Droit international
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit du commerce international

  • Sandrine Clavel
    Professeure à l’université Paris Saclay
    UVSQ, DANTE
  • Maximin de Fontmichel
    Professeur à l’université Paris Saclay
    UVSQ, DANTE

I. Un animal, des animaux

Sauvez Willy. Le sort des cétacés suscite de très légitimes inquiétudes. La première raison en est que l’océan, leur habitat, va mal. Objet de nombreuses attentions1, l’océan souffre du réchauffement climatique et des pollutions chimiques, mais aussi d’un niveau si alarmant de contamination plastique que l’OMC a entamé un Dialogue sur la pollution par les plastiques qui a réalisé des progrès notables en 2023 et pourrait conduire à un résultat concret lors de la treizième Conférence ministérielle (CM13) qui se tiendra en février 2024. En attendant, quand elles ne meurent pas l’estomac plein de sacs plastiques, les baleines ingèrent des quantités phénoménales de microplastiques2, avec des effets sur leur santé non encore mesurés. Mais les cétacés sont également des victimes directes des activités commerciales internationales. Aussi des actions doivent-elles impérativement être menées en la matière pour espérer sauver ces géants des mers.
Le premier danger est celui de la pêche. On songe à la chasse qui touche les cétacés eux-mêmes, mais ceux-ci sont également, et peut-être de façon plus grave, des victimes collatérales de la surpêche des autres espèces. Concernant la chasse commerciale à la baleine, l’année 2023 devrait marquer son arrêt en l’Islande, l’un des trois derniers pays au monde à autoriser une pratique à laquelle le moratoire de 1986 promulgué par la Commission Baleinière Internationale a quasiment mis fin. La saison 2023 de la chasse commerciale a été particulièrement courte en Islande en raison d’une suspension gouvernementale faisant suite à la vive émotion suscitée par la diffusion d’images montrant la longue agonie d’une baleine harponnée, jugée incompatible avec la loi sur le bien-être animal en vigueur en Islande. Même si le gouvernement islandais a levé cette suspension en septembre, la dernière entreprise islandaise pratiquant cette chasse a annoncé que la saison 2023 serait la dernière. Ce serait une bonne nouvelle si la principale cause de cette décision n’était la perte de son principal marché : l’entreprise exportait en effet 90 % du produit de sa chasse vers le Japon. Or ce pays, qui a repris la chasse commerciale en 2019, vise l’autosuffisance. La société baleinière Kyodo Senpaku Kaisha a annoncé à cet effet le lancement, au début de l’année 2023, du chantier de construction d’un gigantesque navire-usine qui permettra de hisser les carcasses à bord pour les dépecer. Une telle infrastructure permettrait théoriquement d’étendre la zone de chasse bien au-delà des côtes japonaises, jusque dans l’Antarctique. Les dauphins sont quant à eux principalement3 des victimes collatérales de la pêche. A cet égard, le plan d’action de l’Union européenne « Protéger et restaurer les écosystèmes marins pour une pêche durable et résiliente » présenté par la Commission en février 20234 a notamment pour enjeu de lutter contre les captures accidentelles, dont l’ampleur persistante en dépit des obligations résultant de la directive « Habitats » est régulièrement dénoncée par les ONG mais aussi par… les juridictions françaises, la France faisant figure de mauvais élève en matière5. Le manque d’ambition du Plan d’action européen est toutefois sévèrement dénoncé par les ONG. Plus globalement, les cétacés sont concernés par les dérives de la surpêche qui les prive d’accès à une alimentation suffisamment abondante. C’est donc à ce problème de la surpêche qu’il faut s’attaquer, ce que l’OMC a bien compris (v. infra).
L’autre grand danger visant les cétacés, imputable au commerce international, tient à l’intense navigation maritime, source de collisions souvent fatales pour les animaux mais aussi de nuisances sonores qui perturbent leurs comportements sociaux, leur accès à l’alimentation et sans doute leur santé. En 2023, l’Organisation Maritime Internationale a actualisé et renforcé ses directives en matière de nuisances sonores à l’adresse des opérateurs de transport maritime international6. De même, alors qu’aucun accord international même incitatif n’a encore pu être trouvé pour modifier les couloirs de navigation aux fins de protéger les baleines, l’OMI a adopté de nouvelles directives visant à séparer les routes des navires et des baleines7 (« traffic separation scheme »). Cependant, du fait du caractère non contraignant de ces directives qui sont essentiellement incitatives, il faut encore se reposer en la matière sur les législations nationales (pour les eaux territoriales) ou sur les initiatives volontaires des transporteurs. Certains d’entre eux, dans le cadre de leurs politiques RSE, entreprennent spontanément de dérouter leurs navires de certaines zones sensibles8, déploient des formations spécifiques à destination de leurs personnels et équipent leurs navires de logiciels anti-collision tel les logiciels RepCet ou Whale Alert. La RSE des transporteurs maritimes est parfois encouragée par les pouvoirs publics, à l’image du Right Whale Corporate Responsibility Project, mené depuis quelques années par l’agence américaine National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), les autorités portuaires du Massachussets et l’IFAW. Ce dispositif consiste pour les garde-côtes américains à produire des rapports individuels sur le respect par les navires des règles de vitesse dans la zone de gestion saisonnière de la baleine franche ; ces fiches sont ensuite envoyées pour information aux compagnies maritimes, les navires classés A+ ou A recevant en outre un « Certificat de responsabilité sociale ». Mais les actions visibles de quelques grands groupes maritimes ne peuvent faire oublier qu’au regard des quelques 119.000 navires naviguant nos océans, il ne s’agit que d’une goutte d’eau dans l’océan…

S. Clavel

II. Activités des organisations internationales

Principes directeurs de l’OCDE. Le 8 juin 2023, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié une version révisée de ses Principes directeurs à l’intention des entreprises multinationales sur la conduite responsable des entreprises. Cette nouvelle édition comporte des recommandations actualisées sur la conduite responsable des entreprises, l’objectif affiché étant de mieux adapter les Principes aux objectifs internationaux en matière de changement climatique et de biodiversité, et de mieux les aligner sur les évolutions réglementaires en matière de devoir de vigilance des entreprises. Or, fait remarquable, la version révisée des Principes intègre pour la première fois, dans le chapitre VI consacré à l’environnement, une référence au bien-être animal. Certes, cette entrée n’est pas fracassante. Le bien-être animal n’est pas mentionné dans le « chapeau » du chapitre, qui formule les recommandations proprement dites, et il faut attendre le dernier paragraphe (§85) du commentaire qui assortit ces recommandations pour trouver l’énonciation suivante, toutefois substantielle : « les entreprises devraient respecter les normes en matière de bien-être animal qui sont en conformité avec le Code terrestre de l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA). Un animal est considéré comme étant dans une situation de bien être s’il est en bonne santé, s’il bénéficie d’un confort suffisant, s’il est bien nourri et en sécurité et ne fait pas face à une situation désagréable telle que la douleur, la peur ou la détresse, et s’il peut adopter les comportements essentiels pour son état physique et mental. Le bien-être animal requiert la prévention des maladies et des soins vétérinaires, un abri, un élevage et une alimentation appropriés, un environnement stimulant et sûr, ainsi que la manipulation, l’abattage ou la mise à mort dans des conditions décentes. Les entreprises devraient par ailleurs adhérer aux recommandations en matière de transport d’animaux vivants développées par les organisations internationales compétentes ». Il faut bien comprendre la portée de cette intégration, qui est loin d’être négligeable. Certes, il ne s’agit que d’une « recommandation », l’OCDE n’ayant pas vocation à imposer des normes contraignantes aux entreprises privées. Les spécialistes de droit international savent cependant le rôle majeur qu’ont joué les Principes, depuis leur adoption en 1976, dans l’orientation de l’activité des entreprises multinationales et les progrès vers une conduite responsable. Les Principes constituent en effet un point d’appui essentiel dans la définition et la mise en œuvre des politiques de RSE des entreprises ; or ces politiques de RSE, initialement conçues sur une base purement volontaire, sont progressivement rattrapées par le droit, notamment au travers de la consécration juridique du devoir de vigilance. On perçoit donc le potentiel effet transformatif de l’intégration du bien-être animal dans les Principes. A cela s’ajoute la circonstance que, quoiqu’incitatifs, les Principes sont assortis d’un mécanisme de mise en œuvre spécifique, les Points de contact nationaux pour la conduite responsable des entreprises (PCN), destiné à renforcer leur effectivité. La référence faite au bien-être animal dans les Principes ouvre ainsi la porte à une saisine des PCN par les associations de défense des animaux. Ce dispositif original prévoit que, lorsque le comportement d’une entreprise heurte une recommandation visée par les Principes, une plainte peut être adressée à l’un des PCN. Le PCN offre un espace de dialogue entre parties prenantes et entreprises, et agit comme une instance de médiation renforcée (« bons offices ») ; si les parties ne parviennent pas à un accord, le PCN doit communiquer en exposant le comportement ayant provoqué la plainte, les raisons ayant fait obstacle à la conclusion d’un accord, et en formulant des recommandations.

S. Clavel

OMC. Alors que l’Accord sur les subventions à la pêche est à peine signé9 et pas encore en vigueur – à ce jour, la moitié des acceptations formelles nécessaires à cette entrée en vigueur a été recueillie, l’OMC a relancé dès le début de l’année 2023 des négociations en vue de compléter l’accord par la mise en place de disciplines supplémentaires en matière de subventions à la pêche. Les discussions qui se sont tenues tout au long de l’année ont été apparemment délicates. Le Président des négociations sur les subventions à la pêche, l’Ambassadeur Einar Gunnarsson (Islande), a présenté in extremis le 21 décembre 2023 un nouveau projet de texte (Projet de disciplines sur les subventions contribuant à la surcapacité et à la surpêche) en vue d’intensifier les négociations au mois de janvier 2024, dans l’espoir de pouvoir conclure les négociations, comme cela était espéré, lors de la treizième Conférence ministérielle (CM13) prévue pour février 2024. Par ailleurs, l’année 2023 a été marquée par le quinzième examen de la politique commerciale de l'Union européenne (le dernier examen datait de 2020). Les questions posées par les Membres10 révèlent un fort intérêt, teinté de non moins fortes préoccupations, pour les mesures mises en place ou envisagées par l’Union européenne dans le cadre du Pacte vert, notamment au titre de la Stratégie « de la ferme à la table ». Les Etats membres s’inquiètent que les exigences réglementaires européennes, en ce compris celles relatives au bien-être animal, puissent créer des obstacles au commerce11. Ces préoccupations expliquent sans doute en partie les tergiversations de l’Union européenne observées depuis le mois de septembre 2023 en la matière (v. infra).

S. Clavel

OMSA (fondée en tant qu’OIE). L’actualité 2023 de l’OMSA en lien avec le commerce international porte principalement sur sa contribution dans le suivi et la lutte contre l’influenza aviaire, virus aviaire hautement pathogène des oiseaux sauvages vers les oiseaux d'élevage qui s’est propagé dans le monde entier. La réapparition de l’influenza aviaire de haute pathogénicité (IAHP) représente une menace directe pour le secteur avicole, pour la subsistance des éleveurs et pour les parties prenantes du monde entier dans le commerce international des volailles, avec de graves conséquences sur la sécurité de l’approvisionnement alimentaire et sur la santé publique en raison du risque de pandémie qui lui est associé. Selon les chiffres communiqués par l’OMSA, entre 2005 et 2022, l’IAHP a entraîné la mort et l’abattage massif de plus de 500 millions de volailles dans le monde. Fait remarquable : compte tenu de la crise mondiale provoquée par l’influenza aviaire, l’OMSA a organisé son premier Forum de la santé animale, entièrement consacré à cette maladie, du 21 au 25 mai 2023, à la maison de la Chimie à Paris.
Le Forum a débouché sur la publication d’un rapport12 et d’une résolution13. Deux points saillants en lien avec le commerce international peuvent être relevés. D’une part, il convient de signaler que les dispositions pertinentes du Code terrestre de l’OMSA visent à prévenir la propagation de l’IAHP tout en évitant d’imposer des obstacles infondés aux échanges internationaux. Ces dispositions envisagent la vaccination en tant qu’outil de lutte contre l’IAHP et contiennent également des recommandations sur la surveillance et sur l’application du zonage et de la compartimentation, ainsi que des recommandations visant à garantir la sécurité sanitaire des échanges internationaux. En dépit de cette recherche d’équilibre, l’OMSA reconnait, dans son considérant 5 de la résolution, que « les préoccupations concernant les restrictions aux échanges commerciaux internationaux ont entravé la recherche et la mise en œuvre d'outils et d'approches de contrôle efficaces, tels que le zonage, la compartimentation et la vaccination pour le contrôle de l'IAHP chez les oiseaux domestiques (…) ». On peut le regretter alors que, d’autre part, la France apparaît comme un bon élève en la matière. En tant que grand pays exportateur, toutes les mesures sanitaires de détection, de protection et de surveillance du territoire prévues par la réglementation de l'Union européenne (UE) et alignées avec les directives de l’OMSA ont été mises en place pour limiter au maximum la propagation du virus. Afin de garantir le maintien des flux d'exportation de produits issus de volailles (génétique aviaire, viande, œufs...), la direction générale de l’alimentation française (DGAL) informe régulièrement les autorités sanitaires des pays tiers importateurs sur les souches en circulation et le programme national de contrôle et de surveillance. Ces informations sont aussi notifiées dans le système mondial d'information zoosanitaire WAHIS que nous avions évoqué dans une précédente chronique14. Par ailleurs, au cours de l’année 2023, la France a appliqué les outils de zonage, compartimentage et vaccination. Sur ce dernier point, il convient de noter que la France est le premier pays de l’UE à avoir mis en place une campagne de vaccination de canards à partir du 2 octobre 2023. D’un point de vue du commerce international, c’est un choix stratégique fort. En effet, vacciner est susceptible de fermer la porte à l’export, certains pays importateurs refusant l’entrée sur leur territoire de volailles ou leurs produits provenant de pays pratiquant la vaccination, par crainte du portage sain chez les individus vaccinés. En choisissant cette stratégie, la France s’expose d’un point de vue commercial et devra redoubler de diplomatie sanitaire pour préserver les débouchés à l’export.

M. de Fontmichel

UE. 2023, année du renoncement ? C’est sur un sentiment de déception que s’achève l’année 2023 pour l’observateur des politiques commerciales internationales de l’Union européenne en lien avec le bien-être animal. De l’ambitieux paquet législatif destiné à mettre en œuvre la stratégie de la Commission Européenne « de la ferme à la table » (Farm to Fork), censé se composer d’au moins quatre règlements, sur le bien-être des animaux dans les élevages (destiné à se substituer aux directives existantes et devant inclure notamment les dispositions relatives à la fin des cages), sur la protection des animaux durant le transport, sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort et sur l’étiquetage relatif au bien-être animal, que restera-t-il en définitive ? Difficile de l’augurer, alors que la Commission a apparemment revu ses ambitions à la baisse et n’a finalement pas publié toutes ces propositions de règlement avant la fin 2023, ainsi qu’elle s’y était pourtant engagée. Seul rescapé, le règlement transport a fait l’objet d’une proposition assez décevante (v. infra). Sans revenir sur le feuilleton de la valse-hésitation de la Commission en 202315, on observera que ses réticences s’expliquent à la fois pour des raisons internes à l’Union européenne, plusieurs Etats dont malheureusement la France16 ayant exprimé leur opposition, et pour des raisons liées au commerce international. Il est certain que les règlements envisagés, qu’il s’agisse en particulier de la modification des modes d’élevage17, des règles d’étiquetage ou des modalités de transport, auront des incidences non négligeables pour les partenaires commerciaux de l’Union européenne. Plusieurs médias ont relayé les résultats d’une étude d’impact d’avril 2023 (que nous n’avons pu nous procurer) estimant que ces normes plus strictes toucheraient plus particulièrement le Brésil, la Thaïlande, l'Argentine et l'Uruguay. Les Etats-Unis font également partie des nombreux Etats membres de l’OMC ayant formellement exprimé leurs inquiétudes sur cette politique de l’UE à l’occasion du quinzième examen de la politique commerciale de l'Union européenne (supra). Dans un contexte géopolitique tendu combiné à une longue période d’inflation, la question du bien-être animal risque fort de ne pas constituer une priorité.

S. Clavel

UE – Cites. On le sait, la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d’extinction (CITES) est un outil essentiel mais à l’effectivité limitée sans le relais des législations nationales et européennes. Lors de notre précédente chronique, Sandrine Clavel notait ainsi que si l’inscription en 2022 de près 500 nouvelles espèces dans les annexes de la CITES était un signal fort, il fallait pousser pour une mise en conformité de la règlementation européenne afin de mettre en place des mesures de protection effectives18. C’est désormais chose faite avec le règlement (UE) 2023/966 de la Commission du 15 mai 2023 qui vient modifier le règlement (CE) n° 338/97 du Conseil afin de tenir compte des modifications adoptées lors de la 19e réunion de la conférence des parties à la CITES à Panama City en 2022. En conformité avec la nouvelle nomenclature de la CITES, le législateur européen a ainsi ventilé de nombreuses espèces protégées entre les annexes A, B, C et D du règlement n° 338/97 permettant l’instauration de contrôles et de limitations au commerce et à la circulation de ces espèces en fonction de leur rareté et de leur risque d’extinction.
A titre d’illustration, intègrent l’annexe A du règlement – la plus contraignante en termes de contrôle et de limitations de circulation et de commerce –, de nouvelles espèces de lézards et de tortues comme les Tiliqua adelaidensis ou Kinosternon cora et Kinosternon vogti, menacées d’extinction ou si rares que tout commerce, même d'un volume minime, compromettrait la survie de l'espèce. Par conséquent, leur commercialisation est interdite et leur introduction dans l’Union est subordonnée à la réalisation des vérifications strictes et à la présentation préalable, au bureau de douane frontalier, d'un permis d'importation délivré par un organe de gestion de l'État membre de destination. Cette mise en conformité rapide du droit de l’UE au droit international doit être saluée en ce qu’il renforce le contrôle effectif en Europe du commerce international des espèces sauvages.

