homme », RSDA 2/2021. 17.
  • 7 Comme l’interdiction des élevages de visons d'Amérique et d'animaux d'autres espèces non domestiques exclusivement élevés pour la production de fourrure (Code rur., nouvel art. L. 214-9-1) ou l’interdiction des delphinariums et des établissements de spectacles de cétacés (C. env., nouvel art. L. 413-12).
  • 8 Assemblée nationale, Rapport n° 3791, janv. 2021.
  • 9 V. A. MOREAU, « Encadrement des cirques présentant des animaux vivants : quelle place pour le maire ? », AJCT 2019. 119 ; P. COMBEAU, « L’impuissance des maires face à l’installation de cirques présentant des animaux sauvages », RSDA 1/2023. 65 et s.
  • 10 V. dans ce sens, TA, Nancy, 22 janv. 2019, Association de défense des cirques de famille et a., n° 1802270, JCP A 2019. 2055, concl. A. DENIZOT (délibération du Conseil municipal de la commune de Vandœuvre-lès-Nancy).
  • 11 V. CAA, Marseille, ord., 5 oct. 2016, Préfet des Bouches-du-Rhône, n° 16MA03369 (délibération du Conseil municipal de La Ciotat).
  • 12 V. CAA, Douai, 8 déc. 2022, Fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacle et a., n° 21DA00323 (délibération du Conseil municipal d'Hénin-Beaumont).
  • 13 V. infra.
  • 14 Concl. F. ROUSSEL sur CE, 20 oct. 2023, Le collectif des cirques, n° 470965, communiquées par le Centre de recherches et de diffusion juridiques du Conseil d'État.
  • 15 Sur ce pouvoir, v. not. les contributions de B. PLESSIX, « Une prérogative de puissance publique méconnue : le pouvoir de substitution d'action », RDP 2003. 579 et s. ; « Le pouvoir de substitution d’action », in P. COMBEAU (dir.), Les contrôles de l’Etat sur les collectivités territoriales aujourd’hui, L’Harmattan, 2007. 67 et s.
  • 16 Loi n° 82-213 du 2 mars 1982, relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, modifiée par la loi n° 82-623 du 22 juil. 1982 ; pour les actes communaux, v. CGCT, art. L. 2131-6 et s.
  • 17 V. B. FAURE, Droit des collectivités territoriales, Dalloz 7ème éd. 2023, n° 23 et s.
  • 18 Cons. constit., déc. n° 2007-556 DC du 16 août 2007, Loi sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, consid. 24.
  • 19 CE, 26 nov. 2012, Krikorian, n° 350492, Rec. T. 528, RTDE 2013. 874, obs. D. RITLENG. Cet arrêt s’inscrit dans un courant jurisprudentiel ancien : v. CE, 18 juil. 1930, Rouché, Rec. 771 ; CE, 14 janv. 1987, Association des ingénieurs des télécommunications et Vautrey, Rec. T. 867 ; la nouveauté est de préciser que la solution vaut même si le refus porte sur un projet de loi de transposition d’une directive européenne ; v. également, TC, 6 juil. 2015, Krikorian, n° 3995, AJDA 2016. 265, note E. CARPENTIER.
  • 20 M. VIRALLY, « L'introuvable acte de gouvernement », RDP 1952. 317 et s.
  • 21 V. S. ROUSSEL et Ch. NICOLAS, « De l’injusticiabilité des actes de gouvernement », AJDA 2018. 491 et s. ; E. CARPENTIER, « Permanence et unité de la notion d’acte de gouvernement », AJDA 2015. 799 et s.
  • 22 CE, Sect., 25 janv. 1991, Brasseur, n° 80969, Rec. 23, concl. B. STIRN, RFDA 1991. 587, concl. et note J.-C. DOUENCE, AJDA 1991. 395, chr. R. SCHWARTZ et Ch. MAUGÜE, JCP G 1991. II. 21654, note J. MOREAU, RDP 1992. 1149, note B. SEILLER.
  • 23 V. not., G. KOUBI, Les circulaires administratives, Economica 2003 ; P. COMBEAU, « Réflexions sur les fonctions juridiques de l’interprétation administrative », RFDA 2004. 1069 et s.
  • 24 V. not., circulaire du 25 janv. 2012 relative à la définition nationale des actes prioritaires en matière de contrôle de légalité ou plus récemment, instruction du 31 déc. 2021 relative au contrôle de légalité des actes portant gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics ; sur la place de ces circulaires stratégiques, v. P. COMBEAU, « Le rôle des nouvelles figures normatives dans l'évolution des rapports entre l'État et les collectivités territoriales », RFFP 2023, n° 161. 45 et s.
  • 25 V. CE, 13 juil. 1965, Association des fonctionnaires sarrois retraités de nationalité française, n° 62226 ; CE, 14 mars 2003, M. Le Guidec, n° 241057, AJDA 2003. 1446, note G. KOUBI.
  • 26 CE, 12 oct. 2020, Association pour une consommation éthique, n° 434802 : cette absence d’obligation vaut même lorsque le droit applicable résulte d’un règlement de l’UE.
  • 27 CE, Sect., 12 juin 2020, GISTI, n° 418142, Rec. 192, concl. G. ODINET, RFDA 2020. 801, concl. et note F. MELLERAY, AJDA 2020. 1407, chr. C. MALVERTI et C. BEAUFILS, JCP A 2020. 2189, note G. KOUBI, GAJA, Dalloz, 24ème éd. 2023, n° 116.
  • 28 G. KOUBI, note préc., JCP A 2020. 2189.
  • 29 CE, 5 avr. 2022, Union française contre les nuisances des aéronefs et a., n° 454440, JCP A. 2241, chr. O. LE BOT.
  • 30 V. P. COMBEAU, « L’impuissance des maires face à l’installation de cirques présentant des animaux sauvages », préc.
  • 31 V. CAA, Marseille, 30 nov. 2020, Préfet de Haute-Corse c./ Commune de Bastia, n° 19MA00047 ; CAA, Bordeaux, 20 mai 2021, Association Fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacle et a., n° 19BX04491 ; CAA, Nantes, 8 avr. 2022, Association de défense des cirques de famille, n° 21NT02553; TA, Cergy-Pontoise, 9 déc. 2022, Association de défense des cirques de famille, n° 2007632, AJDA 2023. 734, concl. G. BARRAUD ; CAA, Versailles, 21 mars 2023, Fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacles et a. c./ Commune de Viry-Châtillon, n° 20VE03238, RSDA 1/2023, chr. P. COMBEAU.
  • 32 C. env., art. L. 412-1 et art. L. 413-3. L’article L. 413-2 impose aux responsables de tels établissements d’être titulaires d'un certificat de capacité pour l'entretien de ces animaux.
  • 33 Arrêté du 18 mars 2011 fixant les conditions de détention et d'utilisation des animaux vivants d'espèces non domestiques dans les établissements de spectacles itinérants, JORF n° 0080 du 5 avril 2011. Pour des recours contre des arrêtés préfectoraux d’autorisation, v. not., CAA, Marseille, 7 juin 2021, Association One Voice, n° 19MA04275 ; CAA, Lyon, 3 févr. 2022, Association One Voice, n° 20LY00080.
  • 34 Sur l’articulation entre la police générale et les polices spéciales, v. la présentation de J.-H. STAHL et X. DOMINO, « Antennes de téléphonie mobile : quand une police spéciale d'Etat évince la police municipale », chr., AJDA 2011. 2220.
  • 35 V. par ex., CAA, Versailles, 21 mars 2023, Fédération des cirques de tradition et propriétaires d'animaux de spectacles et a. c./ Commune de Viry-Châtillon, préc. : il n’existait de « circonstances locales » qui auraient pu justifier l’action du maire, la commune « se contentant de produire un article de journal du 24 avril 2015 relatif à la création d'un poste de référent à la condition animale au sein du conseil municipal de la commune ainsi qu'une liste de cinq associations œuvrant pour la protection animale au sein de la commune ».
  • 36 V. l’arrêt classique, CE, Sect., 18 déc. 1959, Société « Les films Lutetia », n° 36385, Rec. 693, AJDA 1960. I. 21, chr. COMBARNOUS et GALABERT, D. 1960. 171, note WEIL, S. 1960. 94, concl. MAYRAS ; GAJA, Dalloz, 24ème éd. 2023, n° 69.
  • 37 CE, 4 février 2021, Association Ferus-Ours, Loup, Lynx et autres, n° 434058, RSDA 2021/1, p. 90 à 102, note Maryse DEGUERGUE.
  • 38 Arrêté du 20 juin 2022 relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, JORF du 21 juin 2022, texte n° 13.
  • 39 Arrêté du 4 mai 2023 relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, JORF du 5 mai 2023, texte n° 32.
  • 40 Arrêté du 27 juin 2019 relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun des Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, JORF du 29 juin 2019, texte n° 8.
  • 41 Article 12 de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive « Habitats ».
  • 42 Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, puis loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages et loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances.
  • 43 Article 5 de la Charte de l'environnement : « Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
  • 44 Article 191 TFUE : « La politique de l'Union dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».
  • 45 Arrêt C-674/17 du 10 octobre 2019, invoqué par les requérantes.
  • 46 Point 21 de son arrêt.
  • 47 Points 15 à 19 de son arrêt.
  • 48 Point 6 de l'arrêt qui donne les chiffres de 58 spécimens en 2019, 68 en 2020, 70 en 2022.
  • 49 Dans le rapport établi le 26 septembre 2013 par le Muséum national d'histoire naturelle à la demande du gouvernement.
  • 50 Entre le troupeau ou le poste fixe et la zone estimée de présence de l'ours et en maintenant un angle d'au moins 45 ° par rapport au sol.
  • 51 Les mesures d'effarouchement simple dans le cœur du Parc sont encore possibles mais doivent aussi être autorisées par son directeur.
  • 52 CE, 27 novembre 1970, Agence maritime Marseille Frêt, Rec. Lebon, p. 704, RDP 1971, p. 987, concl. GENTOT.
  • 53 L'article L. 411-2 prévoit qu'un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées... 4° : « La délivrance de dérogations aux interdictions... à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante... et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ». 4° b) : « pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ».
  • 54 A été rajoutée en 2022 l'hypothèse où, sur les estives ayant subi en moyenne plus de dix attaques sur les deux dernières années, l'effarouchement renforcé peut être mis en œuvre en cas de nouvelle attaque, malgré des mesures d'effarouchement simple adoptées durant les douze mois précédents.
  • 55 D'autant que, comme le relève le juge, pour anticiper d'éventuels dommages auditifs pour les ours, l'arrêté attaqué, contrairement au précédent portant expérimentation, exclut expressément le recours à des dispositifs utilisant des systèmes pyrotechniques tels les canons à gaz et les lance-fusées.
  • 56 Voir notre note à la RSDA 2021/1, p. 96.
  • 57 Elle est passée de 3800 km2 en 2015 à 10400 km2 en 2019.
  • 58 En application de l'ancienne jurisprudence CE, Sect., 10 janvier 1930, Despujol, GAJA, 24ème éd. 2023, n° 39.
  • 59 Point 6 de l'arrêt.
  • 60 Délibération n° 2022-11 du 15 mars 2022, p. 5.
  • 61 L'arrêt du 4 février 2021 relevait que « en ouvrant ainsi ces possibilités de recourir à l'effarouchement renforcé, sans encadrer davantage ses conditions de mise en œuvre... ».
  • 62 Article 4 III 8° : « Les opérations d'effarouchement par tirs à effet sonore sont mises en œuvre par des agents de l'OFB, titulaires du permis de chasser valable pour l'année en cours. Ces agents sont, préalablement à toute mise en œuvre d'opérations d'effarouchement renforcé, formés aux aspects techniques et réglementaires ».
  • 63 PLUTARQUE, L'intelligence des animaux, Arléa, 2012, p. 19, cet écrit datant de 959 av. JC.
  • 64 Question éthique posée dans le très intéressant article de David CHAUVET, « Sauver l'ours blanc des antispécistes ? Une critique amicale. A propos de Thomas Lepeltier, Faut-il sauver l'ours blanc ? Essai sur la transformation de la nature (PUF, 2023) », RSDA 2023/1, p. 229.
  • 65 CE, 19 avril 2000, Borusz, GACA, 8ème éd. 2022, n° 56.
  • 66 Arrêt Borusz : « dans le cas où l'administration se borne à procéder à l'abrogation de l'acte attaqué, cette circonstance prive d'objet le pourvoi formé à son encontre, à la double condition que cet acte n'ait reçu aucune exécution pendant la période où il était en vigueur et que la décision procédant à son abrogation soit devenue définitive ».
 