M. de Fontmichel

III. Commerce licite

UE. Transports d’animaux vivants. Dans la droite ligne de la recommandation adoptée par le Parlement le 20 janvier 202219, la Cour des comptes européenne20 livre en 2023 un document d’analyse (n° 03/2023) sans concessions intitulé Transport d’animaux vivants dans l’UE : défis et pistes d’action. Rappelant l’état des connaissances sur la souffrance animale à l’occasion des opérations de transport, les auditeurs fustigent un système de commerce international dans lequel tout à la fois les agriculteurs et les producteurs de viande, enclins « à exploiter les différences de coût entre les régions pour gagner en rentabilité » quitte à rallonger les temps de transport, les transporteurs qui tendent à opter pour des itinéraires plus longs afin d’éviter les pays appliquant strictement la législation européenne, et les pouvoirs publics qui adoptent des sanctions insuffisamment dissuasives, génèrent des souffrances excessives dans le seul but de maximiser les profits. Bien sûr, ces tristes réalités sont déjà connues ; il n’en est pas moins réconfortant de voir l’institution chargée de veiller à la bonne gestion financière de l’UE s’en émouvoir, confirmant que le temps de la déconnexion entre logique comptable et logique éthique est révolu. Surtout, les auditeurs de la Cour proposent des pistes de solution très concrètes qui, si elles ne sont pas nouvelles, reçoivent ici l’aval de la « gardienne des finances européennes » : stopper le mouvement de concentration des abattoirs pour relancer le développement des abattoirs de proximité ou des abattoirs mobiles ; instaurer un système d’étiquetage harmonisé relatif au bien-être animal au niveau de l’UE, pour permettre aux consommateurs de faire des choix éclairés ; attribuer une valeur monétaire à la souffrance animale pendant le temps de transport et l’intégrer dans le prix de la viande ; et plus généralement prendre toutes mesures appropriées pour inciter producteurs, transporteurs et consommateurs à un comportement plus responsable. La Cour souligne aussi le rôle que devraient jouer en la matière les nouvelles technologies, pour monitorer le bien-être animal pendant le transport mais aussi pour favoriser la production de données fiables à l’intention de la Commission européenne.
Cet audit de la Cour des comptes jette une lumière particulière sur la proposition de règlement présentée par la Commission le 7 décembre 2023 en vue de réviser la législation européenne en matière de transport d’animaux vivants21. Si la Commission souligne d’emblée que les transports internationaux longue distance d’animaux vivants vers les Etats tiers constituent un sujet majeur de préoccupation, sa proposition tente de trouver un équilibre entre la recherche d’un niveau plus élevé de bien-être animal et la préservation des intérêts commerciaux. Elle indique ainsi s’être fondée sur l’expertise scientifique de l’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) et sur les standards de l’OMSA mais avoir « modulé » ces recommandations pour tenir compte de la « faisabilité technique et économique » des mesures. On se concentrera ici sur les dispositions spécifiquement prises en matière de transport vers et depuis les pays tiers, qui composent le chapitre VII de la proposition. Première observation importante, l’option du bannissement pur et simple du transport d’animaux vivants n’a pas été retenue en raison des résultats des études d’impact sur les secteurs économiques concernés. Concernant plus spécifiquement les relations avec les pays tiers, la proposition de règlement prétend à une forme d’extraterritorialité des mesures visant au contrôle des organisateurs de transport internationaux, des navires et des durées et conditions de transport22, illustrant la stratégie d’influence de l’Union européenne par les normes techniques, théorisée sous l’appellation « Effet Bruxelles »23. La proposition exige en effet que les opérateurs d’un pays tiers amenant des animaux vers ou depuis l’Union européenne garantissent le respect des règles européenne depuis le départ des animaux et jusqu’à leur arrivée, même pendant la partie du voyage située en dehors du territoire de l’UE. Une exception est toutefois prévue (art. 36) pour les animaux transitant simplement par le territoire européen : à l’exception des règles sur la durée du transport et sur l’obligation d’une pause toutes les 10h, les règles européennes ne s’appliquent alors que sur la seule partie du voyage se déroulant en territoire européen. Selon la Commission, étendre totalement l’application du règlement dans ce cas inciterait les transporteurs de ces pays tiers à contourner le territoire européen et donc à rallonger le temps de transport pour les animaux. On notera également que le règlement prévoit le recours à des organismes de certification pour vérifier la conformité aux règles européennes (art. 33 s.), les contrôles officiels n'étant pas possibles en dehors des frontières de l’UE.

S. Clavel

UE. Commerce des chiens et des chats. Le cadre législatif de l’UE en matière de bien-être animal cible avant tout la lutte contre le commerce illicite, la protection des animaux lors de leur transport commercial ou la protection des animaux élevés à des fins scientifiques. Rares, voire inexistantes, sont les dispositions relatives au bien-être des animaux élevés comme animaux de compagnie. Il n’existe ainsi aucun cadre législatif spécifique au sein de l’UE en la matière. Or, comme le précise la Proposition de règlement du Parlement européen relatif au bien-être et à la traçabilité des chiens et des chats24, l'absence de dispositions dans l'UE en matière de bien-être concernant l'élevage, la détention et la mise sur le marché de chiens et de chats, ainsi que les règles nationales divergentes lorsqu'elles existent, ont très souvent conduit à ce que ces animaux naissent, soient élevés et vendus ou adoptés gratuitement, dans des conditions préjudiciables à leur bien-être25. Ainsi, les nouvelles règles établiraient, pour la première fois, des normes européennes uniformes pour l'élevage, l'hébergement et la manipulation des chiens et des chats dans les établissements d'élevage et les animaleries ainsi que dans les refuges. Ce nouveau terrain d’expression de la législation européenne est à souligner alors que la valeur annuelle estimée des ventes de chiens et de chats dans l’Union européenne s’élève à 1,3 milliard d’euros et que près de 44 % des ménages au sein de l’UE possèdent un animal de compagnie, selon les chiffres fournis par la Commission26.
Concernant le champ d’application du texte, notons d’abord qu’il couvre l'élevage et la détention de chiens et de chats dans des établissements professionnels (y compris les animaleries et les refuges pour animaux) et leur mise sur le marché à titre onéreux ou leur offre d'adoption à titre gratuit. A contrario, on peut déduire que les particuliers, détenteurs de chiens et de chats de compagnie, sont exclus du champ d’application du texte.
Ensuite, la proposition de règlement, d’une longueur de 40 pages et, pour l’heure, uniquement disponible en anglais ce que l’on peut regretter, introduit quelques innovations majeures. Nous relèverons ici les plus marquantes destinées à lutter contre le commerce illicite et à mieux contrôler les conditions de bien-être des animaux dans les établissements d’élevage et les refuges.
D’une part, le texte consacre des exigences strictes en matière de contrôle et de traçabilité. Les articles 7 et 8 de la proposition consacrent une obligation d’information qui prend la forme d’une identification et d’un enregistrement obligatoire dans des bases de données nationales des animaux détenus par les établissements d’élevage ainsi que le type d’animal hébergé et leur nombre. De même, l’article 16 accorde à l'autorité nationale compétente la délivrance d’un certificat d'agrément pour l’établissement d'élevage pour que celui-ci puisse vendre des chats et des chiens, sous condition qu'une inspection préalable sur place ait confirmé que l'établissement satisfaisait aux exigences du présent règlement. De même, le nouveau texte prévoit des contrôles automatisés pour les ventes en ligne, qui aideront les autorités à contrôler l'élevage et le commerce de chiens et de chats et les acheteurs à vérifier que leur identification et leur enregistrement sont corrects. En matière de traçabilité stricto sensu, l’article 17 de la proposition consacre une nouveauté majeure : il sera exigé une identification obligatoire et systématique au moyen de transpondeurs à lecture électronique pour tous les chiens et chats avant leur mise sur le marché, ce qui devrait décourager la fraude et permettre un meilleur contrôle des conditions de bien-être des animaux.
D’autre part, les articles 9, 10 et 18 imposent une compétence et une formation minimale aux personnes manipulant des animaux. Chaque Etat membre sera responsable de désigner une autorité compétente à cette fin. Afin de renforcer cet axe, le texte exige une visite, au moins une fois par un an, d’un vétérinaire en charge de contrôler et de conseiller les opérateurs des facteurs de risques sur le bien-être des animaux (art. 10).
Enfin, sur le plan de l’hébergement et du traitement animal, on observera que l’article 12.3 interdit l’utilisation de containers (conteneurs-cages) pour accueillir et entreposer les animaux, en limitant leur utilisation strictement à leur transport. Un espace vital minimum est également imposé pour accueillir les animaux (art. 12.2) et toute mutilation, y compris la coupe des oreilles, la caudectomie, l'amputation partielle ou complète des doigts et la résection des cordes vocales ou des plis, est prohibée, à moins qu'elle ne soit pratiquée pour des raisons médicales dans le seul but d'améliorer la santé des chiens et des chats. Dans ce cas, la procédure ne pourra être effectuée que par un vétérinaire et sous anesthésie et analgésie prolongée (art. 15).

M. de Fontmichel

IV. Commerce illicite

Coopération internationale et démantèlement des réseaux de trafic international. L’année qui s’écoule aura une fois encore démontré la vitalité du marché international de commerce illicite d’espèces protégées, mais aussi le caractère indispensable de la coopération internationale pour appréhender ce phénomène global. A la désormais récurrente Operation Thunder menée conjointement depuis 2017 par INTERPOL et l’Organisation mondiale des douanes (OMD) sous les auspices de la CITES, qui a permis cette année, par la frappe conjuguée d’autorités de plus de 133 pays organisée au mois d’octobre 2023, de procéder à quelques 2.114 saisies d’animaux ou parties d’animaux sauvages protégés et de produits forestiers, s’ajoutent des coopérations plus restreintes mais non moins essentielles. La CITES a ainsi distingué, en 2023, la contribution remarquable de l’Opération Lake, menée et coordonnée par Europol contre le trafic international de civelles depuis 2020. L’anguille européenne, extrêmement menacée, fait l’objet d’un trafic commercial intense à destination de l’Asie. Europol organise des campagnes annuelles ciblant les organisations criminelles se livrant à ce trafic, en s’appuyant sur un réseau comptant désormais plus de 30 pays, et les succès de cette coopération internationale sont au rendez-vous. Il faut aussi souligner la dynamique vertueuse de coopération bilatérale qui naît de ces réseaux. La coopération entre l’OCLAESP (Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique) de la gendarmerie nationale française et la Guardia civil espagnole a ainsi permis le démantèlement, annoncé en mai 2023, d’un réseau international de trafic de civelles, en frappant des trafiquants dans quatre pays européens, la France, l’Espagne, la Belgique et la Pologne. Si les liens entre le trafic international d’espèces menacées et le crime organisé sont souvent pointés du doigt, cette affaire permet également de rappeler le rôle joué par des officines et entreprises parfaitement légales ; l’enquête menée conjointement par la JIRS de Bordeaux et le tribunal de San Sebastian a révélé qu’étaient notamment impliqués des mareyeurs, responsables commerciaux et pêcheurs opérant des prélèvements « hors quotas », ainsi qu’une société polonaise censée opérer des « repeuplements ». D’importantes saisies ont été opérées, dont 1,5 tonnes d’anguilles vivantes qui seront relâchées dans la nature. Ces efforts de coopération sont fédérés depuis 2022 dans le cadre du projet européen UNITE, qui mobilise diverses agences publiques de 17 pays européens et des ONG afin de lutter contre les réseaux criminels impliqués dans le trafic d’espèces menacées. Au-delà de la coopération entre ses participants, UNITE entend renforcer ses liens avec les autorités concernées en Asie, en Europe et en Afrique, pour mener au mieux ses missions.

S. Clavel

RSE des transporteurs internationaux et commerce illicite d’espèces menacées. C’est justement dans le cadre du projet UNITE qu’une démarche intéressante a été menée par le WWF. Partant du constat que le commerce illégal d’espèces sauvages constitue un enjeu important pour le secteur de la logistique et du transport, dont les entreprises sont « victimes et complices involontaires du commerce illégal d’espèces sauvages, et encourent des risques d’ordre sanitaire (transmission de maladies infectieuses), sécuritaire (interconnections avec d’autres crimes), réputationnel (exposition médiatique négative des entreprises), juridique (engagement de la responsabilité juridique de l’entreprise pour manquement à leur devoir de sécurité des salariés et des chaînes de transport) et économique (lorsque les problèmes juridiques et de sécurité entraînent une perte financière et de réputation) », le WWF France a lancé, avec plusieurs entreprises françaises du secteur, toutes volontaires, l’initiative « Logistique & transport ». L’objectif du projet, qui s’inscrit clairement dans une démarche RSE, vise à favoriser la diffusion d’informations sur le commerce illégal d’espèces sauvages, à développer des outils et mécanismes de gestion des risques, de sensibilisation et de communication, et à encourager le partage d’expériences. La compilation d’études de cas, intitulée Trafic d’espèces sauvages : Actions menées par les entreprises françaises de la logistique et du transport et publiée en 2023, propose de partager quelques-unes de ces expériences sélectionnées en fonction de leur pertinence et de leur transposabilité, dans le but affiché d’inspirer et d’inciter d’autres parties prenantes à s’engager. Si les actions engagées consistent principalement en des opérations – menées sous diverses formes – de sensibilisation des employés et des clients de ces entreprises aux problématiques du commerce illicite d’espèces menacées, elles révèlent leur implication, progressive mais réelle, dans la lutte contre ce fléau. On soulignera tout particulièrement les actions très poussées entreprises par le groupe maritime CMA CGM : bannissement de tout transport de certains produits (ailerons de requins, bois exportés de certains pays) ; exigence d’une déclaration spéciale de la part des clients pour le transport d’espèces couvertes par la CITES et contrôle des permis d’exportation ; formation spéciale de tous les agents commerciaux ; travail mené avec le WWF pour identifier de potentielles zones de vulnérabilité dans les chaînes de transport ; collaboration avec une université australienne pour détecter les routes internationales à haut risque pour le commerce illicite d’espèces protégées et pour le déploiement d’un logiciel d’intelligence artificielle de détection des conteneurs suspects.

S. Clavel

Commerce illégal de viande d’espèces sauvages (VES). Le WWF a publié, en janvier 2023, un rapport intitulé : A point ou saignant ? La face cachée du commerce illégal de viande d’espèces sauvages touchant l’Europe. Cette étude remarquable doit être signalée car elle constitue un « travail exploratoire » sur les enjeux liés à ce commerce international, dans un contexte où « les risques pour la santé publique associés au commerce international de viande d’espèces sauvages sont encore peu évalués », alors même que les trop rares données disponibles révèlent que « la quantité de viande d’espèces sauvages illégalement importée en Europe est substantielle » (p. 9). Exploratoire, ce travail n’en est pas moins scientifique, puisqu’il a été mené par le WWF avec le concours de plusieurs chercheurs, de différents pays, disciplines et universités, en mobilisant une pluralité d’outils de recherche : analyse de données de saisies, recherches empiriques (tests ADN, contrôle des réseaux sociaux et du deep web), entretiens et questionnaires avec des consommateurs et des autorités nationales de contrôle de nombreux pays européens. Nous reprenons ici quelques-uns des constats opérés, intéressant le droit et les politiques publiques. Plus du quart des produits saisis sont issus d’espèces considérées comme quasi-menacées, vulnérables ou en danger selon les listes de l’IUCN et classées aux Annexes I, II et III de la CITES. Les enjeux de ce commerce international sont donc non seulement de santé publique, mais aussi de conservation des espèces. 86 % des importations saisies sont le fait de particuliers (la viande étant passée aux frontières dans leurs bagages personnels) ; le surplus est acheminé par d’autres vecteurs de transport (cargos, courriers express ou postaux), mais il existe des raisons de penser que la proportion de VES acheminée par ces voies est plus importante. Il est certain, en tout cas, que ces flux sont insuffisamment connus et documentés, tandis que l’implication des réseaux organisées ne fait l’objet d’aucune étude. Les autorités de contrôle rencontrent des difficultés d’identification de l’origine des viandes saisies, ce qui est pointé comme une source d’ineffectivité ; cette circonstance impacte notamment l’aptitude des magistrats à appliquer des sanctions proportionnées à la gravité des infractions. Ces difficultés sont liées à un manque de formation (« déficit de capacités ») et à un manque de financement (les analyses qui pourraient être réalisées sont longues et coûteuses) des autorités concernées. L’insuffisance des mécanismes de coordination interne entre les différents acteurs, l’absence d’instruments de planification nationaux dédiés à la prévention et à la lutte contre ce commerce (sauf en Belgique), et la faible coopération internationale avec les pays sources, sont également mises en évidence. Cette étude exploratoire s’achève par une série de recommandations programmatiques à destination des institutions et agences européennes, des Etats, des ONG et du monde académique, ainsi que des entreprises privées (notamment de transport et aéroportuaires). Formons le vœu que ces pistes ne restent pas inexploitées.

S. Clavel

  • 1 V. notre chr. 2022, RSDA 2022/2, p. 201, n° 1.
  • 2 S.R. KAHANE-RAPPORT, M.F. CZAPANSKIY, J.A. FAHLBUSCH et al., “Field measurements reveal exposure risk to microplastic ingestion by filter-feeding megafauna”, Nat Commun. 13, 6327 (2022). https://doi.org/10.1038/s41467-022-33334-5
  • 3 Il faut toutefois mentionner ici le très décrié grindadrap des Iles Féroé, à propos duquel le gouvernement local avait annoncé entamer des discussions en 2022, mais qui a été reconduit en 2023.
  • 4 Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and Social Committee and the Committee of the Regions, “EU Action Plan: Protecting and restoring marine ecosystems for sustainable and resilient fisheries”, COM 2023 (102) Final.
  • 5 Le Conseil d’Etat, par une décision du 20 mars 2023 (n° 449788), juge que les mesures de prévention et de contrôle imposées par le gouvernement français pour limiter les captures accidentelles dans le golfe de Gascogne sont insuffisantes, et enjoint au Gouvernement de prendre des mesures de fermeture de la pêche appropriées sous six mois, outre des mesures complémentaires qui doivent être prises pour permettre d’estimer de manière plus précise le nombre de captures annuelles. Une ordonnance du même Conseil d’Etat, rendue en référé le 22 décembre 2023 (n° 489926, 489932, 489949) a suspendu une grande partie des mesures dérogatoires à l’interdiction de pêche dans le Golfe de Gascogne, prises par arrêté du 24 octobre 2023 du secrétaire d’Etat en charge de la mer.
  • 6 Révision 2023 (mise à jour en cours sur le site de l’OMI) des Directives visant à réduire le bruit sous-marin produit par les navires de commerce pour atténuer leurs incidences néfastes sur la faune marine, adoptées le 7 avril 2014 (MEPC.1/Circ.833).
  • 7 En 2023, l’OMI a étendu pour cette raison ses zones maritimes particulièrement vulnérables (PSSA) pour inclure la zone Mer Méditerranée nord-occidentale, Espagne, France, Italie et Monaco. Elle a également, en collaboration avec l’agence américaine NOAA, étendu la zone que les navires doivent éviter au large de la Californie. Ces mesures emportent des restrictions de navigation, mais là encore essentiellement incitatives.
  • 8 V. les initiatives évoquées dans cette chr., RSDA 2022/2, p. 210 s.
  • 9 V. l’Accord sur les subventions à la pêche du 17 juin 2022, cette chr. RSDA 2022/2, n° 3, p. 203.
  • 10 V. à cet égard le compte-rendu de la réunion d’examen, publié le 19 juillet 2023 (WT/TPR/M/442), et le rapport du Secrétariat publié le 11 avril 2023 (WT/TPR/S/442).
  • 11 V. à titre d’illustration notre analyse de la compatibilité de la fin des cages dans l’élevage avec les règles de l’OMC : RSDA 2021/2, p. 208.
  • 12 Forum de la santé animale sur l’influenza aviaire, Rapport « Des politiques à l’action : le cas de l’influenza aviaire – Réflexions pour le changement », in 90e Session générale de l’OMSA, mai 2023.
  • 13 Résolution n° 28, « Défis stratégiques afférents au contrôle mondial de l’influenza aviaire de haute pathogénicité », disponible à : https://www.woah.org/app/uploads/2023/08/f-resolution28-strategic-challenges-in-the-global-control-of-high-pathogenicity-avian-influenza.pdf
  • 14 V. cette chr., RSDA, 2021/2, p. 213.
  • 15 V. Chr. de droit de l’UE.
  • 16 Le communiqué publié par le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire le 9 août 2023, intitulé Les priorités de la France pour réviser la législation européenne sur le bien-être animal, est dépourvu d’ambiguïté. Les priorités de la France, qui se borne à prendre « acte de la volonté de la Commission européenne de réviser les normes européennes de bien-être animal » sans y apporter de soutien exprès, sont de « ne pas créer de situations plaçant une nouvelle fois l’élevage européen en situation de distorsion de concurrence ou de perte de compétitivité », de mettre en place « un étiquetage des produits animaux mis sur le marché européen sur une base volontaire », d’être « attentive à la prise en charge du coût de la transition », le tout en soulignant que « la transformation des systèmes ne peut être immédiate ». Bref, pour le Ministère de M. Fesneau, il est urgent de ne rien faire. https://agriculture.gouv.fr/bien-etre-animal-priorites-pour-reviser-la-legislation-europeenne
  • 17 V. sur les incidences qu’aurait la fin des cages dans l’UE sur le droit du commerce international, cette chr., RSDA 2021/2, p. 208.
  • 18 Chr. RSDA, 2022/2, p. 204 s.
  • 19 2021/2736 (RSP) ; Sur laquelle v. cette chr. RSDA 2022/2, p. 209.
  • 20 Qui avait déjà produit, en 2018, un Rapport spécial consacré au bien-être animal : Bien-être animal dans l’UE:
  • réduire la fracture entre des objectifs ambitieux et la réalité de la mise en œuvre, n° 31/2018.
  • 21 Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on the protection of animals during transport and related operations, amending Council Regulation (EC) n° 1255/97 and repealing Council Regulation (EC) n° 1/2005, COM (2023) 770 final.
  • 22 Sur le détail desquelles v. la chr. de droit de l’UE.
  • 23 A. BRADFORT, The Brussels Effect. How the European Union Rules the world, Oxfort University Press, 2020. V. aussi, en f. : J.-F. DREVET, « L’“effet Bruxelles”, une stratégie d’influence ? », Futuribles, vol. 437, n° 4, 2020, pp. 111-117 ; A. BRADFORD, « Penser l’Union européenne dans la mondialisation : l’“effet Bruxelles” », RED, vol. 2, n° 1, 2021, pp. 76-81.
  • 24 2023/0447 (COD) Proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on the welfare of dogs and cats and their traceability disponible à : https://eur-lex.europa.eu/resource.html?uri=cellar:c16e01a8-94d9-11ee-b164-01aa75ed71a1.0001.02/DOC_1&format=PDF
  • 25 Id., disposition préliminaire (2) p. 16.
  • 26 Id., p. 3.
 

RSDA 2-2023

Droit fiscal
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit fiscal

  • Sylvie Schmitt
    Maître de conférences HDR
    Université de Toulon, Aix-Marseille Univ.
    CDPC JCE, UMR-CNRS 7318
    Univ. Pau & Pays Adour, CNRS, UMR DICE 7318

La non-déductibilité des déficits pour les éleveurs sans sol de chevaux de course


Le second semestre de l’année 2023 n’est pas particulièrement marquant dans le domaine du contentieux fiscal animal, du moins si l’on se fonde sur le critère du bien-être ou sur celui de l’être vivant sensible. En dehors de ces critères, on constate la persistance d’un contentieux plus classique, dans lequel l’animal est présenté comme une simple source de revenus. Un des thèmes récurrents de cette jurisprudence porte sur la propriété des chevaux de course.
Les chevaux sont la catégorie d’animaux ressortant le plus souvent dans la matière fiscale, quelles que soient les activités visées. A côté de l’éleveur proprement dit, on trouve le gérant de centres équestres, les deux professions relevant du régime du bénéfice agricole (CGI, art. 61)1. Ensuite, il y a le cas plus problématique des propriétaires de chevaux de course.
L’affaire que nous avons retenue correspond à cette dernière hypothèse. Madame B. saisit le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne contre le refus des services fiscaux de déduire de son revenu global imposable les déficits provenant de sa société. Elle a enregistré une succession de déficits, en 2015, 2016 et 2017. Le rejet de sa demande devant le tribunal (jugement n° 1901287 du 17 décembre 2020) est réitéré par la cour administrative d’appel de Nancy dans un arrêt du 16 mars 20232.
La requérante possède une société en participation (une SEP) spécialisée dans la gestion des chevaux de course. La société n’étant pas dotée de la personnalité morale, ses bénéfices sont assujettis à l’impôt sur le revenu. Officiellement, Madame B. exerce la profession d’infirmière libérale mais elle affirme avoir abandonné son métier pour se consacrer désormais à l’élevage de chevaux, par l’intermédiaire de la SEP. C’est là un argument qui apparaît régulièrement dans les arrêts, lorsque le propriétaire d’une écurie se déclare éleveur professionnel à titre accessoire ou exclusif.
L’acquisition de chevaux de course est le fait de passionnés qui peuvent y consacrer une partie substantielle de leur patrimoine. Il s’avère difficile de déterminer leur motivation, s’ils aiment sincèrement ces animaux ou les perçoivent comme un signe extérieur de richesse, ou même s’ils sont attirés uniquement par le profit des courses équestres. La seule certitude est qu’ils investissent beaucoup d’argent dans leur passion, parfois à perte.
C’est la situation dans laquelle se trouve la requérante. La question sur le caractère professionnel ou non de son activité aurait pu donner lieu immédiatement à un éclaircissement mais le juge de l’impôt opte pour un autre choix. Traitant cette question à la toute fin de l’arrêt, il préfère établir d’abord la nature des bénéfices imposables, définis ici comme des bénéfices non-commerciaux (I), puis la non-déductibilité des déficits enregistrés (II).

I. L’application du régime des bénéfices non-commerciaux aux propriétaires de chevaux de course

Le régime de l’article 92 s’applique aussi bien aux activités professionnelles non-commerciales qu’à « toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus ». C’est la raison pour laquelle on l’appelle le « régime-balais ». Il s’étend ainsi aux activités patrimoniales (autrement dit non-professionnelles), comme peut l’être la propriété des chevaux de course. Madame B. soutient pourtant faire profession de cette activité.
Pour comprendre la situation, il faut s’arrêter sur le régime traditionnel de non-imposition des propriétaires de chevaux de course (A). Cela nous servira à mieux appréhender le cas, dont relève la requérante, des éleveurs sans sol. Non-imposables par principe, ces éleveurs peuvent le devenir exceptionnellement (B).

A. La traditionnelle non-imposition des propriétaires de chevaux de course

A l’origine, les profits tirés des chevaux de course étaient non-imposables. Le principe est établi par le Conseil d’Etat dans un arrêt de 1953. La juridiction subordonne le régime de non-imposition à la condition que les propriétaires des chevaux ne soient ni éleveurs ni entraîneurs publics3. Dans une telle hypothèse, rien ne justifie leur assujettissement à l’impôt sur le revenu puisqu’ils ne s’occupent pas eux-mêmes des animaux ; ils les confient à des entraîneurs en contrepartie d’une rémunération.
A l’époque, le revenu imposable est défini, selon une interprétation civiliste qui s’imposera de manière exclusive jusqu’au début des années soixante-dix, comme le « fruit périodique d’une source durable »4. Cette définition convient parfaitement aux salaires et revenus fonciers mais elle ne permet pas d’imposer les produits irréguliers, en particulier les plus-values et les gains exceptionnels. Or, c’est ce type de profit que réalise un propriétaire de chevaux de course : les plus-values grâce à la vente d’un cheval, les gains exceptionnels provenant des courses.
Les défauts de la définition civiliste convainquent la jurisprudence fiscale de lui adjoindre la « théorie de l’enrichissement net » en 1973 : on établit le bénéfice (il ne s’agit plus ici, à proprement parler, de « revenu » dans le sens littéraire de ce qui revient régulièrement) en comparant le bilan de départ et celui d’arrivée sur l’année de référence. Si une différence positive apparaît, ce bénéfice sera imposable5.
Désormais, il est possible d’assujettir à l’impôt sur le revenu les gains irréguliers. Mais ce n’est toujours pas suffisant pour imposer les propriétaires de chevaux de course. La difficulté provient de la double nature de leurs bénéfices : les uns sont patrimoniaux, ce sont les plus-values liées à la vente des chevaux ; les autres sont des gains de jeu, traditionnellement non-imposables du fait de leur caractère fortement aléatoire.
Le Conseil d’Etat réussit à soumettre à l’impôt sur le revenu les propriétaires de chevaux de course, en procédant en deux temps. Dans un arrêt de 1972, il adopte une définition du revenu élargie au produit de la gestion du patrimoine. A cette occasion, le Conseil d’Etat affirme que le produit issu du « fruit d’initiative ou de diligence du contribuable, tendant à assurer l’exploitation lucrative de ses biens patrimoniaux », est assimilable à un revenu6.
L’arrêt de 1972 va déclencher, cinq ans plus tard, un abandon de la jurisprudence de 1953. Dans un avis de 1977, le Conseil d’Etat restreint la non-imposition du propriétaire de chevaux de course au cas, très particulier, où il « n’exerce aucune diligence en vue de s’aménager une source de revenus ». Cela veut dire que le propriétaire demeure passif. Il ne prend pas de décision et ne pratique pas de contrôle, laissant à l’entraîneur les initiatives pour préparer les chevaux et les engager dans les courses7.
Le critère de la diligence est appliqué à tous les propriétaires de chevaux, qu’ils soient non-entraîneurs, non-éleveurs ou éleveurs sans sol8.

B. L’imposition exceptionnelle des éleveurs sans sol

Dans l’avis de 1977, le Conseil d’Etat distingue deux catégories principales de propriétaires imposables, ceux qui gèrent leur patrimoine et ceux qui opèrent à titre professionnel. De la même manière que pour la détermination des diligences à l’égard des propriétaires imposables gérant leur patrimoine (voir ci-dessus), le Conseil d’Etat apprécie le caractère professionnel en fonction d’un faisceau d’indices. Par une formulation volontairement vague, afin de laisser à l’administration fiscale et au juge une certaine marge d’appréciation discrétionnaire, il estime que le caractère professionnel doit être défini en tenant compte « notamment du nombre de chevaux, de l’importance des moyens mis en œuvre et des buts poursuivis » (avis précité de 1977). La reconnaissance du caractère professionnel reste malgré tout l’exception, le principe étant le caractère patrimonial de l’activité.
Dans tous les cas où est admis l’imposition du propriétaire, professionnel ou gérant son patrimoine, le régime fiscal applicable est celui du bénéfice non-commercial (CGI, art. 92).
Madame B. est, par l’intermédiaire de sa société, une propriétaire d’un type spécial dénommé « éleveur sans sol ». Il s’agit du propriétaire d'une ou plusieurs poulinières qu’il ne garde pas sur ses terres. Les chevaux sont mis en pension dans un haras ou chez un exploitant agricole9. Si des poulains viennent à naître, ils seront soit conservés et entraînés par le propriétaire, soit vendus10.
Madame B. prétend agir à titre professionnel. A l’appui de sa thèse, elle met en avant le fait qu’elle participe elle-même à l’élevage et à l’entraînement.
Bien que l’élevage sans sol ne constitue pas un critère suffisant pour en exclure le caractère professionnel, cette forme de propriété incite à la voir comme une activité patrimoniale. L’administration fiscale postule d’ailleurs la non-imposition des éleveurs sans sol, que leurs bénéfices proviennent des courses gagnées ou des ventes de chevaux11.
C’est donc sans surprise que la cour administrative d’appel de Nancy rappelle le principe de non-imposition lorsque le propriétaire se borne à assurer l’entretien des animaux tandis que la pension et la préparation aux courses sont confiées à un entraîneur rémunéré : la « seule propriété […] ne constitue pas une source normalement productrice de revenus ». Cependant, il en va autrement si le propriétaire « prend des initiatives et se livre à des contrôles ». La requérante affirme justement agir de cette manière. A coup sûr, même si le juge ne s’est pas encore prononcé, à cette étape de sa démonstration, sur la nature professionnelle ou non de l’occupation de Madame B., il la déclare imposable.
Ce faisant, le juge de l’impôt semble aller dans le sens de ce que souhaite la requérante mais il ne lui donne pas pour autant satisfaction. En dépit de son imposition, elle ne bénéficiera pas de l’imputation des déficits.

II. Les déficits non-commerciaux

Les gains de course font la renommée d’une écurie. Cela signifie que si un propriétaire obtient des profits grâce aux courses gagnées par ses chevaux, il pourra également espérer des plus-values en vendant les poulains. Inversement, il lui sera plus difficile d’en tirer des prix intéressants dans le cas où son écurie ne jouit pas d’une réputation établie. Il faut ajouter à cette description théorique une grande part d’aléas, excluant toute certitude sur les gains ou pertes potentiels provenant de la participation aux courses.
Dans ce contexte, l’intérêt de la requérante est de faire reconnaître le caractère professionnel des déficits enregistrés. Cependant, avant même de se prononcer sur cette question, le juge rejette la demande de la déductibilité des déficits, pour des raisons de fond (A) mais aussi de forme (B).

A. Le rejet sur le fond : la nature non-libérale de l’activité

Le régime de la déductibilité des déficits professionnels est fixé à l’article 156 du CGI. Ce texte prévoit un système très avantageux du fait qu’il permet de déduire du revenu global une partie du déficit. Plus précisément, le déficit résultant de l’activité professionnelle est déductible du bénéfice de même nature réalisé par les membres du foyer fiscal, au cours de l’année d’imposition. Si le bénéfice n’est pas suffisant la première année pour solder le déficit, celui-ci pourra être reporté sur le revenu global jusqu’à la sixième année incluse (CGI, art. 156-I).
Il faut toutefois savoir que ce régime, lorsqu’il s’applique aux activités relevant du régime du bénéfice non-commercial (art. 92 précité), ne vise que les professions libérales. Pour les autres activités non-commerciales, le déficit est imputé sur les bénéfices tirés d’une activité semblable durant la même année ou, en cas de bénéfices insuffisants, jusqu’à la sixième année incluse (CGI, art. 156-I-1°).
L’article 156-I se lit facilement, sans qu’on puisse invoquer à son encontre une quelconque ambiguïté. Néanmoins, la doctrine administrative l’a interprété de manière à autoriser l’imputation sur le revenu global des déficits subis par les propriétaires professionnels de chevaux de course. Or, ils n’exercent pas une profession libérale.
Une instruction de 2012 subordonne la reconnaissance du caractère professionnel des activités libérales à la condition qu’elles soient exercées « à titre habituel et constant ». La condition d’habitude et de constance s’entend dans le sens de la répétition, pendant plusieurs années, des opérations caractérisant la profession12.
Alors que l’instruction de 2012 vise clairement les professions libérales, de la même façon que l’article 156-I, la doctrine administrative l’applique aux propriétaires professionnels de chevaux de course, y compris aux éleveurs sans sol. Dans leur cas, le caractère « habituel et constant » de l’activité est établi au regard de leur pouvoir de décision et, de manière générale, de leur diligence13.
De son côté, la cour administrative d’appel adopte une interprétation orthodoxe des textes. L’imputation du déficit telle que prévue à l’article 156-I n’est pas applicable aux propriétaires de chevaux de course, qu’ils soient professionnels ou non. Ce sont des activités non-libérales. Ce faisant, le juge de l’impôt réduit drastiquement l’intérêt, pour un propriétaire, de se voir reconnaître la qualité de professionnel. Comme l’affirme l’administration fiscale, cette question « revêt[ait] une importance fondamentale » dans la mesure où le propriétaire bénéficiait du régime d’imputation du déficit au revenu global14. Désormais, qu’il exerce une profession non-commerciale ou une simple activité patrimoniale, cela ne change rien à sa situation fiscale : le déficit ne pourra être reporté, dans les deux hypothèses, que sur le bénéfice de même nature. Bénéfice dont nous savons, par ailleurs, qu’il est très aléatoire.
Le juge de l’impôt met-il un frein aux investissements dans l’acquisition des chevaux de course ? A tout le moins, il adopte une position préjudiciable pour la requérante, en lui ôtant par ailleurs la possibilité d’invoquer une interprétation favorable du droit.

B. Le rejet sur la forme : la non-application de la doctrine administrative favorable

Madame B. est victime de ce que l’on appelle un « changement de doctrine administrative ». Elle pensait, au regard de l’instruction de 2018 (BOI-BNC-SECT-60-10, n° 150), que le déficit d’un éleveur sans sol était reportable sur le revenu global. L’instruction en effet l’affirmait de façon claire et précise.
Rappelons à ce propos que l’instruction, dès lors qu’elle est publiée au Bulletin officiel des Impôts (le ci-nommé BOI), devient la doctrine administrative, c’est-à-dire l’interprétation officielle des lois par l’administration. En contentieux fiscal, lorsqu’un justiciable demande qu’il lui soit appliqué l’interprétation d’un texte, formellement admise par l’administration au moment de son recours, sa situation relève du régime de l’article L. 80 A alinéa 1 du Livre de procédure fiscale. L’article L. 80 A alinéa 1 protège le contribuable des changements de doctrine administrative qui lui seraient préjudiciables. Autrement dit, le contribuable a appliqué – de bonne foi – l’interprétation d’un texte, admise à ce moment-là par l’administration ; puis l’administration modifie son interprétation et tente de l’imposer au contribuable. L’article L. 80 A alinéa 1 constitue une garantie contre ces revirements, pour des raisons liées à la protection de la bonne foi et, de manière générale, à celle de la sécurité juridique.
Le problème est que l’article L. 80 A alinéa 1 n’est pas applicable en l’espèce car il vise uniquement les cas de rehaussement d’imposition tandis que la requête de Madame B. porte sur un impôt initial (l’impôt sur le revenu). Concrètement, le rehaussement constitue une majoration d’imposition à la suite d’un redressement fiscal (l’administration estime que le contribuable a sous-évalué ses revenus. Elle procède alors à sa propre évaluation, d’où cette augmentation de l’impôt dû).
Il existe des cas de rehaussement des déficits. Par exemple, l’administration décide de réduire un déficit déclaré15. Madame B. n’a toutefois pas fait l’objet d’un tel rehaussement. Bref, quels que soient ses arguments, elle ne relève pas du régime de l’article L. 80 A alinéa 1.
On peut s’interroger sur le raisonnement suivi par le juge de l’impôt. A quoi cela rime-t-il de démonter ainsi toute l’argumentation de la requérante si, de toute façon, l’instruction sur laquelle elle s’appuyait n’est même pas applicable ? La réponse à cette rigueur du juge se trouve à la fin de sa décision.
L’examen du dossier de Madame B. démontre qu’elle n’a encaissé aucune recette provenant de sa société. En soi, l’absence de recette n’est pas suffisante pour exclure le caractère professionnel, une entreprise pouvant fort bien cumuler les déficits sans perdre son objectif de faire du profit. Cependant, s’ajoute à ce premier indice un deuxième : il y a contradiction entre le contenu des statuts, qui évoquent la négoce de chevaux, et les écritures de la requérante, portant sur des activités de compétition.
Ces deux indices cumulés conduisent le juge à conclure que la requérante ne fournit pas la preuve – à sa charge – de l’exercice professionnel d’une activité d’éleveur sans sol. S’il n’est pas contesté que la requérante se soit consacrée à l’entretien et aux soins des chevaux, pour le juge de l’impôt, elle a opéré dans le cadre d’une activité privée de loisir.
C’est là que se trouve le cœur de l’affaire, introduit progressivement par un habillage juridique qui suffirait à justifier la réponse négative du juge mais qui ne répond pas immédiatement à la question principale de la nature professionnelle ou non de l’activité exercée. Sans doute le juge a-t-il voulu mettre en avant le revirement interprétatif de l’article 156 du CGI, d’où cette impression de lire l’arrêt comme un roman policier, avec la résolution de l’affaire à la fin.
Le résultat est qu’un éleveur sans sol, qu’il soit professionnel ou non, ne peut obtenir l’imputation de ses déficits sur le revenu global. Une solution de ce type, si elle fait jurisprudence, rendra moins attractif le marché des chevaux de course.
Est-ce un bien ou un mal pour les chevaux eux-mêmes ? Nul ne le sait, la question de leur bien-être dans cette affaire étant la grande absente.