RSDA 2-2023

Droit de la santé
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit sanitaire

  • Maud Cintrat
    Maîtresse de conférences en droit
    Université Claude Bernard Lyon 1
    Faculté de pharmacie – Laboratoire Parcours Santé Systémique
    Membre associée au CERCRID – UMR 5137 – CNRS

I. Santé animale

L’anémie infectieuse des équidés
À propos de Conseil d’État, 20 novembre 2023, req.489253

Résumé. Bien que le Conseil d’État estime qu’une mesure d’abattage sanitaire d’un animal est une atteinte au droit au respect de la vie privée de sa propriétaire, la probable contrariété de l’arrêté interministériel qui prescrit cette mesure avec le droit de l’Union européenne, en l’absence de caractère manifeste, ne permet pas de caractériser une atteinte manifestement illégale à ce droit fondamental justifiant la suspension de cette mesure dans le cadre d’un référé-liberté.

L’anémie infectieuse des équidés, une maladie réglementée. En cause dans cette affaire ? Plaisir des fleurs, le cheval de Mme B., est atteint par l’anémie infectieuse des équidés. En application de l’arrêté du 23 septembre 1992 réglementant les mesures de police sanitaire de l’anémie infectieuse des équidés, le préfet de la Dordogne a, par arrêté portant déclaration d’infection, prescrit l’abattage de l’animal. L’anémie infectieuse des équidés est une maladie réglementée aux termes de l’article L. 221-1 du code rural et de la pêche maritime. En effet, cet article renvoie à l’article 5 §1 du règlement 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles, qui prévoit que figurent parmi les maladies réglementées celles listées à son annexe II, au titre de laquelle se trouve justement l’anémie infectieuse des équidés. En tant que maladie réglementée, l’article L. 223-8 du code rural et de la pêche maritime permet au préfet de prendre un arrêté portant déclaration d’infection et de prescrire, à ce titre, un certain nombre de mesures parmi lesquels figure l’abattage de l’animal1. Toutefois, le préfet est guidé dans sa conduite, puisque le ministre chargé de l’agriculture détermine « par arrêté celles de ces mesures qui sont applicables aux maladies mentionnées à l’article L. 221-1 ». C’est ainsi qu’intervient l’arrêté conjoint du ministre de l’Agriculture et du ministre du Budget du 23 septembre 1992 fixant les mesures de police sanitaire relatives à l’anémie infectieuse des équidés et plus particulièrement son article 6 qui permet au préfet de prescrire l’abattage sanitaire des animaux infectés dans les conditions prévues par les articles 8 et 9, au plus tard deux semaines après la notification officielle de la maladie par le directeur des services vétérinaires. La mesure prescrivant l’abattage de Plaisir des fleurs a été adoptée par le préfet en application de l’arrêté du 23 septembre 1992. De l’aveu du Conseil d’État, « il existe un doute sur la légalité des dispositions de l’article 9 de l’arrêté du 23 septembre 1992 en tant qu’elles prévoient l’abattage systématique d’équidés atteints d’anémie infectieuse ». Ce doute n’a toutefois pas été suffisant pour qu’il se transforme en une atteinte grave et manifeste au droit au respect de la vie privée et au droit de propriété de la requérante.
L’anémie infectieuse des équidés, face aux mouvements d’équidés dans l’Union européenne. La difficulté n’est pas si étonnante si l’on remarque que l’arrêté interministériel a plus de trente ans, tandis que la législation sur la santé animale a fait l’objet d’une refonte le 9 mars 20162. Le législateur européen prévoit que l’anémie infectieuse des équidés est une maladie répertoriée3 et la Commission européenne l’a classée parmi les maladies de catégorie D et E4. Les mesures qui s’imposent à ce titre visent à empêcher la propagation de la maladie en cas d’entrée d’animaux dans l’Union ou de mouvements d’animaux entre les États membres5. C’est donc seulement dans l’hypothèse où les chevaux doivent circuler, qu’ils entrent dans l’Union ou qu’ils circulent entre États membres, qu’une mesure d’abattage ou de mise à mort à l’égard de ceux infectés par l’anémie infectieuse des équidés peut être prise. C’est en effet l’article 22, §1, c) du règlement délégué 2020/688 de la Commission du 17 décembre 2019, complétant le règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les conditions de police sanitaire applicables aux mouvements d’animaux terrestres et d’œufs à couver dans l’Union, qui organise des restrictions de mouvements des animaux provenant d’un établissement dans lequel un cas d’anémie a été confirmé. Il requiert la mise à mort et la destruction ou l’abattage des animaux infectés ainsi que le nettoyage et la désinfection de l’établissement dans lequel la maladie a été confirmée dans les douze derniers mois. C’est la seule circonstance dans laquelle l’abattage ou la mise à mort de l’animal infecté est requise par le droit de l’Union européenne.
Éléments procéduraux. En l’espèce, le préfet a adopté deux arrêtés en date des 17 mai et 8 juin 2023 ordonnant l’euthanasie du cheval infecté par l’anémie infectieuse des équidés par un vétérinaire désigné dans les arrêtés. La propriétaire du cheval a saisi le juge des référés pour obtenir la suspension de l’exécution de ces arrêtés mais a été déboutée par le tribunal administratif de Bordeaux. Elle a contesté cette ordonnance par un recours en cassation devant le Conseil d’État. L’administration a, quant à elle, saisit le tribunal judiciaire de Bergerac pour obtenir l’autorisation de pénétrer sur le lieu de détention du cheval afin de le capturer et de procéder à l’euthanasie, requête rejetée par le juge des libertés et de la détention par deux ordonnances des 27 juillet et 17 août 2023. Face à cette impossibilité matérielle de procéder à l’euthanasie du cheval, le préfet a rapporté ses arrêtés de mai et juin et, dans un nouvel arrêté du 10 octobre 2023, il a ordonné à Mme B. « de faire procéder elle-même, par le vétérinaire de son choix, à cet abattage avant le 22 octobre 2023 », faute de quoi elle encourrait l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe6. Mme B. a demandé la suspension de cet arrêté devant le tribunal administratif en le saisissant d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. Par une ordonnance du 21 octobre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la requête de Mme B. et a ordonné la suspension de l’exécution de la décision d’euthanasier l’animal. L’exécution de cette décision aurait, selon le juge, porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable car elle aurait fait obstacle à ce que le Conseil d’État se prononce sur le recours en cassation intenté à l’encontre de la première ordonnance en référé relative aux arrêtés préfectoraux des 17 mai et 8 juin 2023. Le ministre de l’Agriculture conteste cette ordonnance et a interjeté appel7, dont il est résulté l’ordonnance sous commentaire.
Droit au procès équitable et droit au recours. Le Conseil d’État estime que l’application de l’arrêté du 10 octobre 2023 ne causerait pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au procès équitable de la requérante et annule l’ordonnance en référé sur ce point, bien que cela priverait d’objet l’appel intenté contre l’ordonnance en référé par laquelle le juge a refusé de suspendre l’exécution des arrêtés du 17 mai et du 8 juin 2023. Effectivement, dès lors que Mme B. dispose de la possibilité de former un référé-liberté ainsi qu’un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 10 octobre 2023, son droit au recours est ainsi préservé. Le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ne pouvait donc pas suspendre l’exécution de l’arrêté préfectoral pour ce motif. Son ordonnance est donc réformée sur ce point.
Principe d’égalité et différence de traitement selon la maladie répertoriée. Le Conseil d’État examine également les moyens soulevés par la requérante incluant l’atteinte au principe d’égalité, l’atteinte au droit de propriété, l’atteinte au droit au respect de sa vie privée. Il rejette en toute logique l’atteinte au principe d’égalité qui serait, d’après la requérante, constitué en raison d’une différence de traitement juridique avec d’autres maladies répertoriées. La requérante invoque en effet, sans succès, que si l’anémie infectieuse équine est une maladie relevant des catégories D et E et qu’elle fait l’objet d’un abattage systématique des animaux infectés, alors elle en déduit que toutes les maladies relevant des catégories D et E devraient faire systématiquement l’objet de telles mesures. Or, une différence de situations engendre une différence de traitement et le Conseil d’État constate que s’agissant de maladies distinctes, les mesures à mettre en œuvre doivent être adaptées à leurs caractéristiques.
L’équilibre de la balance entre la vie et la santé animale. Le Conseil d’État analyse enfin conjointement l’atteinte que l’arrêté porte au droit de propriété et au droit au respect de la vie privée de la requérante. Ce dernier point mérite d’être souligné car le juge administratif admet que c’est en raison du lien affectif particulier que la requérante a établi avec son cheval que l’arrêté prescrivant son euthanasie porte atteinte au droit au respect de sa vie privée8. Néanmoins, si le lien affectif entre une personne et son cheval relève du champ du droit au respect de sa vie privée, le juge administratif n’a pas reconnu qu’une atteinte manifestement illégale y était porté. Il admet qu’il existe un doute sur la légalité de l’arrêté de 1992 qui prescrit l’abattage systématique des chevaux atteints d’anémie infectieuse indépendamment de tout mouvement au sein de l’Union européenne mais il estime que cet arrêté n’est pas manifestement contraire au droit de l’Union européenne. Pourtant, aucune disposition du règlement européen portant législation sur la santé animale ne permet aux États d’adopter des mesures d’abattage systématique lorsque la contamination par cette maladie est confirmée, alors même que les mesures de gestion de cette maladie y sont expressément énoncées. Les États membres disposent de la faculté d’appliquer des mesures supplémentaires ou plus strictes que celles prévues dans le règlement européen, mais la lutte contre l’anémie infectieuse des équidés par l’abattage n’entre pas dans le champ de compétence9. L’argument avancé par le ministre de l’Agriculture, selon lequel le règlement européen vise à protéger la santé animale, but poursuivi par la mesure d’abattage des chevaux contaminés, fait primer la santé de la collectivité animale sur la vie d’un animal. C’est une illustration de la réification de l’animal, alors même que l’article 13 TFUE impose de tenir compte de la sensibilité animale dans la mise en œuvre des politiques européennes. Le règlement européen prévoit également que les dispositions qu’il comporte tiennent compte des rapports entre santé animale et bien-être animal10. On peut se demander si cela pourrait un jour faire primer la vie d’un animal sur une maladie répertoriée. Le dernier argument invoqué par le ministre de l’Agriculture, qui convoque les législations d’autres États membres similaires à celle de la France, est d’autant plus critiquable qu’un récent contre-exemple en illustre la faiblesse11. Il s’agit de l’affaire des néonicotinoïdes impliquant la Belgique devant la Cour de Justice de l’Union européenne, à la suite de laquelle la France a dû modifier sa réglementation alors même que le Conseil d’État avait refusé de suspendre l’exécution d’un arrêté en l’absence « de doute sérieux sur [sa] légalité »12. Dans notre espèce, il faut rappeler que même si la requérante n’a pas soulevé de question préjudicielle, le Conseil d’État aurait pu en poser une à la Cour de justice, bien que le contentieux se situe dans le cadre d’une procédure d’urgence13. Après avoir ensuite estimé que l’atteinte portée aux libertés fondamentales de la requérante n’était pas disproportionnée malgré la mise en œuvre de mesures de nature à réduire le risque de propagation de la maladie, le Conseil d’État conclut finalement que l’atteinte aux libertés fondamentales de la requérante n’est pas manifestement illégale. Cette affaire n’est pas sans rappeler l’affaire Jippes dans laquelle l’analyse conduite par la Cour de Justice l’avait amenée à valider une politique d’abattage en présence d’une maladie non mortelle pour les animaux, la fièvre aphteuse, par rapport à une politique de vaccination14. Si la considération pour la sensibilité animale progresse, la sphère de la santé animale requiert des arbitrages qui ne sont, pour l’instant, pas favorables à la vie des animaux.