  • 1 Cf. BOI-BA-CHAMP-10-10 du 30 avril 2014, https://bofip.impots.gouv.fr/bofip
  • 2 CAA, Nancy, 2e ch., 16 mars 2923, n° 21NC00438, https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id
  • 3 CE, arrêt du 26 mars 1953 nº 10432, RO, p. 236.
  • 4 Le terme « fruit », issu du droit romain, est mentionné plusieurs fois dans le code civil. Cependant, ni le code civil ni le code général des impôts n’utilisent l’expression « fruit périodique d’une source durable » qui est d’origine doctrinale. Sur l’évolution de la notion de revenu imposable, voir : P. BELTRAME, La fiscalité en France, éd. Hachette, 2020, p. 27 ; S. ROBINNE, Contribution à l’étude de la notion de revenus en droit privé, éd. Presses universitaires de Perpignan, 2003, p. 5.
  • 5 CE, arrêt du 30 novembre 1973, n° 86977, https://www.legifrance.gouv.fr/
  • 6 CE, arrêt du 30 juin 1972, n° 72479, https://www.legifrance.gouv.fr. L’arrêt porte sur la vente par un particulier de parts de sociétés civiles immobilières.
  • 7 CE, avis du 26 juillet 1977 n° 320378, https://www.conseil-etat.fr/consiliaweb/#/view-document/
  • 8 BOI-BNC-SECT-60-10 du 4 juillet 2018, n° 220, https://bofip.impots.gouv.fr/bofip
  • 9 Réponse ministérielle du 14 juillet 1999, JO Sénat, 15 juillet 1999, p. 2415.
  • 10 BOI-BNC-SECT-60-10, op. cit., n° 60.
  • 11 BOI-BA-CHAMP-10-10, op. cit., n° 70.
  • 12 BOI-BNC-BASE-60 du 12 septembre 2012, https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/
  • 13 BOI-BNC-SECT-60-10, op. cit., n° 170.
  • 14 BOI-BNC-SECT-60-10, op. cit., n° 150.
  • 15 BOI-CF-IOR-10-10 du 30 janvier 2020, n° 20, https://bofip.impots.gouv.fr/bofip
 

RSDA 2-2023

Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Droit étrangers

  • Allison Fiorentino
    Maître de conférences
    Université de Rouen
    Membre du Centre Universitaire Rouennais d'Etudes Juridiques (CUREJ, EA 4703)

La protection légale des animaux en Corée du Sud
Une nécessaire évolution légale à l’épreuve des traditions


Introduction

Le 21 avril 2012, une photo a choqué les internautes du monde entier. Elle montrait un chien beagle attaché à l'arrière d'une Hyundai Equus1. Le chien avait été éventré et traîné derrière la voiture sur une autoroute à Séoul, en Corée du Sud. Après enquête, le propriétaire a prétendu que la mort du chien était un accident, et la police n'a pas engagé de poursuites, faute de preuves suffisantes de l'existence d'un acte intentionnel2. De nombreux Sud-Coréens furent scandalisés par l'absence de conséquence juridique pour le propriétaire de la voiture et l'événement a suscité un vif débat sur l'efficacité des dispositions de la loi sur la protection des animaux (Animal Protection Act) en Corée du Sud.
L'incident connu sous le nom de « Devil's Equus », eut une malheureuse postérité car il fut suivi par d’autres faits divers baptisés : « Devil's Equus 2 », « Devil's Equus 3 » et « Devil's Truck »3. Tous avaient pour points communs des maltraitances infligées à des chiens au moyen de véhicules et ils ont tous eu des issues similaires : l’absence de poursuite judiciaire des auteurs des faits. On peut regretter cette inertie mais elle a eu un mérite : celui d’attirer l’attention sur la trop vague formulation de la loi sur la protection des animaux et le manque de fonctionnaires disposés à la faire appliquer.
Les dispositions sud-coréennes sur la cruauté envers les animaux ont également fait l'objet de critiques au niveau international. Les usines à chiots et le commerce de la viande de chien et de chat, en particulier, ont conduit la législation sud-coréenne sur la cruauté envers les animaux à faire l'objet d'un examen approfondi à l'échelle mondiale4. En outre, une organisation internationale de protection des droits des animaux basée aux États-Unis, World Animal Protection, a attribué à la loi sud-coréenne sur la protection contre la cruauté envers les animaux la note globale de D sur son échelle de A à G5. L'organisation a noté que si la loi sud-coréenne sur la protection des animaux offrait des protections contre la cruauté et des mécanismes sanctionnés par des amendes et des peines d'emprisonnement, seuls certains animaux étaient classés comme « protégés » et il n'y avait pas de mesures dissuasives fortes.
De tels incidents montrent clairement que si la Corée du Sud a fait des efforts pour lutter contre la cruauté envers les animaux grâce à sa loi sur la protection des animaux, il reste nécessaire de renforcer les protections et d'améliorer l'efficacité de l'application de la loi.
Cet article est d’une part axé sur l'examen de la loi sud-coréenne relative à la protection des animaux. D’autre part, le second point sera plus spécifique à une particularité asiatique : la consommation de la viande canine. Les chiens occupent une place unique dans la société. Considéré comme le premier animal domestiqué6, le chien a toujours été l’ami et le compagnon le plus fiable de l'homme. La domestication des chiens est antérieure au début de l'agriculture7, et les chiens ont rendu de nombreux services à l'homme, notamment en chassant, en gardant des troupeaux, en aidant la police et l'armée, et en lui tenant compagnie. Aujourd'hui, certains considèrent les chiens comme de précieux animaux de compagnie, tandis que d'autres les voient comme une source de viande. En Asie, les humains consomment jusqu'à 30 millions de chiens chaque année8. Cette estimation inclut de nombreux animaux de compagnie, qui sont souvent volés à leur domicile et emmenés clandestinement à l'abattoir. La consommation de viande de chien serait la plus courante en Chine, en Corée du Sud, aux Philippines, en Thaïlande, au Laos, au Viêt Nam, au Cambodge et dans la région du Nagaland en Inde9.
En Asie, Singapour, Taïwan, Hong Kong et les Philippines ont interdit l'abattage des chiens pour la consommation de viande10. Cependant, en Corée du Sud, la consommation de viande de chien prévaut et l'industrie est florissante. Korea Animal Rights Advocates estime que les Sud-Coréens consomment 100 000 tonnes de viande de chien par an, et 93 600 tonnes supplémentaires pour fabriquer des produits de santé11. Les chiens élevés pour la consommation font l'objet d'une cruauté innommable à tous les niveaux de la filière, depuis les méthodes d'élevage intensif dans les fermes canines jusqu'aux méthodes d'abattage inhumaines. Plus de 20 000 restaurants en Corée du Sud servent du chien sous forme de boshintang (un ragoût épais) ou de gaesoju (un tonique préparé en faisant bouillir un chien entier avec des herbes dans une mijoteuse). Le concentré de gaesoju est également vendu par 9 000 magasins de produits diététiques12.
Cette culture culinaire encore bien présente est un obstacle à la suppression de cette tradition mais elle ne constitue que l’un des défis sociologiques qu’il faudra remporter pour qu’un chien, en Corée, ne soit plus considéré comme comestible.
Une première partie plus générale permettra de présenter l’état de la législation sur la protection animale en Corée du Sud (I). Elle sera suivie d’une seconde partie qui sera focalisée sur le sort d’un animal en particulier (le chien), et donnera un aperçu de la culture sud-coréenne en ce qui concerne la consommation de viande canine, des contestations potentielles de ce commerce, notamment en ce qui concerne les risques sanitaires et la pollution, enfin des efforts déployés pour y mettre un terme (II).

I. La législation coréenne sur les animaux

Afin de comprendre le cheminement du législateur sud-coréen, il est important de se pencher sur la perception des animaux dans la culture coréenne (A). Cela éclairera les développements sur les dispositions légales qui protègent les animaux et les améliorations souhaitables en la matière (B).

A. La perception des animaux dans l'histoire coréenne

Comme dans de nombreux autres pays du monde, les animaux ont joué un rôle à la fois utilitaire et culturel dans l'histoire de la Corée. Depuis l'Antiquité, les Coréens entretiennent des croyances traditionnelles associées aux animaux, estimant que l'apparition de certains d'entre eux apporte chance, protection et bonheur13. Les animaux ont également joué un rôle récurrent dans le folklore coréen, l'exemple le plus marquant étant le mythe de la création du roi Dangun considéré comme le fondateur de la Corée. Selon la légende, le père du roi Dangun était un dieu devenu humain et sa mère une ourse transformée en femme14.
En Corée, les animaux n'étaient traditionnellement pas considérés comme des compagnons, en partie à cause des croyances mystiques qui les entouraient, mais également pour leur fonction utilitaire, en tant que bête de somme ou source de nourriture. Jusqu'à la fin du 20e siècle, les chiens étaient considérés comme des aides agricoles pour leur rôle dans la protection des foyers et l'extermination de la vermine. Les chats et d'autres animaux étaient parfois considérés comme de mauvais présages et traités comme des animaux nuisibles15.
L'introduction tardive du concept d'animaux en tant qu'êtres sensibles peut être attribuée à la mondialisation relativement récente de la Corée au début du 20e siècle. Avec la colonisation japonaise, la Seconde Guerre mondiale, la guerre de Corée et l'appauvrissement qui s'en est suivi, les animaux n'étaient pas, on le comprend, au premier plan des préoccupations des Coréens pendant cette période. L'instabilité économique et politique, qui a conduit à donner la priorité à la survie et au développement de l'homme, associée à la vision traditionnelle des animaux en tant que marchandises, ont retardé l’évolution de la perception des animaux16. Toutefois, l'évolution de la situation économique et politique du pays au milieu et à la fin du 20e siècle a entraîné un changement d'opinion sur la possession d'animaux de compagnie et sur le militantisme en faveur des droits des animaux. En 2015, le ministère sud-coréen de l'agriculture a indiqué que le nombre de propriétaires d'animaux de compagnie dans le pays s'élevait à 4,57 millions, soit « 21,8 % de [...] l'ensemble des ménages [...] »17. Un autre rapport gouvernemental publié en 2017 a montré qu'un Sud-Coréen sur cinq possédait un animal de compagnie18.

B. Le développement du droit animalier sud-coréen à partir de 1991

L'histoire du droit animalier en Corée du Sud est certes brève, car la perception des droits des animaux n'a commencé qu'après l'ouverture forcée de ses portes par la colonisation japonaise et l'industrialisation rapide qui s'en est suivie19. En outre, nombreux sont ceux qui pensent que l'impulsion pour la création d'une loi coréenne sur la cruauté envers les animaux a été donnée par les Jeux olympiques d'été de Séoul en 198820. L'organisation des Jeux à Séoul a attiré l'attention de la communauté internationale sur la cruauté du marché sud-coréen de la viande de chien et de chat. Les militants ont demandé à la communauté internationale de les aider à lutter contre ces marchés et d'attirer l'attention sur l'absence de législation générale en Corée du Sud concernant la cruauté envers les animaux. Cette pression internationale a probablement influencé la première législation sud-coréenne sur la cruauté envers les animaux, sous la forme de la loi sur la protection des animaux.
La première législation de la République de Corée sur la cruauté envers les animaux, la loi sur la protection des animaux, a été promulguée le 31 mai 1991 par le corps législatif sud-coréen 21. La ratification de cette loi a constitué une première étape historique pour les droits des animaux en Corée du Sud et a ouvert la voie à la prise en considération légale du sort des animaux22.
L'article I définit l'objectif de la loi, qui est de « promouvoir la protection de la vie, de la sécurité et du bien-être des animaux et de promouvoir le développement émotionnel des personnes de manière à respecter la vie des animaux en prévoyant les mesures nécessaires pour prévenir la cruauté envers les animaux et pour protéger et gérer les animaux de manière appropriée ».
L'article II définit le terme « animaux » comme « les bovins, les chevaux, les porcs, les chiens, les chats, les lapins, les volailles, les canards, les chèvres, les moutons, les cerfs, les renards, les visons et les autres animaux prescrits par l'ordonnance du ministère de l'agriculture et de la sylviculture ».
L'article III décrit les efforts raisonnables déployés pour permettre aux animaux de vivre dans leurs « habitats naturels », et l'article IV traite du rôle du ministre de l'agriculture et des forêts dans l'encouragement des mouvements et de l'activisme en faveur des droits des animaux.
L'article V a pour objet d'imposer des conditions administratives à l'élevage d'animaux. Les articles VII, VIII, IX et X traitent respectivement des animaux abandonnés, de la méthode de dépeçage des animaux, des opérations chirurgicales sur les animaux et de l'expérimentation sur les animaux.
L'article VI, la disposition « anti-cruauté » de la loi sur la protection des animaux de 1991, revêt une importance particulière. Il s'agit de la première mesure législative prise par la République de Corée pour traiter et limiter la mise à mort et l'infliction de la douleur à un animal. Le premier paragraphe de l'article VI interdit de tuer des animaux « sans motif rationnel, avec cruauté ou selon une méthode qui suscite l'aversion d'autrui ». De même, le deuxième paragraphe interdit d'infliger une « douleur ou une blessure sans cause rationnelle ». Toutefois, ces dispositions sont limitées par l'article XI, qui stipule que les dispositions anti-cruauté ne s'appliquent pas à la chasse, aux recherches à des fins médicinales ou industrielles, et à la protection de la propriété et de la vie humaine.
Enfin, l'article XII prévoit des mesures punitives pour la cruauté envers les animaux, sous la forme d'une amende maximale de dix millions de wons (environ 7 024 euros) et d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à un an. Toutefois, la loi ne donne pas à l'État le pouvoir d'interdire à des personnes de posséder des animaux si elles ont été reconnues coupables de cruauté, et elle n'impose pas non plus de peines plus lourdes aux récidivistes.
Depuis sa création en 1991, la loi sur la protection des animaux a été révisée à plusieurs reprises, notamment en 1996, 1998, 2005, 2008, 2010, 2012, 2014 et, plus récemment, en 201523. La portée et l'ampleur des changements diffèrent d'une année à l'autre, mais les révisions ont généralement cherché à clarifier les définitions et les termes et à augmenter les peines possibles et les sanctions en cas d'infraction. La révision de la loi de 2008, par exemple, était accompagnée d'une explication du ministère de l'agriculture, de l'alimentation et des affaires rurales selon laquelle certains changements visaient à mieux identifier le moment où une infraction était commise.
Dans les années qui ont suivi la promulgation initiale, les législateurs ont apporté les premières modifications à la loi, principalement en clarifiant et en modifiant la terminologie légale pour en faciliter la compréhension. La révision de 1996 a modifié le libellé de l'article IV afin de mieux expliquer l'objectif de promotion de la sensibilisation nationale à la protection des animaux et d'inclure davantage d'organisations au sein desquelles le ministre de l'agriculture et de la sylviculture peut agir.
L'amendement de 2005 a modifié le libellé de l'article XI sur les limitations dans les cas où les protections contre la cruauté envers les animaux ne s'appliquent pas. Les modifications apportées à la suite de la promulgation initiale de la loi, qui visaient principalement à clarifier les cas où les protections contre la cruauté envers les animaux s'appliquaient ou ne s'appliquaient pas, semblaient indiquer une lacune dans la détermination de ces cas.
En 2007, le législateur a entrepris une restructuration plus importante de la loi et a ajouté plusieurs articles supplémentaires. L'amendement de 2008 a renforcé les exigences de déclaration et d'enregistrement pour les propriétaires d'animaux et a renforcé les responsabilités des propriétaires en matière de contrôle de leurs animaux, comme le fait de les tenir en laisse en public, et les restrictions en matière de reproduction. La révision a également ajouté des normes appropriées pour le transport des animaux, leurs installations et les commerces d'animaux, ainsi que la création d'un comité d'éthique pour l'expérimentation animale et la conservation et la mise à jour par le gouvernement de données et de statistiques relatives aux animaux.
L'amendement de 2008 a considérablement élargi la disposition relative à la cruauté envers les animaux en ciblant des pratiques et des actes spécifiques. Ainsi les nouvelles dispositions décrivent avec beaucoup plus de précision les méthodes de mise à mort des animaux interdites, telles que la pendaison. Des restrictions concernant l'utilisation d'outils ou de drogues pour infliger des blessures, la collecte de produits d'origine animale alors que l'animal est vivant, et le fait d'infliger de la douleur pour le jeu, le plaisir ou la publicité ont également été ajoutées.
L'amendement ultérieur de 2010 ne comportait que de petites modifications par rapport au précédent, mais les amendements de 2012 et 2014 constituaient des extensions plus substantielles de la loi. Ces deux révisions visaient à mieux définir le traitement et les soins appropriés des animaux, ainsi que la signification précise des termes utilisés dans les dispositions de la loi sur la protection des animaux. L'amendement de 2012 a reformulé l'article III qui énumère les « principes de base pour la protection des animaux », en ajoutant, par exemple, la garantie d'une alimentation correcte et l'absence de stress, de peur ou de mal. Cet amendement a encore augmenté les amendes et les sanctions légales.
La modification légale de 2014 visait à fournir des définitions claires des termes « animal » et « cruauté envers les animaux ». Le mot « animal » a été défini plus précisément comme désignant les mammifères et les oiseaux, et englobant certains reptiles, amphibies et poissons qui seront définis par un décret présidentiel ultérieur. L'amendement a également ajouté une définition de la maltraitance animale, décrite comme un « acte consistant à infliger aux animaux une détresse physique ou un stress inutiles et évitables sans motif justifiable, ou à négliger ou à ne pas prendre les mesures appropriées pour lutter contre la faim, les maladies, etc. ».
La révision la plus récente de la loi sur la protection des animaux a été effectuée par décret exécutif en 2017 et a étendu le terme « animal » aux reptiles, aux amphibiens et aux poissons, comme cela avait déjà été mentionné dans l'amendement de 2014.
Les mutations constantes de la loi sur la protection des animaux témoignent du souci croissant du Parlement envers la faune domestiquée. D’ailleurs si l’index du World Animal Protection attribue la note globale de « D » à la Corée du Sud pour son traitement juridique des animaux, une meilleure appréciation est faite des capacités gouvernementales à changer leur sort dans le futur. La construction juridique concernant la souffrance animale et la responsabilité des gouvernements en matière de bien-être animal reçoivent respectivement les notes de « C » et « B »24.
Si un ferme enthousiasme quant au sort légal des animaux n’est pas de mise, le pessimisme ne l’est pas non plus. Les instances directrices de la Corée du Sud semblent avoir sincèrement reconnu la nécessité de s’assurer, à un certain degré, du bien-être des compagnons non-humains de la société. Toutefois, une ombre subsiste au tableau en raison de la position particulière occupée par l’un des animaux les plus proches de l’Homme : le chien.

II. Le sort du chien en Corée du Sud : la réification d’un réprouvé

Afin de comprendre la spécificité du traitement de l’espèce canine en Corée du Sud, il est important d’exposer quelques précisions historiques et sociologiques (A). Elles donnent la mesure du défi que représente l’alignement du traitement des chiens sur celui des autres animaux domestiques (B).

A. Les raisons du traitement mercantile des chiens

Les experts débattent de la tradition de la consommation de viande de chien en Corée du Sud. Certaines sources, en particulier les groupes de protection des animaux, affirment que la consommation de viande de chien n'est populaire que depuis une période de pauvreté d'après-guerre, dans les années 1950, et qu'elle ne faisait pas partie de la culture coréenne auparavant25. D'autres sources, telles que le Korean Journal of Food and Nutrition, affirment que la consommation de viande de chien remonte à l'ère Samkug, entre 57 av. J.-C. et 676 apr. J.-C26. Historiquement, les chiens n'ont pas été élevés pour la compagnie en Corée comme ils l'ont été en Occident ; de même, la Corée a une histoire limitée de chiens de travail utilisés pour des tâches telles que le gardiennage de troupeaux. Les partisans de la viande de chien suggèrent que les Coréens de l'époque chassaient et mangeaient des chiens sauvages, mais qu'ils élevaient rarement des chiens à des fins de consommation.
Les nureongi, de couleur jaunâtre, étaient et sont toujours appelés dong-gae, littéralement « chien de merde »27. Contrairement aux chiens de race plus petits qui sont parfois gardés comme animaux de compagnie dans la Corée du Sud moderne, les chiens de race mixte n'ont jamais eu leur place en tant qu'animaux de compagnie dans la culture coréenne. Il existe une sorte de double perception en Corée : les nureongi/dong-gae sont considérés comme du bétail comestible, tandis que les chiens de compagnie peuvent être des compagnons, des accessoires de mode, des symboles de statut social, ou les trois à la fois.
La consommation de viande canine traduit le partiel mépris que les coréens ressentent envers certains chiens. Environ 2,5 millions de chiens sont abattus pour l'alimentation en Corée du Sud chaque année. Les Sud-Coréens consomment environ 100 000 tonnes de viande de chien par an. Sur ce total, 93 600 tonnes sont consommées sous forme de gaesoju, un tonique pour la santé28. L'industrie de la viande de chien, qui englobe à la fois la production et la vente de chiens, est estimée à environ 2 milliards de dollars américains29.
De nombreux restaurants ne s'enregistrent pas en tant que vendeurs de viande de chien et il est donc difficile d'estimer avec précision le nombre de ceux qui servent réellement de la viande de chien. Toutefois, certaines organisations estiment que plus de 20 000 restaurants en Corée du Sud servent de la viande de chien. Il s'agit de la quatrième viande la plus consommée dans le pays30.
Lorsqu'elle est consommée en tant qu'aliment, la viande de chien est le plus souvent consommée dans un ragoût appelé bosintang. Bien qu'elle soit consommée tout au long de l'année, la viande de chien connaît un pic de consommation pendant les trois jours traditionnels les plus chauds de l'année, les jours Boknal, connus sous le nom de Chobuk, Jungbok et Malbok. Les jours Boknal sont déterminés selon un calendrier lunaire et tombent généralement à la fin du mois de juillet ou au début du mois d'août. Certains Sud-Coréens pensent que manger de la viande de chien pendant l'été permet de lutter contre les effets de la chaleur et de l'humidité. Historiquement, la consommation de viande de chien est associée aux personnes qui tentent de maintenir leur endurance pendant la chaleur de l'été.
En Corée du Sud, la viande de chien est également utilisée à des fins médicinales. Classée dans la catégorie des « aliments chauds », la viande de chien est considérée comme bonne pour le yang, la composante masculine, chaude et extravertie de la nature humaine. Sur le plan médical, la viande de chien est couramment consommée sous forme liquide, le gaesoju, qui est obtenu en faisant bouillir la viande dans un autocuiseur, puis en la mélangeant à des herbes. Certains partisans affirment que le gaesoju est bon pour l'endurance et la récupération post-opératoire. En Corée du Sud, les hommes et les femmes consomment le gaesoju de la même manière31.
Toutefois, cette tendance s’estompe progressivement et on peut constater que la vision des chiens change en raison de l’évolution des mœurs coréennes. La Corée du Sud compte environ 3 millions de chiens de compagnie et constitue un marché en plein essor pour les produits connexes32. Cette proportion ne cesse d’ailleurs de grandir à mesure que les coréens renoncent à avoir des enfants. En effet, certains auteurs soulignent que la chute du taux de natalité s’accompagne d’un intérêt croissant pour les chiens, car les citoyens prennent l’habitude de substituer un chien à un enfant en raison du coût croissant de la vie et des horaires de travail très contraignants33. Bien que la popularité croissante des chiens de compagnie ait été associée à des problèmes d'abandon et de marchandisation des animaux, elle illustre la capacité de la Corée du Sud à subir des changements rapides par le biais de son attitude à l'égard des chiens en l'espace d'une seule génération.
Ce changement d'attitude a entraîné une diminution de la tolérance à l'égard de la cruauté envers les animaux, une augmentation de l'intérêt pour la protection des animaux et une modification de la perception de la viande de chien. Dans un sondage réalisé en 2004, 60 % des personnes interrogées étaient favorables à l'utilisation des chiens comme animaux de compagnie ou compagnons, et 55 % désapprouvaient l'utilisation des chiens comme nourriture pour les humains. Il est intéressant de noter que les propriétaires d'animaux de compagnie n'étaient pas beaucoup plus enclins à désapprouver l'utilisation de chiens pour l'alimentation que les personnes n'ayant pas d'animaux de compagnie34.

B. L’interdiction de la consommation de la viande canine : un flou juridique mais de réels enjeux sociétaux

La complexité du droit coréen en la matière résulte de la pluralité des sources juridiques qui peuvent s’appliquer au chien et qui permettent de le considérer à la fois comme un animal domestique et comme un aliment (a). Cependant il existe à l’heure actuelle d’importantes raisons qui devraient conduire à l’exclusion définitive du chien de la catégorie des biens comestibles (b). Un espoir semble permis en raison du récent dépôt d’une proposition de loi qui vise à éliminer l'industrie de la viande de chien en interdisant l'élevage et l'abattage de chiens destinés à la consommation humaine (c).

a. Le statut juridique de la viande de chien : Une zone grise

La production et l'abattage de chiens pour la viande en Corée du Sud s'inscrivent dans une zone d'ombre juridique. Le statut des chiens et de la viande de chien varie selon les législations. Par exemple, les chiens sont légalement définis comme des « animaux domestiques » en vertu de la loi sur l'industrie du bétail de 1963 et de la loi sur l'évacuation des eaux usées et le traitement des eaux usées du bétail du ministère de l'environnement. Les chiens sont toutefois exclus de la définition du bétail en vertu de la loi sur l'industrie du bétail de 1963. Selon le directeur de la division générale de la santé animale du ministère de l'agriculture, de l'alimentation et des affaires rurales, la pratique de la consommation de chiens en Corée du Sud existe dans un « vide juridique »35. Le ministère de l'agriculture, de l'alimentation et des affaires rurales ne reconnaît pas la légalité de la viande de chien, alors que le ministère de la santé et du bien-être, qui contrôle et réglemente la viande de chien après l'abattage, la reconnaît. Il n'existe pas de loi spécifique régissant l'abattage des chiens. Les seules réglementations pertinentes susceptibles de s'appliquer à la production et à l'abattage des chiens proviennent des dispositions générales de la loi sur la protection des animaux de 1991 relatives à la lutte contre la cruauté. Par conséquent, il n'est pas nécessairement illégal d'élever et d'abattre des chiens.
La viande de chien n'est pas explicitement reconnue comme un aliment par la loi coréenne. Cependant, en 1996, un juge du tribunal de district de Séoul a décidé que la viande de chien était un aliment. De même, le gaesoju a été considéré comme un aliment par la Cour suprême estimant que le tonique n'était pas un médicament tel que défini par la loi sur les affaires pharmaceutiques de 195336.
Une tentative de restriction de la vente de viande de chien a débuté en 1983 par crainte d'une attention médiatique négative pendant les Jeux olympiques de 1988 à Séoul37. Des particuliers, des gouvernements étrangers et des groupes à but non lucratif de protection des animaux ont lancé un appel vigoureux au gouvernement sud-coréen, tandis que les médias mettaient en lumière l'abattage et la consommation de chiens dans le pays. Le gouvernement a annoncé une initiative visant à interdire la vente de viande de chien dans les zones urbaines, en particulier dans les zones touristiques. Une série d'actions ont suivi, notamment la demande d'un ministère d'interdire l'abattage de chiens à des fins alimentaires, la demande d'un autre ministère d'interdire l'élevage de chiens à des fins d'abattage et la prise de mesures à l'encontre des restaurants servant de la viande de chien.
En 1984, Séoul a publié un règlement interdisant la vente de viande de chien en la qualifiant d'aliment « dégoûtant ». Plus tard en 1984, le ministère de la santé et de la protection sociale a formellement institutionnalisé l'interdiction de la vente de bosintang et de gaesoju en les qualifiant d'aliments « répugnants ». Plus précisément, la disposition interdit la vente de produits, y compris la soupe ou le bouillon, contenant de la viande ou d'autres matières provenant de chiens, de serpents, de lézards ou de vers. Les contrevenants recevaient un avertissement avant de se voir imposer une suspension d'activité de sept jours. Cette disposition est toujours en vigueur aujourd'hui, mais n'a pas été rigoureusement appliquée depuis les Jeux olympiques de Séoul en 1988, principalement en raison de deux facteurs : un manque de clarté entre les agences gouvernementales quant à la responsabilité de l'application et l'absence d'engagement politique à long terme en faveur de l'interdiction.
Les pressions exercées sur le gouvernement sud-coréen pour qu'il interdise la consommation de viande de chien ont repris à l'approche de la Coupe du monde de football de 2002. Cependant, cette intercession internationale n’a pas eu que des effets positifs. Certains coréens y ont vu une ingérence étrangère mal venue. Ainsi lorsque le président de FIFA envoya une lettre en 2001 sollicitant l’interdiction de la consommation de chien, en vue de la prochaine Coupe du monde, il reçut une cinglante réponse. Chung Mong-Joon, un puissant entrepreneur et homme politique coréen qui occupe également le poste de vice-président de la FIFA, rejeta cette requête en déclarant qu'il n'était pas nécessaire que la FIFA s'en mêle. Goh Kun, alors maire de Séoul, a adopté un point de vue similaire et a déclaré qu'il n'y aurait pas d'efforts supplémentaires pour contrôler la vente de viande de chien pendant la Coupe du monde, rejetant le commentaire du président de la FIFA comme une question culturelle38.
Dans le même temps, les partisans de la consommation de viande de chien ont commencé à faire entendre leur voix. Par exemple, le Parti démocratique du millénaire, malgré la pression internationale et nationale, a proposé un amendement visant à inclure les chiens dans la liste des animaux d'élevage de la loi sur le traitement du bétail. Le projet de loi, qui prévoyait une distinction entre les chiens destinés à être mangés et les chiens de compagnie, n'a pas été adopté. En outre, le Grand parti national a proposé une déclaration selon laquelle la tradition coréenne de manger des chiens faisait partie de la culture coréenne et a exigé que les pays étrangers cessent d'interférer avec cette pratique.

b. L’interdiction : un enjeu sanitaire important

La première raison qui pourrait justifier cette interdiction définitive est le risque encouru au regard des antibiotiques. La tolérance aux antibiotiques en Corée est très élevée par rapport à d'autres pays39. L'une des principales causes de cette tolérance élevée serait l'abus d'antibiotiques dans les produits d'élevage. En 2003, la proportion d'antibiotiques par tonne de viande était de 0,82 en Corée, de 0,26 aux États-Unis, de 0,13 au Royaume-Uni et de 0,04 en Norvège. Bien que l'on ne dispose pas de données complètes sur le contrôle des maladies dans les élevages de chiens, ces derniers présentent généralement de graves problèmes d'abus d'antibiotiques. Les conditions y sont extrêmement insalubres : les animaux malades sont mélangés aux animaux sains, les excréments ne sont pas correctement nettoyés, les chiens sont nourris avec des déchets alimentaires en décomposition et les maladies transmissibles sévissent. L'utilisation d'antibiotiques peut s'avérer nécessaire pour maintenir les chiens en vie suffisamment longtemps pour qu'ils puissent être abattus.
La seconde raison pourrait être les problèmes engendrés par les rejets polluants40. En effet, la gestion de l'hygiène dans les élevages de chiens pose des problèmes importants. Les grands élevages de chiens présentent des risques sanitaires pour les communautés environnantes en raison des écoulements incontrôlés, des maladies et de l'élimination inappropriée des sous-produits de l'abattage. Ni les excréments ni les sous-produits de l'abattage ne doivent être traités, de sorte qu'ils peuvent s'échapper dans les eaux et les terres environnantes. En outre, les conditions insalubres peuvent attirer des parasites qui propagent des bactéries, des virus et des parasites hautement transmissibles.
Enfin le troisième risque concerne plus largement la santé publique. De nombreuses maladies sont zoonotiques et certaines d'entre elles peuvent être transmises du chien à l'homme. Les risques sanitaires augmentent pour les personnes impliquées dans la production et l'abattage des chiens, ainsi que pour ceux qui consomment de la viande de chien. Les environnements d'élevage inadéquats et insalubres dans les fermes canines, l'exposition aux parasites et l'absence de contrôle des maladies exacerbent les risques. La transmission directe peut se produire en cas de contact avec du sang, de l'urine, des excréments ou de la salive contaminés. La transmission indirecte peut se produire par contact avec une substance touchée par un individu exposé à la maladie. La liste des maladies pouvant être transmises entre les chiens et les humains est longue, mais l'une des plus graves est l'infection par la rage. En 2009, une étude du Réseau de recherche clinique sur les maladies infectieuses en Asie du Sud-Est a établi un lien entre une infection humaine par la rage à Hanoï, au Viêt Nam, et un contact avec un chien infecté au cours du processus de dépeçage41. D'autres cas d'humains ayant contracté la rage en tuant des chiens, en manipulant de la viande de chien ou en consommant des chiens ont été signalés dans toute l'Asie42. La propagation de la maladie peut être exacerbée par des conditions d'abattage insalubres et par la vente de viande de chien sur les marchés en plein air et dans les restaurants. Malheureusement, bien que les dangers de la viande de chien pour la santé humaine soient reconnus, il existe très peu de recherches sur la transmission de maladies entre les chiens et les humains à cause de la viande de chien.
En outre, de grandes quantités de métaux lourds ont été trouvées dans la viande de chien ; des contaminants environnementaux tels que le plomb, l'arsenic et le cadmium peuvent être introduits dans l'alimentation des chiens par l'utilisation de déchets alimentaires43. Les métaux lourds sont difficiles à éliminer de l'organisme, ce qui met en danger à la fois les chiens et les humains qui consomment ensuite leur viande. Le plomb et le cadmium peuvent provoquer un empoisonnement mortel. En 2008, un rapport sur la consommation de la Korean Broadcasting System (KBS) a mis en évidence l'ampleur du problème de la viande de chien contaminée44. Dix-sept échantillons de viande de chien ont été testés par l'Institut de recherche sur la santé et l'environnement afin de détecter des intoxications alimentaires (bactéries générales, e. coli, salmonelles), des antibiotiques (composés antimicrobiens, antibiotiques) et des métaux lourds (plomb, arsenic, cadmium). Plusieurs des échantillons se sont révélés plus toxiques que ce qui est autorisé par la loi sur le traitement du bétail.

c. Vers une interdiction définitive ?

En 2018, un espoir était né lorsqu’un tribunal sud-coréen avait déclaré illégal le fait de tuer des chiens pour les vendre et les manger, ce qui constituait une première dans le pays45. Cette décision était un pas en avant vers l'interdiction du commerce de la viande de chien en Corée du Sud, bien qu'elle ne concernât que l'abattage des chiens pour la viande, et non leur consommation.
La décision du tribunal est restée confidentielle jusqu'à ce que les détails soient publiés à la fin du mois de juin. Elle a donné raison à l'association de défense des droits des animaux Coexistence of Animal Rights on Earth (CARE). L'année dernière, ce groupe avait poursuivi le propriétaire d'un élevage de chiens à Bucheon, en Corée du Sud, pour avoir « tué des animaux sans raison valable ». Selon l'Agence France-Presse, le tribunal de la ville de Bucheon a condamné le propriétaire au motif que la consommation de viande n'était pas une raison légale pour tuer des chiens. Le tribunal a également déclaré que le propriétaire avait enfreint les règles d'hygiène mises en place par les autorités concernant les élevages de chiens destinés à la production de viande. Le propriétaire a été condamné à une amende de trois millions de wons (environ 2 700 dollars américains) et a renoncé à son droit d'appel.
Toutefois cette décision n’a pas rencontré un vif succès prétorien, les autres juges n’ayant pas poursuivi dans cette voix. Le législateur sud-Coréen pourrait prendre le relais en raison d’une récente proposition de loi déposée en juin 2023. Jeoung-ae Han, membre de l'Assemblée du Parti démocratique sud-coréen, a présenté le 29 juin 2023 une proposition de loi visant à éliminer l'industrie de la viande canine en interdisant l'élevage et l'abattage de chiens destinés à la consommation humaine, notamment en interdisant les élevages et les abattoirs de chiens ainsi que la vente de viande canine dans toute la Corée du Sud, et en aidant les éleveurs de chiens à se reconvertir dans d'autres activités46. Le projet, appelé Loi spéciale, soutenue par 11 parrains bipartisans, arrive à un moment où l'opinion publique et le monde politique sont de plus en plus favorables à l'abolition de l'industrie de la viande de chien en Corée du Sud. La première dame Kim Keon-hee a ouvertement appelé à une interdiction, et les dernières enquêtes d'opinion menées par Nielsen Korea à la demande de la Humane Society International montrent que 87,5 % de la population ne mange pas de viande de chien ou n'en mangera pas à l'avenir, et que 56 % sont en faveur d'une interdiction législative47. En décembre 2021, le gouvernement a formé un groupe de travail pour présenter des recommandations sur la question.
L'article 6 de la loi spéciale prévoit la mise en place d'un plan de fermeture des élevages de chiens et des entreprises associées, ainsi qu'une aide à la transition. En vertu de cet article, le ministère de l'agriculture, de l'alimentation et des affaires rurales doit inclure dans le plan les modalités de protection des chiens provenant des élevages qui choisissent de fermer dans les cinq ans suivant l'entrée en vigueur de la loi. L'article 8 fournit les bases juridiques nécessaires à la création d'un comité chargé de mettre fin à l'industrie de la viande canine sous l'égide du gouvernement, composé d'un maximum de 25 représentants des ministères concernés et d'autres parties prenantes.
Si cette proposition de loi est adoptée, une aide financière sera accordée pour la fermeture ou la transition des élevages de chiens légalement enregistrés et les éleveurs participants recevront des subventions pour soutenir leur transition, ainsi qu'une formation ou une orientation en vue d'une réorientation professionnelle.
L'interdiction totale de l'élevage et de l'abattage des chiens destinés à la consommation humaine entrera en vigueur cinq ans après l'adoption de la loi. Il est encore trop tôt pour prédire le futur immédiat de cette pratique désuète qu’est la consommation de viande canine mais cette proposition de loi pourrait être la clé qui ouvrira la porte à la prohibition totale réclamée à la fois par la société coréenne et par la communauté internationale.