II. Pharmacie vétérinaire

Éléments introductifs et nouveautés. Cette thématique est l’occasion de mentionner en préambule l’adoption du décret n° 2023-1079 du 22 novembre 2023 portant adaptation des dispositions du code de la santé publique et du code rural et de la pêche maritime au droit de l’Union européenne dans le domaine des médicaments vétérinaires15. Il a eu pour objectif, entre autres, d’imposer une autorisation préalable pour la conduite d’essais cliniques, d’abroger toutes les procédures nationales d’autorisation de mise sur le marché figurant dans le code rural, de créer une procédure d’enregistrement pour les médicaments destinés à certains animaux de compagnie. Ce décret a été adopté en application de l’ordonnance n° 2022-414 du 23 mars 2022 portant adaptation des dispositions du code de la santé publique et du code rural et de la pêche maritime au droit de l’Union européenne dans le domaine des médicaments vétérinaires et aliments médicamenteux16, laquelle avait vocation à mettre en conformité le droit interne au règlement 2019/6 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relatif à la législation sur la pharmacie vétérinaire17. Aucun de ces textes ne remet toutefois en question le point qui nous intéressera dans les deux décisions du Conseil d’État, la vente au détail de médicaments vétérinaires par le vétérinaire. Aujourd’hui, le règlement européen sur la pharmacie vétérinaire prévoit que « les règles de vente au détail des médicaments vétérinaires sont déterminées par le droit national, sauf disposition contraire du présent règlement »18. En droit français, le vétérinaire partage avec le pharmacien le monopole de la dispensation au détail des médicaments vétérinaires, pour les animaux qu’il traite habituellement et sans qu’il puisse tenir officine ouverte19. Il ne peut vendre de médicaments vétérinaires que pour les animaux auxquels il donne personnellement ses soins ou dont la surveillance sanitaire et les soins lui sont régulièrement confiés20. Régulièrement, l’exercice de la pharmacie par les vétérinaires génère du contentieux devant les juridictions françaises, disciplinaires et administratives.

L’animal habituellement traité par le vétérinaire
À propos de Conseil d’Etat, 22 août 2023, req. 458515

Éléments de procédure. La chambre régionale de discipline des Hauts-de-France, saisie par le Président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, a rejeté, par une décision du 20 juin 2019, la demande en nullité des poursuites disciplinaires et de sursis à statuer présentée par le vétérinaire qui fait l’objet des poursuites. C’est le 28 novembre 2019 que cette même chambre a prononcé à son encontre une suspension du droit d’exercer l’art vétérinaire pendant un an sur tout le territoire national, avec sursis. La chambre nationale de discipline de l’Ordre des vétérinaires a été saisie en appel et a annulé ces deux décisions. Elle a, néanmoins, prononcé une sanction de six mois de suspension du droit d’exercer la profession de vétérinaire sur l’ensemble du territoire national, avec sursis.
L’exercice de la pharmacie vétérinaire conditionné par la surveillance sanitaire et par les soins réguliers. Le vétérinaire s’était rendu coupable d’exercice illégal de la pharmacie. En effet, il ne peut délivrer au détail des médicaments vétérinaires qu’aux animaux auxquels il donne personnellement des soins ou dont la surveillance sanitaire et les soins lui sont régulièrement confiés, lorsqu’il est finalement question d’un élevage21. En l’espèce, il est apparu que le vétérinaire n’a pas posé de diagnostic préalablement à la délivrance des médicaments. Or, la chambre de discipline a estimé que les élevages ne faisaient pas l’objet d’une surveillance sanitaire et d’un suivi régulier en raison du faible nombre de visites, de leur espacement, et de l’incohérence des mentions portées sur les ordonnances quant aux dates de ces visites. Pourtant, les difficultés d’interprétation de cette notion ont été minimisées avec l’adoption du décret n° 2007-596 du 24 avril 2007 relatif aux conditions et modalités de prescription et de délivrance au détail des médicaments vétérinaires et modifiant le code de la santé publique22, et particulièrement l’article R. 5141-112-1 du code de la santé publique23. Ainsi, il faut entendre la « surveillance sanitaire » et les « soins régulièrement confiés » au vétérinaire comme comprenant « le suivi sanitaire permanent d’animaux d’espèces dont la chair ou les produits sont destinés à la consommation humaine, ainsi que d’animaux élevés à des fins commerciales. Il comporte notamment : la réalisation d’un bilan sanitaire d’élevage, l’établissement et la mise en œuvre d’un protocole de soins, la réalisation de visites régulières de suivi, la dispensation régulière de soins, d’actes de médecine ou de chirurgie ». Ainsi, la réalisation de visites très espacées et peu nombreuses et des mentions incohérentes sur les ordonnances ont suffi au juge disciplinaire, conforté par le Conseil d’État, pour caractériser le manquement du vétérinaire à ses obligations déontologiques.
Précisions relatives à la procédure disciplinaire. Dans cette décision, le Conseil d’État a également rappelé que si une audience disciplinaire peut se tenir en visioconférence24, la chambre de discipline peut refuser d’y accéder si la demande est faite au dernier moment, comme en l’espèce, en raison de difficultés de transport rencontrées par le vétérinaire, dès lors que les conditions matérielles requises pour assurer sécurité et qualité de l’audience ne peuvent pas être réunies. Par ailleurs, à l’occasion d’un autre moyen, le Conseil d’État a confirmé que la chambre de discipline n’était pas tenue par les faits dénoncés dans la plainte ou les griefs articulés par le plaignant. Ainsi, elle peut connaître de l’ensemble du comportement du vétérinaire poursuivi, dès lors que les droits de la défense sont respectés, et notamment s’il a connaissance des faits lui étant reprochés et qu’il a disposé d’un temps suffisant pour préparer utilement sa défense lors de l’instruction de la plainte et lors de l’audience. Enfin, et parmi d’autres moyens rejetés par le Conseil d’État, figure celui concernant les modalités d’application de la loi nouvelle à une procédure en cours. Effectivement, le code de déontologie des vétérinaires a été réformé par l’ordonnance du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l’ordre des vétérinaires25. Or, s’il n’existait jusqu’alors aucun délai applicable à la procédure disciplinaire, le nouvel article L. 242-6 du code rural et de la pêche maritime a créé un délai de prescription de 5 ans à compter des faits. En l’absence de dispositions spécifiques à son entrée en vigueur, cet article ne saurait avoir d’effet rétroactif et s’appliquer à des faits survenus avant son adoption. Le délai de prescription n’a commencé à courir qu’à compter de l’entrée en application de l’ordonnance, soit à compter du 3 août 2015. Le Conseil d’État a donc confirmé la sanction disciplinaire du vétérinaire qui s’est rendu coupable d’exercice illégal de la pharmacie. Pour cette faute, qui constitue également une infraction pénale, le vétérinaire s’est vu infliger six mois de suspension du droit d’exercer sa profession sur tout le territoire national. Quinze ans après l’entrée en vigueur du décret précisant les notions de surveillance sanitaire et de soins régulièrement confiés à un vétérinaire, les difficultés d’application de la législation sont toujours d’actualité26.

De multiples manquements déontologiques
À propos de Conseil d’Etat, 4 juillet 2023, req. 442947

Éléments de procédure. Par une décision du 4 juillet 2023, le Conseil d’État a été amené à se prononcer sur une sanction disciplinaire prononcée par la chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires relative à des manquements portant largement sur la pharmacie vétérinaire. Véritable feuilleton judiciaire, cette affaire a donné lieu à une décision d’une chambre départementale de l’Ordre des vétérinaires, trois décisions de la chambre nationale de discipline et trois décisions du Conseil d’État. À l’origine de ce feuilleton, une décision de la chambre disciplinaire de Picardie qui a, le 23 novembre 2012, prononcé une interdiction de trois mois d’exercer l’art vétérinaire sur l’ensemble du territoire national à l’encontre d’un vétérinaire associé et de la société d’exercice libéral de vétérinaires Le loup blanc. Un appel a été interjeté auprès de la chambre supérieure de discipline de l’ordre des vétérinaires par la société et le vétérinaire. Seul ce dernier a obtenu gain de cause par une décision du 24 janvier 2014, la sanction prononcée à son égard ayant été annulée. Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation par la société, a annulé la décision de la chambre supérieure de discipline le 7 octobre 2015 en raison de la présence, dans la composition de la chambre, d’un vétérinaire n’étant plus en exercice27. Le Conseil d’État ayant renvoyé l’affaire devant la chambre supérieure de discipline dans les limites de la cassation prononcée, cette dernière a, dans une décision du 24 janvier 2017, écarté le moyen tiré de l’irrégularité de sa composition et elle a sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport du nouveau rapporteur chargé d’instruire l’affaire, désigné à la suite de la récusation du premier. La société a formé un pourvoi auprès du Conseil d’État à l’encontre de cette décision, qui a été jugé irrecevable le 19 décembre 2018 car déposé à l’encontre d’une décision avant dire-droit28. C’est finalement le 22 janvier 2020 que, devenue la chambre nationale de discipline, elle a rejeté l’appel formé par la société contre la décision du 23 novembre 2012. La décision rendue le 4 juillet 2023 par le Conseil d’État porte sur le recours formé à l’encontre de la décision du 24 janvier 2017 et de celle du 22 janvier 2020 de la chambre nationale de discipline. Après avoir brièvement écarté le pourvoi formé contre la décision du 24 janvier 2017 pour les mêmes motifs qu’il avait retenu en 2018, le Conseil d’État statue sur le pourvoi formé à l’encontre de la décision du 22 janvier 2020. Il rappelle d’abord qu’il n’est pas nécessaire, pour engager la responsabilité disciplinaire d’une société, que la responsabilité disciplinaire de l’un des vétérinaires associés au sein de cette société soit engagée. En effet, le code rural et de la pêche maritime29 exige seulement que les poursuites soient engagées à la fois à l’encontre des vétérinaires associés qui exercent au sein de la société et de cette société, quel que soit le résultat de la procédure.
La contribution à l’exercice illégal de l’art vétérinaire. Les manquements disciplinaires retenus à l’encontre de la société sont au nombre de trois et le Conseil d’État confirme que la chambre nationale de discipline n’a ni dénaturé les faits, ni commis d’erreur de droit. Il apparaît en premier lieu que la société avait délivré des anesthésiques à un éleveur de bovins afin qu’il puisse procéder lui-même aux césariennes sur son bétail. De la sorte, la société de vétérinaires a couvert du titre de vétérinaire une personne non habilitée à un exercice professionnel vétérinaire. Il faut préciser néanmoins que les éleveurs et leurs salariés sont expressément autorisés à réaliser certains actes relevant de la médecine ou de la chirurgie des animaux, dont la liste est fixée par le ministre de l’Agriculture30, dès lors qu’ils disposent des compétences adaptées31 : c’est le cas par exemple de la castration des porcs domestiques mâles âgés de sept jours ou moins dans des conditions et techniques fixées par instruction du ministre chargé de l’Agriculture32. En revanche, la réalisation d’une césarienne ne fait pas partie des actes qu’ils peuvent réaliser ; l’intervention d’un vétérinaire est donc indispensable. Il en résulte que le vétérinaire qui fournit à un éleveur les moyens d’exercer illégalement l’art vétérinaire couvre dans ce contexte une personne non habilitée à un exercice professionnel vétérinaire de son titre.
La rédaction de l’ordonnance. En second lieu, la chambre nationale de discipline a relevé qu’il a été procédé à des prescriptions de médicaments vétérinaires pour des animaux d’élevage sans mention du temps d’attente requis avant que les produits de l’animal puissent à nouveau être mis dans le circuit de consommation humaine. Elle estime que la société n’a pas respecté l’article R. 242-46 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit que « la méconnaissance par un vétérinaire des dispositions du code de la santé publique relatives à l’exercice de la pharmacie peut donner lieu à des poursuites disciplinaires ». De la sorte, « le vétérinaire ne doit pas, par quelque procédé ou moyen que ce soit, inciter ses clients à une utilisation abusive de médicaments [et] il doit participer activement à la pharmacovigilance vétérinaire dans les conditions prévues par le code de la santé publique ». Il faut constater que la chambre de discipline a eu recours à une disposition générale relative à l’exercice de la pharmacie vétérinaire alors qu’il existe une disposition spécifiquement dédiée à la rédaction de l’ordonnance. Il s’agissait à l’époque de l’ancienne version de l’article R. 242-45 du code rural et de la pêche maritime qui prévoyait que « l’ordonnance prévue à l’article L. 5143-5 du code de la santé publique est établie conformément à l’article R. 5146-51 de ce code et, en cas de signature électronique, aux dispositions du décret n° 2001-272 du 30 mars 2001 ». Toutefois, le temps d’attente ne figurait pas dans les mentions obligatoires d’une ordonnance telles que listées à l’article R. 5146-51 du code de la santé publique. Aujourd’hui, cette obligation de faire figurer le temps d’attente sur une ordonnance lorsque les médicaments sont destinés à des animaux producteurs de denrées est prévue à l’article 105 §5, j) du règlement européen de 2018 et à l’article R. 5141-111 du code de la santé publique. Lorsque le vétérinaire ne respecte pas les modalités de rédaction d’une ordonnance prévues à ce dernier article, il commet bien un manquement à son obligation déontologique au titre de l’article R. 242-45 du code rural et de la pêche maritime qui prévoit bien que « l’ordonnance prévue à l’article L. 5143-5 du code de la santé publique est établie conformément à l’article R. 5141-111 de ce code ». En outre, il s’agit aussi d’une infraction pénale sanctionnée d’une amende prévue pour les contraventions de 5e classe33.
La publicité sur les médicaments. En dernier lieu, la société a été sanctionnée pour avoir adressé à un éleveur des publicités concernant des médicaments vétérinaires dont certains étaient soumis à une prescription sur ordonnance, sans que cela ne soit mentionné sur la publicité. La chambre nationale de discipline s’est appuyée sur l’article R. 242-35 du code rural et de la pêche maritime qui impose aux vétérinaires que « la communication doit être conforme aux lois et règlements en vigueur et en particulier aux dispositions du code de la santé publique réglementant la publicité du médicament vétérinaire » et sur l’article R. 5141-84 du code de la santé publique qui interdit la publicité auprès du public pour les médicaments vétérinaires soumis à prescription préalable. Le Conseil d’État est amené à juger que ces règles ne sont pas en contrariété avec la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur services. Cette directive impose aux États membres de supprimer toute interdiction totale visant les communications commerciales des professions réglementées. Le Conseil d’État, plutôt que de justifier cette interdiction par des raisons relatives à la santé publique et à la santé animale, se contente d’indiquer que le règlement européen de 2018 relatif à la pharmacie vétérinaire prévoit par principe l’interdiction de toute publicité pour les médicaments vétérinaires soumis à ordonnance à l’égard du public.
En conclusion. Cette décision du Conseil d’État permet de constater que les manquements à l’exercice de la pharmacie vétérinaire sont variés pour une seule société, et l’exceptionnelle longueur de cette procédure disciplinaire illustre l’obstination de la société qui s’explique probablement par la difficile acceptation des sanctions prononcées, ce qui témoigne soit d’une méconnaissance assez large des règles relatives à la pharmacie, soit d’une intention de ne pas s’y soumettre. Cette affaire contribue à symboliser la place à part qu’occupe l’exercice de la pharmacie vétérinaire au sein de l’art de la médecine et de la chirurgie vétérinaire.