Conclusion

Le commerce de la viande de chien en Corée du Sud continue d'opérer dans une zone grise juridique. À mesure que la popularité de la culture des animaux de compagnie augmente et que la population sud-coréenne opposée à la consommation de viande de chien continue de croître, on peut s'attendre à une diminution de l'acceptation et de la demande de viande de chien en tant qu'aliment et en tant que médicament. Le secteur commence à céder à la pression, car la sensibilisation accrue du public à la cruauté associée à ce commerce pourrait être une force motrice pour mettre fin à la demande de viande de chien si la proposition de loi susmentionnée n’était pas adoptée.
La péninsule coréenne a une histoire riche et étendue qui remonte à plus de 5 000 ans. Les animaux ont joué un rôle dans la culture traditionnelle coréenne, apparaissant fréquemment dans le folklore et les mythes, ainsi qu'un rôle utilitaire dans le travail et l'agriculture. Le concept de droits des animaux est toutefois très récent.
En conséquence, le droit animalier sud-coréen est un domaine sous-développé par rapport à d'autres pays du premier monde. Malgré cela, l'adoption par le pays de la loi sur la protection des animaux à la fin du 20e siècle a constitué un pas décisif dans la bonne direction pour les animaux coréens.

  • 1 A. ALBERRO, « The state of modern south korean animal cruelty law: an overview with comparison to relevant United states and swiss law and the future », Washington University Global Studies Law Review 1999, vol. 18, pp. 665-690, spéc. p. 665.
  • 2 Le conducteur a prétendu qu’il ne souhaité pas salir sa voiture. Il avait donc attaché le chien dans le coffre de la voiture en laissant ce dernier entrouvert. L’animal avait néanmoins réussi à sauter hors du coffre de la voiture. Toujours attaché par la laisse, il avait été trainé par la voiture sans que le propriétaire ne se rende compte de ce qu’il se passait. A. PIETEROVA, Live Dog Tied to Back of Car, Dragged to Death on Seoul Highway, koreaBang, 27 avril 2012, https://www.koreabang.com/2012/pictures/live-dog-tied-to-back-of-car-dragged-to-death-on-seoul-highway.html
  • 3 A. ALBERRO, « The state of modern south korean animal cruelty law: an overview with comparison to relevant United states and swiss law and the future », op. cit., p. 666. Ces trois incidents étaient tous relatifs à des chiens trainés par des voitures.
  • 4 O. MINJOO, J. T. JACKSON, « Animal rights vs. cultural rights: exploring the dog meat debate in South Korea from a world polity perspective », Journal of intercultural studies 2011, vol.32(1), pp. 31-56.
  • 5 Methodology, World Animal Protection, https://www.worldanimalprotection.us.org/
  • 6 A. L. PODBERSCEK, « Good to Pet and Eat: the keeping and consuming of dogs and cats in South Korea », Journal of Social Issues 2009, vol. 65, n° 3, pp. 615-632, spéc. p. 616.
  • 7 A. S. DRUZHKOVA, O. THALMANN, V. A. TRIFONOV, J. A. LEONARD, N. V. VOROBIEVA, N. D. OVODOV, « Ancient DNA Analysis Affirms the Canid from Altai as a Primitive Dog », PLoS ONE 2003, vol. 8, n° 3, https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0057754
  • 8 https://worldpopulationreview.com/country-rankings/what-countries-eat-dogs
  • 9 Id.
  • 10 R. E. KIM, « Dog meat in Korea: a socio-legal challenge », Animal Law 2008, vol 14, n° 2, pp. 201-236.
  • 11 International Aid for Korean Animals, Dog meat in Korea, 2023, http://koreananimals.org/dogs/
  • 12 Id.
  • 13 J. M. ROBERTS, C. P. CHOE, « Korean Animal Entities with Supernatural Attributes: A Study in Expressive Belief », Arctic Anthropology 1984, vol. 21, n° 2, pp. 109-121.
  • 14 A. ALBERRO, « The state of modern south Korean animal cruelty law: an overview with comparison to relevant United States and Swiss law and the future », Washington University Global Studies Law Review 2019, vol. 18, pp. 665-690, spéc. p. 669.
  • 15 Id., p. 670.
  • 16 L. MURRAY, « The South Korean Animal Welfare Movement Takes Root », Advoc. for Animals, 10 novembre 2008, https://www.britannica.com/explore/savingearth/712-2
  • 17 « 1 in 5 South Koreans have pets », Yonhap News Agency, 19 février 2017, http://english.yonhapnews.co.kr/national/2017/02/19/0302000000AEN20170219001300320.html
  • 18 Id.
  • 19 L. MURRAY, « The South Korean Animal Welfare Movement Takes Root », op. cit.
  • 20 R. CRABB, « Olympic Athletes Asked to Help End Slaughter of Dogs, Cats for Food in South Korea », L.A. Times 17 juillet 1988, http://articles.latimes.com/1988-07-17/news/mn-9685_1_south-korea.
  • 21 Animal Protection Act, Act. N°. 5153, traduit en anglais par le Animal Legal & Historical Center, https://www.animallaw.info/statute/kr-cruelty-animal-protection-act
  • 22 L'adhésion du gouvernement sud-coréen à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) en 1993 est un exemple de l'intérêt croissant du pays pour les droits des animaux. La CITES est un accord international visant à réglementer le commerce mondial des animaux et des plantes et à promouvoir la conservation. « What is Cites, Convention on Int'l Trade in Endangered Species of Wild Fauna and Flora », https://www.cites.org/eng/disc/what.php
  • 23 A. ALBERRO, « The state of modern south korean animal cruelty law: an overview with comparison to relevant United states and swiss law and the future », op. cit., p. 676.
  • 24 https://api.worldanimalprotection.org/country/korea
  • 25 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », Animal Law 2014, vol. 21, pp. 29-64, spéc. p. 38, https://law.lclark.edu/live/files/23690-21-czajkowskipdf. L’auteur se fait l’écho des explications historiques données par la Korea Animal Rights Advocates, association visant à promouvoir le bien-être animal. Le site internet de cette association (https://www.ekara.org/ presqu’intégralement en coréen) avance la raison suivante : « Généralement, les spécialistes s'accordent à dire que les Chinois mangent des chiens depuis au moins 7 000 ans. Une tradition coréenne ? Eh bien, disons qu'il s'agit d'une tradition chinoise qui a été copiée par les Coréens à un moment donné ». De manière plus générale, le lecteur peut se référer au récent ouvrage de Julien DUGNOILLE, Dogs and Cats in South Korea: Itinerant Commodities, Purdue University Press, 2022.
  • 26 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », op. cit. p. 38.
  • 27 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », op. cit., note 82. L’auteur se réfère au Dictionary of Standard Korean.
  • 28 International Aid for Korean Animals, Dog meat in Korea, 2023, http://koreananimals.org/dogs/
  • 29 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », op. cit., p. 32.
  • 30 Id.
  • 31 Id.
  • 32 R. E. KIM, « Dog Meat in Korea: A Socio-Legal Challenge », Animal Law 2007, vol. 14, pp. 201-236, spéc. pp. 224-225.
  • 33 H. CHOI, M. PARK, « Having children in South Korea is so expensive that adults are choosing to pamper their pets instead», Insider 29 janvier 2019, https://www.insider.com/south-korea-pet-industry-children-2019-1
  • 34 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », op. cit., p. 40.
  • 35 Id.
  • 36 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », op. cit., p. 49.
  • 37 M. OH, J. JACKSON, « Animal Rights vs. Cultural Rights: Exploring the Dog Meat Debate in South Korea from a World Polity Perspective », Journal of Intercultural Studies 2011, vol. 32, n° 1, pp. 31-56.
  • 38 M. OH, J. JACKSON, « Animal Rights vs. Cultural Rights: Exploring the Dog Meat Debate in South Korea from a World Polity Perspective », op. cit., p. 43.
  • 39 S. PARK et al., « Antibiotic use following a Korean national policy to prohibit medication dispensing by physicians », Health Policy Plan 2005, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16000369/
  • 40 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », op. cit., pp. 56-58.
  • 41 H. F. L. WERTHEIM et al., « Furious rabies after an atypical exposure », PLoS Med 2009, https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19296718/
  • 42 C. WALLERSTEIN, « Rabies Cases Increase in the Philippines », BMJ 1999, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1115700/pdf/1306.pdf
  • 43 C. CZAJKOWSKI, « Dog meat trade in south Korea: a report on the current state of the trade and efforts to eliminate it », op. cit., p. 60.
  • 44 Id.
  • 45 H. BRADY, « South Korea Rules Killing Dogs for Meat Illegal, But Fight Continues », National Geographic 3 juillet 2018, https://www.nationalgeographic.com/animals/article/south-korea-dog-meat-ban-animals
  • 46 Humane Society International / South Korea, « South Korean lawmaker introduces Special Act to ban dog meat industry, hailed as “historic day for animal welfare” by HSI/Korea, Humane Society International », 29 juin 2023, https://www.hsi.org/news-resources/south-korean-lawmaker-introduces-special-act-to-ban-dog-meat-industry-hailed-as-historic-day-for-animal-welfare-by-hsikorea/
  • 47 Id.
 

RSDA 2-2023

Droit de la propriété intellectuelle
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Propriétés intellectuelles

  • Alexandre Zollinger
    Maître de conférences HDR
    Université de Poitiers
    CECOJI

 

Controverse sur la personnalité juridique des animaux : liberté éditoriale des directeurs de publication
CA Aix-en-Provence, 3-1, 6 juillet 2023, n° 2023/102, n° RG 19/17688 : LEPI novembre 2023, DPI201w6, p. 3, nos obs.


Deux enseignants-chercheurs, organisant un colloque universitaire relatif à la personnalité juridique des animaux, sollicitent un professeur en vue de lui confier les propos conclusifs de la journée. Dans ces échanges préalables, ils lui demandent notamment de pouvoir leur remettre la version écrite de sa contribution dans un délai défini (un mois et demi après le colloque) en vue de la publication des actes. A la suite de la journée, ils informent toutefois le professeur de leur volonté de ne pas inclure son intervention dans l’ouvrage à venir, en ce qu’elle ne constituait pas la synthèse escomptée et contiendrait des propos inexacts, formulés avec l’intention de nuire à leurs travaux. Le professeur conteste en justice ce refus de publication, qu’il estime injustifié et préjudiciable.
Il prétend notamment qu’un contrat se serait formé, par les échanges de courriels, entre les directeurs de la publication et lui-même, emportant une double obligation : le contributeur se serait engagé à remettre la version écrite de son intervention avant la date indiquée et les directeurs de l’ouvrage à transmettre cette contribution écrite à l’éditeur. La cour d’appel, en un arrêt confirmatif, dénie l’existence des obligations alléguées. D’une part, le demandeur « pouvait parfaitement refuser de transmettre une quelconque contribution écrite dès lors que s'agissant d'une œuvre intellectuelle, elle devait faire l'objet d'une cession de droits qu'il était fondé à refuser s'il le souhaitait ». D’autre part, la cour écarte toute faute contractuelle des directeurs de publication à l’égard de l’éditeur, « aucune des dispositions du contrat d'édition ne leur imposant d'insérer dans l'ouvrage l'intégralité des contributions écrites rédigées après le colloque dans la mesure où ils avaient la responsabilité de la ligne éditoriale qu'ils souhaitaient donner à l'ouvrage ».
La situation est ensuite analysée sous l’angle des droits fondamentaux, deux libertés étant en opposition : la liberté éditoriale des directeurs de publication d’une part et la liberté d’expression de l’enseignant-chercheur éconduit d’autre part. Pour la cour, l’exercice de ces libertés est « absolu, sauf l'abus qui en serait fait et un préjudice causé ». La liberté d’expression de l’enseignant-chercheur n’est pas considérée comme atteinte dans la mesure où il a pu exprimer son opinion à l’oral et conservait la possibilité de publier (ailleurs, la précision est implicite dans l’arrêt commenté) la synthèse élaborée en vue de ces actes. À défaut de démontrer l’existence d’un abus de la part des intimés et de caractériser le préjudice qui en résulterait pour lui, le demandeur voit son action rejetée. Est également rejeté l’appel incident déposé par les directeurs de publication en vue de voir réparée, notamment, l’atteinte à leur honneur et à leur réputation résultant des propos tenus lors du colloque. Mais la cour relève ici qu’ils « ne peuvent, sauf à attenter à la liberté de parole et d'opinion dont jouit [F] [R], lui faire reproche » de ces propos. Balle au centre…
L’espèce suscite deux remarques. En premier lieu, est-il juste de considérer qu’aucun contrat n’a été formé entre les directeurs de publication et le contributeur écarté ? L’absence de contrat ne saurait être déduite de l’absence de cession de droits d’auteur. Le régime de l’œuvre collective (susceptible de s’appliquer à des actes de colloque) dispense en effet de conclure un contrat de cession de droits avec chaque contributeur, le coordinateur étant titulaire initial des droits sur l’œuvre d’ensemble1. Dans cette hypothèse, chaque contribution sera généralement remise en exécution d’un contrat (de travail ou de commande) à la personne physique ou morale assurant la coordination et la direction de l’œuvre collective. Et même en considérant que les actes du colloque constituent une œuvre de collaboration2, et non une œuvre collective, il serait également possible de distinguer deux phases contractuelles : l’une en amont, relative à la création de l’œuvre (contrat de commande), et l’autre en aval organisant son exploitation (contrat de cession des droits des coauteurs à l’exploitant)3.
On pourrait ainsi envisager qu’un contrat de commande (variété de contrat de prestation de service) a été formé par courrier électronique, impliquant une double obligation à la charge du commandité : réaliser une prestation orale dans le champ défini et délivrer la version écrite en vue de la publication des actes. La liberté éditoriale des directeurs de publication trouverait alors à s’exercer par la mise en œuvre du pouvoir d’appréciation de la conformité de la chose remise/prestation réalisée par rapport aux stipulations contractuelles. Ce pouvoir d’appréciation du commanditaire ne saurait toutefois être discrétionnaire4. Une autre analyse aurait ainsi pu être menée pour qualifier juridiquement les usages universitaires au cœur de l’espèce. Toutefois, la cour fait le choix de ne voir ici aucun contrat entre le contributeur et les directeurs de publication, soit par facilité, soit car il lui paraît excessif de voir dans les formules usuelles employées, avant l’évènement, par les organisateurs une volonté de contracter et la source d’une obligation juridique (et non simplement morale ou sociale)…
Ceci conduit à notre seconde remarque. Au-delà des obligations juridiques, comment appréhender scientifiquement un sujet controversé (comme peut l’être celui de la personnalité juridique des animaux) dans un ouvrage collectif ? Sans qu’il soit du tout question ici de se prononcer sur les faits d’espèce, qui nous sont inconnus hors les précisions apportées par l’arrêt, un dilemme semble se présenter entre le souci légitime d’assurer à un ouvrage une cohérence scientifique et la préservation d’un certain pluralisme d’expression, permettant de « garantir l'impartialité des recherches et l'objectivité de leurs résultats »5. Lorsque le dialogue est possible, publier une argumentation contra, quitte à l’assortir d’un éventuel contrepoint (sorte de droit de réponse), pourrait être une option stimulante et instructive.

Productions artistiques non humaines : la jurisprudence Naruto étendue aux intelligences artificielles génératives
U.S. District Court for the District of Columbia, 18 août 2023, Civil Action No. 22-1564 (BAH), Judge Beryl A. Howell, Stephen Thaler v. Shira Perlmutter


M. Thaler a développé un système d’intelligence artificielle (I.A.) générative intitulé « Creativity Machine », produisant des contenus visuels. Ce type de système repose sur la technique du machine learning ; en associant un algorithme à de nombreuses données d’entrainement (textes, photos, vidéos…), l’I.A. apprend à reconnaître les caractéristiques des éléments qui lui sont soumis et construit son « modèle d’inférence »6. Une fois la phase d’entrainement de l’I.A. achevée, l’utilisateur de l’application formule une requête (ou « prompt ») en vue d’obtenir un résultat particulier (« output ») que l’intelligence artificielle déduit de son apprentissage. M. Thaler entreprend d’enregistrer aux Etats-Unis l’une des « œuvres » visuelles ainsi obtenues, A Recent Entrance to Paradise, en mentionnant l’intelligence artificielle comme auteur et en indiquant qu’il était cessionnaire des droits afférents à l’œuvre en tant que propriétaire du système d’intelligence artificielle. Le Copyright Office rejette la demande d’enregistrement, à défaut d’intervention d’un auteur humain. La cour de district est saisie d’un recours, en vue de déterminer si une production générée de manière autonome par intelligence artificielle, sans intervention humaine, est éligible à une protection par copyright. Les débats s’orientent naturellement sur la malléabilité des frontières du copyright et sur la notion d’« author » au sens de la loi américaine.
Dans le cadre d’un rappel de l’évolution de la législation et de la jurisprudence américaine sur ce point, la cour évoque logiquement l’affaire Naruto, très médiatisée et commentée par la doctrine, notamment dans ces pages7. En l’espèce, un macaque avait actionné le déclencheur de l’appareil photographique de David Slater et pris divers clichés de lui-même, très réussis. Le photographe ayant ensuite exploité lesdites photographies, la PETA avait intenté une action en contrefaçon contre lui, au nom du singe. La cour d’appel avait conclu à l’absence de statut permettant à l’animal d’introduire une telle action en contrefaçon8. La conclusion obtenue au sujet de la qualité à agir est transposable à la question de la protégeabilité du contenu par copyright : il s’agit dans les deux cas d’interpréter la notion d’author visée par la loi. Or tous les termes employés laissent entendre que la notion se limite aux êtres humains, à l’exclusion des animaux. La cour de district constate ainsi, dans l’affaire Thaler commentée : « Plaintiff can point to no case in which a court has recognized copyright in a work originating with a non-human ».
En cours d’instance, le requérant tente de modifier son argumentation, et d’indiquer que la production a été réalisée sous son contrôle et sa direction. Mais la cour s’en tient à ce qu’il avait décrit dans sa demande d’enregistrement auprès de l’office, à savoir que l’œuvre avait été générée de manière autonome par la machine. Le changement de stratégie, dans la manière de présenter son rôle par rapport à celui de la machine, intervient « trop tard ». La cour de district confirme ainsi la décision du Copyright Office de refuser l’enregistrement de l’œuvre A Recent Entrance to Paradise. Les contenus produits à l’aide de systèmes d’intelligence artificielle ne sauraient toutefois être tous exclus de la protection : tout dépend de la nature de l’intervention humaine réalisée en complément de l’output. Ainsi, dans la demande de protection de la bande-dessinée Zarya of the Dawn, le Copyright Office a récemment estimé qu’une personne physique, Mme Kashtanova, était bien l’autrice du texte ainsi que de la sélection, de la coordination et de l’arrangement des éléments textuels et visuels de l’œuvre, mais refusé de protéger les éléments visuels entièrement générés par intelligence artificielle9.
Au-delà de ces premiers repères sur le régime applicable aux contenus générés par intelligence artificielle, l’affaire invite à une comparaison entre ces deux catégories de créations non humaines, impliquant une I.A. ou un animal10. Dans les deux cas, l’absence de contribution originale d’un être humain à la conception et à la réalisation de « l’œuvre » conduit à ce que cette dernière appartienne au domaine public, à ce qu’elle ne fasse l’objet d’aucune protection par le droit d’auteur (l’éventuelle valeur des œuvres en cause sur le marché de l’art11 étant ici parfaitement indifférente). Ainsi, concernant le selfie du macaque Naruto, le simple fait, pour le photographe, d’installer un appareil photo, de procéder aux réglages et de disposer le déclencheur ne suffit sans doute pas à caractériser une contribution humaine originale ; il s’agit davantage d’un savoir-faire technique. De la même manière, l’action consistant, pour l’utilisateur d’un système d’intelligence artificielle, à formuler une requête et à choisir parmi les résultats obtenus celui qui lui convient le plus ne constitue pas un acte créatif humain.
Si le régime des créations en cause présente ainsi des similarités, leur nature nous semble pourtant différer, les animaux étant des « êtres vivants doués de sensibilité »12. À rebours de la perception cartésienne de l’animal-machine, il nous semble que certains animaux artistes, tel le chimpanzé Congo, s’expriment lorsqu’ils procèdent en autonomie à leur « performance » artistique13. Une intelligence artificielle ne s’exprime pas, elle donne un résultat correspondant à une probabilité statistique en application de son modèle d’inférence. Sans doute les éléphants dressés en Asie pour peindre avec leur trompe14 ne reproduisent-ils qu’un geste mécanique appris durement, au prix souvent de maltraitances. Le dresseur doit-il alors être considéré comme l’auteur des productions en cause ? Si l’œuvre réalisée par l’animal a été conçue par l’être humain et présente une originalité, rien ne semble l’empêcher15, quelle que soit la souffrance susceptible d’avoir été causée à l’animal impliqué (le droit d’auteur n’est notamment pas soumis à une condition de respect de l’ordre public).
Au-delà de la délicate caractérisation du rôle respectif de l’animal (ou de l’I.A.) et de l’être humain impliqués dans le processus créatif, une autre différence se fait ici jour : l’animal peut souffrir, une intelligence artificielle non. Les deux peuvent de ce fait devenir, non concurrents, mais complémentaires comme aides ou alternatives à la création humaine. Les animaux virtuels s’imposent aujourd’hui dans les activités artistiques, notamment au sein des cirques (sous forme d’hologrammes) ou d’œuvres audiovisuelles (comme dans la dernière adaptation cinématographique de l’Appel de la forêt). L’intelligence artificielle peut améliorer la qualité de ces représentations virtuelles d’animaux (avec un très large panel de possibilités, allant d’un strict réalisme à la fantaisie pure) et faciliter l’intégration de telles représentations au sein de créations artistiques humaines, sans employer d’animaux et donc sans contrainte ni maltraitance potentielle. En matière de création artistique, le modèle « in silicio » constitue donc une alternative d’intérêt au « modèle animal ». Mais ce n’est là sans doute qu’un des nombreux impacts que pourra avoir l’intelligence artificielle sur notre rapport aux animaux16.