  • 1 Art. L. 223-8, 8° du code rural et de la pêche maritime.
  • 2 Sur le seul plan procédural, il faut remarquer que l’arrêté a été pris conjointement par le ministre de l’Agriculture et le ministre du Budget alors que l’article L. 223-8 al. 5 du code rural et de la pêche maritime organise la seule compétence du ministre de l’Agriculture pour prendre une telle mesure.
  • 3 Art. 5 du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 relatif aux maladies animales transmissibles et modifiant et abrogeant certains actes dans le domaine de la santé animale (« législation sur la santé animale »).
  • 4 Annexe du règlement d’exécution (UE) 2018/1882 de la Commission du 3 décembre 2018 sur l’application de certaines dispositions en matière de prévention et de lutte contre les maladies à des catégories de maladies répertoriées et établissant une liste des espèces et des groupes d’espèces qui présentent un risque considérable du point de vue de la propagation de ces maladies répertoriées.
  • 5 Art. 9 §1, points d) et e) du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 dit législation sur la santé animale.
  • 6 Art. R. 223-8 du code rural et de la pêche maritime.
  • 7 Art. L. 523-1 du code de justice administrative.
  • 8 A propos, en droit privé, du préjudice d’ordre subjectif et affectif que représente la mort d’un animal domestique : Cass civ 1ère, 16 janvier 1962, Sirey 1962. 281 note C.-I. FOULON-PIGANIOL ; Dalloz 1962. 199 note R. RODIERE ; JCP 1962.II.12557 note P. ESMEIN ; RTDC 1962. 316 obs. A. TUNC ; M. FALAISE, « Droit animalier : Quelle place pour le bien-être animal ? », RSDA 2/2010, p. 19. V. également J.-P. MARGUENAUD, « La protection juridique du lien d’affection envers un animal », D. 2004. 3009 et F. MARCHADIER, « L’indemnisation du préjudice d’affection : la banalisation d’une action… attitrée !? », RSDA 2011/2, p. 35.
  • 9 Art. 269 du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 dit législation sur la santé animale.
  • 10 Art. 1, §2, i) du règlement (UE) 2016/429 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 dit législation sur la santé animale.
  • 11 CJUE, 19 janv. 2023, aff. C‑162/21, Pesticide Action Network Europe e.a., ECLI:EU:C:2023:30, L. PEYEN, « Néonicotinoïdes : le juge européen au secours des abeilles », Énergie – Env. – Infrastr. 2023, comm. 27 ; D. GADBIN, « Semences traitées aux néonicotinoïdes : fin surprise des dérogations aux interdictions », Revue de droit rural, 2023, comm. 47 ; M. CINTRAT, « Pesticides : la primauté de la santé des abeilles sur l’amélioration de la production agricole », JCP G n° 15, 17 avril 2023, p. 789.
  • 12 CE, réf., 15 mars 2021, n° 450194 : Juris-Data n° 2021-003317. CE, réf., 25 févr. 2022, n° 461238 : JurisData n° 2022-002793.
  • 13 B. FAURE, « Juge administratif des référés statuant en urgence. – Référé-liberté », Jurisclasseur Justice administrative, Fasc. 51, 12 juillet 2022 ; CE, 15 avr. 2011, n° 348338, Yousfia A. : JurisData n° 2011-006069.
  • 14 CJCE, 12 juill. 2001, aff. C-189/01, Jippes e. a., ECLI:EU:C:2001:420, M. CINTRAT, Recherche sur le traitement juridique de la santé de l’animal d’élevage, Thèse en droit, Aix-Marseille Université, 2017, p. 304.
  • 15 JORF n° 272 du 24 novembre 2023, texte n° 16.
  • 16 JORF n° 70 du 24 mars 2022.
  • 17 JOUE L 4 du 7 janvier 2019, p. 43.
  • 18 Art. 103, §1 du règlement.
  • 19 Art. L. 5143-2, I du code de la santé publique.
  • 20 Les expressions « interdiction de tenir officine ouverte », « donner personnellement des soins » et « surveillance sanitaire et soins régulièrement confiés au vétérinaire » sont définies à l’article R. 5141-112-1 du code de la santé publique.
  • 21 Art. L. 5143-2 et art. R. 5141-112-1 du code de la santé publique.
  • 22 JORF n° 98, 26 avril 2007, p. 7455, texte n° 30.
  • 23 M. CINTRAT, « La distribution au détail du médicament vétérinaire : du privilège aux conflits d’intérêts », RDSS n° 6, déc. 2012, p. 1084.
  • 24 Art. R. 242-96 du code rural et de la pêche maritime.
  • 25 Ordonnance n° 2015-953 du 31 juillet 2015 relative à la réforme de l’ordre des vétérinaires, JORF n° 177 du 2 août 2015, texte n° 24.
  • 26 S. DESMOULIN, « La vente de médicaments vétérinaires au détail ou les affres d’une législation méconnue », Gazette du Palais, 9 décembre 2006, n° 343, p. 3734.
  • 27 CE, 4e et 5e sous-sections réunies, 7 octobre 2015, n° 376466.
  • 28 CE, 4e chambre, 19 décembre 2018, n° 409197.
  • 29 Art. R. 241-99 du code rural et de la pêche maritime.
  • 30 Art. L. 243-2 du code rural et de la pêche maritime.
  • 31 Une expérience professionnelle d’un an dans le secteur de l’élevage est suffisante : art. D. 243-1 du code rural et de la pêche maritime.
  • 32 Arrêté du 16 janvier 2003 établissant les normes minimales relatives à la protection des porcs modifié, annexe, §9.
  • 33 Art. R. 5442-1, 5° du code de la santé publique.
 

RSDA 2-2023

Droit pénal et sciences criminelles
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit criminel

  • Damien Roets
    Professeur de droit privé
    Université de Limoges
    Doyen honoraire de la Faculté de droit et des sciences économiques
  • Jérôme Leborne
    Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles
    Université de Toulon

La protection pénale de la tortue Cistude
Cass. Crim. 23 nov. 2023, pourvoi n° 22-86.922, inédit


La tortue Cistude (Emys orbicularis) – encore dire « tortue boueuse » ou « tortue bourbeuse » ou « tortue des marais » –, contrairement à ses cousines européennes la tortue d’Hermann (Testudo hermanni) et la tortue grecque (Testudo graeca), est une tortue d’eau douce. Considérée comme étant « quasi menacée » dans le système de cotation de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, elle est notamment menacée par la régression des zones humides. C’est précisément une telle menace qui était en cause en l’espèce, la propriétaire d’un étang, qui avait connaissance de la présence de tortues cistudes dans et à proximité de celui-ci, n’ayant pas pris les mesures qui s’imposaient pour maintenir un niveau d’eau suffisant au bien-être des tortues à l’occasion de travaux rendus nécessaires par l’existence d’une brèche dans une digue.
Dans l’ordre juridique européen, comme la tortue d’Hermann et la tortue grecque, la tortue Cistude figure, d’une part, à l’annexe II de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe du 19 septembre 1979 (dite « Convention de Berne »), en tant qu’elle appartient à la catégorie des « Espèces de faune strictement protégées », et, d’autre part, aux annexes II et IV de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, en tant qu’elle est à la fois une espèce animale « d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation » et une espèce animale « présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte ». Dans l’ordre juridique national, elle est listée dans l’arrêté du 8 janvier 2021 fixant la liste des amphibiens et des reptiles représentés sur le territoire métropolitain protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection (qui a succédé à l’arrêté du 19 novembre 2007 fixant la liste des amphibiens et des reptiles protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection) pris en application des articles R. 411-1 et R. 411-3 du Code de l’environnement. Elle est par ailleurs pénalement protégée par l’article L. 415-3-1° du même code qui, entre autres comportements, punit de trois ans d'emprisonnement et de 150 000 d’euros d'amende « le fait, en violation des interdictions ou des prescriptions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1 et par les règlements ou les décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 : a) de porter atteinte à la conservation d'espèces animales non domestiques ; […] c) de porter atteinte à la conservation d'habitats naturels » (les b) et d) du texte incriminent respectivement le fait « de porter atteinte à la conservation d'espèces végétales non cultivées » et le fait « de détruire, altérer ou dégrader des sites d'intérêt géologique, notamment les cavités souterraines naturelles ou artificielles, ainsi que de prélever, détruire ou dégrader des fossiles, minéraux et concrétions présents sur ces sites »). C’est cette qualification pénale qui a valu à la demandeuse au pourvoi à l’origine de l’arrêt ici commenté d’être condamnée, le 14 septembre 2022, par la cour d’appel de Limoges, à 3 000 euros d’amende.
L’article L. 415-3-1° du Code de l’environnement mobilisé in casu ne se suffit pas à lui-même puisqu’il renvoie aux « dispositions de l'article L. 411-1 et [aux] règlements ou décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 » (figure de l’incrimination par renvoi poétiquement dit « en cascade »…). Ainsi, en l’espèce, pour identifier le contenu de l’interdit pénal il convient tout d’abord de lire l’article L. 415-3-1° du Code de l’environnement à l’aune de l’article L. 411-1-I dudit code qui dispose notamment que « lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdit[e]s : […] 3° la destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ». Il faut, ensuite, se référer à l’arrêté du 19 novembre 2007 fixant la liste des amphibiens et des reptiles protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection (applicable à l’époque des faits) pris en application des articles R. 411-1 et R. 411-3 du Code de l’environnement. Il faut enfin intégrer le fait que la demandeuse au pourvoi avait fait l’objet d’un arrêté préfectoral (« décision individuelle » au sens de l’article L. 415-3-1° du Code de l’environnement) la mettant en demeure de remettre son étang en eau.
Devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation, la propriétaire de l’étang à sec litigieux présentait deux arguments, l’un concernant l’élément matériel du délit, l’autre son élément moral.
S’agissant de l’élément matériel du délit, la demandeuse au pourvoi estimait que celui-ci n’avait pas été caractérisé par la cour d’appel dès lors que, comme en attestaient divers documents produits, dont un rapport d’expertise, il n’était nullement démontré que la mise à sec de la pièce d’eau avait altéré ou dégradé le milieu particulier des tortues cistudes et que, partant, le doute existant quant à la réalité de l’atteinte devait lui bénéficier. Ce à quoi la haute juridiction répond sèchement en affirmant que « le délit, prévu par le 1° de l'article L. 415-3 du code de l'environnement, d'atteinte à la conservation des habitats naturels ou espèces animales non domestiques, en violation des prescriptions prévues par les règlements ou décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 du même code, peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions ». L’assertion est un peu surprenante. En effet, si l’article L. 415-3-1° du Code de l’environnement incrimine le fait de porter divers types d’atteinte au milieu naturel « en violation des interdictions ou des prescriptions prévues par les dispositions de l'article L. 411-1 et par les règlements ou les décisions individuelles pris en application de l'article L. 411-2 », cette violation (ou, dans la terminologie alambiquée ici utilisée par la Cour de cassation, « l’abstention de satisfaire [auxdites] prescriptions ») n’est qu’une composante de l’élément matériel du délit dès lors que, contrairement à ce qui a souvent cours en droit pénal de l’environnement1, elle ne consomme pas à elle seule l’infraction, le texte énumérant quatre types d’atteintes2. Le délit de l’article L. 414-3-1° du Code de l’environnement étant manifestement une infraction de résultat (produit par une action ou, éventuellement, une omission3), le seul constat, en l’espèce, de la violation de l’arrêté préfectoral du 25 avril 2018 ne semble pas pouvoir caractériser son élément matériel.
En ce qui concerne l’élément moral du délit de l’article L. 415-3-1° du Code de l’environnement, la solution retenue, déjà adoptée par le passé4 est moins surprenante, sans être pour autant convaincante. Selon la Chambre criminelle, « une faute d'imprudence ou de négligence suffit à caractériser l'élément moral du délit ». L’emploi de la formulation « suffit à » induit que l’élément moral du délit serait, en somme, au gré des circonstances, à géométrie variable, i.e. faute intentionnelle (dol général) ou faute d’imprudence ou de négligence ; ce qui n’est guère satisfaisant. Si l’on met de côté le cas particulier de la faute de mise en danger de la personne d’autrui5, un délit a pour élément moral soit la faute intentionnelle6, soit la faute d’imprudence ou de négligence7. Admettre qu’une infraction puisse avoir pour élément moral, selon les cas, la faute intentionnelle ou la faute d’imprudence ou de négligence paraît contraire à l’exigence constitutionnelle8 et conventionnelle9 de clarté et de précision des textes d’incrimination inhérente au principe de la légalité des délits et des peines. De plus, le caractère protéiforme de l’élément moral du délit de l’article L. 415-3-1° du Code de l’environnement fait problème en ce que les peines encourues sont, en toute hypothèse (faute intentionnelle ou faute d’imprudence ou de négligence, donc) les mêmes : trois ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.
Aux fins de protéger efficacement les espèces animales non domestiques protégées (ainsi, d’ailleurs, que les espèces végétales non cultivées protégées et les sites d’intérêt géologique protégés), l’article L. 415-3-1° du Code de l’environnement pourrait être utilement réécrit. Pour ce qui est de l’élément matériel du délit, la référence aux « décisions individuelles » devrait être supprimée pour ne pas laisser à penser que la répression est conditionnée par la prise d’un arrêté préfectoral individuel (le texte d’incrimination et la jurisprudence de la Cour de cassation sont, sur ce point, ambigus…) – quitte à faire du non-respect d’un tel arrêté une infraction autonome10 –. Par-delà cette suppression, et s’agissant, cette fois, de l’élément moral, le texte devrait comporter deux qualifications autonomes (dans deux alinéas) pour distinguer selon que l’atteinte a été commise intentionnellement (quel que soit le mobile de l’atteinte) ou par imprudence ou négligence, les peines encourues dans le premier cas étant plus sévères que dans le second11. De lege lata, il n’est en effet ni rationnel ni juste de sanctionner des mêmes peines les atteintes volontaires et les atteintes involontaires à une espèce animale non domestique.
Quoi qu’il en soit, l’arrêt rendu par la Chambre criminelle le 14 novembre 2023 dans la présente affaire révèle que, à l’instar du droit pénal animalier « pur », pour être porteur de sens, le droit pénal animalier « environnemental » mériterait d’être techniquement mieux conçu – autrement dit, d’être pris au sérieux…

D. Roets


Le cumul des qualifications de divagation d’un animal dangereux et des blessures involontaires à la personne
CA Chambéry, 21 juin 2023, n° 21/00444, JurisData, n° 2023-017154


On sait peu de choses de cet arrêt rendu par la Cour d’appel de Chambéry dont seul le résumé est publié au JurisData. Il permet, néanmoins, de rappeler que le droit animalier n’est pas un droit visant uniquement à la protection pour les animaux, celle-ci étant déjà (très) relative, il se compose également d’un ensemble de règles dites contre les animaux12. Très tôt, il est vrai, le droit pénal a considéré l’animal comme un être vivant doué de dangerosité avant de le protéger, bien plus tard, comme un être vivant doué de sensibilité, sensibilité qui n’a pas pour autant empêché le nouveau Code pénal de déployer parallèlement une lutte intensive contre la bête. La protection de l’animal a pu, quand même, exercer une certaine influence, car il faut reconnaître que le paradigme du droit moderne n’est plus tout à fait celui du droit historique contre la dangerosité animale. Moralement irresponsable sur le plan juridique, l’animal est, en conséquence, pénalement irresponsable de ses actes ou de sa dangerosité, partant, il ne peut jamais être qualifié ni condamné comme auteur ou complice d’une infraction. En tant qu’être approprié, il est placé sous la responsabilité de son propriétaire ou de son gardien qui est, et en est, juridiquement responsable. Dès lors, l’animal est assimilé à un « moyen »13 de l’homme de commettre une infraction. Autrement dit, le droit pénal punit, non pas l’animal dangereux, mais la personne défaillante ou celle qui ferait un « mauvais usage » de son animal. Il ne s’agit donc pas, comme cela l’était au temps de l’ancien Code pénal, d’une protection « pure » contre l’animal lui-même mais, désormais, d’une protection « indirecte » contre la personne au comportement dangereux, et ce, par l’intermédiaire de l’animal.
Rangée dans le Titre Deuxième « Des contraventions contre les personnes » (du Livre Sixième « Des contraventions ») du Code pénal, au plan formel, la place de l’incrimination de la divagation animale est en effet révélatrice de l’objectif principal de garantir la sécurité des personnes, la lutte contre l’animal en est en quelque sorte l’accessoire. La divagation animale constitue, au plan substantiel, une contravention de la 2e classe (150 € d’amende) sanctionnée par l’article R. 622-2. Elle est, a priori, une infraction formelle, c’est-à-dire que la loi pénale sanctionne la divagation de l’animal indépendamment de la réalisation d’un résultat, car à elle seule la divagation est estimée comme suffisamment dangereuse. À y réfléchir, sa véritable nature est peut-être davantage celle de l’infraction-obstacle puisqu’elle a vocation à réprimer un comportement dangereux susceptible de causer un dommage, encore relativement éloigné (tandis qu’avec les infractions formelles la causalité est quasi immédiate et la survenance du résultat matériel presque certain), dont l’éventuelle survenance peut caractériser une autre infraction, notamment une atteinte aux personnes. Le cas échéant, l’infraction-obstacle pourra être cumulée avec l’infraction de résultat (ce qui n’est pas possible si l’infraction formelle est consommée). En ce sens, la divagation animale est, pourrait-on dire, une « contravention-sûreté ».
La formule utilisée par le nouveau Code pénal « susceptible de présenter un danger », signifie que l’animal n’est pas intrinsèquement dangereux, il peut être dangereux. Cette formule sous-tend le changement de paradigme en la matière : il ne s’agit plus de lutter contre l’animal dangereux en divagation, il s’agit de lutter contre la dangerosité de l’animal en divagation. Faisant office de « jugement de principe », un Tribunal de police en 1998 a précisé que l’article R. 622-2 sanctionne « la seule possibilité de l’animal de causer un dommage à la personne, indépendamment du caractère intrinsèquement dangereux ou féroce de l’animal »14. Une décennie après, cette conception de l’incrimination sera reprise par la Cour d’appel de Grenoble dans un arrêt du 3 novembre 2009 lequel énonce que la contravention « s’applique, indépendamment du caractère intrinsèquement dangereux de l’animal, à celui qui est susceptible de présenter un tel danger ». Il faut donc comprendre que l’animal n’est pas dangereux pour ce qu’il est mais pour ce qu’il fait. Encore que, le danger n’étant qu’une éventualité, il faudrait dire : l’animal n’est pas dangereux pour ce qu’il est mais pour ce qu’il peut faire en divagation. La dangerosité de l’animal étant factuelle, plus précisément circonstancielle, tout animal est potentiellement concerné. Tout dépend alors de l’appréciation souveraine, in concreto, des juridictions du fond. En pratique, c’est bien souvent la réalisation d’un dommage qui permet de démontrer la dangerosité de l’animal, situation paradoxale que M. le Professeur Damien Roets a relevée dans cette revue15, remettant ainsi en cause l’intérêt de l’infraction sachant que celle-ci est théoriquement indépendante du résultat (ce qui renforce au passage l’idée de l’infraction-obstacle). Tel est d’ailleurs le cas en l’espèce, « les chiens doivent être considérés comme des chiens dangereux au vu de leur comportement lors de l’attaque ». Le résumé de l’arrêt ne donne pas plus d’éléments sur « le comportement » lors de l’attaque hormis, on le verra plus loin, que l’un des trois chiens du propriétaire condamné a mordu la victime, résultat final de la divagation. La dangerosité de l’un pourrait avoir eu pour effet de recouvrir ou de présumer celle des autres, sauf à considérer que l’attaque est en elle-même la manifestation de leur dangerosité.
Si l’animal a pu se montrer dangereux, c’est parce qu’il était en état de divagation. L’état de divagation conduit à la dangerosité animale, elle provoque en quelque sorte la dangerosité. En d’autres termes, la divagation constitue d’une certaine manière le stade initial de la dangerosité animale. Juridiquement, la divagation est le versant négatif de la surveillance, en ce sens où elle s’entend comme un défaut de surveillance de l’animal par son gardien16. Le défaut de surveillance pénal s’apprécie normalement selon les critères du juge civil, soit l’usage, le contrôle et la direction de l’animal. La caractérisation du défaut a néanmoins varié dans le temps, comme s’il y avait eu des degrés de défaut : la jurisprudence pénale est passée d’un défaut strict17 à un défaut souple18, si bien qu’aujourd’hui la réunion des trois critères n’est plus exigée pour constituer la divagation. Aussi, la tenue en laisse n’est pas un fait significatif : la divagation est caractérisée, alors même que l’animal est tenu en laisse, lorsque celle-ci est trop longue pour le maîtriser19 ; inversement, l’absence de laisse n’emporte pas nécessairement divagation si le maître reste en mesure d’exercer le contrôle de l’animal à distance, par portée de voix ou de tout instrument permettant son rappel20. Le critère de la surveillance effective s’est ainsi imposé sur tous les autres pour déterminer la divagation21. Cette surveillance effective permet au demeurant de distinguer la divagation de l’excitation animale que l’article R. 623-3 du Code pénal punit d’une contravention de la troisième classe (450 € d’amende). Dans le cadre de l’excitation, le gardien de l’animal le laisse attaquer ou poursuivre une personne alors qu’il avait les moyens de l’en empêcher. Ici, le gardien possède la surveillance effective ; à défaut, l’animal est en divagation. En résumé, dans le cas de l’excitation le gardien s’abstient d’exercer les pouvoirs qu’il possède sur l’animal22, dans le cas de la divagation le gardien ne possède plus ces pouvoirs. Le cumul des qualifications apparaît dès lors impossible. Dans l’arrêt commenté, il s’agit bien d’une divagation car les chiens du prévenu ont attaqué un autre chien « alors qu’ils se trouvaient à plus de cent mètres de lui et qu’il a mis une minute 30 pour arriver sur place ». En les laissant errer, le gardien a effectivement perdu la surveillance et le contrôle de ses chiens.
S’il y a défaut de surveillance, c’est parce qu’il y a originellement une faute. En principe, en tant que contravention, l’infraction est matérielle, ou pour le dire plus concrètement, l’intention est présumée. Dès lors, la constatation de la divagation d’un animal au comportement dangereux devrait suffire à constituer l’infraction et, en conséquence, à condamner le gardien défaillant. Toutefois, il ressort de la jurisprudence que le comportement fautif du gardien est recherché par les juges. Pour autant, on peut difficilement le leur reprocher car la formule employée par le texte, « laisser » divaguer, suppose une négligence du gardien, pouvant s’interpréter comme la répression d’une faute d’imprudence23. C’est donc une « contravention non intentionnelle ». En sus, quand la divagation a effectivement causé un dommage, la divagation ou la faute source de la divagation est susceptible de constituer en tout ou partie l’élément moral des atteintes involontaires à l’intégrité de la personne dont la qualification dépendra du seuil de l’incapacité totale de travail de la victime et du degré de la faute, simple ou aggravée, commise par l’agent. La faute du gardien de l’animal est cette fois réprimée pour ses conséquences. La divagation de l’animal apparaît bien comme une infraction-obstacle dont le résultat est également sanctionné lorsqu’elle ne parvient pas à faire obstacle. Le cumul des qualifications peut tout de même sembler critiquable. Certes, outre l’élément matériel, les intérêts sont distincts : d’un côté, on protège la sécurité, de l’autre, l’intégrité des personnes. Il n’en demeure pas moins que la divagation est sanctionnée deux fois, d’une part, en tant que contravention et, d’autre part, en tant que faute constitutive des blessures involontaires. Depuis son arrêt retentissant du 15 décembre 202124, la Cour de cassation interdit le cumul des qualifications dans deux situations. Dans la première, l'une des qualifications, telles qu'elles résultent des textes d'incrimination, correspond à un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre, qui seule doit alors être retenue25. À compter du moment où la divagation correspond à la faute des blessures non intentionnelles, seules ces dernières pourraient (devraient ?) être retenues. Cependant, la divagation, plus particulièrement le défaut de surveillance, résulte d’une faute simple ou d’imprudence. Elle ne suffit pas alors à constituer la faute délibérée laquelle se caractérise par la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (art. 121-3, al. 4, C.P.). C’est probablement pourquoi en l’espèce, le propriétaire des chiens est également condamné du chef de blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation de prudence ou de sécurité. La morsure subie par la victime tentant de sauver sa chienne attaquée, est en lien direct (relevons ce lien de causalité discutable) et certain avec la faute commise par le prévenu qui a laissé volontairement deux de ses chiens hors de son champ visuel et, lorsque le troisième a cassé sa laisse, il ne s’est pas inquiété et est resté sans réaction pendant une minute. Ainsi, le défaut de surveillance délibéré auquel s’ajoute la passivité du propriétaire face au comportement des chiens, permettent, selon les juges, de caractériser la faute délibérée des blessures (là encore ceci est discutable, à la lecture du résumé de l’arrêt on a du mal à voir quelle obligation particulière prévue par la loi ou le règlement est violée). La contravention de divagation ne correspond pas (elle ne constitue pas) à l’élément moral du chef de blessures involontaires par faute délibérée, ici le cumul se justifie, du moins il ne devrait pas être interdit.
On comprend, à l’aune de ce cumul, la nécessité de réécrire l’article R. 622-2. Le texte doit être reformulé de façon à recentrer l’incrimination sur la cause de la divagation, à savoir la faute d’imprudence du gardien, et reléguer la dangerosité de l’animal à sa place de conséquence et à sa nature circonstancielle. Aussi, le nouvel article R. 622-2 devrait incriminer le fait, par le gardien d’un animal, par imprudence ou négligence, de le laisser divaguer de manière à exposer autrui à un danger, et alors même qu’il n’en est résulté aucun dommage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe. En revanche, incriminer la divagation par faute délibérée, ce serait prendre le risque, vu l’arrêt du 15 décembre 2021 de la Cour de cassation (supra), de ne plus pouvoir cumuler (du tout) la divagation et les blessures involontaires à la personne humaine. C’est peut-être d’ailleurs ce qui explique que les juges d’appel, malgré qu’ils aient établi un lien de causalité directe, ce qui aurait dû les conduire à caractériser une faute d’imprudence, se soient reportés sur la faute délibérée découlant normalement d’une causalité indirecte (selon les distinctions de l’article 121-3 alinéa 3 et 4 du Code pénal), afin de ne pas entraver le cumul des infractions (la divagation aurait été absorbée par la faute d’imprudence des blessures involontaires) et de punir plus sévèrement le comportement dangereux du gardien de l’animal.