  • 1 V. art. L. 113-2 al. 3 (« Est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ») et L. 113-5 (« L'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur ») du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
  • 2 V. art. L. 113-2 al. 1 (« Est dite de collaboration l'œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques ») et L. 113-3 (« L'œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ») du CPI.
  • 3 V. sur ce point B. RACINE, L’auteur et l’acte de création, rapport, janvier 2020 : https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/L-auteur-et-l-acte-de-creation ; V. toutefois, critique, P. SIRINELLI et S. DORMONT, Le contrat de commande, rapport de mission du CSPLA, décembre 2020, https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Organisation-du-ministere/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique-CSPLA/Travaux-et-publications-du-CSPLA/Missions-du-CSPLA/Mission-du-CSPLA-sur-le-contrat-de-commande
  • 4 V. TGI Paris, 3e ch., 20 décembre 1989 : RIDA 1/1991, p. 350.
  • 5 Art. L. 211-2 du Code de la recherche : « L'intégrité scientifique contribue à garantir l'impartialité des recherches et l'objectivité de leurs résultats ».
  • 6 V. notamment sur le sujet J.-M. DELTORN, « Quelle(s) protection(s) pour les modèles d’inférence ? », Cahiers Droit, Sciences & Technologies, 7/2017, p. 127 et s. ; J.-M. BRUGUIERE, « Intelligence artificielle et droit d'auteur - Sortir de la science-fiction des "machines/auteurs", entrer dans la réalité du droit des données », Comm. com. électr., n° 6, Juin 2020, étude 11.
  • 7 V. Ch. CARON, « Le selfie simiesque », Comm. com. électr., oct. 2014, repère 9 ; Ch. LE STANC, « Droit d’auteur – Les selfies de Naruto », Propriété industrielle, n° 6, Juin 2018, repère 6 ; O. PIGNATARI, « Le selfie d'un singe saisi par le droit », Juris art etc., 2014, n° 19, p. 36 ; nos chroniques, RSDA 2/2015, p. 208-213 et RSDA 1/2018, p. 158-163. V. également l’étude plus large de Patrice LE MAIGAT sur le statut de l’animal artiste et de ses créations : P. LE MAIGAT, LPA 25 avril 2016, n° PA201608205, p. 6.
  • 8 US Court of Appeals for the 9th Circuit, Naruto vs. D. J. Slater et al., 23 avril 2018 (Opinion), n° 16-15469.
  • 9 US Copyright Office, 21 février 2023, https://www.copyright.gov/docs/zarya-of-the-dawn.pdf
  • 10 D’autres catégories de créations non humaines pourraient être envisagées, comme celles résultant d’une inspiration divine. Le cas a été étudié dans la jurisprudence américaine, rappelée par la cour de district dans l’affaire commentée : V. par exemple Urantia Found. v. Kristen Maaherra, 114 F.3d 955, 958-59 (9th Cir. 1997). Plus généralement sur le sujet, V. Y. OMAR AMIN ABOUELNASR, La propriété des formes créatives issues de la manifestation d’un sentiment religieux : Etude de droit comparé, notamment franco-égyptien, thèse Poitiers, 2023.
  • 11 Par exemple, le Portrait d’Edmond de Belamy, élaboré par le collectif Obvious à l’aide d’un système d’intelligence artificielle générative, a été vendu aux enchères chez Christie’s à plus de 400 000 dollars. La dernière toile du chimpanzé Congo s’est vendue quant à elle à 10 000 dollars.
  • 12 Art. 515-14 du Code civil.
  • 13 Sur le sujet, V. notre étude, et les références qu’elle contient : « L’art animal en propriété littéraire et artistique », in Les animaux, actes de l'Université d'été 2019 de la Faculté de droit et sciences sociales de Poitiers, Presses universitaires juridiques de Poitiers - LGDJ, 2020, p. 169-185.
  • 14 V. par exemple https://www.youtube.com/watch?v=foahTqz7On4
  • 15 Cf. l’affaire Guino c. Renoir, reconnaissant la qualité de coauteurs à Renoir (ayant conçu les œuvres) mais aussi à Guino (les ayant réalisées) : Cass. civ. 1ère, 13 novembre 1973, 71-14.469.
  • 16 V. notamment A. MARTIN, « Intelligence artificielle et droit de l’animal », Droit animal Ethique & sciences, n° 114, 9 septembre 2022, https://www.fondation-droit-animal.org/114-intelligence-artificielle-et-droit-de-lanimal/
 

RSDA 2-2023

Droit et culture
Actualité juridique : Jurisprudence

Chronique : Cultures et traditions

  • Claire Vial
    Professeur de droit public
    Université de Montpellier

2023 : les animaux déterrés toujours privés de leur individualité


« En m’appuyant sur les travaux d’anthropologie, je relève que la chasse à courre reconnaît à l’animal sauvage son individualité et même son caractère spirituel, au travers de la cérémonie de la curée qui a une dimension chamanique, en complète opposition avec l’animal-matière, objet anonyme de l’industrie agroalimentaire. De fait, la chasse, et plus particulièrement la vènerie, fait perdurer, par le partage de la venaison entre hommes et chiens ou par la conservation de certaines parties de l’animal, des pratiques d’incorporation ainsi que d’appropriation physique et symbolique de la force animale ou d’un culte aux puissances naturelles. »

Pierre Cuypers, Sénateur, présentant à la commission des affaires économiques, le 29 mars 2023, son rapport d’information sur les pétitions relatives à l’interdiction du déterrage du blaireau et l’abolition de la vènerie1


Dans une précédente chronique, nous nous réjouissions des succès remportés par les associations dans la bataille qu’elles mènent, sur le plan juridique, aux fins de mieux protéger les animaux faisant l’objet de pratiques de chasse traditionnelles, tels que l’alouette et le blaireau2. Nous attendions alors les suites que donnerait la commission des affaires économiques à la pétition pour l’interdiction du déterrage du blaireau adressée au Sénat, des suites d’autant plus dignes d’intérêt que nous relevions que le blaireau était loin d’être sauvé, pouvant toujours être chassé sous terre dès lors que la procédure d’adoption des arrêtés autorisant la vénerie était pleinement respectée et que la protection de l’environnement était assurée par ces mêmes arrêtés, peu importe qu’il soit un être vivant doué de sensibilité au sens des dispositions d’autres codes que celui de l’environnement, parmi lesquelles l’article 515-14 du Code civil. Un an plus tard, même sans tomber dans la complète désillusion, c’est avec un peu d’amertume que l’on observera que si les chasses traditionnelles aux oiseaux semblent avoir définitivement succombé face à l’impératif de conservation des espèces3, il ne saurait en être de même pour la vénerie sous terre, les renards et les blaireaux souffrant de ne pouvoir bénéficier ni de la protection collective qu’offre la préservation de l’environnement, ni de la protection individuelle qu’offre le respect du bien-être animal.
Il est curieux, à cet égard, que l’individualité de l’animal sauvage soit mise en avant aux fins de justifier la chasse « et plus particulièrement la vénerie », l’emploi de travaux d’anthropologie, comme le fait le sénateur Pierre Cuypers dans son rapport, nous paraissant peu pertinent dès lors que de tels travaux ne sont assortis d’aucune véritable réflexion sur les plans éthique et juridique. Du point de vue de l’éthique et du droit, la question n’est pas de savoir si une pratique de chasse traditionnelle peut être maintenue en considération du fait que l’animal sauvage est individualisé « en complète opposition avec l’animal-matière, objet anonyme de l’industrie agroalimentaire » – nous mettrons de côté, parce que les mots nous manquent, les considérations relatives au « caractère spirituel » de l’animal chassé, à la « dimension chamanique » de la curée4, aux « pratiques d’incorporation ainsi que d’appropriation physique et symbolique de la force animale ou d’un culte aux puissances naturelles »5. La question est plutôt celle de savoir s’il est acceptable que l’animal sauvage, privé de son individualité parce qu’uniquement considéré sous l’angle de l’espèce à laquelle il appartient, échappe aux règles relatives au bien-être animal, à la différence de l’animal domestique qui, qualifié d’être sensible, bénéficie de l’interdiction pénalement sanctionnée des mauvais traitements exercés envers lui. Juridiquement, l’individu n’est pas celui qui est chassé et dont la viande est partagée entre les hommes et les chiens ou dont certaines parties sont conservées. Juridiquement, l’individu est celui qui, avant d’être consommé par des hommes ou d’autres animaux, a été élevé, puis transporté, puis abattu. C’est le défaut d’individualité des animaux sauvages par rapport aux animaux d’élevage qui mérite l’attention, leur individualité supposée du point de vue anthropologique ne présentant aucun intérêt quand il s’agit, comme le fait le rapport sur les pétitions relatives à l’interdiction du déterrage du blaireau et l’abolition de la vènerie, de répondre aux arguments relatifs à la cruauté des pratiques traditionnelles de chasse mises en cause. Adopter une approche anthropologique ne conduit pas seulement à répondre à côté de ces arguments : en traitant de « la relation [de l’homme] avec l’animal chassé »6, au titre de la « bientraitance des animaux »7, on évite, même pas habilement d’ailleurs, de traiter de la protection de l’animal chassé par l’homme et on en vient logiquement, parce que le point de vue est centré sur l’homme plutôt que sur l’animal, à considérer que « le respect de la condition animale ne doit pas conduire à l’interdiction de modes de chasse »8 tels que la vénerie, en général, et le déterrage des blaireaux, en particulier.
S’agissant spécifiquement de ces derniers, on regrettera que la question « [des] violences et [du] stress [qui leur sont] infligés »9 ait donné lieu à des éléments aussi pauvres dans le rapport. Rien de pertinent, là non plus, sur le plan de l’éthique et du droit, alors que le rapporteur s’interroge pourtant en ces termes : « la vénerie sous terre du blaireau est-elle acceptable ? »10. L’argument tiré de la cruauté du déterrage le conduit à relever qu’« il est vrai qu’à la différence de la vènerie qui reproduit la chasse d’une meute de loups, le blaireau n’a pas de prédateurs sous terre »11. Mais qu’en déduire ? Que la cruauté n’existerait qu’à la condition que la technique de chasse employée par les hommes ne reproduise pas une méthode de prédation naturelle ? Le rapporteur poursuit en observant que si des actes violents ont parfois été commis lors de déterrages, comme la mort d’un blaireau à coups de pelle, ces actes sont punissables, si bien qu’« il s’agit […] plus d’une question de police et d’organisation des poursuites que de réglementation, les comportements dénoncés étant déjà interdits »12. Qu’en déduire là aussi ? Que la technique de chasse ne serait pas violente dès lors que le blaireau est chassé selon les règles de l’article 3 de l’arrêté relatif à l’exercice de la vénerie13 dont la pétition vise justement à obtenir l’abrogation ? De manière pas totalement infondée, d’ailleurs, eu égard à la teneur du texte dont on rappellera qu’il prévoit que « la chasse sous terre consiste à capturer par déterrage l'animal acculé dans son terrier par les chiens qui y ont été introduits. Seul est autorisé pour la chasse sous terre l'emploi d'outils de terrassement, des pinces non vulnérantes destinées à saisir l'animal au cou, à une patte ou au tronc et d'une arme pour sa mise à mort, à l'exclusion de tout autre procédé, instrument ou moyen auxiliaire, et notamment des gaz et des pièges. […] Si le gibier chassé sous terre n'est pas relâché immédiatement après sa capture, sa mise à mort doit avoir lieu immédiatement après la prise, à l'aide d'une arme blanche ou d'une arme à feu exclusivement. Il est interdit d'exposer un animal pris aux abois ou à la morsure des chiens avant sa mise à mort ». Quant à la question du stress de l’animal, tout est mélangé : le point de vue des veneurs pour qui « le blaireau sûr de lui et plus fort que le chien se défend en faisant un contre-terrage, c’est-à-dire en obstruant la galerie où il s’est réfugié. Il se considère alors inexpugnable, ne bouge plus, ce qui permet de le capturer, car il pourrait culbuter le chien qui aboie »14 – répétons-le pour apprécier pleinement le vocabulaire employé, un blaireau « sûr de lui » qui se « considère […] inexpugnable » et qui ne serait donc pas stressé d’autant que « normalement, [il] est sorti du terrier vivant et non blessé15 ; le point de vue de l’Office français de la biodiversité (OFB) qui « a indiqué au rapporteur qu’il existait peu d’études sur le stress et l’éventuelle souffrance de l’animal chassé »16 ; le point de vue, alors, de ces quelques études dont on ne sait pas grand-chose sur le plan scientifique mais qui nous apprennent que le blaireau peut être stressé par le piégeage, qu’il existe (cela dit) un « stress “naturel” lié à la vie sauvage et à la menace de la prédation »17, que le stress a (cela dit) un « rôle dans la sélection naturelle et la reproduction »18, qu’au vu de la réalisation d’un test de « la sensibilité des blaireaux à la chasse dans des terriers artificiels »19, rien ne démontre (cela dit) « un stress plus important que dans leurs activités naturelles »20. Que déduire de ces derniers propos ? C’est là un peu plus clair, peut-être : que l’animal n’est pas si stressé que cela, ce qui est fort étonnant puisque le rapporteur nous indiquait d’entrée de jeu, comme on l’a dit plus haut, que « le blaireau n’a pas de prédateurs sous terre ». Résumons : le blaireau, qui ne rencontre habituellement aucun prédateur sous terre, n’est pas si stressé que cela lorsqu’il est soudainement acculé par des chiens dans son terrier, qu’il est déterré grâce à un outil de terrassement et saisi par des pinces avant d’être tué par arme blanche ou arme à feu. Tant qu’il n’est pas tué à coups de pelle, peu de violence dans tout cela. Et à ce compte-là, difficile de prétendre que le déterrage est cruel.
Cela étant, qu’attendre d’autre d’un rapport qui lie les pétitions et donc deux formes de chasse qui se contaminent l’une l’autre alors qu’à bien y réfléchir, il n’y a pas tant en commun entre la chasse à courre et le déterrage – le rapporteur lui-même souligne la différence entre les deux pratiques, indiquant, après avoir expliqué que le déterrage était justifié par les risques liés à une surpopulation de blaireaux21, que « la vènerie ne prétend pas participer à la régulation des populations, mais au maintien des instincts sauvages des animaux confrontés à un prédateur naturel »22. Qu’attendre d’autre d’un sénateur qui, s’agissant des arguments relatifs à la cruauté du déterrage et au stress infligé aux blaireaux, s’exprime dans la présentation de son rapport en ces termes : « Je ne trancherai pas le débat, mais je relève que pour les opposants ce qui est en réalité inacceptable, c’est de chasser par loisir sans nécessité absolue. C’est bien là que se situe le débat de fond. D’un côté figurent ceux qui estiment que le propre de l’homme et le sens du progrès justifieraient d’abandonner son rôle de prédateur, seule la régulation des dégâts restant acceptable en compensation de la protection de la nature. De l’autre côté se trouvent ceux qui estiment qu’il est dans la nature de l’homme et qu’il relève de sa place dans le vivant de chasser des animaux sauvages, et qu’il s’agit d’une activité légitime et faisant partie de la culture de l’homme. Je me situe personnellement dans la seconde catégorie »23. Outre le fait que l’on ne s’attend pas à trouver un point de vue « personnel » dans la présentation d’un rapport sur l’abolition de pratiques de chasse traditionnelles, on observera qu’il est pour le moins inapproprié de se refuser à trancher le débat sur le caractère ou non cruel de ce type de pratiques tout en lui substituant un autre débat jugé « de fond » sur la pratique de la chasse en tant qu’activité de loisir : la question de la cruauté des méthodes employées pour chasser est passée sous silence alors qu’il était essentiel d’y répondre, plutôt que de mettre en avant tout un tas d’autres considérations comme le « brassage social »24 qui est repris jusque dans l’examen en commission lorsque le rapporteur explique avoir pu, lors de sa participation à une chasse à Rambouillet, « y observer la relation entre le veneur et la population. Le veneur descend de son cheval pour saluer les gens. Un mélange extraordinaire de population existe. Ainsi, aux côtés d’un noble peuvent se trouver un ancien garde-barrière ou un facteur »25. Mais quel rapport avec l’exigence du bien-être animal ? Et à supposer qu’il y en ait un, une telle exigence doit-elle nécessairement céder face à d’autres impératifs s’agissant des animaux sauvages ? Ces derniers doivent-ils rester privés de toute protection individuelle à la différence des animaux domestiques ? Est-il cohérent et acceptable de qualifier les animaux domestiques d’êtres sensibles, comme le font le Code rural26 et le Code civil27, et de s’abstenir de le faire, dans le Code de l’environnement, s’agissant des animaux sauvages ? Le rapport d’information ne traitant d’aucun de ces points, c’est la question de l’abolition de la chasse à courre et du déterrage qui n’est finalement pas traitée, laissant le droit en l’état, ce qui n’est évidemment pas sans conséquence pour le traitement des affaires relatives aux animaux déterrés par les juridictions.
L’arrêt rendu par la cour administrative d’appel de Nantes le 10 novembre 2023 est à cet égard particulièrement éclairant. En l’espèce, l’association One Voice avait demandé au tribunal administratif de Caen d’annuler l’arrêté du 31 juillet 2020 du préfet du Calvados en tant qu’il autorise, dans ce département, la vénerie sous terre du renard, du 20 septembre 2020 au 15 janvier 2021, et en ce qu’il instaure une période complémentaire d’exercice de la vénerie sous terre du blaireau, du 16 mai 2021 jusqu’à la date d’ouverture générale de la chasse 2021-2022. Le tribunal administratif ayant, le 10 mai 2021, rejeté la demande comme irrecevable faute pour One Voice de justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour contester l’arrêté litigieux, la cour administrative d’appel commence par affirmer que le jugement attaqué doit être annulé comme irrégulier dès lors que « la décision administrative contestée, qui autorise la vénerie sous terre du renard et instaure une période complémentaire de vénerie sous terre du blaireau, a […] un rapport direct avec [l’]objet statutaire [de l’association] »28 et que cette dernière « étant, par ailleurs, agréée au niveau national, elle justifie, conformément aux dispositions […] de l’article L. 142-1 du code de l’environnement, d’un intérêt à agir contre toute décision produisant des effets sur une partie de ce territoire, tel que le département du Calvados »29. Statuant alors sur la demande de One Voice, la cour administrative d’appel distingue entre les deux déterrages et relève, s’agissant de celui du blaireau, que l’arrêté contesté a été pris au terme d’une procédure irrégulière – une note de présentation dont les insuffisances « ont privé le public d’une garantie, alors même que de nombreuses observations auraient été présentées lors de la consultation du public »30, et une information tout aussi insuffisante des membres de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage qui « a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise »31. L’annulation de l’arrêté est prononcée, comme dans bon nombre d’autres affaires où le blaireau n’a dû son salut qu’à des défauts de forme plutôt que de fond32.
S’agissant du déterrage du renard, les moyens avancés par l’association sont tous rejetés, ce qui n’a rien d’étonnant dans la mesure où il est difficile de prétendre, sur le terrain de la protection de l’environnement, que le traitement des animaux ne doit pas être cruel33 dès lors que ces derniers sont des êtres sensibles. L’article R. 424-5, premier alinéa, du Code de l’environnement, en vertu duquel la clôture de la vénerie sous terre, ici du renard, intervient le 15 janvier, n’est ni inconstitutionnel, ni illégal. L’arrêté préfectoral, qui se fonde sur lui et respecte la date de clôture, n’est pas davantage illégal. Tout le problème est que les renards, en tant qu’animaux sauvages, relèvent uniquement de la protection de l’environnement et ne sont pas éligibles à la protection individuelle liée au respect du bien-être animal : rien dans la Constitution ou dans la loi ne leur est favorable, et surtout pas l’article 515-14 du Code civil que le juge administratif écarte sèchement en l’espèce, affirmant que « si l'association soutient que l'arrêté contesté a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article 515-14 du code civil, ces dispositions, qui ont pour objet de soumettre les animaux au régime juridique applicable aux biens, n'ont ni pour objet ni pour effet de réglementer le droit de chasse »34. On remarquera que le renard n’est pas mieux loti que d’autres animaux sauvages, le loup par exemple35, la jurisprudence administrative montrant que l’article 515-14 du Code civil n’est susceptible de produire des effets que lorsque des animaux domestiques sont concernés36. Le droit est fait de telle manière que le juge administratif ne peut pas protéger individuellement les animaux sauvages, la mobilisation du droit de l’Union, plutôt que de la loi, n’ayant pas davantage d’intérêt dès lors que l’article 13 du TFUE présente le défaut, avant même celui d’être une disposition peu prescriptive37, d’exclure la protection de l’environnement de ses domaines d’application38. Rien ne peut sauver le renard : ni la conservation de son espèce – il est susceptible d’être classé parmi les espèces susceptibles d’occasionner des dégâts39 – ; ni les services qu’il rend – le renard roux « apporte une contribution positive à l'écosystème forestier dans [les départements] où la couverture forestière est particulièrement importante »40 – ; ni son caractère d’être vivant doué de sensibilité – il ne l’est juridiquement pas. En dehors du cas où il est apprivoisé41, le renard, dans la nature, n’est pas un individu protégé en tant que tel : nul besoin de se préoccuper de sa vie, de son bien-être, de ses souffrances. Ce n’est qu’à partir du moment où il est captif que le droit l’individualise42 et que disparaît cette curiosité juridique qui consiste à distribuer la sensibilité à certains animaux plutôt qu’à d’autres. Parce qu’il n’est pas un individu dont il faudrait prendre en considération la capacité à « éprouver de la douleur, de la souffrance ou de l’angoisse »43, le renard, comme le blaireau, peut être déterré. Difficile de contredire la cour administrative d’appel de Nantes sur ce point. On objectera tout au plus qu’il n’est pas vrai que les dispositions de l’article 515-14 du Code civil, comme elle l’affirme, « ont pour objet de soumettre les animaux au régime juridique applicable aux biens ».
Rappelons ainsi que l’introduction de l’article 515-14 dans le Code civil a conduit à une réécriture de l’article 528 du même code, cette dernière disposition définissant désormais les biens meubles sans plus viser les animaux. Rappelons que si l’article 515-14 ne figure certes pas dans le livre relatif aux personnes – il n’en est pas une –, il a été introduit tout en amont du livre sur les biens et les différentes modifications de la propriété, avant le titre traitant de la distinction entre les biens, et que cette place particulière traduit le fait que l’animal n’est plus un bien mais « un être vivant doué de sensibilité », comme l’affirme la première phrase de l’article 515-14. Rappelons enfin que si la seconde phrase de cette disposition énonce que « les animaux sont soumis au régime des biens », c’est « sous réserve des lois qui les protègent », si bien que le régime juridique qui leur est applicable n’est pas le régime classique des biens mais un autre régime, spécifique, plus protecteur – sinon quel intérêt de modifier le Code civil ? –, celui des êtres vivants doués de sensibilité relevant également du régime des biens. La nuance n’est pas mince : il n’a pas été question, en 2015, comme le laisse penser la cour administrative d’appel de Nantes, de soumettre les animaux au régime juridique applicable aux biens ; il a été question de les qualifier autrement que comme des biens et de leur appliquer le régime des biens uniquement quand cela s’impose44 et sans perdre de vue le fait que l’article 515-14 est à corréler, comme l’a fait récemment le Conseil d’État, avec « l'exigence d'interdiction de tout traitement susceptible d'être à l'origine, pour les animaux, d'inutiles souffrances »45.
Il reste qu’il peut effectivement être considéré que la réglementation de la chasse est indifférente à l’article 515-14 du Code civil, ce malgré la différence de rédaction de cette disposition avec l’article L. 214-1 du Code rural46, et que le déterrage est une pratique traditionnelle de chasse légale à tous points de vue47, y compris celui de la protection des animaux puisque les renards et les blaireaux ne sont pas des individus dont on doit assurer la protection mais uniquement les membres d’une espèce, les composants d’une masse qu’il faut étendre, maintenir, contenir, déplacer, réduire en fonction des activités humaines. En 2023, les renards et les blaireaux sont toujours les éléments d’« un tout », seul « le tout » méritant d’être protégé. On continue de protéger la biodiversité plutôt que les animaux sauvages, comme on protègerait l’humanité plutôt que les êtres humains (mais ce serait alors choquant). Et si la biodiversité est protégée plutôt que les animaux sauvages, c’est parce que cela est pratique, pratique pour l’homme et le maintien de ses activités, qu’il s’agisse de la chasse en tant que telle ou des activités justifiant la chasse et la destruction. En privant les animaux déterrés de leur individualité, on autorise le déterrage, on s’abstient de réfléchir à la cruauté d’une telle pratique, on la tolère. Sauvages, les renards et les blaireaux ne sont pas des êtres sensibles et on pourrait considérer que le défaut de protection que cela entraîne à leur encontre est le prix de leur liberté, la liberté dont sont privés les animaux domestiques dont on assure – en échange ? – le bien-être. Si c’est le cas, alors le prix est cher payé.