J. Leborne


Les frontières de l’action civile des associations de protection animale
Cass. Crim., 28 novembre 2023, pourvoi n° 22-87.559


Les associations se constituant partie civile dans un procès pénal « concurrencent désormais largement le ministère public, dans sa fonction d’accusation et de défense des intérêts de la collectivité »26. L’action civile devant les juridictions répressives s’étant aujourd’hui tellement étendue, elle suscite en doctrine27 des craintes qu’elle n’aboutisse, en pratique, à une « privatisation du procès pénal »28. Toutefois, pour certains contentieux, ces groupements peuvent être « d’utiles contrepoids à l’inertie des parquets »29. C’est précisément le cas en justice pénale animalière où le rôle des associations de protection animale est « indispensable tant il est difficile de considérer le ministère public comme représentant les intérêts des animaux »30. La loi du 1er février 199431 a codifié l’action civile des associations de protection animale au siège de l’article 2-13 du Code de procédure pénale. Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits et dont l’objet statutaire est la défense et la protection des animaux peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions réprimant les sévices graves ou actes de cruauté et les mauvais traitements envers les animaux ainsi que les atteintes volontaires à la vie d’un animal prévus par le Code pénal. Depuis, on ne compte plus le nombre d’affaires signalées par les associations de protection animale au Parquet32. On ne compte plus le nombre de jurisprudences rendues possibles grâce à l’action civile des associations de protection animale33. Le rôle des associations dans la justice pénale animalière34 est, disons-le franchement, crucial. Ce sont peut-être elles, en réalité, qui bâtissent la justice pénale animalière tellement leurs interventions sont déterminantes pour l’application de la loi pénale35. Elles ont, en plus, cette spécificité de représenter l’animal en sa qualité d’individu. En effet, le propriétaire de l’animal n’est pas le mieux placé36 pour le représenter car il y a un risque de confusion des intérêts protégés entre l’animal pour lui-même et l’animal en tant qu’élément du patrimoine37. L’action pourrait tourner à la réparation du dommage causé au patrimoine ou au préjudice moral pour la perte de l’animal, soit une réparation au profit du propriétaire, alors que la suppression de la condition d’existence d’un préjudice, direct ou indirect, aux intérêts défendus par l’association induit que l’association agit pour l’intérêt personnel de l’animal, donc pour l’animal lui-même38. Pour autant, l’action civile de l’association n’est pas incompatible avec celle du propriétaire (art. 2 C.P.P.) qui est davantage dans une démarche réparatrice ou éventuellement vindicative. Le cumul des actions civiles est dès lors possible car elles ne défendent pas les mêmes intérêts.
Encore faut-il que l’infraction reprochée entre dans le périmètre d’action des associations. En vertu du principe d’interprétation stricte de la loi, une association n’est recevable à se constituer partie civile pour des infractions autres que celles expressément visées par l’article 2-13 du Code de procédure pénale39. Ont ainsi été jugées irrecevables les constitutions de partie civile pour les atteintes involontaires à l’animal sanctionnées par le Code pénal40, les contraventions relatives à la privation de nourriture, d’eau ou de soins du Code rural41, ou encore, pour la législation relative aux conditions d’abattage des animaux réprimées par le même code42. L’arrêt de la Cour de cassation du 28 novembre 2023 vient étendre cette liste. En l’espèce, la prévenue a été poursuivie pour le délit de détention d’animal malgré interdiction judiciaire et pour les contraventions au Code rural et de la pêche maritime de détention d’équidé sans déclaration, privation de soin à animaux par son détenteur, maintien d’animaux dans un environnement pouvant être cause de souffrance, détention de chiens non identifiés et acquisition d’équidé sans envoi de sa carte d’immatriculation. Le juge de premier degré l’a déclarée coupable des chefs susvisés et a déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de plusieurs associations de défense des animaux. La prévenue, le ministère public et les quatre parties civiles jugées irrecevables ont fait appel du jugement. La Cour d’appel de Caen a rendu un arrêt infirmatif le 31 octobre 2022. Elle a estimé la constitution des quatre parties civiles irrecevable sur le fondement de l’article 2-13 mais recevable sur le fondement de l’article 2 du Code de procédure pénale, aux motifs que ce texte leur permettait de demander réparation d’une atteinte portée à l’intérêt collectif qu’elles défendaient et qui entrait dans leur objet social, et partant, a déclaré la prévenue entièrement responsable du préjudice subi par les associations. La Cour de cassation profite du pourvoi formé par la prévenue pour établir une distinction entre l’article 2 et l’article 2-13 du Code de procédure pénale selon la finalité de l’action. Sur le fondement du premier article, une association ou une fondation dont l’objet statutaire est la défense et la protection des animaux ne peut exercer les droits reconnus à la partie civile que si elle justifie d’un préjudice présentant un caractère direct et personnel. Autrement dit, l’association doit se constituer partie civile sur le fondement de l’article 2 lorsque l’action à vocation à réparer un préjudice qu’elle aurait directement subi. Le préjudice lui est direct et personnel, l’action est pour elle-même. La réparation de l’atteinte portée aux intérêts collectifs qu’elle a pour mission de défendre ne peut être sollicitée que dans les conditions prévues par le second article. Ainsi, l’association doit se constituer partie civile sur le fondement de l’article 2-3 quand elle agit pour défendre les intérêts de l’animal. L’atteinte est portée à l’animal, l’action est pour l’animal. En l’espèce, l’action civile des associations avait bien pour finalité la réparation des atteintes portées aux animaux, la constitution de partie civile était alors soumise aux conditions de l’article 2-13. Or, les infractions reprochées à la prévenue ne figurent pas dans l’énumération limitative du texte. En conséquence, les constitutions de partie civile étaient irrecevables, la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel.
En effet, la loi EGALIM du 30 octobre 201843 n’a élargi les prévisions de l’article 2-13 du Code de procédure pénale qu’aux articles L. 215-11 et L. 215-13 du Code rural. La loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale44 a omis d’actualiser l’article qui parle encore des « sévices sexuels » alors qu’ils ont été absorbés par les « atteintes sexuelles » par la même loi. En application du principe d’interprétation stricte de la loi pénale que la Cour de cassation applique ici rigoureusement, les associations ne devraient plus pouvoir agir pour des faits à caractère sexuel – ce sont désormais des atteintes sexuelles – tant que le législateur n’aura pas corrigé cette lacune. L’article exclut ainsi les nouveaux délits d’atteintes sexuelles et de proxénétisme animalier ainsi que les délits d’enregistrement et de diffusion d’images violentes issus de ladite loi. Il ne mentionne pas non plus les atteintes involontaires à l’animal, ni les contraventions du Code rural. Enfin, restent toujours exclues toutes les infractions du Code de l’environnement, notamment les atteintes à la conservation d’espèces animales protégées. Et que l’on cesse de dire que la protection de l’animal et la protection de l’environnement sont deux choses différentes car non seulement il n’y a aucune incompatibilité, au contraire, elles sont complémentaires et solidaires, mais surtout, l’action civile des associations de protection animale a été instituée… par la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature45, laquelle se compose au surplus d’un chapitre II consacré à « la protection de l’animal ».
L’effectivité de la protection pénale de l’animal est donc dépendante de la réforme indispensable de l’article 2-13 du Code de procédure pénale. Il y a deux manières de faire. La première, à court terme, est d’étendre la liste aux infractions du Code rural et du Code de l’environnement. La seconde, à plus ou moins long terme, est de renouveler la protection pénale pour l’animal46 et de modifier en conséquence l’article 2-13 du Code de procédure pénale.

J. Leborne

  • 1 V., par ex., art. L. 521-21-I-2° Code env.
  • 2 V. supra.
  • 3 Sur cette catégorie d’infractions sui generis, v. J.-H. ROBERT, Droit pénal général, 6ème édition refondue, PUF, 2005, p. 207.
  • 4 Dans le même sens, v., déjà, Crim. 1er juin 2010, pourvoi n° 09-87.159, inédit et Crim., 18 oct. 2022, pourvoi n° 21-86.965, publié au Bulletin.
  • 5 Art. 121-3, al. 2, CP.
  • 6 Art. 121-3, al. 1er, CP.
  • 7 Art. 121-3, al. 3, CP.
  • 8 Cons. cons., décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981.
  • 9 Cour EDH, 25 mai 1993, Kokkinakis c/ Grèce,.
  • 10 Pour un exemple, mutatis mutandis, v. l’article L. 223-5 I et III du Code de la route.
  • 11 Pour un exemple dans le Code pénal, v. l’article 226-22 dont le premier alinéa punit de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende « le fait, par toute personne qui a recueilli, à l'occasion de leur enregistrement, de leur classement, de leur transmission ou d'une autre forme de traitement, des données à caractère personnel dont la divulgation aurait pour effet de porter atteinte à la considération de l'intéressé ou à l'intimité de sa vie privée, de porter, sans autorisation de l'intéressé, ces données à la connaissance d'un tiers qui n'a pas qualité pour les recevoir » et dont le deuxième aliéna dispose que « la divulgation prévue à l'alinéa précédent est punie de trois ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende lorsqu'elle a été commise par imprudence ou négligence ».
  • 12 J.-P. MARGUENAUD, F. BURGAT et J. LEROY, Le droit animalier, PUF, 2016, p. 89 et s.
  • 13 J. PRADEL et M. DANTI-JUAN, Droit pénal spécial, Cujas, 8e éd., 2020, p. 745, n° 1130.
  • 14 T. pol., Saint-Girons, 20 avril 1998.
  • 15 D. ROETS, « La dangerosité animalière et l’article R. 622-2 du Code pénal », RSDA, 2012, n° 1, p. 86, spéc. p. 87.
  • 16 J.-Y. MARECHAL, « Fascicule 20. Art. R. 622-2 : contraventions contre les personnes (2e classe) – Divagation d’animaux dangereux », JurisClasseur Code Pénal, 2021, n° 13.
  • 17 En ce sens où le juge exigeait un défaut total de surveillance pour caractériser la divagation (M. REDON, « Animaux », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, 2022, n° 21 ; Cass. crim., 8 novembre 1867 ; T. Béziers, 8 juillet 1981).
  • 18 J. LEROY, « Divagation d’animaux dangereux (art. R. 622-2. C.P.). Eléments constitutifs. Blessures involontaires. Non assistance à personne en péril », RSDA, 2013, n° 2, p. 48, spéc. p. 49.
  • 19 CA Pau, 2 octobre 1991, JurisData, n° 1991-044360 ; CA Poitiers, 2 février 2007, JurisData, n° 2007-330206.
  • 20 CA Douai, 23 octobre 2008, JurisData, n° 2008-373278 ; CA Paris, 26 janvier 2009, JurisData, n° 2009-375277.
  • 21 CA Paris, 24 septembre 1990, JurisData, n° 1990-024416 ; CA Nancy, 25 mars 1999, JurisData, n° 1999-045071 ; CA Douai, 18 janvier 2006, JurisData, n° 2006-301192.
  • 22 J.-Y. MARECHAL, « Fascicule 20. Art. R. 623-3 : contraventions contre les personnes (3e classe) – Excitation d’animaux dangereux », JurisClasseur Code Pénal, 2010, n° 10.
  • 23 G. ROUSSEL, « La protection de l’homme face à l’animal, être doué de dangerosité », in F.-X. ROUX-DEMARE (dir.), L’animal et l’homme, Mare & Martin, coll. Droit privé & sciences criminelles, 2019, p. 293-301, spéc. p. 296.
  • 24 Cass. crim., 15 décembre 2021, n° 21-81.864.
  • 25 Considérant 29, ibid.
  • 26 X. PIN, « La privatisation du procès pénal », RSC, 2002, n° 2, p. 245.
  • 27 J. LARGUIER, « L’action publique menacée (À propos de l’action civile des associations devant les juridictions répressives) », D., 1958, p. 29.
  • 28 X. PIN, « La privatisation du procès pénal », op cit.
  • 29 Ibid.
  • 30 J.-P. MARGUENAUD, F. BURGAT, J. LEROY, Le droit animalier, PUF, 2016, p. 218.
  • 31 Art. 16, Loi n° 94-89 du 1er février 1994 instituant une peine incompressible et relative au nouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, JORF, n° 27, 2 février 1994, p. 1803.
  • 32 I. DEMESLAY, « L’action des refuges et des associations de défense des animaux », in F.-X. ROUX-DEMARE (dir.), L’animal et l’homme, Mare & Martin, coll. Droit privé & sciences criminelles, 2019, p. 317-330.
  • 33 C. LACROIX, « L’article 2-13 du CPP relatif à l’action civile des associations de protection, 20 ans après (Pour une nouvelle optimisation de la défense de l’animal victime ?), RSDA, 2013, n° 1, p. 339, spéc. p. 342.
  • 34 C. DARNAULT, « Le rôle des associations locales dans l’effectivité de la protection juridique de l’animal », in O. LE BOT (dir.), Les mutations contemporaines du droit de l’animal, DICE Éditions, coll. Confluence des droits, 2023, p. 299-314.
  • 35 Ibid.
  • 36 Il y a, plus radicalement, incompatibilité lorsque le propriétaire de l’animal est l’auteur des infractions reprochées envers l’animal.
  • 37 J.-P. MARGUENAUD, « La personnalité juridique des animaux », D., 1998, n° 20, p. 205.
  • 38 J.-P. MARGUENAUD, F. BURGAT, J. LEROY, Le droit animalier, op cit.
  • 39 Cass. crim., 24 octobre 2000, n° 99-87.682.
  • 40 Cass. crim., 22 mai 2007, n° 06-86.339.
  • 41 Cass. crim., 30 mai 2012, n° 11-88.268.
  • 42 Cass. crim., 13 mars 1984, JurisData, n° 1984-701781.
  • 43 Loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine, durable et accessible à tous, JORF, n° 253, 1 novembre 2018, texte n° 1.
  • 44 Loi n° 2021-1539 du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes, JORF, n° 279, 1 décembre 2021, texte n° 1.
  • 45 Art. 14, Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, JORF, n° 162, 13 juillet 1976, p. 4203.
  • 46 J. LEBORNE, La protection pénale de l’animal, Mare & Martin, coll. Bibliothèque des thèses, 2024 (à paraître).
 

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