  • 1 Rapport d’information n° 470, disponible sur le site Internet du Sénat, p. 38.
  • 2 C. Vial, « L’alouette et le blaireau en meilleure posture que le taureau », RSDA 2/2022, p. 133.
  • 3 V. ainsi CE, 24 mai 2023, Ligue française pour la protection des oiseaux et Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 459400 s.
  • 4 Le rapport précise que « la curée évoquée par la pétition comme macabre est une cérémonie d’ordre chamanique et animiste visant à permettre à l’esprit de l’animal de rejoindre, apaisé, les forces de la nature qui ont permis sa prise » (p. 26, nous soulignons).
  • 5 Nous mettrons de côté, pour la même raison, les considérations relatives à « l’admiration » que « le veneur nourrit […] pour l’animal chassé même le plus petit » et dont « [la] mort doit être entourée de dignité » (rapport précité, p. 25, nous soulignons).
  • 6 Rapport précité, p. 25.
  • 7 Ibid., p. 23.
  • 8 Ibid., p. 26.
  • 9 Ibid., p. 20.
  • 10 Ibid., p. 18.
  • 11 Ibid., p. 20.
  • 12 Ibid.
  • 13 Arrêté du 18 mars 1982 relatif à l’exercice de la vénerie tel que modifié par l’arrêté du 1er avril 2019.
  • 14 Rapport précité, p. 20.
  • 15 Ibid.
  • 16 Ibid.
  • 17 Ibid.
  • 18 Ibid.
  • 19 Ibid.
  • 20 Ibid.
  • 21 Ibid., p. 13 s.
  • 22 Ibid., p. 21.
  • 23 Ibid., p. 35, nous soulignons.
  • 24 Ibid., p. 22.
  • 25 Ibid., p. 45.
  • 26 À l’article L. 214-1.
  • 27 A l’article 515-14.
  • 28 CAA Nantes, 10 novembre 2023, One Voice, n° 21NT01882, point 3.
  • 29 Ibid. V. aussi, en ce sens, CAA Douai, 24 janvier 2023, One Voice, n° 21DA01656 (annulation de l’ordonnance du TA d’Amiens rejetant, pour défaut d’intérêt à agir de l’association, la demande d’annulation de l’arrêté du 15 mai 2019 par lequel la préfète de la Somme a autorisé la régulation du blaireau par la destruction de 1 500 individus, par tir de nuit et piégeage, sur l’ensemble du territoire du département pour la période du 22 juin au 15 septembre 2019). Il est en revanche confirmé en appel que la commune de Valaire et l’association Meles sont dépourvues d’intérêt à agir pour contester l’arrêté du 7 mai 2021 par lequel le préfet de Loir-et-Cher a autorisé une période complémentaire de vénerie sous terre du blaireau du 15 mai au 15 septembre 2021. La cour administrative d’appel de Versailles considère en effet, s’agissant de l’association qui s’efforce pourtant de protéger le blaireau, comme son nom et ses statuts l’indiquent, que « ni ses statuts ni sa dénomination ne limitent le champ d'action de l'association requérante, qui a un ressort géographique national, à un territoire donné. En outre, il est constant que cette association ne figure pas au nombre des associations agréées de protection de l'environnement auxquelles l'article L. 142-1 du code de l'environnement confère un intérêt pour agir indépendamment de considérations tenant au rapport entre l'étendue de leur ressort territorial et la portée des décisions qu'elles contestent » (CAA Versailles, 6 juillet 2023, commune de Valaire et association Meles, n° 21VE02645, point 11). Il nous semble que l’application que fait ici la cour administrative d’appel de la jurisprudence du Conseil d’État (CE, 4 novembre 2015, Ligue des droits de l’homme, n° 375178, point 2) est un peu stricte au vu des arrêts les plus récents dans lesquels la Haute juridiction rappelle que « si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales » (nous soulignons) et reconnaît l’intérêt à agir lorsque l’acte litigieux soulève des questions susceptibles de se poser dans toute collectivité répondant aux caractéristiques de celle concernée en l’espèce (V. ainsi, encore récemment, CE, 17 juillet 2023, Ligue des droits de l’homme, n° 475636, point 9). Les arrêtés pris aux fins d’autoriser la vénerie sous terre du blaireau concernent un grand nombre de départements et soulèvent, en matière de protection de l’environnement et des animaux qui s’y trouvent, de nombreuses questions dans l’ensemble des départements considérés qui couvrent une grande partie du territoire national. En tout état de cause, nous croyons que le domaine des libertés publiques n’est pas le seul concerné et que celui de la protection de l’environnement et des animaux pourrait également l’être (en ce sens, CAA Lyon, 15 février 2023, One Voice, n° 21LY02481).
  • 30 Arrêt précité, point 10.
  • 31 Ibid., point 13.
  • 32 Cela ressort tout particulièrement du dossier juridique du 4 décembre 2023 concernant la vénerie sous terre qui a été établi par l’Institut de Recherche, d’Information et de Développement du Droit Animalier (IRIDDA) à destination de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). On apprend, dans ce dossier, qu’outre « l’insuffisance de la note de présentation dans le cadre de la consultation publique (motifs, données scientifiques, etc.) », c’est le motif de « la présence de blaireautins dans le terrier » qui est souvent retenu par les tribunaux administratifs pour annuler les arrêtés préfectoraux instaurant une période complémentaire de déterrage du blaireau. L’IRIDDA est une association de juristes spécialisés dont les travaux en droit animalier sont consultables sur https://www.iridda-droit-animalier.org. Nous remercions l’association de nous avoir permis d’accéder au dossier juridique considéré.
  • 33 Arrêt précité, point 16.
  • 34 Ibid., point 19.
  • 35 V. ainsi CE, 18 décembre 2019, ASPAS e.a., n° 419897, 420024 et 420098, point 12 ; CE, 18 décembre 2019, ASPAS e.a., n° 419898, 420016, 420100, point 26, dans lesquels le moyen tiré d’une méconnaissance de l’article 515-14 du Code civil est inopérant pour s’opposer à des tirs de destruction. On relèvera cela dit qu’il y a peu de points communs entre le déterrage d’un renard et le tir d’un loup sous l’angle de la nature du traitement réservé à l’animal sauvage, si bien que le renard est même moins bien loti que le loup : la cruauté de la méthode de chasse employée le concernant n’est tout simplement pas prise en considération.
  • 36 V. ainsi CE, 8 juillet 2020, n° 423342, point 18, s’agissant des moutons qu’il faudrait préserver du loup ; CE, juge des référés, 1er décembre 2020, n° 446808, point 11, s’agissant du « droit à la vie » et du bien-être d’un chien catégorisé placé en fourrière ; CE, 5 mai 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, n° 469131, point 13, s’agissant des animaux de compagnie et des équidés placés auprès de familles d’accueil ; CE, 22 juin 2023, M. A. et Association Gardez les Caps, n° 459290, point 11, s’agissant de vaches laitières qu’il faudrait protéger de l’installation de câbles électriques dans le sol. L’article 515-14 du Code civil n’a été méconnu dans aucune de ces espèces.
  • 37 Comme le montre la formule employée par le Conseil d’État lorsqu’il indique que « l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne […] se borne à prévoir que "les États membres tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles" » (CE, 21 novembre 2018, One Voice, n° 414357, point 5, nous soulignons, s’agissant de la détention des animaux sauvages dans les établissements de spectacles itinérants ; CE, 7 octobre 2020, One Voice, n° 424976, point 3, nous soulignons, s’agissant de la détention de cétacés).
  • 38 La mention de l’article 13 du TFUE dans l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 17 mars 2021, One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux, aff. C-900/19, points 39 et 65, permet toutefois d’espérer quelques avancées, au moins du côté de son prétoire.
  • 39 V. ainsi, récemment, CE, 1er mars 2023, Association Oiseaux-Nature, n° 464089 ; CE, 21 avril 2023, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 465683.
  • 40 CE, 1er mars 2023, Association Oiseaux-Nature, précité, point 5.
  • 41 Rappelons que seul l’animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité est visé par les dispositions du Code pénal punissant la maltraitance.
  • 42 V. ainsi Tribunal judiciaire de Tarbes, 4 juillet 2022, n° 96/2022, dans lequel deux chasseurs sont condamnés notamment pour avoir livré à des chiens des renards et des blaireaux ainsi que des renardeaux et des blaireautins.
  • 43 Selon les termes employés par la directive 2010/63/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 septembre 2010, relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, qui s’applique aux animaux ayant la capacité de souffrir physiquement et mentalement et parmi lesquels figurent des animaux sauvages, à titre dérogatoire.
  • 44 Comme, par exemple, dans CAA Versailles, 8 décembre 2020, n° 18VE04024, point 16, où le juge considère que si « [le requérant] conteste la taxation de la plus-value dégagée par la vente, le 25 août 2012, du cheval "For Jump" en soutenant tout d'abord qu'un cheval n'est pas un bien meuble mais un être vivant doué de sensibilité, il ne le fait pas utilement dès lors que la qualification d'être sensible donnée à cet animal par l'article 515-14 du code civil, d'ailleurs postérieurement aux années d'imposition en litige, et par l'article 13 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, n'est pas exclusive de celle de bien meuble au sens des dispositions du code général des impôts » (nous soulignons).
  • 45 CE, 5 mai 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, précité, point 13.
  • 46 Qui, disposant que « tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce », est peu adapté au cas des animaux sauvages considérés comme des res nullius.
  • 47 En ce sens, récemment, CE, 28 juillet 2023, Association AVES France e.a., n° 445646, dans lequel la Haute juridiction administrative rejette la requête des associations en ce qui concerne tant leur demande d’interdiction de la vènerie sous terre du blaireau que leur demande d’interdiction de la période complémentaire de déterrage. Comme le remarque l’IRIDDA, dans son dossier précité, « [le Conseil d’État] ne peut interdire la pratique de la vènerie sous terre ni l’instauration de périodes complémentaires dans la mesure où elles sont légales. [L]es actions devant le Conseil d’État sont peu utiles puisqu’elles ne font que confirmer la légalité de la pratique même si on constate dans sa dernière décision (28 juillet 2023) que, contrairement à ses décisions précédentes, il insiste sur la nécessité pour les préfets de s’assurer qu’une prolongation de la vènerie sous terre ne porte pas atteinte au “bon état de la population des blaireaux” ni ne favorise “la méconnaissance, par les chasseurs, de l’interdiction légale de destruction des petits blaireaux” ».
 

RSDA 2-2023

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